M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, votre interrogation finale trouve sa réponse dans les traités européens, lesquels indiquent que le siège du Parlement européen est à Strasbourg. Je n’ai vu personne, pour l’instant, exprimer le désir de modifier les traités, en particulier sur ce point.
Cette question nécessite cependant de notre part une grande présence et une grande attention. J’ai été amené il y a quelques jours à me rendre au Parlement européen pour le répéter. J’ai aussi pu rencontrer à cette occasion les étudiants de l’Institut d’études politiques de Strasbourg pour leur manifester toute l’importance que j’accorde à cet enjeu géographique et au rôle de capitale européenne de la ville de Strasbourg. Sur ce point, monsieur le sénateur, n’ayez pas d’inquiétudes sur notre détermination, en particulier sur la mienne !
Vous avez également évoqué la ratification de la convention de l’OIT relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail.
Il s’agit bien d’une priorité politique pour la France, qui s’inscrit dans la grande cause du quinquennat, l’égalité femmes-hommes, qu’a voulue le Président de la République. Nous nous y étions d’ailleurs engagés lors du forum Génération égalité, qui s’est tenu du 30 juin au 2 juillet dernier à Paris, sous l’égide d’ONU Femmes. Et vous avez adopté au Sénat, voilà deux semaines, le projet de loi autorisant la ratification de cette convention.
Ce sujet est également européen, car, au-delà de ce texte, l’Union européenne est une union de valeurs. Elle a développé un acquis très important dans ce domaine depuis plusieurs décennies, acquis qui a permis aux États de progresser en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.
Ce sera également un sujet essentiel de notre présidence, car nous savons que le consensus indispensable pour faire avancer les droits des femmes, en particulier compte tenu de la contre-offensive conservatrice qui les cible, est de plus en en plus difficile à préserver. Nous serons vigilants sur cette question et nous conduirons une action extrêmement forte pour préserver et même renforcer la dynamique en faveur de ces droits.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le ministre, ce débat intervient quelques semaines avant la présidence de l’Union européenne.
Un tel débat aurait pu avoir lieu au long cours, sur plusieurs mois, afin de nous permettre d’avancer tous ensemble : l’exécutif, la représentation nationale et les citoyens.
La présidence de l’Union européenne par l’un de ses pays fondateurs aurait pu être l’occasion d’une puissante initiative pour relancer l’Union. Je fais partie de ceux qui croient à l’Union européenne non pas seulement par principe, mais parce que, plus que jamais, elle constitue un projet de construction positif dans un monde et des sociétés traversés par les menaces et les replis.
À l’heure où les superpuissances sont de retour sur la scène internationale, où est la superpuissance européenne ? Comment des responsables rationnels peuvent-ils imaginer que la fermeture de frontières puisse nous protéger et rendre ces dernières infranchissables ? Comment peuvent-ils à ce point rester sourds et aveugles à l’état du monde ? La souveraineté la plus importante, c’est celle des peuples, non celle des représentations fantasmées et nationalistes, qui ne conduisent qu’au rejet et à la xénophobie.
Le rejet comme norme : nous savons où un tel projet conduit inéluctablement. L’Union européenne est l’une des seules voies de recours crédibles en matière de protection internationale. Alors que nous pensions la paix acquise, celle-ci est plus que jamais menacée. Les événements ne cessent de nous rappeler sa fragilité.
Certes, le président Mitterrand nous avait prévenus, lui qui appelait à toujours s’engager davantage dans le processus de construction européenne. Alors que la France s’apprête à prendre la présidence de l’Union, le silence règne : rien ou presque.
Deux sujets sont majeurs pour l’avenir proche de l’Europe et de l’ensemble de nos pays au sein de l’Union : la diplomatie et la défense.
Vous avez évoqué, monsieur le ministre, l’Europe de la défense. Aussi, voici ma question : quelles mesures réelles la France entend-elle prendre durant sa présidence pour accroître l’intégration des membres de l’Union en matière de défense et de diplomatie ?
