Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout le monde se souvient dans cet hémicycle de la photo « Ici on noie les Algériens », support de la mémoire du massacre du 17 octobre 1961.
Prise sur les quais de Seine, à la hauteur du pont Saint-Michel, trois semaines après cette répression sanglante, cette photo ne sera publiée que vingt-quatre ans après, et fera la une du journal L’Humanité en 1986. Après des années de silence officiel, de déni et d’occultation, la mémoire militante de la dénonciation commençait enfin à s’exprimer, presque sans crainte.
Le 17 octobre 1961, en pleine guerre d’Algérie, des Algériens manifestent pacifiquement à Paris contre le couvre-feu discriminatoire décrété par le préfet de police Maurice Papon, lequel était imposé à tous les Algériens vivant en région parisienne. Organisée à l’appel du FLN, cette mobilisation pour la fin du couvre-feu, mais également pour l’indépendance de l’Algérie, fut très violemment réprimée.
Selon les recherches actuelles, qui sont concordantes, il y aurait eu ce jour-là plusieurs dizaines de morts – on parle même de 200 morts –, sans compter les nombreux blessés et les 11 000 arrestations qui suivirent dans des centres de détention spécialement mis en place.
De la mémoire des faits à leur reconnaissance officielle, plusieurs années se sont encore écoulées jusqu’au communiqué de presse de François Hollande en 2012, cinquante ans après le massacre !
La même année, le groupe communiste du Sénat déposait une proposition de résolution à ce sujet, sur l’initiative de notre présidente d’alors, Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle visait à la reconnaissance officielle de la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 et fut adoptée lors de l’examen en première lecture.
Plus récemment, en juillet 2020, souhaitant « réconcilier les mémoires autour de la colonisation et la guerre en Algérie », Emmanuel Macron demandait un rapport en ce sens à l’un des historiens spécialistes du sujet, Benjamin Stora. Les auteurs de la présente proposition de loi s’appuient en grande partie sur le contenu de ce rapport remis au début de l’année, qui préconise « la poursuite de commémorations », notamment pour ce qui concerne la « répression de travailleurs algériens en France ».
Aujourd’hui, il est proposé à l’article 1er du texte que notre pays reconnaisse sa responsabilité dans cette répression et, à l’article 2, qu’il organise chaque année, le 17 octobre, une commémoration officielle rendant hommage aux victimes.
La commission des lois a décidé de rejeter cette proposition de loi. Nous pensons pour notre part que le Sénat s’honorerait de l’adopter.
Nous venons de l’entendre, la majorité sénatoriale reste dans le déni de la lecture de l’histoire passée et contemporaine. Pour certains, la mémoire est toujours aussi violente. C’est profondément regrettable. La situation des relations entre l’Algérie et la France appellerait à davantage de dignité et de hauteur, loin des horreurs entendues à la tribune de certains candidats à l’élection présidentielle, ou dans cet hémicycle voilà quelques minutes.
Comme le rappelait déjà notre groupe en 2012, ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 n’était pas un événement isolé survenu en un lieu et en un moment unique. Cela constitua le paroxysme d’une politique de guerre coloniale symbolisée par la mise en place du sinistre préfet de police Maurice Papon.
Cette nuit-là, dans les rues de la capitale, on a assisté à une chasse à l’homme aboutissant à des assassinats ; c’est pourquoi nous pouvons parler en l’espèce, comme nombre d’historiens, d’un crime d’État.
D’autres dates nous rappellent à quel point la violence d’État fut indissociable du colonialisme : la répression du 8 mai 1945 à Sétif, les massacres de Madagascar en 1947, la terrible guerre d’Indochine, la torture pendant la guerre d’Algérie, la funeste bataille d’Alger, la « disparition » du mathématicien Maurice Audin et le massacre du 8 février 1962 au métro Charonne en furent des épisodes particulièrement violents.
La mémoire lucide et apaisée sur ces événements n’existe pas encore. C’est la raison pour laquelle nous devons adopter cette proposition de loi.
Enfin, nous considérons pour notre part qu’il serait nécessaire d’ouvrir les archives sur le sujet, notamment celles de la police et de la justice, …
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Elles le sont déjà !
