Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de l’article 1er du texte et s’est également vu déléguer au fond l’examen de deux articles, l’article 7, qui traite du code de l’artisanat, et l’article 12, relatif au dialogue social au sein des chambres de commerce et d’industrie (CCI).
Alors que les grandes entreprises et les PME ont bénéficié d’une succession de plans ces dernières années, les travailleurs indépendants, eux, ont souvent été laissés de côté. Le dernier texte les concernant au premier chef remonte à 1994. Aucun plan exhaustif et structurant n’a, depuis lors, vu le jour.
Nous nous félicitons donc que ce texte, combiné aux mesures figurant dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, remédie en partie à cette situation. Bien entendu, nous ne sommes pas dupes de l’opportunité calendaire de cette réforme, qui concernera 3 millions de personnes à six mois d’une échéance électorale majeure, alors qu’une attention très relative a été prêtée à ces dernières durant quatre ans. Les travailleurs indépendants méritent, en effet, une attention soutenue, car, bien qu’ils ne soient pas les seuls touchés, il ne peut être nié que ces professionnels font face à une succession de crises importantes depuis plusieurs années.
Or ces entrepreneurs sont dans une situation fragile : la crise a diminué leur revenu d’activité et a conduit une partie d’entre eux face à un mur d’endettement. Les lendemains de crise risquent donc d’être particulièrement difficiles… En outre, les travailleurs ayant opté pour le statut d’entrepreneur individuel sont responsables sur l’intégralité de leur patrimoine.
L’article 1er de ce projet de loi vise à remédier à cette situation et la commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur les mesures de protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel. Par ailleurs, nous souscrivons bien entendu à toutes les améliorations apportées au fond par la commission des lois.
En dépit de ces motifs de satisfaction, plusieurs incertitudes ne sont pas levées par le projet de loi.
Par exemple, il est à peu près certain que les créanciers, au premier rang desquels figurent les banques, ne se satisferont pas de la situation et qu’elles exigeront de l’entrepreneur qu’il renonce expressément à la protection de son patrimoine personnel. Dans les faits, donc, l’entrepreneur n’aura finalement que peu de choix, puisqu’il risquera de perdre son financement. De même, nous craignons que la simplicité recherchée soit plus que compensée par les nombreuses demandes de garanties qui émaneront des créanciers.
J’en viens maintenant aux deux articles délégués au fond à notre commission.
L’article 7 est une habilitation à légiférer par ordonnance tendant à clarifier, à droit constant, la rédaction et le plan du code de l’artisanat. Nous avons choisi, malgré nos réserves à l’égard des ordonnances, de ne pas nous opposer à celle-ci ; nous proposons néanmoins de réduire le délai d’habilitation de dix-huit à quatre mois, afin que le texte soit publié avant l’élection présidentielle.
L’article 12 vise, quant à lui, à débloquer une situation dommageable au dialogue social qui a actuellement lieu dans le réseau des CCI. En effet, les salariés de droit privé embauchés depuis la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « Pacte », ne sont toujours pas couverts par une convention collective, car aucune proposition n’a recueilli les votes nécessaires. Or les élections des représentants du personnel ne peuvent avoir lieu tant qu’aucune convention n’est signée. Cela signifie donc que le personnel de droit privé, bien qu’il représente maintenant un tiers des effectifs de ces organismes, n’est pas représenté, alors même que la négociation porte sur une convention qui le concerne au premier chef.
Cet article inverse donc la situation, en prévoyant des élections six mois après la publication de ce texte et en fixant une période d’un an et demi de négociations pour parvenir à la signature de la convention. Si celle-ci n’est toujours pas adoptée, c’est la convention collective des métiers du conseil et de l’accompagnement aux entreprises qui s’appliquera. Il nous semble que ces dispositions sont de nature à sortir de l’impasse.
La commission a toutefois précisé que, en cas d’élection partielle dans l’une des 18 CCI, le résultat de celle-ci ne pourra être invoqué pour provoquer de nouvelles élections générales dans les 17 autres, la représentativité syndicale étant calculée à partir de la dernière élection générale et pour toute la durée du cycle électoral, c’est-à-dire quatre ans. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales s’est vu déléguer l’examen des articles 9 et 10 de ce projet de loi.
