M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. L’intelligence de la main vaut l’intelligence de l’esprit. Valorisons le talent de nos enfants et revalorisons la voie professionnelle.
Cette voie a longtemps été considérée, par les élèves et leurs familles, comme un choix par défaut après la classe de troisième. Heureusement, les mentalités évoluent et de plus en plus de jeunes – un sur trois, selon vos services, madame la ministre – empruntent cette voie.
Cette dernière s’adresse principalement à des jeunes motivés pour apprendre un métier et intégrer rapidement le monde de l’entreprise. Pour ces élèves qui ont besoin de « faire » et qui ne s’épanouissent pas dans un enseignement plus théorique, c’est un vrai chemin de réussite.
En 2021, 718 000 contrats d’apprentissage ont été signés, dont 60 000 dans l’enseignement professionnel. Cette évolution représente globalement 40 000 contrats de plus par rapport à 2020.
Néanmoins, un problème demeure : ces jeunes se heurtent souvent à des difficultés pour trouver leur stage, leur alternance ou leur apprentissage dans une entreprise qui leur fera confiance. Comment renforcer le lien de proximité entre le milieu éducatif et l’entreprise ? On peut imaginer organiser plus de forums pour les mettre en relation, en s’appuyant davantage sur les chambres consulaires, instituer des incitations pour les entreprises ou impliquer davantage les collectivités.
Juste après l’obtention du CAP ou du bac pro, ces sorties rapides ne sont pas toujours couronnées de succès, puisque seulement 32 % de titulaires du CAP et 45 % des titulaires du bac pro trouvent un emploi dans les douze mois qui suivent la fin de leur formation.
Madame la ministre, il y a, à l’évidence, des marges de progrès pour améliorer la recherche d’emploi de ces jeunes, qui souhaitent entrer rapidement dans la vie active. Quelles pistes envisagez-vous pour leur permettre de trouver plus facilement un emploi et quels leviers pourraient inciter les entreprises à les recruter plus rapidement, alors même qu’elles recherchent des salariés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la manière d’améliorer l’insertion dans l’emploi des élèves en voie professionnelle.
À la suite de l’obtention d’un diplôme professionnel, l’insertion des jeunes s’avère insuffisante, même si la moyenne des chiffres masque des taux d’insertion très inégaux selon les lycées. Pourtant, il existe dans notre pays de nombreux métiers en tension, et des métiers d’avenir nécessitant une formation.
Pour cette raison, j’ai installé un groupe de travail chargé de réfléchir spécifiquement au renforcement de l’insertion professionnelle. Sa mission sera de faire des propositions pour améliorer l’employabilité à l’issue des différents diplômes, adapter ces derniers aux publics et les inscrire dans des parcours de réussite.
Il faut d’abord mener une réflexion sur la carte des formations professionnelles. Les territoires doivent pouvoir proposer une large offre de diplômes assurant de vraies perspectives professionnelles en lien avec les besoins des entreprises et du bassin d’emploi.
Il faut ensuite veiller à ce que les élèves soient utilement éclairés à travers l’orientation en amont et un accompagnement régulier au cours de la formation.
La préparation d’un diplôme suppose en effet une personnalisation de l’accompagnement des jeunes – il convient de les former aux enjeux techniques, mais aussi de développer leurs compétences psychosociales – et un rapprochement entre les établissements d’enseignement et les entreprises.
Vous l’aurez compris, madame la sénatrice, aucune piste n’est écartée.
Parmi les propositions pouvant être envisagées : l’accompagnement après le diplôme, un temps de scolarité complémentaire – durant quelques mois ou même une année – avant l’insertion dans le monde du travail ou la poursuite d’études, ou encore la possibilité pour ces jeunes de faire davantage de stages en entreprise.
Pour conclure, l’idée centrale est de travailler tous ensemble au rapprochement entre le monde économique et le monde éducatif, ce qui sera gage de réussite.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Je me réjouis que nous ayons ce temps de débat sur l’enseignement professionnel au sein de notre hémicycle. Je remercie le groupe Les Républicains de cette initiative.
