Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain des élections sénatoriales, je dois bien admettre que le sujet de la taxe foncière a été régulièrement abordé par les élus locaux.
Ce débat est donc pour nous l’occasion de rappeler certaines vérités sur la taxe foncière.
Il faut commencer par rappeler ce qu’est la taxe foncière : un impôt local.
Par conséquent, ses recettes vont aux communes et aux intercommunalités. Et le taux de cette taxe foncière est décidé par les conseils municipaux ou, dans quelques cas particuliers, par les autres instances délibératives.
Accordons-nous sur le fait que cet impôt résulte de la combinaison d’une base et d’un taux.
Depuis 2018, les valeurs locatives, qui constituent la base de la taxe, sont revalorisées chaque année en fonction de l’inflation. Cette règle a été votée en 2016, sur l’initiative de Valérie Rabault, alors rapporteure générale du budget à l’Assemblée nationale, par la plupart des partis qui sont aujourd’hui dans l’opposition. Elle est d’application automatique et a été maintenue en 2023 – M. le ministre l’a rappelé – à la demande unanime des associations d’élus locaux, afin que l’État ne préempte pas les choix de ces derniers.
Et la décision d’augmenter, de maintenir ou de baisser le taux de la taxe foncière appartient aux élus locaux. Ce n’est pas du ressort de l’État. Il s’agit d’un choix de gestion des élus locaux.
Certes, le sujet de la taxe foncière a fait couler beaucoup d’encre. Mais analysons les choses à l’échelle nationale.
Toutes les communes ont-elles fait le choix d’augmenter le taux de la taxe foncière ? Absolument pas !
Mme Céline Brulin. Il faut le dire à Macron !
M. Didier Rambaud. Seulement 14 % des communes font un tel choix. La majorité des élus ont pris la décision de ne pas augmenter le taux de la taxe foncière.
M. Pascal Savoldelli. Dites-le au Président de la République !
M. Didier Rambaud. En effet, 85 % des communes ont opté pour un taux stable, et 1,3 % d’entre elles, soit 436 communes, ont fait le choix de réduire le taux de la taxe foncière afin de préserver le pouvoir d’achat de leurs administrés.
Un choix différent a été fait par 14 % des communes, dont plusieurs grandes villes, à l’image de Grenoble, chef-lieu de mon département, où la taxe foncière a augmenté de 25 % en 2023.
Quelles sont les raisons qui justifient un tel choix ? C’est aux maires qu’il convient de le demander, car ces raisons sont d’ordre local et ne tiennent pas à la suppression de la taxe d’habitation.
Non, on ne peut pas laisser dire que la hausse de la taxe foncière constitue un choix contraint lié à la suppression de la taxe d’habitation, comme j’ai pu l’entendre ici ou là lors de ma campagne des élections sénatoriales. Dans le meilleur des cas, c’est une incompréhension de la fiscalité ; dans le pire des cas, il peut s’agir de mauvaise foi agrémentée d’opportunisme électoral…
Pourquoi ne peut-on pas laisser dire de telles contre-vérités ? Parce que la suppression de la taxe d’habitation a été compensée par l’État, à l’euro près, et ce de façon dynamique. En effet, les communes et les intercommunalités ont bénéficié en contrepartie de l’affectation de l’intégralité du rendement de la taxe foncière, qui était précédemment partagé avec les départements.
Pour assurer qu’aucune commune ne soit perdante, l’État abonde de près de 600 millions d’euros par an un mécanisme de correction.
Je rappelle rapidement que la suppression de la taxe d’habitation a permis de renforcer le pouvoir d’achat des ménages et de les protéger face à l’inflation.
Je rappelle également que la suppression de la taxe d’habitation, c’est, en moyenne, 760 euros de plus par foyer et par an.
Celles et ceux qui augmentent la taxe foncière au motif de compenser la suppression de la taxe d’habitation, à l’image du maire de Grenoble, préfèrent mettre cette hausse sur le dos de l’État.
Cela étant, il est vrai que les élus locaux sont inquiets : non pour la compensation, mais pour l’actualisation de cette compensation.
