M. Bernard Fialaire. Notre société a besoin d’autorité et de compétence pour réhabiliter la science et éviter les dérives que nous constatons de nos jours. Comment comprendre que des gens portent une étoile jaune au prétexte qu’on leur propose un vaccin gratuit ?
Nous attendons de l’autorité de la part de l’État, mais aussi de la part des universitaires afin de fixer des repères suffisamment structurants pour notre jeunesse.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le terme « wokisme » n’ayant pas encore intégré Le Petit Robert, je souhaite partager avec vous la définition qu’en donne Pierre Valentin dans son étude L’idéologie woke. Anatomie du wokisme.
« Être “woke” signifie être “éveillé”. Il s’agit ici d’être éveillé aux injustices que subissent les minorités dans les pays occidentaux. […] Cette idéologie connaît une forte progression. L’émergence de cette nouvelle culture morale, dans laquelle le statut de victime devient une ressource sociale, requiert certaines conditions. […] Ces conditions sont toutes plus ou moins présentes dans les sociétés occidentales, mais plus particulièrement sur le campus des universités américaines, là où le “wokisme” y est le plus influent.
« Le plus souvent, les militants sont issus de familles aisées. Enfants, ils ont connu de trop brefs moments de jeu libre et sans surveillance. Adultes, ils peinent à se débarrasser de l’habitude prise consistant à rechercher une autorité instituée en cas de conflit avec une autre personne au lieu de le régler directement eux-mêmes. L’une des conséquences est la croissance d’une bureaucratie universitaire chargée de poursuivre et de prolonger cet état de surprotection. »
À l’heure où l’idéologie woke essaie de s’imposer dans le débat public et, plus grave encore, dans les rapports entre les citoyens, il me paraît important d’être vigilant sur l’américanisation de notre société et sur les tentatives hasardeuses et fallacieuses d’assimilation entre la France et les États-Unis.
Et pour lutter contre ces dangereuses analogies, quoi de mieux que quelques faits historiques ? La France, ce n’est pas l’Amérique !
Concentrons-nous sur le volet « racisme » de cette idéologie dont on a tendance à s’autoflageller. Il y a quatre-vingts ans, des Noirs étaient lynchés et pendus au nom de la justice dans certains États américains. Le dernier lynchage recensé dans ce pays date de 1981. À la même époque, en France, des députés de couleur siégeaient à l’Assemblée nationale.
Pendant la Première Guerre mondiale, un régiment d’Afro-Américains a été incorporé à l’armée française à la demande du maréchal Foch, et malgré le commandement américain qui disait alors que le « manque de conscience civique et professionnelle » des soldats noirs constituait une « menace constante pour les Américains ». Ces considérations n’existaient pas dans l’armée française. Ils furent traités d’égal à égal par leurs frères d’armes. Ces hommes noirs furent les premiers Américains à être décorés de la Croix de guerre française.
J’aurais aussi pu parler d’Eugène Jacques Bullard, cet Américain descendant d’esclaves qui s’engagea dans la légion à Paris, en 1914, à l’âge de 20 ans. Il avait quitté son pays deux ans plus tôt pour échapper au racisme. Il fut de tous les combats avant de devenir, en 1916, le premier aviateur noir du conflit au sein de notre armée, les Américains refusant de confier un avion à un Noir. En 1940, il s’engagea de nouveau dans l’armée française, mais il sera blessé et rejoindra New York, d’où il soutiendra la France libre.
La Seconde Guerre mondiale, parlons-en. Lorsque la guerre frappa de nouveau, les soldats de l’armée d’Afrique répondirent à l’appel du drapeau français, ensemble, quelle que soit leur couleur de peau. Cette conception était inconcevable pour nos alliés américains, qui pratiquaient alors encore une politique ségrégationniste dans leur pays, mais aussi dans leur armée.
Cette politique conduira les Américains à contraindre le général Leclerc de se séparer de certains de ses hommes au sein de la 2e DB, car ils étaient noirs. Une fois de plus, la France se distinguait de l’Amérique.
