M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à perfectionner les leviers d’action des collectivités territoriales en matière de lutte contre la désertification médicale.

Pour ce faire, elle tend à ouvrir aux maisons de santé et aux cabinets libéraux en zone sous-dense le bénéfice de la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux.

Tout d’abord, je tiens à remercier l’auteur de ce texte, notre collègue Dany Wattebled, pour son implication dans ce dossier, ainsi que notre collègue rapporteur, Daniel Chasseing, pour sa persévérance.

L’adoption de l’amendement du rapporteur en commission a permis de clarifier le dispositif, en précisant les publics concernés et en conditionnant la mesure à la participation à la mission de service public de permanence des soins ambulatoires.

Il a également contribué à limiter la durée de recours au dispositif à trois mois, durée renouvelable deux fois. Ainsi, les fonctionnaires mis à disposition ne sauraient se substituer durablement au personnel des cabinets libéraux et des maisons de santé.

Afin de pallier tout risque de détournement, le dispositif est conditionné à une installation récente, s’agissant des médecins exerçant en cabinet libéral. Cette disposition contribue à accompagner les médecins à leur arrivée sur un nouveau territoire et à les soutenir, en leur faisant bénéficier d’une forme d’avance de trésorerie au cours de leurs premiers mois d’exercice.

Cela ne vaudrait que pour les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins, telles qu’elles sont définies par le code de la santé publique.

Il s’agit d’un appui temporaire et facultatif, avant que la maison de santé ou le cabinet n’ait pu recruter son propre personnel ou bénéficier des différentes aides proposées par la Cnam ou les ARS, à commencer par le dispositif des assistants médicaux.

Certes, la mise à disposition de fonctionnaires donne lieu à un remboursement des traitements versés à la collectivité d’origine, mais les conditions de ce remboursement, notamment dans le temps, sont définies par une convention avec l’administration d’origine.

Certains s’interrogent sur la formation et le rôle des fonctionnaires mis à disposition dans ces structures, par exemple les agents de mairie officiant comme secrétaires médicaux. Il me semble qu’aucune formation spécifique n’est nécessaire pour accueillir la patientèle, répondre au téléphone ou classer des dossiers.

Dans leur grande majorité, nos fonctionnaires exercent déjà ces activités. Peut-être pourrait-on simplement convenir de la nécessité du respect du secret médical, ce qui suscite des interrogations et devrait donner lieu à des ajustements ad hoc.

Mes chers collègues, un rapport d’information fait par la délégation aux collectivités territoriales il y a un an a alerté le Gouvernement sur les inégalités d’accès aux soins dans nos territoires. Ces derniers temps, plusieurs initiatives parlementaires ont été examinées par notre assemblée, afin de pallier le manque criant de médecins. Mais cela ne suffit pas !

J’ai la douloureuse impression que nous essayons de panser une plaie ouverte, mal soignée, avec des pansements de premiers secours qui risquent de se décoller…

Force est de constater que nous en demandons de plus en plus aux communes. Certaines collectivités, démunies face au départ de médecins, en viennent à payer la voiture de fonction, le logement et les locaux des praticiens qu’elles souhaitent attirer sur leur territoire.

Cette situation engendre une concurrence déloyale, car toutes les communes n’ont pas les moyens financiers et humains suffisants pour actionner ces leviers. Comment s’assurer que le dispositif n’aggravera pas une compétition déjà bien ancrée dans le paysage médical ? Ce risque existe et pourrait creuser les inégalités territoriales.

Cela étant, compte tenu de l’urgence de la situation, chaque collectivité tente, à sa façon, d’apporter des solutions, qui ne sont pas toujours parfaites. Nombreux sont les élus locaux qui, de manière volontariste, mettent en œuvre des dispositifs innovants et pragmatiques. Cependant, leur cadre juridique d’intervention reste limité.

Même si, je dois l’avouer, j’ai eu quelques doutes – j’aurais certainement voté contre ce texte s’il n’avait pas été modifié par la commission des affaires sociales –, je me prononcerai, comme l’ensemble des membres du groupe Union Centriste, et pour toutes les raisons que je viens d’exposer, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. Daniel Chasseing, rapporteur. Merci !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

Mme le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi relative aux outils de lutte contre la désertification médicale des collectivités.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons déjà eu de nombreuses occasions de débattre et de légiférer sur notre système de santé ces dernières années.