De nombreux élus m’ont alerté sur ce point ; je m’étais engagé devant eux à interroger le Gouvernement. Fidèle à mes engagements et ayant été réélu sénateur, je demande donc au Gouvernement ce que nous pouvons faire pour actualiser la dotation de compensation en fonction du développement des communes et des évolutions démographiques à venir en 2024 et dans les années qui suivront.
Bien que relativement injuste à mes yeux, la taxe d’habitation représentait, il est vrai, un levier fiscal important pour le budget des communes. Alors que ces dernières font face à de multiples défis et que les maires sont des piliers cardinaux de notre démocratie et de notre République, mais également des investisseurs essentiels, nous devons nous montrer vigilants quant à la situation financière des communes.
Se pose en définitive, derrière la question de l’augmentation de la taxe foncière, celle de l’organisation des recettes fiscales et du schéma fiscal des collectivités locales, notamment de l’échelon communal.
Une majorité de maires et d’élus locaux demandent davantage d’autonomie fiscale et de décentralisation. Mais cette autonomie fiscale exige de la responsabilité. Les choses vont dans les deux sens.
Derrière la question de la taxe foncière se cache également celle du lien fiscal entre l’habitant et la commune.
Pourquoi, dès lors, ne pas réfléchir à une nouvelle organisation de la fiscalité locale ?
Pourquoi ne pas envisager un nouvel impôt local résidentiel qui, sans être nécessairement lié aux valeurs locatives ni peser injustement sur les seuls locataires, viendrait recréer un véritable lien entre chaque habitant et sa commune ?
Cela pourrait renverser la table et révolutionner le schéma actuel des taxes et des impôts. Si nous délimitons efficacement cet impôt, nous pourrons neutraliser son impact fiscal pour le contribuable et, ainsi, respecter l’engagement du Président de la République et du ministre de l’économie de ne pas augmenter les impôts, engagement que nous avons tenu depuis 2017.
Une telle réflexion a été émise par certains lorsque le groupe de travail sur la décentralisation, présidé par Gérard Larcher, s’est réuni. Je vous invite à y travailler collectivement lors des prochains mois.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué l’interpellation des élus sur la dynamique. Je veux vous rassurer : nous avons à la fois compensé à l’euro près la suppression de la taxe d’habitation, via les 600 millions d’euros du mécanisme correcteur, et construit une compensation dynamique, puisque désormais les communes récupèrent l’intégralité de la taxe foncière ; or, dynamique, la revalorisation des bases foncières l’est intrinsèquement, car elle est indexée sur l’inflation.
Il y a là, pour les communes, une protection, s’agissant d’un impôt dont – je le redis – elles perçoivent désormais intégralement les recettes et qui, de surcroît, est dynamique, sa base étant indexée sur l’inflation.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Mme Isabelle Briquet applaudit.)
M. Thierry Cozic. « Quand vous avez votre taxe foncière qui augmente, ce n’est pas le Gouvernement : c’est votre commune qui le décide. Et c’est un scandale quand j’entends des élus qui osent dire que c’est la faute du Gouvernement. ».
Tels sont, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les propos qu’a prononcés le Président de la République dans un entretien du 24 septembre dernier, au cours duquel il n’a pas hésité à mettre publiquement en cause les maires sur le délicat sujet de l’augmentation de la taxe foncière dans certaines communes.
Vous en conviendrez, une telle sortie n’est pas de nature à apaiser les relations et à renouer les liens avec les maires.
La controverse porte sur les raisons de cette augmentation de la taxe foncière qui motive la tenue du présent débat.
Deux visions s’affrontent sur le sujet. D’un côté, selon le Président de la République, c’est l’incurie des équipes locales qui explique les hausses parfois importantes de la taxe foncière. De l’autre, aux yeux des élus concernés, les réformes hasardeuses menées par l’exécutif ces dernières années sont une des explications à donner à de telles hausses.
Dans un contexte d’inflation, un tel sujet est nécessairement sensible.
