Mme la présidente. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. André Guiol. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons approuver aujourd’hui la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée.
Il y a quelques mois, cette étape n’aurait pas suscité beaucoup de commentaires. Bien que tumultueuses à la fin de la dernière décennie, nos relations avec l’Italie ont depuis lors connu une embellie. C’est d’ailleurs dans ce contexte d’apaisement diplomatique entre Paris et Rome que le traité dit « du Quirinal » a pu être signé, sans ambages, le 26 novembre 2021.
Oui, mais voilà : les récentes élections législatives en Italie ont porté au pouvoir Giorgia Meloni. La situation politique italienne, source d’inquiétudes, justifie à elle seule, disons-le, notre débat d’aujourd’hui.
L’appartenance de la Première ministre au parti d’extrême droite Fratelli d’Italia et sa prétendue admiration pour Mussolini ont de quoi susciter des interrogations… J’ajouterai que les déclarations pro-poutiniennes de certains membres de son équipe gouvernementale et les discours conservateurs de certains autres font peser une menace sur les valeurs auxquelles la France est attachée.
Pour autant, ne devons-nous pas dissocier le traité, qui est un engagement de long terme entre la France et l’Italie, de la nouvelle donne politique italienne, qui, elle, est conjoncturelle par nature ? Les dirigeants passent, les traités restent…
Parce qu’il engage nos deux pays sur la voie d’une coopération étroite dans de nombreux domaines, ce traité n’est-il pas, d’une certaine façon, l’un des moyens de maintenir l’Italie dans le giron de la démocratie ?
Je pense aux dispositions visant à multiplier les échanges entre nos administrations, ainsi que les partenariats entre nos économies et nos territoires – ceux qui sont transfrontaliers, en particulier. Je pense également à l’article 9, qui place la jeunesse au cœur de la relation franco-italienne, ou encore aux engagements pris dans le domaine de la défense pour renforcer les coopérations capacitaires et opérationnelles, spatiales et industrielles.
Tous ces volets devraient permettre de conforter notre amitié avec l’Italie, un pays avec lequel, rappelons-le, nous avons la culture latine en partage.
Ce traité est aussi un levier pour développer une vision européenne commune, comme le rappelle son article 3, selon lequel les deux États « œuvrent ensemble pour une Europe démocratique, unie et souveraine et pour le développement de l’autonomie stratégique européenne ».
À cet égard, la Première ministre italienne a donné des gages à Bruxelles, puisqu’elle a rappelé hier devant les députés que l’Italie faisait pleinement partie de l’Union européenne et de l’Otan. « On va juger un peu sur les actes », pour reprendre la formule employée par le Président de la République, dimanche dernier. Nous verrons, mais nous pouvons parier que, en raison de sa dépendance économique au plan de relance européen – près de 200 milliards d’euros – à la suite de la pandémie, Rome ne s’éloignera guère de l’Europe, car tel n’est pas son intérêt.
Il est de la responsabilité de l’Union européenne, en retour, d’appréhender davantage les défis qui, parfois, mettent à l’épreuve la cohésion européenne. Je pense en particulier à la question migratoire, à laquelle les pays européens bordant la Méditerranée, placés en première ligne, doivent faire face. Le traité bilatéral entre la France et l’Italie qui nous occupe aujourd’hui inclut ce sujet. C’est une bonne chose, surtout si notre pays arrive à imposer les valeurs qui sont les siennes.
Mes chers collègues, ce traité laisse entrevoir, au moins sur le papier, un approfondissement de la coopération franco-italienne. Mais il nous faudra être vigilants sur son application, car ceux qui dirigent l’Italie aujourd’hui n’ont pas voté en faveur du traité lorsqu’ils étaient dans l’opposition. En attendant, il conviendra de tirer tout le monde vers le haut, si j’ose dire, et d’autoriser la ratification de ce traité approuvé à l’unanimité par nos collègues députés.
Enfin, maintenons notre confiance dans le peuple italien, car il nous faut garder à l’esprit leurs bonnes intentions originelles et nous souvenir, en signe d’espoir, d’où vient le chant Bella Ciao.
