M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à quelques mois du terme de ce quinquennat, nous pouvons légitimement nous poser la question : quel bilan pour la justice et la sécurité ?
La justice va mal ! Une étude menée par le Sénat dans le cadre de l’Agora de la justice démontre que 53 % des Français n’ont pas confiance dans l’institution judiciaire, même s’ils font majoritairement confiance à chacune de ses professions. Les Français reprochent à la justice sa lenteur, ainsi que son manque de transparence et d’effectivité dans l’exécution de ses décisions. En conséquence, 59 % des sondés disent ne la saisir qu’en dernier recours.
Pourtant, force est de constater que les gouvernements successifs ont agi : sept textes législatifs ont été adoptés depuis le début du quinquennat. Il s’agit de textes d’ampleur, comme la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, la réforme de la justice pénale des mineurs, celle de la justice de proximité ou, plus récemment encore, du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.
De même, le budget de la justice a bénéficié d’une forte hausse de ses crédits de plus de 8 % chacune de ces deux dernières années et de 30 % au total en cinq ans.
Pourtant, l’image de notre justice n’est pas bonne et ses professionnels sont souvent en souffrance. La tribune que 3 000 d’entre eux viennent de signer en témoigne. Pourquoi ces réformes et ces moyens supplémentaires ne produisent-ils pas les effets recherchés ?
C’est avant tout un problème de méthode : les réformes se succèdent à grande vitesse, ce qui laisse peu de temps aux professionnels de la justice pour les assimiler. L’inflation législative et réglementaire est un facteur de paralysie de l’institution judiciaire. Certaines réformes ne font même pas l’objet d’une évaluation – ainsi de l’instauration du divorce par consentement mutuel sans recours au juge.
Les difficultés sont d’autant plus réelles que ces réformes entrent souvent en vigueur avant même que les outils numériques correspondants soient à disposition des juridictions. Le report, sur l’initiative du Sénat, de l’entrée en vigueur de la réforme du code de la justice pénale des mineurs a permis d’éviter cet écueil alors que certaines trames ne sont toujours pas à jour dans le fichier Cassiopee, qui connaît régulièrement des dysfonctionnements. De même, le développement du portail du justiciable en matière civile, Portalis, reste poussif.
L’augmentation des effectifs dans les juridictions est en revanche notable. Le taux de vacance d’emploi des magistrats est désormais inférieur à 1 %. Cependant, celui des greffiers s’élève toujours à 7 %. À cela s’ajoutent les « sucres rapides », à savoir les agents contractuels embauchés depuis deux ans. Toutefois, malgré ces renforts, les délais de jugement restent trop longs : ils sont de 11,4 mois en moyenne et de 22,7 mois pour un divorce contentieux.
Si l’apport de contractuels a permis de soulager certaines juridictions, le statut et les missions de ces agents ne leur permettent pas de remplacer les magistrats et les greffiers. Une réévaluation des besoins des juridictions en magistrats professionnels doit être menée afin de faire correspondre les moyens avec les charges réelles. Une réflexion globale s’impose sur l’exercice de la profession de magistrat, et notamment sur l’équipe autour du magistrat, en particulier pour prendre en compte les nombreuses évolutions professionnelles.
Enfin, la grande oubliée de ces réformes reste la justice civile, qui représente pourtant la grande majorité du contentieux, avec plus de 2 millions de décisions rendues chaque année. Il conviendrait de renforcer la déjudiciarisation, ainsi que la délégation de certaines missions à l’équipe du juge. Ces réformes, proposées par le Sénat, permettraient de redonner confiance dans la justice du quotidien.
L’effectivité de la réponse pénale constitue aussi un enjeu. Il faudrait apporter une réponse proportionnée à chaque infraction afin de prévenir la récidive et de se donner les moyens d’une véritable exécution des peines prononcées. Voilà un exemple de levier permettant de lutter contre le sentiment d’impunité.
