M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’écrivait Françoise Giroud, « le chômage est comme une marée noire qui recouvre l’herbe verte, là où elle a poussé ».
Atteindre le plein emploi est un objectif que visent tous les gouvernements, mais, malgré un retour massif de personnes sur le marché du travail, le taux de chômage en France se maintient à 7,4 %, alors que les entreprises n’ont jamais éprouvé autant de difficultés à recruter. La situation est inédite.
Nous connaissons bien les effets délétères du chômage : perdre son emploi revient à perdre une partie de son identité sociale. Vécu comme un échec, le chômage peut être un vrai traumatisme pour tous ceux qui y sont confrontés.
C’est dans cet esprit que vous avez souhaité, monsieur le ministre, mettre en place une stratégie globale pour que le chômage de masse ne soit plus une fatalité. Le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui en est la première étape et d’autres chantiers suivront.
À cette occasion, permettez-moi de saluer le travail des maisons de l’emploi, qui constituent aujourd’hui l’un des dispositifs d’insertion professionnelle les plus efficaces. En mettant en œuvre de véritables politiques de l’emploi à l’échelon territorial, elles permettent à de nombreuses personnes de retrouver une activité professionnelle. Nous espérons donc que leur financement sera assuré par le projet de loi de finances dont nous débattrons prochainement.
Je reviens au projet de loi. Au sein de ce texte particulièrement resserré, une mesure cristallise toutes les tensions : l’article 1er, qui vise à prolonger les règles d’indemnisation de l’assurance chômage adoptées en 2019, mais aussi et surtout à engager une concertation avec les partenaires sociaux pour établir de nouvelles règles d’indemnisation. Bien que vous vous soyez engagé, monsieur le ministre, à ne pas toucher au montant des allocations, je ne vous cache pas que les sénateurs du groupe du RDSE sont partagés sur cette disposition.
Nous regrettons d’avoir à légiférer dans l’urgence sur l’assurance chômage, mais, si nous ne faisons rien, des millions de chômeurs ne pourront plus percevoir leurs indemnités, les règles d’indemnisation fixées par le décret de carence cessant d’être applicables après le 1er novembre 2022.
Surtout, certains de mes collègues déplorent que l’article 1er dépouille les partenaires sociaux de leurs prérogatives de gestion paritaire, ce qui revient en quelque sorte à vous signer un chèque en blanc. Comme le souligne en effet le Conseil d’État dans son avis, « le projet de loi ne comporte aucune limitation directe ou indirecte quant à l’objet ou à la portée des dispositions du futur décret ». C’est pourquoi le groupe du RDSE défendra plusieurs amendements visant à redonner toute sa place au dialogue social.
Nous regrettons également que la commission des affaires sociales ait introduit un nouvel article pour priver les salariés d’indemnisation du chômage en cas de refus répétés de CDI. Cette remise en cause des droits à l’assurance chômage nous semble particulièrement dangereuse. Elle est de nature à modifier profondément les règles de l’assurance chômage, et ce sans garde-fou ni discussion préalable : elle n’a, à notre avis, pas sa place dans ce texte d’urgence.
Nous regrettons enfin que, à l’occasion de ce projet de loi, nous ne puissions traiter du dispositif « territoire zéro chômeur de longue durée » sous peine que nos amendements soient déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution. C’est d’autant plus incompréhensible que l’Assemblée nationale a, pour sa part, permis que ce texte soit utilisé comme véhicule législatif pour réactiver l’expérimentation du CDD multi-remplacement. Nous avons pourtant été alertés sur la nécessité d’alléger la procédure pour habiliter de nouveaux territoires et permettre la poursuite du développement de l’expérimentation.
Le RDSE se félicite en revanche de la réforme de la VAE, qui permet à toute personne d’obtenir un diplôme grâce à son expérience. Souvent jugé trop complexe par les entreprises et trop chronophage par les candidats, ce dispositif ne s’est pas imposé dans le paysage de la formation professionnelle. Ce formidable outil est pourtant la preuve que l’on acquiert des compétences tout au long de sa vie et que tout n’est pas joué à l’issue de la formation initiale.