C’est pourquoi mon groupe approuvera ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, rares sont les nations dont on peut dire, sans emphase excessive, qu’elles sont des nations sœurs. L’Italie et la France, sans conteste, en font partie.
Au fil du temps, nos relations ont naturellement connu bien des vicissitudes, et nos contacts ont été aussi fructueux que tumultueux. Comment, en vingt siècles d’histoire partagée, pourrait-il en être autrement ?
Compte tenu de la richesse de notre passé commun, dresser un inventaire exhaustif des influences que chaque pays ou société a exercées sur l’autre serait un exercice sans doute impossible. La profondeur des liens qui nous unissent se retrouve d’ailleurs jusque dans le Palais du Luxembourg où nous siégeons : il fut construit dans un style italien, pour une reine de France venue d’Italie. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Gattolin. Tout à fait !
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Retenons simplement que si, tout au long de l’histoire, des guerres ont pu nous opposer et des différends nous éloigner, la culture nous a toujours rapprochés. Elle est le terreau d’une relation qui trouve ses moteurs dans une géographie commune, dans des liens économiques profonds et dans une nécessité de répondre ensemble aux défis contemporains.
Ainsi, nous partageons plus de 500 kilomètres de frontières alpines et une partie de la mer Méditerranée, où nous sommes confrontés aux mêmes enjeux environnementaux, migratoires et stratégiques. À la faveur des 82 milliards d’euros d’échanges de biens et de services en 2019, la France et l’Italie sont l’une pour l’autre des partenaires commerciaux de tout premier plan.
Jusqu’à présent, le rapport, évident et naturel, que nous entretenons avec nos voisins transalpins ne s’est traduit par aucun traité d’amitié ou de coopération globale.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui tend à combler ce manque. Il sanctuarise en quelque sorte notre relation, la structure et la met en valeur, avec, en filigrane, l’ambition de la hisser au niveau de celle que nous entretenons avec l’Allemagne. Nos deux pays, ainsi que l’Union européenne qu’ils ont contribué à fonder, ont naturellement tout à y gagner.
Certes, nous sommes appelés à en autoriser la ratification au lendemain des élections parlementaires du 25 septembre 2022, qui ont vu les citoyens italiens placer en tête de leurs suffrages une coalition qui suscite des interrogations et, parfois, des inquiétudes.
Toutefois, permettez-moi de souligner que le peuple italien s’est exprimé souverainement et que son choix doit évidemment être respecté. Gardons-nous d’utiliser l’examen du traité du Quirinal pour adresser un message, voire une sanction, aux électeurs italiens ou au gouvernement qu’ils ont choisi et qui vient à peine de se constituer.
Au reste, ce texte réaffirme des valeurs essentielles et n’a pas vocation à créer des obligations réciproques. Il a pour ambition de proposer une matrice, afin de développer un « réflexe franco-italien » et de renforcer, par les échanges, la compréhension réciproque de nos sociétés et la coopération entre nos institutions.
C’est bien aux gouvernements, actuels et futurs, aux administrations, aux collectivités et aux sociétés civiles situées des deux côtés des Alpes qu’il appartiendra de faire vivre, ou non, le cadre posé par ce traité. Celui-ci est appelé à se déployer dans nombre de domaines : affaires étrangères, sécurité, défense, politique migratoire, économie, enseignement, culture et coopération transfrontalière.
La France et l’Italie ont des choses à se dire, à partager et à apporter à l’Union européenne dans son ensemble. Je pense en particulier aux dispositions concernant la sécurité et la défense. Dans le contexte actuel, dont nous débattons encore ce soir, il n’est nul besoin de rappeler qu’il s’agit d’un domaine fondamental, pour ne pas dire vital.
Nous faisons face à de nombreux défis et à de nouvelles crises dans le bassin méditerranéen. Cette situation et cette période d’instabilité où les enjeux sont considérables traduisent l’exigence et la nécessité de renforcer notre coopération pour la sécurité de l’Union européenne.
Nous bénéficions de convergences réelles, en particulier notre souci constant à l’égard de la Méditerranée et de tout ce qui affecte la stabilité de ses rives. Cet aspect figure d’ailleurs en bonne place au sein du traité.