Certes, les chantiers sont vastes. Nous ne nions pas, madame la ministre, la volonté du Gouvernement de réformer pour améliorer le fonctionnement de la justice. Nous ne nions pas non plus les efforts financiers consentis pour résorber les stocks d’affaires en attente. Mais la réalité des juridictions nous rappelle malheureusement que le compte n’y est pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, c’est un plaisir et un honneur pour moi de représenter ici, aujourd’hui, le Gouvernement, en lieu et place du ministre de l’intérieur et du garde des sceaux, retenus par d’autres obligations.
La sécurité est l’une des priorités du Gouvernement, selon une approche globale associant tous les acteurs et mobilisant tous les leviers.
Je veux tout d’abord rappeler que, depuis 2018, au plus près des Français, la police de sécurité du quotidien se déploie sur tous les territoires. Elle accompagne le retour de l’État là où la République a pu, par le passé, donner le sentiment de reculer sous le poids des trafics et des violences. Pour assurer ce retour, près de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires ont été recrutés pendant ce quinquennat, dont près de 1 200 dans les 62 quartiers de reconquête républicaine mis en place depuis 2018 par le ministère de l’intérieur.
Toutes les circonscriptions de sécurité publique connaîtront une progression de leur effectif sur la durée du quinquennat.
Leur première mission est d’intensifier la lutte contre la drogue et ses trafics. Ce combat a gagné en efficacité du fait de la création de l’Office anti-stupéfiants (Ofast), voulu par le Président de la République, mais aussi du recours à l’amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs de stupéfiants : plus de 106 000 amendes ont d’ores et déjà été prononcées à ce titre.
Sur le front de la lutte contre la drogue, nous progressons de manière significative. Rien que pour le premier semestre de cette année, l’augmentation des saisies par rapport à l’année précédente est de 37 % pour le cannabis, de 91 % pour la cocaïne et de 60 % pour l’héroïne. Au total, 7 837 trafics ont été démantelés, ce qui correspond à une hausse de 34 % ; 52 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis.
Pour être efficaces dans la lutte contre la délinquance, les trafics, la violence, nous devons prendre le mal à la racine et agir sur les facteurs de risque. Tel est l’objectif de la stratégie nationale de prévention de la délinquance 2020-2024 que je porte.
Cette stratégie met l’accent sur la prévention de la délinquance des mineurs dès avant l’âge de 12 ans ; sur les démarches d’aller vers les personnes les plus vulnérables pour mieux les protéger ; sur la participation de la société civile à la politique de prévention et sur le rapprochement entre la police et la population ; sur la rénovation de la gouvernance territoriale de cette politique, en lien avec les élus locaux et l’autorité judiciaire.
Cette politique de prévention ambitieuse nécessite des moyens : nous y avons consacré 70 millions d’euros cette année et nous y consacrerons 10 millions de plus l’an prochain, notamment pour accroître notre effort en faveur de la vidéoprotection des voies publiques.
Pour qu’ils soient plus efficaces dans leur lutte contre la délinquance et la criminalité, nos policiers et gendarmes doivent en outre travailler dans des conditions optimales.
C’est pourquoi, à la fin de l’année 2021, plus de 700 casernes et commissariats auront été modernisés et 30 000 véhicules achetés et livrés. D’ici le printemps prochain, les deux tiers du parc automobile auront été changés sur le territoire, soit 11 000 véhicules, afin de répondre aux besoins concrets sur le terrain.
L’engagement du Président de la République et du Premier ministre, à l’issue des travaux menés dans le cadre du Beauvau de la sécurité, s’est traduit par une hausse des crédits de la mission « Sécurités » de plus de 1 milliard d’euros, si l’on prend en compte le plan de relance. Cela porte l’augmentation du budget de cette mission depuis le début du quinquennat à 2,3 milliards d’euros.
Je dirai enfin un mot de la priorité absolue qu’est la lutte contre la radicalisation et le terrorisme.
Nous avons commencé, dès 2017, par renforcer les moyens des services de renseignement, qu’il s’agisse du renseignement territorial ou de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dont les effectifs ont augmenté de 1 900 agents et dont le budget a doublé par rapport à 2015.
