PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour moi un plaisir de vous retrouver afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux sujets qui y seront traités.

Premièrement, la guerre en Ukraine restera bien sûr au cœur de l’agenda.

Deuxièmement, les chefs d’État et de gouvernement échangeront sur la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (IRA), ainsi que sur la définition d’une stratégie européenne de sécurité économique.

Troisièmement, les questions de défense seront abordées au travers de deux axes : d’une part, le renforcement des capacités de production de notre industrie de défense européenne, d’autre part, la préparation du sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) à Vilnius.

Quatrièmement, le Conseil européen devrait revenir sur la question des migrations après le terrible naufrage au large de la Grèce et les récentes avancées enregistrées sur le pacte sur la migration et l’asile.

Cinquièmement, comme à l’habitude, un certain nombre de thématiques internationales seront traitées. Pour être précise, j’indiquerai que trois le seront : notre relation avec la Chine, la préparation du sommet avec la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (Celac) du 17 et du 18 juillet prochain, ainsi que notre relation avec la Turquie.

Comme vous le savez, sur l’ensemble de ces sujets, la situation évolue tous les jours, et les positions que je vous exposerai ce soir sont encore susceptibles d’être ajustées, notamment dans le cadre des concertations conduites entre Européens.

Premièrement, comme je le soulignais, l’Ukraine restera l’une des principales priorités de ce Conseil européen. Il nous faut absolument continuer d’aider ce pays à mener une contre-offensive efficace. C’est indispensable, car se jouera dans les prochaines semaines et dans les prochains mois la possibilité de la paix – une paix choisie, donc durable.

Un nouveau seuil a été franchi avec la destruction partielle du barrage de Kakhovka. Il s’agit bien entendu d’un acte grave, d’un acte inexcusable et odieux, qui aura des conséquences durables sur la vie de milliers d’Ukrainiens déjà meurtris par la guerre et qui ont dû être évacués. De plus, cet acte met en danger l’environnement et l’avenir des récoltes. Il menace aussi de façon irresponsable la sécurité de la centrale nucléaire civile de Zaporijia.

Évidemment, la Russie cherche à semer le doute sur l’origine de ce sabotage, mais nous ne devons pas perdre de vue un fait simple : c’est elle, et elle seule, qui porte la responsabilité de cette situation. C’est elle qui a engagé cette guerre, c’est elle qui bombarde, c’est elle qui tue, c’est elle qui détruit les infrastructures civiles, au service d’un projet aussi impérialiste qu’illégal.

Face à cette situation, les chefs d’État et de gouvernement rappelleront donc leur engagement à soutenir l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire, y compris en assurant un soutien financier de long terme. Ils évoqueront également le soutien à la formule de paix en dix points du président ukrainien. Les dirigeants européens auront aussi un échange sur les garanties de sécurité qui doivent être octroyées à l’Ukraine en vue du sommet de l’Otan de Vilnius du 11 et du 12 juillet prochain.

Comme vous le savez, le Président de la République s’est dit favorable à donner des garanties tangibles et crédibles à l’Ukraine pour au moins deux raisons. La première est que l’Ukraine protège l’Europe : elle représente un gage de sécurité pour cette dernière. La seconde est que ce pays est doté d’un armement si important qu’il est dans notre intérêt qu’elle obtienne à nos côtés des gages crédibles en matière de sécurité, dans un cadre multilatéral.

De plus, les chefs d’État et de gouvernement reviendront sur les actions engagées par l’Union européenne (UE) et par les États membres en matière de lutte contre l’impunité des crimes internationaux commis en Ukraine et en matière de recours aux actifs russes gelés et immobilisés.

Enfin, le Conseil européen réaffirmera la perspective européenne de l’Ukraine et de la Moldavie. Il saluera les progrès réalisés vers l’adhésion à l’UE sur la base de l’évaluation orale que rendra la Commission cette semaine, à l’occasion du conseil Affaires générales informel de Stockholm auquel je participerai demain et après-demain.