L’article 9 porte sur l’allocation des travailleurs indépendants, instituée par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, afin de couvrir les travailleurs non salariés contre le risque de perte d’emploi. Le dispositif est applicable depuis le 1er novembre 2019. Cette prestation, d’un montant forfaitaire de 800 euros par mois et intégralement financée par l’assurance chômage, mais non contributive, est versée pendant une période maximale et non renouvelable de six mois.
Il convient néanmoins de le rappeler, les indépendants participent, au travers de la contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus d’activité, au financement de l’assurance chômage : ainsi, en 2019, l’Unédic a perçu plus de 5 milliards d’euros de CSG des non-salariés, sur près de 39 milliards d’euros de recettes. Les indépendants contribuent donc à hauteur de 14 % au budget de cet organisme. Cela doit nous inviter à nous interroger plus largement sur la gouvernance de l’assurance chômage.
L’ouverture de ce nouveau droit a toutefois été très prudente et les conditions pour en bénéficier sont restrictives. Il en résulte un premier bilan dérisoire, si j’ose dire : alors que le budget initial était de 140 millions d’euros, les dépenses au titre de cette prestation se sont élevées à 3,1 millions d’euros en 2020. Nous sommes donc loin de l’assurance chômage universelle annoncée !
Dans ce contexte, l’article 9 vise à ouvrir une nouvelle voie d’accès à l’ATI, en ajoutant une condition alternative à la cessation d’activité définitive et involontaire sanctionnée par une procédure de liquidation judiciaire ou un plan de redressement judiciaire : auraient ainsi droit à l’ATI les travailleurs dont l’entreprise a fait l’objet d’une déclaration de cessation totale et définitive d’activité, lorsque cette activité n’est pas viable économiquement.
Cet article tend également, afin de prévenir l’aléa moral que pourrait engendrer cette ouverture, à mettre en place un délai de carence de cinq ans entre deux demandes d’ATI. L’attente croissante de protection sociale de la part des travailleurs indépendants, en lien avec l’avènement des microentrepreneurs, plaide pour ouvrir les conditions d’accès au dispositif.
On peut toutefois s’interroger, à la suite de nos collègues rapporteurs, sur la temporalité de la réforme proposée, qui intervient après moins de deux ans de fonctionnement de la prestation, dont quatre mois seulement ont été significatifs en raison de la crise sanitaire.
Cette réforme précoce, en l’absence de véritable bilan, appelle, selon la commission des affaires sociales, l’introduction d’une véritable « clause de revoyure », après concertation avec les partenaires sociaux et les représentants des travailleurs indépendants.
Parce qu’il faut marcher sur ses deux jambes, la commission a également proposé que les travailleurs indépendants soient informés de la possibilité de souscrire un contrat d’assurance complémentaire contre la perte d’emploi subie ainsi que du dispositif « Madelin » de déduction fiscale.
L’article 10 est relatif aux circuits de financement de la formation professionnelle des travailleurs indépendants, et notamment des artisans. Il vise à remédier à une anomalie historique.
En effet, les chefs d’entreprise artisanale sont les seuls travailleurs non salariés qui dépendent de deux guichets pour le financement de leur formation professionnelle : d’une part, les conseils de la formation (CDF), au sein des chambres régionales de métiers et de l’artisanat (CRMA) ; d’autre part, le fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise exerçant une activité artisanale (Fafcea).
Le système est peu efficient et l’existence de deux guichets est source de complexité pour les professionnels concernés. Par ailleurs, les ressources des fonds de la formation professionnelle des artisans ont radicalement diminué à la suite du transfert, en 2018, de la collecte de la contribution à la formation professionnelle (CFP) aux Urssaf. En particulier, les nombreuses erreurs de fléchage constatées depuis cette réforme ne semblent pas encore résolues.
L’article 10 prévoit d’unifier le financement de la formation professionnelle des artisans en affectant les sommes collectées à un unique fonds d’assurance formation de droit commun. Cet article harmonise plus largement les circuits de financement de la formation des travailleurs indépendants en confiant à France compétences la répartition des sommes collectées entre les différents affectataires.
Cette évolution répond à une attente de simplification des professionnels concernés. Elle suscite néanmoins certaines inquiétudes. Sans remettre en cause la plus grande souplesse que devrait permettre l’unification des fonds, la commission des affaires sociales a proposé d’associer le réseau des chambres de métiers et de l’artisanat à la gouvernance du futur fonds unique.