Monsieur le ministre, les sénateurs du groupe du RDSE seront particulièrement attentifs aux débats et décideront de leur vote en fonction du sort qui sera réservé à leurs amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi répond avant tout, une fois n’est pas coutume, à une véritable urgence : il s’agit de prolonger les règles actuelles d’indemnisation du chômage, qui arrivent à échéance le 1er novembre prochain – c’est demain ! –, afin d’éviter un arrêt soudain du versement des prestations. Ce point ne prête bien sûr pas à discussion.
Cependant, le texte va au-delà en accordant à l’État, à titre exceptionnel, la possibilité de définir de nouvelles règles du régime d’assurance chômage par décret. Le Conseil d’État a d’ailleurs relevé que le texte « ne comporte aucune limitation directe ou indirecte quant à l’objet ou à la portée des dispositions du futur décret ».
Ainsi, outre le blanc-seing demandé aux parlementaires, le projet de loi reflète l’ascendant pris progressivement par l’État sur la gestion de l’assurance chômage. Comme l’a souligné récemment un rapport présenté par notre collègue Frédérique Puissat, le paritarisme recule depuis plusieurs années dans la gestion des dispositifs de protection sociale, que ce soit en matière de sécurité sociale, de formation ou d’assurance chômage.
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a notamment modifié les règles de négociation des conventions d’assurance chômage en permettant au Gouvernement d’imposer les orientations et les objectifs financiers à atteindre par une « lettre de cadrage », très strictement définie. L’échec, prévisible, des négociations conduites en 2019 a finalement abouti à un décret.
La situation présente est comparable, mais, cette fois-ci, le Gouvernement, arguant de l’urgence, ne se soucie pas d’engager une négociation et précise d’ores et déjà qu’il définira les mesures d’application du régime d’assurance chômage par un décret en Conseil d’État.
Nous savons quelle nouvelle mesure introduira ce décret : celui-ci mettra en application l’annonce de campagne du Président de la République consistant à moduler les conditions d’indemnisation en fonction de la situation du marché du travail, afin qu’elles soient « plus strictes quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuses quand le chômage est élevé ». N’est prévue qu’une simple concertation avec les partenaires sociaux, qui vient d’ailleurs d’être lancée.
De modulation, il n’est pourtant point question dans le texte. Le Gouvernement pourra la prévoir ultérieurement, ou pas, et décider seul de ses conditions d’application.
Cet ensemble de dispositions s’éloignant du système paritaire que nous pratiquons me conduit à saluer les propositions formulées par les rapporteurs, qui ont modifié l’article 1er sur plusieurs points.
Premier point, et cela me semble le plus important, un amendement a introduit le sujet de la gouvernance de l’assurance chômage dans le texte, afin de rétablir le rôle actif des partenaires sociaux. En effet, puisque la procédure de 2018 s’est traduite par un échec, il faut revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire à l’esprit de la loi Larcher, la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social.
Selon le cadre transitoire que nous avons adopté en commission, après la publication du présent texte, une concertation sera engagée par le Gouvernement en vue d’une véritable réforme de la gouvernance, de l’équilibre financier de l’Unédic et des règles d’indemnisation de l’assurance chômage. À l’issue de cette concertation, le Gouvernement interviendra par le biais d’un document d’orientation et non d’une lettre de cadrage, selon une procédure inspirée de l’article L. 1 du code du travail, donnant ainsi davantage de valeur à la négociation.
Deuxième point, la commission a limité dans le temps la liberté laissée au Gouvernement pour fixer les règles d’indemnisation des chômeurs, en avançant le délai qui lui est accordé au 31 août 2023. Cette situation étant exceptionnelle, il n’est en effet pas souhaitable de la laisser perdurer plus que nécessaire.