Madame la ministre, je vous interrogerai, pour ma part, sur la volonté du Président de la République d’adapter l’offre de formation des lycées professionnels aux besoins des bassins d’emplois locaux.
S’il s’engage dans cette voie, le lycée professionnel verrouillera le destin des élèves qui en fréquentent les bancs, puisque leur appartenance géographique à cet instant t déterminera leur carrière professionnelle.
Alors qu’il faudrait, au contraire, veiller à ne fermer aucune porte à ces élèves, y compris dans l’accès à des études supérieures, on réduit leur capacité de choisir librement leur avenir, d’autant que la réforme prévoit également la diminution des heures consacrées aux enseignements fondamentaux.
Plus encore, cette vision de court terme ne prend pas en compte la diversité des territoires. Qu’en sera-t-il de ceux où les bassins économiques sont fortement sinistrés et l’accès à l’emploi déjà compliqué ?
En outre, cette vision fait peser sur les établissements et les professeurs dont la formation ne serait plus jugée adaptée la lourde charge de la reconversion pour répondre à ces nouveaux besoins, peut-être éphémères.
Enfin, elle interroge sur la philosophie même de notre école. Le seul rôle de notre lycée professionnel serait-il de fournir une main-d’œuvre prête à l’emploi pour les entreprises locales ?
Pour conclure, les alertes que je vous lance sont partagées par les parents d’élèves et par les syndicats, attachés, comme nous devrions toutes et tous l’être, à la dimension nationale du bac professionnel et à la garantie de l’égalité entre les élèves. En tiendrez-vous compte dans le cadre des groupes de travail que vous avez réunis pour élaborer cette réforme ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur l’adéquation entre les besoins du marché du travail et les offres de formation en voie professionnelle. Les disparités existantes sont importantes : le taux d’insertion des élèves dans l’emploi oscille entre 10 % et 80 %.
Cette réalité doit nous amener à réfléchir sur des enjeux aussi majeurs que l’adéquation entre la carte des formations et l’insertion, ou encore l’accompagnement des jeunes vers l’emploi, même s’ils n’ont pas toujours acquis les codes de l’entreprise.
Face aux disparités importantes, il nous faut aussi mener une réflexion sur les savoirs fondamentaux. Je l’ai dit et répété, à la suite du Président de la République : nous sommes attachés à ces savoirs et nous maintiendrons la qualité de leur enseignement. En effet, nous sommes convaincus que nous n’accompagnerons pas de futurs professionnels s’ils ne sont pas aussi des citoyens éclairés. Leur citoyenneté sera une part déterminante de leur vie future, dans leur parcours individuel comme dans leur parcours professionnel.
Nous devons aussi nous pencher sur la découverte des métiers, car la question de l’orientation subie est un vrai sujet. Le groupe de travail dédié au décrochage s’y consacrera notamment.
Soyez rassurée, madame la sénatrice : la question de la synergie entre la carte des formations et les besoins économiques n’est pas un travail de court terme. Il faut s’y intéresser, car les enjeux sont multiples : projection dans l’emploi, mutations économiques à venir… Cela ne représente pas l’œuvre de quelques semaines ou de quelques mois : il faut former les enseignants, préparer les plateaux techniques, renforcer les liens avec les entreprises, etc. Tout cela s’inscrira dans la durée, pour mieux appréhender, au travers de divers projets, les mutations économiques et les métiers d’avenir.
Si le lycée professionnel ne s’empare pas de ces défis, il laissera la place à d’autres acteurs. Si je ne m’abuse, nous sommes vous et moi convaincues que le lycée professionnel a toute sa place à prendre dans la formation de nos jeunes.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre Monier. Vous vous dites attachée aux savoirs fondamentaux. Toutefois, en réduisant les heures d’enseignement général, vous les mettez à mal.
