M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui deux propositions de loi visant à transposer une directive européenne, ce que nous faisons avec retard, comme l’a rappelé notre collègue Jean-Yves Leconte, le délai de transposition ayant expiré le 17 décembre de l’année dernière.
C’est une chose d’être en retard, c’en est une autre, et c’est un peu problématique, de mettre plus de trois ans à transposer un texte et de le faire mal, voire d’y contrevenir.
Ce texte est assez complexe puisque, par définition, la protection des lanceurs d’alerte se situe à la jonction de beaucoup d’autres domaines du droit. Je tenterai de m’en tenir à l’essentiel.
De quoi et de qui parle-t-on ?
Dans un monde qui, de fait, est de plus en plus complexe, un monde où l’innovation technique, mais aussi juridique et financière ne cesse de croître, bien souvent, seules les personnes qui travaillent dans certains domaines ont la compétence d’en révéler les failles.
C’est à l’intérieur de Facebook, où l’on manie les algorithmes, à l’intérieur de PricewaterhouseCoopers (PwC) où l’on fabrique les montages des rescrits fiscaux, à l’intérieur de la centrale de Tricastin quand on est un expert de la sûreté, là et seulement là que l’on accède à certaines informations, mais surtout que l’on est capable de les décrypter.
Protéger les lanceurs d’alerte, c’est donc bien sûr protéger des individus qui, du fait de la nature de leurs actions, se mettent très souvent dans une situation d’extrême vulnérabilité, mais c’est aussi protéger l’État de droit.
Pour cette raison, il est extrêmement important d’adopter une définition large, qui ne se limite pas à celle de la directive européenne – de fait, elle ne concerne que le droit de l’Union –, mais qui améliore également notre régime actuel.
Très souvent, les lanceurs d’alerte révèlent des faits qui ne sont pas illégaux au moment où ils les dénoncent. Très souvent, les dénonciations précèdent l’illégalité des faits, car c’est grâce aux révélations que l’on est en mesure de légiférer.
Quand Antoine Deltour a révélé les pratiques des rescrits fiscaux permettant légalement à des entreprises d’échapper presque totalement à l’impôt au Luxembourg, légalement, il n’y avait pas grand-chose à dire. C’est grâce à ses révélations que la Commission européenne a lancé une enquête et a conclu, quelques mois plus tard, que ces rescrits fiscaux étaient illégaux.
Il est donc primordial d’en rester à une définition large, qui couvre les révélations concernant un crime ou un délit, bien sûr, mais au-delà, une menace, un risque ou un préjudice pour l’intérêt général.
En l’espèce, l’article 1er pose problème. Pour avoir participé aux négociations sur la directive européenne, je dois vous dire que, juridiquement, peu importe que la personne ait de bonnes intentions ou non. Peu importe qu’un tiers ait acheté l’information ou non. Peu importe que le lanceur d’alerte révèle des faits parce qu’il s’est disputé avec quelqu’un ou parce qu’il veut impressionner quelqu’un.
Ce qui importe, dans la directive européenne et dans les faits, c’est réellement l’information. On se moque totalement des sentiments du lanceur d’alerte. L’information est-elle vraie ? Est-elle d’intérêt général ? Telles sont les seules questions qui doivent nous intéresser juridiquement.
Un autre point est crucial : la manière dont les lanceurs d’alerte peuvent dénoncer les faits. Les caricatures sont fréquentes, reconnaissons-le, des deux côtés. Certains voient dans les lanceurs d’alerte des héros purs, ayant le bien commun chevillé au corps depuis toujours, se dressant seuls face au mal – c’est l’image d’Épinal –, quand d’autres voient en eux des activistes radicaux surpolitisés, qui souhaitent détruire le capitalisme, les entreprises ou se venger de leur supérieur hiérarchique pour de très mauvaises raisons.
