Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Benbassa, les chiffres dont nous disposons ne sont pas complètement stabilisés. La mesure du harcèlement varie selon les outils utilisés, mais aussi selon la définition que l’on en donne : puisque les actes doivent être répétés, à partir de combien de situations de violences, physiques ou symboliques, et d’insultes entre-t-on dans cette catégorie ?
Malgré ce flou, peu importe : il faut s’attaquer à la réalité du problème. Déceler les situations de harcèlement le plus rapidement possible est l’un des objectifs évidents de notre mobilisation au travers du programme pHARe.
J’attire votre attention sur l’importance des élèves ambassadeurs, qui sont souvent les plus à même de repérer le changement de comportement d’un de leurs camarades : isolement, rapport à l’alimentaire, au travail et aux autres… Autant de signes qui peuvent laisser penser qu’une situation de harcèlement est en cours. Nous comptons beaucoup sur la mobilisation des élèves eux-mêmes.
Il faut ensuite traiter le problème. Dans un premier temps, quand la réaction a lieu suffisamment tôt, il peut être résolu au sein de l’établissement. Dans un deuxième temps, si la situation de harcèlement perdure, les autorités académiques et départementales de l’éducation nationale interviennent avec des psychologues et d’autres agents relevant du secteur de la santé. Dans un troisième temps, dans des cas extrêmes, une sanction peut intervenir selon les modalités que j’ai précisées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. J’attire également votre attention sur un problème qui a récemment fait l’actualité : la violence sexuelle à l’école entre enfants de 6 ou 7 ans. C’est une autre facette du même problème.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Un an après la promulgation de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, où en sommes-nous ? L’ajout de ce texte dans l’arsenal législatif tendait à garantir aux jeunes une scolarité apaisée. Elle visait, d’une part, à mieux prévenir les actes de harcèlement et à prendre en charge les victimes et, d’autre part, à améliorer le traitement judiciaire.
Prévenir les faits passe par une formation continue sur ces problématiques de toutes les personnes qui entourent les élèves au sein et en dehors des établissements.
Je salue le succès du programme pHARe, rendu obligatoire depuis la rentrée 2022 dans les collèges et les écoles élémentaires. En plus de « former une communauté protectrice » autour des élèves, de « mobiliser les instances de démocratie scolaire […] et le comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement » et de mieux former les élèves à raison de « dix heures d’apprentissages par an », le programme mobilise dix enfants par établissement en leur confiant le rôle d’ambassadeurs. Cela permet de responsabiliser les élèves, notamment dans les établissements classés réseaux d’éducation prioritaire (REP) et REP+, et permet aux victimes de se confier plus facilement.
Je salue aussi la poursuite chaque année depuis 2015 de la journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, se déroulant chaque premier jeudi après les vacances de la Toussaint. Elle permet de sensibiliser les élèves par des expositions et des manifestations.
Je salue également le Safer Internet Day, qui fête sa vingtième édition cette année et qui rassemble, grâce au travail de la Commission européenne et de « Internet sans crainte », plus de 150 pays et de nombreuses associations.
Je salue enfin l’organisation de campagnes vidéo et celle du prix Non au harcèlement dans de nombreux établissements.
S’ajoutent à ces dispositifs les numéros nationaux encore trop peu connus – ce que vous avez souligné, monsieur le ministre – et la plateforme digitale dédiée à la lutte contre le harcèlement, qui a recensé plus de 170 déclarations à ce jour.
Toutefois, force est de constater que la prévention ne suffit pas. Il faut prévoir des solutions pour punir les faits lorsque le harcèlement a été commis et constaté. Le nouveau cadre législatif et réglementaire a introduit un délit ouvrant la voie à des poursuites à l’encontre de tout harceleur. Un quantum de peines nécessaires, proportionnées et adaptées a démontré son efficacité, notamment dans les récentes mises en garde à vue.
Le harcèlement scolaire ne passe plus seulement par la parole ou la maltraitance physique, il sévit dorénavant sur les réseaux sociaux qui poursuivent la victime jusque chez elle. Nos méthodes de sanction doivent donc s’adapter.