Le Président de la République a été très clair à l’occasion de son discours à Bratislava : la question pour nous n’est pas de savoir si nous devons élargir l’UE – nous y avons répondu il y a un an – ni quand nous devons le faire – pour nous, le plus vite possible –, mais bien comment.

Permettez-moi d’en profiter pour saluer le déplacement des sénatrices Marta de Cidrac et Gisèle Jourda, ainsi que du sénateur André Reichardt, en Moldavie. Nous en avions parlé lors de ma dernière audition, me semble-t-il.

La manifestation du soutien de la France à l’intégration européenne exprimée par ce déplacement est essentielle. Nicolae Popescu a d’ailleurs eu l’occasion de répéter la semaine dernière au bureau de la commission des affaires européennes combien le soutien de la France était apprécié à Chisinau.

Deuxièmement, une large partie du Conseil européen sera consacrée aux questions économiques, dans leurs dimensions multiples.

Un point sera fait sur la mise en œuvre des décisions prises par le Conseil européen en février et en mars dernier concernant la réduction des dépendances stratégiques, le renforcement de la politique industrielle européenne et notre réponse à l’Inflation Reduction Act.

Les chefs d’État et de gouvernement débattront surtout de la stratégie de sécurité économique européenne. Lors de son discours à La Haye, à l’institut Nexus, le Président de la République a esquissé les contours de cette nouvelle doctrine, dont l’objectif est d’assurer pleinement notre souveraineté. Elle repose sur cinq piliers complémentaires.

Le premier pilier est la compétitivité. Nous devons continuer d’innover, de réformer et de renforcer nos systèmes éducatifs et de formation. Nous devons aussi approfondir le marché unique pour favoriser l’émergence d’acteurs économiques européens plus forts.

Le deuxième pilier concerne la politique industrielle. Je serai contente d’entendre que la France a joué un rôle clé pour faire progresser la politique industrielle européenne : ce concept n’est désormais plus un tabou. L’Europe doit continuer en ce sens pour asseoir son leadership industriel.

Les trois piliers suivants, allant du plus défensif au plus ouvert, dessinent quant à eux une géométrie de la sécurité économique européenne.

Le troisième pilier est le volet le plus défensif. Il vise la protection des intérêts stratégiques de l’Europe. Il s’agit de protéger nos entreprises contre les actions hostiles et les distorsions de concurrence, de réduire les dépendances stratégiques de l’UE, de protéger notre propriété intellectuelle et de mobiliser nos instruments de défense commerciale.

Le quatrième pilier est la réciprocité. Il s’agit d’intégrer dans chaque négociation commerciale des critères de durabilité sociale et environnementale. La systématisation des mesures miroir est un autre outil essentiel pour que les producteurs européens soient soumis aux mêmes règles de production que les entreprises qui produisent à l’extérieur de l’Union européenne.

Le cinquième et dernier pilier est la coopération. Il s’agit de renforcer le multilatéralisme et de faire en sorte que les politiques européennes de solidarité internationale soient en cohérence avec les intérêts légitimes de l’Union européenne.

Comme vous le savez, une communication relative à ce sujet a été présentée aujourd’hui par la Commission. Elle tend à rejoindre plusieurs de ces priorités : c’est un pas dans la bonne direction. Le Conseil européen donnera des orientations pour sa mise en œuvre, qui devra s’appuyer sur des analyses concrètes de nos dépendances et de nos besoins. Nous veillerons également au respect des compétences nationales pour les aspects les plus sensibles.

Troisièmement, ces enjeux de sécurité économique ont un lien direct avec l’Europe de la défense, qui sera également à l’agenda du Conseil européen.