Et pour cause, nous héritons aujourd’hui d’un système de soins dégradé après quarante années de politiques publiques, qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux et qui n’ont pas permis d’anticiper les transformations de notre société.

La baisse du nombre de médecins engendrée par un numerus clausus beaucoup trop restreint, à des fins de régulation des dépenses de santé, a conduit à la pénurie actuelle.

Dans le même temps, le vieillissement de la population, ainsi que l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques ont aggravé la situation. Aujourd’hui, 72 % de la population vit dans une zone où l’offre de soins est insuffisante, soit 48 millions de Français.

Malgré le numerus apertus, les difficultés perdureront plusieurs années, en raison notamment du nombre élevé de médecins qui partiront à la retraite sans être remplacés. La nouvelle génération souhaite mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle, ce qui est légitime. Il faut désormais deux, voire trois médecins généralistes pour remplacer celui qui s’en va.

Cette réalité a naturellement suscité de nombreuses initiatives parlementaires. En règle générale, je suis sceptique sur l’empilement des textes visant à lutter contre la désertification médicale. Je suis surtout convaincue que les tentatives, nombreuses et répétées, de renforcer les obligations des professionnels ne réconcilieront pas les jeunes avec l’exercice de ce métier, devenu peu attrayant, même si dans le contexte actuel, la tentation est grande.

Cela étant, la présente proposition de loi vise à créer un nouvel outil, qui ne s’inscrit pas dans la logique de coercition et la logique financière habituelles, tout en permettant de dégager du temps médical. Elle autorise la mise à disposition de fonctionnaires dans les cabinets médicaux et les maisons de santé en zone sous-dense.

Les agents des trois fonctions publiques, si l’amendement du Gouvernement était adopté, pourraient ainsi réaliser des tâches de secrétariat, gérer l’accueil des patients et effectuer une partie du travail administratif.

Pour un jeune qui s’installe, le fait d’avoir à ses côtés, dès le départ, une personne de confiance qui connaît le territoire pourrait avoir un caractère incitatif et l’aider à s’installer rapidement.

La rémunération sera versée par l’administration d’origine, puis remboursée par le médecin : il s’agira donc d’une opération neutre pour les finances de la collectivité, en plus d’être facultative et temporaire. Le contrat pourrait également prévoir que le remboursement du salaire soit décalé dans le temps.

La commission a souhaité fixer certaines limites, bienvenues, à ce nouvel outil, en créant un dispositif d’amorçage d’une durée maximale de neuf mois, uniquement dans les cabinets libéraux récemment installés, le tout dans le cadre d’une participation du médecin à la permanence des soins ambulatoires.

Ces précisions et contreparties devraient rassurer ceux qui craignent de voir les agents publics se substituer durablement aux personnels que le médecin pourrait recruter.

La question de la désertification médicale inquiète les élus locaux. De nombreuses initiatives ont déjà été mises en œuvre par les élus pour améliorer l’accès aux soins. Notons que les collectivités locales sont à l’origine de la création de 23 % des centres de santé à activité médicale.

Les auteurs de ce texte veulent donner des moyens nouveaux et supplémentaires aux élus pour agir en matière de santé, en s’attaquant de manière pragmatique à la question de la charge administrative, qui est un réel problème.

La mesure proposée permettra de compléter les dispositifs existants mis en place par la Cnam et les ARS. Elle contribuera également à soutenir les efforts déjà déployés par les élus locaux, qui ne ménagent ni leur temps ni leur énergie pour offrir un cadre de vie agréable aux médecins.

On le sait, seule une politique globale visant à rendre les territoires plus attractifs, en jouant sur l’emploi, le logement, les transports, sera en mesure de garantir une meilleure répartition de l’offre de soins, même si nous savons tous que le nerf de la guerre reste le nombre de médecins formés.

La proposition de loi apportera une réponse à certaines collectivités territoriales qui, aujourd’hui, peuvent aider leurs médecins salariés – c’est le cas dans certaines maisons de santé –, mais qui ne peuvent pas, même de manière temporaire, le faire pour les médecins libéraux, y compris quand les deux statuts coexistent au sein d’une même structure – l’un de mes collègues sénateurs m’a récemment fait part d’un exemple de cet ordre.

J’ai conscience qu’il existe des points de vigilance dans ce contexte de pénurie de médecins, notamment le fait que ce nouveau dispositif pourrait créer une concurrence entre territoires et un effet d’aubaine.

Toutefois, attaché à la décentralisation, convaincu que les leviers d’action doivent être actionnés à l’échelon des territoires, le groupe du RDSE soutiendra cette proposition de loi.