Les résultats sont là : depuis 2017, nous avons déjoué 36 attentats. Aujourd’hui, nous allons plus loin grâce à la révolution copernicienne souhaitée par le Président de la République : nous combattons désormais non seulement le terrorisme, mais aussi le terreau du terrorisme, ce que nous avons appelé le séparatisme dans une loi. Par ailleurs, un séminaire consacré à la lutte contre le séparatisme a été organisé lundi, auquel ont participé pour la première fois 450 cadres dirigeants de l’État, en présence de M. le Premier ministre.
Avec les cellules de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR), dont les moyens juridiques ont été renforcés par la loi confortant le respect des principes de la République, nous agissons concrètement dans les territoires pour prévenir les dérives qui portent en elles les germes d’atteintes graves à l’ordre public, tel qu’il est établi par la loi.
Le bilan de cette politique parle de lui-même : 24 000 contrôles ont été effectués ; 672 établissements ont été fermés ; 45,5 millions d’euros d’avoirs ont été saisis ou redressés.
La sécurité des Français exige également une réponse pénale rapide et adaptée. C’est pourquoi la justice et l’amélioration des conditions de son exercice constituent également des priorités de l’action du Gouvernement. À cet égard, je vous remercie d’avoir salué la considérable augmentation des moyens du ministère de la justice. Je le redis ici, Emmanuel Macron a permis la plus forte hausse du budget de la justice depuis un quart de siècle, soit une augmentation de 33 % depuis 2017.
Face aux incivilités du quotidien, tels les rodéos motorisés, l’usage de produits stupéfiants ou les vols dans les commerces de proximité, il fallait apporter des réponses plus rapides et plus efficaces.
Le développement de la justice de proximité, dont la raison d’être est précisément de répondre à ce type de délinquance, contribue à restaurer la crédibilité de la justice auprès de nos concitoyens. En apportant des réponses pénales, qui ont du sens pour les victimes et les auteurs, elle renforce notre État de droit.
Nous nous sommes également concrètement attachés à renforcer les politiques pénales prioritaires : la lutte contre les violences exercées à l’encontre des forces de l’ordre, en pénalisant plus fortement leur auteur ; la lutte contre le poison que constitue le trafic de stupéfiants, par la mise en œuvre d’un plan national de lutte contre les stupéfiants ; la lutte contre la menace terroriste, soutenue notamment par la création du parquet national antiterroriste.
Enfin, le Gouvernement accompagne les évolutions de la société en luttant contre la haine en ligne et contre la cybercriminalité. Un pôle national de lutte contre la haine en ligne a ainsi été créé par le garde des sceaux afin de sanctionner les discours de haine qui prospèrent sur internet.
Parmi les priorités du Gouvernement en matière de justice figure bien sûr la question de la justice des mineurs.
Le code de la justice pénale des mineurs est entré en application le 30 septembre 2021. C’est une réforme historique. Désormais, notre pays dispose d’une justice plus rapide pour toutes et tous. Cette réforme met aussi fin à l’empilement des mesures éducatives par la création d’une mesure éducative judiciaire unique, dont le contenu est modulable et adaptable à l’évolution du mineur.
Je voudrais répondre à la question de Mme la sénatrice Carrère sur les moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme.
Je vous confirme, madame la sénatrice, que tous les services du ministère de la justice sont mobilisés et que le budget de la justice des mineurs, plus particulièrement le budget de la protection judiciaire de la jeunesse, constitue une priorité. En deux ans, près de 95 millions d’euros supplémentaires ont permis de renforcer l’action de la protection judiciaire de la jeunesse, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur associatif habilité.
La justice des mineurs, c’est aussi la protection des plus fragiles, notamment des enfants, contre toutes les formes de violences. Elle constitue, elle aussi, une grande priorité du Gouvernement.
Des avancées majeures ont été faites dans ce domaine. Ainsi, la loi de 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a permis d’allonger le délai de prescription des crimes et délits sexuels commis sur mineurs. La protection des mineurs exposés aux violences familiales est complètement assurée par notre droit, qui garantit désormais à ce dernier un statut de victime, grâce au travail mené main dans la main par le Gouvernement et le Parlement.
