Mme la présidente. Pardonnez-moi de vous couper, madame la ministre, mais votre temps de parole est limité à deux minutes par réponse et vous le dépassez systématiquement. Je signale en outre que vous disposerez d’un temps de parole de cinq minutes à l’issue du débat.
Mme la présidente. Je vous en prie, madame la ministre.
M. Thani Mohamed Soilihi. J’accepte les réponses écrites !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour remercier le groupe CRCE d’avoir proposé ce débat.
La protection et l’émancipation des femmes ainsi que la lutte contre le sexisme s’imposent à notre société. Les violences faites aux femmes sont l’une des atteintes aux droits les plus courantes dans le monde ; dans huit cas sur dix, elles sont commises par une personne vivant sous le même toit que la victime. Au cours du seul mois de janvier 2022, huit femmes et une enfant de deux ans sont décédées sous les coups, respectivement, de leur conjoint ou de leur père.
En 2019, année du lancement du Grenelle contre les violences conjugales, 146 femmes ont perdu la vie dans ces tristes circonstances ; en 2021, elles étaient 113. Toutefois, ces féminicides ne sont que la partie émergée de l’iceberg ; nombreuses sont encore les femmes qui subissent des violences psychologiques en silence.
Il existe en effet un décalage entre les dispositifs mis en place et le nombre de femmes victimes qui acceptent de parler. Tout agresseur devrait être convoqué, au moins pour un rappel à la loi. La parole des femmes, aujourd’hui encore, est insuffisamment prise en compte, malgré les récents progrès constatés en la matière. Nous devons former les professionnels de santé à la détection des situations de violence conjugale et à l’écoute des victimes. Il faut permettre à ces dernières de retrouver leur dignité, de se défaire de leur peur et de leur sentiment de honte, et les aider à porter plainte en démontant le mécanisme d’emprise qui les lie à leurs agresseurs.
Les dispositifs proposés par la justice, comme les téléphones grave danger et les bracelets anti-rapprochement, apportent des réponses concrètes. Actuellement, 479 hommes sont équipés d’un bracelet – vous avez même cité un chiffre légèrement supérieur, madame la ministre – et 200 victimes disposent d’un téléphone grave danger. Depuis mardi dernier, les victimes sont en outre obligatoirement avisées de la sortie de prison de leur conjoint ou ex-conjoint violent.
Ces mesures vont dans le bon sens. Nous devons éviter toute rupture dans la surveillance des agresseurs et agir à tous les niveaux, en renforçant la prévention, la détection et les sanctions.
Malgré les dispositifs déployés, les violences faites aux femmes ont augmenté de 25 % par rapport à 2019. Cette recrudescence s’explique par une hausse très significative des agressions lors du premier confinement et par une libération concomitante de la parole. En sus du numéro d’urgence, le 3919, les victimes ont désormais la possibilité d’alerter les forces de l’ordre dans les pharmacies. Ce système, inspiré du modèle espagnol, devrait favoriser les signalements.
En Corrèze, les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence sont très insuffisants. Pour travailler efficacement, nous devons œuvrer en faveur de la concertation entre les associations d’un même département.
Les conclusions du rapport déposé le 8 juillet 2020 par nos collègues Arnaud Bazin et Éric Bocquet sont confirmées, aujourd’hui encore, par les acteurs de terrain : les outils existent, mais les modalités d’attribution des crédits ne sont pas suffisamment connues ni expliquées. Les financements sont versés sur des périodes trop courtes pour que les associations aient de la visibilité.
Celles-ci en sont réduites à travailler avec des bouts de ficelle et à naviguer à vue, en s’appuyant sur le dévouement et le travail extraordinaires de leurs salariés et de leurs bénévoles. L’association Le Roc, en Corrèze, a dû licencier trois personnes et ne peut donc plus prendre en charge que trois hébergements sécurisés vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
La prise en charge médicale ne doit pas prendre le pas sur l’accompagnement social. Ces deux composantes sont essentielles pour aider les victimes. Collectivement, nous devons renforcer la prise en charge des victimes qui sont en situation de précarité sociale, économique et psychologique.
Il est primordial d’augmenter le nombre de places d’hébergement d’urgence sécurisé, sans oublier, bien sûr, les solutions d’hébergement pérennes. Nous devons également prendre en charge les auteurs de violences afin d’éviter les récidives.
Madame la ministre, nous sommes sur la bonne voie, la parole se libère et de nouveaux dispositifs de signalement et de contrôle sont déployés, mais les violences persistent, aggravées par les confinements successifs.