Au travers de ces quelques exemples historiques, que je pourrais multiplier à l’envi, il s’agit non pas de nier l’existence du racisme, mais d’argumenter et d’apporter de la nuance à ceux qui voudraient, pour justifier leur idéologie, faire des raccourcis et prendre la voie de la facilité sur un sujet si complexe.
Il est temps d’affirmer que notre pays et son histoire n’ont rien de comparable avec les États-Unis, et que le « racisme systémique » n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais dans l’ADN de la France.
Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, ce sont les menaces que les théories du wokisme font peser sur notre université, notre enseignement supérieur et nos libertés académiques.
Même le ministre de l’éducation nationale, M. Blanquer, avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, souhaite « déconstruire la déconstruction en cours ». C’est ce qu’il a déclaré lors du récent colloque sur ce thème à la Sorbonne, le 7 janvier dernier, et je le soutiens sur ce point.
Cessons de battre en permanence notre coulpe à propos de faits du passé que nous analysons avec les yeux d’aujourd’hui !
Oui, des inégalités ont existé, existent et existeront malheureusement toujours entre les individus et nous devons les combattre. Mais restons éveillés et fiers de notre histoire et de notre culture françaises. Restons fidèles à la France des Lumières, qui combat l’ignorance, diffuse le savoir et ne craint pas le débat. C’est l’ambition que notre université doit continuer à porter.
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. L’université doit rester ouverte et libre, tout en sachant résister aux sirènes du « nouveau monde », qu’il s’agisse du wokisme ou d’autres idéologies tout aussi dangereuses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean Hingray. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’espère que, dans un avenir proche, la société s’éveillera et saura ranger le wokisme dans la rubrique du fait colonial.
En effet, le wokisme a été introduit comme un cheval de Troie dans le milieu relativement perméable et poreux de l’université. Cette stratégie lui aura permis non seulement de se crédibiliser académiquement, mais aussi de gagner au passage quelques esprits pas suffisamment construits, ou plutôt insuffisamment construits pour accepter, finalement, d’être déconstruits.
Oui, il y a bien une tentative de colonisation des esprits via le monde universitaire et ses enseignements. On pourrait dire : plus c’est gros, plus ça passe ! Même si, à juste titre, on le sait historiquement plus sensible aux valeurs de justice et d’humanisme, ce monde universitaire est d’abord et avant tout fondé sur la rigueur du savoir et la fermeté de la raison. On pourrait donc en attendre moins de docilité et plus de résistance.
Le mot « université » renvoie au mot « universel ». Nous savons que la science et le savoir n’ont pas de frontières.
Le wokisme est une rupture avec l’humanisme : il dresse des catégories d’êtres humains les unes contre les autres – la liste est longue, et il ne faut surtout pas oublier les jeunes contre les vieux –, sans que l’on sache jusqu’où doit aller la contrition, la repentance, sans que l’on sache même s’il y a une limite.
On se croirait revenus à l’époque des Cathares : tuez-les tous, le wokisme reconnaîtra les siens ! L’université n’a besoin ni de Cathares ni de catharsis, madame la secrétaire d’État.
Voilà quelques semaines, j’avais interpellé Mme Vidal sur le sujet lors des questions d’actualités au Gouvernement. Elle m’avait répondu que sa main ne tremblait pas et qu’elle ne tremblerait pas à l’avenir pour éradiquer le wokisme, notamment à Sciences Po. Qu’a fait le Gouvernement depuis cette promesse, madame la secrétaire d’État ? Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?…
En tout cas, pour notre part, nous ne voyons rien venir et nous attendons que des actes succèdent aux promesses faites dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Hingray, bien évidemment, une réponse vous sera apportée par les services du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Vous l’avez dit, quel plus bel endroit pour s’éclairer et pour débattre que notre université ? S’il y a un combat à mener, c’est pour assurer la sérénité et la qualité des travaux, mais il faut le mener sans aucun angélisme.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais d’abord sincèrement remercier Max Brisson d’avoir demandé et obtenu ce débat. En effet, le Sénat est au cœur de ses responsabilités lorsqu’il évoque ce qui peut impacter fortement, dans les années à venir, notre pays. J’aimerais pouvoir dire que nous sommes en avance par rapport à un problème qui ne se poserait pas encore chez nous…
Jacqueline Eustache-Brinio, avec beaucoup de raison et d’émotion, a rappelé que notre culture à l’égard – j’ose l’expression – de nos anciens colonisés n’était pas celle des États-Unis à l’égard de leurs minorités.
