Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Morin-Desailly. Le Brésil a demandé l’interdiction de l’exportation de ce bois…
Mme le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, madame Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Nous vous alertons sur les conséquences très graves de cette décision pour la profession. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
Mme le président. Mes chers collègues, vous devez respecter vos temps de parole ! Car ce sont les orateurs suivants, qui, sinon, sont pénalisés. Je vous demande donc de faire attention en la matière.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la sénatrice, permettez-moi de saluer le travail que vous avez effectué avec vos collègues sur ce sujet. Soyez assurés qu’avec mes collègues de la culture et de la transition écologique, nous sommes pleinement conscients des interrogations et des inquiétudes des corps de métiers du patrimoine au sujet de la classification du plomb au titre du règlement Reach.
Tout d’abord, laissez-moi rappeler que l’identification des propriétés toxiques du plomb, notamment pour la reproduction, n’est pas nouvelle, puisque cette substance figure depuis juin 2018 sur la liste des substances extrêmement préoccupantes du règlement Reach.
Ensuite, je souhaite revenir sur la procédure qui a conduit à la classification de cette substance, et notamment, comme vous le mentionnez, à son éventuelle inscription à l’annexe XIV, qui liste les substances dont l’usage est soumis à autorisation.
En effet, cette procédure repose sur une large association de l’ensemble des parties prenantes concernées. Comme vous le savez, l’Agence européenne des produits chimiques procède systématiquement à une consultation publique pour recueillir des informations sur les usages et les tonnages qui seraient susceptibles de modifier les scores de la substance et, donc, son ordre de priorité par rapport aux autres substances préoccupantes, et ce avant d’adopter une recommandation.
Cette consultation a été organisée du 2 février au 2 mai 2022, et l’ensemble des parties prenantes concernées, les fédérations professionnelles et les autorités françaises, ont pu y contribuer, pour fournir des informations, notamment sur les impacts socioéconomiques et culturels de cette mesure.
En parallèle, la Commission a mené une consultation publique pour obtenir des informations sur les mêmes impacts socioéconomiques et culturels que pourrait avoir une éventuelle inscription à l’annexe XIV.
Ces informations serviront à déterminer la proposition qu’elle fera une fois la recommandation de l’Agence européenne des produits chimiques adoptée.
Pour ce qui concerne le calendrier, la Commission devrait adopter cette proposition d’ici à la fin de l’année 2022. Ensuite, elle proposera un projet de règlement et ne sera pas tenue de proposer l’inscription du plomb à l’annexe XIV.
Mme le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Les demandes de dérogation peuvent être introduites dans la période de dix-huit à vingt-quatre mois suivant l’adoption de la proposition.
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de vos explications. Mais nous connaissons déjà les règles du processus.
Nous souhaitons simplement vous alerter sur la procédure, qui manque singulièrement, à nos yeux, de rigueur. Pouvez-vous plaider en faveur de recherches épidémiologiques rigoureuses et fiables, pour disposer de chiffres sur lesquels nous pourrions objectivement nous appuyer pour décider ou non de cette inscription au règlement Reach ?
C’est donc la méthode que nous contestons et son absence totale de transparence. Selon nous, c’est le rôle des gouvernements d’agir en ce sens, plutôt que de risquer des conséquences extrêmement graves pour un secteur de notre économie et de notre culture. (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président de la commission, je vous remercie de nous proposer aujourd’hui ce débat.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au fil des décennies, le projet européen s’est affirmé autour de valeurs communes et nourri de politiques toujours plus protectrices pour nos concitoyens. De la simple mise en commun des ressources nécessaires à la reconstruction de l’Europe d’après-guerre, nous sommes passés aujourd’hui à une Union européenne très volontariste dans presque tous les domaines.
Mon groupe, le RDSE, qui est profondément attaché à l’Europe, est bien entendu favorable à la mise en place et l’approfondissement de politiques européennes répondant aux défis du quotidien, qu’ils soient économiques, sociaux, sécuritaires, environnementaux ou sanitaires.
Pour autant, chacun des États membres a ses spécificités liées à son histoire et à son territoire, ou plutôt à ses territoires. Ce constat est une évidence, mais il convient de le rappeler au triptyque institutionnel que forment le Conseil, la Commission et le Parlement européen.
Compte tenu de l’élargissement croissant des compétences de l’Union européenne et du principe de supranationalité du droit européen; il nous semble important d’être vigilants quant au champ des directives et règlements. C’est d’ailleurs ce que fait avec rigueur le groupe de travail « subsidiarité » du Sénat. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer la qualité de son travail.