En effet, si nous voulons continuer à soutenir l’Ukraine dans la durée, il faut passer dès maintenant à une économie de guerre européenne. Il faut donc renforcer les capacités de production de l’industrie de défense de l’Union européenne et mettre en œuvre rapidement les propositions de la Commission dans ce domaine. La France prend toute sa part, puisque nous allons atteindre un total de 413 milliards d’euros de dépenses avec la loi de programmation militaire (LPM) en cours d’examen par le Sénat.

Le Conseil européen devra aussi permettre de dessiner les grandes lignes de l’avenir de la coopération entre l’Union européenne et l’Otan, dans l’esprit de la troisième déclaration conjointe sur la coopération du 10 janvier 2023. Comme vous le savez, cette déclaration souligne l’apport pour la sécurité transatlantique d’une défense européenne renforcée.

Quatrièmement, le Conseil européen sera l’occasion d’un nouveau point sur les questions migratoires.

Après le terrible naufrage qui a eu lieu au large de la Grèce, nous sommes complètement déterminés à poursuivre, avec responsabilité et solidarité, le travail engagé avec nos partenaires européens sur les questions migratoires. Cette tragédie doit nous rappeler l’importance de la coopération entre Européens et avec les pays tiers en matière de sauvetage en mer et de lutte contre les réseaux de passeurs.

En ce qui concerne la réforme de notre système européen d’asile et de migration, nous venons de franchir une étape très importante : le Conseil a trouvé un accord sur les principaux textes du pacte sur la migration et l’asile : ils contiennent chacun une mesure phare de notre futur cadre européen commun en matière de solidarité et de responsabilité.

Je pense que c’est un résultat dont nous pouvons collectivement être fiers. Nous sommes bien plus proches désormais d’une réponse européenne sur cette question, alors que les réponses exclusivement nationales se sont évidemment soldées par des échecs.

Néanmoins, ces succès internes ne doivent pas nous faire oublier le nécessaire travail que nous devons mener sur les aspects externes. Il faut à présent intensifier le renforcement de nos partenariats avec les pays tiers et avec les pays d’origine, afin de traiter les causes profondes des migrations et de prévenir les départs.

Cinquièmement, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen évoquera nos relations avec la Chine, avec l’Amérique latine et avec la Turquie.

En ce qui concerne la Chine, le Conseil européen sera l’occasion d’une discussion stratégique, qui s’inscrira dans la continuité de la discussion entre ministres des affaires étrangères tenue lors du Gymnich du 12 mai dernier.

Il me semble que l’on peut en retenir une certaine convergence de vues entre États membres, au moins sur la pertinence du triptyque européen : « partenaire, concurrent commercial et rival systémique ». L’on peut aussi en retenir le besoin d’actualiser notre stratégie, afin de tenir compte de la montée en puissance de la dimension de rivalité systémique.

En ce qui concerne notre partenariat économique et commercial, nous cherchons non pas un découplage avec la Chine, mais une réduction des risques. Pour cela, nous devons poursuivre la mise en œuvre de l’agenda agréé lors du Conseil européen de Versailles et renforcer les instruments européens de lutte contre les pratiques commerciales déloyales et abusives, comme je l’évoquais tout à l’heure dans le cadre de notre doctrine de sécurité économique.

En parallèle, nous devons bien sûr maintenir le dialogue avec Pékin sur les enjeux globaux. La participation du Premier ministre chinois, Li Qiang, au sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, ces jours-ci, en est d’ailleurs l’illustration.

Enfin, dans le contexte de la guerre en Ukraine, il est crucial d’appeler la Chine à s’engager dans la recherche d’une solution.

Pour ce qui concerne la préparation du prochain sommet avec la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes, nous souhaitons rappeler que les questions des droits de l’Homme, de la démocratie et de l’État de droit restent fondamentales. Ces thématiques sont centrales dans la relation avec de nombreux pays latino-américains, et il conviendra d’aborder ouvertement ces sujets.

La situation à Haïti sera également mise en avant par la France et d’autres partenaires, européens comme latino-américains : nous devons agir collectivement et rapidement pour le rétablissement de la sécurité et d’un cadre démocratique.