Où en est-on, par exemple, des projets de système de combat aérien du futur, après les atermoiements de l’Espagne ? Où en est-on du projet de porte-avions franco-européen ou encore de l’intégration d’un véritable commandement européen, appuyé sur un service de renseignement européen ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Marc Todeschini. Enfin, à quand un véritable ministre des affaires étrangères de l’Union ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, je trouve votre analyse pessimiste. En réalité, et je parle d’expérience – c’est une expérience que j’ai d’ailleurs partagée avec vous –, je constate que, en matière de sécurité et de défense, l’Europe a accompli un chemin considérable depuis quelques années.
Nous disposons désormais d’un Fonds européen de défense. Personne n’imaginait il y a même cinq ans que ce serait possible. L’Europe a mis en place la Facilité européenne pour la paix, un instrument qui permet de financer des actions opérationnelles relevant de la politique étrangère et de sécurité commune. Elle a également instauré la Coopération structurée permanente et l’Initiative européenne d’intervention. Ce sont là des preuves que l’Europe de la défense est une réalité concrète.
Je me souviens que, lorsque j’ai commencé à évoquer l’idée d’une coopération structurée permanente devant mes homologues européens de la défense, on m’envoyait promener ! Aujourd’hui, tout le monde en est membre. Nous sommes donc engagés dans un cycle positif. Progressivement, l’Europe est en train de s’affirmer comme une puissance en devenir. Il faut désormais qu’elle fasse preuve d’une véritable autonomie stratégique.
Or autonomie stratégique et souveraineté européenne sont des termes qui figurent aujourd’hui dans le projet que constitue la boussole stratégique que j’ai évoquée à plusieurs reprises et qui sera au centre des discussions lors de la présidence française, notre volonté étant d’aboutir sur ce sujet.
Vos préoccupations sont prises en compte dans le cadre de la boussole stratégique, monsieur le sénateur, laquelle repose sur quatre thèmes : « Agir », « Sécuriser », « Investir » et « Coopérer ». Des propositions concrètes sont faites sur ces quatre thèmes.
Ainsi, sur le thème « Agir », il est proposé de créer une capacité européenne de déploiement rapide et un mécanisme de présence maritime coordonnée ; sur le thème « Sécurité », de développer des coopérations très fortes dans les domaines spatial, cyber et maritime pour lutter contre les menaces hybrides ; sur le thème « Investir », d’augmenter nos capacités qui sont défaillantes en Europe et d’affirmer une souveraineté technologique ; sur le thème « Coopérer », enfin, de coopérer avec l’ensemble des acteurs, y compris, évidemment, l’Alliance atlantique.
Dans le domaine de la défense, d’importantes évolutions sont donc intervenues, qu’il importe désormais de mettre en avant.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le ministre, la présidence française du Conseil de l’Union européenne approche à grands pas. Je pense que nous partageons tous le souhait qu’elle soit l’occasion d’avancer sur plusieurs dossiers d’une importance capitale pour l’Europe et la France, tels que la relance économique, le pacte sur la migration et l’asile, la transition écologique ou encore la régulation et la sécurité en matière de numérique.
C’est sur ce dernier point que j’insisterai, notamment sur la question de la cybersécurité. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) a été un véritable modèle dans le monde en matière de protection des données. Je pense qu’il est aujourd’hui temps que l’Union européenne soit de nouveau un moteur sur un sujet d’une importance capitale : la cybersécurité.
Bien évidemment, la cybersécurité est un sujet relevant de la souveraineté des États, plus particulièrement de leur souveraineté numérique. C’est ce qui explique en partie les réticences qu’a suscitées et que suscite encore le fait de légiférer à vingt-sept sur cette question.