Troisième point, puisque cette faculté accordée au Gouvernement doit permettre de créer un principe de modulation de l’indemnisation du chômage en fonction de la conjoncture, nous avons choisi d’inscrire en toutes lettres ce principe dans le projet de loi. Nous considérons en effet comme légitime l’objectif visé : s’attaquer aux difficultés de recrutement que connaissent actuellement les entreprises, en dépit d’un taux de chômage réduit à 7,4 %.
Selon les chiffres du ministère du travail, 60 % des entreprises rencontrent actuellement des difficultés de recrutement, ce qui a conduit un tiers d’entre elles à limiter leur activité. Chaque jour, dans nos circonscriptions, des employeurs nous disent ne pas trouver de salariés.
Selon diverses études, les conditions d’indemnisation du chômage jouent un rôle important dans la reprise d’un emploi. Élaborer une règle d’ajustement en fonction de la conjoncture semble donc souhaitable et jouerait dans les deux sens, tenant compte des périodes non seulement de croissance, mais également de récession. Il faut par ailleurs rappeler que, même après le durcissement opéré en 2019, les conditions d’éligibilité à l’assurance chômage en France restent parmi les plus favorables des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Néanmoins, en l’absence d’étude d’impact et de détails sur les modalités de la réforme, le groupe Les Républicains émet les plus grandes réserves sur sa faisabilité.
Quels seront les indicateurs permettant de déterminer si la conjoncture est bonne ou mauvaise ? À quels intervalles la situation économique sera-t-elle reconsidérée ? Vous semblez avoir rejeté, monsieur le ministre, une appréciation par territoires, mais, si l’on prend en compte la conjoncture économique nationale, pourra-t-on appliquer les mêmes règles dans ma région, les Hauts-de-France, grandement en tension, et dans d’autres territoires, alors que le taux de chômage peut varier du simple au double ? Il serait préférable que l’analyse soit faite par bassin d’emploi, voire par quartier, dans certaines villes. Nous comptons sur nos débats pour obtenir des précisions à ce sujet de la part du Gouvernement.
D’autres sujets ont été introduits dans le texte sur l’initiative de nos rapporteurs, dont je tiens à saluer la démarche pragmatique, la qualité du travail et l’investissement sur ces questions sensibles, car d’ordre social.
La question avait été posée à l’Assemblée nationale de restreindre les droits au chômage en cas de refus répétés de CDI à l’issue d’un CDD, une situation que l’on nous décrit souvent sur le terrain. Notre commission a choisi d’intégrer cette disposition et a souhaité que ce refus d’un emploi stable soit particulièrement caractérisé en fixant la suppression du droit à indemnisation à partir de trois refus. Elle a par ailleurs répondu aux observations que vous aviez formulées à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, en prévoyant une notification des refus à Pôle emploi.
Je tiens à préciser que, à titre personnel, je soutiendrai l’amendement de nos collègues Laurent Duplomb et Bruno Retailleau, qui tend à supprimer l’indemnisation du chômage dès le premier refus de CDI. En effet, dès lors que le CDI correspond à l’emploi exercé auparavant en CDD, il n’y a aucune raison d’attendre que soient proposés au chômeur un deuxième et un troisième CDI, sauf bien sûr s’il en a trouvé un autre ailleurs.
Dans le même esprit de justice par rapport aux autres demandeurs d’emploi et parce qu’il s’agit d’une source importante de dysfonctionnements pour les entreprises, la commission a complété le dispositif introduit par les députés en ce qui concerne les abandons de poste, pour sécuriser la procédure permettant d’assimiler ces derniers à des démissions.
Je dirai encore quelques mots sur les contrats courts.
La commission a supprimé la durée maximale de trente-six mois applicable aux missions accomplies en CDI, ce qui permet de sécuriser les parcours professionnels des intérimaires tout en limitant le recours aux contrats courts. Elle a également fixé à deux ans la durée de l’expérimentation autorisant la conclusion de CDD pour remplacer plusieurs salariés absents.
Notre sentiment sur le dispositif de bonus-malus créé en 2019 n’a pas changé : nous y voyons toujours un frein à l’emploi et une méconnaissance des impératifs de flexibilité auxquels sont soumis certains employeurs. Le présent texte nous a donné l’occasion de revoir le dispositif, afin de le recentrer sur les véritables cas de permittence et d’alléger son impact financier pour les entreprises.