Afin de prévenir le risque de ruptures de financement semblables à celles que les fonds ont subies en 2019 du fait d’une réforme insuffisamment préparée, la commission a également adopté, à l’article 14, un amendement visant à reporter au 1er janvier 2023 l’ensemble de la réforme.
Tel est, mes chers collègues, l’avis de la commission des affaires sociales sur ce texte. Il resterait beaucoup à faire, notamment en matière d’équité du prélèvement et de la protection sociale entre salariés et indépendants. Toutefois, ce texte a le mérite de mettre en lumière les problématiques spécifiques d’une catégorie souvent oubliée. Il est donc important, comme l’a souligné M. le rapporteur, de le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1979, Michel Foucault prononçait au Collège de France un cours intitulé Naissance de la biopolitique. Il y retraçait l’histoire du libéralisme, depuis l’émergence de l’économie politique au XVIIIe siècle jusqu’à l’avènement de l’entrepreneur en tant qu’archétype de l’individu moderne.
Selon Foucault, cet individu moderne est en effet devenu l’entrepreneur de lui-même. Par le travail qu’il effectue et par les risques qu’il prend, il développe son capital personnel. Dans nos sociétés libérales, la quête de l’autonomie est donc le résultat d’un processus culturel et politique au long cours.
C’est ainsi que la figure de l’entrepreneur s’est imposée comme un modèle d’accomplissement, qui dépasse largement le cadre de l’activité professionnelle. Être entrepreneur, ce n’est pas avoir un statut, c’est se rendre maître de sa vie.
Et pourtant, les indépendants, qui n’ont pas attendu le cours de Foucault pour mettre la main à la pâte, aimeraient bien que leur statut soit mieux reconnu. Il faut les comprendre : de même que nos politiques économiques sont toujours taillées sur mesure pour les grandes entreprises, nos politiques sociales, elles, sont taillées sur mesure pour les salariés.
Autrement dit, les indépendants, qu’ils soient artisans, libéraux, commerçants ou patrons de PME, n’entrent jamais dans les bonnes cases, car les cases ne sont pas toujours faites pour eux.
C’est tout le paradoxe de la France : d’une part, on y fait l’éloge des citoyens qui deviennent les entrepreneurs d’eux-mêmes ; d’autre part, on décourage sans cesse les indépendants, en dressant sur leur parcours mille et un obstacles administratifs.
C’est précisément ce paradoxe qui se trouve à l’origine du projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Ce texte vise à la fois à simplifier et à sécuriser le parcours des indépendants, du début jusqu’à la fin de leur activité, en envisageant aussi les cas où tout ne se passe pas comme prévu, voire se passe carrément mal.
L’échec demeure en France le grand tabou, si bien qu’il est souvent peu et mal traité par nos lois. Or si l’individu devient, dans tous les aspects de sa vie, l’entrepreneur de lui-même, tous les aspects de sa vie ne doivent pas se réduire à son activité professionnelle et, éventuellement, à son échec.
C’est pourquoi l’article 1er du projet de loi, qui redéfinit le statut de l’entrepreneur individuel et distingue le patrimoine professionnel du patrimoine personnel, me paraît tout à fait essentiel. L’entrepreneur qui investit son capital prend déjà son risque ; il n’est pas juste qu’il doive en outre hypothéquer sa maison et ses économies pour tenter sa chance.
De même, l’article 9, qui vise à élargir les critères de l’allocation des travailleurs indépendants, la trop peu fameuse ATI, contribue à adapter notre modèle social aux caractéristiques de l’activité indépendante. Cette allocation n’a pas encore trouvé son public : non pas que les indépendants n’en aient pas éprouvé le besoin, surtout en ces temps difficiles, mais les critères d’éligibilité, notamment au regard de la cessation d’activité, se sont avérés trop restrictifs.
Les simplifications apportées par le projet de loi sont de bon aloi : l’entrepreneur qui a connu l’échec doit pouvoir compter sur une aide d’urgence, sans attendre une procédure de liquidation judiciaire.
Toujours en matière de simplification, la mise en extinction du statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée sera d’une aide précieuse pour tous les futurs entrepreneurs.
Force est de constater que les avantages de l’EIRL n’ont pas eu raison de sa complexité. Ce statut demeurait trop peu attractif et nuisait, de manière générale, à la lisibilité des différentes options qui s’offrent aux créateurs d’entreprises. Le transfert des avantages de l’EIRL vers un statut unique simplifiera donc la vie des Français qui font le choix de se mettre à leur compte.