M. Pierre Laurent. … et, au-delà, toutes les archives relatives aux guerres coloniales et à leur cortège de répression et de massacres. Ces dispositions compléteraient utilement celles proposées aujourd’hui, qui recueillent tout notre soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Rachid Temal et plusieurs sénateurs de son groupe nous proposent de reconnaître la responsabilité de la France « dans la répression de manifestants algériens réclamant pacifiquement l’indépendance de leur pays ayant eu lieu le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris », et d’instituer, comme en Algérie, une commémoration officielle leur rendant hommage.
Le groupe Union Centriste n’y souscrit pas.
Notre rapporteure, dont nous partageons les conclusions et dont je salue la pondération et l’objectivité,…
Mme Valérie Boyer, rapporteure Merci !
M. Arnaud de Belenet. … a montré que l’idée d’une responsabilité générale de la France n’était pas pertinente. En effet, les actes atroces, illégaux, commis à l’encontre des manifestants ont été perpétrés sous l’autorité du préfet de police et de ses complices, et non par la Nation tout entière.
Mme la rapporteure a rappelé le dissensus historique quant aux motivations des participants, qui manifestaient soit pour l’indépendance de l’Algérie, soit contre le couvre-feu imposé aux Français musulmans d’Algérie. Ce point fait s’interroger sur la consécration législative de cette seule date, à l’exclusion de tant d’autres tout aussi tragiques et douloureuses.
Nous pourrions débattre aussi de la perception du « pacifisme » de cette mobilisation ayant eu quelques mois après la fin du putsch, après la prise en main de l’OAS par le général Salan, quelques semaines après l’attentat du Petit-Clamart contre le chef de l’État, et après que tant de policiers ont été tués.
Je vous livrerai quelques interrogations, sans prétendre à l’exhaustivité.
L’apaisement mémoriel doit-il être recherché ?
Oui, bien sûr, pour les manifestants morts le 17 octobre 1961, mais aussi pour les victimes du 26 mars 1962 de la rue d’Isly à Alger, pour les personnes étouffées à la station de métro Charonne le 8 février 1962, pour les massacrés à Oran le 5 juillet 1962 (M. Pierre Ouzoulias approuve.), pour ceux qui vivent ou portent en héritage l’affliction de la confiance trahie : certains s’en remettaient à la parole de la France, d’autres aux engagements du FLN, d’autres encore ont cru au respect des accords d’Évian.
L’apaisement mémoriel doit être également recherché pour les ouvriers des grands chantiers routiers du plan de Constantine qui ont été assassinés, mais aussi pour les professeurs exécutés, et pour les 27 817 jeunes Français mobilisés ou engagés qui ne sont pas revenus d’Algérie ; pour les 1 630 Européens enlevés par le FLN et disparus, pour les supplétifs, les harkis, les moghaznis ; pour les 150 000 personnes abandonnées à la vengeance comme pour les 40 000 ramenées en France, rarement avec leurs familles et dans quelles conditions, sans aucune considération ;…
M. Rachid Temal. Déposez une proposition de loi !
M. Arnaud de Belenet. … pour les morts des opérations de souveraineté après le cessez-le-feu ; pour les officiers français qui, soixante ans après, se demandent encore s’ils devaient traquer, lors de ces opérations, des fellaghas ou leurs anciens camarades passés à l’OAS ; pour ces jeunes lieutenants qui, soixante ans après, se demandent encore s’ils ont bien fait, conformément aux ordres, d’inciter leurs tirailleurs à rejoindre les forces locales de libération avant, dans bien des cas, d’apprendre leur exécution et qui, en s’opposant aux ordres, se demandent s’ils ont bien fait de les inciter à rejoindre la France – je veux ici, à titre personnel, saluer la mémoire de Bouzouj – ; enfin, pour les proches et les descendants de tous ceux-là, pour les descendants de juifs et d’occidentaux inhumés en Algérie dans des cimetières dont l’entretien est inexistant.
Pour eux aussi, nous devons travailler à l’apaisement mémoriel ! Cette proposition de loi y contribue-t-elle ? Favorise-t-elle l’apaisement en nous réunissant autour d’un regard vrai, juste et partagé ? Je ne le crois pas.
Le groupe « Regards de la jeune génération sur les mémoires franco-algériennes », qui réunit les petits-enfants de chaque camp autour du Président de la République, a des réponses plus subtiles, plus globales, moins partielles, peut-être aussi moins partiales.
