M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je ne me livrerai pas à une bataille de chiffres, car, pour vous comme pour moi, chaque étudiant est important, et nous essayons de nous occuper de chacun.
Vous posez la question des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur. Vaste question ! Vous admettrez peut-être que ces inégalités existaient bien avant Parcoursup…
Je vais essayer, non pas de vous convaincre, mais de vous montrer que Parcoursup apporte une réponse à ce défi de l’égalité d’accès et de réussite des étudiants, ne serait-ce qu’en mettant à disposition de tous les mêmes informations et les mêmes opportunités de faire des vœux, librement.
Mme Duranton l’a rappelé, entre 2018 et 2021, le taux des lycéens boursiers admis sur Parcoursup a progressé de 5 points, passant de 20 % à 25 %, grâce au dispositif volontariste prévu dans la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) et géré par Parcoursup. En 2022, près de 12 300 lycéens boursiers ont été admis dans la formation de leur choix, ce qui n’aurait pu se faire sans la priorité instaurée dans la loi ORE.
Il existe des exemples très concrets. Ainsi, l’intégration sur Parcoursup de Sciences Po Paris a permis d’attirer davantage de boursiers. On compte parmi les admis 12 % de boursiers du secondaire en 2022, contre 5 % en 2020 et 3,8 % en 2019.
Pour lutter contre l’autocensure, nous avons aussi promu auprès des formations les parcours des élèves en cordées de la réussite, ce qui a eu des effets tangibles : une différence de 6,7 points est constatée entre les taux de propositions faites aux bacheliers professionnels en cordées de la réussite et aux mêmes lycéens hors cordées.
Je fais, moi aussi, de l’égalité d’accès et de réussite des étudiants ma priorité. C’est pour cette raison que nous avons fait le choix, avec Parcoursup, de donner la priorité aux bacheliers technologiques pour l’accès aux programmes de BUT et aux bacheliers professionnels pour l’accès aux BTS. Nous avons également prévu un soutien de 500 euros par lycéen boursier pour leurs frais de mobilité, ainsi que le droit au réexamen, avec l’appui du recteur, pour les candidats en situation de handicap. Je pourrais vous citer d’autres mesures encore. Je suis prête à travailler, bien sûr, sur d’autres projets. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray.
M. Jean Hingray. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, combien d’entre vous sont des parents ou des grands-parents inquiets face au désespoir de leurs enfants ou petits-enfants, confrontés à la difficulté de faire des choix pour leur avenir ?
Je partagerai ici le vécu de deux jeunes.
Antoine, 20 ans, a formulé en 2020 neuf vœux au total. Au premier soir des réponses, il n’a reçu aucune réponse favorable. Il a dû attendre quelques semaines avant d’en recevoir une première. Cette situation angoissante a été résolue quelques jours avant le début des épreuves du baccalauréat ; il a été chanceux. Mais combien d’étudiants subissent à la fois le stress des épreuves du baccalauréat et le stress des admissions Parcoursup ?
Lisa, 17 ans, qui a obtenu en 2022 d’excellents résultats au bac, souhaite suivre une double licence en droit et sciences politiques à Rennes, une ville qui n’est pas dans son secteur. Elle a été classée deux millième sur la liste d’attente !
L’accès à l’enseignement supérieur cristallise de nombreuses inquiétudes et incompréhensions. Au-delà des interrogations immédiates sur la formation souhaitée ou l’organisation de la vie étudiante se pose la question plus large de l’avenir de nos jeunes. Ils ont parfois le sentiment de faire des choix importants sans pour autant maîtriser tous les paramètres de leurs décisions.
Pour tenter de répondre à ces enjeux, Parcoursup a été mis en place en 2018, en remplacement du dispositif Admission post-bac (APB). Depuis son lancement, de nombreux élus, notamment au Sénat, ont interpellé le Gouvernement sur les difficultés rencontrées par les élèves et leurs professeurs lors de son utilisation, sur l’opacité des algorithmes de la plateforme ou encore sur l’anxiété provoquée par la procédure en ligne. En septembre 2022, ce sont 82 % des bacheliers qui déclaraient avoir trouvé la procédure trop stressante. Bref, après quatre années d’existence, le système demeure trop peu compréhensible et difficilement lisible.