Toutefois, nous pourrions rapprocher davantage nos visions stratégiques, qui ne sont pas toujours synchrones. À titre d’exemple, si la réflexion sur l’autonomie stratégique progresse en Italie également, j’ai pu constater lors d’un déplacement à Rome à la fin de l’année dernière que nous ne mettions pas forcément les mêmes éléments derrière ce concept. Nos coopérations industrielles et opérationnelles, intenses, mais limitées à une poignée de secteurs, mériteraient également d’être élargies.
Je me réjouis donc que le traité et sa feuille de route institutionnalisent un dialogue stratégique soutenu et qu’ils mettent l’accent sur les synergies capacitaires et opérationnelles, ainsi que sur les alliances à développer entre nos industries de défense.
Saluons en outre la volonté d’avancer ensemble dans le secteur spatial, qui est si stratégique. Nos liens sont déjà nombreux en la matière, mais nous devrons immanquablement apprendre à mieux unir nos forces avec cet autre poids lourd européen du secteur spatial, si nous voulons faire face à une concurrence internationale de plus en plus rude.
Il était également important que le traité aborde les questions migratoires, qui ont été un point de discorde majeur ces dernières années, conduisant parfois à la brouille diplomatique.
Elles ne sont pas éludées, même si, il faut bien le reconnaître, elles sont traitées de façon assez sommaire. Retenons qu’un mécanisme de concertation renforcée est créé au niveau ministériel et que celui-ci pourra s’appuyer sur une unité opérationnelle conjointe.
Nos mésententes passées l’ont prouvé : en Méditerranée comme dans les Alpes, nous ne trouverons pas de solution efficace sans concertation. Notre groupe restera bien sûr extrêmement attentif aux évolutions de la situation migratoire sur le terrain, mais ces nouveaux dispositifs sont en soi un progrès.
Je dirai un mot enfin sur la jeunesse. Nous savons tout le rôle qu’a joué l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) dans le resserrement des liens entre la France et l’Allemagne. Depuis soixante ans, près de 10 millions de jeunes ont pu, grâce à cette structure, participer à des programmes d’échange, faisant ainsi de la coopération franco-allemande une relation humaine, et pas seulement institutionnelle.
Dans ce domaine, les échanges transalpins ne partent pas d’une page blanche, loin de là ! Mais la création par ce traité d’un Conseil franco-italien de la jeunesse et d’un service civique franco-italien viendra accélérer et amplifier les contacts noués par ceux qui feront l’avenir de nos deux pays.
C’est peut-être la réussite de ce type de dispositifs qui, finalement, offrira le meilleur gage de succès du traité du Quirinal, car, au-delà des inévitables fluctuations de toute relation bilatérale, c’est bien le lien profond entre nos deux peuples qui permettra à ce texte de résister à l’épreuve du temps.
L’expérience passée nous incite à l’optimisme. Nous avons aujourd’hui l’occasion solennelle de réaffirmer et de consolider l’amitié profonde que se portent les nations française et italienne. Le groupe Les Républicains la saisira et soutiendra la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. André Gattolin et Thierry Cozic applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France et l’Italie entretiennent une relation de très longue date, en raison de la proximité de nos deux pays, mais également de notre histoire commune.
Au temps des Gaulois et des Romains, nos cultures s’influençaient déjà. Nos pays ont connu ensemble la Renaissance – le Palais du Luxembourg n’en est-il pas l’un des exemples ? Cette relation est, pour ainsi dire, l’une des composantes les plus essentielles de notre civilisation. Plus récemment, nous avons construit, ensemble, l’Union européenne – nous faisons tous les deux parties des six pays fondateurs.
Le 25 septembre dernier, Mme Giorgia Meloni a remporté les élections parlementaires en Italie. Cette nouvelle donne politique est particulièrement inquiétante dans le pays qui a vu naître le fascisme. L’Italie n’est cependant pas un cas isolé. D’autres élections dans l’Union européenne illustrent la progression de l’extrémisme politique. C’est ainsi que, en France, répartis entre la gauche et la droite, les extrêmes sont arrivés en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Il souffle sur l’ensemble des pays européens un vent de radicalité.
