Mme le président. Merci de conclure, cher collègue.
M. Guillaume Gontard. Soyez responsables, retirez ce texte ! (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, vous le savez pertinemment, en reportant de deux ans la durée légale du départ à la retraite, vous assumez que vous allez rendre impossible l’arrivée à la retraite dans de bonnes conditions d’un nombre considérable de nos concitoyens.
Ils n’en peuvent plus, la plupart du temps ! Écoutez tous leurs témoignages : ceux qui ont des métiers pénibles n’en peuvent plus. Surtout eux, bien sûr, mais pas seulement : c’est aussi le cas de tous ceux qui ont des métiers stressants, qui pèsent lourdement dans la psychologie de chacun.
Vous le savez pertinemment, vous allez accroître le nombre des seniors qui n’auront ni un emploi ni une retraite et qui seront dans une précarité insupportable.
Vous le savez pertinemment, un tel allongement va diminuer lourdement la durée des pensions – cela a déjà commencé et cela va encore s’accélérer. Alors, pourquoi laissez-vous faire cela ?
Pourquoi montrez-vous tant d’indifférence au sort de nos concitoyens ? Pour vos comptes ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Pour 15 milliards à 18 milliards d’euros en 2030… Mais cet argent pourrait être trouvé autrement !
Vous ne voulez pas voir les véritables problèmes des travailleurs : les résoudre remplirait les caisses de retraite ! Améliorer les salaires, changer les conditions de travail, mieux vivre au travail grâce au respect dû aux travailleurs, voilà ce qu’ils demandent et ce qu’ils attendent !
Vos discours sur la valeur travail ne valent pas tripette par rapport à votre absence de décision en ce sens.
Monsieur le ministre, la réalité, c’est que le Gouvernement joue le pourrissement. Son idéologie libérale ne veut pas qu’il commence à engager le recul de cette logique terrible,…
Mme le président. Merci de conclure, chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … qui fait que le capital est toujours mieux rémunéré que le travail.
Mme le président. C’est terminé !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela doit s’arrêter ! Retirez le projet ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, sur l’article.
Mme Mélanie Vogel. Nous arrivons à la mesure phare du texte, après six jours complets de débat, pendant lesquels le Gouvernement a rejeté, les unes après les autres, toutes les propositions pour un autre financement des retraites.
Elles auraient pourtant permis d’éviter de faire reposer l’intégralité de l’effort demandé sur les millions de travailleurs, et surtout de travailleuses, modestes, qui, dès septembre, devront trimer deux ans de plus.
Votre projet est non pas de changer le travail ou d’avoir plus de justice, mais de faire de la casse sociale par de la brutalisation démocratique.
Taxer les dividendes, c’est non ! Faire surcotiser les hauts salaires, c’est non ! Rendre contraignante l’égalité salariale, c’est non ! Augmenter les salaires, c’est encore non !
Mais faire trimer encore deux ans les plus précaires pour rembourser ce que vous avez donné aux riches, c’est oui ! Mais personne ne le veut dans le pays, pas même vos électeurs !
M. Philippe Pemezec. Ils ressortent tous les vieux discours…
Mme Mélanie Vogel. À chaque prise de parole du gouvernement dans cet hémicycle, l’opposition grandit dans le pays. Elle ne cesse de s’amplifier. Aujourd’hui, il y a eu 245 000 personnes à Marseille, 120 000 à Toulouse, 100 000 à Lille, 100 000 à Bordeaux, 12 000 à Annonay, monsieur le ministre Dussopt, et 700 000 à Paris. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
Des centaines de Françaises et des Français de l’étranger se sont mobilisées à Bruxelles, à Londres, à Madrid. Elles connaissent très bien les conséquences du recul de l’âge de départ à la retraite, puisqu’elles vivent dans des pays qui l’ont décidé !