J’évoquerai enfin la VAE, que nous avons ouverte à toute activité en lien avec une certification, en dépassant l’actuelle approche par statut, afin de donner un nouvel élan à ce dispositif insuffisamment utilisé.
Ainsi, l’examen de ce projet de loi, malgré son ambition très limitée, nous a permis de traiter plusieurs difficultés rencontrées par les entreprises ou les demandeurs d’emploi et d’affirmer notre attachement au paritarisme. Nous sommes dans l’attente d’autres mesures, relatives à la gouvernance de l’assurance chômage comme à l’emploi, car, si le taux de chômage a baissé en France, il reste largement supérieur à celui de la moyenne européenne.
Sous réserve du maintien des dispositions dont nous avons enrichi le texte, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République a mis au cœur de son projet une ambition forte : atteindre le plein emploi d’ici à 2027. Cet objectif doit nous rassembler, au-delà de nos sensibilités politiques et de nos appartenances partisanes.
Atteindre le plein emploi, c’est permettre à chaque jeune de trouver sa place dans la société, quelle que soit son origine sociale ; c’est valoriser le travail, la création, les compétences, et récompenser toujours les efforts ; c’est, enfin, nous donner les moyens de financer notre modèle de protection sociale.
Néanmoins, comme souvent en politique, c’est moins l’objectif qui fait débat que les moyens mis en œuvre pour l’atteindre. Je suis sûre que nos discussions, au cours des prochains jours, seront riches. Je souhaite aussi qu’elles tiennent compte de la réalité, et singulièrement du travail accompli depuis 2017.
Il y a cinq ans, on se demandait encore comment lutter contre le chômage de masse qui sévissait depuis des décennies dans notre pays. Désormais, nous entrevoyons l’espoir de le vaincre pour de bon. En clair, nous sommes passés d’un objectif négatif à un objectif positif, ce qui est loin d’être anecdotique.
Cela nous oblige à prendre des mesures courageuses, comme celles qui ont été prises au cours des cinq dernières années. J’espère que des échanges constructifs nous permettront d’atteindre cet objectif.
Telle est la mission qui nous échoit de nouveau avec l’examen du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi. Ce texte vise essentiellement à réformer l’assurance chômage afin de garantir l’efficacité et l’équité du régime.
Lors du précédent quinquennat, les principales réformes relatives au marché du travail, à l’apprentissage, à la formation professionnelle ou encore à l’assurance chômage ont été engagées alors que la conjoncture était plus favorable. Ces réformes structurelles ont permis à notre pays de tenir bon par gros temps, d’abord pendant la crise sanitaire, maintenant au moment de la crise énergétique et de l’inflation. Malgré cela, le taux de chômage avoisine encore 7 %, à mi-chemin entre le taux de 10 % observé à l’été 2017 et celui de 4 %, visé à l’horizon de 2027. C’est dire le chemin que nous pourrions parcourir en dix ans !
Bien sûr, on pourrait avancer que la situation actuelle est nettement moins favorable qu’avant la pandémie. Pourtant, grâce non seulement aux réformes que j’ai mentionnées, mais également aux mesures d’urgence et au plan de relance, le marché du travail est très tendu, ce qui profite aux travailleurs, dont le pouvoir de négociation demeure bien réel malgré la situation.
En conséquence, le régime d’assurance chômage se porte plutôt bien. Les nouvelles prévisions de l’Unédic, publiées jeudi dernier, montrent que le régime pourrait dégager près de 13 milliards d’euros d’excédent sur la période 2022-2024, soit 3 milliards supplémentaires par rapport aux prévisions de juin dernier. Cette amélioration doit nous encourager à faire bouger les lignes sur ce sujet sensible. Il nous faut à la fois mieux valoriser le travail et mieux protéger les demandeurs d’emploi. Je crois que nous pourrons atteindre le consensus sur de nombreux points.