Il faut aller plus loin et actionner tous les outils nécessaires pour développer une culture de la protection des femmes et des enfants exposés à ces violences insupportables. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, SER et GEST. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la libération de la parole des victimes, qui est extrêmement salutaire. En vérité, les victimes parlent depuis longtemps, mais désormais, enfin, on les écoute, on les prend au sérieux et on traite leur parole. Voilà ce qui est en train de changer.
Si nous observons une augmentation aussi importante – +33 % – des signalements, c’est parce que, grâce à la libération de la parole, en particulier sur les réseaux sociaux, aux politiques publiques mises en œuvre et au travail mené depuis des années par les associations féministes pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles, de plus en plus de victimes prennent la parole, y compris pour dénoncer des faits vieux de six mois, deux ans, cinq ans. Cela ne peut être que salutaire pour notre société et il faut continuer dans ce sens.
Vous avez parlé des associations. Depuis que j’ai pris mes fonctions, l’année dernière, le budget de mon ministère a augmenté de 40 %, et il s’accroît encore de 25 % en 2022. Or la très grande majorité de ces augmentations de crédits sont directement allouées, sachez-le, aux associations, afin de leur permettre de faire leur travail. Je déplore donc un peu les discours que j’entends à ce propos : la semaine dernière, la présidente d’un centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) affirmait qu’il n’y avait que des paroles, mais pas d’actes. Or nous avons augmenté le budget de la Fédération nationale des CIDFF (FNCIDFF) de 38 % ! Ne sont-ce là que des paroles ?
Certaines personnes semblent avoir du mal à quitter leur costume politique… Je pense, moi, que ce sont les faits et les actes qui comptent.
J’en termine en évoquant plus spécifiquement la Corrèze, monsieur le sénateur : j’y ai organisé huit comités locaux d’aide aux victimes ; le maillage territorial fonctionne bien et nous y veillons.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.
M. Daniel Chasseing. Je ne doute ni de votre bonne volonté ni de votre efficacité, madame la ministre. J’ai simplement cité un cas en Corrèze : l’association Le Roc est obligée de licencier trois personnes et de ne conserver que trois places d’hébergement sécurisé sur six disponibles auparavant. Sécuriser les hébergements d’urgence me paraît crucial, même s’il ne faut pas négliger les hébergements pérennes.
J’appelle votre attention sur ce sujet, dont je vous saurais gré de tenir compte.
Mme Laurence Cohen. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud et Mme Annick Billon applaudissent également.)
M. Bruno Belin. À la question « sommes-nous à la hauteur ? », dont le groupe communiste, que je remercie, nous permet de débattre aujourd’hui, la réponse est « non », madame la ministre.
Les chiffres sont têtus et ils nous choquent – Mme Gruny évoquait son département de l’Aisne, qui a enregistré une hausse de plus de 23 % des violences sexuelles.
Les féminicides ont été plus particulièrement évoqués, mais nous devons avoir en tête aussi toutes les violences quotidiennes, et rechercher leurs causes.
Sommes-nous à la hauteur en matière de sécurité ? Non ! On le voit bien, nous ne sommes pas en capacité d’assurer la sécurité d’une femme au sujet de laquelle nous disposons pourtant d’informations préoccupantes relatives à son entourage. Nous ne sommes pas capables de lui fournir un hébergement.
Il faudrait d’ailleurs, madame la ministre, inverser la sanction du départ. Actuellement, en cas de problème dans un foyer, c’est la victime qui doit partir, ce qui pose une véritable difficulté en milieu rural – nos collègues Maryse Carrère et Daniel Chasseing l’ont noté –, où il n’existe pas de logements d’urgence. Si vous voulez mettre en œuvre un véritable plan contre les violences conjugales, il faudra un jour penser à la question du logement d’urgence.
Sommes-nous à la hauteur en matière de santé ? Non ! Le rapport réalisé par la délégation aux droits des femmes sur les femmes et la ruralité montre que treize départements n’ont pas de gynécologue, madame la ministre ! À chaque fois qu’un lieu de santé disparaît, c’est un lieu de confidence et de confiance qui disparaît. La progression des déserts médicaux est l’une des causes, selon moi, du développement de la violence intrafamiliale. À cet égard, je voudrais saluer mes consœurs et confrères pharmaciens qui ont su développer durant les confinements l’opération « masque 19 », permettant aux femmes de donner l’alerte en cas de violences.