Néanmoins, chaque peuple est souverain. Le peuple italien a voté. Il faut respecter le résultat de ce scrutin, même si cela ne nous empêche pas de combattre les idées qui ont conduit à la victoire de Mme Meloni. Les membres du groupe Les Indépendants ont toujours lutté contre les extrémismes. Ils regrettent que ce ne soit pas le cas de toutes les formations politiques de notre pays.
Nous sommes convaincus que l’avenir des peuples européens se trouve dans l’Union. C’est pourquoi nous sommes favorables aux initiatives qui renforcent la coopération entre les États, au travers de laquelle nous pouvons faire vivre nos idées et nos valeurs.
Le traité signé le 26 novembre 2021 avec la République italienne concerne un très grand nombre de sujets. Il resserre la coopération de nos deux pays dans des domaines majeurs : les affaires étrangères, la défense, la justice ou encore les politiques migratoires.
Il s’agit de sujets essentiels pour nos deux pays. Nous avons besoin de travailler ensemble pour avancer sur nombre de ces enjeux. Au-delà de ces sujets régaliens, le traité concerne également l’économie et le développement durable, qui sont deux des priorités les plus importantes de nos pays et de nos peuples. C’est grâce à notre coopération que nous pourrons améliorer la situation de nos concitoyens et de nos entreprises.
Ce traité ne se concentre pas seulement sur l’amélioration de l’existant : il prépare l’avenir en renforçant la coopération de nos pays sur des sujets de pointe, comme le numérique ou l’espace. Nos deux pays se donnent les moyens de bâtir un avenir meilleur.
Cependant, nous serons particulièrement attentifs aux évolutions politiques de notre voisin. La nouvelle donne politique en Italie ne correspond pas à nos valeurs. Une vigilance constante s’impose tant sur les sujets de politique intérieure que sur ceux qui sont relatifs aux institutions européennes.
Nous pensons que cela ne doit tout de même pas nous détourner de la coopération. L’Italie et la France ont besoin l’une de l’autre, car c’est en travaillant ensemble que nous pourrons faire rayonner nos idées et nos valeurs.
Le traité signé est tout à fait conforme à notre conviction selon laquelle nous avons besoin de plus d’Union européenne et d’une meilleure intégration. L’ensemble des membres de notre groupe votera donc en faveur de la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Julien Bargeton. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe écologiste a demandé, pour deux raisons, le retour à la procédure normale pour le vote du projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération bilatérale entre la France et l’Italie, dit « traité du Quirinal ».
Tout d’abord, il s’agit seulement du second traité de cette nature signé par la France avec un pays européen, le précédent étant le traité de l’Élysée signé en 1963 par le président de Gaulle et le chancelier Adenauer. Ce traité a jeté les bases du couple franco-allemand, qui est aujourd’hui encore, en dépit des tensions actuelles, le moteur de la construction européenne. Ce traité, dont le Parlement doit autoriser la ratification au moyen du projet de loi qui nous est soumis, est donc un acte politique extrêmement fort du pouvoir exécutif.
Ensuite, ce traité a été signé par les présidents Macron et Draghi alors que l’Italie vit un tournant de son histoire politique – curieusement, vous en avez peu parlé, madame la secrétaire d’État –, en raison de la victoire de la coalition entre l’extrême droite et la droite qui a permis l’accession de la dirigeante fasciste Giorgia Meloni à la présidence du conseil des ministres.
Cette victoire de l’extrême droite dans l’un des pays fondateurs de l’Union européenne est un moment d’une gravité extrême. Elle doit émouvoir tous les républicains que nous sommes. Disons-le clairement : elle est en grande partie le résultat d’un échec de la politique communautaire.
C’est tout d’abord l’échec des politiques d’austérité qui ont prévalu après la crise économique de 2008, appauvrissant et affaiblissant considérablement les pays du sud de l’Europe.
C’est ensuite l’échec de notre politique migratoire, notamment des règlements Dublin I, II et III, qui, en refusant le droit de libre installation des personnes migrantes et en forçant l’enregistrement des demandes d’asile dans le premier pays européen visité, ont laissé les pays méditerranéens, au premier rang desquels l’Italie, répondre seuls au défi migratoire.
