M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que ce projet de loi soit finalement examiné en procédure normale, à la suite de la demande formulée par notre groupe, le groupe CRCE. Sur un tel sujet, il nous semblait effectivement important que les différents groupes puissent s’exprimer.
Il n’est pas inutile de rappeler ici qu’une travailleuse sur trois a déjà été victime de harcèlement sexuel au travail. Nous ne sommes donc pas face à un phénomène mineur, et il est plus que temps d’agir pour ne pas banaliser ni minimiser ces violences.
Il faut également rappeler que, malgré leur obligation de protection des salariés, 82 % des employeurs n’ont, à l’heure actuelle, rédigé aucun plan de prévention contre les violences sexuelles et sexistes.
Il n’est donc pas étonnant que la grande majorité des victimes ne se sentent pas en confiance pour alerter les directions concernées, et que près de la moitié de celles qui l’ont fait estiment que la situation s’est réglée en leur défaveur.
Si je me réjouis que la ratification de la convention n° 190 soit enfin inscrite à notre ordre du jour, je regrette qu’il ait fallu attendre deux ans et demi après son adoption par l’OIT. Dès le mois de mars 2020, j’avais interrogé la ministre du travail de l’époque pour que le processus soit lancé.
Il y avait en effet urgence. D’une part, cette convention n° 190 s’attaque pour la première fois à une problématique malheureusement structurante et omniprésente dans nos sociétés. D’autre part, par sa portée normative internationale, elle est historique.
Le champ d’application de celle-ci est vaste. On sera protégé en cas de violence et de harcèlement fondés sur le genre, et ce quel que soit son statut, que les violences se soient déroulées sur le lieu de travail, lors d’une pause ou bien lors des déplacements professionnels.
Si la convention et, surtout, la recommandation qui l’accompagne sont ambitieuses, et si la France a joué un rôle important au sein de l’OIT, je dois néanmoins regretter, comme bon nombre d’associations et d’organisations syndicales, que le Gouvernement considère que son adoption puisse se faire à droit constant.
En ce sens, je partage les recommandations de Mme le rapporteur Nicole Duranton pour aller plus loin. Il n’est pas possible, monsieur le secrétaire d’État, de considérer que notre droit actuel suffit à atteindre les objectifs affichés.
En rester là serait véritablement une occasion manquée. Comment peut-on estimer que la législation actuelle est suffisante et satisfaisante quand on sait, par exemple, que les « référents harcèlement », créés en 2018, ne sont absolument pas formés et ne disposent d’aucun moyen pour exercer leur mandat ?
Comment peut-on considérer que notre droit suffit, quand on sait que les violences et le harcèlement ne font pas partie des thèmes obligatoires des négociations annuelles sur la qualité de vie au travail ? De plus, comment ne pas regretter que, pour l’instant, les employeurs – et rien ne les y oblige ! – refusent très majoritairement de prendre en compte les conséquences des violences domestiques sur leurs salariés ?
Je suis pour ma part favorable à la proposition figurant dans la recommandation n° 206 de l’OIT, visant à créer un congé spécifique, qui permettrait aux victimes de violences conjugales de s’absenter, afin d’effectuer certaines démarches.
En outre, pourquoi ne pas vouloir inscrire dans notre droit l’interdiction des licenciements de victimes de violences conjugales ?
Quant aux violences exercées au travail, il nous faut également avancer sur la voie d’une facilitation des procédures d’éloignement des victimes et des harceleurs. Les nombreuses propositions en ce sens devraient être mises en œuvre : renforcement des droits à congé spécifique, aménagements de poste, possibilité de percevoir des allocations chômage pour les victimes qui démissionnent, dispense de préavis de départ, etc.
Au-delà, il convient également de s’interroger sur la baisse continue du nombre des inspecteurs et des inspectrices du travail, malgré les alertes des syndicats et celles de la Cour des comptes.
Faut-il rappeler ici que l’article 4 de la convention impose bien aux États signataires, dont la France, de garantir des moyens d’inspection et d’enquête efficaces pour les cas de violence et de harcèlement ?
Ce n’est pas la seule incohérence de ce gouvernement, bien aidé, il faut le dire, par ses prédécesseurs. Je citerai la création du comité social et économique (CSE), en remplacement des anciennes instances paritaires, qui a conduit à une dilution des problématiques, rendant plus difficile l’élaboration de plans thématiques.