Si l’on ne regrette pas les écueils d’APB, comme le tirage au sort ou encore les files d’attente devant les facultés – le premier arrivé était le premier inscrit –, il faut convenir que le dispositif Parcoursup et, plus largement, l’orientation de nos élèves de terminale doivent être repensés.
Tout d’abord, l’accompagnement à l’orientation est la clé de voûte de la réforme du lycée, mais le parent pauvre de l’éducation nationale. Avant même que les élèves ne s’inscrivent sur la plateforme, nous constatons un déficit de formation des professeurs, alors même que ce sont eux qui ont la charge d’accompagner leurs élèves dans leur orientation.
Selon la Cour des comptes, de nombreux proviseurs et professeurs principaux déclaraient en 2020 n’avoir reçu aucune formation spécifique pour exercer leur mission d’orientation.
Les récents modules mis en place par les rectorats à la suite de la loi ORE portent principalement sur des points pratiques, et ce au détriment de l’accompagnement et du conseil aux élèves dans leurs choix de formation et de métier. Faire de l’orientation une matière à part entière, avec des accompagnants spécifiquement formés, peut être une piste de réflexion pour obtenir davantage d’efficacité.
Ensuite, les heures destinées à l’orientation, intégrées à la dotation horaire globale, servent trop souvent d’heures d’ajustement pour l’enseignement des spécialités : une fois les heures de spécialités et d’options posées, il ne reste quasiment plus rien pour faire de l’orientation.
Ce système renforce les inégalités territoriales entre les établissements qui ont une culture de l’orientation et ceux qui sont moins mobilisés sur ces problématiques. Il peut également être source d’inégalités sociales et favoriser l’émergence de coachs privés en orientation.
Le passage du système APB à Parcoursup a fait passer les élèves d’une logique d’affectation à une logique de classement.
Alors qu’APB demandait à chaque lycéen un classement a priori de ses vœux pour l’enseignement supérieur, Parcoursup met fin à ce système de hiérarchisation dès le début de la procédure. Le lycéen doit désormais effectuer de nombreux choix, sans pouvoir indiquer ses préférences. Son affectation semble davantage dépendre de sa place dans le classement de chaque formation que de son projet d’orientation ou de sa motivation.
Parcoursup a conduit à la mise en place de plus de 15 000 algorithmes remplaçant des critères objectifs, nationaux et non académiques. En l’absence d’harmonisation nationale, comment distinguer deux dossiers scolaires construits par des enseignants différents, dans des établissements différents et selon des critères différents ?
Les fortes disparités entre les lycées conduisent certaines formations à prendre en compte le lycée d’origine des candidats pour effectuer leur classement, sans que l’objectivité de la méthode soit garantie. Nous sommes donc en droit de nous interroger sur la pertinence de certains critères d’évaluation.
Toujours selon le rapport de la Cour des comptes, il apparaît également que l’information des candidats sur les critères de classement des formations auxquelles ils prétendent n’est pas complète. Les attendus publiés ne semblent pas toujours correspondre aux critères retenus par les commissions d’examen des vœux. Souvent, ces dernières utilisent des outils informatiques d’aide à la décision pour effectuer un préclassement des étudiants. Il convient donc de rendre publics les algorithmes utilisés afin que le dispositif soit plus transparent.
L’instauration de cette nouvelle procédure a entraîné un surcroît de travail très significatif pour les équipes de l’éducation nationale, qui doivent souvent effectuer des opérations administratives sans aucune plus-value pédagogique. Dans l’enseignement supérieur, ce sont des milliers d’enseignants qui examinent des dossiers, pour plus de 15 000 formations.
Enfin, Parcoursup n’a pas permis de réfléchir à des solutions pérennes face au défi que représente la massification de la population étudiante et à la nécessité d’accueillir ces nouveaux bacheliers dans de bonnes conditions. En cinquante ans, cette population est passée de 20 % à 79 %, soit autant de candidats potentiels voulant légitimement accéder à des études supérieures.