Sommes-nous à la hauteur pour ce qui est de la place des femmes ? Non ! Au sein des conseils municipaux, nous avons su inventer les correspondants défense. Inventons les correspondants violence ! Cela ne coûterait rien ! À chaque fois qu’une femme peut être écoutée, c’est la parole qui se libère et vous vous mettez en situation d’apporter des réponses.
Cessons de nous réfugier derrière des quotas et décidons, tout simplement, d’ouvrir à la parité toutes les écoles qui forment les commissaires de police et les officiers de gendarmerie, mais aussi les plus grandes écoles de la République. Vous le savez comme moi, l’École nationale d’administration (ENA) compte actuellement 80 % d’hommes. Si, à chaque niveau de l’État, il n’y a pas une place pour les femmes, la violence sera toujours là.
Sommes-nous à la hauteur sur les questions de formation ? Non ! Vous le savez très bien, l’article L. 312-16 du code de l’éducation ne prévoit que quelques minutes d’éducation à la sexualité. Ouvrons les vannes de la formation, madame la ministre, à l’école et dans les collèges ! Ouvrons les vannes de l’instruction civique ! Par le respect que fera naître une telle formation, les choses s’amélioreront.
Laurence Rossignol et Laurence Cohen l’ont dit, un travail sur la pornographie est en cours au sein de la délégation aux droits des femmes. Je peux vous l’assurer, mes chers collègues, vous tomberez de votre siège quand vous entendrez ce qu’il en est en réalité de l’accès à cette pornographie et de la brutalité de la violence afférente. Il faudra avoir le courage de prendre un certain nombre de décisions : en la matière et une fois de plus, nous ne sommes pas à la hauteur.
Puisque l’occasion m’en est donnée, je veux saluer le travail accompli par la délégation aux droits des femmes et par sa présidente, Annick Billon. C’est un honneur d’y participer, madame. C’est une grande chance pour le Sénat que d’avoir cette délégation ! (M. Jean-Michel Arnaud et Mmes Annick Billon, Laure Darcos, Guylène Pantel et Lana Tetuanui applaudissent.)
Je veux également avoir une pensée pour toutes les femmes afghanes, dont nous connaissons les souffrances. Le monde ne pourra pas vivre dans la fierté tant qu’une femme sera violentée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Je précise à l’attention du sénateur Chasseing, information d’importance, que l’association Le Roc a obtenu sept places d’hébergement en 2021.
Monsieur le sénateur Belin, j’aurais aimé, vraiment, que le groupe auquel vous appartenez eût eu plus tôt le même volontarisme et la même ambition que ceux dont vous faites preuve aujourd’hui concernant les violences faites aux femmes. Je suis convaincue qu’ainsi nous aurions progressé. (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Et Aurélien Pradié ?
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Les moyens mis en œuvre pour traquer pas à pas les féminicides nous permettent d’avancer, parce que nous nous assurons de leur efficacité. Les drames que vous avez mentionnés exigent à la fois de l’humilité et de la détermination. Évidemment, lorsque fait défaut un ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, comme c’était le cas lorsque Les Républicains étaient au pouvoir, il est difficile d’ériger cette question, comme nous le faisons nous, en priorité. (M. Bruno Belin et Mme Pascale Gruny manifestent leur indignation.)
Ce sujet me paraît trop grave pour être instrumentalisé.
M. Bruno Belin. C’est vous qui êtes en train de l’instrumentaliser !
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Il doit plutôt nous rassembler. Un féminicide sera toujours un féminicide de trop. Nous avons travaillé ensemble, depuis 2017, à construire des dispositifs législatifs et à faire augmenter les budgets ; il faut poursuivre dans cette voie.
En 2015, 144 féminicides avaient été enregistrés. Je le répète, ce chiffre a considérablement baissé, grâce aux nombreux dispositifs mis en place. Il faut continuer de donner espoir à ces femmes et à ces enfants, auxquels nous pensons aujourd’hui. Leur dire que tout cela ne fonctionne pas, c’est leur dire qu’il existe en la matière une fatalité, ce que je refuse, monsieur le sénateur.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin, pour la réplique.
M. Bruno Belin. Je suis très choqué, madame la ministre, que vous évoquiez des questions de politique politicienne, de partis ou de groupes ! Si vous voulez aller sur le terrain de l’histoire, permettez-moi de vous rappeler que les plus grandes lois sociales ont été décidées par des présidents de la République ancrés à droite – je peux citer le général de Gaulle pour ce qui concerne la sécurité sociale et les allocations familiales, le président Giscard d’Estaing pour ce qui est de l’interruption volontaire de grossesse ou le président Chirac et la loi Handicap. (Protestations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Vous êtes dans l’erreur, madame la ministre !