La loi a permis une avancée en considérant les réseaux comme des éléments constitutifs de cette nouvelle infraction. Nous devons aller plus loin : il est temps d’intensifier et d’axer notre réflexion sur les méthodes de régulation des réseaux sociaux, en veillant à respecter le secret des correspondances, la liberté d’expression et la sécurité de nos enfants.
Il faut également que les victimes ne subissent pas le préjudice du déplacement scolaire, alors que les harceleurs bénéficient du maintien dans le même établissement. À cet égard, monsieur le ministre, il semblerait que vous nous ayez rassurés ce matin.
Les pouvoirs publics n’ont cessé depuis 2010 de se mobiliser pour lutter contre le harcèlement scolaire. Pour autant, ils ne doivent pas se désengager. Je regrette que les dernières études disponibles datent de 2021 en ce qu’elles ne nous permettent pas d’évaluer les premiers résultats de la loi promulguée l’an dernier. Je regrette également que le Gouvernement, contrairement à ce qui avait été annoncé, n’ait pas remis dans le délai d’un an « un rapport relatif à la couverture des frais de consultation et de soins engagés par les victimes et par les auteurs de faits ». En gardant un œil sur les résultats, poursuivons le travail engagé, notamment dans le secteur du digital. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Fialaire, vous avez raison de préciser que les mobilisations annuelles comptent, que ce soit au travers du Safer Internet Day, le 6 février, ou du prix Non au harcèlement, au mois de novembre. Le retentissement est réel dans les établissements scolaires, comme j’ai pu le mesurer moi-même.
Vous avez également raison au sujet des réseaux sociaux : nous devons les responsabiliser. La plateforme 3018 peut demander aux principaux acteurs de bloquer des comptes relayant des propos injurieux ou des photographies qui n’ont pas à circuler. Néanmoins, nous attendons de ces réseaux qu’ils soient plus proactifs et mobilisés.
En ce qui concerne les élèves harceleurs, j’ai annoncé une modification réglementaire du code de l’éducation afin de transférer les harceleurs plutôt que les harcelés : la situation actuelle est anormale.
Nous insistons aussi sur le fait que cette décision, qui peut être prise en dépit de l’avis des représentants légaux, est une solution de dernier recours. En réalité, il s’agit moins d’une sanction que d’une mise en sécurité des élèves harcelés dans une situation où, à l’évidence, les procédures de conciliation ne fonctionnent plus.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le ministre, vous attendez des réseaux sociaux qu’ils se régulent. Personnellement, je pense qu’il ne faut pas attendre passivement de leur part toutes les solutions face aux risques de harcèlement. Au contraire, il nous faut être un peu plus proactifs. On attend justement de l’État d’assurer cette sécurité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie Mercier. Que se passe-t-il donc dans nos cours d’école quand les élèves ne jouent pas à leurs activités préférées ? Si l’on parle d’enfer des récréations, c’est qu’on trouve parfois dans ce petit monde secret et clos du racket, des conflits, de l’intimidation et aussi du harcèlement.
Le harcèlement à l’école touche 1 million d’élèves, soit 1 million de familles. Pour combien de larmes ? Si la victime vit un calvaire, son agresseur est aussi en souffrance. Tout le monde est perdant : enfants, parents, familles, enseignants et chefs d’établissement.
Le harcèlement est toujours une affaire complexe. Cette violence répétitive est fondée sur des rapports de domination et de discrimination d’âge, de sexe et de religion qui entraînent une dégradation des conditions de vie de la victime, qui se sent de plus en plus isolée, détruite et abandonnée. Les répercussions sont graves, tant elles portent atteinte à l’intégrité de ces enfants. Elles peuvent parfois conduire au pire. Il est urgent que les drames subis par les harcelés soient rapidement et sérieusement pris en considération sous tous leurs aspects.
En la matière, la prise en charge préventive est bien entendu la meilleure des choses : le harcèlement ne doit pas commencer ; à défaut, il doit être repéré et géré au plus tôt. Tel est l’objectif du programme pHARe.