Par ailleurs, les perspectives de coopération ouvertes par le Global Gateway devraient constituer des livrables importants du sommet avec un agenda d’investissement dans la région qui est en cours d’élaboration. Je pense que nous ne pourrons pas réduire notre partenariat économique aux accords commerciaux. Cet agenda d’investissements sera donc extrêmement important.

La victoire de Recep Tayyip Erdogan et de son parti aux dernières élections présidentielle et législatives a ouvert une nouvelle phase en Turquie. Je tiens d’ailleurs à saluer le sénateur Leconte pour sa participation à la mission d’observation électorale dans ce pays, au titre de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Maintenant que le scrutin est derrière nous, il sera utile que nous ayons une discussion plus approfondie à vingt-sept.

La Turquie est évidemment un acteur important de notre voisinage : il est par conséquent essentiel de poursuivre le dialogue et de maintenir la coopération avec elle sur les sujets d’intérêt partagé dans le contexte international et régional dégradé que nous connaissons.

Au-delà de ces élections, il faut aussi rappeler que tout réengagement de l’Union européenne à l’égard d’Ankara doit être subordonné à la capacité des autorités turques à remplir les conditions fixées par le Conseil européen en mars et en juin 2021, ainsi qu’à prendre des mesures concrètes sur les questions de politique étrangère les plus urgentes, s’agissant notamment de l’adhésion rapide de la Suède à l’Otan et du contournement des sanctions adoptées en réaction à l’agression russe contre l’Ukraine.

Il est essentiel que nous restions unis et que nous soyons parfaitement clairs quant à nos attentes à l’égard de la Turquie.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà, en quelques mots, les enjeux de ce Conseil européen. Je ne doute pas que vos questions me fourniront l’occasion de revenir plus en détail sur l’un ou l’autre de ces points.

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le projet de loi de programmation militaire pour la période 2024-2030. Cette LPM doit être inscrite dans le cadre global de la réaction déterminée et unie des pays européens face au retour de la guerre sur notre continent.

Dans un contexte inédit de « réveil géopolitique de l’Europe », la programmation des dépenses militaires de la France est un aspect essentiel de notre crédibilité comme acteur stratégique sur le continent. Le projet de LPM que nous avons examiné tend à rappeler que la France constitue « un acteur clé » de la défense de l’Europe et qu’elle doit y assumer des « responsabilités particulières ».

D’un point de vue capacitaire, la constitution d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne réactive, robuste et souveraine est un objectif que nous portons de longue date. Il faut espérer que les menaces grandissantes qui pèsent sur notre sécurité commune provoquent une prise de conscience collective et rapide.

Seule une volonté politique partagée et clairement affirmée nous permettra de mener à bien nos grands projets capacitaires à développer à l’échelle européenne. Je pense en particulier au projet de système de combat aérien du futur (Scaf), que nous élaborons actuellement avec l’Allemagne et l’Espagne. Ces travaux de développement menés en commun pour élaborer les technologies militaires qui équiperont nos armées demain sont essentiels.

De plus, madame la secrétaire d’État, nous devons nous organiser dès à présent pour répondre dans l’urgence au défi humanitaire, diplomatique, opérationnel, mais aussi logistique, que représente notre soutien collectif à l’effort de guerre ukrainien. L’Union européenne et ses membres ont démontré depuis le 24 février 2022 leur capacité à soutenir l’Ukraine dans la durée et sans que l’unité européenne soit remise en cause, ce qui est extrêmement important.

Cette unité fait notre force, et j’insiste sur l’importance de ne pas céder à la tentation d’une division artificielle, dont nos compétiteurs et nos adversaires seraient évidemment les premiers bénéficiaires.