Vous parlez encore et toujours des féminicides ; avoir comme indicateur ou comme phare la mort d’une femme, c’est terrible ! Il y a 230 000 violences « ordinaires », comme vous dites, chaque année ; c’est tout aussi terrible ! Tant qu’on n’arrivera pas à traiter ces violences, vous n’arriverez pas à zéro féminicide ! Je rejoins ce que disait Laurence Cohen : donnez des instructions, la Chancellerie est faite pour ça ! Le viol figure dans le code pénal et dans le code de procédure pénale, il doit être traité en tant que tel. (Mme Pascale Gruny applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, 2022 ne fait que commencer et on recense déjà 13 féminicides, décompte macabre s’il en est.
Vous justifiez votre politique, madame la ministre, sur la base de chiffres qui traduiraient une diminution des violences. Je vous incite néanmoins à la prudence et à la mesure. En effet, ma collègue Laurence Rossignol et moi-même l’avons relevé ensemble, il y a eu 109 féminicides en 2016. Ces chiffres ne sauraient donc révéler une tendance. Ils dénotent simplement la persistance des violences et exigent que nous soyons à la hauteur de la situation.
Les violences, on le sait, sont perpétrées de multiples manières. À cet égard, je tiens à saluer les femmes qui ont le courage de prendre la parole et de porter la parole des victimes, dans des circonstances toujours difficiles et délicates, pour dénoncer de tels faits. C’est grâce à elles que nous avons progressivement pris conscience des problèmes très graves auxquels nous sommes confrontés.
Aujourd’hui, personne ne dit que le Gouvernement ne fait rien. En revanche, nous disons – cette formule a été prononcée à de nombreuses reprises au cours du débat – que le Gouvernement n’est pas à la hauteur. Il est difficile de l’être, certes : la situation est grave, très fortement enracinée dans notre société, où le patriarcat domine depuis des siècles.
Mais, de surcroît, le Gouvernement n’est pas à la hauteur de ses propres mots. Vous parlez de grande cause du quinquennat et brandissez le chiffre de 1 milliard d’euros, quand nous observons, sur le terrain, que le compte n’y est pas ; en découlent déceptions et colère.
En effet, la situation ne s’améliore pas beaucoup. Nous constatons que des associations dont les militants et les professionnels œuvrent à aider les femmes se retrouvent en difficulté. Nous constatons que la situation du logement ne permet pas de répondre aux problèmes qui sont pointés année après année.
On peut bien nous parler de grande cause nationale et nous dire que l’argent est là ; mais nous voyons que tel n’est pas le cas ! C’est le Gouvernement qui se met lui-même en difficulté…
Vous n’êtes pas à la hauteur des mots mêmes que vous prononcez ! Ce décalage engendre une grande colère et explique que nous ayons tant de mal à nous mettre d’accord, quand nous devrions, tous ensemble, promouvoir une dynamique collective.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier le groupe CRCE d’avoir fait inscrire ce débat à l’ordre du jour.
Madame la ministre, vous seriez soutenue par l’ensemble des groupes politiques du Sénat si vous aviez été à la hauteur de vos mots et de ceux du Président de la République.
On ne saurait considérer que les choses vont beaucoup mieux aujourd’hui. Certes, un nombre important de femmes et d’hommes prennent conscience du problème. Les moyens mobilisés, néanmoins, ne sont pas à la hauteur, comme l’a bien montré mon collègue Éric Bocquet dans le rapport d’information qu’il a coécrit avec Arnaud Bazin au nom de la commission des finances – je ne doute pas qu’il y reviendra avec précision.
Les moyens et les montants mis en avant par le Gouvernement ne trouvent pas de traduction sur le terrain. Ce refrain du milliard d’euros est en définitive très artificiel ; on l’a bien vu au moment de la polémique engendrée par les annonces de Mme Schiappa fin 2019 et début 2020 ! Il ne faut pas jouer avec ça : nous sommes tous suffisamment conscients de la gravité des faits.
Il est temps qu’advienne un sursaut collectif. Le prochain quinquennat devra faire enfin de ce sujet une véritable grande cause ; le cas échéant, tout le monde répondra présent pour soutenir le travail engagé.