Mme Véronique Guillotin. Certes, comme certains d’entre vous l’ont dit, elle ne résoudra pas à elle seule le problème de la désertification médicale, mais elle offre un outil supplémentaire, facultatif, transitoire, qui ne comporte aucun risque et ne fait aucun perdant. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

Mme le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Corinne Imbert. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, la problématique de la désertification médicale est l’une de celles qui reviennent le plus souvent ces derniers mois au centre des débats de la Haute Assemblée.

En plus d’être une préoccupation majeure de nos concitoyens, elle est celle des sénatrices et des sénateurs que nous sommes, l’ensemble des territoires ruraux, périurbains et urbains, étant confrontés aujourd’hui à une démographie médicale en baisse et, donc, à un temps médical devenu très précieux.

Face à ce constat alarmant, les élus locaux, de très bonne volonté, se retrouvent bien souvent désemparés. Pourtant, ils continuent d’être force de proposition, afin de créer les conditions nécessaires et favorables à l’installation dans leurs territoires de professionnels de santé et, plus particulièrement, de médecins généralistes.

Ce texte s’ajoute à la panoplie des propositions faites au sein de cette assemblée en matière de lutte contre la désertification médicale. Il prévoit d’étendre le dispositif de mise à disposition des fonctionnaires territoriaux aux cabinets médicaux et aux maisons de santé. Cela permettrait aux médecins souhaitant s’installer dans une zone sous-dotée de ne pas avoir à s’occuper temporairement du recrutement et de la rémunération du personnel administratif.

Si nous comprenons l’objectif visé par les auteurs de cette proposition de loi, qui a pour objet de répondre à certaines situations, sa mise en œuvre nous laisse songeurs.

Même si le texte a été amendé en commission, reconnaissons que l’installation d’un médecin, généraliste par exemple, ne s’improvise jamais et qu’elle se programme au contraire plusieurs mois à l’avance.

Le recrutement du personnel administratif pourrait donc parfaitement faire l’objet de la réflexion à mener par le praticien dans ce laps de temps, surtout si un accompagnement de la collectivité est prévu, notamment sous la forme de la recommandation de candidats susceptibles d’être recrutés, sans que ceux-ci soient des agents de la collectivité en question.

Nous avons bien sûr entendu l’exemple cité par notre collègue Véronique Guillotin de médecins exerçant sous des statuts différents – médecins libéraux ou salariés – au sein d’un même organisme, mais, au regard du temps dont un médecin a besoin pour planifier son installation, il me semble que cette proposition de loi n’est pas forcément pertinente.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains, bien que sensible à l’objectif visé, votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, 49 millions d’habitants vivent dans un désert médical, soit 72 % de la population française.

Certes, notre population est vieillissante, mais nous avons formé moins de soignants. Des experts ont pensé faire des économies sur le système de santé, tout en gagnant en innovation et en efficacité.

Au contraire, la gouvernance s’en est trouvée alourdie et a contribué à rigidifier beaucoup de procédures. Le cloisonnement entre l’exercice en libéral et à l’hôpital s’est par ailleurs renforcé.

Les conséquences de cette politique sont bien connues : allongement des délais pour obtenir un rendez-vous, au risque d’une dégradation de l’état de santé du patient, déport des consultations vers les urgences médicales, difficultés, pour le moins, de trouver un médecin traitant et, donc, rupture du parcours et de la permanence des soins, pourtant garantis par la loi…

Si nous partageons ce constat, nous partageons également la responsabilité de résoudre ce problème.

Certaines réponses ont été apportées. Je pense notamment à la création d’une quatrième année d’internat de médecine générale, consacrée à des stages en cabinet médical, en priorité dans les zones médicalement tendues. Cette proposition, formulée initialement par le président Retailleau est de bon aloi et attendue. Toutefois, il nous faut encore en attendre les premiers effets.

Mes chers collègues, cette situation nous oblige à accueillir toute initiative avec responsabilité. Il n’est pas question de se priver d’outils qui se révéleront utiles.

La proposition de loi examinée aujourd’hui est l’un de ces outils. Déposée par notre collègue Dany Wattebled, elle comporte un article unique qui prévoit la mise à disposition d’agents auprès de cabinets médicaux et de maisons de santé par les collectivités territoriales.