Il ne s’agit pas de dire que l’Union européenne nie la diversité, d’autant que le traité sur l’Union européenne souligne que l’Union « respecte l’identité nationale des États membres » ou encore « la richesse de sa diversité culturelle ». Toutefois, certaines dispositions peuvent heurter des traditions, des cultures, des richesses territoriales, et parfois même les menacer.
Nous avons tous connaissance d’exemples récents concernant des réglementations européennes pesant sur certains savoir-faire. Je pense au règlement européen Reach sur le contrôle des substances chimiques, qui met en danger la profession des vitraillistes, en interdisant purement et simplement l’usage du plomb. La France, terre de vitraux, pourrait voir ainsi disparaître un artisanat unique. Que serait la reconstruction de Notre-Dame de Paris sans ces vitraux à la française ?
Comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, le Sénat s’est ému de cette situation, en adoptant la résolution du 26 août dernier.
Vous avez également été alertée, en particulier par mon collègue Jean-Yves Roux, sur l’avenir de la filière de lavande et du lavandin, dont la production et ses dérivés sont directement menacés par un changement de réglementation européenne, alors que la filière doit faire face à une attaque parasitaire, ainsi qu’à une concurrence très importante.
Les multiples tests qu’entraînerait le changement de classification des huiles essentielles à base de lavande risquent de fragiliser de nombreux acteurs du secteur. Au-delà de la richesse que représentent ces plantes dans la culture provençale, près de 9 000 emplois directs seraient touchés. En outre, que deviendrait le tourisme des Alpes-de-Haute-Provence ou du plateau de Valensole sans les champs de lavande ?
Sans méconnaître les nouvelles exigences des consommateurs, il est important que les États conservent une certaine latitude dans la façon de les protéger.
À mon sens, afin d’éviter les mauvaises surprises liées à une harmonisation trop rigide des normes, il faut garder à l’esprit quelques axes.
Il convient tout d’abord de veiller à ce que l’exécutif national évite la surtransposition, comme cela peut parfois arriver. À cet égard, je rappelle que nous avions adopté ici, en 2018, un projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français.
Il est également fondamental que notre pays se mobilise très en amont concernant l’élaboration des projets de directive, afin de peser au plus tôt dans les négociations qui président à leur élaboration.
Je dirai également un mot de l’inflation normative qui n’épargne pas les institutions européennes. Dès 2014, la Commission européenne avait lancé un programme intitulé Mieux légiférer, qui s’était traduit par une réduction importante du nombre d’initiatives nouvelles de la Commission.
Qu’est devenue depuis lors cette volonté exprimée à l’époque par Jean-Claude Juncker, madame la secrétaire d’État, au sujet de la lutte contre l’inflation des normes au sein de l’Union ?
Enfin, la piste d’une amélioration des analyses d’impact des actes européens dans les États membres mérite d’être explorée. C’est en effet le meilleur moyen de sauvegarder dans nos territoires toutes les richesses culturelles et patrimoniales qui participent de l’exceptionnelle attractivité de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour, je me réjouis de ce débat, et je tiens à remercier, comme l’a fait Mme Catherine Morin-Desailly, M. le président de la commission d’en avoir obtenu l’inscription.
Je souhaite également apporter mon soutien aux propos de ma collègue Catherine Morin-Desailly, avec laquelle j’ai présenté au printemps un rapport d’information proposant une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine.
Par ailleurs, nous avons présenté cet été un rapport ayant abouti à un avis politique destiné à la Commission européenne, ainsi qu’à une résolution du Sénat, afin de prendre en compte toutes les conséquences, pour les métiers et filières du patrimoine, de la révision en cours du règlement européen Reach sur les produits chimiques, eu égard à l’éventuelle inscription du plomb dans son annexe XIV.
Or l’usage du plomb, comme l’ont montré les nombreux professionnels que nous avons auditionnés, est indispensable à la conservation et à la restauration d’un précieux héritage.
En effet, la taille de pierre classique utilise du plomb. Sa malléabilité et sa durabilité concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. Certaines toitures historiques sont également constituées de plomb : c’est le cas de celles de nombreuses cathédrales, tout particulièrement Notre-Dame de Paris, mais aussi de nombreux monuments, comme le château de Versailles, le musée du Louvre, ou les châteaux de la Loire.