Sur le terrain, dans les commissariats, au moment des dépôts de plainte, lorsqu’il faut mettre à l’abri une famille ou protéger une femme qui prend la parole, les moyens ne sont pas là, malgré les belles paroles ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la sénatrice Taillé-Polian, permettez-moi simplement d’apporter une précision concernant les chiffres que vous avez mentionnés. En 2016, j’y insiste, il y a eu 157 féminicides. Je ne veux pas compter, mais il est important de donner les bons chiffres ! Vos chiffres ne prennent pas en compte les partenaires hors mariage. Je veux croire qu’il s’agit là d’une simple omission…
Vous affirmez qu’il ne faut pas s’arrêter aux chiffres, mais ceux-ci sont nécessaires là où il s’agit de mesurer nos progrès.
Vous appelez de vos vœux une dynamique collective ; mais je ne demande que cela ! Je travaille avec toutes les personnes qui le souhaitent, à condition qu’on n’instrumentalise pas ce sujet.
Oui, il reste beaucoup à faire, vous avez raison, madame la sénatrice Rossignol. Je ne manque pas d’humilité, et je n’ai pas peur de dire que nous pouvons et devons aller plus loin. Reconnaissons néanmoins à ce gouvernement le mérite de s’être emparé de cette question de manière extrêmement volontariste. Que vous le reconnaissiez ou non, nous en avons bel et bien fait une grande cause du quinquennat.
Quatre lois destinées à protéger les victimes et leurs enfants ont ainsi été votées en cinq ans ! Deux lois ont permis que la contribution économique et financière des femmes soit considérée et respectée ! Nous le savons, de nombreuses femmes ne parviennent pas à échapper à ces violences parce qu’elles sont en situation de précarité et de vulnérabilité.
Puisque vous m’offrez de travailler ensemble, sachez que je serai totalement attentive à ce que vous proposerez.
À cet égard, je tiens à saluer le travail accompli par la délégation aux droits des femmes, magistralement présidée par Mme la sénatrice Annick Billon. (Mme Lana Tetuanui applaudit.) Nous avons toujours travaillé main dans la main pour faire avancer nos sujets, que ce soit sur le droit des enfants ou sur les zones rurales.
Ne nous reprochez donc pas de nous être emparés de cette question avec autant de volontarisme, de l’avoir portée dans le débat public et d’avoir investi financièrement et humainement ! Nous continuerons à le faire, avec humilité, parce que nous sommes conscients qu’il reste encore beaucoup à faire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la ministre, sur le terrain, pour de nombreuses associations, votre volontarisme est un volontarisme de façade.
Ce n’est pas votre volonté politique qui fait avancer les droits des femmes, ce sont les femmes qui se mobilisent. Si, à l’heure actuelle, on parle tant de ces questions, c’est d’abord grâce aux militantes, qui se sont levées, qui parlent et aident les autres femmes à parler – je veux leur rendre hommage.
Vous dites agir avec humilité ; c’est un peu facile. À prétendre sans arrêt que le milliard est là alors qu’il n’y est pas – nous le savons tous très bien –, vous manquez singulièrement d’humilité, et de décence, eu égard à la situation actuelle des associations ! Au demeurant, je suis sûre que M. Bocquet reviendra sur ce point.
Enfin, je dois le dire, madame la ministre, nous avons fait des propositions, toutes travées confondues, à chaque débat, budgétaire ou autre. Bien souvent, le Gouvernement était aux abonnés absents ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord souhaiter un prompt rétablissement à ma collègue Marie-Claude Varaillas, qui devait intervenir à ma place, mais est contrainte à l’isolement pour les raisons que vous savez.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a souhaité débattre de la lutte contre les violences faites aux femmes, qui avait été déclarée grande cause du quinquennat par Emmanuel Macron en 2017.
Le 1er décembre dernier, le ministre de la justice, M. Éric Dupond-Moretti, avait prononcé les mots suivants devant la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale : « on a fait énormément de choses, même si le crime nous rappelle parfois, hélas, qu’on n’en a pas fait assez peut-être. »
Comme l’a rappelé ma collègue Laurence Cohen dans sa présentation, la lutte contre les violences faites aux femmes s’est imposée dans le débat public. Au cours des cinq dernières années sont intervenues des évolutions législatives importantes, toutes grevées néanmoins d’un même défaut : des moyens budgétaires et humains insuffisants pour que les objectifs fixés dans la loi soient atteints.
En apparence, le budget consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes a progressé durant le quinquennat.