Cependant, un État vulnérable à des attaques informatiques est-il réellement souverain d’un point de vue numérique ? L’idée est bien évidemment non pas de transférer les compétences des États en matière de cybersécurité à l’Union européenne, mais d’accroître la coordination des États dans ce domaine et de trouver des moyens de mieux travailler ensemble.
Une première étape a été franchie avec la directive Network and Information System Security (NIS), puis une nouvelle avec la stratégie de cybersécurité de l’Union européenne et la création de l’unité conjointe de cybersécurité, mais nous devons aller plus loin et tendre vers des souverainetés numériques individuelles, qui soient interopérables.
À cet égard, il semble nécessaire de prévoir des critères communs concrets en matière de cybersécurité, tels qu’une échelle de gravité des attaques, et ce afin que les États européens se comprennent immédiatement.
Ainsi, en fluidifiant les interactions, une réelle puissance européenne en matière de cybersécurité pourrait se construire, sans transfert de souveraineté. L’Union européenne pourrait être un véritable leader en la matière, en fixant des standards qui auraient alors une répercussion mondiale.
Quelle est donc, monsieur le ministre, la position du Gouvernement sur ce sujet ? Est-il prévu de légiférer sur la question de la fixation de standards et de critères européens en matière de cybersécurité et sur l’interopérabilité des souverainetés numériques des États au cours de la présidence française du Conseil ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous posez des questions tout à fait opportunes sur un enjeu essentiel de souveraineté.
J’adhère tout à fait au concept de souveraineté numérique. Durant la présidence française, nous accélérerons l’examen d’une série de propositions qui sont déjà sur la table.
Le texte décrivant les orientations de la boussole stratégique n’ayant été déposé qu’hier, nous ne disposons pas encore d’explications sur ses différents points, mais il prévoit, s’agissant des compétences nouvelles sur lesquelles nous devons nous mobiliser, la mise en œuvre d’un centre d’opération cyber, dont l’objectif sera de renforcer la dissuasion face à de potentielles attaques cyber à l’échelon européen.
De plus, elle prévoit qu’un document de politique européenne de défense cyber sera partagé au cours de 2022 – dans la première partie de l’année, je l’espère.
Par ailleurs, dans le cadre du trilogue, nous pourrions poursuivre dans le sens de la directive NIS – c’est-à-dire la directive concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes d’information dans l’Union –, révisée avec le Parlement européen, compte tenu de la volonté affichée de la présidence slovène de faire avancer le plus vite l’orientation générale, avant la fin de cette année. La directive NIS 2 fera partie de nos priorités.
Deux autres priorités ont été identifiées : il s’agit, d’une part, d’incarner la solidarité européenne face aux crises cyber au travers d’un exercice que nous mènerons à l’échelle des ministres des affaires étrangères et qui visera à tester et à améliorer nos mécanismes d’assistance mutuelle ; d’autre part, de développer le volet relatif à l’action extérieure de l’Union en matière de cybersécurité, afin de renforcer notre mix d’options en réponse aux attaques cyber potentielles, en particulier dans le cadre d’un dialogue sur ce sujet, notamment avec l’Afrique.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. La boussole stratégique intègre tous ces aspects. Je vous remercie de l’avoir signalé.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, en septembre dernier, la commission des affaires européennes du Sénat s’est entretenue en visioconférence avec son homologue du Siemas de Lituanie pour marquer sa solidarité et trouver ensemble des solutions face à l’attaque hybride du pouvoir biélorusse à notre frontière orientale.
Ce pouvoir a transformé ce pays en état gangster : il utilise des personnes vulnérables, qui affrontent le froid et la maladie, pour attaquer l’Union européenne.
Nous regrettons que le gouvernement polonais considère que cette situation constitue une aubaine, car elle lui évite d’avoir à répondre devant son opinion publique de ses actions contraires au droit européen et de ses attaques contre l’indépendance de la justice polonaise.