La ratification de la convention constitue un premier pas non négligeable. Notre groupe la soutiendra, en appelant de ses vœux à ce qu’elle ne soit pas appliquée a minima, mais au contraire, qu’elle soit pleinement l’occasion d’améliorer notre législation en termes de prévention, d’accompagnement, de formation, de sanctions, et qu’enfin les lieux de travail deviennent exemplaires en matière d’élimination des violences et du harcèlement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’émergence du mouvement #MeToo, ces dernières années, nous rappelle la persistance du harcèlement et de la violence dans nos sociétés, particulièrement à l’égard des femmes.
Le monde du travail n’est bien sûr pas épargné. En 2014, le Défenseur des droits publiait une enquête selon laquelle une femme sur cinq avait déjà été victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail. Toutefois, le manque d’études statistiques fiables sur les violences sexistes et sexuelles au travail démontre que le sujet est trop peu pris en compte, voire sous-estimé.
Lors de son discours d’ouverture au Forum Génération Égalité, le Président de la République Emmanuel Macron a pourtant réaffirmé que l’égalité entre les femmes et les hommes était la grande cause du quinquennat. Cette égalité doit s’exercer partout, et notamment dans le monde du travail.
La ratification de la convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail va dans ce sens.
Cette convention est la première norme internationale sur la violence et le harcèlement qui s’exerce « à l’occasion, en lien avec ou du fait du travail ». Elle prévoit l’instauration de moyens de protection et de prévention, et souligne la nécessité de garantir des voies de recours et de réparation. Elle incite également les États membres de l’OIT à mettre en place des orientations, des formations et des actions de sensibilisation dans ce domaine.
La France sera le neuvième pays à ratifier cette convention, ce dont nous nous réjouissons. Dans le cadre de la délégation aux droits des femmes, nous avons pu échanger sur ce sujet avec de nombreuses structures, des organisations syndicales, des représentants de l’Organisation internationale du travail ou encore des membres du Gouvernement. Tous ont salué l’implication du Gouvernement français dans les négociations.
D’après l’étude d’impact du présent projet de loi, la législation française est conforme aux articles de la convention : il n’est donc pas nécessaire de changer nos règles pour ratifier et appliquer cet accord.
Toutefois, un collectif d’associations et d’ONG, que la délégation aux droits des femmes a auditionnées au mois de juin dernier, conteste cette interprétation juridique. Elles recommandent de faire évoluer la loi sur plusieurs points, notamment pour renforcer les moyens et les prérogatives des référents harcèlement, obliger les employeurs à agir en matière de violences domestiques, et mieux tenir compte de la situation des victimes de violences.
De tels dispositifs s’appliquent déjà en Espagne, au Canada ou encore en Nouvelle-Zélande. La ratification de la présente convention aurait pu permettre une véritable réflexion au niveau national.
Notre collègue Nicole Duranton, dans son rapport, formule d’ailleurs des recommandations en ce sens. Celles-ci n’ont pas vocation à modifier la convention, mais doivent permettre de penser différemment nos outils de lutte contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail.
Si cette convention doit nous interroger à l’échelon national, la réflexion doit également être européenne. La France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne à partir du 1er janvier 2022. À ce titre, elle doit jouer un rôle moteur pour que les États membres ratifient, puis appliquent les dispositions de cette convention.
Pour la période 2020-2025, l’Union européenne a défini une stratégie ambitieuse en faveur de l’égalité hommes-femmes. Ses principaux objectifs sont, notamment, de mettre fin aux violences à caractère sexiste, de bousculer les stéréotypes sexistes, de combler les écarts entre les hommes et les femmes sur le marché du travail et de parvenir à une participation égale dans les différents secteurs de l’économie.
Pour davantage d’efficacité, il semble nécessaire d’uniformiser les différents dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes et de faire front commun. Je souhaite à cet égard saluer la démarche de ma collègue Nathalie Goulet, qui a pris l’initiative de déposer une proposition de résolution européenne, que j’ai d’ailleurs cosignée, qui vise à mettre en place une base juridique commune pour lutter contre les violences fondées sur le genre.
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste se prononcera en faveur de la ratification de la convention de l’OIT, tout en regrettant que cette dernière ne suscite pas une réflexion plus profonde sur les moyens d’améliorer la lutte contre les violences faites aux femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, GEST, SER, CRCE, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Bruno Sido applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après deux ans de négociations, la convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail a été approuvée. C’est bien entendu un progrès fondamental pour la condition des travailleurs. Pour la première fois, une norme internationale en matière de harcèlement est mise en place grâce à une définition universellement admise de la violence et du harcèlement au travail.
