M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’invasion de l’Ukraine, les événements au Proche-Orient nous alertent une fois encore sur la nécessaire cohésion de l’Union européenne face au terrorisme et à tous les ennemis de nos démocraties.
L’effroyable attaque terroriste du Hamas contre Israël et les affrontements qui perdurent nous laissent craindre le pire quant aux pertes humaines.
Ce déchaînement de haine et les exactions commises contre des enfants, des femmes, des populations innocentes, nous rappellent les pages les plus sombres de notre histoire. Il est regrettable que la classe politique française ne condamne pas un tel massacre d’une même voix.
Toutes nos pensées vont bien sûr aux victimes, aux otages, aux blessés, ainsi qu’à leurs familles et au peuple israélien tout entier.
Le fragile processus de paix entre Israël et la Palestine est à nouveau bien compromis et les espoirs de rapprochement d’Israël avec d’autres pays arabes, comme l’Arabie saoudite, vont être sérieusement ébranlés.
L’Union européenne était fortement impliquée dans ces processus. Malgré cette situation critique, restons mobilisés ; ne nous décourageons pas.
Madame la secrétaire d’État, hier s’est tenue une réunion d’urgence des ministres européens des affaires étrangères. Au-delà du rappel des règles de droit international humanitaire et de la nécessité d’une solution politique à cette crise, voie que semble privilégier la France, pouvez-vous nous parler plus précisément des prochaines étapes et des mesures envisagées ?
Quelle position l’Union européenne peut-elle et souhaite-t-elle prendre dans ce conflit ? Comment les États membres pourront-ils coordonner leurs actions ?
Sur un autre front, contrairement aux prévisions de Vladimir Poutine, l’agression de la Russie contre l’Ukraine s’est révélée un ciment fort pour les pays européens.
À cette occasion, les États membres ont montré leur volonté de consolider leurs capacités militaires et de se préparer à de futures crises géopolitiques. Toutefois, nos réflexions sont-elles suffisantes ? Avançons-nous assez vite ? Dans un tel contexte, comment envisager l’évolution de notre politique européenne extérieure ou encore la constitution d’une armée européenne ?
Concernant précisément la situation en Ukraine, deux questions me paraissent majeures. Premièrement, avez-vous prévu de nouvelles aides pour les prochaines phases de ce conflit ? Deuxièmement, qu’en est-il de l’embargo sur les céréales ? Nous avons tous présentes à l’esprit les conséquences migratoires d’un affamement du continent africain.
Cette question migratoire est également à l’agenda du Conseil européen. Or chacun a pu constater son absence dans la déclaration de Grenade. Le pacte européen sur la migration et l’asile a pourtant fait l’objet d’un accord, mais les divers blocages observés persistent. Qu’en est-il précisément ?
En France, les chiffres de l’aide médicale de l’État (AME) explosent pour cette année 2023. La Méditerranée reste malheureusement le théâtre de trop nombreux drames humains. Les conflits, les catastrophes naturelles et les tensions sur le continent africain nous laissent présager le pire.
L’Europe ne pourra pas accueillir toute la misère du monde, alors que certains de nos voisins, comme la Russie, insensible à tous ces drames, nous observent en se frottant les mains, sans faire le moindre geste altruiste.
Face aux flux migratoires, nous avons besoin d’une gestion et d’un cadre communs. Nous ne pouvons pas laisser la responsabilité de cette politique à d’autres pays.
Quelle position la France adoptera-t-elle afin de faire évoluer ce dossier ? Pensez-vous que le choix d’un cap fort pourrait être un atout avant les élections européennes de juin prochain ?
L’Union européenne vient de faire face à deux crises majeures et concomitantes : l’épidémie de covid et l’invasion de l’Ukraine. Déjouant tous les pronostics, nous sortons renforcés de ces deux épreuves, qui ont pourtant mis à mal notre système économique et provoqué une crise inflationniste sans précédent, dont tous les Européens paient aujourd’hui les conséquences.
Nous le savons, l’issue de cette crise viendra d’une réponse collective et solidaire impliquant les citoyens, les différentes collectivités territoriales et les gouvernements.