Quand il est trop tard, que le harcèlement est installé, le monde adulte doit prendre toutes ses responsabilités pleines et entières : la victime doit être protégée et avoir foi en notre justice. De son côté, le harceleur doit comprendre que ses actes sont répréhensibles et être lui-même accompagné dans sa souffrance. Sinon, quels citoyens seront-ils demain ?
J’ai déposé le 21 février dernier une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime. Son objet est d’affirmer un principe simple : ce n’est pas à la victime de fuir et de quitter son établissement et son environnement pour échapper à son harceleur, ce n’est pas non plus à sa famille de s’adapter à ce changement, mais au petit harceleur. Les maires m’indiquent signer les dérogations avec la boule au ventre quand de gentils gamins sont obligés de partir. J’ai voulu donner aux établissements scolaires une référence sur laquelle s’appuyer pour agir. Je remercie les 215 sénateurs qui ont bien voulu cosigner mon texte et ceux qui le partagent puisqu’ils l’ont repris.
Il existe bien sûr une procédure disciplinaire applicable aux élèves et qui relève du pouvoir réglementaire des établissements au travers de leur règlement intérieur. Actuellement, rien n’empêche un conseil de discipline d’exclure un élève auteur de faits de harcèlement. Force est de constater que, la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Ma proposition vise donc à affirmer une position de principe : guider et soutenir les établissements dans leur prise de décision, dans la mesure où de trop nombreux témoignages montrent que les jeunes victimes subissent cette double peine.
Monsieur le ministre, je me réjouis que vous vous soyez emparé de cette idée. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? Pour lutter efficacement contre le harcèlement scolaire, il demeure nécessaire d’agir en amont en le reconnaissant, en le nommant et en évaluant l’efficacité des dispositifs mis en place. Aucun élève ne devrait avoir à quitter une école. Protéger les enfants est notre devoir, comme celui de leur transmettre des connaissances dans un milieu apaisé, qui leur laisse leur insouciance et leurs rêves. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Mercier, je vous remercie très vivement pour votre mobilisation sur cette question et pour votre proposition de loi, que 215 de vos collègues, issus de différents groupes politiques, ont signée.
En matière d’enseignement primaire, comme vous le savez, il n’y a pas de procédure disciplinaire, d’où l’impasse que nous avons connue récemment dans le cas du jeune Maël : le transfert ou le déplacement de l’élève harceleur a été soumis à l’accord des représentants légaux. Avec ma proposition de modification du code de l’éducation, il sera possible de passer outre l’avis des parents, avec l’accord du maire concerné.
Cette avancée me semble tout à fait importante. On inverse en quelque sorte la situation, puisque c’est le harceleur qui part et non le harcelé. Il faut admettre que ce n’est que justice. Quand il sera trop tard, comme vous l’avez souligné, pour empêcher le harcèlement, on pourra encore agir et déplacer l’élève harceleur. C’est une solution de dernier recours, mais qu’il faut prévoir, dans le premier comme dans le second degré.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.
Mme Marie Mercier. Monsieur le ministre, votre proposition reprend en tout point ce que je suggérais d’inscrire dans le code de l’éducation.
Par ailleurs, je voudrais vous prévenir : il m’a été assuré au cours de mes nombreuses auditions, à l’intérieur même de l’éducation nationale, que si les choses devenaient trop compliquées le terme « harcèlement » ne serait plus utilisé et serait remplacé par un autre. Ce ne serait pas digne de l’éducation nationale !
M. Max Brisson. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel.
M. Yan Chantrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous et toutes été profondément touchés par le suicide du jeune Lucas, qui subissait quotidiennement harcèlement et moqueries sur son orientation sexuelle. Depuis ce drame, quelles mesures avez-vous prises pour mettre fin aux brimades quotidiennes subies par une partie de nos enfants ?
Votre volonté d’éradiquer le fléau du harcèlement scolaire se vérifiera par vos actions sur deux leviers essentiels : renforcement des moyens humains à l’école et changement de la culture scolaire qui prévaut dans notre pays.
Chacun le sait, la meilleure façon de lutter contre le harcèlement scolaire est de renforcer les effectifs d’encadrement des élèves. Toutes les recherches démontrent que plus on réduit le nombre d’élèves dans les établissements et dans les classes, plus le harcèlement diminue.