En matière de politique pénitentiaire, le Gouvernement a fait de la lutte contre la récidive une priorité. Il a mis en œuvre différents chantiers afin de lutter contre la surpopulation carcérale, la radicalisation et favoriser la réinsertion des condamnés.
Pour répondre à MM. Lefèvre et Wattebled, j’indique que nous avons lancé le plan 15 000 places de prison, soit le programme immobilier pénitentiaire le plus ambitieux depuis trente ans. Ainsi, le nombre total de places disponibles sera porté à 75 000 en 2027, ce qui permettra un meilleur respect de la dignité des personnes incarcérées.
La mise en chantier des 7 000 premières places est d’ores et déjà lancée. En 2022, ces places seront livrées ou à un stade avancé de construction. Au total, quatorze opérations sont en cours dans toute la France, à Caen, au Mans, à Avignon, à Koné, à Gradignan et à Troyes.
Le deuxième volet de 8 000 places est lui aussi résolument engagé. Les seize sites des opérations pénitentiaires sont désormais identifiés. Permettez-moi d’ailleurs de saluer ici l’esprit républicain des maires qui accueillent et soutiennent ces projets. Je pense notamment aux élus de Caen ou d’Angers.
La lutte contre la radicalisation a également été marquée par un renforcement de l’arsenal législatif visant à la détection, au suivi et à l’entrave des individus susceptibles d’être radicalisés et de constituer une menace pour l’ordre public.
Je tiens également à évoquer la loi du 30 juillet 2021, qui a créé la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, ou encore celle du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui a créé deux nouveaux délits aux fins de lutter contre la radicalisation violente.
La prise en charge des radicalisés en établissement pénitentiaire a aussi été renforcée par la création de nouveaux quartiers d’évaluation et de prise en charge de la radicalisation.
Pour répondre au sénateur Sueur et à la sénatrice Vogel, j’indique que la justice s’incarnant d’abord dans des hommes et des femmes, 7 400 emplois ont été créés dans ce secteur en cinq ans. Au total, le nombre de personnels du ministère a ainsi été porté à plus de 90 000. C’est du jamais vu ! De même, 650 postes supplémentaires de magistrats ont été créés, contre seulement 27 au cours du quinquennat précédent. Lors du quinquennat 2007-2012, 102 postes avaient même été supprimés. Enfin, près de 850 postes supplémentaires de greffiers ont également été créés.
Par ailleurs, ces douze derniers mois, sur l’initiative d’Éric Dupond-Moretti, la Chancellerie a procédé à une campagne de recrutement inégalée de 3 450 personnels. Pour une justice plus proche du justiciable, plus réactive, nous avons aussi procédé au recrutement de 2 100 emplois publics nets, en douze mois seulement.
En réponse aux questions qui ont été posées sur ce qu’il se passe à Calais, je rappelle que le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a indiqué hier que jamais les policiers ou les gendarmes n’avaient eu pour consigne de lacérer les tentes. (M. Thomas Dossus fait un signe de dénégation.) D’après les témoignages, ces actes sont le fait d’opérateurs privés chargés de nettoyer les lieux après le départ des migrants. Le ministère de l’intérieur a clairement demandé de ne pas procéder à de tels agissements.
J’évoquerai à présent les violences faites aux femmes.
Il a été dit que les policiers bénéficiaient d’une formation aux violences sexistes et sexuelles d’une durée de trois heures. Je ne sais pas d’où provient ce chiffre, mais il est totalement faux. J’ai présenté cette semaine la nouvelle version de la formation des policiers et des gendarmes sur ce sujet : sa durée pourrait atteindre 120 heures en formation initiale. Plus de 90 000 policiers et gendarmes ont d’ores et déjà bénéficié d’une formation continue sur cette question spécifique. Je suis à la disposition des parlementaires qui souhaiteraient des précisions à cet égard. J’ai travaillé cette semaine avec Ernestine Ronai, à Rosny-sous-Bois, sur la formation des policiers.