L’ancien ministre de la défense que je suis tient à souligner le sacrifice, lors des deux conflits mondiaux, de nos Sénégalais – ils ne l’étaient d’ailleurs pas tous, tant s’en faut – et l’intégration de troupes américaines noires lors de la Première Guerre mondiale. Les États-Unis ne sont pas la France !
Cependant, nous avons le devoir de réfléchir. Pourquoi ? Pour contrer une idée absurde, mais dévastatrice, selon laquelle le savoir serait le résultat d’une oppression. Au sommet de la pyramide de l’oppression, il y a bien évidemment un individu épouvantable : le mâle hétérosexuel blanc. Je fais partie de cette catégorie pour l’instant, mais enfin, tout peut évoluer… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
En revanche, poser le principe du savoir comme une oppression, poser le principe que toutes les minorités sont victimes et amener nos compatriotes à prendre leur part de victimisation est extraordinairement dissolvant pour la société française.
Nous avons l’habitude du combat et des idées différentes : nous pouvons donc nous affronter en sachant qu’il y a une règle à respecter, celle de la majorité républicaine.
Cette règle risque de voler en éclats parce que nous serions non plus des citoyens mais des individus prisonniers de notre race et de l’histoire de nos ancêtres. Au fond, le wokisme apparaît comme une sorte de renaissance du racisme le plus fermé, le plus obstiné, le plus sectaire.
Ainsi, on ne pourrait pas échapper à la fatalité de son ascendance. Or, justement, la République promeut l’idée que tous les individus, quels que soient leurs parcours, peuvent devenir des citoyens, pour peu qu’ils adhèrent à des valeurs, les partagent, les vivent, les défendent. Je dirai même que la diversité des parcours est de nature à enrichir ce tronc commun de valeurs.
Madame la secrétaire d’État, j’ai tenu à intervenir dans ce débat parce qu’il y a dans votre action du bon et du moins bon. Je ne parle pas de vos réponses personnelles, qui nous intéressent et nous rassurent. Je ne parle pas non plus de l’engagement de Jean-Michel Blanquer dans ce colloque de la Sorbonne. Était-ce trop tôt ? Était-ce trop tard ? En tout cas, il l’a fait et il a eu raison de le faire.
En revanche, j’observe deux types de comportements qui sont singulièrement préoccupants.
Il s’agit d’abord – vous avez évoqué ce point, mais je n’ai pas tout compris ; peut-être préciserez-vous vos propos – de la création des déontologues. Avec eux, je vois apparaître le risque de cette bureaucratie du contrôle que Jacqueline Eustache-Brinio a dénoncée, à l’instar de Pierre Valentin dans le document de la Fondapol.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
M. Gérard Longuet. C’est un danger parce que, dès que vous créez une bureaucratie, elle cherche à se légitimer, à se justifier. Et comme la victime interprète toute expression la concernant comme une agression, on va assister à un débordement à peu près sans limite. Il faut donc clarifier les règles du jeu et renvoyer devant le juge pénal les auteurs d’injures raciales ou les négationnistes, et s’en tenir à cela.