En réalité, 99 % des personnes dont on parle se situent entre les deux et 99 % d’entre elles ne souhaitent pas être des héros et se passeraient volontiers de cette situation. C’est pourquoi il faut leur permettre de divulguer les informations publiquement quand cela est nécessaire, ce que personne ne fait de bon gré.
Le lien avec le régime d’autres secrets protégés par la loi est également un point majeur. La protection des lanceurs d’alerte ne remet pas en cause les autres régimes, car il ne peut y avoir, dans un État de droit, de régime de secret inconditionnel. Toute l’utilité du régime de protection des lanceurs d’alerte est là : l’intérêt général doit primer. En d’autres termes, quand une information confidentielle est d’intérêt général, c’est l’intérêt général qui prime.
Il y aurait beaucoup d’autres points à aborder. Nous les évoquerons au cours du débat, mais vous l’aurez compris, nous nous positionnerons au regard de ces considérations.
Aussi, nous ne pourrons voter un texte qui viole la directive européenne ni un texte dont le niveau de protection serait en deçà de celui qui est prévu dans proposition de loi Waserman.
Nous espérons que nos débats nous permettront d’adopter un texte ambitieux, qui permette de protéger celles et ceux dont notre démocratie a tant besoin. À défaut, nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la protection des lanceurs d’alerte est devenue, pour nos sociétés, un véritable marqueur démocratique, soulevant la question des droits fondamentaux que sont la liberté d’expression d’une part et la liberté d’information d’autre part.
Au-delà de la portée du signalement se pose la question des conséquences auxquelles nos concitoyens et concitoyennes s’exposent en lançant l’alerte et donc de la protection que la société doit leur apporter.
Si la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin II, a marqué certains progrès dans la protection des lanceurs d’alerte, elle doit, à l’occasion de la transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019, être renforcée afin de tirer toutes les conséquences de l’évolution du droit et des travaux européens.
Pour créer un cadre commun de protection des lanceurs d’alerte, la proposition de loi Waserman adoptée le 17 novembre dernier par l’Assemblée nationale à l’unanimité – cela mérite, en cette période, d’être souligné – répond, selon nous, dans sa version initiale, à cette ambition.
Le texte va même au-delà sur les points suivants : la définition étendue des lanceurs d’alerte, la clarification des canaux internes et externes permettant de lancer l’alerte, le renforcement sensible de la protection des lanceurs d’alerte et des sanctions pénales et/ou civiles contre les responsables de procédures abusives ou encore la meilleure reconnaissance des facilitateurs, qui accompagnent les lanceurs d’alerte dans leur démarche.
Ces mesures ambitieuses permettront de créer un environnement cohérent et équilibré et ont vocation à devenir un cadre de référence, à l’échelon européen, pour la protection des lanceurs d’alerte.
Alors que le texte a été adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale et qu’il a satisfait les lanceurs d’alerte eux-mêmes, nous avons été surpris par l’évolution qu’a connue ce texte en commission des lois au Sénat.
En effet, la commission a procédé, dans un premier temps, à une réécriture complètement à contre-courant de la proposition de loi. Certaines propositions de Mme la rapporteure ont ouvert la voie, de façon tout à fait surprenante, à des régressions inquiétantes, dénoncées notamment par Transparency International France et la Maison des lanceurs d’alerte, qui regroupe dix-sept organisations, syndicats et associations, mais aussi par nombre de nos concitoyens, qui n’ont eu de cesse d’alerter les élus.
Ainsi la commission des lois a-t-elle initialement modifié la définition des lanceurs d’alerte, en supprimant la notion de « menace ou de préjudice pour l’intérêt général ». Cette modification était d’une particulière gravité, car elle visait à remettre en cause l’avancée démocratique la plus forte de la loi Sapin II, qui prévoyait la protection des lanceurs d’alerte non seulement lorsqu’ils dénoncent une violation de la loi dans un cadre professionnel, mais aussi quand ils relèvent un fait qui constitue un préjudice pour l’intérêt général. La proposition de loi Waserman étendait cette définition en supprimant la notion ambiguë de désintéressement.