Je salue le rôle moteur qu’a joué la France pour parvenir à l’élaboration d’un texte qui reflète les valeurs républicaines d’humanisme et d’égalité qui nous sont chères. Tout le monde doit pouvoir accéder aux mêmes droits au travail, le premier d’entre eux étant de pouvoir exercer sereinement son activité, sans pression, qu’elle soit physique ou psychologique.
Notre collègue François Patriat l’a rappelé : il s’agit d’une préoccupation récente à l’échelle internationale, qui suit cependant, dans beaucoup de pays, des mouvements de revendication très anciens.
On le sait, ce sont majoritairement les femmes qui ont défendu et qui continuent de défendre cette cause, car elles sont bien souvent les premières victimes du harcèlement au travail : violences sexuelles et sexistes sont, hélas, le quotidien de millions de femmes dans le monde sur leur lieu de travail. Le mouvement #MeToo a indéniablement fait avancer les choses, mais beaucoup reste à faire.
Cette question touche tous les pays, les moins comme les plus développés. Aux États-Unis, près d’un tiers des travailleurs américains estiment avoir été victimes de conduites abusives au travail pendant leur vie.
Toutefois, il va de soi que dans les États institutionnellement fragiles, l’appréhension des phénomènes de harcèlement est plus difficile.
En ma qualité de corapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », je rappelle l’existence de politiques visant à lutter contre les mauvaises pratiques au travail.
L’aide au développement du syndicalisme est un exemple de levier d’action. En partenariat avec les organisations non gouvernementales (ONG) et avec l’appui de l’Union européenne, l’Agence française de développement (AFD) soutient le projet de développement de l’action syndicale pour un travail décent en Afrique de l’Ouest. Il existe de nombreuses autres initiatives, au travers notamment des projets conduits dans le cadre des 17 objectifs de développement durable fixés par l’Agenda 2030 pour le développement durable.
Cela étant, nous devons aussi nous interroger sur notre législation : est-elle à la hauteur des enjeux ? Notre pays apparaît comme un bon élève. Cependant, les acteurs de la société civile nous demandent, à juste titre, de faire davantage.
Mon groupe, le RDSE, est bien naturellement favorable à toutes les démarches qui vont dans le sens d’un renforcement de la lutte contre le harcèlement au travail.
Plus globalement, nous sommes vigilants sur la condition des salariés au travail, sous tous ses aspects. Mon collègue Christian Bilhac l’a rappelé lors de l’examen, en juillet dernier, de la proposition de loi sur la santé au travail, dont le rapporteur Stéphane Artano est également très sensible à ces questions.
Aussi, nous approuverons ce projet de loi, qui ouvre la voie à une meilleure prise en compte des violences exercées à l’égard des personnes vulnérables. Nous resterons toutefois attentifs aux suites concrètes qui lui seront données. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti.
Mme Marie-Arlette Carlotti. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la convention que nous examinons est la première norme internationale sur la violence et le harcèlement qui s’exercent « à l’occasion, en lien avec ou du fait du travail ».
Afficher, au niveau international, la volonté de protéger les salariés, mais beaucoup plus largement les apprentis, les stagiaires, les demandeurs d’emploi et les bénévoles, qui plus est, avec une vigilance renforcée à l’égard des salariés les plus vulnérables, non pas seulement les femmes, mais aussi les personnes en situation de handicap, les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) et les travailleurs plus précaires, est véritablement un immense progrès.
Permettez-moi d’adresser mes félicitations à notre collègue Nicole Duranton – François Patriat les lui transmettra – pour l’excellent rapport qu’elle a remis au nom de la commission des affaires étrangères, ainsi que pour les sept propositions qu’elle a formulées et auxquelles nous avons unanimement adhéré.
Nous y avons adhéré parce qu’elles vont dans le sens de la protection des salariés et de l’amélioration du dialogue social, parce qu’elles ouvrent la voie à de nouveaux droits et renforcent le devoir de vigilance.
En 2020, un rapport de la Banque mondiale soulignait que, sur les cent vingt pays étudiés, cinquante ne disposaient d’aucune norme réglementant le harcèlement sexuel au travail. Au même moment, partout dans le monde, la parole se libérait. Le #MeToo, et son pendant français le #BalanceTonPorc, sont devenus viraux. Les victimes de violences et de harcèlement ont alors compris qu’elles n’étaient plus seules et que l’opinion publique était désormais largement sensibilisée à ces questions.