Alors que l’on nous annonce la mise en place du nouveau dispositif trouvermonmaster.gouv.fr, pour les étudiants postulant en master 2, nous sommes inquiets : celui-ci va-t-il suivre la même logique que Parcoursup ?
Quatre ans après la mise en œuvre de Parcoursup, les bénéfices de la nouvelle procédure d’orientation sont difficiles à évaluer.
Aujourd’hui, le taux d’échec à l’issue d’une première année d’études post-bac reste très élevé et concerne près d’un étudiant sur deux, particulièrement dans les filières non sélectives. Aussi, nous nous félicitons de la mise en place d’une mission d’information sur le dispositif Parcoursup, dont nous suivrons attentivement les travaux et les conclusions.
Madame la ministre, l’éducation nationale ne devrait-elle pas aider les jeunes à trouver leur voie, plutôt que les forcer à emprunter des voies sans issue ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Stéphane Piednoir et Mme Anne Ventalon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je ne pourrai pas répondre à tous les points que vous avez abordés dans le temps qui m’est imparti.
Tout d’abord, nous connaissons tous des cas individuels, des Antoine et des Lisa. Ma mission à moi est de m’occuper de tous les étudiants et non de cas particuliers ; c’est là une des difficultés de notre travail, comme vous l’avez souligné.
Nous travaillons – vous le verrez au travers de mes propositions – sur la question de l’accompagnement des enseignants, ce qui signifie être à leur écoute, leur transmettre des outils simples, faciles à utiliser, pour former les lycéens.
Ensuite, je rappelle qu’il n’y a pas de hiérarchisation des vœux dans Parcoursup, afin d’éviter l’autocensure qu’entraînait la procédure d’APB.
Dans APB, un étudiant ayant formulé dix vœux qui apprenait que son troisième ou son quatrième vœu était accepté ne savait pas si les autres pouvaient l’être. Un jeune de 17 ou 18 ans devait donc décider en février de déposer une demande pour laquelle il recevait une réponse en juin, juillet ou septembre ! Je pense que, à cet égard, Parcoursup représente un progrès.
Par ailleurs, vous avez parlé du stress induit. Avec mon collègue ministre de l’éducation nationale, nous allons proposer dès cette année des facteurs d’amélioration pour réduire le stress ressenti.
En tant que ministre de l’enseignement supérieur, je puis vous dire que je m’efforce d’orienter les étudiants afin qu’ils parviennent à la réussite.
S’agissant de la plateforme trouvermonmaster.gouv.fr, je vous renvoie à ce que j’en ai déjà dit, car ce serait trop long d’en discuter en détail ici. Si elle n’est pas fondée sur la même logique que Parcoursup, elle a en commun avec ce dispositif d’être basée sur un principe humain d’examen des vœux et des dossiers par des commissions composées d’enseignants, dont le métier, la carrière et – j’ose le dire – toute la vie sont consacrés à la réussite de l’ensemble de nos étudiants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Pierre Ouzoulias. Il faut citer Edgar Faure ! (Sourires.)
M. Bernard Fialaire. Madame la ministre, à l’occasion de la dernière rentrée scolaire, devant les recteurs d’académie, le Président de la République a déclaré : « Nous rêvons d’une école qui fasse réussir nos enfants et qui fasse réussir la France. »
Oui, la réussite des enfants est à la fois une histoire individuelle et une aventure collective, qui mobilise d’importants moyens et des politiques publiques qu’il nous faut sans cesse interroger.
Sans anticiper l’examen très prochainement par le Sénat du projet de loi de finances pour 2023, je soulignerai simplement qu’avec 59,7 milliards d’euros, l’éducation nationale consomme la part la plus importante du budget de l’État, si je mets de côté la mission « Remboursements et dégrèvements ». Un tel montant nous invite en effet à regarder de près ce qui marche et ce qui ne marche pas.
Ce soir, nous débattons de l’orientation post-bac, une phase déterminante pour l’avenir de chacun de nos jeunes concitoyens. Dans l’imposant système de l’éducation nationale, quel bilan pouvons-nous tirer de Parcoursup, après quatre années de mise en œuvre ?
Selon les chiffres publiés sur la plateforme, 936 000 candidats ont été concernés en 2022 ; 3,8 millions de propositions d’admission ont été faites ; 93 % de lycéens ont été contentés en phase principale.