Plus de 3 millions de personnes ont défilé dans la rue aujourd’hui, malgré les difficultés pour nombre d’entre elles de faire grève, pour vous dire qu’elles ne vous laisseront pas leur prendre les deux meilleures années de leur retraite pour les remplacer par les deux pires années de travail.
Vous avez un choix très simple à faire. Soit vous retirez la réforme maintenant et vous aurez la honte passagère de l’humilité trop tardive (Marques d’indignation sur les travées du groupe Les Républicains.), soit vous vous entêtez contre le pays entier et vous aurez le déshonneur à jamais, un pays brisé et une démocratie au bord de l’explosion. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains. – M. Yves Bouloux lève les bras au ciel.)
Retirez cette réforme, maintenant ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. Nous y sommes donc, mes chers collègues : voici le fameux article 7, qui est le cœur de l’injustice et de la brutalité de cette réforme.
Nous entamons l’étude de cet article, après que des millions de Français ont manifesté contre cette réforme et pour avoir droit à une retraite décente à un âge décent.
Je vous le rappelle, plus de 75 % de nos compatriotes sont contre cette réforme. D’autres parlementaires ont rappelé que les Français, y compris au sein de votre propre électorat, sont massivement contre et vous le disent constamment.
Des millions et des millions de Français manifestent et au moment où nous abordons cet article vous faites, ce soir, comme si de rien n’était. À l’image du ministre Dupond-Moretti, vous faites un bras d’honneur au peuple français (Marques de désapprobation sur des travées des groupes RDPI et INDEP.), qui, toujours plus nombreux, manifeste pacifiquement contre cette réforme.
Imaginez la violence que renvoie au peuple français votre indifférence, par rapport à ce qu’ils expriment constamment dans la rue. Imaginez la violence d’une telle réforme pour des gens qui vont devoir travailler deux ans de plus, alors qu’ils font des métiers pénibles, difficiles. Ces gens sont les « indispensables », les « essentiels » de notre pays : en les brutalisant, c’est tout le peuple français que vous brutalisez !
On ne peut pas gouverner contre le peuple. Nous sommes ici pour le représenter. C’est un véritable problème démocratique que de vouloir absolument imposer une réforme brutale par des procédures qui limitent le temps de nos débats, alors qu’ils auraient mérité d’être beaucoup plus longs sur le fond. Nous devons prendre le temps de débattre d’un sujet aussi fondamental, car il touche à notre pacte social et à celui des générations futures.
Mais ce n’est pas la voie que vous avez choisie. Parlementaires de droite, vous devriez vous-mêmes vous élever contre cela. Si vous aviez été au pouvoir, nous avez-vous dit, vous auriez fait beaucoup plus de concertations ; dites-le au gouvernement, car il ne l’a pas fait !
Mme le président. Merci de conclure, cher collègue.
M. Yan Chantrel. Nous demandons le retrait de cet article et de cette réforme injuste et brutale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l’article.
Mme Catherine Conconne. Une fois de plus les populations de ladite outre-mer assistent à un débat qui, encore une fois, leur passera largement au-dessus de la tête.
Pourtant, le mot « différenciation » n’a jamais été autant employé par le Gouvernement ; pourtant, je n’ai jamais autant entendu dire que, grâce à ladite outre-mer, le soleil ne se couchait jamais en France et qu’elle se hissait au deuxième rang des puissances maritimes mondiales, ou encore que la biodiversité française relève de l’exceptionnelle richesse…
Dans ce projet de loi, l’outre-mer n’a droit à aucune mention, à aucun mot, et ne fait même pas l’objet d’un renvoi à d’éventuelles ordonnances, alors que nous avons tant l’habitude de telles solutions de facilité, proposées pour maintenir la poussière sous le tapis.
Dans ces pays, où, après la loi de départementalisation votée en 1946, qui était censée apporter la très chère égalité, que le parcours a été chaotique jusqu’à nos jours !
Le résultat, aujourd’hui, c’est que la reconstitution de carrière est laborieuse, voire impossible. Le résultat, aujourd’hui, c’est que le pourcentage des employeurs disparus s’élève à 2 %.