C’est pourquoi nous avons entendu notamment le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, qui fédère 252 entreprises de douze métiers, employant en France 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis. Pour ce qui est des tailleurs de pierre des monuments historiques, on dénombre 78 entreprises employant quelque 5 000 salariés, pour un chiffre d’affaires estimé à 600 millions d’euros. Les couvreurs des monuments historiques, quant à eux, comptent 39 entreprises employant 1 500 salariés, pour un chiffre d’affaires de 170 millions d’euros. Et je ne parle pas des entreprises qui interviennent dans le domaine des chéneaux ou dans celui des fontaines.
L’interdiction ou la restriction de l’utilisation du plomb pour de tels usages reviendrait donc à condamner un nombre important d’entreprises de petite taille au savoir-faire unique – cela a été dit.
De surcroît, les musées et les institutions patrimoniales de l’Union européenne et du monde entier conservent de très nombreux objets d’art et biens culturels contenant du plomb, dont vous retrouverez la liste dans notre rapport, des insignes et sceaux médiévaux aux voitures anciennes.
Nous ne négligeons nullement l’enjeu sanitaire, bien évidemment.
Nous avons constaté de visu, en nous rendant sur le chantier de restauration d’une église historique au cœur de Paris, l’ampleur des mesures de prévention prévues par la législation française, ainsi que la réalité et l’intensité des contraintes et des contrôles qui sont imposés aux entreprises et aux intervenants, pour la bonne protection de la santé des travailleurs concernés.
En matière de santé au travail, le code du travail français a prévu deux indicateurs permettant de vérifier l’efficacité des mesures de prévention mises en place pour parer au risque plomb : la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) au plomb, d’une part, et, d’autre part, la plombémie, mesure du taux de plomb présent dans le sang, avec des valeurs limites biologiques (VLB) à ne pas dépasser.
Le code du travail prévoit également que le médecin du travail assure un suivi individuel renforcé dès le dépassement de certains seuils. Ces valeurs limites sont susceptibles d’être abaissées et harmonisées au niveau européen dans le cadre de la révision de la directive de 1998 sur les agents chimiques, ce qui renforce les exigences de prévention.
Nous sommes toutefois favorables à ce qu’un protocole national, voire européen, de prévention du risque plomb sur les chantiers des monuments historiques soit instauré, sur le fondement des protocoles récemment mis en œuvre sur les chantiers français, à Paris, Nantes, Rouen ou Clermont-Ferrand.
Cette voie nous semble bien préférable à une révision du règlement Reach.
Pour les filières du patrimoine qui constituent l’objet de la présente proposition de résolution, le moyen le plus sûr de garantir une telle exemption serait donc le statu quo.
Si la Commission européenne jugeait néanmoins nécessaire de durcir les règles d’usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait aussi bien recourir à d’autres législations européennes existant par ailleurs dans le champ du travail ou de la santé, législations qui, elles, relèvent de la procédure de codécision – mais elle devrait alors veiller à bien exempter les filières patrimoniales de telles dispositions.
Il importe, madame la secrétaire d’État, que le gouvernement français s’engage en ce sens et mobilise son représentant au comité des États membres de l’Echa pour éviter une désastreuse inscription du plomb à l’annexe XIV du règlement Reach.
La France appartient à l’heure actuelle au groupe des pays européens les plus ambitieux en matière de gestion des risques liés aux substances chimiques, dénommé « Reach-up », déterminé à promouvoir des avancées majeures dans le domaine de la sécurité environnementale. Elle est d’autant plus légitime à plaider pour une telle « exception culturelle » qu’elle est dotée d’un patrimoine culturel exceptionnel.
L’Europe peut et doit concilier l’une et l’autre de ces orientations. Notre responsabilité de parlementaires est de le rappeler avec force et d’inciter le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, à faire valoir cette position auprès de toutes les institutions européennes.
J’en terminerai en soulignant que l’utilisation de plomb est à 84 % liée aux batteries.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Je répondrai d’un même mouvement à MM. les sénateurs Corbisez et de Nicolaÿ, en ajoutant un complément de réponse à l’intention de Mme la sénatrice Morin-Desailly.
En ce qui concerne les études, l’Agence européenne des produits chimiques, l’Echa, fonde ses recommandations sur des études scientifiques qui devraient pouvoir être consultées, ce qui satisferait votre demande. En outre, comme vous le savez, même si le plomb devait être inscrit à l’annexe XIV, cela ne voudrait pas du tout dire que l’usage de la substance serait totalement interdit : des demandes de dérogation ou d’autorisation pourraient être déposées dans les dix-huit à vingt-quatre mois suivant la date d’inscription à l’annexe. En tout état de cause, soyez assurés que le Gouvernement dans son ensemble sera mobilisé sur ce dossier.