Ce texte contribue-t-il à la réconciliation et au renforcement de nos liens avec l’Algérie ? Je ne le pense pas davantage.
La repentance unilatérale n’a pas conduit à un apaisement partagé, bien au contraire. (M. Hervé Gillé proteste.)
Mme Valérie Boyer, rapporteur. En effet !
M. Arnaud de Belenet. Quels pas l’Algérie a-t-elle esquissé après la commémoration du 17 octobre présidée en 2012 par le président Hollande ? Après la loi du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ? Après la réception par le Président de la République au mois de mars dernier des petits-enfants d’Ali Boumendjel, avocat nationaliste torturé et assassiné en 1957, et pour lequel cet événement s’est accompagné d’une demande de pardon ?
L’État algérien, enfermé dans le dogme d’une histoire officielle et d’une « rente mémorielle », pour reprendre les mots justes que le Président de la République a prononcés au mois de novembre dernier, n’a fait aucun pas. Il s’indigne, il insulte, il instrumentalise.
L’apaisement mémoriel ne peut être unilatéral et partiel. Les auteurs de la proposition de loi proposent que ce soit la France tout entière qui regarde avec lucidité son histoire, toute son histoire.
Je considère, pour ma part, que l’apaisement mémoriel n’est envisageable que si la France tout entière et l’Algérie tout entière regardent ensemble avec lucidité, vérité et justice leur histoire commune, toute leur histoire commune. Depuis quelques années, la France ne cesse de le proposer, vainement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour moi, ce débat vient de loin, car ce fut l’un de mes premiers engagements de jeunesse. Depuis quarante ans, je mène ce combat en tant qu’historien et militant de la mémoire. Je salue, à ce titre, la présence en tribune de Samia Messaoudi, de l’association « Au nom de la mémoire ».
Dans un premier temps, essayons de reconnaître les faits. Voilà quarante ans, nous étions déjà loin de la guerre d’Algérie, mais le communiqué officiel faisant état de trois morts était la seule source officielle de reconnaissance.
Dans ces conditions, le travail fut considérable pour chercher, alerter, et pour que des médias, des intellectuels et des universitaires s’emparent plus fortement de ce sujet. Je suis allé regarder les premières archives officielles à la fin des années 1990, au Parquet de Paris, qui montraient que plusieurs dizaines de corps avaient été repêchés dans la Seine – certains avaient même dérivé jusqu’à Rouen dans les jours qui suivirent. Ce travail historique a été mené, et plus personne ne conteste ces faits.
Le bilan officiel de la manifestation doit interpeller ceux qui veulent le remettre en cause, même dans cet hémicycle. Dans cette manifestation de 20 000 personnes, on n’avait même pas le droit d’avoir une épingle à cheveux dans la poche !
M. Stéphane Ravier. Ça a bien changé !
M. David Assouline. Neuf policiers blessés, 13 000 arrestations, des dizaines de morts parmi les manifestants. Aujourd’hui, ce serait impossible !
La question qui nous est posée est la suivante : y a-t-il une responsabilité de l’État ? Je ne veux pas insulter les policiers massivement déployés pour arrêter 13 000 personnes : on ne saurait se défausser sur eux à ce point. Non, je pense aux responsables, et à l’appareil d’État, dont l’organisation était très structurée pour mener à bien une telle opération. Quant au préfet de police, il avait déjà fait ses preuves sous le gouvernement de Vichy pour la déportation des juifs à Bordeaux.
Ceux qui soutiennent encore dans cet hémicycle que la gauche a trahi la France sont les mêmes négateurs de l’Histoire que ceux qui portaient une accusation similaire contre Léon Blum lors du procès de Riom. J’appelle à la réflexion sur ce point !
Il aura fallu attendre des dizaines d’années avant que Jacques Chirac prononce son merveilleux discours reconnaissant la responsabilité de la France. Aujourd’hui, pourquoi nier la réalité ? Comment peut-on soutenir que Papon était seul ? Comment une telle chose – des dizaines de morts et 13 000 arrestations ! – a-t-elle pu se produire au cœur de Paris, près du Grand Rex, des cinémas, des restaurants, des grands magasins ouverts sur les boulevards ?
Que dire aujourd’hui, sinon que l’on reconnaît la responsabilité de la France et qu’il s’agit d’un crime d’État ? Nous devons assumer nos responsabilités, et ne pas nous défausser en invoquant une prétendue bavure.