N’exonérons pas les dirigeants italiens – je pense surtout au triste sire Berlusconi – de leurs responsabilités, mais reconnaissons celles de la France et de l’Union européenne. L’ironie, c’est que si nous avions conclu et appliqué ce traité du Quirinal il y a vingt ans, nous aurions sans doute évité à l’Italie de sombrer dans l’abîme fasciste.
Les ambitions affichées en matière de souveraineté économique, notamment industrielle, l’objectif de « soutenir une politique européenne de migration et d’asile et des politiques d’intégration fondées sur les principes de responsabilité et de solidarité partagées entre les États membres, et prenant pleinement en compte la particularité des flux migratoires à leurs frontières respectives », ainsi que les dispositions favorisant la construction d’un « réflexe franco-italien », permettent à Rome de sortir de son relatif isolement sur la scène européenne.
Nous avons bien conscience que prolonger l’isolement du gouvernement italien n’endiguera en rien la montée du nationalisme et de l’euroscepticisme qui ont permis la victoire de l’extrême droite. Nous ne voulons pas rejeter ce traité, qui porte en lui une ambition historique pour l’amitié franco-italienne.
Néanmoins, aujourd’hui, à l’heure où les héritiers de Mussolini ont pris le pouvoir, le préalable à toute coopération franco-italienne renforcée doit être l’intransigeance absolue sur le respect de la démocratie, des droits fondamentaux, des droits des femmes et des droits des minorités.
Aussi, nous vous demandons les garanties et les précisions qui nous semblent nécessaires, surtout après votre intervention, madame la secrétaire d’État.
La France suspendra-t-elle l’application du traité si ces droits sont bafoués ? Refusera-t-elle de remettre à la justice italienne des militants antifascistes qui, victimes de la répression politique, se réfugieraient sur son sol ? Envisage-t-elle d’organiser chaque année un sommet intergouvernemental avec un pouvoir fasciste ? Souhaite-t-elle poursuivre la normalisation de l’extrême droite que le Président de la République semble avoir entamée dimanche soir dernier ?
Ce traité est historique ; sa portée symbolique est exceptionnelle. Aussi, au regard du contexte politique actuel, nous avons besoin de garanties fermes du Gouvernement pour nous prononcer en faveur de sa ratification ; à défaut, nous serions contraints de nous abstenir. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est non sans émotion que je prends aujourd’hui la parole pour exprimer la totale adhésion du groupe RDPI à ce traité franco-italien de coopération, déjà ratifié par les deux chambres italiennes, ainsi que par l’Assemblée nationale en juillet dernier.
Mon émotion est personnelle, bien qu’elle soit partagée par ceux d’entre nous, nombreux, qui ont des ascendances transalpines. Ceux-là vivent avec amertume les montagnes russes qui, trop souvent, régissent les relations entre nos deux pays et parfois entre nos deux peuples.
Mes deux grands-pères ont quitté l’Italie il y a près d’un siècle pour fuir le fascisme. Ils se sont vite intégrés, ont trouvé épouse ici en France et ont choisi de ne pas apprendre la langue de Dante à leurs enfants. L’Italie est longtemps restée une blessure familiale. Lorsque j’ai voulu étudier l’italien au collège, ma mère a décrété que, non, ce serait l’allemand – la langue, selon elle, des bons élèves.
C’est à l’âge adulte que j’ai finalement découvert le pays de mes aïeux, sa culture, sa langue, allant jusqu’à adhérer à cet Ovni politique qu’est le Partito Radicale de feu Marco Pannella. Concrètement, c’est grâce au biculturalisme qui s’est avivé en moi que j’ai véritablement saisi l’enjeu fondamental de la construction européenne.
J’ai compris que l’Union européenne, toute formidable avancée qu’elle fut et qu’elle demeure, ne pouvait pas tout. J’ai également compris que les leviers les plus essentiels pour bâtir un authentique vivre ensemble européen, c’est-à-dire la culture, l’éducation et l’agir politique, demeuraient des compétences nationales. Elles étaient donc trop peu partagées entre les États membres.