Votre position, madame la rapporteure, a évolué depuis, semble-t-il, et c’est une bonne chose.
Le contournement de l’obligation de mettre en place une ligne d’alerte interne dans chaque société est un autre coup porté au texte par la commission, de même que la suppression du référé-liberté de plein droit pour les agents publics lanceurs d’alerte ou l’abaissement de l’irresponsabilité pénale.
Aussi, nous voyons dans ces modifications, comme l’ont indiqué dans un communiqué la Maison des lanceurs d’alerte et une trentaine d’organisations, dont Transparency International, Greenpeace et France Nature Environnement, une régression inquiétante.
Avec une telle définition des lanceurs d’alerte, Antoine Deltour, qui a révélé l’optimisation fiscale agressive des multinationales dans le cadre des LuxLeaks se serait vu refuser toute protection.
De la même manière, comme l’explique le professeur Denis Zmirou-Navier, président de la Commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, « réduire l’alerte aux violations du droit n’aurait pas […] permis de donner un statut de lanceur d’alerte protégé contre des menaces et des atteintes à leur réputation professionnelle aux chercheurs qui ont révélé depuis plus de vingt ans les effets nocifs des insecticides de la famille des néonicotinoïdes sur les insectes pollinisateurs. »
Pourtant, nous le savons, nos concitoyens sont demandeurs d’une plus grande transparence sur tous ces sujets. Dans le monde nouveau dans lequel nous vivons, la lutte contre ceux qui portent atteinte à l’intérêt général est non plus l’apanage de certains, mais bien le droit de tous et de toutes.
Pour toutes ces raisons, et malgré les quelques bonnes mesures introduites par la commission des lois, nous voterons contre la proposition de loi en l’état, en comptant beaucoup sur le débat et sur les contributions des uns et des autres pour restaurer et améliorer le texte de l’Assemblée nationale.
En parallèle, nous voterons pour la proposition de loi organique, qui permettra l’accompagnement des lanceurs d’alerte par le Défenseur des droits.
Comment notre Sénat, si soucieux de la défense des libertés fondamentales, pourrait-il voter un texte de régression ?
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’avais imaginé une intervention assez courte, puisque je devais initialement m’exprimer après Éric Bocquet. Je pensais que tout aurait été dit. Or me voici premier orateur de l’après-midi ! (Sourires.)
Je tiens d’abord, et ce n’est pas une formule de style, à remercier Mme le rapporteur du travail qu’elle a effectué, son souci de précision et de lisibilité de la loi l’ayant conduite à revoir la version initiale qu’elle avait proposée à notre commission. Cette révision est nécessaire et bienvenue. Elle permettra, comme vous l’avez fait à la tribune tout à l’heure, madame le rapporteur, d’expliquer à l’extérieur de cet hémicycle pourquoi le Sénat ne s’est pas mis dans les pas de l’Assemblée nationale. Il y a des raisons à cela, et vous les avez parfaitement explicitées.
La définition des lanceurs d’alerte doit être claire, aussi claire que leur protection. Il importe de trouver un équilibre entre prudence excessive et dénonciation calomnieuse, comme vous l’avez très bien expliqué.
Santé, protection de l’environnement, fraude fiscale et j’en passe sont autant de domaines dans lesquels les lanceurs d’alerte ont montré la nécessité de leur engagement.
Leur protection est toutefois si insuffisante que le consortium mondial des journalistes qui s’occupe de fraude et d’évasion fiscale diffuse ses informations au même moment, à la même heure, dans le monde entier afin de se protéger. Si de telles stratégies sont nécessaires, c’est bien que les protections doivent être améliorées.
Depuis 2016 et l’adoption de la loi Sapin II, notre droit reconnaît l’action des lanceurs d’alerte et leur apporte une protection. Ce texte a créé un régime unique s’appliquant dans tous les domaines. Rappelons que cette loi représente à cet égard une véritable rupture, car nous connaissions jusqu’alors un éparpillement des régimes de protection : il existait un régime pour les lanceurs d’alerte en matière de santé, un autre en matière d’environnement, etc.