En ce qui concerne le règlement Reach, le projet de révision ne prévoit rien qui mènerait à une interdiction de facto de l’huile essentielle de lavande. Par ailleurs, nous sommes bien sûr conscients de l’importance de l’industrie des huiles essentielles, en particulier pour la France ; il n’est pas question d’accepter une révision du cadre actuel qui serait déraisonnable au regard des enjeux socio-économiques existants. Nous plaidons pour une proportionnalité de la réforme afin d’éviter l’établissement de contraintes et de contrôles excessifs. Nous souhaitons en outre que soit menée une étude d’impact suffisamment complète permettant d’analyser toutes les conséquences potentielles d’une telle révision pour l’emploi dans cette filière.
Nous savons, bien entendu, que la filière des huiles essentielles est inquiète quant aux évolutions à venir du règlement CLP, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges. Nous en avons parlé notamment au sein d’un comité interministériel qui s’est réuni trois fois entre décembre 2021 et avril 2022. Puisqu’on me demande des études, je citerai celle qui, financée par FranceAgriMer, a été lancée pour mieux comprendre les impacts des évolutions réglementaires sur la filière des huiles essentielles, ce qui va nous aider à mieux accompagner la filière. Nous avons reçu les premiers résultats de cette étude ; le rapport final devrait être bientôt disponible et nous vous le transmettrons.
Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’élaboration des réglementations européennes ne se fait pas sans certaines précautions, ce que nous savons bien, ici, au Sénat, où nous prenons à cœur le rôle qui est le nôtre en matière de contrôle de subsidiarité. L’idée d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », pour reprendre les termes de l’article 1er du traité sur l’Union européenne, ne signifie pas une harmonisation qui irait à l’encontre de certains principes.
L’article 3 dudit traité dispose en effet que l’Union « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ».
Chacun sait, dans cet hémicycle, la chance que représente l’Union pour nos territoires, nos savoir-faire et nos cultures. Elle les préserve, les promeut et les accompagne dans leurs évolutions.
Un système harmonisé au niveau européen dans bien des domaines permet à nos concitoyens de mieux vivre et d’être mieux protégés. Dernier exemple en date : le marché intérieur de l’énergie, bien que perfectible – son perfectionnement est en bonne voie –, nous montre toute l’importance de l’Union européenne et de nos interconnexions. Cependant, cette harmonisation ne doit pas se faire au détriment de nos particularités.
Le processus législatif européen, très complexe, nous laisse parfois perplexes. Nombre d’entre nous se souviennent encore du règlement encadrant la forme et la courbure du concombre, abrogé depuis 2009 – je tiens à le préciser.
Ce processus est toutefois ouvert et transparent. La Commission européenne procède à de nombreuses consultations, qu’il s’agisse d’élaborer de nouvelles législations ou d’évaluer des législations déjà en vigueur.
De notre côté, en tant que parlementaires nationaux, nous avons le devoir de nous assurer du respect du principe de subsidiarité dans les législations proposées.
Or, malgré tous les encadrements existants, il arrive que certains sujets ne soient pas suffisamment pris en compte dans l’élaboration des règles et dans leur harmonisation. Cela peut mener à des situations difficiles sur nos territoires et pour nos concitoyens.
Deux exemples sont à cet égard particulièrement éclairants.
Le premier concerne notre savoir-faire et notre patrimoine et a été porté à notre attention par l’une de mes collègues du groupe Les Indépendants, Vanina Paoli-Gagin. Actuellement, la Commission européenne réfléchit à une révision du règlement que l’on appelle communément Reach et, dans ce cadre, envisage d’interdire l’utilisation du plomb.
Dans la proposition de résolution européenne adoptée le 26 août dernier est expliqué tout l’enjeu qu’il y aurait à nuancer cette interdiction, notamment pour le secteur du vitrail. Nous avons la chance, en France, de détenir la plus grande surface au monde de vitraux. Les rapporteurs du texte faisaient remarquer qu’environ 60 % des vitraux européens se trouvaient dans notre pays ; notre savoir-faire est en la matière quasi unique. Or il est impossible, pour nos artisans, de se passer du plomb. D’ailleurs, cette filière a mis en place toute une série de mesures pour protéger des risques liés à la manipulation du plomb, mais aussi pour prévenir ces risques.