À Grenade, les dirigeants européens ont rappelé la promesse fondatrice de l’Union européenne : garantir la paix et la stabilité aux Européens. L’une des priorités relevées est notre résilience. Nous savons que de nombreuses réformes restent à définir ensemble et le temps presse.
La crise inflationniste, consécutive à l’invasion de l’Ukraine, nous a rappelé douloureusement les lacunes accumulées au fil des ans en matière de politique énergétique.
Aujourd’hui, nous avons fait des choix très différents de notre voisin allemand, en relançant notre filière nucléaire. Je ne pense pas que le charbon germanique soit une solution souhaitable et durable. Quoi qu’il en soit, nos divergences ne sauraient effacer l’intérêt collectif de l’Europe en matière énergétique. Nous devons continuer de prospecter et d’acheter ensemble sur les marchés mondiaux.
Alors que 2024 se profile déjà, notre cap doit être clair. Un effort tout particulier doit être accompli en faveur des énergies renouvelables.
On ne peut que saluer la décision du Gouvernement de relancer notre filière nucléaire et la construction de nouveaux réacteurs. Il paraît maintenant évident que, si nous voulons sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, nous devrons très rapidement améliorer notre mix entre bas-carbone, nucléaire et énergies renouvelables. Les citoyens européens doivent avoir accès à une énergie durable, abordable et en quantité suffisante.
Madame la secrétaire d’État, sur ce volet, quelles sont vos ambitions précises, qu’il s’agisse du développement nucléaire ou de la réforme du marché européen de l’électricité ?
J’en viens à un autre enjeu de souveraineté essentiel pour notre continent : l’agriculture.
La France, par la voix de sa Première ministre, a enfin décidé l’arrêt des surtranspositions qui ont tant pénalisé notre filière agricole. Je m’en réjouis.
Concrètement, ne pensez-vous pas qu’il est nécessaire d’uniformiser plus rapidement les réglementations encadrant nos politiques agricoles ? Ainsi, l’Europe pourrait parler d’une seule voix en se donnant, par là même, une image plus crédible sur les marchés internationaux.
L’Union européenne doit poursuivre les réformes de simplification et d’uniformisation des politiques de tous ses membres : tel est le prix de notre souveraineté et de notre avenir commun.
Dans un tel contexte, le scrutin européen de 2024 revêt une importance primordiale. Conscients de la poussée populiste, tous les Européens convaincus devront se serrer les coudes et s’impliquer pleinement. Ne laissons pas la main aux eurosceptiques. Continuons à dissiper les ignorances et à déraciner les passions destructrices. La construction européenne mérite notre engagement total !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes tous encore sous le choc de l’attaque terroriste inédite dont a été victime Israël ce week-end. Nous mesurons les risques d’un nouvel embrasement du Moyen-Orient, d’une recrudescence du terrorisme en Europe, et l’impact de ces graves événements pour nos sociétés, dont on a malheureusement constaté, ces dernières années, la fragmentation et la fragilité.
Je tiens bien entendu, comme l’a fait notre président de groupe, Hervé Marseille, cet après-midi, à réaffirmer notre soutien et notre solidarité à Israël et à sa population. Je redis notre ferme condamnation des actes d’une barbarie inqualifiable perpétrés par le Hamas, qui a volontairement ciblé et pris en otage des civils, dont des enfants et des personnes âgées.
Que faire pour venir en aide à ces otages, misérables boucliers humains parmi lesquels se trouvent des Français ? Que faire pour éviter, par une escalade de la violence déjà à l’œuvre, le pire aux populations civiles palestiniennes, dont les terroristes, loin d’être les représentants, sont d’une certaine manière les bourreaux ?
Le Hamas – on le sait – est une organisation fanatique terroriste qui a toujours été hostile à la recherche d’un compromis de paix.
On l’a dit à juste titre : nous devons être intraitables envers le Hamas, envers toutes les organisations terroristes et envers tous ceux qui, en sous-main, les financent, les organisent et les soutiennent. Ces pays, comme le Qatar et l’Iran, également évoqués cet après-midi, sont bien connus. Insidieusement, ils alimentent la haine et la désolation dans le monde.