À cet égard, madame la secrétaire d’État, peut-être nous donnerez-vous des détails sur l’acte de soutien à la production de munitions (Asap pour Act in Support of Ammunition Production), présenté le 3 mai dernier par le commissaire français Thierry Breton. Pouvez-vous nous indiquer quelle est la position française sur ce projet, qui vise un financement de 500 millions d’euros d’ici au mois de juin 2025 en faveur de l’accélération de la cadence de production de munitions en Europe ?

Si nous souhaitons aider l’Ukraine, nous ne désirons pas, en revanche, que la Commission européenne centralise les informations des entreprises de la BITD pour les utiliser à sa guise. Nous faisons face ici à des sujets qui touchent au cœur de la souveraineté nationale.

Par ailleurs, le commissaire Thierry Breton a insisté sur sa volonté d’une adoption rapide de ce programme de financement d’urgence. Alors que le Parlement européen a voté en faveur de ce plan le 1er juin dernier, nous vous demandons, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement défende clairement nos positions sur ce point.

Notre commission soutient le renforcement de la défense européenne, mais selon des modalités pragmatiques qui n’empiètent pas sur notre souveraineté dans ce domaine éminemment sensible. En matière de défense, efficacité opérationnelle est synonyme de subsidiarité.

Enfin, j’évoquerai brièvement un sujet qui concerne notre politique de commerce extérieur.

En août 2019, le Président de la République a fait état de son opposition à la ratification du traité de libre-échange entre l’Union européenne et Mercosur au regard du risque de concurrence déloyale qu’il pourrait faire peser sur certains de nos producteurs.

À la fin de l’année 2021, le Président a réaffirmé son opposition au traité dans son état actuel au motif qu’il est incompatible avec notre agenda climatique et de biodiversité. La semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté une résolution invitant le Gouvernement à réitérer son opposition à l’adoption du traité et à son application partielle.

Pourtant, le voyage récent de la présidente Ursula von der Leyen en Amérique du Sud aussi bien que les perspectives dessinées pour la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne au semestre prochain ont renforcé l’attention portée à ce traité et à l’hypothèse de sa ratification par l’Union européenne.

Dans ce contexte, madame la secrétaire d’État, ma question est la suivante : quelle position la France défendra-t-elle au Conseil européen sur ce dossier ? Quelles sont vos priorités pour mettre en œuvre une politique commerciale européenne qui assure la défense de nos producteurs en cohérence avec nos objectifs climatiques ?

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention se concentrera sur deux sujets d’intérêt majeur pour la commission des finances : les perspectives de révision du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 et la réforme de la gouvernance économique européenne.

En ce qui concerne mon premier sujet, la Commission européenne présente aujourd’hui même ses propositions. En effet, cette révision du cadre financier pluriannuel paraît incontournable.

D’une part, la hausse des taux d’intérêt, qui découle de l’inflation, remet en cause les hypothèses de remboursement des intérêts du plan de relance Next Generation EU et risque, par conséquent, d’affecter des programmes budgétaires déjà approuvés.

D’autre part, la guerre en Ukraine a fait émerger de nouvelles dépenses en matière de sécurité alimentaire et énergétique, de prise en charge des réfugiés ou encore de défense.

De plus, une révision ambitieuse du CFP impliquerait de nouveaux besoins de financement. En ce sens, la Commission a annoncé qu’elle joindrait à cette réforme un second panier de nouvelles ressources propres. Parmi ces dernières, la Commission européenne pourrait notamment présenter un nouveau cadre pour la fiscalité des entreprises.

En tout état de cause, les retards pris dans la mise en œuvre des nouvelles ressources propres du premier panier, en particulier le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, m’incitent à rester prudent face à ces annonces.

Dans ce contexte, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous préciser la position du Gouvernement sur une éventuelle révision du cadre financier pluriannuel ? Au sujet de son financement, l’adoption de nouvelles ressources propres à moyen terme vous paraît-elle réaliste ?

En ce qui concerne mon second sujet, la réunion du Conseil européen devrait être l’occasion d’un échange de vues sur la réforme de la gouvernance économique européenne. Elle intervient alors que la Commission européenne a présenté, le 26 avril dernier, ses initiatives de réforme de la gouvernance budgétaire.