Ce patrimoine est un savoir-faire, certes, mais il représente aussi des milliers d’emplois sur nos territoires, et même au-delà. En mars 2001, le président Jacques Chirac, s’exprimant lors de la remise du titre de meilleur ouvrier de France, rappelait justement que « ce sont ses savoir-faire reconnus qui assurent pour une très large part la renommée de notre pays dans le monde entier » ; j’ajouterai : la renommée de l’Europe. Il est important que les territoires, les savoir-faire et les cultures soient mieux pris en considération dans la construction des règles européennes. À défaut, nous risquerions de perdre rien de moins que nos identités.
Le second exemple se trouve sur mon territoire. Il concerne les appellations d’origine protégée Brie de Meaux et Brie de Melun. L’obtention de ces AOP s’est avérée complexe, ce qui est normal lorsqu’un cahier des charges doit être défini pour un produit d’exception. Grâce à de nombreux acteurs du département, notamment les confréries, nous avons pu mettre en valeur ces fromages. Les confréries sont précieuses sur les territoires : elles jouent un rôle de garant de nos savoir-faire, de notre culture et de notre patrimoine. Elles connaissent les besoins et, souvent, soulèvent des problèmes. Il en existe plus d’un millier en France, regroupées dans les ambassades régionales des confréries, des produits du terroir, du goût et de la gastronomie.
Ma conviction est qu’il existe un besoin d’ingénierie territoriale, qui pourrait être satisfait sur le modèle d’une des propositions que j’avais formulées dans mon rapport d’information intitulé Pour une mobilisation plus ambitieuse des fonds européens au service des territoires. Le développement d’une telle ingénierie permettrait de faire remonter certains besoins et problèmes des territoires, comme ceux que je viens d’évoquer, et d’accompagner ces derniers.
Il me semble qu’à cet égard l’échelon départemental serait tout indiqué ; qu’en pensez-vous, madame la secrétaire d’État ? Je pense aux centres Europe Direct, dont c’est le rôle, qui ont commencé à voir le jour au sein de certains départements ou de certaines villes, ainsi qu’au réseau des maisons de l’Europe.
Ainsi le lien serait-il renforcé entre l’élaboration des réglementations et les besoins des citoyens et des territoires européens, et donc, in fine – nous en avons plus que jamais besoin –, entre l’Union européenne et les Européens.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. J’ai assez parlé, me semble-t-il, du plomb et du vitrail. Deux mots, peut-être, sur le brie de Meaux, en focalisant mon propos sur la question que vous m’avez posée, madame la sénatrice.
Comme vous le savez, l’Europe protège les produits du terroir via des AOP, et l’organisme de défense et de gestion (ODG) a pour fonction de rédiger le cahier des charges des produits qui sont sous signe d’identification de la qualité d’origine – AOP, IGP, label rouge.
Tout n’est pas parfait, certes. Dans le cas du brie de Meaux, des oppositions ont été formulées quant à la délimitation de l’aire géographique de production de ce fromage. Elles n’ont pas été jugées recevables parce qu’elles ne portaient pas sur un élément du cahier des charges susceptible de modifications, mais, je l’ai dit, sur l’aire géographique elle-même. La position de l’ODG n’ayant pas évolué, peut-être faut-il, pour le convaincre, entreprendre une action au niveau national ; son raisonnement est que la production actuelle est suffisante, bien répartie dans l’aire géographique, et qu’elle permet même la mise en place d’une réserve de lait.
J’ai bien conscience de la sensibilité de ce sujet. Au regard notamment de l’ancienneté des demandes qui ont été formulées en ce sens, je serais ravie d’en discuter à nouveau avec vous, madame la sénatrice.
Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. J’avais aussi évoqué l’AOP Brie de Melun. Il me paraît nécessaire d’accorder encore un peu d’attention aux conditions d’obtention de ces AOP, qui font vraiment la renommée de nos fromages.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on le voit, les propositions d’harmonisation des normes émises par la Commission européenne peuvent s’avérer hors-sol.
Ainsi – cela a été dit et répété – la révision du règlement Reach, entièrement élaborée à Bruxelles, manque-t-elle un peu de prise en compte des réalités spécifiques à certains territoires ou filières. Le président de notre commission des affaires européennes évoquait voilà quelques instants les dangers d’une harmonisation aveugle des réglementations du marché intérieur ; avec le règlement Reach, c’est manifestement le cas. Ce texte concerne les substances chimiques, mais aussi les huiles essentielles, l’huile essentielle de lavande notamment, élément particulièrement important de notre patrimoine culturel.