Le résultat, aujourd’hui, c’est que la pénibilité évidente, difficile à prendre en compte est de 7 % à l’échelle nationale et de 20 % dans les outre-mer.
Le résultat, aujourd’hui, c’est que la retraite moyenne, compte tenu de toutes ces carences liées à l’histoire, plafonne à 541 euros, alors que le prix des produits d’alimentation est supérieur de 38 %.
Le résultat, aujourd’hui, c’est que l’âge moyen du départ à la retraite dépasse 65,3 ans.
Alors, permettez-moi de rire quand on parle de 64 ans ! Moins de 1 % de ces populations partent à 62 ans : augmenter le train de travail les repousserait à 67 ans.
Où est cette France du soleil qui ne se couche jamais ? Où est cette France qui attend encore l’égalité dans beaucoup de domaines ?
Une fois de plus les mots ne sont pas alignés avec les annonces, tandis que la France continuera de clamer sa richesse et son empreinte dans le monde.
Mme le président. Merci de conclure, chère collègue.
Mme Catherine Conconne. Malheureusement le soleil continuera de se coucher singulièrement…
Mme le président. C’est terminé !
Mme Catherine Conconne. … sur des océans de misère et d’iniquité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.
M. Patrick Kanner. Cela fait du bien d’entendre la voix de l’outre-mer, ma chère Catherine Conconne.
Mes chers collègues, je ne vous cache pas ma perplexité. Un quarteron de sénateurs est sur le point de s’exprimer. MM. Chasseing et Cadic nous diront un petit mot,…
M. Franck Menonville. Ils ont le droit !
M. Patrick Kanner. … mais où est la droite ?
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. On est là !
M. Pierre Laurent. La droite honteuse !
M. Patrick Kanner. Nous assistons depuis six jours à un débat respectueux, riche, animé et déterminé. (M. Roger Karoutchi ironise.) Votre silence, il est vrai, est particulièrement étonnant.
Mes chers collègues, nous devons la vérité aux Français. Ils nous regardent au travers des médias qui nous suivent de manière attentive, chacun l’a bien compris, notamment en cette journée de mobilisation très forte.
Vous avez décidé de ne pas vous prononcer à ce stade. Cela me déçoit, parce que j’ai écouté avec attention le discours de Bruno Retailleau, qui, lors de la discussion générale, se félicitait du retour du clivage entre la droite et la gauche. Oui, il est revenu avec cette réforme des retraites, mais n’ayez pas la droite honteuse (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.), défendez vos opinions devant les Français !
M. Pierre Cuypers. Nous n’avons pas de leçon à recevoir !
M. Patrick Kanner. Défendez ce qui vous semble bon dans cette réforme impopulaire, inutile, injuste et réactionnaire !
M. Alain Joyandet. Quelle condescendance !
M. Patrick Kanner. Vous reconnaîtrez, je pense, que nous avons tenu ce discours devant les Français pour défendre une autre vision de la société ; et nous continuerons jusqu’au dimanche 12 mars, à minuit !
Messieurs les ministres, nous vous demandons de prendre conscience qu’il faut maintenant retirer votre réforme ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Durain, sur l’article.
M. Jérôme Durain. Je souhaite, à l’instar des autres membres de mon groupe, m’exprimer sur cet article 7.
Je me félicite que, contrairement à l’Assemblée nationale, nous puissions enfin débattre de cet article qui constitue le « cœur » de la réforme ; mais est-ce véritablement opportun de qualifier ainsi une mesure aussi inique ?
Vous connaissez le caractère injuste de cette mesure, qui a déjà été pointé en son temps par M. Macron. Certes, en France, nous vivons relativement longtemps, mais notre ratio d’espérance de vie en bonne santé est assez faible ; or il risque de se réduire encore.
De plus, le report de l’âge légal, on le sait, augmente les dépenses de la branche maladie, à cause des reports vers le chômage ou l’invalidité. Oui, les personnes qui approcheront de l’âge de la retraite multiplieront les arrêts maladie.