C’est la mobilisation collective des associations, des organisations syndicales et des victimes elles-mêmes qui a rendu possible l’organisation de ce débat sur une norme mondiale, d’abord adoptée il y a quelques années par l’OIT.
Jusqu’alors, il n’existait aucun instrument international consacré à la lutte contre les violences et le harcèlement au travail. Aucune définition n’avait été proposée pour couvrir l’ensemble des actes de violence ou de harcèlement. Aujourd’hui, nous posons des mots sur des actes inacceptables, et nous adoptons une définition universelle, qui s’appliquera à chaque État membre de l’OIT, en tout cas à tous ceux qui adopteront cette convention.
La convention n° 190 qui est soumise à notre ratification incite les 187 États membres de l’OIT à mettre en place des actions de formation et de sensibilisation ou des orientations pour protéger les salariés contre toutes les formes de violence et de harcèlement. Il est demandé aux États signataires de prévoir des dispositifs de protection et de prévention, ainsi que des voies de recours pour obtenir réparation.
Dans ces conditions, on pourrait estimer que tout est parfait. Seulement, la recommandation n° 206, qui complète la convention et précise les modalités de sa mise en œuvre, n’a aucune portée normative. Certes, nous accueillons cette convention favorablement, mais nous sommes aussi très conscients qu’il s’agit d’un premier pas, et uniquement d’un premier pas.
Je me réjouis que la France ait joué un rôle primordial dans son élaboration, et que notre pays ait annoncé – c’est ce qu’il fait d’ailleurs – vouloir la ratifier assez rapidement.
La convention prévoit que la France devra présenter, deux ans après sa ratification, un rapport sur sa mise en œuvre. Le Gouvernement français a toutefois fait savoir qu’à cette occasion il ne serait pas nécessaire de revoir notre cadre juridique, car il l’estime suffisamment protecteur, voire même « extrêmement bien établi », pour reprendre vos propres termes, monsieur le secrétaire d’État.
Nous souhaitons pourtant que cette ratification soit l’occasion d’ouvrir des négociations avec les partenaires sociaux, afin de renforcer notre cadre juridique et de faire bouger les mentalités.
En France, 70 % des victimes de violences au travail déclarent ne pas en parler à leur employeur, de peur d’être stigmatisées ou de perdre leur emploi. Il nous reste donc, monsieur le secrétaire d’État, des progrès à faire. Nous n’y parviendrons qu’au travers d’un large dialogue social.
Au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat, ma collègue Martine Filleul a souligné combien l’entreprise était considérée, au Canada, en Nouvelle-Zélande ou en Espagne, comme un lieu d’écoute des femmes victimes de violences. En témoigne la mise en place d’aménagements horaires, de congés spécifiques ou encore de mesures d’accompagnement particulières.
Il est nécessaire de prendre exemple sur ces bonnes pratiques. D’après moi, de nouvelles mesures s’imposent dans l’entreprise. Elles figurent, sous la forme de propositions, dans le rapport adopté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères et de la défense.
Enfin, je soulignerai à mon tour le rôle majeur que la France doit jouer dans le cadre de la prochaine présidence de l’Union européenne. Le Président de la République doit bien sûr promouvoir l’adoption de cette convention auprès de l’ensemble des États membres, mais pas seulement. Il doit aussi afficher une position ambitieuse en matière de lutte contre le harcèlement, contre toutes les formes de violences, et particulièrement celles qui s’exercent dans le cadre du travail.
Notre groupe votera en faveur de ce projet de loi, car cette convention s’inscrit au carrefour des droits humains. Sachez cependant, monsieur le secrétaire d’État, que nous en attendons beaucoup plus à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi, voté par l’Assemblée nationale avant l’été, autorise la ratification de la convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail, adoptée à Genève le 21 juin 2019.
Lors de cette conférence annuelle, les délégués des gouvernements, des travailleurs et des employeurs des 187 États membres de l’OIT ont déclaré viser le même objectif : éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Notre groupe votera évidemment en faveur de cette première norme internationale sur la violence et le harcèlement qui s’exercent « à l’occasion, en lien avec ou du fait du travail ».