De même, nous regrettons qu’il refuse l’aide de Frontex pour mieux accréditer auprès de son opinion publique l’idée que l’Union européenne n’est pas solidaire de ce que vit ce pays à sa frontière orientale. Nous déplorons qu’il mène aussi des actions contraires au droit européen à cette même frontière.
Il est terrible, monsieur le ministre, de constater que, face à une menace commune, il existe des gouvernements en Europe qui adoptent des positions et mettent en œuvre des politiques visant à décrédibiliser l’action de l’Union européenne et de ses institutions auprès de leur opinion publique.
Pour éviter ce type de comportement de la part d’États membres, il convient, monsieur le ministre, de conférer une légitimité démocratique plus forte aux politiques européennes. En effet, si les États membres persistent à se comporter de cette façon, en prenant à témoin leurs opinions publiques au nom d’une pseudo-souveraineté, l’Union européenne va droit à la catastrophe.
Monsieur le ministre, ma question est courte, mais complexe : qu’allez-vous entreprendre face à de tels comportements ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. L’essentiel de votre question porte sur la crise biélorusse. J’ai répondu en partie tout à l’heure à M. Pierre Laurent sur ce sujet.
J’ai indiqué à quel point l’action de président Loukachenko, qui est à l’origine de cette crise, était dévastatrice et dangereuse. Elle est totalement condamnable. Il s’agit d’une crise migratoire artificielle, qui a été organisée et instrumentalisée en vue de provoquer l’Union européenne.
Je partage les remarques que vous avez formulées sur la Pologne. Nous avons dit aux Polonais qu’il existait des outils et qu’il fallait les mobiliser pour faire face à la crise à laquelle ils sont confrontés. Toutefois, ce sont eux qui sont confrontés à cette crise. Je ne place donc évidemment pas au même niveau leur action et celle de la Biélorussie.
Cette crise démontre la nécessité d’accélérer la mise en œuvre du pacte sur la migration et l’asile. À l’origine, on considérait que les pays de première entrée devaient se débrouiller seuls. Désormais, et c’est peut-être le résultat, positif, de l’aggravation de la situation en Biélorussie et à la frontière polonaise, tout pays peut devenir un pays de première entrée.
Il nous faut donc désormais faire preuve à la fois de solidarité et de responsabilité dans la mise en œuvre de ce pacte. Cette question sera au cœur de l’action de la présidence française.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette réponse, mais j’insiste : il est essentiel de faire en sorte que les citoyens européens défendent les politiques européennes et qu’ils ne soient plus affectés par les comportements populistes de certains gouvernements européens, sinon l’Europe se déconstruira.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le ministre, permettez-moi de rebondir sur la question qui vient de vous être posée et sur la réponse que vous y avez apportée.
Mon collègue Jean-Yves Leconte et moi-même avons rendu à la fin du mois de septembre dernier, au nom de la commission des affaires européennes, un rapport d’information sur les négociations en cours du pacte sur la migration et l’asile, dans lequel nous nous sommes montrés particulièrement dubitatifs sur son adoption par l’ensemble des États membres.
À la suite de certaines auditions, nous avons pris conscience qu’il existait, au-delà de problèmes techniques, un véritable manque de confiance entre les différents États membres.
Dès lors, comment envisagez-vous de conduire les États membres à accepter les dispositions de ce pacte au cours de la présidence française, compte tenu de leurs réticences et des grandes divergences de vues qui existent entre, d’une part, les pays de première entrée, et, d’autre part, le groupe de Visegrád ?
En outre, cela a été dit, nous connaissons actuellement de nouveaux phénomènes migratoires, du fait notamment de la crise afghane, dont on n’a pas encore mesuré les conséquences probables, et de l’afflux de migrants arrivant par la Biélorussie.