Ces mesures, d’apparence technique, ont le grand mérite, au pays des complexités administratives et fiscales, de simplifier la vie des indépendants. Et vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, ils demandent non pas qu’on fasse plus pour eux, mais simplement qu’on les laisse travailler en paix.
C’est pourquoi je me réjouis que le Gouvernement ait inscrit ce texte à l’agenda parlementaire. Je suis sûr qu’il contribuera, de manière très concrète, à simplifier la vie des entrepreneurs et à sécuriser leur activité tout au long de leur parcours.
La relance ne se fera pas sans le concours de nos artisans, de nos commerçants, de nos autoentrepreneurs, de nos professions libérales, bref, de tous les indépendants qui font vivre en France les valeurs de travail et d’autonomie. Ils ont tenu bon pendant la crise ; ils sont aujourd’hui aux avant-postes de la reprise.
Et s’ils sont aujourd’hui essentiels à notre économie, ils le seront encore plus demain. Les jeunes générations ne rêvent plus d’une carrière faite d’un emploi salarié au sein d’une même entreprise. Elles aspirent à la multi-activité, sans avoir à choisir de façon définitive entre salariat ou entrepreneuriat.
Nous ferons donc œuvre utile pour les futures générations en adaptant notre modèle social à ces nouvelles aspirations et à ces nouvelles formes de travail. Il s’agit en effet de permettre à chaque citoyen de devenir l’entrepreneur de lui-même. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi important, puisqu’il tend à répondre au développement inédit de nouvelles formes d’organisation et de modalités du travail.
Sans même évoquer les effets de la crise sanitaire, le marché du travail connaît des mutations profondes. Surtout, les aspirations d’un nombre toujours plus grand de nos concitoyens évoluent nettement, singulièrement celles des jeunes générations pour lesquelles le salariat, dans sa conception traditionnelle, n’est plus un choix automatique.
Dès lors, la création d’un nouveau statut unique de l’entrepreneur individuel a des implications importantes, et ce d’autant plus qu’elle devrait concerner près de 2,8 millions de travailleurs, hors secteur agricole.
Je souhaite aborder la réforme proposée à travers les quatre premiers articles de ce texte, dans sa version issue des travaux de la commission des lois, et évoquer les modifications bienvenues apportées par notre rapporteur Christophe-André Frassa.
Nous saluons la nouvelle rédaction de l’article 1er, qui permet d’éviter un certain nombre de conséquences pouvant s’avérer préjudiciables tant pour les entrepreneurs individuels que pour les tiers. Tel est le cas, notamment, du critère choisi pour assurer la démarcation entre les deux patrimoines de l’entrepreneur individuel : l’instauration de règles de preuve nous semble ici plus à même d’apporter de la sécurité à l’entrepreneur individuel comme à ses créanciers.
Dans le même sens, la proposition du rapporteur d’encadrer davantage les exceptions à la séparation des patrimoines, dont bénéficieraient à la fois les services fiscaux et ceux de la sécurité sociale, est particulièrement pertinente si l’on souhaite que la réforme se traduise par des résultats concrets pour les entrepreneurs individuels.
Naturellement, nous souscrivons aux différentes initiatives du rapporteur visant à supprimer les habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance, notamment celle qui ambitionnait de réformer le droit applicable à l’exercice en société des professions libérales réglementées. Cette question est bien trop sensible pour que le Parlement ne puisse, en tant que législateur, y apporter pleinement son concours.
Enfin, il nous semble nécessaire de permettre aux acteurs économiques concernés, en particulier les banques, de s’adapter à cette nouvelle réglementation. L’entrée en vigueur du nouveau statut de l’entrepreneur individuel gagnera pleinement à être différée de trois mois. Il en va de même de la mise en extinction du régime de l’EIRL.
Pour conclure, je remercie notre rapporteur de la commission des lois, ainsi que nos collègues Frédérique Puissat et Serge Babary, de la qualité de leur travail. Je ne doute pas que les sénateurs du groupe Les Républicains voteront ce projet de loi, tel qu’il sera amendé par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi s’inscrit dans le plan en faveur des travailleurs indépendants, annoncé par le Président de la République à la fin du mois de septembre dernier, et comporte différentes mesures de portée inégale.
Les indépendants recouvrent des situations très variées et regroupent un grand nombre de métiers du quotidien, qui vont du commerçant et de l’artisan aux professions libérales, en passant par les travailleurs des plateformes.