Nous devons aussi veiller à ne pas confondre cette lutte avec le droit humanitaire applicable aux populations civiles. L’ONU a d’ailleurs appelé les États influents à engager des discussions de résolution du conflit avec les parties, pour obtenir la libération des otages et éviter un siège total de Gaza, qui serait contraire au droit international. Un tel siège aurait pour conséquence le déplacement des populations palestiniennes vers l’Égypte, qui est déjà sollicitée.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser les propositions qu’a déjà faites la France lors de la réunion des vingt-sept ministres des affaires étrangères des États membres et, en conséquence, sa position lors du prochain Conseil ? Nous sommes évidemment dans l’urgence, mais, dans un second temps, il faudra œuvrer, avec la communauté internationale, à la résolution de ce conflit.
Cette terrible réalité ne doit pas nous faire oublier la tragédie qui se joue depuis plusieurs mois en Arménie. Toutefois, ce point n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen. C’est la preuve, si besoin en était, que les Arméniens, ce peuple résistant et courageux, ont bel et bien été abandonnés, malgré les appels répétés de parlementaires et de politiques de tous bords qui se sont rendus sur place.
Ce n’est pas comme si la Commission européenne ne connaissait pas la tragédie qui se profilait là-bas. Or elle a cyniquement abandonné – je pèse mes mots – les 120 000 Arméniens du Haut-Karabagh, cette petite République autonome d’Artsakh rattachée à l’Arménie. Elle a renvoyé les parties prenantes au dialogue, comme si l’on pouvait faire confiance au président de l’Azerbaïdjan, Aliyev et à son funeste complice, le président turc Erdogan !
Mes chers collègues, qu’on se le dise : ce triste tandem ne sera pas rassasié par le seul anéantissement de la République arménienne d’Artsakh. Il s’attaquera ensuite à la « grande » Arménie toute proche, pour finir le travail du génocide de 1915.
Le Président Aliyev s’est déjà inventé un mobile pour sa guerre : au mépris de l’histoire, il affirme sans scrupule qu’Erevan est un territoire azerbaïdjanais ! Puisque la communauté internationale est silencieuse – et qui ne dit mot consent –, après l’Arménie viendra peut-être le tour de la Grèce, l’autre obsession ottomane.
Pourquoi les puissances occidentales, qui ont su s’opposer à Poutine et immédiatement venir en aide à l’Ukraine indûment attaquée, n’ont-elles pas dénoncé la fermeture du corridor de Latchine ni empêché le terrible blocus dont les Arméniens ont souffert pendant des mois ? Ainsi, elles ont indirectement encouragé l’attaque brutale menée par les forces azerbaïdjanaises le 19 septembre dernier. Plus de 100 000 des 120 000 personnes vivant dans le Haut-Karabagh ont dû partir.
Faute d’avoir agi le 19 septembre dernier, en trois jours, on a laissé s’effacer 3 000 ans d’histoire. Car, là-bas, c’est non seulement aux populations que l’on s’en prend depuis le début, mais aussi aux traces d’une histoire multiséculaire, que l’on s’emploie à effacer.
Un patrimoine religieux d’une valeur inestimable est aujourd’hui très gravement menacé, comme nous l’a rappelé lors d’une audition la présidente de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph), notre ancienne collègue Bariza Khiari.
Les monastères seront-ils bientôt détruits, comme l’ont été au siècle dernier à peu près tous les monuments arméniens, telle l’extraordinaire cité médiévale d’Ani, à l’est de la Turquie ?
Je me demande pourquoi, au début des années 1990, le monde s’était engagé derrière la Bosnie musulmane et pourquoi aujourd’hui les Arméniens sont, eux, à ce point abandonnés. Est-ce parce qu’ils ne forment qu’une toute petite minorité chrétienne entourée de pays musulmans ?
On dit que les Russes protègent l’Arménie. On peut sérieusement en douter, car, empêtré dans son conflit avec l’Ukraine, Poutine a besoin de la Turquie et surtout de l’Azerbaïdjan, gros exportateur d’énergies fossiles. Ce pays lui permet de contourner les sanctions occidentales, tandis que l’Union européenne double ses importations de gaz en provenance de Bakou ! Voilà la triste raison de notre silence et de notre complaisance.