La loi Sapin II a permis à la fois de reconnaître le rôle des lanceurs d’alerte, de les accompagner et d’interdire les représailles à leur encontre, tout en encadrant les révélations. Elle a défini un véritable statut du lanceur d’alerte, ce qui a permis à la France de se hisser en tête des pays qui les protègent le mieux.
Avant même cette loi, les sénateurs centristes ont toujours été sensibles à cette question. Dès 2014, notre collègue Catherine Morin-Desailly, alors présidente de la commission de la culture, avait déposé une proposition de résolution visant à proclamer Edward Snowden citoyen d’honneur de la République française et à lui accorder l’asile politique. Moi-même, en 2015, j’avais proposé la création d’une commission d’enquête sur la protection accordée aux lanceurs d’alerte.
Six ans plus tard, l’heure est venue de franchir une nouvelle étape dans le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte. Cette nouvelle étape est la conjonction de deux initiatives : une initiative européenne, en premier lieu, puisqu’il s’agit de transposer dans notre droit la directive du 23 octobre 2019 ; une initiative de nos collègues députés, en second lieu, lesquels ont déposé les propositions de loi, ordinaire et organique, que nous examinons ce jour.
Par ailleurs, un rapport d’évaluation publié par nos collègues Olivier Marleix et Raphaël Gauvain a relevé les insuffisances de notre dispositif.
Ces textes permettent plusieurs avancées. Je n’en citerai que quelques-unes.
La proposition de loi élargit la protection apportée aux personnes qui fournissent une aide aux lanceurs d’alerte, appelées « facilitateurs ». Ces personnes jouent un rôle crucial dans la diffusion de l’alerte. Il est donc essentiel de leur accorder une protection plus aboutie.
Le texte supprime également la hiérarchisation des canaux de signalement. Autrement dit, le signalement pourra désormais être effectué directement auprès d’une autorité externe et pas uniquement interne. Cette disposition est aussi une avancée, même si l’on peut toujours discuter des détails. Elle facilitera la diffusion de l’alerte en cas de pressions en interne. Compte tenu de ce qui se passe dans certaines entreprises aujourd’hui, ce cas de figure n’est pas à exclure.
Dans l’ensemble, ces textes nous apparaissent équilibrés. De nombreux amendements ont été déposés, et pas forcément sous les pressions, multiples et variées, de la Maison des lanceurs d’alerte et de tous les spécialistes. Dans cette maison, nous sommes nombreux à suivre ce dossier et à considérer qu’il est réellement important d’avoir un véritable débat sur ce sujet.
Sous réserve du sort qui sera réservé à un certain nombre d’amendements, notre groupe votera la proposition de loi et la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les deux propositions de loi que nous examinons aujourd’hui portent sur un sujet d’une grande actualité concernant la protection des valeurs et des lois de la République : les lanceurs d’alerte.
Ces derniers, en révélant certaines situations contraires à ces mêmes lois ou menaçant l’intérêt commun, peuvent en effet rendre d’importants services à notre société.
Même si elle est actuelle, cette question n’est évidemment pas entièrement nouvelle.
Elle n’est pas étrangère au bien connu article 40 du code de procédure pénale, qui exige des agents publics qu’ils fassent part au procureur de la République des crimes ou des délits dont ils ont pu avoir connaissance.
Il a toutefois fallu attendre 2016 et la loi Sapin II pour que l’on observe un véritable changement de paradigme et qu’émerge la première définition générale du lanceur d’alerte en France : le lanceur d’alerte est « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi » la violation d’une règle de droit, ou encore « une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».
Les lanceurs d’alerte bénéficient même d’une irresponsabilité pénale dans les cas où ils auraient porté atteinte à un secret protégé par la loi. Pour être considérés comme des lanceurs d’alerte et bénéficier de ce régime, ils doivent toutefois répondre à certaines conditions claires, en particulier de gravité des faits, et respecter certaines procédures.