À l’issue de la phase complémentaire, seuls 160 bacheliers seraient restés sans proposition. C’est peu, mais mieux que l’année précédente, et encore trop pour les familles concernées. On observe toutefois que les commissions d’accès à l’enseignement supérieur jouent bien leur rôle dans l’accompagnement de ces élèves sans solution. J’en profite pour saluer leur travail.
Parcoursup semble globalement fonctionner, en évitant certains écueils de l’ancien dispositif APB, jugé à l’époque totalement déshumanisé et trop complexe.
Cependant, si les quotas d’affectation des élèves sont remplis, ce système d’orientation respecte-t-il un principe républicain fondamental, celui de l’égalité des chances pour l’accès aux études supérieures ? Des orientations ne seraient-elles pas davantage subies plutôt que voulues ? Ainsi, 28 % des élèves se déclarent insatisfaits de leur sort d’admission dans le supérieur.
Parcoursup n’évite pas la sélection, selon un rapport de la Cour des comptes de 2020 sur l’orientation des étudiants. Certains de mes collègues l’ont rappelé, la façon dont procèdent les commissions d’examen des vœux n’est pas totalement transparente. La publication ex post des critères retenus à l’issue de la procédure d’inscription ne suffit pas à garantir un traitement non sélectif.
Si le Conseil constitutionnel a approuvé le principe du secret de la délibération des jurys, il serait cependant souhaitable de définir certains des paramétrages retenus par les commissions d’examen des vœux et d’en écarter certains. Je pense en particulier au critère du lycée d’origine, parfois utilisé pour le départage dans les filières non sélectives en tension.
Enfin, en amont de Parcoursup, et bien que l’article L. 313-1 du code de l’éducation affirme le droit au conseil en orientation et à l’information sur les enseignements, il est urgent de renforcer la phase d’information individualisée des élèves durant leurs deux dernières années de lycée. Les politiques publiques en la matière devraient notamment mieux prendre en compte les difficultés propres aux élèves des milieux socialement défavorisés.
Il existe un phénomène bien connu d’autocensure chez les élèves les moins favorisés en matière d’orientation. Par ailleurs, plus de la moitié d’entre eux se retrouvent seuls à saisir leurs données sur Parcoursup, contrairement aux élèves des milieux favorisés, dont les deux tiers sont épaulés par leurs parents.
Pour conclure, mes chers collègues, je n’oublie pas le problème du stress, de plus en plus répandu chez les élèves.
Il existait auparavant chez les lycéens une sorte d’insouciance, dont nous avons nous-mêmes profité. Certes, le système d’entrée à l’université sur le mode du « premier arrivé, premier servi » n’était pas juste. Cependant, l’obtention du bac était davantage un moment de libération que la promesse d’une phase d’angoisse. En effet, tout comme APB, Parcoursup suscite encore beaucoup d’inquiétude, chez les parents aussi…
Mercredi dernier, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse a rappelé devant notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication l’importance du bien-être à l’école. Je partage sa préoccupation.
Madame la ministre, vous le savez, depuis la pandémie, l’attente est immense sur cet aspect de la vie scolaire qui n’est pas suffisamment pris en compte. Par conséquent, le groupe du RDSE compte sur vous pour mettre en œuvre des politiques visant à redonner aux jeunes l’espoir de tous les possibles. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je ressens comme vous l’ardente obligation de permettre à nos étudiants de réussir, d’accroître l’égalité des chances et d’accès à l’enseignement supérieur, dans une plus grande transparence.
Nous n’envisageons pas la transparence comme un outil visant des enseignants qui profiteraient, selon certains, de l’opacité du dispositif pour effectuer une sélection discriminante. Comme vous, je pense que la transparence peut être un levier pour améliorer l’accompagnement à l’orientation, pour rendre les résultats de Parcoursup plus prévisibles et, finalement, pour réduire le stress ressenti par les lycéens. Nous allons travailler en ce sens.
Parcoursup a accompagné depuis cinq ans les formations afin que les critères d’analyse des candidatures soient mieux compris. Là où il n’y avait rien, nous avons créé des attendus, puis prévu l’obligation d’afficher les critères. Nous irons encore plus loin, comme je l’indiquerai dans ma réponse finale.