Comme le précise notre collègue Nicole Duranton dans son rapport, les organisations syndicales et les ONG auditionnées ont toutes salué l’engagement du Gouvernement lors de ces négociations. Elles ont notamment souligné que la France avait pleinement assumé le rôle de porte-parole du bloc européen, et avait ainsi largement contribué à la création d’un instrument international de portée ambitieuse. Nous pouvons nous en féliciter.
Ce dispositif, qui comporte onze articles, s’articule autour de quatre axes : définir, obliger, prévenir, mais surtout protéger.
L’article 1 fixe un cadre très large, qui permet de couvrir l’ensemble des cas de violences, et ce dans l’ensemble des pays signataires.
L’article 2 définit le champ d’application de la convention. Tout le monde est concerné : les travailleurs et tous les autres acteurs du monde du travail, à savoir les salariés, les employeurs, les apprentis, mais aussi les stagiaires, les demandeurs d’emploi et les bénévoles. Le texte couvre tous les secteurs : le public comme le privé, les secteurs relevant de l’économie formelle ou informelle.
L’article 3 prend en compte tous les cas de figure : sur le lieu de travail et de repos, dans son logement de fonction, lors des déplacements professionnels ou à l’occasion des trajets entre le domicile et le lieu de travail, ou encore dans le cadre des communications professionnelles.
Les articles 4 à 6 posent un cadre contraignant, qui oblige les États à « respecter, promouvoir et réaliser le droit de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement », ainsi que les « principes et droits fondamentaux au travail », à adopter une législation et des politiques garantissant « le droit à l’égalité et à la non-discrimination dans l’emploi et la profession ».
La convention détaille ensuite les mesures de protection et de prévention à mettre en œuvre, puis le contrôle de leur application et, enfin, l’importance des actions de formation et de sensibilisation.
D’après l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, en l’état actuel de notre droit, notre législation ne nécessite aucune modification. Les organisations syndicales et les ONG ne partagent pas cet avis et appellent à faire évoluer notre droit.
Notre rapporteur, Nicole Duranton, formule un certain nombre de propositions : tout d’abord, renforcer les prérogatives et les moyens des référents harcèlement après avoir dressé un bilan ; ensuite, améliorer la vigilance en imposant, par exemple, aux cadres intermédiaires et supérieurs, ainsi qu’aux personnels des ressources humaines, une obligation de formation sur le thème de la violence et du harcèlement au travail – il est aussi proposé d’inclure un volet consacré à la violence et au harcèlement dans le prochain plan Santé au travail ; enfin, prendre en compte les violences domestiques dans la sphère professionnelle et garantir l’autonomie économique de ces victimes.
Nous partageons ces orientations. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si « le travail éloigne de nous trois grands maux » comme l’écrivait Voltaire, il est parfois malheureusement un lieu de violence ou de harcèlement. En 2019, l’Organisation internationale du travail a adopté une convention qui entend renforcer la lutte contre ces violences. Nous soutenons pleinement cet objectif.
La première des nécessités est de dresser un état des lieux, afin de connaître l’ampleur de ces phénomènes, les mécanismes à l’œuvre et les personnes qui en sont victimes. Nous devons avoir une idée précise du problème si nous voulons y apporter une réponse adéquate. L’adoption de cette convention nous incite à nous doter d’outils statistiques qui permettront d’acquérir ces connaissances.
Pour éliminer les angles morts, tous les acteurs du monde du travail devront également être à même d’identifier les faits de violences et de harcèlement. Les victimes de ces pratiques sont souvent des personnes vulnérables ; il nous faut veiller à les en protéger.
Nous devrons également nous assurer que notre arsenal juridique, et notamment pénal, nous permettra de lutter efficacement contre ces pratiques. Leurs auteurs doivent être fermement condamnés.
Cette convention, à elle seule, ne suffira pas à éliminer la violence au travail. Elle constitue la première étape d’une évolution qu’il nous faudra poursuivre.
Les différentes auditions menées par notre rapporteur, Nicole Duranton, dont je salue ici le travail, ont permis de mettre au jour le consensus qui se dégage autour du texte. Dans son rapport, elle rappelle également le rôle qu’a joué notre Gouvernement lors des négociations qui ont permis d’aboutir à cette convention. Tout comme le projet de loi de ratification, ce rapport a été adopté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères et de la défense.
Nous partageons également les regrets qu’elle a formulés quant au fait que les dispositions les plus ambitieuses ont été reléguées dans le texte de la recommandation n° 206, qui est, elle, dépourvue de toute valeur normative. Nous comprenons ces regrets, mais nous savons aussi que la modération est souvent le prix du consensus, lequel contribue au progrès.