Madame la secrétaire d’État, je vous en conjure : faites en sorte que l’Europe se réveille face à ce qui apparaît clairement comme une nouvelle épuration ethnique et religieuse. Apportons l’aide militaire qu’il espère au ministre arménien Nikol Pachinian, que Bruno Retailleau, Gilbert-Luc Devinaz et moi-même, avec notre groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens, les minorités du Moyen-Orient et les Kurdes, avons rencontré à Erevan le 25 avril dernier.
Mme Catherine Colonna a parlé cet après-midi des aides humanitaires récemment accordées par la France. Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU a, de son côté, lancé samedi dernier un appel aux dons d’un montant de 97 millions de dollars pour aider les habitants du Haut-Karabagh réfugiés en Arménie et ceux qui les hébergent. Mais cela ne suffit pas.
Il faut réexaminer les relations de l’Union européenne avec Bakou. Des sanctions sont nécessaires au regard des nombreux témoignages de violences et d’atteintes aux populations civiles. Selon la presse européenne, les États membres de l’Union européenne avaient demandé au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de proposer des options punitives si la situation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan venait à se détériorer. Qu’attendons-nous donc ?
Mes chers collègues, cette actualité déjà très lourde s’est encore aggravée au cours des derniers jours. J’espère que les dirigeants de l’Union européenne vont prendre la mesure de cette inquiétante démultiplication des crises et des guerres, qui sont toujours plus nombreuses, hélas ! aux portes de l’Europe.
Ces conflits armés procèdent de la folie des hommes, des velléités expansionnistes de dictateurs qui piétinent allègrement le droit international et menacent à terme nos démocraties.
L’Ukraine, le Haut-Karabagh, Israël : voilà, à tout le moins, une combinaison dangereuse. La concomitance de ces crises qui touchent l’Euroméditerranée doit être prise au sérieux. On le sait, elles redistribuent les relations entre États. Elles peuvent, du même coup, changer la donne globale et mettre en danger l’équilibre planétaire.
Madame la secrétaire d’État, sur l’ensemble de ces dossiers, nous comptons sur vous. La France et l’Europe doivent être au rendez-vous, à la hauteur des valeurs des droits de l’homme, dont nous sommes les défenseurs. C’est ainsi que nous pourrons contribuer au retour de la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat européen ne peut effectivement pas faire abstraction de la sidération provoquée par le terrorisme massif du Hamas.
Ces crimes systématiques et ces enlèvements à grande échelle traduisent la volonté délibérée de déclencher un embrasement fatal, de réactiver puissamment un cycle de haine qui brise toute perspective d’apaisement et fasse basculer des pays des Proche et Moyen-Orient.
En face, on trouve un gouvernement d’extrême droite qui amalgame tous les Palestiniens, parle d’« animaux humains » et de « siège total de Gaza ». Ce choix serait celui de la punition collective, infligée à plus de deux millions de personnes. N’est-ce pas précisément la réaction qu’escompte le Hamas ?
Face à l’horreur, l’Union européenne doit soutenir et le droit à la sécurité d’Israël et les droits légitimes des Palestiniens. Elle ne peut pas sombrer dans une logique d’amalgame et de haine. C’est pourtant cette logique qui transpirait dans l’annonce faite lundi dernier par le commissaire hongrois Várhelyi. À en croire ce dernier, l’Union européenne entendait suspendre tout son programme d’aide aux Palestiniens : en évoquant une telle punition collective et indiscriminée, il laissait entendre que les millions de l’Europe étaient détournés, voire alimentaient le Hamas.
On sait que la Commission a rétrogradé. L’Union européenne a affirmé hier son opposition au siège total de Gaza et la Commission ne parle plus que de « revoir » le dispositif d’aide.
C’est le résultat, dit-on, des réactions de l’Espagne, du Luxembourg, de l’Irlande, du Danemark. En outre, pour être légale, la révision d’un programme de cet ordre nécessite tout de même une proposition de la Commission européenne et une majorité qualifiée des États.