Allez-vous pour cela privilégier une stratégie du pas à pas et commencer par amener progressivement tous les États membres à mettre en œuvre le screening à la frontière, puis l’inscription dans Eurodac, et enfin, ultérieurement, le retour effectif des migrants dans leur pays d’origine ? Où allez-vous plutôt encourager les relations entre certains États membres plus particulièrement concernés par un flux migratoire spécifique, en Méditerranée occidentale, en Méditerranée orientale et désormais – pourquoi pas ?– en Europe orientale ?
N’y a-t-il pas lieu, monsieur le ministre, de tenter de réviser, voire de faire évoluer le contenu de ce pacte, qui est trop ambitieux ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. André Reichardt. En tout état de cause, un échec serait catastrophique pour l’Europe et pour la France.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je pense tout d’abord que le statu quo n’est plus possible. Si l’on considère que, à toute chose, malheur est bon, ce qui se passe en Biélorussie peut contribuer à conduire les uns et les autres à ce constat.
Je pense par ailleurs que le pacte sur la migration et l’asile, tel qu’il a été proposé, est un concept positif, mais que ses objectifs sont globalement difficilement atteignables, parce que chaque État concerné verra uniquement ses propres intérêts. Je ne vois pas comment on pourrait faire passer le paquet asile-migration dans un tout.
Il va donc nous falloir être pragmatiques. Nous l’avons déjà été : un accord a été signé en juin sur l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, un autre sur Frontex l’avait été antérieurement. Il faudra ne pas séparer géographiquement les interventions.
Au contraire, il faudra que les enjeux soient pris en compte de manière globale et solidaire, afin de ne pas laisser seuls les États de première entrée face aux défis humains, sanitaires et sécuritaires auxquels ils sont confrontés. Il faudra faire preuve, je le répète, de pragmatisme, mais aussi de flexibilité. À cet égard, le screening peut-être envisagé comme une première étape.
Cette solidarité doit aller de pair avec une responsabilité renforcée, de façon là aussi pragmatique, afin de prévenir les mouvements secondaires qui engorgent et fragilisent nos capacités d’accueil. Nous devons peut-être aussi renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne en instaurant des procédures frontalières efficaces, là encore de manière pragmatique.
Enfin, sur ce dernier point, je pense que nous devrions pouvoir avancer plus vite que sur les autres et alléger la pression à nos frontières en intensifiant notre coopération avec les pays d’origine et de transit, dans un esprit de responsabilité partagée. Ce sujet sera inscrit à l’ordre du jour du sommet entre l’Union africaine et l’Union européenne qui se tiendra au mois de février prochain.
Nous aurons besoin d’une très forte volonté de faire avancer ces sujets, qui ont peu progressé sous la présidence slovène. J’espère que nous pourrons mettre en œuvre une stratégie du pas à pas efficace.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le ministre, depuis quinze ans, l’Europe sociale patine. Bien qu’elle soit au centre des discussions politiques à Bruxelles, elle n’a toujours pas permis à ce jour de résorber les écarts socio-économiques entre régions européennes.
Les phénomènes, pour ne pas dire les stratégies assumées, de dumping social qui en résultent minent non seulement l’efficacité du marché unique, mais aussi, et surtout, la confiance de nos concitoyens, qui attendent d’abord de l’Europe qu’elle les protège.
Certes, plusieurs mesures concrètes en matière de convergence sociale européenne ont été engagées récemment, mais elles restent à ce stade très légères.
La directive relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne, qui avait suscité de grandes attentes, est finalement décevante, sa portée étant trop limitée. Quant au plan d’action pour la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux, il repose presque en totalité sur la bonne volonté des États membres, dont certains restent réticents à toute idée de convergence sociale.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé que la présidence française de l’Union européenne porterait une ambition sociale forte. On attend donc du Président de la République qu’il prenne des initiatives concrètes.
À cet égard, allez-vous par exemple remettre sur la table la directive relative aux travailleurs détachés, dont la dernière révision ne permet pas de lutter contre le dumping, car elle laisse de côté la question du pays d’acquittement des cotisations sociales ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, j’ai commencé à répondre à votre préoccupation précédemment.