Ensuite, madame la secrétaire d’État, il existe une réponse implicite au procès adressé à la domination du mâle blanc hétérosexuel, bourgeois si possible : le recrutement des étudiants sur des critères qui ne rendent plus hommage au seul travail et à la seule réussite intellectuelle. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’ai été, comme président de région, avec le directeur de l’époque de Sciences Po, l’un des premiers à ouvrir des classes d’accès aux instituts d’études politiques dans les lycées professionnels, mais il fallait y travailler pour réussir. Certes, il y avait un soutien, un appui, mais il y avait surtout du travail. Aujourd’hui, on s’aperçoit que des jeunes, parce qu’ils ont le malheur d’être fils de bourgeois, inscrits dans un bon lycée, et d’avoir de bons résultats, s’entendent dire que leur place n’est pas là.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Gérard Longuet. En conclusion, je dirai que nous risquons de perdre des étudiants au profit de l’extérieur. Cette perte de matière première affaiblirait notre pays, tandis que les enseignants s’autocensureraient parce qu’ils auraient peur de s’exprimer librement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean Hingray et Yves Détraigne applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. M. le sénateur Longuet a posé une question très explicite sur le rôle des déontologues. Avant de lui répondre, je tiens à rendre à hommage à la sénatrice Eustache-Brinio, qui a fait un rappel historique fondamental montrant la grande différence entre notre conception de l’histoire et celle des Anglo-Saxons : leur grille de lecture et de valeurs n’est pas la nôtre, ce qui, de fait, fausse le regard sur le débat posé.
Monsieur Longuet, vous m’interrogez sur les déontologues. Loin de nous l’idée de créer une bureaucratie. Évidemment, nous en voyons le risque, comme vous, mais l’objectif de ces déontologues est d’accompagner les présidents d’université pour lutter contre les conflits d’intérêts, pour résoudre les conflits entre enseignants-chercheurs, pour garantir l’intégrité scientifique des travaux.
Nous ne voulons ni censeur ni autocensure. La ligne que nous tenons est celle d’une liberté académique pleine, entière, intègre. Nous ne reconnaissons que deux lignes rouges, définies exclusivement par la loi de notre pays : non à l’appel à la haine et non au négationnisme ! Dans ces limites, c’est la liberté qui prévaut.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.
M. Gérard Longuet. Le diable se niche dans les détails. C’est la raison pour laquelle les parlementaires ont le devoir d’être exigeants et attentifs, afin que l’université ne soit pas débordée par les initiatives de ceux qui, pour éviter les enquiquinements, achèteraient la sérénité de leur établissement par des complicités inacceptables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat, souhaité par le groupe Les Républicains du Sénat, permet de poser des mots sur une réalité de notre pays aujourd’hui. Il est aussi l’occasion de mettre en avant les moyens de nous protéger contre ce phénomène que nous déplorons.
Oui, il faut regarder en face les dérives que vivent parfois certaines universités. À cet égard, je salue la lucidité de nombre de sénateurs, sur toutes les travées, qui ont choisi de refuser tout angélisme, sans tomber dans la généralisation.
Au-delà, nous avons une seule et unique boussole : protéger la liberté académique en renforçant les moyens de l’université. C’est ce que nous avons fait, notamment, avec la loi de programmation de la recherche, et par l’accompagnement des présidents d’université.
Le vrai danger, c’est de laisser l’autocensure s’installer au sein de nos universités. M. le sénateur Longuet l’a rappelé, seul compte le climat qui règne au sein de nos établissements d’enseignement supérieur. Nous ne pouvons pas laisser s’installer en France le risque de voir les noms de certains enseignants placardés aux yeux de tous, comme jetés en pâture. Cette sorte de chasse aux sorcières mènerait à une régulation insidieuse par la peur du débat, de l’échange, de la controverse, bref, de tout ce qui fait l’esprit français. Il est ainsi fondamental de promouvoir l’étude de l’histoire dans sa totalité.
Cependant, il ne faut pas mélanger le combat politique et les thèses de recherche. Nous n’avons aucune vocation à réguler ou à limiter le débat scientifique. Absolument pas ! En revanche, nous devons être les garants d’un climat de sérénité au sein de nos universités, pour les professeurs et pour les étudiants.