Les dépenses publiques en faveur de l’enseignement et de la culture, qui pèsent en moyenne plus de 5 % de nos PIB nationaux respectifs, ne représentent qu’à peine 1,4 % du budget global de l’Union européenne, qui, rappelons-le, n’équivaut lui-même qu’à un peu plus de 1 % du PIB de l’ensemble des pays européens !
Vivre en Européen ne se décrète pas. On peut vivre sous le même toit, européen, et ne pas s’aimer. C’est le cas quand nous ne voyons pas ce qu’autrui tient de nous en lui, et réciproquement.
Au-delà des guerres et des rivalités qui nous ont déchirés, il est urgent aujourd’hui de retrouver les longs fils souvent oubliés de notre histoire et de notre culture commune, pour construire ensemble un destin partagé. Après les horreurs du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale, la réconciliation franco-allemande a été le plus important défi de l’Europe des décennies qui ont suivi : ce qui paraissait impensable en 1945 s’est bel et bien réalisé. Sans cette réconciliation, jamais la réunification allemande et l’ouverture de l’Union à son flanc est n’eurent été possibles.
Le traité de l’Élysée de 1963 instaurant une coopération renforcée dans les domaines de la diplomatie, de la jeunesse et de la culture a joué un rôle majeur dans le processus de rapprochement avec l’Allemagne.
Il est clair que nous n’avons que trop attendu pour avoir une approche similaire avec l’Italie, qui est notre second partenaire économique et surtout le pays avec lequel notre filiation historique et culturelle est la plus ancienne et la plus intense !
À l’heure où la guerre sévit de nouveau en Europe et où les relations internationales se brutalisent, il devient impératif d’apaiser nos querelles de cousinage et de voisinage et de raviver les liens qui nous unissent.
Le traité qui nous est aujourd’hui proposé est bien plus ambitieux que celui de l’Élysée, tant les domaines de coopération envisagés sont vastes et nombreux. Bien sûr, sa mise en œuvre effective importera davantage que le symbole de sa ratification.
Certes, l’Italie vient de se doter d’un gouvernement dont la principale composante politique, Fratelli d’Italia, est la seule formation qui s’est opposée à sa ratification. Toutefois, le réalisme, plus encore que l’optimisme, me conduit à penser qu’avoir une posture dans l’opposition est une chose, mais que se trouver en situation de responsabilité en est une autre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Vallini. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. André Vallini. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les propos de notre collègue Gattolin m’ont touché.
Je partage comme lui des origines italiennes. Je n’aurai pas son lyrisme – j’en serais bien incapable – pour dire à quel point ce moment est important pour la très nombreuse communauté française d’origine italienne. Lorsque l’on parle en dernier – ou en avant-dernier, ma chère collègue Assassi – l’inconvénient est que tout a été dit, ou à peu près, sur le contenu du traité (Mme Éliane Assassi approuve.), notamment sur ses dimensions bilatérale et européenne.
Je me concentrerai donc sur l’une des questions qui nous occupent tous ce soir : que va-t-il advenir de ce traité dans les prochains mois et années ? Il peut rester un simple parchemin – une lettre morte, sans aucune conséquence – ou, à l’inverse, servir de tremplin à une véritable coopération approfondie entre nos deux pays – c’est ce que nous souhaitons et que nous défendrons.
La France et l’Italie sont deux importants partenaires commerciaux. La France est la deuxième destination des étudiants italiens en échange à l’étranger et le deuxième pays d’origine des étudiants en échange en Italie. Le Medef, le Mouvement des entreprises de France, et le patronat italien ont des liens très étroits. Et nos relations culturelles et universitaires sont très intenses.
Bien sûr, la droite, et non pas l’extrême droite – en Italie, la droite correspond à l’extrême droite en France, tandis que la droite française équivaut au centre droit italien –, a gagné les élections. Elle ne s’est guère montrée francophile jusqu’à présent. Comme plusieurs intervenants l’ont souligné, le parti de Mme Meloni, Fratelli d’Italia, a voté contre ce traité.