Par ailleurs, il ne faut pas confondre, dans les débats, la voie de l’apprentissage et celle du lycée professionnel.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Diverses réformes ont déjà fait perdre beaucoup d’heures de cours aux lycéens de l’enseignement professionnel, particulièrement dans les disciplines générales.
Le résultat est que les élèves inscrits en CAP n’ont plus, par exemple, qu’une heure trente de français hebdomadaire.
Vous envisagez à présent d’augmenter les périodes de stage en milieu professionnel. Cela se traduirait inévitablement, madame la ministre, par une nouvelle réduction de la formation théorique.
Mesurez-vous les conséquences d’un tel choix alors même que les élèves de l’enseignement professionnel ont besoin des enseignements généraux, car ils en sont souvent les plus éloignés ? Comment ceux qui le souhaitent pourraient-ils poursuivre des études supérieures à l’issue d’un tel cursus ?
Et comment envisager sérieusement une augmentation significative des périodes en entreprise quand on sait la difficulté de trouver des terrains de stage ?
Vous dites vouloir augmenter la rémunération des stages pour l’aligner sur celles des apprentis. Toutefois, à la différence des stagiaires, qui perçoivent une gratification et sont sous statut scolaire, les apprentis sont salariés de l’entreprise qui les embauche. Quel sera le statut des lycéens ? Qui les rémunérera ? Pour quel montant ? Sous quel statut ?
Les élèves des lycées professionnels, qui représentent un tiers des lycéens de notre pays, méritent d’être traités à égale dignité de ceux de la voie générale.
Enfin, depuis juin dernier, un décret permet aux enseignants des lycées professionnels d’enseigner en lycée général et technologique ou en collège, avec l’avantage que ceux-ci dispensent deux matières différentes. Cette réforme serait-elle une manière inavouée de faire face à la crise de recrutement que nous connaissons dans l’éducation nationale en raison de la faiblesse des salaires et du manque de reconnaissance des enseignants ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, permettez-moi de réaffirmer qu’il n’y aura pas de diminution des heures d’enseignement général pour les élèves de CAP et de bac professionnel. Au contraire, nous souhaitons faire mieux.
Permettez-moi de vous rappeler ce que je disais en préambule. D’ores et déjà, avant même cette réforme de la transformation de la voie professionnelle (TVP), 28 % d’élèves issus de CAP ont des difficultés en lecture, et 16 % des élèves issus de baccalauréats professionnels. Ce constat nous incite à l’action, et à l’ajustement des modalités pédagogiques pour accompagner les élèves et faire non pas moins, mais mieux au niveau de l’enseignement.
Ne sachant plus comment vous le dire de sorte que vous cessiez de déformer mes propos (Mme Céline Brulin et M. Pierre Ouzoulias protestent.), je le répète : nous constatons une maîtrise nettement plus faible des savoirs fondamentaux de la part des élèves de la voie professionnelle par rapport à ceux de la voie générale et technologique. Il est de notre responsabilité de mettre les moyens nécessaires pour parvenir à la réduction de ces écarts.
Pour le dire également une nouvelle fois, l’entreprise nous paraît être un maillon extrêmement important. La découverte des métiers donnera la capacité de bénéficier d’une orientation choisie, qui est l’un de nos défis.
L’accès à l’information – vous en avez parlé, madame la sénatrice – le permettra également. Nous avons fait beaucoup au cours du précédent mandat pour organiser l’interaction entre les familles, les élèves et les entreprises, notamment au travers des dispositifs « 1 jeune, 1 solution » ou « InserJeunes », ce dernier permettant de disposer d’une lisibilité d’ensemble sur les taux d’insertion pour chaque diplôme. Il convient également de citer le dispositif Affelnet, un outil d’affectation qui nous permet de travailler en cohérence avec les cartes des formations.