Quel rôle la France a-t-elle joué dans cette séquence confuse. Y a-t-il eu une réaction et, si oui, laquelle ? Pour éviter cette confusion, n’aurait-il pas fallu décider une réunion immédiate du Conseil européen, qui aurait permis une expression à la hauteur des événements ?
Les Arméniens du Haut-Karabakh, victimes d’une épuration ethnique d’ampleur, attendent de nous que nous prenions nos responsabilités et que nous fassions preuve de solidarité.
La complaisance gazière avec l’Azerbaïdjan doit cesser. Il ne peut plus être question d’un « partenariat fiable et durable » avec Bakou, pour reprendre les termes de la présidente de la Commission européenne. TotalEnergies et Patrick Pouyanné ne peuvent continuer d’afficher leur entente avec Aliyev.
Le Parlement européen demande des sanctions et une enquête sur l’origine des exportations de l’Azerbaïdjan, qui est une plaque tournante, on le sait, des contournements des sanctions contre la Russie ; suivons-le !
Les Ukrainiens, eux aussi, attendent de nous que nous prenions nos responsabilités et que nous fassions preuve de solidarité, alors qu’ils vivent un cauchemar depuis l’invasion russe. Notre solidarité ne peut pas leur faire défaut. Les importations européennes de gaz liquéfié et de nucléaire en provenance de la Russie augmentent de nouveau.
Le gouvernement polonais a décidé de ne plus livrer d’armes à l’Ukraine et le soutien durable des États-Unis paraît incertain, à l’approche de l’élection présidentielle l’an prochain. L’Union européenne ne peut pas laisser se déliter notre soutien aux Ukrainiens ; tenons sur ce point !
Face à l’invasion russe, notre réponse consiste à offrir une perspective d’élargissement de l’Union aux Balkans occidentaux et à l’Ukraine, pays insécurisés par un lourd voisinage… Le sommet de Grenade de vendredi dernier s’en veut le point de départ.
L’élargissement est une nécessité au regard de la situation géopolitique, bien sûr, mais aussi souhaitable qu’il puisse être, il n’est ni réalisable ni crédible sans une réforme du fonctionnement européen. On ne peut s’embourber à plus de trente États dans les blocages et les limites du fonctionnement actuel, qui plus est avec un budget contraint par des contributions nationales sans cesse marchandées. Avançons sur la réforme du fonctionnement et sur le déploiement des ressources propres, qu’il faut arrêter de reporter sans cesse.
Dans une Union à vingt-sept, les sujets de désaccords et de tensions sont déjà nombreux. Parmi eux, on connaît les difficultés que soulève le pacte sur la migration et l’asile, en discussion depuis trois ans, alors même que les demandes d’asile augmentent, que la crise climatique entraîne de nouveaux flux de réfugiés et que la situation au Proche-Orient bascule. Une réforme de ce pacte n’a donc jamais été aussi urgente.
Pourtant, en l’état, ce texte de compromis voté par vingt et un pays, dont la France, suscite plus de malaise que de fierté. Les yeux sont certes rivés sur la Hongrie et la Pologne, qui refusent tout mécanisme de solidarité, mais, selon nous, c’est l’essence même du pacte sur la migration et l’asile qui est néfaste. Pourquoi adopter dans la précipitation un texte médiocre, qui, d’une certaine façon, tend à criminaliser les ONG qui sauvent des migrants en mer ? Les personnes fuyant la guerre, l’oppression ou la mort ne doivent être traitées ni comme des menaces ni comme des flux migratoires irréguliers !
Cette nécessité de construire collectivement, de réformer notre cadre commun va à contre-courant des réflexes de repli et de la tentation de faire cavalier seul, auxquels incitent les crises qui déferlent.
« Reprendre le contrôle » – take back control – tel a été le mot d’ordre du Brexit. La France ne peut pas entonner cet air-là ! Bruno Le Maire a dit hier en substance que sortir du marché européen de l’énergie, c’était sortir de l’Europe. Pourtant, c’est un autre son de cloche que l’on entend aujourd’hui, la France ayant annoncé, par la voix du Président, qu’elle s’apprête à « reprendre le contrôle – il a choisi ces mots – du prix de l’électricité ». Quel est le signal envoyé ? Est-ce que « l’Europe, ça commence à bien faire » ?