Néanmoins, attention à ne pas se laisser aller à l’emballement médiatique autour d’un sujet que l’on sait épidermique, car, dans les faits, comme l’indique la direction générale des finances publiques (DGFiP) dans une note publiée au début du mois de septembre dernier, près de 85 % des communes ont décidé, en 2023, de ne pas augmenter leur taux de taxe foncière sur les propriétés bâties.
Ces chiffres aussi doivent guider nos débats, quoiqu’ils ne changent pas le fond du problème. Or de quel problème parle-t-on ?
Suppression de la taxe professionnelle, suppression de la taxe d’habitation : en quinze ans, les impôts sur lesquels les élus avaient un pouvoir de taux ont disparu.
« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », déclarait Bossuet. Comment ne pas percevoir dans l’intervention du Président de la République une cécité volontaire quant aux conséquences des réformes fiscales que celui-ci a lui-même imposées aux collectivités locales ?
En supprimant tous les leviers fiscaux à la main des élus, il a fait de la taxe foncière la seule ressource fiscale sur laquelle ils ont encore un pouvoir, faisant d’elle la variable d’ajustement des budgets communaux, qui, je le rappelle, ont une obligation d’équilibre.
Avec la fin de la taxe d’habitation et la suppression des impôts de production, le lien fiscal entre l’habitant et son territoire ne tient quasiment plus qu’à la taxe foncière. Et, derrière, c’est une certaine idée de la décentralisation qui ne tient plus qu’à un fil !
L’augmentation de la taxe foncière me paraît ressembler au chant du cygne de la fiscalité des collectivités locales.
Cette augmentation, parce qu’elle a trait à l’impôt, est une question politique, au sens noble et fort du terme. Il y va de l’organisation de la cité, de son avenir, donc de celui de chaque citoyen.
Cette question pose encore plus crûment la question de l’autonomie fiscale des collectivités locales.
Parce que l’autonomie fiscale locale est au cœur de la décentralisation, il est crucial de considérer qu’elle est essentielle au bien-être des citoyens, c’est-à-dire à la démocratie, au développement économique et à la justice sociale.
Monsieur le ministre, la majorité des dégrèvements, exonérations, voire suppressions d’impôts locaux que vous faites sur le dos des élus traduisent votre inlassable politique de l’offre, qui part du principe dogmatique qu’un allégement de la fiscalité favorise le développement économique.
C’est ce point de vue, parfois radicalement antifiscal, qui a été développé avec force par les courants de pensée libéraux, comme l’école du Public Choice ou l’école libertarienne, dans les années 1970-1980, avec pour objectif une substitution du marché à l’État en « affamant la bête ».
De fait, par vos mesures, vous avez totalement déstabilisé la fiscalité locale à la française, alors qu’il importe de répondre au risque d’éclatement ou d’éparpillement de la fiscalité, ainsi qu’à celui d’une augmentation simultanée de la pression des divers impôts.
Il est par conséquent indispensable que le système fiscal soit globalement cohérent et, pour cela, qu’il soit régulé. C’est là une condition essentielle pour que la diversité et la complexité du système n’évoluent pas vers le désordre, le chaos ou l’implosion.
Pour conclure, je crois qu’il est un peu trop facile, pour le Président de la République, de se dédouaner de toute responsabilité dans l’augmentation de la taxe foncière dans certaines communes.
Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que s’interroger sur les conséquences de vos réformes fiscales, c’est déjà expliquer les hausses de taxe foncière ? (Mme Isabelle Briquet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, comme je l’ai déjà souligné, je constate que l’on mélange parfois un peu l’autonomie fiscale et l’autonomie financière.
Ce qui permet de mettre en œuvre une véritable politique décentralisée, c’est l’autonomie financière. Est-on libre d’utiliser les ressources comme on l’entend quand on est élu local ?
Je crois d’ailleurs que nous aurions tout intérêt à avoir, un jour, un débat sur ces deux concepts, en nous demandant si, au fond, nous avons besoin d’autonomie fiscale ou d’autonomie financière.
M. Jean-Raymond Hugonet. Nous avons besoin de libre administration !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je ne résiste pas à revenir sur la politique de l’offre. Nous l’assumons ! De fait, la politique de baisse d’impôts se traduit par plus de recettes.