Les enjeux – vous le voyez – sont multiples. Ils ne se limitent pas à des propos déformés. Ils nous engagent à agir dans l’intérêt des jeunes et dans le sens de la qualité de leurs savoirs fondamentaux.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Madame la ministre, nous allons continuer à vous poser des questions. Il serait bien que vous y répondiez ! Hormis le fait de dire que des groupes de travail ont été mis en place, à cette heure nous n’en savons pas davantage qu’à notre entrée dans l’hémicycle…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Céline Brulin. C’est précisément parce que nous voulons des réponses que nos collègues Les Républicains ont demandé ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Je m’associe aux remerciements adressés au groupe Les Républicains pour avoir demandé ce débat, et remercie en particulier notre collègue Max Brisson.
Lors de sa visite courant septembre au lycée Éric-Tabarly – avec vous, madame la ministre – aux Sables-d’Olonne, en Vendée, le président Emmanuel Macron a reconnu qu’il fallait informer les collégiens « plus tôt » et « mieux » sur les formations professionnelles.
Les établissements vendéens avec lesquels j’ai pu échanger partagent le même constat : faute d’information, les débouchés multiples des lycées professionnels ne sont absolument pas valorisés, alors même que les choix en matière d’études supérieures et de passerelles ne manquent pas, allant du certificat de spécialisation à l’école d’ingénieur, en passant par le BTS, le bachelor universitaire de technologie (BUT) et la licence.
Comment prôner et encourager l’excellence des filières professionnelles si nos jeunes n’ont pas de visibilité sur le « post-bac pro » et qu’ils n’ont pas conscience de la possibilité de poursuivre des études au-delà du lycée ?
Madame la ministre, qu’entendez-vous faire pour offrir aux élèves et aux familles, mais également aux professeurs et aux établissements du secondaire, l’accès à une information complète et qualitative pour une orientation éclairée ?
Orientation rimant avec affectation, j’aborderai également ce sujet. Actuellement, le service en ligne Affectation, accessible aux élèves de troisième, repose uniquement sur un arbitrage basé sur les résultats académiques obtenus par les élèves au cours de leur scolarité, sur la décision d’orientation prise au conseil de classe de fin de troisième et sur le nombre de places disponibles. L’intérêt et l’appétence des élèves pour la filière à laquelle ils candidatent ne sont pas pris en compte.
Aussi, madame la ministre, que comptez-vous mettre en place pour intégrer le projet professionnel de chaque élève au système d’affectation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Je vous remercie, madame Billon, de nous interpeller sur ce sujet clé. Divers travaux de concertation sont en cours ; un groupe se penche sur l’enjeu du décrochage. Évidemment, le sens que les jeunes donnent à leur poursuite d’études est déterminant.
Nous avons déjà prévu de nous pencher sur un premier enjeu, majeur : la découverte des métiers. Actuellement, les élèves sont trop souvent orientés vers la voie professionnelle lorsqu’ils ont de moins bons résultats que les autres au collège.
Faire évoluer ce postulat au travers d’une découverte des métiers au collège dès la classe de cinquième sera une action majeure que j’entends mettre en place. De fait, près d’un collégien sur deux ne connaît que quelques métiers, le plus souvent ceux de l’environnement proche. Il faut employer nos efforts à faire découvrir la variété des métiers et du monde professionnel, car l’orientation choisie est un élément déterminant pour favoriser la réussite professionnelle.
Un deuxième enjeu est celui de l’accès à l’information. Nous disposons d’un ensemble d’outils donnant la capacité aux élèves de mieux préparer leur avenir en assurant une meilleure visibilité aux différentes possibilités d’insertion, notamment « 1 jeune, 1 solution », « InserJeunes » et Affelnet que j’ai déjà cités.
Un troisième enjeu touche précisément à la carte des formations. Un travail sur le choix de chacune des formations proposées et sur l’employabilité à l’issue de l’obtention du diplôme doit être mené, en collaboration avec les régions.