La Ligue aussi a voté contre, considérant qu’il servait avant tout les intérêts français. Il faut d’ailleurs prendre conscience que, d’après les sondages, près de 40 % des Italiens éprouvent de l’antipathie pour la France. Oui, de l’antipathie… Ils nous reprochent notre « suffisance », voire notre « arrogance », selon leurs propres termes. Ce sentiment est partagé par d’autres peuples européens.
Il suffit, du reste, d’observer le traitement médiatique qui a été réservé des deux côtés des Alpes au traité du Quirinal : on en a beaucoup parlé en Italie, comme d’un événement très important ; on l’a à peine évoqué en France – vingt secondes au journal de vingt heures, et encore.
Que va faire le nouveau gouvernement italien de ce traité ? On entend souvent le terme « postfasciste » – j’ai même entendu « fasciste » dans la bouche de mon prédécesseur à cette tribune, Guillaume Gontard – pour décrire Mme Meloni. C’est un peu rapide.
Certes, sa trajectoire s’inscrit dans l’histoire du mouvement néofasciste, le MSI italien, et une partie de son entourage et de ses électeurs revendiquent la filiation mussolinienne, à commencer par le président du Sénat, Ignazio Benito La Russa. Il est toutefois faux de dire qu’elle aurait imposé sa domination sur la droite italienne en proposant, cent ans après, une sorte de nouvelle marche sur Rome.
Comme vous, j’ai lu beaucoup de tribunes et de chroniques. Et je déjeunais hier encore avec Marc Lazar, l’un des meilleurs spécialistes actuels de l’Italie contemporaine. Mme Meloni a réussi une forme de synthèse entre le cadre géopolitique de l’Alliance atlantique, le cadre économique de l’Union européenne et des valeurs très conservatrices sur le plan sociétal, notamment sur l’avortement et sur le rapport aux minorités ou à la communauté LGBT.
Elle s’est donc livrée avec succès à une opération compliquée, pour se recentrer et pour rassurer les milieux économiques et financiers, comme les alliés de l’Italie. Elle a même tourné une vidéo en français pour apaiser notre pays pendant la campagne électorale. Elle a ainsi indiqué que son gouvernement avait une ligne claire en politique étrangère, faisant « pleinement partie, et la tête haute, » de l’Union européenne et de l’Otan.
J’ajoute que, lors de sa déclaration de politique générale devant le Parlement italien, hier, elle a abjuré le fascisme, notamment les lois raciales de 1938 – heureusement !
Pour autant, va-t-elle réaffirmer la prééminence des nations et de leur souveraineté, à rebours du traditionnel européisme – un terme positif dans ma bouche – italien ? Va-t-elle emprunter la voie polonaise ou hongroise, au regard, en particulier, des valeurs européennes ? Il reviendrait, le cas échéant, à la Commission européenne et au Parlement européen de le constater et d’y répondre.
À ce jour, il faut noter qu’elle a nommé à des postes clés des personnalités qui situent son gouvernement dans une continuité européenne et internationale : M. Antonio Tajani, un ancien président du Parlement européen, aux affaires étrangères, et M. Giorgetti, qui était déjà ministre dans le gouvernement de Mario Draghi, à l’économie et aux finances.
J’ajoute que son gouvernement n’est pas certain de durer aussi longtemps qu’elle le souhaiterait, car sa majorité est composite, tiraillée entre les berlusconiens, d’un côté, et la Ligue du Nord, de l’autre…
En tout cas, le peuple italien a voté. Il faut prendre acte de son choix et éviter les jugements hâtifs, sauf à nous retrouver de nouveau taxés d’arrogance. Madame la secrétaire d’État, pardonnez-moi de relever que vous avez eu, il y a quelques jours, une déclaration pour le moins maladroite, et qui a été ressentie ainsi.
Depuis longtemps, l’Italie comprend mal notre relation privilégiée avec l’Allemagne et elle estime en être injustement exclue. Saisissons l’occasion de donner à notre lien avec elle l’importance qu’il mérite. C’est à l’échelle du temps long qu’un traité peut être jugé : donnons-lui du temps.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce traité historique. Et pour ma part, je le ferai avec enthousiasme ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)