Prenez l’impôt sur les sociétés. Alors que l’on a baissé son taux, son produit n’a jamais été aussi élevé : il est passé de 35 milliards d’euros en 2017 à 72 milliards d’euros en 2022.
M. Éric Bocquet. Vous empruntez de plus en plus ! 285 milliards d’euros l’année prochaine !
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je veux remercier le groupe CRCE-Kanaky de l’organisation de ce débat sur l’augmentation de la taxe foncière, qui permet effectivement de clarifier un certain nombre de choses.
Le débat permet tout d’abord de réaffirmer le caractère pour le moins déplacé des critiques qui visent les collectivités, alors que la plupart ne font que subir une situation intenable pour ce qui concerne leurs finances publiques et que, n’étant pas véritablement en mesure de choisir la nature des dépenses qui les affectent, elles doivent adapter les ressources à ces dépenses.
Il permet également d’insister sur la nécessité de sortir d’un certain nombre de postures autour de la question du foncier bâti si l’on veut retrouver un dialogue de confiance entre le Gouvernement et le Parlement et, surtout, entre l’État et les collectivités pour engager une véritable réforme de la fiscalité locale.
Je veux le rappeler, les évolutions qu’elles ont subies depuis quarante ans et qui se sont accélérées depuis 2017 n’ont cessé de réduire l’autonomie des collectivités territoriales. En outre, ces évolutions sont, la plupart du temps, intervenues sans vision d’ensemble et ne répondent jamais à des logiques territoriales. Par ailleurs, elles ont toujours été réalisées sans réformer l’assiette, pourtant obsolète : elle date de 1970.
Cependant, je veux me satisfaire de la décision qui a été prise l’année dernière dans le projet de loi de finances de la sauvegarde de la liberté locale du bloc communal de fixer le taux et d’une revalorisation des bases telle qu’elle avait été instaurée en 2017-2018, laissant la liberté à chacun d’agir en fonction de ses possibilités et de ses obligations. Cette liberté locale, en effet revendiquée, mais trop peu utilisée, me semble absolument essentielle dans l’évolution de nos finances publiques locales et de notre fiscalité locale.
Aujourd’hui, nous disposons de trois blocs de fiscalité locale selon une classification qui porte sur l’assiette.
Le premier bloc concerne les impositions directes fondées sur la valeur locative cadastrale. Elles sont assises sur une assiette foncière et reposent en effet, pour l’essentiel, sur la taxe foncière depuis la suppression de la taxe d’habitation, qui n’est pas sans incidence sur l’ensemble de notre système.
Ces impôts représentent environ 33 % des produits de la fiscalité et se singularisent par une relative stabilité dans le temps, tout en assurant un pouvoir de taux pour les collectivités bénéficiaires, qui, jusqu’à présent et même cette année, l’exercent peu.
Le deuxième bloc concerne les impositions annuelles fondées sur la valorisation ou le patrimoine des entreprises locales. Il est constitué par la contribution économique territoriale (CET), la cotisation foncière des entreprises (CFE), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cette fiscalité économique locale constitue aussi une incitation à faire venir des entreprises sur son territoire, mais elle est en réduction forte, puisque sa part est passée de 26 % des produits de fiscalité en 2008 à 13 % seulement en 2021, avec pour conséquence une perte de décision sur la localisation des activités économiques.
Enfin, le troisième bloc concerne les impositions fondées sur les flux ou les opérations notamment d’aménagement, d’enregistrement ou de vente de produits, les DMTO en étant la principale illustration. Ce bloc se caractérise par un rendement qui est aléatoire en fonction de la conjoncture.
Le premier de ces trois blocs est obsolète. Je crois que tout le monde aujourd’hui en convient et qu’il faudra le réformer.
Le deuxième devient de plus en plus marginal et pose une difficulté majeure pour la réindustrialisation de notre pays, liée au choix de localiser des entreprises.
Le troisième est, lui, fluctuant.