Qu’allez-vous proposer après des jours de carence supplémentaires ? Pourquoi ne cherchez-vous pas d’autres solutions ? Pourquoi « écarter d’emblée la recherche d’autres recettes, notamment la mise à contribution de l’ensemble des revenus et en particulier ceux qui sont issus du capital », comme le disait M. Dussopt quand il était de gauche ?
Je multiplie les questions, mais je pressens que les réponses se feront rares. Pourtant, tous ceux qui galéreront avec des alternances de petits boulots et de chômage pour atteindre l’âge légal aimeraient bien les entendre.
Pour les seniors qui ne sont ni en emploi ni à la retraite, le recul de l’âge de départ signifie en effet l’allongement de leur période de précarité.
Mes chers collègues, nous avons entendu la présidente Deroche nous demander de considérer vos parcours personnels, vos expériences et vos enracinements ; mais, précisément, dans vos villes, dans vos communes, dans vos préfectures et sous-préfectures, n’avez-vous pas entendu les gens dire qu’ils ne peuvent pas faire les trois-huit deux ans de plus ?
Je ne vois pas pourquoi la droite sénatoriale vole au secours d’un gouvernement qui lui fait des bras d’honneur à l’Assemblée nationale !
Mépris, passage en force, bras d’honneur, voilà les mots véritablement utiles pour qualifier ce qui est en train de se passer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, sur l’article.
M. Daniel Breuiller. Nous y sommes : voici la mesure phare, ou plutôt guillotine. Aujourd’hui, le pays est bloqué pour lutter contre le report de l’âge de départ à la retraite.
Syndicats unis, professeurs, cheminots, éboueurs, ouvriers, routiers, aides-soignants, Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles), des noms et des prénoms de femmes et d’hommes anonymes, toutes et tous réunis dans les rues pour dire non à cette réforme.
Ils le disent avec détermination et responsabilité parce que cette réforme est injuste et inique. Vous leur volez les deux plus belles années de retraite, sans les entendre, sans avoir trouvé d’accord avec aucun syndicat !
La France est bloquée, et c’est de votre responsabilité ! Il fallait s’y attendre…
Monsieur le ministre, réformer contre le peuple, c’est toujours dangereux, surtout dans cette période où la démocratie est si menacée. C’est aussi injuste, car cette réforme pénalise les travailleurs les plus précaires et les plus exposés à la pénibilité. Ceux qui exercent des métiers physiquement éprouvants l’ont bien compris, ils ne pourront tenir jusqu’à 64 ans. D’ailleurs, plus de 20 % des ouvriers sont déjà morts avant l’âge actuel légal de la retraite !
Quand les milliards de profits de dividendes volent au-dessus de leur tête, vous choisissez de leur faire payer de deux ans de leur vie l’équilibre des comptes des retraites.
Monsieur le ministre, à l’ouverture de nos débats, quand j’ai évoqué Le Temps qu’il reste de Reggiani, vous m’avez répondu « il suffirait de presque rien ». « Presque rien », c’est deux ans de travail !
Oui, le travail peut favoriser l’insertion ; oui, le travail peut être épanouissant, mais sachez, mes chers collègues, que la retraite l’est aussi, tout comme le sont vie sociale et la culture. Il y a mille façons de s’épanouir.
Alors, je conclurai encore avec Reggiani.
« Des années, des jours, des heures, combien ?
« Quand j’y pense, mon cœur bat si fort…
« Mon pays c’est la vie.
« Combien de temps…
« Combien ?
« Je l’aime tant, le temps qui reste…
« Je veux rire, courir, pleurer, parler,
« Et voir, et croire… »
Laissez ce temps aux Français ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Certains voudraient nous faire croire que reporter l’âge légal à 64 ans serait juste une solution pour équilibrer le régime de retraite. Mais derrière les chiffres, il y a des vies avec lesquelles vous jonglez, monsieur le ministre et mes chers collègues de droite !