Il nous semble en outre que la modération est la conséquence de la prudence, qui nous commande de ne pas agir brutalement contre une menace qui reste aujourd’hui mal identifiée.
Nous sommes également conscients que cette convention devra trouver sa place dans l’ordre normatif français, alors que l’Union européenne exerce sur ce sujet une compétence concurrente à la nôtre. Nous sommes pleinement favorables à ce que le Gouvernement se coordonne avec les autorités européennes, afin que ces dispositions soient mises en œuvre le plus efficacement possible.
Les problématiques du harcèlement et de la violence au travail nous concernent tous. Au sein de cet hémicycle, nous avons le devoir de lutter contre ces pratiques. Les membres du groupe Les Indépendants, en cohérence avec la position qu’ils ont défendue en commission, voteront donc en faveur de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Garnier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons ce matin la convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Nous ne pouvons que saluer son adoption à l’unanimité, la semaine dernière, par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
La lutte contre le harcèlement et la violence dans le monde du travail est un sujet grave, qui mérite que les instances internationales, telles que l’OIT, s’en saisissent. Il faut se féliciter que la France ait porté, dès 2015, cette question à l’ordre du jour de la Conférence internationale du travail qui se réunit tous les ans à Genève. Il aura fallu deux ans de négociations avec les autres États membres de l’OIT pour que cette convention soit adoptée à une large majorité.
Mes chers collègues, la convention marque un tournant, puisqu’il s’agit du premier instrument juridique international consacré à la lutte contre le harcèlement et la violence dans le monde du travail. C’est inédit et cela démontre une réelle prise de conscience sur ces sujets importants, alors même que la définition et la répression de ces infractions diffèrent selon les pays.
C’est pourquoi nous devons nous féliciter de la manière dont sont rédigés les articles 1 à 3, qui définissent les deux notions et leur champ d’application.
La définition du harcèlement est volontairement large, ce qui permet de couvrir les différents cas de harcèlement et de violences au travail, dont le cadre juridique varie d’un État à l’autre.
Concernant les champs d’application, il convient de souligner qu’eux aussi sont larges. En effet, toutes les catégories de travailleurs sont mentionnées, les bénévoles également. De même, tous les secteurs de l’économie, public comme privé, sont couverts.
Ce texte tient compte des évolutions qui affectent le monde du travail et que la pandémie de covid-19 a contribué à accélérer. Il importe que la convention soit applicable à cette nouvelle ère du travail en distanciel, dans laquelle, nous le savons, les frontières entre la sphère privée et la sphère professionnelle sont de plus en plus poreuses.
Sur ce point, l’article 3 est suffisamment explicite, puisque la convention vise les actes « s’exerçant à l’occasion, en lien avec ou du fait du travail ». Cela signifie que les temps de repos, les logements de fonction, les déplacements professionnels et la communication sont pris en compte.
J’en viens maintenant aux conséquences concrètes pour les États signataires de cette convention qui, contrairement à ce qui a pu être dit, sont soumis à de réelles obligations. C’est l’objet des articles 4 à 6 et des articles 7 à 9.
Dans un premier temps, ces États devront « promouvoir et réaliser le droit de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement ». Ensuite, ils devront « adopter […] une approche inclusive, intégrée, […] qui vise à prévenir et à éliminer les violences et le harcèlement dans le monde du travail ». Ils devront encore « adopter une législation et des politiques garantissant le droit à l’égalité et à la non-discrimination dans l’emploi et la profession ». Enfin, ils devront mettre en place des mesures de prévention et prévoir des garanties pour l’exercice des droits de recours et de réparation pour les victimes.
En ratifiant cette convention, les États s’engagent non seulement à agir concrètement contre les violences et le harcèlement au travail, mais aussi à rendre compte de leur action auprès de l’OIT dans ce domaine, deux ans après la ratification. Ce point est important, car il fixe un rendez-vous aux États parties, qui devront présenter un bilan du travail législatif réalisé en vue de progresser dans la lutte contre les violences au travail.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera en faveur de la ratification de cette convention.
À titre personnel et en tant que rapporteure de la proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, permettez-moi d’attirer votre attention sur l’importance d’accompagner les petites et moyennes entreprises et les petites structures, qui disposent de moyens beaucoup plus faibles que ceux des grands groupes, pour sensibiliser et former leurs personnels contre le harcèlement et la violence dans le monde du travail. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Monique de Marco applaudit également.)