Accroître la transparence est évidemment nécessaire. Mais je tiens aussi à préserver le secret de la délibération collégiale des enseignants, que vous avez évoquée. Il ne s’agit pas d’un réflexe corporatiste, et encore moins d’une volonté de sauvegarder l’opacité. Nous avons simplement la conviction que la délibération des enseignants est un acquis, que le Conseil constitutionnel a reconnu – vous l’avez rappelé –, et que la garantie d’un regard humain évite l’automatisation que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avait reprochée au dispositif APB.
Ne cédons pas collectivement à cette caricature consistant à jeter injustement l’opprobre sur les milliers d’enseignants qui procèdent à l’examen des dossiers avec détermination et la volonté chevillée au corps d’accueillir et de faire réussir leurs futurs étudiants.
J’insiste sur la place donnée aux étudiants boursiers dans la loi ORE et Parcoursup, sur la volonté de favoriser les cordées de la réussite ainsi que sur l’accompagnement mis en place à destination des enseignants du secondaire et des parents d’élèves. Des progrès restent à faire, et ils seront faits. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe CRCE d’avoir pris l’initiative de ce débat et à saluer l’intervention gaullienne de Pierre Ouzoulias. (Sourires.)
En 2019, devant le Sénat, Jean-Michel Blanquer déclarait à propos de Parcoursup et de la réforme du baccalauréat : « Pour la première fois, un véritable pont s’est construit entre l’enseignement secondaire et le supérieur. » Trois ans après, ce pont est-il véritablement en place ? On peut en douter.
Pourtant, en 2018 et 2019, une opportunité sans précédent se dessinait. Le mécanisme APB était à bout de souffle et Parcoursup paraissait s’imposer pour apaiser l’entrée dans le cycle des études supérieures. Le système d’orientation prenait davantage en considération le dossier de l’élève et donc ses capacités.
Au fond, Parcoursup apparaissait comme le moyen de renouer avec une école méritocratique, à un moment où de nombreux parents criaient leur inquiétude de voir leurs enfants dans l’incapacité de prendre un ascenseur qui ne les avait pas eux-mêmes conduits là où notre société leur avait, à un moment, laissé espérer une place.
C’est dans ce contexte que sont intervenues la réforme de Parcoursup, puis celle du baccalauréat. Car, hélas ! c’est bien dans cet ordre qu’elles ont été conduites, malgré les nombreuses alertes alors lancées quant à l’inversion du calendrier des réformes.
À l’origine, l’effort majeur devait porter sur l’orientation. Trois ans après, le constat est implacable, comme l’ont montré Sylvie Robert et Jean Hingray : la dotation horaire qui lui est consacrée est insuffisante. Bien souvent, ces heures sont utilisées pour terminer les programmes. De plus, les professeurs manquent de formation, et parfois d’indications, pour accompagner les élèves dans leurs choix de spécialités et dans la poursuite de leurs études.
Si la réforme est inachevée, c’est parce qu’elle n’a pas été une réussite au lycée. De même, elle a été inégalement mise en œuvre dans l’enseignement supérieur, qui peine à s’adapter. On constate que, en dehors de quelques associations de spécialités, qui débouchent sur des parcours construits de poursuite d’études, les spécialités du lycée restent mal articulées avec les formations de l’enseignement supérieur.
Seule une minorité d’établissements d’enseignement supérieur ont en effet réellement anticipé la réforme pour prendre en compte des profils plus diversifiés. À l’opposé, la plupart d’entre eux attendent pour agir l’arrivée de la première cohorte de lycéens ayant éprouvé cette réforme sur la totalité de leur scolarité dans le secondaire.
Plus grave encore, dans de nombreuses formations supérieures, les résultats du tronc commun sont davantage mis en avant que les spécialités (M. Pierre Ouzoulias opine.), ce qui va à l’encontre de la réforme et lui tourne même le dos. En effet, l’un des objectifs de celle-ci était de faire émerger des parcours plus personnalisés, incarnés par le choix de spécialités, avec un objectif essentiel : la plus large réussite des étudiants dans le supérieur.