En début d’année, lors de ses vœux aux acteurs de la santé, le Président de la République a précisé que « les médecins généralistes doivent pouvoir se concentrer sur la santé, et rien que sur la santé ». Ce texte pourrait permettrait de tendre vers cette ambition.

Toutefois, il n’est pas question de déléguer la gestion administrative des cabinets médicaux aux collectivités territoriales. À cet égard, je tiens à saluer le travail du rapporteur, le docteur Daniel Chasseing qui, fort de sa connaissance du monde médical en milieu rural, a su donner à cette proposition de loi une orientation précise.

Il faut comprendre ce texte comme l’ouverture d’une possibilité pour les collectivités territoriales volontaristes. Il s’agit de leur donner la faculté de mettre à disposition un agent, pendant une courte période, soit trois mois, renouvelable deux fois, auprès d’un cabinet médical ou d’une maison de santé. Le traitement de l’agent sera naturellement remboursé ultérieurement par la structure d’accueil.

Ce dispositif pourrait n’être utilisable que lorsqu’un nouveau médecin arrive, et si celui-ci exerce la mission de service public de permanence des soins.

Ce dernier point est très important. La permanence des soins est au fondement de notre réflexion sur la lutte contre la désertification médicale. Elle doit être l’affaire de toutes et de tous. Les élus locaux souhaitent légitimement pouvoir assurer cette mission de service public sur leurs territoires. Nous devons les accompagner dans cette démarche.

Vous le savez, mes chers collègues, je suis un ardent défenseur de l’initiative parlementaire. Les expériences sur le terrain, en contact direct avec les élus locaux et nos concitoyens, nous conduisent à élaborer et à proposer des évolutions législatives ayant pour objectif de répondre à des difficultés concrètes. Le texte proposé par notre collègue Dany Wattebled s’inscrit dans cet esprit.

J’ai relevé les propos de certains des orateurs m’ayant précédé à cette tribune, notamment lorsqu’ils ont évoqué les compétences et le nécessaire respect de la confidentialité par les personnels des collectivités territoriales. Mes chers collègues, nous leur avons fait confiance quand il s’est agi de mettre en place les agences postales dans une situation similaire ; nous leur avons également fait confiance pour mettre en œuvre nos décisions lorsqu’il s’est agi de lutter contre la covid-19.

Alors, ne manquons pas l’occasion de créer un nouveau levier pour lutter contre la désertification médicale. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera naturellement cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’accès aux soins dans les territoires, particulièrement ruraux, est un problème majeur dont vous avez tous une conscience aiguë – je ne vous apprends rien.

Face à cette situation, chaque élu, qu’il soit local ou national, cherche des solutions. Ce sont parfois des propositions de réformes structurelles, parfois simplement des outils pratiques, mais qui peuvent faire la différence et permettre d’accueillir de nouveaux soignants.

Dans cet esprit, notre collègue Dany Wattebled, peut-être inspiré par une situation concrète ou par son expérience du terrain, nous fait une proposition intéressante.

En prenant exemple sur les partenariats qui ont pu être établis, par exemple entre les collectivités et La Poste, afin de garantir un maillage territorial et une proximité, pourquoi ne pas mettre à disposition d’un cabinet médical ou d’une maison de santé, de façon temporaire et remboursable, un agent communal ?

En dépit de leur nombre, les outils financiers et fiscaux, aides de diverses natures déjà en place, ne parviennent plus à déclencher chez les jeunes praticiens la décision d’installation. C’est une vraie difficulté !

Ces étudiants en fin de cursus, au moment de franchir le grand pas vers l’exercice en autonomie, en indépendance et sous leur propre responsabilité, sont souvent angoissés par des questions pratiques, qui peuvent les amener à reculer. Concrètement, qui pour décrocher le téléphone le premier jour ? Connaître la population locale, le contexte social ? Éventuellement, pouvoir indiquer les lieux et les adresses des patients ?

Personnellement, je me souviens, pour avoir accueilli sur ma commune nivernaise un nouveau médecin arrivant de Belgique, de l’aide précieuse de mon adjoint d’alors, facteur retraité, qui l’accompagnait bénévolement dans ses premières tournées. Ce même médecin, n’ayant pas pu s’occuper de recruter une collaboratrice et ne connaissant personne de confiance, décrochait lui-même le téléphone au cours des premières semaines d’installation, ce qui lui faisait perdre beaucoup de temps.