Reconnaissons les faits pour apaiser les mémoires ! C’est un préalable nécessaire à un avenir en commun. Toutes les mémoires de la guerre d’Algérie doivent être respectées.
M. Philippe Tabarot. Madame la présidente, le temps est écoulé !
M. Stéphane Ravier. Le temps de parole est écoulé, c’est fini !
M. David Assouline. Demain, nous n’évoquerons pas le 17 octobre lorsque nous parlerons des harkis, car ces derniers méritent notre respect ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot.
Mon cher collègue, rassurez-vous : le léger dépassement du temps de parole de notre collègue David Assouline ne vous sera pas décompté. (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Philippe Tabarot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, présentée de manière opportuniste quelques jours après la cérémonie d’hommage aux victimes de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie, est avant tout une démarche idéologique et politicienne. Une fois de plus, cette initiative malvenue se détache totalement du contexte difficile de l’époque pour verser, encore et toujours, dans l’autoflagellation mémorielle.
Par conséquent, je serai direct : nous voterons contre cette proposition de loi. Elle est opportuniste sur la forme, provocante sur le fond, et partiale dans son orientation. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Rien que ça !
M. Philippe Tabarot. En ne choisissant qu’une seule douleur, elle vient alimenter inutilement la bataille des mémoires.
Ce texte s’inscrit en effet dans l’obsession mémorielle tracée par le Président de la République. Nous restons sur une ligne claire et vous devriez en faire de même : évitons d’agiter et de revoir l’Histoire.
Mais ne vous y méprenez pas : je ne suis pas comme le Président de la République, qui, le 18 avril 2021, appelait sur la chaîne américaine CBS à déconstruire notre propre histoire et qui, hasard du calendrier électoral, change de position et appelle finalement hier à ne pas la revoir.
Pourquoi vouloir également commémorer cette date et aller aussi loin en reconnaissant la responsabilité de la France ? Les célébrations du 19 mars, que la gauche a imposées par une manœuvre grossière, ne vous suffisent-elles pas ? (M. Rachid Temal proteste.)
M. Guy Benarroche. Nous y voilà !
M. Philippe Tabarot. Cette surenchère mémorielle vis-à-vis de l’Algérie n’apporte rien de bon. En commémorant les heures sombres, elle culpabilise encore et toujours la France, sans jamais saluer les apports positifs.
On ne peut pas discuter de cette proposition de loi si on ne se remémore pas ce qui s’est passé dans cette terrible période. Oui, nous étions en guerre, et ce tragique épisode s’inscrit dans un temps douloureux de l’histoire. Oui, la guerre était en Algérie, mais elle était aussi en métropole.
M. David Assouline. La métropole n’était pas en guerre !
M. Philippe Tabarot. Oui, l’organisation terroriste du FLN a tué et massacré des soldats et des civils fidèles à la France.
Le gouvernement de l’époque devait constamment faire face à des attentats. Dans les mois qui précédèrent cette manifestation interdite – j’insiste sur ce mot –, vingt-deux policiers avaient été tués et soixante-dix-neuf blessés par des attentats aveugles et des assassinats ciblés. Voilà le lourd climat dans lequel s’inscrivait cette manifestation interdite !
Votre proposition de loi s’exonère totalement de ce contexte, privilégiant une logique victimaire plutôt qu’une logique de vérité. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Stéphane Ravier. Bravo !
M. Philippe Tabarot. Ne vous en déplaise, l’Histoire est bien plus complexe que vous ne l’écrivez. Il faut bien plus que deux lignes dans une proposition de loi pour en rendre compte.
On ne peut pas discuter de cette proposition de loi si l’on continue à sélectionner les mémoires et à rejeter certaines douleurs, comme le massacre « oublié » d’Oran du 5 juillet 1962.
M. Rachid Temal. Déposez donc une proposition de loi !
M. Philippe Tabarot. N’est-il pas aussi urgent de rendre hommage aux victimes des massacres et à tous les civils – pieds-noirs et harkis – assassinés après le 19 mars 1962 ?
Ne devons-nous pas nous montrer plus exigeants envers le pouvoir algérien qui, pour sa part, se refuse à tout geste mémoriel ou d’apaisement envers la France ?