Le fossé entre le « sup » et le « sco » est définitivement creusé dès lors que plus de la moitié des élèves abandonnent entre la première et la terminale des spécialités telles que « sciences de l’ingénieur » ou « numérique et sciences numériques », par crainte de ne pas être admis en classe préparatoire, alors même que les écoles d’ingénieur sont désireuses de ces spécialités.
On mesure là l’échec de la réforme : elle ne permet pas aux lycéens, alors même que c’était son but originel, de se muer progressivement en étudiants et de se donner un maximum de chances.
On mesure ainsi l’échec du continuum entre lycée et licence : on constate que le pont entre l’enseignement secondaire et le supérieur, qu’évoquait Jean-Michel Blanquer, est loin d’être achevé !
C’est à l’aune de cet échec qu’il faut analyser les angoisses des futurs étudiants et de leurs familles face à Parcoursup. Les débats sur les algorithmes et le fonctionnement technique de la plateforme, l’émotion suscitée par la situation des lycéens sans solution ou par le manque d’accompagnement sont d’abord le résultat des faiblesses de l’articulation entre la réforme du baccalauréat et les attendus de l’enseignement supérieur.
Certes, des progrès doivent être faits concernant le fonctionnement de la plateforme, mais l’essentiel réside dans une approche plus large et plus volontariste de l’orientation des lycéens et dans une réelle prise en considération du nouveau baccalauréat par l’enseignement supérieur dans la définition de ses attendus.
Au-delà des enjeux inhérents à la plateforme Parcoursup et à son fonctionnement, c’est le continuum entre lycée et licence, ou bac–3/bac+3, qui reste à constituer (M. Pierre Ouzoulias marque son approbation.) ; c’est le pont dont parlait Jean-Michel Blanquer qui reste à construire.
Madame la ministre, comment envisagez-vous, au-delà de l’amélioration du fonctionnement de la plateforme, de travailler avec votre collègue de l’éducation nationale pour construire ce continuum et un système d’orientation qui permette, de manière apaisée, à des lycéens d’approfondir dans l’enseignement supérieur leurs choix faits au lycée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Jacques Grosperrin. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué, avec raison, l’enjeu de la continuité des parcours entre l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur. Cette question, qui m’anime depuis des années, est l’un des grands défis de notre temps, hier, aujourd’hui et demain.
L’enjeu est en effet une meilleure orientation dans le secondaire, pour sécuriser les parcours des lycéens, mais aussi – vous l’avez dit – une plus grande personnalisation des parcours dans l’enseignement supérieur, pour favoriser la réussite des étudiants.
Pendant longtemps, le continuum bac–3/bac+3 est resté un concept, une coquille vide, ou un objectif que l’on essayait d’atteindre. Avec Parcoursup et la réforme du lycée, nous avons ouvert la voie à cette continuité afin d’éviter les ruptures. Avec le ministre de l’éducation nationale, nous avons décidé de travailler sur ce sujet et de franchir un pas.
Le sujet que vous avez abordé recouvre une véritable philosophie de l’enseignement, dont nous devons débattre. Nous sommes au XXIe siècle ! Vous avez d’ailleurs évoqué le numérique, le digital ; je pourrais y ajouter les sciences de l’ingénieur, ainsi que nombre de disciplines, de compétences et de connaissances dont nos jeunes ont besoin aujourd’hui.
Il faut faire plus que revoir le continuum bac–3/bac+3, même si celui-ci est nécessaire et si nous devons y travailler : il convient de bâtir une nouvelle philosophie, pour avoir des têtes bien faites plutôt que des têtes bien pleines, pour reprendre les mots de Montaigne, et pour apprendre à apprendre.
Nous devons repenser l’ensemble des connaissances et des compétences que nos élèves et nos étudiants doivent acquérir tout au long de leur parcours – à l’école, au lycée, à l’université –, puis dans l’exercice de leur métier. Ce travail de fond doit être mené dans le cadre du continuum bac–3/bac+3 et d’un enseignement pédagogique adapté au XXIe siècle, en prévoyant des passerelles et une formation tout au long de la vie. C’est une refonte complète que nous devons penser !