Lorsqu’un médecin arrive dans une commune, particulièrement rurale, l’équipe municipale au sens large fait un véritable service d’accompagnement dans les premières semaines, et c’est une des conditions d’une installation réussie. Dès lors, permettre la mise à disposition d’un agent public d’accueil connaissant le territoire et ses habitants, afin de faire un lien, aider à la prise de contact pendant une période d’« amorçage », me semble un outil intéressant, et même assez évident.

Les soucis d’ordre pratique font partie des critères poussant les candidats à l’installation vers le salariat plutôt que vers l’exercice libéral. Ils nous le disent. Ils apprécient, au moins dans les premiers temps, d’être épaulés et déchargés de certaines contingences matérielles.

Évidemment, cette facilité ne réglera pas, malgré son titre prometteur, nos problèmes dramatiques de désertification médicale. Il faudrait pour cela bien d’autres outils, et il faudrait surtout beaucoup plus de médecins, un plan massif de formation.

Les médecins sont désormais tellement rares, la pression est devenue telle sur les épaules des étudiants en fin de cursus que ces derniers sont écrasés par les demandes, les attentes, les offres, la responsabilité. On leur propose des primes, des surprimes, des avantages matériels, et dans le même temps on les insécurise, on les terrorise, on les fait fuir.

Ce n’est pas en formant 15 % de médecins en plus qu’on sortira de cette surenchère malsaine et contre-productive.

Il faut des outils sécurisants, mais surtout une vraie décision politique qui n’a pas encore été prise. Les jeunes Français vont toujours apprendre la médecine en Roumanie ou en Espagne…

Vous aurez compris, mes chers collègues, que cet outil est un outil de plus, et nous y sommes favorables. En l’occurrence, qui peut le plus peut le moins !

J’espère seulement que l’expression « maison de santé » sera entendue au sens large, avec ou sans médecin, car il est évident que tous les autres professionnels de santé nous sont également précieux. Infirmiers, dentistes, kinésithérapeutes, pharmaciens : tous devraient pouvoir bénéficier des mêmes facilités. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent texte tend à apporter une nouvelle solution à la désertification médicale, sujet déjà traité au cours des derniers mois, à travers les projets de loi de financement de la sécurité sociale et d’autres propositions de loi. Je pense notamment à la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale, adoptée le 18 octobre 2022.

Le constat de la désertification médicale a déjà été longuement abordé dans cet hémicycle.

Le texte que nous examinons aujourd’hui, comme cela a déjà été rappelé, vise à autoriser la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux auprès de cabinets médicaux ou de maisons de santé.

La possibilité offerte aux collectivités territoriales de mettre temporairement à disposition un agent public constituerait un nouveau levier d’attractivité médicale pour les territoires, en allégeant les contraintes financières et administratives qui pèsent sur l’installation des médecins. L’accompagnement serait prévu sur toute la durée de l’installation en zone sous-dense. Le fonctionnaire territorial pourrait, éventuellement, être chargé de l’accueil de la patientèle.

Si cette solution, visant à favoriser l’implantation de médecins dans les déserts médicaux, est louable, les moyens choisis interrogent. Malgré les améliorations apportées par le rapporteur Daniel Chasseing pour clarifier le caractère transitoire et temporaire du dispositif, celui-ci appelle des réserves.

En effet, le recours aux ressources humaines d’une collectivité locale pour la gestion d’un secrétariat médical soulève de nombreuses interrogations sur la formation professionnelle et les risques d’incompatibilités avec le statut du fonctionnaire, les filières et cadres d’emploi.

La proposition de loi ne traite pas la nature des missions qui pourraient être confiées au fonctionnaire territorial. Qu’il s’agisse de la responsabilité juridique de l’employeur et de la garantie du secret médical, le dispositif proposé ne paraît pas d’une opérationnalité optimale.

J’ajoute à cela les réserves émises par les associations d’élus locaux lors de leurs auditions sur différents points : les difficultés de recrutement rencontrées par les collectivités dans les métiers susceptibles d’être concernés par la mise à disposition ; le risque de doublon avec d’autres dispositions existantes, notamment la fonction d’assistant médical, ou d’inadéquation entre la formation des personnels mis à disposition et les besoins des cabinets médicaux ; les effets pervers de concurrence entre les collectivités en matière d’attractivité médicale.

Outre ces réserves, j’attire aussi votre attention sur les solutions existantes. Je rappelle, par exemple, que nous avons amélioré, simplifié et renforcé la coordination de l’installation des professionnels de santé, en harmonisant les dispositifs d’aide à l’installation dans l’article 24 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.