M. François Bonhomme. Absolument !
M. Philippe Tabarot. Où sont les plaques en hommage aux victimes harkis et pieds-noirs en Algérie ?
M. François Bonhomme. Nulle part !
M. Philippe Tabarot. À Alger ? À Oran ? À Constantine ? Nulle part ! Le ministre des affaires étrangères Le Drian devrait avoir le courage de le rappeler aux autorités algériennes lors de sa visite aujourd’hui…
Cette proposition de loi consacre encore inutilement la concurrence des mémoires, au détriment de ceux qui ont choisi la France. Arrêtons de prétendre que seule la France aurait commis des fautes durant cette guerre ! On ne peut pas exonérer le FLN et ses complices porteurs de valises de leurs responsabilités. On ne peut pas rendre la police, que vous visez sans la nommer, comme la seule et unique responsable de ce cycle de violence tragique.
Ce sens unique mémoriel que vous consacrez dans cette proposition de loi est insupportable.
Insupportable, car ce texte alimente la propagande victimaire anti-France…
M. Stéphane Ravier. Bravo !
M. Philippe Tabarot. … et érige les victimes des affrontements en martyrs de la cause algérienne.
Insupportable, car il étaye le communautarisme et le séparatisme. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Insupportable, car il rabaisse la fierté de la France.
M. Rachid Temal. Sûrement !…
M. Pierre Laurent. Et Maurice Papon ?
M. Philippe Tabarot. Mes chers collègues, nous en avons assez de ces actes de repentance à répétition !
Nous avons eu des débats. Des décisions ont été prises, parfois bien malgré nous. Depuis des décennies, ceux qui ont vécu cette douloureuse histoire sont instrumentalisés par les gouvernements français et algérien.
Les pieds-noirs et les harkis en ont assez. Ils veulent vivre – et malheureusement, pour certains, mourir – en paix, loin de leur terre natale, et ne plus avoir à supporter ces attaques permanentes contre ce qu’ils étaient.
Albert Camus écrivait que les gens de sa famille n’avaient « jamais exploité ni opprimé personne ». Laissons le passé aux historiens et cessons de vouloir le réécrire à grand renfort de lois dont l’objectif est avant tout de s’attacher les bonnes grâces d’une partie de l’électorat. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Vous nous donnez aujourd’hui le sentiment d’être lancés dans une course à la rente mémorielle avec le Président Macron, devenu un grand expert en la matière, lorsqu’il qualifie d’une main la colonisation de « crime contre l’humanité », et de l’autre feint de vouloir reconnaître la responsabilité de l’État envers les harkis.
Je connais ces déchirements mieux que vous. Certains y ont laissé la vie. D’autres ont tout perdu, y compris leurs racines.
La politique de réparation ne peut se résumer à l’expiation permanente par la repentance, qui aboutit à la division. La France est une nation qui revendique son identité et qui assume son histoire. Mais comme n’importe quel autre pays au monde, elle peut reconnaître ses torts et réserver ses célébrations pour ses heures les plus glorieuses.
Non, il n’y a rien à célébrer le 17 octobre, pas plus que le 19 mars. Ce sont des dates de sinistre mémoire qui riment avec peine et douleur.
Pour conclure, je suis persuadé que les Français ont besoin de croire en la France. Comment agréger notre jeunesse sur le chemin de la fierté, si seules les parties négatives de notre histoire sont valorisées et si toute la Nation est rendue responsable des actes de quelques-uns ?
Nous souhaitons, pour notre part, montrer à nos enfants et à tous nos concitoyens qu’il existe encore pour eux et pour la France un autre chemin que celui de la résignation. Un chemin qui conduit à la grandeur de notre pays et qui respecte son histoire.
La France doit se rassembler autour d’une espérance, celle d’un tout, et non d’une addition choisie de morceaux de l’Histoire, surtout lorsque ces derniers ne servent qu’une fin : une logique victimaire au mépris de ceux qui ont choisi la France pour ce qu’elle était et pour les valeurs qu’elle portait.
Pensons à eux en cet instant et honorons-les pour avoir fait en toutes circonstances un seul choix : celui de la France. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi relative à la commémoration de la répression d’algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à paris
Article 1er
La France reconnaît sa responsabilité dans la répression de manifestants algériens réclamant pacifiquement l’indépendance de leur pays ayant eu lieu le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Dans cet hémicycle, nous avons beaucoup évoqué le travail des historiens, qui fait consensus. Nous devons leur permettre de faire leur travail, consistant à récoler les actes avec méthode, conformément à leur déontologie.