Personne ne peut ici décemment considérer que le Gouvernement n’a pas agi contre les violences conjugales. Je veux bien qu’on dise qu’on n’en fait jamais assez, que les choses ne vont jamais assez vite – je partage évidemment ce point de vue –, mais je rappelle que nous avons fait voter quatre lois en quatre ans et que nous avons organisé le Grenelle des violences conjugales, ce qui nous a enfin permis de sortir des logiques de silo.
Des dizaines de mesures ont été prises, comme la saisie des armes dès le dépôt de plainte, la déchéance de l’autorité parentale, la mise en œuvre du bracelet anti-rapprochement et de la grille d’évaluation du danger. La formation a également été revue. Enfin, une circulaire du garde des sceaux prévoit que les victimes doivent désormais être informées lorsque l’homme condamné sort de prison. Nous devons désormais travailler ensemble à la bonne exécution de ces mesures partout sur le terrain.
Le budget du ministère de la justice pour 2021 a connu une exécution record puisque, pour la première fois, seront utilisés plus de 8 milliards d’euros de crédits.
Enfin, pour répondre aux autres questions qui m’ont été posées, je rappelle que les États généraux de la justice sont aussi une occasion de progresser sur tous les sujets, dont ceux qui ont été abordés dans la tribune publiée par les magistrats. Contrairement à ce qu’on peut entendre dire ici et là, ces États généraux sont non pas une opération de communication, mais une occasion de dialogue destinée à permettre de trouver des solutions très concrètes.
M. Jean-Pierre Sueur. Personne n’en doute ! (Sourires.)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Pour vous en convaincre, je rappelle que ces États généraux ont été demandés par les plus hauts magistrats de France – les deux chefs de la Cour de cassation –, qu’ils sont dirigés par un comité indépendant, dont Jean-Marc Sauvé est le président – son indépendance et son courage sont salués par tous – et que François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat, en est membre.
Les travaux de ces États généraux seront publiés, chacune et chacun pourra en avoir connaissance en intégralité.
Des ateliers embrassent tous les thèmes d’actualité qui sont au cœur de la justice. Trois d’entre eux portent d’ores et déjà sur les moyens, les organisations et les missions des magistrats et des greffiers. C’est un exercice démocratique sans précédent qu’il convient de saluer, tout comme le Beauvau de la sécurité, conduit par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. Tous ceux qui ont envie d’améliorer la justice et d’accroître la sécurité dans notre pays doivent y prendre leur part, comme l’a d’ailleurs fait le Sénat lors d’une Agora de la justice.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque groupe dispose d’une question de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. « Autour de nous, les arrêts maladie se multiplient, tant chez les nouveaux magistrats que chez les magistrats plus expérimentés. L’importante discordance entre notre volonté de rendre une justice de qualité et la réalité de notre quotidien fait perdre le sens à notre métier et crée une grande souffrance » : ainsi se sont exprimés les magistrats, madame la ministre, dans une tribune publiée la semaine dernière et signée par 3 000 d’entre eux, soit plus d’un tiers des membres de la profession.
Si les magistrats dénoncent un manque de moyens, ils regrettent sur le fond une justice qui « n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout ». Ils ajoutent : « Nous comprenons que les personnes n’aient plus confiance aujourd’hui en la justice que nous rendons, car nous sommes finalement confrontés à un dilemme intenable : juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables. »
Que vous évoque le mal-être que connaît cette profession, comme celui, d’ailleurs, des agents des forces de l’ordre ? Ces derniers sont eux aussi soumis depuis trop longtemps à la politique du chiffre, tout en étant confrontés à la misère sociale au quotidien. Leur travail anxiogène donne trop souvent lieu au pire…
Comment redonner du sens à ces professions essentielles pour notre État de droit et pour le bien vivre ensemble, piliers de notre société ? Comment redonner leur grandeur aux politiques régaliennes dont dépendent magistrats et forces de l’ordre ? Que faire pour que ces professionnels puissent se relever face à tant de souffrance et de mépris ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Cukierman, le garde des sceaux a été extrêmement sensible au témoignage que vous évoquez.