Or la France a les classes les plus chargées de l’Union européenne. Au collège, l’effectif moyen approche vingt-six élèves, soit très au-dessus de la moyenne européenne située sous la barre des vingt et un. Plus d’une classe sur dix dépasse désormais les trente élèves, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.
Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron n’a fait qu’aggraver cette situation dramatique. Depuis 2018, le second degré a perdu 9 322 enseignants ; la saignée continue, puisque votre ministère annonce de nouvelles suppressions de postes pour la rentrée 2023.
À ce terrible bilan s’ajoute l’abandon de la médecine scolaire, évoqué par mes collègues. La France compte à l’heure actuelle un psychologue de l’éducation nationale pour 1 500 élèves et un médecin scolaire pour 16 686 élèves, très loin de la préconisation de votre ministère d’un médecin pour 5 000 enfants. Comment prétendre lutter contre le harcèlement scolaire quand on réduit à ce point les moyens de l’école ?
Par ailleurs, la manière dont on conçoit et organise l’école peut favoriser le harcèlement ou permettre de s’y opposer. On a trop tendance à prendre le problème sous l’angle de la discipline avec une approche purement punitive et à déléguer la lutte contre le harcèlement aux conseillers principaux d’éducation (CPE) plutôt que de développer une approche collective.
C’est en amont, dans notre culture et organisation scolaires, qu’il faut aller chercher les ressources pour lutter contre le harcèlement. Face à une école de la concurrence entre individus, une école du classement et de la distinction, qui crée des rivalités, défendons, contre la pression des notes et le stress des examens, un modèle qui promeut des valeurs de solidarité, de coopération, de bienveillance, de tolérance et d’inclusion.
Défendons aussi un modèle où la santé mentale n’est plus un tabou, un modèle scolaire qui place la mixité en son cœur pour développer une approche positive de l’autre, où l’altérité et la différence ne constituent pas un danger, mais une chance.
Pour aller dans ce sens, vous nous aviez justement promis, dans cet hémicycle même, monsieur le ministre, des annonces sur la mixité scolaire pour le 20 mars dernier. Nous les attendons toujours : où en est-on ? (Mme Esther Benbassa applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Chantrel, depuis la mort du jeune Lucas, nous avons intensifié les programmes de lutte contre la haine anti-LGBT. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner, nous préparons activement la journée du 17 mai et nous avons généralisé les observatoires académiques des LGBTphobies, qui sont de bons points d’appui pour sensibiliser aux haines anti-LGBT dont les effets sont catastrophiques dans nos écoles.
Je suis obligé de mettre un bémol à votre propos sur le personnel : il n’y a pas de lien évident entre les situations de harcèlement et les effectifs. Dans le cas du jeune Maël, la classe qui est la sienne n’a que dix élèves. Il ne s’agit donc pas d’une situation de surcharge.
En ce qui concerne la médecine scolaire, je partage bien entendu votre constat. Néanmoins, comme j’ai eu l’occasion de le préciser, les postes ne sont pas tous pourvus. J’ai en mémoire la situation du département des Vosges : sur dix postes de médecin scolaire, huit sont vacants. En ouvrir cinq ou six ne changerait donc rien à la situation.
Le problème de fond est que les étudiants en médecine ne choisissent pas la médecine scolaire, non plus d’ailleurs que la médecine du travail. L’enjeu est celui d’une réflexion de fond sur l’organisation de cette médecine et sur ses liens avec la médecine de ville.
Je souscris à l’approche collective que vous soulignez : il faut former non pas la seule vie scolaire, mais aussi tous les adultes, y compris les professeurs, qui interviennent auprès des élèves, afin de faire fonctionner le dispositif pHARe.
Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, comme cela a été évoqué, près d’un enfant sur dix serait victime de harcèlement dans son établissement scolaire. Ces dernières années, le harcèlement en ligne est venu amplifier le phénomène. En 2021, ce sont vingt enfants et adolescents qui ont perdu la vie à cause de ce fléau.