Madame la secrétaire d’État, vous nous envoyez ce soir un signal différent, en nous assurant qu’il faut rester, j’ai bien entendu, dans le cadre d’un marché solidaire transfrontalier. Oui ! C’est tout de même l’appartenance au marché européen qui a assuré notre approvisionnement cet hiver, quand notre parc nucléaire était défaillant !
Enfin, l’autre front sur lequel l’Union européenne ne doit pas reculer, c’est celui du pacte vert, le Green Deal. À cet égard, je pense au glyphosate, que la Commission européenne s’apprête à autoriser de nouveau pour dix ans, malgré des milliers de procès et les vies brisées, malgré la reconnaissance des liens entre malformations et exposition prénatale à ce désherbant. La France doit défendre la santé des agriculteurs, qui sont les premiers exposés ! Elle doit jouer sans ambiguïté un rôle moteur pour faire interdire le glyphosate dans l’Union européenne.
Oui, la période est rude : face au risque de recul, de régression, de repli et d’éclatement, l’Europe doit tenir sur ses valeurs, sur la solidarité, sur les politiques de transition. Pour cela, elle a besoin d’une France qui agisse pleinement en Européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce débat intervient dans un contexte particulier, après les attentats terroristes du Hamas, aux conséquences insoutenables pour la population israélienne.
Je tiens à souligner que l’Union européenne a la responsabilité d’ouvrir la voie de la paix, qui, seule, permettra aux peuples israélien et palestinien de vivre en paix, en sécurité et dans la dignité.
J’en viens à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.
Devant la représentation nationale, le responsable de la direction du renseignement militaire a mis en garde sur le risque de prolongement de la guerre en Ukraine en 2024, voire en 2025.
La perspective d’une guerre d’usure est acceptée par les dirigeants européens, dont notre Président de la République. Le seul espoir d’enrayer cette guerre serait de livrer des armes toujours plus performantes et d’intensifier la production de munitions sur le continent européen.
Après dix-huit mois de conflit, alors que l’on dénombre 500 000 morts ou blessés et que le montant cumulé des aides versées à l’Ukraine atteint 165 milliards de dollars, quels sont les résultats ?
Il est vrai que la responsabilité de ce désastre incombe au Kremlin, mais je souligne avec gravité, comme l’ont toujours fait les membres de mon groupe, que l’escalade militaire peut entraîner la perte de contrôle du conflit.
Pour parvenir à une paix durable, on ne pourra faire l’impasse ni sur le respect de la souveraineté de l’Ukraine ni sur des garanties de sécurité pour l’ensemble des pays de la région, dont la Russie.
Accepter la perspective d’une guerre d’usure, c’est accepter de faire peser ses conséquences sur les citoyens européens, notamment la hausse du prix de l’énergie !
La diversification des partenaires énergétiques de l’Union européenne, aussi urgente soit-elle, ne doit pas se faire au détriment de notre peuple. En négociant un contrat énergétique avec l’Azerbaïdjan et en qualifiant ce pays de « partenaire de confiance », l’Union a garanti l’impunité au régime du dictateur Aliyev.
Alors que 120 000 Arméniens ont fui le Haut-Karabagh pour rejoindre l’Arménie, il nous semble urgent que l’Union européenne dénonce cet accord énergétique et impose des sanctions diplomatiques à l’Azerbaïdjan.
Les citoyens européens, frappés par une paupérisation insoutenable, ont perdu en moyenne 4 % de leur salaire réel. L’année dernière, dans certains supermarchés, des antivols ont été apposés sur des steaks et le vol à l’étalage a augmenté de 15 % en France et de 25 % aux Pays-Bas. Les Européens ont faim et peinent à se chauffer. Près de 95 millions de personnes sont menacées de pauvreté.