Les obstacles qu’ils doivent surmonter sont multiples. Nombre d’entre eux ont été durement touchés par la crise sanitaire et sociale, au premier rang desquels les travailleurs des secteurs de l’hôtellerie-restauration, de l’événementiel, du sport ou encore de la culture. Cette situation souligne encore leurs besoins en termes de protection sociale et les lacunes de leur couverture actuelle. Aujourd’hui, un tiers d’entre eux sont toujours en grande difficulté financière.
La principale mesure du texte consiste en la création d’un nouveau statut de l’entrepreneur individuel, aux termes duquel le patrimoine personnel devient par défaut insaisissable par les créanciers. Seuls les éléments nécessaires à l’activité professionnelle pourront être saisis en cas de défaillance.
Compte tenu de la situation économique, de plus en plus d’indépendants font face au risque majeur de voir leurs dettes professionnelles recouvrées en partie sur leur patrimoine personnel. Cette disposition est plutôt bienvenue pour mieux les protéger contre les conséquences d’un échec.
Cependant, nous pouvons assez facilement penser que les créanciers demanderont à l’entrepreneur de renoncer expressément à la protection de son patrimoine personnel ou, comme l’a souligné M. le rapporteur pour avis, demanderont des sûretés conventionnelles. Ce mécanisme court donc fortement le risque d’être inopérant.
Seulement 53 % des entreprises individuelles sont toujours actives cinq ans après leur création. Or certaines faillites peuvent être évitées, raison pour laquelle nous proposerons un amendement visant à conditionner la création d’une entreprise individuelle à la réalisation d’une étude préalable de marché, soumise aux chambres de commerce et d’industrie, qui rendront un avis non contraignant sur l’opportunité et la solidité de chaque projet d’entreprise. Cela permettrait d’éviter de laisser entrer sur le marché des personnes en situation de grand risque.
L’article 12 apparaît comme un cavalier eu égard à l’objet du texte : cet article prévoit en effet de modifier des dispositions transitoires, déjà fragiles, prévues dans la loi Pacte, en inversant l’ordre procédural actuel en matière d’élections syndicales et de négociation de la convention collective des personnels de droit privé au sein du réseau des CCI sans que le dialogue social ait pu être mené à terme. Définir l’entrée en vigueur d’une convention collective non aboutie sur de nombreux sujets majeurs, comme l’égalité femme-homme, le congé de paternité ou encore le forfait jour, est une curieuse conception du dialogue social. C’est pourquoi nous proposerons la suppression de cet article.
Nous sommes aussi de plus en plus sceptiques sur la nécessité de passer une nouvelle fois par voie d’ordonnance pour réformer le code de l’artisanat, alors que ni l’urgence ni la technicité ne l’exigent.
Nous regrettons que ce projet de loi ne réponde pas aux enjeux des nouvelles formes de travail. Il passe totalement sous silence la question de l’« ubérisation » et des difficultés que rencontrent les travailleurs indépendants des plateformes numériques, qui peuvent constituer une nouvelle forme d’exploitation. Votre ordonnance sur les modalités de représentation des travailleurs des plateformes ne va pas beaucoup plus loin.
Emmanuel Macron avait axé sa campagne sur le travail, la liberté d’entreprendre et les protections sociales qui doivent accompagner les mutations du salariat qui sont en cours. Nous entendons les aspirations d’une partie de la population, notamment de la jeunesse, qui peut être séduite par ces nouvelles formes de travail non salarié : exercer son métier de manière autonome, choisir ses modalités d’organisation, son rythme de travail, ses horaires, ne pas être dans une situation de subordination, tout cela a beaucoup d’attraits. C’est aussi une prise de risque, qui doit être assumée et décidée en toute connaissance de cause.
Mais, cinq ans après, si peu a été fait : vous n’avez pas ouvert l’indemnisation du chômage à tout le monde, comme vous l’aviez promis, mais seulement aux démissionnaires ; vous n’avez pas construit la protection sociale des travailleurs des plateformes, mais seulement une allocation des travailleurs indépendants, perçue par moins de 1 000 personnes ; vous n’avez presque rien fait pour empêcher le détournement du statut d’autoentrepreneur en salariat déguisé ; vous n’avez pas non plus imaginé la participation de ces activités à l’effort de protection sociale.