Bref, plutôt que de jeter des anathèmes, je pense qu’il conviendrait que nous travaillions à l’exigence démocratique de consentement à l’impôt, avec une double exigence : un impératif d’efficacité, dans le rendement comme dans le fonctionnement des services publics ; la nécessité d’un lien entre le citoyen et le territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour de nombreux propriétaires, l’avis de taxe foncière a été la mauvaise nouvelle de la rentrée. Les mieux lotis s’en sont tirés avec une augmentation de 7 %. Les propriétaires parisiens ont, quant à eux, vu une augmentation de plus de 50 %.
Ce débat donne l’occasion au Sénat de discuter de cette mauvaise nouvelle pour les propriétaires. Il est en effet important de rappeler que ce sont avant tout les propriétaires qui subissent l’augmentation de la taxe foncière. C’est peut-être simple et factuel, mais il est toujours bon de le souligner.
Le débat subsiste notamment sur un point : y a-t-il des victimes collatérales ? Je le dis d’emblée : oui. C’est simple, la taxe foncière n’échappe pas à la règle générale : une augmentation de taxe fait toujours des victimes collatérales. En l’occurrence, les non-propriétaires seront également pénalisés par cette augmentation.
C’est le cas des locataires, qui risquent de subir une hausse de leur loyer, quand bien même le blocage de l’augmentation des loyers leur permet de ne pas en payer le prix fort.
C’est également le cas des aspirants propriétaires, dont nous avons déjà débattu hier de la situation, pour qui le coût global de la propriété immobilière augmente.
Beaucoup de collectivités font des efforts considérables pour ne pas compenser les hausses de coûts qu’elles subissent par une hausse de la taxe foncière.
Comme le rappelait voilà quelques jours l’Association des maires de France et de présidents d’intercommunalité, 85 % des maires n’ont tout simplement pas augmenté la taxe foncière ; j’en fais partie. Je tiens à saluer cet effort, car le montant des dotations de l’État aux collectivités, lui, n’est pas indexé sur l’inflation.
Notre groupe Les Indépendants – République et Territoires est fondamentalement attaché à la libre administration des collectivités territoriales. Nous croyons en la nécessité de faire confiance aux territoires, donc en l’idée d’une décentralisation qu’il nous faut renforcer.
L’État et les collectivités ont le même objectif, celui du développement équilibré de notre pays. Opposer les strates entre elles serait une approche inefficace, qui ne ferait pas avancer le débat.
Plus généralement, laisser la main aux maires, c’est leur donner la possibilité de faire face à leurs responsabilités.
Mais attention, il ne s’agit pas d’asphyxier fiscalement nos administrés, qui ont déjà du mal à faire face aux charges du quotidien. Rappelons-nous toujours que nous vivons dans l’un des pays les plus fiscalisés au monde. Cela nous oblige dans nos décisions.
Les maires ont parfaitement conscience du poids de la fiscalité en France et de la nécessité de limiter la pression subie par nos concitoyens.
Pour conclure, la position que nous défendons en matière de fiscalité consiste à laisser aux élus locaux la libre administration de leurs communes, en toute responsabilité.
Il s’agit donc de leur permettre de gérer l’imposition à l’échelle de leur commune comme ils l’entendent, en fonction des spécificités de leur territoire et des besoins de leurs habitants, en gardant toujours à l’esprit la volonté de faire mieux avec moins.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier le groupe CRCE-Kanaky d’avoir voulu ce débat sur un sujet important, qui nous ramène à la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales engagée en 2018. Cette dernière avait suscité beaucoup d’inquiétude chez les élus locaux, des élus qui n’avaient pas oublié les nombreuses suppressions et exonérations et les allégements en tout genre décidés par tous les gouvernements confondus, compensés par des dotations votées chaque année en loi de finances, souvent figées, parfois réduites d’une année à l’autre et se traduisant, au fil du temps, par des pertes de recettes réelles pour les collectivités, chiffrées aujourd’hui à plusieurs milliards d’euros.
C’est pour cela que, dès 2017 – je veux le rappeler –, la commission des finances du Sénat s’est emparée du sujet pour proposer un modèle de compensation pérenne et dynamique. Et c’est finalement l’option qui a été retenue : le transfert de la part du foncier bâti des départements aux communes et l’attribution d’une part de TVA aux départements et aux intercommunalités.