On considère qu’il y a harcèlement scolaire quand un jeune est victime d’une agression répétée, délibérée et souvent effectuée en meute. C’est également un rapport de force et de domination entre un ou plusieurs élèves et une ou plusieurs victimes. Le caractère répétitif des agressions crée souvent un sentiment d’isolement et d’abandon des harcelés, qui deviennent incapables de trouver des réponses pour s’en sortir.
Le harcèlement pénalise durablement le parcours scolaire de la jeune victime et peut entraîner des conséquences psychologiques très lourdes, du décrochage scolaire à des conduites autodestructrices, voire suicidaires, allant jusqu’au drame.
Dans un monde où internet accapare nos vies et plus encore celles de nos adolescents, le harcèlement en ligne, ou cyberharcèlement, sur les réseaux sociaux, dans des forums, dans des jeux vidéo multiformes ou sur un blog est devenu le véritable danger.
C’est ce type de harcèlement qui est le plus destructeur pour les victimes : via les réseaux sociaux, les agressions ou brimades peuvent frapper leur victime à tout moment de la journée et de la nuit, quel que soit l’endroit où elle se trouve. De plus, le harceleur peut se servir d’un pseudonyme et ne pas dévoiler son identité.
Dès lors, quelles mesures envisager pour lutter efficacement contre le cyberharcèlement et ainsi casser cette spirale de violence ?
Le comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement (CESCE) a commencé à sensibiliser les chefs d’établissement à ces problèmes de harcèlement. Toutefois, il montre ses limites : beaucoup de dispositifs sont listés, mais les moyens humains et financiers manquent pour les appliquer.
Depuis la rentrée 2022, vous avez arrêté, monsieur le ministre, un plan de prévention du harcèlement entre élèves avec le programme pHARe, devenu obligatoire dans les établissements. Celui-ci combine plusieurs actions et dispositifs incluant un large éventail d’outils variés et concrets se basant sur huit piliers, dont « prévenir les problèmes de harcèlement », « former une communauté protectrice de professionnels » et « intervenir efficacement sur les situations de harcèlement ». Pour la réussite de ce dispositif, il faut impliquer élèves et personnel, « associer les parents et les partenaires » associatifs, « mettre à disposition une plateforme [numérique] dédiée » et créer une équipe de cinq agents formés ainsi qu’une équipe « d’élèves ambassadeurs ». Au niveau académique, deux « superviseurs » sont des « personnels ressources » pour les établissements.
À l’échelle nationale, deux lignes téléphoniques que vous mentionniez, le 3020 et le 3018, proposent un soutien aux victimes de harcèlement.
Les responsables des établissements scolaires doivent donc être vigilants à détecter tout harcèlement, mais il est également indispensable que les harceleurs prennent conscience de leurs actes et des conséquences judiciaires et financières qu’ils encourent, eux ou leurs parents en cas de minorité.
Cette année, notre collègue Marie Mercier a déposé une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime : c’est une très bonne chose. J’évoquerai plusieurs pistes de réflexion et d’action qui pourraient être mises en place.
D’abord, le programme pHARe doit être renforcé grâce à la formation continue des cinq agents par établissement pour le secondaire ou par circonscription pour le primaire.
Ensuite, les plateformes doivent être obligées de contrôler et de supprimer les contenus délictueux, qu’ils soient d’ordre sexuel ou de harcèlement.
De plus, l’exclusion du harceleur de l’établissement doit être automatique lorsque la situation de harcèlement est avérée.
En outre, il faut développer la médecine scolaire en formant des professionnels à détecter le mal-être d’une victime de harcèlement, même si je sais qu’il est difficile de trouver des médecins pour exercer dans la prévention scolaire.
Enfin, la prévention par l’information est également primordiale : dénoncer un comportement délictueux de harcèlement doit être un devoir pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Gosselin, je partage votre propos relatif aux différentes déclinaisons de la mobilisation que nous menons. Comme je l’ai indiqué, le processus est en cours : rien n’est complètement réalisé, même si nous progressons.