Je reçois, comme beaucoup d’entre nous, j’imagine, de nombreux témoignages de personnes qui me demandent de leur faire part des conséquences de vos choix sur leur vie.
Comme moi, ces gens sont dans les classes d’âge de 1961 et de 1971 et d’une génération plutôt rurale, qui n’a pas fait de grandes études, mais ils ont travaillé toute leur vie dans le bâtiment, les travaux publics, l’hôtellerie, la restauration, l’industrie, l’hôpital et l’aide à la personne.
Je vais vous présenter quelques chiffres : 82 kilos, c’est le poids d’une bordure de trottoir telle que les ouvriers des travaux publics en manipulent, tous les jours, dans nos communes, malgré le froid, la chaleur ou les intempéries ; 81,2 kilos, c’est le poids moyen d’un homme adulte que les aides-soignantes ou les aides à domicile ont à soulever ou à déplacer ; 13 tonnes, c’est le poids que les employés d’une entreprise de meubles de mon département portent chaque jour en parcourant, pour les installer, plus de 15 kilomètres en équipe.
Mes chers collègues, est-ce que vous imaginez l’usure que cela représente pour le corps et pour les articulations, qui sont abîmés, ainsi que les douleurs qui s’installent et ne repartent jamais ?
Aujourd’hui, ceux qui sont aux portes de la retraite voient la perspective d’un repos nécessaire et bien mérité s’éloigner, tel un mirage.
L’article 7 vise non pas à instaurer une mesure paramétrique indispensable, mais tout simplement à voler deux années de leur vie à ces personnes ! Oui, c’est du vol ! Il les dépossède des projets qu’ils avaient pour le début de leur retraite. Cette mesure retire le bénéfice de la surcote de celles et de ceux qui auraient voulu travailler plus longtemps pour compléter une pension insuffisante.
Je pense à ce menuisier qui m’a écrit ce matin : même s’il a commencé le travail à 16 ans, il envisageait tout de même de continuer à travailler jusqu’à 64 ans ou 65 ans, afin de pouvoir gagner 250 euros supplémentaires pour aider ses enfants. Après la réforme le gain ne sera plus que de 40 euros.
Ne dites pas que vous votez cette réforme au nom du travail contre les partisans de la paresse ! Contrairement à ce que vous dites, vous n’êtes pas du côté du travail, car vous n’avez aucune reconnaissance pour lui.
Mme le président. Merci de conclure, cher collègue.
M. Jean-Claude Tissot. Vous êtes encore moins du côté des travailleurs, car vous n’aurez jamais de cesse de reprendre ce qu’ils ont chèrement conquis. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, sur l’article.
M. Jérémy Bacchi. Ayant écouté les débats que nous avons depuis plusieurs jours maintenant, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour notre jeunesse.
Vous dites qu’elle est l’avenir de notre pays, qu’elle doit être bien formée et qu’elle doit poursuivre des études ; en même temps, votre réforme incite à tout l’inverse !
De plus en plus de jeunes nous disent vouloir entrer plus tôt sur le marché du travail pour, justement, ne pas travailler jusqu’à 65, 66 ou 67 ans. Voilà la société que vous êtes en train de construire. Voilà l’avenir que vous êtes en train de dessiner pour la jeunesse de ce pays.
À cette jeunesse, déjà durement frappée par la précarité, le chômage et l’intérim, je dis de se mobiliser massivement, comme ce fut le cas aujourd’hui, partout dans le pays dans les lycées et les universités.
La jeunesse doit se faire entendre. Non à cette réforme, non à la retraite à 64 ans !
Au sein de cet hémicycle, mon groupe votera contre cet article. Dans la rue, nous continuerons de soutenir, comme aujourd’hui, le droit d’un avenir pour notre jeunesse.