Plus largement, c’est la philosophie globale de ce projet qui nous amène à nous interroger. Ce texte illustre le renoncement croissant de la puissance publique à œuvrer pour bâtir l’environnement macroéconomique favorable à la création de l’emploi et qui préfère se défausser sur les individus qui ont la charge de créer leur propre activité. Un tel renoncement devrait vous conduire à épouser les thèses de nombreux économistes et responsables politiques sur la nécessité de construire un revenu universel, pendant indispensable d’une telle responsabilité individuelle – mais il n’est en rien.
Ce n’est pas ce projet de loi, en queue comète du quinquennat, qui viendra redorer votre bilan. Cependant, ce texte étant attendu par des publics ayant particulièrement souffert de la crise, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne s’y opposera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux ans à peine après le vote de la loi Pacte, le présent texte a été élaboré pour « offrir aux entrepreneurs un cadre plus simple et protecteur au moment de la création d’entreprise et pour les accompagner tout au long de l’exercice de leur activité ».
Il s’agit d’alléger encore les formalités de création d’entreprise via ce nouveau statut d’entrepreneur individuel et l’extension de l’allocation des travailleurs indépendants, cette prestation « mal née » qu’ils ne demandaient pas, pour reprendre les mots de la commission des affaires sociales.
Ce texte concernera près de 3 millions de personnes – commerçants, artisans, professions libérales, professionnels du spectacle, entrepreneurs agricoles… Encore une fois, monsieur le ministre, nous observons un décalage entre les besoins des entrepreneurs et les mesures proposées.
S’il apparaît effectivement important de mieux protéger les travailleurs indépendants, la scission des patrimoines personnels et professionnels de l’entrepreneur nous interroge à plusieurs titres et nous laisse penser qu’il s’agit d’une mesure d’affichage.
En effet, le formalisme, les procédures servent à protéger l’entrepreneur et les tiers. Il en est ainsi de la description, sous forme d’inventaire, de ce qu’est le patrimoine professionnel – inventaire qui sera d’ailleurs supprimé et remplacé par une définition légale aux contours assez flous. Comme cela a été souligné lors des débats en commission, la notion d’« utilité », qui servira de ligne à la séparation des deux patrimoines, risque d’être élargie au maximum par les créanciers.
De plus, théoriquement, ce projet de loi devrait limiter significativement le risque encouru par l’entrepreneur de voir ses biens propres saisis par ses créanciers. Je dis bien « théoriquement », car il semble peu probable, dans la pratique, que ce texte atténue réellement ce risque. Et c’est bien là que se trouve la limite de ce texte : l’entrepreneur pourra renoncer à la scission de son patrimoine à la demande d’un créancier. Dans ce cadre, comment ignorer que les créanciers les plus importants exigeront de l’entrepreneur qu’il renonce expressément à la protection de son patrimoine personnel ou demanderont des sûretés conventionnelles ? Dans les faits, il n’aura guère le choix.
En ce sens, ce projet de loi n’apporte pas de réponse claire aux problèmes réels des entrepreneurs individuels. Le texte ne contient aucune obligation à la charge des banques et ne mettra pas fin à leurs pratiques actuelles. Pour notre part, nous renouvelons ici notre proposition de créer une banque publique offrant des prêts à taux zéro pour accompagner ces entrepreneurs.
En ce qui concerne l’ATI, même si les indépendants ont été, eux aussi, durement touchés, il faut garder à l’esprit que les conséquences de la crise ont été inégalement ressenties : beaucoup ont pu bénéficier de nombreuses aides directes, mais aussi de reports de cotisations fiscales et sociales, ce qui a leur a permis de reprendre une activité après les confinements successifs.
Par ailleurs, en sus de l’extension de l’ATI, il est proposé de mettre en place un « délai de carence » entre deux demandes. Ainsi, une personne ne peut bénéficier de l’ATI pendant cinq ans à la suite d’une défaillance. Or on peut se demander s’il ne serait pas plus opportun d’aider un entrepreneur à sortir d’un statut qui ne lui convient pas plutôt que de le laisser potentiellement en difficulté pendant cinq ans.
Au fond, nous pensons que les obstacles à la création d’entreprise sont d’une autre nature et que votre projet de loi ne les aborde pas. C’est d’un accompagnement véritablement pédagogique que les aspirants entrepreneurs ont besoin.
En ce sens, la suppression du stage de préparation à l’installation est pour nous une erreur, car il est important d’avoir une formation minimale à la gestion d’entreprise, notamment en matière de fiscalité et de régimes sociaux.