Le droit de l’Union européenne a, lui aussi, par la suite, consacré la protection des lanceurs d’alerte.
La directive du 23 octobre 2019 concerne plus strictement la protection des lanceurs d’alerte portant sur des violations du droit de l’Union européenne. Elle est plus souple dans son application que la loi Sapin II, mais elle porte toutefois sur des domaines restreints. Ce faisant, elle aborde le lanceur d’alerte sous un prisme essentiellement professionnel.
La proposition de loi déposée par nos collègues de l’Assemblée nationale a pour objet de transposer cette directive en droit français. Elle ne se borne toutefois pas à une simple transposition. Elle procède plutôt à une harmonisation des deux cadres juridiques, dans le but de renforcer les garanties globales dont bénéficient les lanceurs d’alerte.
La commission des lois souscrit bien entendu à cet objectif. J’en profite pour saluer tout particulièrement notre rapporteur, Catherine Di Folco, qui a effectué un travail considérable sur le sujet et a encore permis la réalisation d’avancées depuis le dépôt du rapport, le mois dernier.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des mesures, pour certaines très techniques, qui ont été discutées en commission. Je remarquerai seulement que notre rapporteur s’est efforcé, par ses amendements initiaux, de garantir la cohérence de la transposition de la directive dans notre droit national.
La directive et la loi Sapin II ne couvrent en effet pas les mêmes champs : la directive européenne se concentre sur la violation des normes d’origine européenne, la loi Sapin II sur la protection de l’intérêt général et des lois de la République.
La modification de la définition des lanceurs d’alerte en commission a cependant suscité un certain nombre d’inquiétudes. Celles-ci portent sur les effets que la nouvelle rédaction pourrait avoir sur les lanceurs d’alerte de bonne foi, ainsi que sur la complexité juridique qu’elle engendrerait. Afin d’apaiser ces craintes, et dans un souci de compromis, ce volet du texte pourrait donc évoluer au cours du débat : nous suivrons la position de notre rapporteur sur cette question.
Le texte revient également sur les mesures de protection, dont l’amélioration doit permettre aux lanceurs d’alerte de ne pas craindre de représailles pour leurs actions.
À des fins de clarification, il a été proposé de lister explicitement et d’un seul tenant les actions susceptibles de constituer des représailles.
Par ailleurs, la commission a appelé de ses vœux la création d’un fonds de soutien aux lanceurs d’alerte, afin d’appuyer les mesures d’aide psychologique et financière prévues dans le texte.
Corollaire de ces protections, le texte de la commission prévoit également des sanctions à l’encontre des lanceurs d’alerte de mauvaise foi. Ainsi, elle a réaffirmé que l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte n’a pas vocation à s’appliquer aux violations de domicile et autres accès frauduleux.
La question des facilitateurs, ces personnes qui aident les lanceurs d’alerte dans leur démarche, a fait l’objet d’un débat en commission, pas tant sur son application aux personnes physiques que sur son application aux personnes morales.
Cet aspect, étranger à la directive, n’est pas dénué d’intérêt, mais présente certains problèmes, qui ont conduit à la suppression de cette disposition, sur l’initiative de plusieurs de nos collègues. Bien entendu, ces personnes morales peuvent représenter un réseau de soutiens de bonne foi pour les lanceurs d’alerte, mais la rédaction du texte ne permettait pas de garantir que ce dispositif ne serait pas détourné de son objet et employé au service d’intérêts économiques ou politiques concurrents.
Enfin, la proposition de loi organique aborde utilement le rôle du Défenseur des droits. La commission a voté les amendements du rapporteur prévoyant la nomination d’un adjoint du Défenseur des droits chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte. Cet adjoint servira de cheville ouvrière au travail de qualification et d’accompagnement des lanceurs d’alerte et facilitera significativement le traitement des procédures de signalement externe.