Les règles actuelles du pacte de stabilité et de croissance (PSC) connaissent des critiques qui sont anciennes. Elles n’ont pas permis de prévenir des trajectoires fortement divergentes en matière d’endettement public entre les États membres. De plus, elles ont pu constituer un frein à la mise en œuvre de politiques publiques de soutien à la croissance économique et n’ont pas contribué à accentuer l’investissement public.

Les propositions formulées par la Commission européenne viennent achever un débat ouvert par la suspension du pacte de stabilité et de croissance opérée lors de la crise sanitaire.

Sans revenir sur la règle de limitation des déficits et de l’endettement à respectivement 3 % et 60 % du PIB, la Commission européenne propose notamment de maintenir le cadre commun de surveillance en rendant plus automatique la mise en œuvre des sanctions. Elle propose également que les États s’engagent sur des trajectoires pluriannuelles de moyen terme en décrivant leurs cibles budgétaires et les réformes et investissements envisagés. Elle suggère de tenir compte des investissements prévus pour la transition écologique, pour le numérique et pour la défense. Enfin, elle invite à différencier les objectifs prévus pour chacun des États en fonction de la situation de leurs finances publiques.

Certaines de ces propositions me semblent aller dans le sens d’une amélioration souhaitable du cadre existant.

En premier lieu, l’individualisation des trajectoires des États devrait permettre une meilleure appropriation nationale des règles budgétaires.

En second lieu, je ne puis qu’approuver la prise en compte des investissements dans le suivi des trajectoires nationales. Si la Commission européenne n’a pas retenu une différenciation de la dette selon sa nature, sa proposition vise à préserver l’investissement des efforts de redressement des comptes publics à venir et à accroître les dépenses favorables à la transition écologique.

Ces dépenses d’avenir sont indispensables, alors que la réalisation de nos objectifs de transition impliquera un effort d’investissement de deux points de PIB par an en 2030, comme l’ont récemment rappelé dans leur rapport Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz.

Par conséquent, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous éclairer sur le calendrier de mise en œuvre de cette gouvernance budgétaire rénovée ?

Par ailleurs, de quelle manière le Gouvernement souhaite-t-il se saisir de ce cadre favorable à l’investissement pour accélérer nos efforts en matière de transition écologique ?

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons ce soir très en amont de la prochaine réunion du Conseil européen, alors même que son ordre du jour n’est pas encore publié sur la page internet qui est lui consacrée. Cela nourrit nos interrogations sur la méthode suivie dans les travaux de notre assemblée en matière européenne.

Grâce à la secrétaire générale du Conseil, que la commission des affaires européennes a auditionnée récemment, nous avons toutefois pu obtenir quelques indications : le prochain Conseil européen devrait principalement parler d’Ukraine, de défense, d’économie, de relations extérieures et d’enjeux migratoires.

À n’en pas douter, la priorité du Conseil européen sera de faire le point sur la contre-offensive ukrainienne. Ce qui est en jeu, c’est la sécurité du continent. À ce titre, le soutien de l’Union européenne ne saurait faillir. La solidarité non plus, et l’on peut à cet égard s’inquiéter de la divergence franco-allemande qui se creuse ostensiblement en matière de défense, notamment en ce qui concerne le bouclier antiaérien.

Le Conseil européen, en mars dernier, a pointé du doigt l’urgence d’un approvisionnement suffisant de l’Ukraine en munitions à ce stade du conflit. C’est pourquoi la Commission européenne, le mois dernier, a proposé un texte destiné à accélérer la production de munitions dans l’Union, mais aussi à assurer leur disponibilité, en surveillant les stocks et leur localisation.