Nous sommes incapables, encore aujourd’hui, de savoir combien il y eut de morts. Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué « des morts », tandis que le président Pierre Laurent parlait de 200 personnes. Quel est le nombre exact ? Je doute qu’en 1961, à Paris, la préfecture de police n’ait pas fait le décompte macabre de ces morts violentes… Un travail d’historien doit donc être mené.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement dont vous faites partie a réduit l’accès aux archives par la loi du 30 juillet 2021, qui a modifié l’article L. 213-2 du code du patrimoine.
Ces restrictions concernent-elles les archives des événements de 1961 ? Si je n’obtiens pas de réponse, je poserai de nouveau ma question. Pour la formuler autrement, les archives produites, entre autres, par la préfecture de police sont-elles librement communicables à tous les historiens souhaitant établir des faits indiscutables ?
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. Cette proposition de loi nous donne l’occasion d’aborder la violente répression du 17 octobre 1961 à l’encontre d’Algériens noyés dans la Seine par la police, laquelle doit faire l’objet d’une nécessaire commémoration.
Ce texte a déjà une histoire et a bénéficié d’une impulsion locale. Dans ma ville d’Ivry-sur-Seine, le maire Philippe Bouyssou a organisé une commémoration réunissant des citoyens français, enfants et petits-enfants de citoyens algériens, et il a inauguré une rue prochainement aménagée au droit du quai Henri-Pourchasse, dans un lieu hautement symbolique puisqu’il s’agit d’une artère centrale d’un quartier historique du passé ouvrier.
Nous avons un devoir de mémoire. La version officielle de ce triste événement faisait état de deux morts ; en réalité, ce sont des dizaines, voire une centaine, d’Algériens qui ont été tués par la police. C’était un mensonge d’État, diffusé à l’époque par le gouvernement et le préfet de police devant les élus et les parlementaires. De nombreuses archives officielles ont été rapidement détruites après les faits, entravant le travail des historiens, sans parler de la censure opérée par plusieurs médias.
Pourtant, la connaissance historique doit avoir une valeur universelle et participer de l’éducation à la citoyenneté. La mémoire est un vécu et une réalité : nier cette évidence reviendrait à entraver le travail des historiens. Il ne s’agit pas simplement d’une relation d’État à État, mais d’une responsabilité que la France doit assumer en reconnaissant les crimes commis afin de coopérer sur un pied d’égalité.
Notre responsabilité consiste à admettre que ces faits tragiques font partie de l’histoire de nos deux pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Rachid Temal, Hervé Gillé et Guy Benarroche applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Bien qu’elles soient opposées à cette proposition de loi, Mme la rapporteure et Mme la secrétaire d’État ont salué la valeur de cet événement, lorsque Bertrand Delanoë, sur ma proposition, a gravé la mémoire officielle de cet événement au cœur de Paris, en face de la préfecture de police, à l’endroit même où on avait pu apercevoir des corps sur le fleuve le 17 octobre 1961.
Tout cela ne s’est pas fait tout seul. Alors jeune conseiller de Paris, je me souviens avoir proposé ce lieu de commémoration à Bertrand Delanoë, et je me souviens aussi des discussions très animées que cela avait occasionnées dans l’hémicycle à ce moment-là. On se serait quasiment cru en pleine guerre d’Algérie tant le débat était hystérisé !
En tout cas, nous avions fait le pari qu’une telle initiative apaiserait au contraire les esprits. Avec le recul, dites-moi en quoi elle a attisé les haines ou les tensions victimaires à Paris ? Ce lieu de mémoire s’est fondu dans le paysage et fait partie de la vie courante, au cœur de la capitale. Désormais, on y dépose des gerbes de fleurs le 17 octobre de chaque année.
Les descendants des victimes, parfois les petits-enfants ou les arrière-petits-enfants de celles-ci, qui vivent souvent en France, se rendent ainsi compte que l’histoire de leurs parents, leur propre histoire, est reconnue par la société, la République et la Nation françaises auxquelles, souvent là encore, ils appartiennent.
La reconnaissance officielle de cette part de leur histoire apaise. À l’inverse, quand cette reconnaissance n’a pas lieu, les tensions persistent, comme des restes imperceptibles…