De plus, les expériences locales peuvent aussi être source d’inspiration. En ce sens, j’évoquerai rapidement la politique d’attractivité expérimentée en Aveyron depuis 2010 pour inciter les médecins de médecine générale à s’installer.

L’implication des médecins en exercice et du Conseil de l’ordre des médecins a été cruciale dans la définition d’une politique d’attractivité médicale qui a emporté, dès ses débuts, l’adhésion de l’ARS. Aborder la désertification médicale recommande une approche globale et partagée à l’échelle d’un territoire.

La stratégie repose sur un accompagnement de la profession : d’abord, en favorisant l’accueil de stagiaires par la promotion des terrains de stage, par l’intégration des stagiaires et par une aide financière au transport et au logement des internes éloignés de leur résidence ; ensuite, en soutenant l’établissement de maisons de santé pluriprofessionnelles, adossées à un projet de santé ; enfin, en créant un guichet unique d’accompagnement à l’installation.

Le succès repose sur une coordination inédite de tous les acteurs. La cellule d’accueil des médecins s’est imposée progressivement comme un interlocuteur privilégié. Elle réunit plusieurs acteurs, dans une approche partenariale volontariste et informelle.

Depuis 2011, il y a eu 105 installations de médecins généralistes en Aveyron, pour 107 départs.

Au vu de ces éléments, nous sommes très réservés sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot.

Mme Nadine Bellurot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte tend à mettre un nouvel outil à la disposition des collectivités territoriales, comme cela a été dit précédemment. La rédaction de l’article unique issue des travaux de la commission répond aux inquiétudes que celle-ci avait soulevées.

À ce sujet, s’agissant de la concurrence que l’on pourrait constater entre les communes, il faut souligner qu’elle existe déjà. Les collectivités territoriales financent les installations, accordent des aides – dans le département de l’Indre, ce sont 30 000 euros qui sont proposés et viennent se conjuguer avec des aides nationales, par exemple pour les zones de revitalisation rurale, les ZRR. N’oublions pas que les collectivités territoriales financent aussi la construction de maisons de santé, même si, comme je le dis souvent, le parpaing ne fait, hélas ! pas le médecin…

Ce texte vient donc aider temporairement à l’installation des médecins, en permettant aux maisons de santé et cabinets libéraux en zone sous-dense de bénéficier d’une mise à disposition de fonctionnaires territoriaux, qui, connaissant bien leur territoire et ses habitants, pourront parfaitement offrir un accompagnement dans la gestion quotidienne du cabinet médical.

Les médecins manquent partout en France, madame la ministre. Certes, vous n’êtes pas responsable des mauvaises décisions prises par les précédents gouvernements en matière de formation. En revanche, vous êtes responsable du bon fonctionnement du centre national de gestion – le CNG –, qui, disons-le franchement, ne fonctionne absolument pas ! De par son opacité – aucune information – et son inefficacité dans la gestion des dossiers – les commissions ne se réunissent que très rarement –, le CNG bloque la possibilité pour des milliers de médecins, français ou étrangers, ayant des diplômes hors Union européenne de s’installer dans les territoires, notamment ruraux, s’ils le souhaitent, et je précise que c’est le cas !

Entre octobre 2020 et octobre 2021, ce sont 4 500 dossiers qui ont été déposés auprès des ARS pour validation par le CNG, après un parcours de consolidation de un à deux ans dans les hôpitaux, ce qui offre une main-d’œuvre peu chère. Seulement quelques centaines de dossiers avaient reçu un avis favorable du CNG au début de l’année 2022. Des années d’attente, donc, pour ces professionnels, avec des examens au compte-gouttes et très peu de validations. Je connais personnellement de nombreux cas.

Madame la ministre, il y a urgence dans toutes les spécialités. Nos territoires se meurent, car aujourd’hui, en France, les Français ne sont pas soignés. Palliez donc le manque d’organisation et de disponibilité des ARS et des jurys du CNG, manque reconnu dans cet hémicycle par votre prédécesseur !

Peut-être faudrait-il abandonner totalement ce système, qui, d’ailleurs, n’a pas été retenu par le ministre de l’intérieur pour la création, dans le cadre du futur projet de loi sur l’immigration, de la carte de séjour « talent-professions médicales et de la pharmacie ». L’administration centrale de votre ministère pourrait alors reprendre en charge – elle le faisait par le passé – toutes ces demandes d’homologation, dont les médecins et professionnels de santé ont tant besoin, et la France aussi ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)