Je souhaite revenir sur trois points régulièrement évoqués.
Premièrement, l’État impose-t-il aux communes, comme on l’entend parfois, une hausse du montant de la taxe foncière ? Objectivement, la réponse est non.
Certes, la revalorisation des bases, indexée sur l’inflation, est devenue automatique depuis le vote de la loi de finances pour 2018 – elle est de 7,1 % dans la loi de finances pour 2023 –, mais les conseils municipaux conservent le levier du taux pour ajuster l’évolution de la taxe foncière. Ils peuvent donc réduire la hausse résultant de la revalorisation automatique des bases, la conserver à l’identique ou la majorer.
Au final, ce sont bien les communes – et personne d’autre – qui décident du montant réellement payé par les contribuables. Je voulais rétablir cette vérité…
Deuxièmement, la suppression de la taxe d’habitation a-t-elle fait perdre de l’autonomie fiscale aux collectivités ? Oui pour certaines catégories de collectivités ; non pour les communes, pour lesquelles la recette de taxe foncière se substitue à celle de la taxe d’habitation. Les communes conservent donc la même capacité financière qu’auparavant et la même autonomie fiscale, avec un taux de taxe foncière intégrant celui du département.
En revanche, pour les départements et les intercommunalités, il en va autrement, puisque la perte de recette d’un impôt local a été compensée par une part d’impôt national, la TVA. Donc oui, ces collectivités ont perdu en autonomie fiscale.
Cependant, je ne confonds pas l’autonomie fiscale et l’autonomie financière ! Et, pour ce qui me concerne, autant je suis un défenseur acharné de l’autonomie financière des collectivités et de leur libre administration, autant je considère que l’autonomie fiscale n’est pas une garantie de la justice fiscale, car, en réalité, elle crée des disparités et des inégalités entre les territoires.
Dans un département qui ne connaît ni croissance démographique ni croissance économique, voire qui perd des habitants, à quoi se résume l’autonomie fiscale ? Au droit qu’ont les élus de taxer toujours davantage les ménages présents. Or c’est dans les territoires de ce type que le revenu moyen par habitant est le plus faible, donc qu’il y a moins d’habitants pour payer et plus de taxe pour les ménages les moins fortunés.
Je dis donc oui à l’autonomie financière des collectivités, mais je considère qu’affecter une part d’impôt national dynamique est une mesure péréquatrice.
Enfin, la taxe foncière est-elle une fiscalité locale juste ? À l’évidence non, pas plus que ne l’était la taxe d’habitation, ce qui pose évidemment la question de l’assiette d’imposition du foncier bâti ; c’est un chantier à ouvrir.
Et pourquoi ne pas la fonder sur la valeur vénale, comme c’est le cas actuellement dans un certain nombre de pays ?
Je pense que ce chantier est vaste, mais qu’il faut le mener à terme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC. – M. Didier Rambaud applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je constate que, dès les tout premiers débats d’initiative sénatoriale de la mandature, le Sénat est au cœur de son rôle de chambre des territoires. Nous allons parler d’autonomie fiscale et de dynamique de la taxe foncière.
Je profiterai de ces quelques minutes pour revenir sur ce qui a fait l’actualité et présenter la vision des écologistes sur la fiscalité locale.
En préambule, je veux procéder à un rappel utile pour le Gouvernement. Le niveau de la taxe foncière est déterminé par deux facteurs : les taux, décidés par les conseils municipaux, et les bases fiscales, fixées par la loi et indexées sur l’inflation. Pour cette année, le Parlement a augmenté les bases de 7,1 %.
Oui, factuellement, les communes ont la possibilité de réduire leur taux pour neutraliser la hausse, imposée, des bases fiscales et éviter ainsi un impact sur les finances de leurs administrés.
Mais à quel prix peuvent-elles le faire ? Suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, suppression progressive de la CVAE, baisse récurrente de la dotation globale de fonctionnement, augmentation du point d’indice, inflation et augmentation des matières premières et des fluides… Si l’on veut réellement que les communes assurent correctement leurs compétences et la mise en œuvre de services publics de qualité, il faut leur en donner les moyens.