Autant nous soutenons l’urgence d’une relocalisation de la production de munitions sur le sol européen – nous l’avons déjà appelée de nos vœux en amont du Conseil européen de mars –, autant nous sommes inquiets du caractère très intrusif des pouvoirs que la Commission européenne entend se donner à cet effet, dans un domaine éminemment régalien, sur lequel l’information est très sensible et échappe d’ailleurs largement aux parlementaires que nous sommes.

Madame la secrétaire d’État, à la veille de la réunion du Comité des représentants permanents (Coreper) qui devrait examiner ce texte déjà adopté en urgence au Parlement européen, nous tenons à appeler les autorités françaises à la plus grande vigilance sur ce dossier stratégique.

J’ai proposé au président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon, de formaliser ensemble cet appel par un courrier officiel à la Première ministre, auquel je souhaite associer les rapporteurs de la commission des affaires européennes qui nous ont alertés sur le sujet, nos collègues Gisèle Jourda et Dominique de Legge.

Concernant l’Ukraine, le Conseil européen de la fin juin sera informé du rapport que la Commission publiera demain et qui évaluera les progrès des réformes attendues en matière de justice et de lutte contre la corruption et le blanchiment, en Ukraine comme en Moldavie. À cet égard, l’interdiction du parti de l’oligarque prorusse Ilan Shor, décidée hier par le Conseil constitutionnel de Moldavie, constitue une avancée indéniable.

Toutefois, la route est longue vers l’élargissement, même si l’Ukraine réclame d’ouvrir sans délai les négociations pour son adhésion et que la Géorgie entend bien, avant la fin de l’année, se voir reconnaître à son tour le statut de pays candidat.

Nous ne devons pas oublier que, parmi les critères à considérer avant tout élargissement, l’un concerne l’Union européenne elle-même. Il s’agit de sa capacité d’absorption : dans quelle mesure l’Union européenne est-elle capable de se maintenir comme union de paix si elle intègre des États qui sont en guerre, qui abritent des conflits gelés, comme en Transnistrie, ou qui n’ont pas résolu leurs contentieux de voisinage – je pense au Kosovo et à la Serbie ?

En outre, comment l’Union européenne est-elle capable d’assurer la viabilité de ses politiques – politique agricole commune (PAC) ou politique de cohésion, par exemple –, au vu de l’impact budgétaire de l’entrée de nouveaux membres ?

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si ces questions fondamentales seront abordées au Conseil européen ?

Même si je doute qu’il aille aussi loin, le Conseil européen ne pourra pas, lors de sa prochaine réunion, ignorer les questions immédiates que soulève déjà la révision à mi-parcours des perspectives financières de l’Union, à l’heure où s’imposent tant de priorités – Claude Raynal en a parlé.

Madame la secrétaire d’État, nous sommes particulièrement inquiets pour nos agriculteurs : déjà soumis à des exigences environnementales croissantes, dont l’impact n’est pas sérieusement évalué, ils se trouvent menacés de subir la concurrence déloyale du Mercosur, avec lequel la Commission européenne et la prochaine présidence espagnole du Conseil semblent pressées de conclure un accord.

Doivent-ils aussi craindre que le budget de la politique agricole commune ne fasse les frais des priorités que la Commission européenne a fait valoir aujourd’hui même, à savoir le soutien à l’Ukraine, la riposte aux subventions que les États-Unis et la Chine consacrent à leur économie pour en assurer la compétitivité, ou encore l’appui financier aux pays de départ pour réguler les flux migratoires ?

De fait, la pression migratoire redouble en Méditerranée centrale et trop de bateaux surchargés font naufrage sous nos yeux. Les avancées enregistrées au Conseil sur le pacte sur la migration et l’asile permettent d’espérer en finir avec l’impuissance. Madame la secrétaire d’État, que peut-on attendre du prochain Conseil européen à ce sujet qui figure expressément à son ordre du jour ?

Moins d’un an nous sépare des élections européennes : il n’est plus temps de tergiverser pour donner à l’Union européenne les moyens de ne pas subir l’avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)