En matière de cyberharcèlement, grâce au 3018, les plateformes sollicitées réagissent rapidement : nous réussissons à bloquer des photographies ou des propos en quelques heures de manière à protéger les élèves concernés. Lors d’une visite auprès des agents de ce centre d’appels, j’ai pu écouter leurs conversations avec des collégiens ou des familles en panique du fait, par exemple, de la circulation de photos… Parmi les personnes qui répondent, il y a des techniciens, des psychologues… Les élèves sont pris en charge. Je salue le travail réalisé en la matière.
Quelque 60 % des écoles et 86 % des collèges sont engagés dans le programme pHARe. Nous n’avons pas atteint les 100 %, mais le taux progresse. Ce programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée prochaine, mais il faut savoir que les situations de harcèlement y sont moins fréquentes. Même si les cas les plus nombreux relèvent du cycle 3 et du collège, il n’y a aucune raison de ne pas se mobiliser aussi pour le lycée.
En résumé, l’éducation nationale se met en marche et se mobilise. Parfois comparée à une grosse bête de l’ère glaciaire, elle montre qu’elle sait bouger sur des questions aussi importantes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.
Mme Béatrice Gosselin. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour toutes ces informations. Il est vrai que l’éducation nationale bouge ; elle doit bouger encore, parce qu’aucun enfant ne doit souffrir de harcèlement.
Sur l’ensemble des réseaux et des médias, nous devons continuer de diffuser des messages pour expliquer ce qu’est cette violence, car certains jeunes enfants – cela est moins vrai en grandissant – ne savent pas que leurs gestes ou leurs paroles peuvent en relever. L’information doit passer. Les parents, les enseignants et les autres adultes concernés doivent se battre pour qu’il n’y ait plus jamais d’enfants harcelés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rapport d’information sénatorial sur le harcèlement et le cyberharcèlement de 2021 l’avait démontré, ce phénomène violent n’a été appréhendé et reconnu que tardivement en France, alors même que des travaux de chercheurs avaient commencé dès les années 1970.
Pour autant, avec le développement du numérique et l’explosion de l’usage des réseaux sociaux, les formes du harcèlement ont évolué. Alors cantonné à l’enceinte de l’école, le harcèlement scolaire se prolonge désormais sur les plateformes numériques, l’amplifiant dramatiquement, le rendant plus sauvage et potentiellement dangereux.
D’ailleurs, dès 2009, Michel Walrave dans son ouvrage Cyberharcèlement : risque du virtuel, impact dans le réel soulignait le rôle joué par l’anonymisation. Selon lui, le cyberharcèlement, par ses caractéristiques et son objet, peut avoir des effets particulièrement dangereux et durables.
Ainsi, la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a été une première étape. Elle a notamment assigné aux fournisseurs d’accès à internet la lutte contre le harcèlement scolaire comme objectif et a établi une obligation de modération des contenus de même nature sur les réseaux sociaux.
Néanmoins, il apparaît souhaitable et pertinent d’aller plus loin dans cette régulation par les plateformes, même si ces dernières ne sont pas responsables des faits de harcèlement, mais constituent plutôt des vecteurs par lesquels celui-ci se matérialise.
Sur ce point, le rapport susmentionné comporte une série de préconisations, tout en rappelant la difficulté du cadre juridique national et européen.
Parmi les propositions figurait en particulier l’obligation faite aux réseaux sociaux de présenter de manière explicite, et compréhensible par de jeunes utilisateurs, des extraits des principales conditions d’utilisation, singulièrement celles relatives au cyberharcèlement. Figurait également l’obligation pour les réseaux sociaux de présenter périodiquement à leurs utilisateurs une courte vidéo de sensibilisation sur les bons usages du numérique, sur la prévention du cyberharcèlement et sur les moyens dont disposent les victimes pour réagir.
Sur cette seconde recommandation, un consensus semble émerger à la suite de l’adoption du Digital Service Act au niveau européen, lequel renforce la responsabilité des plateformes. D’ailleurs, ma collègue Sabine Van Heghe a déposé une proposition de loi en ce sens. Celle-ci étofferait utilement notre arsenal législatif et compléterait habilement la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, qui sera prochainement débattue dans notre hémicycle.
Monsieur le ministre, vous qui êtes sensible à la gravité de cette problématique et engagé contre le cyberharcèlement, y seriez-vous favorable ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)