À la suite de la publication de cette tribune, il a reçu une délégation de représentantes et de représentants des 3 000 signataires. Il a également reçu les présidents des conférences nationales de magistrats. Il reçoit aujourd’hui même les organisations syndicales de fonctionnaires de la direction des services judiciaires.
Cette tribune soulève trois questions : d’abord, celle des moyens. Le Gouvernement s’est attaché à donner des moyens à la justice comme jamais auparavant. À cet égard, le projet de loi de finances en cours de discussion prévoit le budget le plus élevé de l’histoire de la justice et des services judiciaires.
Cette tribune soulève ensuite la question de la considération envers les magistrats, alors que de très nombreux responsables politiques ou de la société civile les mettent en cause.
Enfin, elle soulève la question des organisations, notamment des missions des magistrats et des greffiers.
C’est notamment pour répondre à ces trois questions fondamentales qu’ont été lancés les États généraux de la justice, en octobre dernier, par le Président de la République. Chacun est invité à y contribuer afin de reconstruire ensemble le service public de la justice, après des années de délaissement. C’est une œuvre qui demande du temps, de la méthode. C’est dans cet état d’esprit que nous œuvrons depuis bientôt cinq ans.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, vous avez parlé dans votre intervention précédente de « révolution copernicienne », faisant d’ailleurs preuve d’un léger manque d’humilité…
Il ne faut pas simplement réunir et entendre les professionnels, il faut faire et agir. La véritable révolution copernicienne consisterait, par exemple, à organiser de véritables États généraux en début de quinquennat afin de prendre réellement la mesure de la situation, d’agir et de répondre aux magistrats et aux forces de l’ordre, ainsi qu’à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la ministre, ma question porte sur le développement du programme Scribe, le nouveau logiciel de rédaction et de pilotage des procédures de la police nationale.
Annoncé dès 2016, cet ambitieux programme semble rencontrer des difficultés que certains jugent insurmontables.
Alors que la procédure pénale numérique devait être étendue à l’ensemble des juridictions françaises en 2022, la police attend encore un outil informatique moderne devenu indispensable, car le système actuel, même dans sa dernière version la plus évoluée, est en bout de course.
Un récent article du Monde détaille les nombreuses difficultés techniques qui s’enchaînent depuis le début de ce projet et évoque un « enlisement » d’autant plus inquiétant que certains hauts responsables de la police nationale avancent que, au total, 11,7 millions d’euros seraient partis en fumée, salaires des policiers détachés compris.
Madame la ministre, où en est précisément ce projet aujourd’hui ? Va-t-il effectivement aboutir ? À quel coût et dans quel délai ?
Alors que de nombreux candidats à l’élection présidentielle de 2022 annoncent d’ores et déjà une simplification de notre procédure pénale, il me semble tout aussi urgent que la police et la justice puissent disposer au quotidien d’un outil informatique performant. Il y va de l’efficacité de la lutte contre toutes les formes de délinquance.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, le logiciel de rédaction des procédures est le cœur du système d’information de la police nationale. Vous avez raison, il est utilisé quotidiennement depuis 2012 et produit annuellement près de 4 millions de procédures.
Selon les policiers, l’outil actuel est rigide et compliqué. C’est pourquoi le développement d’un nouveau logiciel, appelé Scribe, avait été lancé dès 2016.
Ce programme était destiné à répondre aux demandes des policiers du terrain de pouvoir mieux établir les procédures. Il devait être un outil moderne, simple à utiliser, permettant un pilotage performant. Malheureusement, le programme n’a pas répondu à ces ambitions, pour des questions de gouvernance, de priorisation et de pilotage.
Face à ces difficultés majeures, le ministre de l’intérieur a décidé, cet automne, de faire une pause dans le projet afin de le relancer sur de nouvelles bases plus efficaces.
Il arrive parfois que des projets informatiques échouent, dans les entreprises ou les collectivités. Il importe surtout de savoir arrêter un projet quand cela est nécessaire, de le réorienter et de fixer un objectif qui puisse être atteint.
Pour l’heure, l’actuel logiciel de procédure sera modernisé et simplifié.