Pourtant, l’Union européenne poursuit sa politique d’austérité et de réduction des dépenses, ce qui se traduit politiquement par une révision du cadre financier pluriannuel. À cet égard, les négociations mettent en concurrence le financement de la guerre en Ukraine et la bataille pour la réindustrialisation.
Fondée sur deux piliers, la stratégie de réindustrialisation a du plomb dans l’aile.
Le premier d’entre eux, la révision des aides d’État, est en vigueur et permet de tenir la Commission européenne à l’écart. Sur les 740 milliards d’euros d’aides approuvées, 50 % ont profité à l’Allemagne, 23,5 % à la France, les autres États membres se partageant les miettes. Cette situation est d’autant plus regrettable que ce sont ces autres pays, de l’Est notamment, qui disposent des matériaux critiques, indispensables à l’industrie de l’Ouest.
Le second, le fonds de souveraineté, est abandonné. Nous devions pourtant voir ce que nous allions voir ! L’Union européenne allait répondre au fameux Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis, politique agressive de soutien public, financée à hauteur de 300 milliards d’euros au moins, sur fond de renforcement de l’industrie et de sa décarbonation. Le fonds de souveraineté européen devait, s’il n’avait pas été enterré avant même de voir le jour, compenser les investissements nord-américains colossaux.
Pour irriguer l’industrie française et éviter de voir le fossé avec l’Allemagne se creuser, il faudra désormais miser sur la coquille vide qu’est la plateforme des technologies stratégiques pour l’Europe (Step). Recyclage de crédits en tout genre, champs extrêmement restrictifs en matière de technologies de rupture, et 10 milliards d’euros pour toute l’Union au maximum : disons-le clairement, la montagne a accouché d’une souris !
Madame la secrétaire d’État, le constat posé par le chercheur Nicolas Leron devrait nous rassembler : « Sans budget proprement européen et d’une taille suffisante, l’Union européenne arrive au bout de ce qu’elle peut fournir en termes de biens publics, dont font partie les industries stratégiques. »
Pour l’heure, les marchés financiers minent l’ambition européenne de réindustrialisation du territoire européen, de la France et du Pas-de-Calais, qui attendaient un ruissellement. Une fois n’est pas coutume, il ne se produira pas…
Négocié à la hâte, le plan de relance européen devait être le pilier de la reprise économique, mais les fonds européens tardent à irriguer notre économie.
Madame la secrétaire d’État, j’en profite pour vous demander quelle est votre position sur la condition posée pour percevoir des fonds européens. Près de 20 milliards d’euros – tout de même ! – seraient conditionnés à l’adoption du projet de loi de programmation des finances publiques, que nous examinerons au Sénat mardi prochain.
Mon groupe y voit un chantage exercé par le Gouvernement, pour qui il s’agit de légitimer le choix, politiquement insoutenable aujourd’hui, d’imposer une cure d’austérité à nos finances publiques et de les placer sous le joug des institutions européennes.
Notre soumission au marché européen est liée aux 800 milliards d’euros que nous devons emprunter, ce qui signifie de devoir rembourser 15 milliards d’euros par an jusqu’en 2058 !
Le dilemme est clair : soit l’on adopte de nouvelles ressources propres, soit l’on vote des réductions budgétaires. L’austérité n’est jamais une fatalité !
Le Parlement européen a malheureusement repoussé quelques-unes des contributions du capital au financement des politiques européennes, mais il a adopté une résolution enjoignant aux États membres et à la Commission de trouver de nouvelles ressources propres.
Pour garantir notre souveraineté budgétaire et éviter les égoïsmes nationaux, qui font de notre pays la banque de l’Union européenne, il faut choisir la voie de la taxation : taxe sur les cryptomonnaies, taxe sur les transactions financières, amendes pour les entreprises qui importent des biens dans l’Union européenne tout en rémunérant leurs travailleurs en dessous du seuil de pauvreté.
Madame la secrétaire d’État, la double soumission aux marchés et aux États frugaux n’a que trop duré. Vous êtes politiquement responsable d’avoir enterré le fonds de souveraineté en accordant d’abord l’assouplissement des règles relatives aux aides d’État. N’acceptez pas que la France augmente sa contribution ; exigez que le capital finance les transitions ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)