Ainsi le budget du ministère délégué chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes a-t-il doublé entre 2017 et 2022, passant de 22,3 millions d’euros à 50,6 millions d’euros.
Toutefois, comme nous l’avions souligné, avec mon collègue Arnaud Bazin, dans notre rapport d’information de juillet 2020 sur le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes, abondamment cité par nos collègues cet après-midi, il en va bien autrement dans la réalité.
En effet, l’augmentation du budget du ministère s’est accompagnée d’une augmentation de ses missions, réduisant de facto les crédits supplémentaires concrètement alloués à notre sujet.
Par ailleurs, une partie de cette enveloppe supplémentaire provient de la réallocation d’anciens crédits non utilisés, ce qui signifie que la mise en œuvre de certaines mesures s’est faite au détriment d’autres actions initialement prévues.
Le Gouvernement revendique une enveloppe totale de plus de 1 milliard d’euros consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Mais là encore le compte n’y est pas, puisque ce milliard d’euros s’échelonne en réalité sur plusieurs exercices budgétaires. En outre, près de la moitié des fonds affichés va à la rémunération des enseignants qui abordent en classe les questions d’égalité entre les sexes.
Le bilan est donc à bien des égards à relativiser quant aux efforts financiers consentis durant ce quinquennat.
Il ne faut pas nier cependant les progrès qui ont été réalisés. Laurence Cohen disait en préambule que nous souhaitions un débat objectif. Cette volonté est partagée par les acteurs de terrain, en particulier les associations qui viennent en aide aux femmes victimes de violences.
Je pense notamment à l’association Femmes solidaires, qui a établi un rapport, en novembre 2021, sur l’accueil des femmes victimes de violences sexistes, sexuelles et conjugales par la police ou la gendarmerie.
Il est fait mention, dans ce rapport, de l’augmentation du nombre de policiers et gendarmes formés ou de l’intégration dans le cursus des magistrats d’une formation sur l’accueil des femmes victimes de violences.
Ses auteurs saluent par ailleurs le déploiement dans les commissariats et les gendarmeries de référents violences, d’intervenants et intervenantes sociaux, de psychologues, ainsi que l’organisation d’expérimentations prometteuses, comme celle de la Maison des femmes de Saint-Denis, qui accueille dans ses locaux des policiers et policières spécifiquement formés afin que les plaintes des victimes puissent être prises sur place.
L’association Femmes solidaires note néanmoins la persistance des freins auxquels sont confrontées les victimes. Ainsi, la peur des représailles, l’absence de soutien des proches, parfois, le coût d’une procédure et l’appréhension engendrée par le fait de se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie – telles sont les raisons invoquées le plus fréquemment – font que seule une victime de violences sur six porte plainte.
Les victimes continuent de subir le manque de personnel, qui rend impossible de garantir un accueil de qualité, ainsi que les pénuries de moyens, qui font matériellement obstacle aux dépôts de plainte et empêchent la justice de remplir sa mission dans les meilleurs délais et de garantir ainsi la sécurité des femmes.
Face à une telle situation, les associations apportent leur aide aux femmes en participant à l’accueil avec les services de police ou de gendarmerie. Ces relations sont citées comme un facteur important d’amélioration de l’accueil et de l’audition de la victime. Elles permettent une prise de rendez-vous plus rapide et plus efficace, avec une personne formée sur les questions de violences, mais aussi une présentation, en amont de l’audition, de la situation de la victime.
Madame la ministre, ma première question sera donc la suivante : que pensez-vous de la proposition d’intégrer les associations dans le processus d’accueil des victimes de violences ?
La pandémie a affecté l’ensemble de la société, et les plus précaires ont été particulièrement touchés. Ma collègue Michelle Gréaume avait déposé, voilà un an, une proposition de loi visant à mettre en place une aide financière d’urgence en direction des victimes de violences conjugales. Nous constatons, dans notre territoire, que l’un des principaux freins au départ du domicile, outre l’emprise exercée par le conjoint, est le manque de ressources financières propres.
La mise en place d’une aide financière d’urgence destinée aux victimes de violences conjugales permettrait d’encourager la démarche de départ.
Tel sera l’objet de ma deuxième question : que pensez-vous, madame la ministre, de la proposition consistant à attribuer pendant trois mois, sous forme d’avance sur droits, soit directement à la personne soit à la structure d’hébergement d’urgence, une aide financière afin d’aider les victimes de violences conjugales à quitter le domicile ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et UC. – Mmes Esther Benbassa et Laure Darcos applaudissent également.)