Vous faites référence en particulier à la négociation en cours de la directive visant à garantir le droit à un salaire minimum à tous les travailleurs de l’Union européenne. Sur ce sujet, on ne pouvait absolument pas imaginer voilà quelques années qu’il y aurait un jour une directive.
Aujourd’hui, cette directive est un élément essentiel, car elle permettra de garantir des droits fondamentaux, en particulier celui de vivre de son travail. Nous aurons à cœur de faire avancer ce sujet sous la présidence française. Un compromis est désormais envisageable, alors que les oppositions sont traditionnellement très fortes sur cette question entre les pays qui souhaitent préserver leur modèle social et les États moins-disants de ce point de vue.
L’enjeu est de taille, car renforcer la cohésion sociale dans la période actuelle n’est pas une option, vous l’avez dit, madame la sénatrice ; c’est la condition de la solidité de la relance européenne et, d’une certaine manière, de la pérennité du projet européen. Si nous arrivons à faire aboutir ce texte, nous aurons fait un pas en avant considérable.
Je ne pense pas utile de remettre aujourd’hui sur la table la directive sur les travailleurs détachés, que nous avons déjà eu beaucoup de mal à faire aboutir. Une démarche, qui me paraît positive, est en cours dans le domaine social.
Nous espérons également faire avancer la future législation européenne sur le devoir de vigilance des entreprises. Il s’agit de faire en sorte que les standards de ces dernières permettent le respect des droits de l’homme et de l’environnement sur l’ensemble des chaînes de valeur qu’elles contrôlent, par l’ensemble de leurs partenaires, que ces derniers agissent en France ou à l’extérieur.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. Nous attendons une véritable volonté politique du Président de la République, que l’on ne ressent pas. On se souvient surtout de ses échecs européens sur la réforme de la zone euro en 2018, sur les nominations aux postes européens en 2019 – nous avons tout perdu au Parlement européen ! –, et sur la réforme de la politique agricole commune en 2020…
Une politique extrêmement volontaire est nécessaire. Nous souhaitons, nous, que la présidence française soit à l’identique de celle de Nicolas Sarkozy : tous les Européens se souviennent qu’il avait alors sauvé le système financier européen. (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.) Voilà ce que nous souhaitons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Monsieur le ministre, indépendamment de la réponse à la crise du covid-19, la Commission européenne a engagé depuis plusieurs années des chantiers de transformation et de modernisation de l’économie européenne, afin de rendre celle-ci plus souveraine et plus résiliente face aux crises et d’assurer les transitions écologique et numérique.
L’objectif, me semble-t-il, doit être de définir le modèle qu’il faudrait bâtir, tout en évoquant les questions d’identité et de culture européenne. L’Europe est en effet maillée de milliers de villes où la culture joue un véritable rôle attractif, grâce à leur patrimoine environnemental, architectural ou immatériel.
Comment développer une nouvelle politique de la culture, notamment du patrimoine, fondée sur une approche transversale, une politique qui prenne pleinement en compte les priorités, en termes de développement durable en particulier, et qui puisse également s’inscrire dans le plan de la présidente Ursula von der Leyen pour un nouveau Bauhaus européen ?
La crise sanitaire que nous vivons actuellement a mis en exergue l’importance de la sauvegarde du patrimoine de proximité, des campagnes et des petites villes, telles que les petites cités de caractère, qui forment un cadre de vie dans lequel une part croissante de nos concitoyens aspirent à vivre. Un nouvel exode urbain vers les campagnes ou les petites villes à taille humaine est à l’œuvre.
La conservation et l’animation culturelles, entre autres, sont des atouts non négligeables, non seulement pour la préservation d’un cadre de vie de qualité, spécifiquement européen, mais aussi pour l’attractivité économique.
Cette question de civilisation et d’identité culturelle européenne peut-elle faire partie, monsieur le ministre, des priorités de la présidence française ?