La commission des affaires sociales a mené un travail sérieux, en validant la plupart des mesures du Gouvernement et en y ajoutant d’autres mesures pour mieux valoriser le travail.
Je pense notamment à la notification à Pôle emploi, par l’employeur, de tout refus d’un CDI par le titulaire d’un CDD, au terme de celui-ci. Nous avions déposé, en commission, un amendement allant en ce sens et je me réjouis que les rapporteurs aient inséré une telle disposition dans le texte.
Idem en ce qui concerne les abandons de poste : nous accueillons favorablement la disposition ajoutée à l’Assemblée nationale à ce sujet. Il ne s’agit pas de lutter contre un phénomène majeur, l’importance de cette pratique restant globalement stable ; il s’agit plutôt d’une question éthique : on ne peut pas octroyer une allocation à un salarié abandonnant son poste et la refuser à celui qui démissionne en respectant les procédures.
Enfin, au sujet de la validation des acquis de l’expérience, nous soutenons la création d’un nouveau service public, pourvu qu’elle se fasse à moyens constants. Nous souhaitons que les départements puissent y être associés : si la formation est un volet de la politique sociale, alors ils y ont toute leur place.
Les politiques de l’emploi doivent garantir la solidarité entre les actifs sans compromettre la compétitivité de notre économie. Cette tension entre des objectifs apparemment opposés nous oblige à trouver des compromis, mais il n’y a là rien de nouveau sous le soleil : c’est le propre du dialogue social que de trouver des compromis, en responsabilité.
Pour conclure, je souhaite évoquer le rôle des partenaires sociaux dans le régime d’assurance chômage. La commission a voulu accélérer le retour au paritarisme de gestion. C’est une question de fond, à laquelle nous allons répondre. Le groupe Les Indépendants est favorable au dialogue social, mais il est aussi attaché à la réforme du régime, afin d’en préserver l’équilibre financier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Pierre-Antoine Levi et Arnaud de Belenet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ici le premier acte d’un vaste plan antisocial qui, de l’assurance chômage au RSA en passant par la retraite, émaillera notre session parlementaire, en vertu du principe ressuscité « travailler plus pour gagner plus » ; en réalité : autant…
Dans son discours de politique générale, Mme Borne l’annonçait : l’heure serait à travailler plus et plus longtemps, pour atteindre le plein emploi – c’est-à-dire un taux de chômage de 5 % – et se conformer aux orientations de rigueur budgétaire du programme de stabilité, aux recommandations du semestre européen ainsi qu’aux études régulières du Conseil d’analyse économique.
Comme toujours, la doxa néolibérale guide le Gouvernement, qui justifie sa politique de stigmatisation des chômeurs en mettant en avant un faux paradoxe : le nombre d’emplois non pourvus rapporté au nombre de chômeurs. En 2003, François Fillon jugeait déjà inacceptable que 300 000 emplois restent non pourvus. Ce chiffre, sans cesse agité depuis vingt ans sans que son contenu ou sa pertinence soient sérieusement analysés, est utilisé pour démontrer ce prétendu paradoxe relatif au chômage.
La réalité, c’est que, selon les chiffres de Pôle emploi, sur les 3,2 millions d’offres d’emploi recueillies et clôturées en 2018, seules 157 000 n’ont pas été pourvues – ce nombre n’est guère plus élevé en 2021 –, soit un ratio de 5 % à 6 % du total des offres.
La réalité, c’est que, même si ces offres trouvaient preneurs, elles seraient largement insuffisantes pour combler le chômage endémique et offrir une chance ne serait-ce qu’aux trois millions de chômeurs de catégorie A.
La réalité, c’est que la majeure partie de ces offres d’emploi non pourvues ont reçu plusieurs candidatures, qui ont été rejetées par les employeurs, et que, selon Pôle Emploi, « les trois quarts des recruteurs [dont l’offre n’a pas pu être pourvue] reconnaissent que les conditions de travail du poste proposé […] peuvent décourager le candidat ». Le résidu d’offres non pourvues a donc essentiellement à voir avec la qualité de l’offre d’emploi et des conditions de travail et n’est pas le fait de chômeurs inactifs dans leur recherche d’emploi.