Avec la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, nous proposerons tous les moyens permettant d’assurer ce climat apaisé et la protection des enseignants, des enseignants-chercheurs, des doctorants, avec un seul et unique objectif : la pluralité des débats.
Pour permettre cette pluralité, il faut des valeurs fermes et des objectifs clairs. Et c’est tout au long de son parcours, du primaire jusqu’à l’enseignement supérieur, que le citoyen en devenir doit être accompagné. C’est pour cela qu’aujourd’hui, plus que jamais, il faut des repères, de l’histoire, des valeurs ; il faut redéfinir des essentiels au travers de rappels historiques, comme cela a été fait à cette tribune, avec toute l’intégrité scientifique requise.
Nous devons rejeter toutes les tentatives de revoir l’histoire, ainsi que l’installation de débats et de combats visant à détricoter des héritages, déboulonner des statues, changer les titres d’œuvres littéraires, voire à interdire des représentations théâtrales.
Cette vigilance doit être exercée sans lassitude. À chaque fois qu’il y aura des situations troublées menant à des annulations, nous serons aux côtés des responsables et des présidents d’université pour permettre que ces colloques puissent avoir lieu ou que ces pièces de théâtre puissent se jouer. Il y a là une ligne rouge que nous devons faire respecter.
Dans le même temps, nous devons agir collectivement contre les inégalités, les discriminations ou encore contre le racisme. Nous luttons contre toutes ces discriminations parce que nous regardons notre pays comme une nation. Cela signifie que nous considérons chaque personne comme un citoyen, et rien d’autre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le racialisme est un nouveau racisme.
Ce racialisme qui s’installe, prenant ses racines dans l’essentialisme, oppose, sépare, fragmente ; il est en réalité à l’origine des communautarismes. C’est un mal qui peut contaminer, si tel n’est pas déjà le cas, le débat politique. Le Gouvernement y oppose l’universalisme français, républicain, qui est essentiel à l’unité nationale.
Pour conclure, j’y insiste, nous accompagnons l’université en lui fournissant des moyens tant humains que financiers : plan pour le doctorat, renforcement du CNRS, lutte contre la précarité des étudiants, accompagnement des enseignants-chercheurs, etc.
Ce n’était pas le fond du débat d’aujourd’hui, mais je crois que la négation des dérives que nous constatons est une manifestation d’angélisme particulièrement dangereuse au sein tant de l’université que de notre société.
Une seule ligne, un seul combat : la protection des libertés académiques, le pluralisme, et surtout une République universaliste qui reconnaît chacun de ses enfants comme un citoyen, et rien d’autre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cela été rappelé, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Or, selon un sondage IFOP de février 2021, seulement 14 % des personnes interrogées comprenaient la signification du mot « woke ».
Pour donner du sens à ce débat, il faudrait commencer par arrêter avec cette paresse intellectuelle qui consiste à utiliser l’anglicisme « wokisme » pour masquer une idéologie qui a un nom : l’intersectionnalité. (M. Thomas Dossus s’exclame.) Pour les sociologues, il s’agit de décrire la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société.
À en croire le bruissement d’un microcosme en mal de desseins positifs, il faudrait collectivement « nous éveiller » pour mieux prendre conscience de tout ce que l’humanité a produit d’injustices depuis la nuit des temps. Sommes-nous endormis ? Sommes-nous à ce point incultes que nous méconnaissons notre histoire ? Le privilège cognitif serait-il l’apanage d’une petite minorité éclairée par un phare dans un océan baigné de brouillard ?
Ce courant est en réalité une vaste entreprise de déconstruction qui consiste à diffuser la honte de notre identité. En jugeant avec les yeux d’aujourd’hui et le recul de plusieurs siècles tous les événements historiques, il conduit à une autoflagellation intellectuelle et à une repentance perpétuelle.
Adam était-il misogyne ? L’homme des cavernes était-il respectueux de l’environnement ? Il suffit de poser les questions, les déconstructeurs auront nécessairement une réponse. Ils savent sans doute aussi très exactement ce qu’ils auraient fait s’ils étaient nés « en 17 à Leidenstadt ».