La révision des règlements Reach et CLP va encore accroître les exigences en vigueur. La filière des huiles essentielles dans sa diversité – lavande, eucalyptus, etc. – ne pourra qu’échouer à s’adapter face à des méthodes d’évaluation conçues – insistons-y – pour la chimie de synthèse. Ne laissons pas des règlements mettre à mal ces filières alors même qu’ils n’apportent, en l’espèce, aucun gain de sécurité pour les consommateurs.
En somme, nous plaidons, et le bon sens plaide, en faveur d’une harmonisation européenne des normes lorsque celle-ci a pour objectifs des plus-values sociales, environnementales, sanitaires, économiques, et sait tenir compte de la clairvoyance des acteurs locaux. Or, dans ce cas précis, la démarche adoptée par l’Union européenne témoigne d’une vision technocrate s’agissant de produits traditionnels élevés au même rang que des produits chimiques classiques. Cette démarche est hors-sol !
On l’a dit, l’interdiction européenne du plomb et la lourde procédure d’autorisation prévue seraient catastrophiques pour les métiers du patrimoine français des vitraux. Nous avons donné l’alerte via une résolution de notre commission des affaires européennes qui a déjà été évoquée – notre collègue Catherine Morin-Desailly vient de le rappeler très clairement.
Cela dit, critiquer les défauts des propositions de loi européennes n’exclut pas, à l’inverse, de dénoncer également les retards français en matière de transposition et d’application de certaines directives – je pense à la qualité de l’air, à la directive-cadre sur l’eau ou à la gestion des déchets.
Je donne un exemple précis, très actuel, de non-respect par la France de normes européennes : celui du chanvre, et plus spécifiquement du cannabidiol (CBD). Dans ce domaine, nous observons d’importants blocages gouvernementaux limitant la possibilité de développement d’une filière alors même que nous disposons des savoir-faire, des conditions et du cadre juridique européen nécessaires !
La demande de CBD, produit non psychotrope et non toxique – il faut le dire –, est forte ; l’opinion publique y est favorable. Bien que cette filière ait en France un potentiel économique important, nos autorités prohibent l’usage de la fleur, donc l’extraction de CBD, pourtant non psychotrope. La France a par conséquent été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne, sa réglementation étant contraire au droit européen. Je vous renvoie sur ce sujet à la proposition de résolution transpartisane cosignée par plus d’une cinquantaine de sénatrices et sénateurs ; en novembre, nous aurons l’occasion d’en débattre dans notre hémicycle.
L’harmonisation au niveau européen des législations fiscales, sociales et environnementales, loin d’être une orientation idéologique réservée à quelques proeuropéens convaincus et autres forcenés du fédéralisme, est aujourd’hui une nécessité si nous ne voulons pas que l’Union européenne s’effondre, et nos écosystèmes avec elle.
À considérer par exemple la dimension écologique, la nécessité d’une harmonisation des normes européennes tombe sous le sens : on ne lutte pas contre le réchauffement climatique en agissant seul dans son coin, c’est évident, et certaines règles – je pense aux pesticides – vont devoir être harmonisées au niveau européen.
La subsidiarité ne doit pas servir de prétexte à l’immobilisme. Par exemple, élever des poules ou des lapins dans des cages de la taille d’une feuille de format A4 n’est en aucun cas une tradition : c’est une mauvaise pratique qui perdure. Quel bénéfice, par ailleurs – et je ne parle pas uniquement de bénéfice économique –, tirons-nous de traditions comme la corrida ?
Il me paraît nécessaire de rappeler, pour conclure, que nous ne saurions nous contenter de normes écologiques, sociales et sanitaires à usage interne : il s’agit d’étendre ces exigences à nos importations. Cela vaut pour le devoir de vigilance sociale et environnementale qu’ont nos entreprises à l’égard de toutes leur chaîne de valeur, par-delà les frontières ; cela vaut également, madame la secrétaire d’État, pour nos accords commerciaux.
On nous a promis que nous allions entrer dans une nouvelle ère du commerce européen ; nous attendons toujours ! À quand des accords contenant des clauses miroir réellement appliquées de respect de nos normes européennes ? L’accord de libre-échange signé récemment entre la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne en est loin, très loin ! C’est pourtant aussi par ce biais que nous préserverons la vitalité et la riche diversité de nos territoires, de leurs savoir-faire et de leurs cultures.