Vous l’aurez donc compris, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera ces deux textes dans la rédaction approuvée par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale commune est close.
Nous passons à la discussion, dans le texte de la commission, de la proposition de loi.
proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte
TITRE Ier
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
Article 1er
L’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est ainsi rédigé :
« Art. 6. – I. – Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi :
« 1° Des informations, obtenues dans le cadre de ses activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8 de la présente loi, portant sur une violation du droit de l’Union européenne mentionnée au 1 de l’article 2 de la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, sur un acte ou une omission allant à l’encontre des objectifs poursuivis par les actes de l’Union européenne et les stipulations du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne mentionnés au 1 de l’article 2 de la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 précitée ou sur une tentative de dissimulation d’une telle violation, d’un tel acte ou d’une telle omission ;
« 2° Toute autre information dont il a eu personnellement connaissance sur un crime, un délit ou une autre violation grave d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ou sur un acte ou une omission allant gravement à l’encontre des objectifs que ces règles poursuivent.
« II. – Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical, le secret des délibérations judiciaires, le secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaires ou le secret professionnel de l’avocat sont exclus du régime de l’alerte défini au présent chapitre.
« III. – Lorsque sont réunies les conditions d’application d’un dispositif spécifique de signalement de violations et de protection de l’auteur du signalement prévu par la loi ou le règlement ou par un acte de l’Union européenne mentionné dans la partie II de l’annexe à la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 précitée, prévoyant des mesures au moins aussi favorables à l’auteur du signalement que celles prévues aux articles 9, 10-1, 13 et 14-1 de la présente loi et préservant le choix du moyen de signalement, le présent chapitre ne s’applique pas. Dans le cas contraire, la mesure la plus favorable à l’auteur du signalement s’applique. La liste de ces dispositifs est fixée par décret. »
M. le président. Je suis saisi de quinze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 37, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 4
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. 6. – I. – Un lanceur d’alerte est une personne physique ou morale à but non lucratif qui signale ou divulgue :
« 1° Des informations portant sur un crime, un délit, une menace, un risque ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ;
« 2° Toute autre information dont il a eu connaissance sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une autre violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement sur un acte ou une omission allant à l’encontre des objectifs que ces règles poursuivent.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement a été rédigé au vu du texte initial adopté par la commission des lois. La rédaction de l’article 1er était assez problématique, puisqu’elle revenait non seulement sur les avancées adoptées à l’Assemblée nationale, mais également sur certains des acquis de la loi Sapin II de 2016, qui protège aujourd’hui toute personne signalant ou révélant une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général.
Cet amendement a pour objet de réécrire la définition du lanceur d’alerte conformément à l’esprit de la directive européenne, qui, je vous le rappelle, assure une protection minimale. Nous ne pouvons donc pas faire moins qu’elle ! Il s’agit également de faire en sorte qu’elle n’apparaisse pas comme une régression par rapport au régime existant.
Nous proposons tout d’abord d’intégrer dans la définition les personnes morales à but non lucratif. Nous savons en effet qu’il est souvent extrêmement difficile pour les lanceurs d’alerte de lancer l’alerte individuellement. L’action d’une personne morale est à cet égard une protection réelle.
Nous souhaitons par ailleurs supprimer l’exigence, introduite par l’Assemblée nationale et reprise par la commission des lois du Sénat, de la bonne foi et de l’absence de contrepartie financière. De telles exigences ne figurent pas dans la directive européenne, qui, encore une fois, est une norme minimale.
Nous proposons ensuite de clarifier la définition afin de faire progresser le droit et d’aligner vers le haut la protection des lanceurs d’alerte qui entrent dans le champ de la directive européenne et ceux qui entraient déjà dans le champ de la loi nationale.
Sans une telle définition, ni Irène Frachon ni Marine Martin, pas plus qu’Antoine Deltour ne seraient protégés, puisqu’ils n’ont pas signalé de violation du droit au moment des faits.