Or, sur ce volet des moyens donnés aux collectivités, les dernières années peuvent être résumées simplement : l’État décide, les collectivités subissent. Cette situation entraîne bien évidemment un fort mécontentement des collectivités territoriales, exprimé par les élus et les diverses associations, comme nous avons tous pu largement le constater durant la dernière campagne sénatoriale.
Votre boussole, malgré les tempêtes climatique et sociale que nous traversons, reste et demeure la dite « maîtrise des dépenses publiques » et les baisses, voire suppressions, d’impôts et de taxes à tous les étages.
Pour notre part, nous sommes soucieux, car ce discours populiste de tax bashing est politiquement dangereux : il fait peser sur notre pays un climat propice au non-consentement à l’impôt, mais accentue aussi un phénomène déjà à l’œuvre : le creusement des inégalités et l’hyperconcentration des richesses.
Je sais que certains, parmi les rangs de la majorité sénatoriale, ont pu déclarer qu’il n’y avait pas de lien entre impôts locaux et services publics de proximité. Pourtant, sans moyen pour assurer leur financement, les communes ne peuvent pas offrir à leurs administrés les services publics indispensables ; elles ne peuvent pas investir pour amorcer la transition écologique et énergétique au niveau local ; elles ne peuvent pas non plus atténuer les effets de la crise sociale sur les citoyens les plus précaires, dont un nombre toujours plus important se trouvent contraints de faire appel aux banques alimentaires, comme l’actualité récente a pu nous le montrer.
La diminution des ressources dynamiques des communes et l’entrave de la capacité d’action des collectivités vont donc à rebours des enjeux actuels.
Il importe également de repenser l’organisation de la recette fiscale et de s’attacher à faire en sorte que celle-ci ne pèse pas essentiellement sur les ménages. Soulignons ici en effet le transfert trop important du poids de la fiscalité des entreprises vers les ménages, particulièrement vers les classes moyennes, dans un contexte inflationniste qui rend déjà très difficile la vie quotidienne des administrés. Le remplacement de la taxe d’habitation par le versement d’une fraction de la TVA aux collectivités territoriales, qui va par conséquent peser sur des populations qui étaient exonérées de la taxe d’habitation, est un exemple de cette politique que nous ne partageons pas.
Nous la partageons d’autant moins dans un système à deux vitesses.
Aux communes, véritables leviers pour apporter des réponses à l’urgence climatique et sociale, premier lien de la puissance publique, seul échelon à même de répondre concrètement à la défiance, on demande toujours plus de contractions des dépenses et d’efforts de gestion.
Au Président de la République, on permet une explosion des coûts de fonctionnement du « Château », avec une rallonge de 12 millions d’euros cette année, qui correspond à une augmentation de 12 % du budget de l’Élysée. Le Président, chef de la Nation, devrait pourtant être le premier à montrer l’exemple !
Il devrait également s’abstenir, comme un certain nombre des membres de son gouvernement, des attaques tactiques qui visent à mettre en cause les maires et à pointer les communes dans lesquelles la taxe foncière augmente, justement parce que les maires n’ont que ce levier pour mettre en œuvre des services publics de qualité pour leurs administrés dans le contexte inflationniste.
Pour conclure le tout premier propos que j’ai l’honneur de tenir devant cette assemblée, je tiens à rappeler l’importance du lien entre la fiscalité locale et la confiance des citoyens dans la puissance publique. Les contraintes que fait peser l’État sur les collectivités territoriales mettent trop souvent les 520 000 élus de la République dans des situations d’impuissance, qui les affaiblissent dans leur rôle de défenseur des services publics et du cadre de vie.
Comment s’étonner, dès lors, de la défiance accrue de nos citoyens dans la puissance publique ? Redonner aux collectivités leur capacité d’agir revêt un enjeu démocratique : c’est leur permettre de redonner confiance aux citoyens dans l’action publique et dans sa capacité à répondre à leurs aspirations et à affronter les grands enjeux de notre temps. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)