Le premier comité de pilotage national de la découverte des métiers s’est tenu il y a quelques jours et je serai demain à Orléans à l’occasion de la première rencontre interrégions sur l’orientation pour aborder ce sujet. J’ai une pleine confiance en ce partenariat État-régions.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’enseignement professionnel reste parfois encore sous-valorisé, à tort. Pourtant, je rappellerai que, en marge de la voie professionnelle classique, le fameux compagnonnage français est inscrit depuis 2010 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité sous le titre « Le compagnonnage, réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier ».
Pour peu qu’ils soient bien mieux reconnus socialement, comme ce fut le cas durant la pandémie avec les professions dites de première ligne, tous les métiers ont du sens.
L’enseignement professionnel offre un potentiel de parcours nécessaires pour répondre à la fois aux aspirations de nombreux jeunes et aux besoins non satisfaits du marché du travail.
Dans ces conditions, la réforme du lycée professionnel met davantage l’entreprise au cœur de la formation, notamment au travers du projet de développement de l’apprentissage dans tous les secteurs d’activité et tous les lycées professionnels.
Néanmoins, je m’interroge sur la tendance à une forte spécialisation de la voie professionnelle. En effet, il est observé que deux tiers des élèves se concentrent dans trois spécialités du secteur tertiaire : le commerce, la gestion-administration et les soins et services à la personne.
En outre, le monde économique exprime, en son sein, une demande contradictoire. Certaines entreprises souhaitent des profils aux compétences transversales tandis que d’autres souhaitent que davantage de spécialités soient proposées aux élèves.
Aussi, madame la ministre, comment résoudre cette équation entre de nouveaux besoins de spécialités, notamment sous l’effet des évolutions technologiques et industrielles, et une orientation des élèves vers un même type de formation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur, vous touchez au cœur d’un dispositif qu’il nous faut mieux accompagner.
Le premier enjeu est de trouver la juste adéquation entre les formations et la préparation des compétences de nos jeunes. Ces derniers devront s’adapter, tout au long de leur carrière professionnelle, aux métiers ; ils devront également s’adapter aux mutations que connaîtront les professions.
Le second enjeu a trait aux besoins du monde économique : les compétences des personnes issues de nos dispositifs de formation doivent pouvoir y répondre.
Je tiens à souligner à quel point le lycée professionnel s’est déjà emparé de l’apprentissage, sans se restreindre à une modalité unique. Le statut scolaire – nous insistons sur ce point – a toute sa place au sein du lycée professionnel, de même que le statut d’apprenti, dont l’essor est clair depuis plusieurs années.
La variété des besoins des entreprises est l’un de nos défis. Elle doit nous encourager à accélérer la révision de la carte des formations, évoquée précédemment, mais aussi à travailler avec nos partenaires régionaux pour identifier les enjeux économiques de demain.
En effet, nous devons préparer les compétences dont nous aurons besoin dans les années à venir en accompagnant les transformations en cours et en investissant, conformément aux besoins, dans la formation des enseignants, les partenariats avec les entreprises et les plateaux techniques indispensables. Ainsi, le lycée professionnel sera au rendez-vous des enjeux d’avenir, notamment la souveraineté industrielle et, plus largement, économique.
Pour conclure, nous sommes, bien entendu, conscients que les approches simplistes n’ont pas leur place. Pour établir notre stratégie en matière de carte des formations et être plus ambitieux, nous devons travailler en partenariat avec l’ensemble des acteurs, territoriaux et économiques, pour dessiner les compétences nécessaires à notre souveraineté nationale. Face à un tel défi, notre coopération doit être maximale.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Madame la ministre, je vais vous donner l’occasion de répondre aux demandes de précisions de Mme Brulin.
M. Pierre Ouzoulias. Ah !
M. Max Brisson. En effet, je souhaiterais que vous reveniez sur la place des enseignements généraux dans la formation des jeunes en lycée professionnel.