Monsieur le ministre, au risque de vous surprendre, j’ai un point d’accord avec votre gouvernement : une minorité ne peut pas bloquer le pays. Mais la minorité n’est pas dans la rue : elle est assise sur ces travées et sur le banc des ministres. C’est vous qui bloquez le pays ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, sur l’article.
Mme Marie-Claude Varaillas. Alors que le Conseil d’orientation des retraites conclut que les dépenses des retraites devraient être contenues, il apparaît important de rappeler dans quel contexte le Gouvernement présente sa réforme aujourd’hui.
Depuis le 1er février dernier, l’adoption des récentes dispositions législatives relatives à l’assurance chômage fait que les chômeurs perdent un quart de leur indemnité et que 600 000 d’entre eux ont été radiés de Pôle emploi.
L’inflation sur les produits alimentaires, qui court depuis un an, affiche en février une augmentation de 14,5 %, la hausse du coût de l’électricité et du gaz s’élève à 15 % et celle des péages autoroutiers, à 4,5 %. Le prix du litre d’essence atteint 2 euros.
Nous sommes en pleine crise énergétique. L’hôpital et l’école sont à reconstruire. Un défi climatique est à relever. L’inflation est à deux chiffres.
Le Gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux du moment. Ce qui se joue avec ce projet de loi, c’est plus qu’un projet de réforme, c’est un projet de société.
Deux conceptions de la vie et du travail s’affrontent dans cet hémicycle et dans la rue. Les défenseurs du capital, qui siègent sur les travées de droite de l’hémicycle, n’ont de cesse d’allonger la durée légale du travail, au nom de la nécessité de produire. Or, depuis quarante ans, la robotique, le numérique, et l’intelligence artificielle ont participé à l’augmentation des gains de productivité. Mais où sont-ils passés ? La vérité, c’est que, depuis 1982, 10 % de la valeur ajoutée est passée du travail au capital, soit 250 milliards d’euros.
Le partage de la valeur est donc bien le problème majeur. Les cadres de l’intersyndicale le disent et les dossiers de la Banque de France montrent que, entre 1997 et 2019, la part revenant aux salariés a baissé de 59 % à 54 %, tandis que la part des actionnaires a triplé, passant de 5 % à 16 %. Si l’on donne deux points de plus aux salariés, alors on trouve les 12 milliards de plus de cotisations sociales nécessaires pour alimenter la caisse vieillesse.
Mme le président. Merci de conclure, chère collègue.
Mme Marie-Claude Varaillas. Les Français ne veulent pas de primes, d’aides ou de subventions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet, sur l’article.
M. Éric Bocquet. Notre collègue écologiste Daniel Breuiller a fait une citation latine ; j’en ferai une autre : « Hic Rhodus ! Hic salta ! ».
Vous connaissez sans doute ce vers tiré d’une fable d’Ésope.
M. Philippe Pemezec. Bien sûr !
M. Éric Bocquet. Au sens propre, il pourrait être traduit par « Voici Rhodes, c’est ici qu’il faut sauter ! » et au sens figuré par « Prouvez vos déclarations, ici et maintenant ! »
Pour ma part, je tire deux enseignements forts de ces six jours de débats. Le premier, c’est qu’il n’y a plus, d’un côté, une majorité présidentielle et, de l’autre une majorité sénatoriale ; il y a un bloc libéral, qui fait front de manière homogène et solide, pour porter ce projet libéral de réforme des retraites. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Le second, c’est que, aux termes d’un premier amendement puis d’un autre, vous ouvrez la porte à un système de retraite par capitalisation. C’est un mauvais coup porté à notre système de protection sociale, dont, je crois, tout le monde se souviendra.
Mes chers collègues de la majorité, vous vous apprêtez à émettre un vote historique. Malheureusement, il ne va pas dans le sens du progrès social. Vous portez un mauvais coup à notre modèle social. Vous partagerez, aux yeux de nos concitoyens, cette responsabilité avec le Gouvernement.
Nous continuerons de débattre d’ici au vote de l’article 7 et d’argumenter jusqu’à dimanche 12 mars, minuit. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)