La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) souligne ce point dans une enquête sur les tensions sur le marché du travail en 2021, qui lie les difficultés d’embauche aux conditions de travail et aux salaires insuffisants, au point que, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), 60 % des chômeurs non indemnisés n’acceptent pas non plus ces offres d’emploi non pourvues. Par conséquent, vous pourrez bien faire une énième réforme de l’assurance chômage, cela ne changera rien à cette tension et vous le savez !
Votre premier objectif, c’est bien de réaliser des économies, en abaissant les droits des demandeurs d’emploi.
Dans un pays où le partage de la richesse est toujours plus inégalitaire, les réformes successives de l’assurance chômage, qui ciblent les demandeurs d’emploi sans s’attaquer aux problèmes structurels de la qualité des offres d’emploi, entraînent le pays sur le chemin d’un plein emploi répressif, dans lequel les capacités d’arbitrage des chômeurs sont attaquées.
Les études sur le modèle canadien, dernièrement promu, en témoignent : l’augmentation de la durée d’affiliation, la baisse de la durée d’indemnisation et du taux de remplacement ainsi que la territorialisation contraignent une partie des chômeurs soit à accepter des emplois mal rémunérés et de moindre qualité, soit à être radiés. Or cela entraîne des externalités négatives, car la baisse des indemnités chômage pèse sur le niveau général des salaires.
Vous vous attaquez au pouvoir d’arbitrage des chômeurs, après avoir affaibli la capacité de négociation des salariés en poste via les « ordonnances Macron » et autres « lois travail ». C’est la même politique ! Les écologistes ne feront pas l’erreur d’opposer chômeurs et salariés, comme le discours ambiant nous y invite.
Vous défendez une société du « travailler plus » et, prétendument, de la « valeur travail », alors que l’avenir appartient au partage et à la baisse du temps de travail.
Une première raison, ancienne, était déjà pointée par Marx (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) : « La condition essentielle de [l’]épanouissement est la réduction de la journée de travail. » (M. Fabien Gay approuve.)
Vous refusez de comprendre que la vague de démissions traduit une demande de transformation du travail, pour passer des bullshit jobs de David Graeber à des emplois émancipateurs ayant une utilité sociale et environnementale.
La seconde raison, ensuite, est que votre modèle productiviste explose une à une les limites de la biosphère, alors qu’il nous faut, de toute urgence, ralentir.
Nous défendons donc la sécurisation du parcours professionnel, loin de la précarisation et de la paupérisation causées par les réformes successives. Le temps est venu non de travailler plus, mais de reprendre la marche vers la réduction du temps de travail que permet le partage des richesses, dans le respect des limites planétaires.
C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le plein emploi en France n’est pas une utopie. Un simple chiffre factuel : le taux de chômage, au sens du Bureau international du travail (BIT), a baissé de 2,2 points depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Gay. Tout va bien, alors !
M. Martin Lévrier. Force est donc de constater que la réforme engagée en 2019 porte pleinement ses fruits.
M. Fabien Gay. Forcément, vous avez modifié les règles de calcul !
M. Martin Lévrier. La part des contrats courts dans les offres d’emploi disponibles diminue ; plus de la moitié des embauches sont signées en CDI, contre 30 % en 2019 ; et, au sein des sept secteurs les plus exposés aux contrats courts, 62 % des entreprises se verront attribuer un bonus en 2022.
Ces chiffres montrent, dans le contexte économique que nous connaissons, que les entreprises préfèrent les contrats longs et les renouvellements aux contrats courts et précaires.
Pour autant, si l’amélioration est particulièrement marquée, la France compte encore 7,3 % d’actifs sans emploi. C’est encore trop, raison pour laquelle le Président de la République et la Première ministre ont mis l’objectif du plein emploi pour 2027 au cœur de votre feuille de route, monsieur le ministre.