Concrètement, que fait-on ? Si l’annonce du doublement de la durée des stages peut se comprendre pour rapprocher formation en lycée professionnel et monde de l’entreprise, comment y parvenir sans réduire à la portion congrue la maîtrise des savoirs fondamentaux pour des élèves qui ne les maîtrisent qu’imparfaitement ?
Mme Céline Brulin. Tout à fait !
M. Max Brisson. L’enjeu, pour ces élèves, est celui de la réussite professionnelle. En effet, comment intégrer une entreprise sans maîtriser le socle minimum de connaissances et de compétences ? Plus encore, l’enjeu est démocratique, car il convient de former de futurs citoyens éclairés. Madame la ministre, comment allez-vous trouver le bon équilibre ?
En outre, réfléchissez-vous à la nature de ces enseignements généraux ? Ne faut-il pas renouveler leur contenu et leur didactique afin que les élèves ne les vivent pas comme la suite de leur scolarité marquée par l’échec, mais comme un nouveau point de départ ?
Face à un tel objectif, ne faut-il pas étudier ce que font les lycées agricoles, lesquels organisent avec succès un enseignement socioculturel mêlant éducation à l’environnement social et culturel, éducation artistique, formation à l’autonomie et à la communication ?
Madame la ministre, le renouvellement des enseignements généraux et des pratiques est-il à l’ordre du jour de vos concertations ? L’expérience des lycées agricoles peut-elle être élargie ? En somme, quelle est votre réflexion sur la place de l’enseignement des disciplines non professionnelles ? (Mme Sylvie Robert marque son approbation.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Vous m’interrogez, monsieur le sénateur, sur la répartition, au sein de la scolarité en voie professionnelle, entre temps d’enseignement général et périodes de formation en milieu professionnel. De fait, les CAP et les bacs pro sont des diplômes professionnels à insertion professionnelle directe pour ceux qui le souhaitent, même si – nous l’avons dit – le taux d’accès à l’emploi après le diplôme doit être amélioré.
Plus un jeune fréquente l’entreprise, plus il a de chances de s’y insérer durablement. Nous devons le prendre en considération. Pour les élèves en CAP, l’enseignement professionnel représente 55 % du temps de formation, les enseignements généraux 25 % et les stages 20 %, soit, pour ces derniers, entre douze et seize semaines sur deux ans selon les spécialités. Pour les élèves en bac professionnel, 42 % du temps est consacré à l’enseignement professionnel, 33 % aux enseignements généraux et 25 % aux stages, soit entre dix-huit et vingt-deux semaines au cours des trois années de formation.
J’aimerais vous rassurer. Nous préserverons le temps des savoirs fondamentaux : la réforme que nous menons n’a pas pour objectif de réduire le volume d’enseignement en lycée professionnel, qu’il soit général ou à caractère professionnel. S’il faut davantage de temps à ces lycéens pour qu’ils s’immergent plus et mieux dans le monde de l’entreprise, il faut aussi faire plus et mieux du côté de l’enseignement.
Par conséquent, toutes les options seront étudiées pour réaliser un tel compromis. Des temps complémentaires pourront être consacrés aux élèves qui en ont le plus besoin.
Il me semble particulièrement important de sortir du dogme de l’opposition des modèles. Par exemple, nous sommes très intéressés par le modèle du lycée agricole ; bien qu’il ne s’inscrive pas dans la même échelle que celle du lycée professionnel, et n’ouvre pas, ainsi, les mêmes possibilités, c’est un modèle qui fonctionne. Pour cette raison, nous avons étudié ce modèle inspirant, et associé ses acteurs aux groupes de travail qui mènent actuellement leurs réflexions afin de formuler des propositions.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. C’est un problème de mathématiques…
M. Max Brisson. Vous voulez à la fois préserver le temps d’enseignement général et augmenter le temps de stage en entreprise. Vous êtes confrontée à un véritable problème lié aux annonces du Président de la République, qui s’est peut-être montré imprudent.