Le manque d’humilité, de nuances et, pour tout dire, d’objectivité, est leur caractéristique essentielle et ils pilonnent consciencieusement leurs cibles, particulièrement les jeunes générations.
Au pays des Lumières, le but est évidemment non pas d’interdire une opinion, mais bien de permettre un débat contradictoire, notamment au sein de l’enseignement supérieur, de prôner la liberté d’expression, l’égale faculté d’exposer une diversité de pensées et de concepts.
Et c’est là que le bât blesse : la censure est l’outil préféré des forces autoproclamées d’un prétendu progressisme qui confère aux autres, c’est-à-dire à ceux qui osent émettre une idée contraire ou seulement plus nuancée, un statut quasi automatique de fascistes. Ainsi, nous ne pouvons que déplorer l’interdiction d’accès à nos campus universitaires d’intellectuels ou de politiques ayant le culot de proposer des conférences qui ne s’inscrivent pas dans l’orthodoxie de pensée d’une poignée de militants d’extrême gauche.
Il y a pire : pour avoir osé affirmer qu’un homme n’était pas une femme, que notre pays n’était pas fondamentalement raciste, pour avoir refusé de s’excuser d’exister, d’être blancs, d’être Français, des étudiants se font traquer sur leurs campus, sont menacés de mort sur les réseaux prétendument sociaux par quelques-uns qui confondent le comptoir des Indes avec celui du café du commerce.
Le cœur du problème, c’est bien l’inaptitude de cette idéologie à combattre dans l’arène intellectuelle : leur « entre-soi » idéologique a fait fondre leur capacité à argumenter. Leur rhétorique repose sur la censure et la condamnation morale, mais ils ne discutent jamais du fond des problèmes soulevés.
Vous le savez, j’accorde une grande importance à la rigueur scientifique. Je m’inquiète donc lorsque je vois des chercheurs en sciences humaines défendre une idéologie qui ne conçoit pas la moindre objection.
Ce progressisme de pacotille se complaît dans le confort de la mollesse des mots creux. Modelables à loisir, ces néologismes sont étirés pour combler l’absence d’arguments. Or un mot qui n’a pas de sens n’a pas de valeur. Islamophobie, grossophobie, transphobie, enbyphobie, biphobie, psychophobie… Ces déconstructeurs préfèrent médicaliser le débat en inventant de nouvelles pathologies, afin de condamner moralement un adversaire sur l’autel de la modernité. Des mots utilisés à tort et à travers, devenus caricaturaux, moqués, sont des mots qui ne valent rien.
On peut légitimement s’interroger sur la finalité de la démarche, qui devrait consister à protéger et à aider les véritables victimes de discriminations.
Pour autant, le féminisme est-il grandi lorsque l’on taxe de transphobes des femmes qui refusent de partager leur vestiaire avec des hommes ? Est-ce de la grossophobie que de souligner que le surpoids est un facteur de mauvaise santé ? Favorise-t-on l’assimilation en affirmant à un immigré que le pays qui l’a accueilli et vu grandir le méprise ?
Tous ceux qui sont attachés aux libertés académiques doivent s’émouvoir de la dérive que nous observons, mais bien peu s’expriment clairement, laissant la place aux extrémistes de tous bords, qui parlent plus fort et souvent se rejoignent.
J’accuse les tenants de cette pensée déconstructrice de briser l’unité de notre nation, de fragiliser la démocratie, de dresser les citoyens les uns contre les autres en leur apprenant méthodiquement à se détester profondément, à identifier dans l’autre un ennemi potentiel en le tenant responsable de tous ses malheurs.
Nous savons tous ce que la politique du bouc émissaire a produit comme catastrophes majeures par le passé. Alors, je conclurai par ces mots de Barbara : « Ô faites que jamais ne revienne le temps du sang et de la haine. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Menaces que les théories du wokisme font peser sur l’université, l’enseignement supérieur et les libertés académiques. »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente.)