Le projet de loi que Mme la ministre Carole Grandjean et vous soumettez à la représentation nationale constitue une première étape vers cet objectif.
Pour atteindre ce dernier, vous prolongez les règles d’indemnisation de l’assurance chômage issues de la réforme de 2019. En raison de la pandémie, ces règles sont entrées en vigueur il y a un an à peine, délai trop court pour que les premiers effets de la réforme puissent être observés ; une série d’études et de recherches est d’ailleurs en cours pour les évaluer.
Vous ouvrez également une concertation approfondie avec les partenaires sociaux, afin de rendre les règles plus réactives à la conjoncture économique et à l’évolution du marché du travail, suivant l’engagement du Président de la République. Il est nécessaire d’avoir des règles incitatives à la reprise de l’emploi quand les conditions économiques sont favorables et, inversement, de pouvoir compter sur un système plus protecteur quand l’économie va mal et que des emplois sont détruits.
Vous lancez en outre une négociation pour redéfinir la méthode de gouvernance de l’assurance chômage. Les partenaires sociaux et l’État partagent le souhait de faire évoluer la gouvernance. Pour mémoire, les partenaires sociaux n’ayant pas réussi à trouver un accord majoritaire, l’État a dû reprendre la main ; les règles de l’indemnisation de l’assurance chômage ont donc été édictées par un décret de carence, lequel ne pouvait avoir une durée de vie supérieure à trois ans. Ce décret du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage fixant jusqu’au 1er novembre 2022 les règles d’assurance chômage, le présent projet de loi s’impose à nous pour des raisons calendaires.
Vous proposez par ailleurs de clarifier certaines dispositions du code du travail, afin de rétablir la base légale fixant les conditions pour devenir électeur aux élections professionnelles.
Enfin, vous posez, et c’est important, les premiers jalons d’une réforme visant à rendre la VAE plus attractive et accessible, avec pour objectif la création de 100 000 parcours de VAE chaque année d’ici à la fin du quinquennat. Vous simplifiez et modernisez donc les conditions d’accès à la VAE, afin d’en faire un instrument simple au service de tous les actifs souhaitant évoluer dans leur carrière.
La VAE, qui célèbre cette année ses 20 ans, constitue un dispositif pertinent et efficace de promotion, d’évolution et de transition professionnelle. Elle est pourtant sous-utilisée et mal connue de nos concitoyens, avec seulement 30 000 parcours réalisés en 2021, contre 60 000 il y a dix ans. Cet outil, fondé sur le principe de la reconnaissance des compétences acquises tout au long de la vie, permet d’accéder à une certification reconnue et développe ainsi l’employabilité de tous les actifs, en particulier des moins qualifiés et des plus éloignés de l’emploi.
En vue de cet objectif, le texte ouvre aux proches aidants l’accès à la VAE, afin de reconnaître les compétences que ces derniers ont acquises au contact d’un proche en situation de handicap, de perte d’autonomie ou accompagné à la fin de sa vie. Ils pourront ainsi suivre un parcours pouvant déboucher sur des certifications relatives à des métiers en forte tension de recrutement, comme celui d’auxiliaire de vie ou d’aide-soignant. La majorité sénatoriale a déposé un amendement tendant à élargir le public cible, afin d’ouvrir de nouvelles pistes, mais la réforme vient d’être amorcée et cela est sans doute prématuré.
Tous les leviers cités doivent, d’une part, permettre de répondre à la pénurie de main-d’œuvre en augmentant le nombre de personnes aptes à occuper un métier en tension et, d’autre part, accompagner et valoriser les reconversions professionnelles des salariés.
Si le groupe RDPI mesure la nécessité du présent projet de loi et de ses modalités, il s’interroge sur l’intérêt de certains amendements du rapporteur, pour ce qui concerne notamment le déplafonnement de l’intérim ou les modifications des paramètres du bonus-malus. Nous proposerons, avec des collègues d’autres groupes, un amendement visant à revenir sur la suspension des allocations chômage à la suite de trois refus de propositions de CDI. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)