M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’exposé des motifs de cette proposition de résolution précise son but : caractériser l’antisémitisme « contemporain ».
De fait, les préjugés antijuifs perdurent en se renouvelant : juifs riches et assoiffés de pouvoir, juifs responsables de tous les maux, covid compris…
Les pancartes brandies par certains « antivax » et « anti-passe » rappellent les accusations médiévales dirigées contre les juifs « propagateurs de la peste » et « empoisonneurs de puits ».
Notre lutte contre l’antisémitisme ne doit laisser place à aucune ambiguïté. Pourquoi, dès lors, isoler le phénomène en focalisant l’attention sur la critique d’Israël ?
En 2015, au lendemain de l’offensive meurtrière contre Gaza, M. Netanyahou se lance dans la promotion d’une idée simple : « antisionisme égale antisémitisme. » Son principal interlocuteur est l’IHRA, acronyme anglais de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, organisme intergouvernemental regroupant trente et un États.
En mai 2016, l’IHRA adopte la définition de l’antisémitisme dont nous débattons.
Non contraignante sur le plan juridique, elle demeure un outil de propagande et d’intimidation. En témoignent les pressions exercées par les lobbies pro-israéliens pour la faire adopter par le plus grand nombre possible de municipalités, de partis, d’États.
Le 16 juillet 2017, à la fin de son discours prononcé lors de la cérémonie en mémoire de la rafle du Vel d’Hiv, Emmanuel Macron déclarait : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car c’est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Voilà le type de confusions qu’entretiennent les exemples accompagnant la définition de l’IHRA.
La proposition de résolution du Sénat est plus claire et plus raisonnable que celle qui fut présentée à l’Assemblée nationale par Sylvain Maillard. Le mot « antisionisme » n’apparaît heureusement pas dans l’exposé des motifs.
La définition de l’IHRA me semble pourtant insuffisante et peu éclairante pour qui veut en faire usage. Je voterai tout de même la proposition de résolution, mais j’aurais préféré que soit retenue la déclaration de Jérusalem, élaborée par des universitaires et approuvée par des centaines de spécialistes de l’histoire des juifs et de l’antisémitisme dans le monde.
Cette déclaration, ébauchée sous la houlette de l’institut Van Leer de Jérusalem, établit des critères non ambigus pour identifier les situations où la critique d’Israël ou du sionisme ou l’hostilité à leur égard verse dans l’antisémitisme. Elle offre de fait les clés pour interpréter la définition de l’IHRA.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé, à travers l’examen de cette proposition de résolution, à réaffirmer solennellement son attachement, notre attachement, aux principes qui fondent notre République et à rappeler nos valeurs humanistes.
Il est des combats qui doivent rassembler et même transcender le peuple et ses représentants. La lutte contre l’antisémitisme est un de ces combats, malheureusement toujours d’actualité.
Nos sociétés occidentales connaissent le poison d’un antisémitisme qui s’y est enraciné durant des siècles, jusqu’à devenir un préjugé ancré.
Cet antisémitisme pluriséculaire, nos sociétés ont choisi de le combattre sans relâche depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, au lendemain de la Shoah.
Notre combat, c’est la condamnation de tous les appels à la haine et à l’oubli de la souffrance endurée par les juifs parce que juifs.
Je veux ici saluer les paroles prononcées par le président Jacques Chirac lors de son discours historique du 16 juillet 1995, à l’occasion des cérémonies commémorant la rafle des 16 et 17 juillet 1942. Il reconnaissait ce jour-là la responsabilité du régime de Vichy et l’acte « irréparable » – ce sont ses mots – accompli par la France avec la rafle du Vel d’Hiv. Jacques Chirac, par ce discours, a grandi la France. Nous ne pouvons que l’en remercier.
Aussi, quand j’entends certains, parfois élus de la République, courir après un polémiste révisionniste ou refuser de le condamner, j’ai mal à ma France.
Je veux aussi rappeler l’existence de la loi dite Gayssot, adoptée en 1990, tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite, xénophobe ou niant l’existence d’un crime contre l’humanité.
Qu’ils viennent de l’extrême droite, de la sphère complotiste ou du totalitarisme islamiste, toute parole et tout acte antisémites sont à condamner et à combattre. Nous ne devons accepter aucun accommodement, tolérer aucune complaisance, autoriser aucune lâcheté.
Je salue l’action de nos collègues auteurs de cette proposition de résolution « portant sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme ». Les trois termes ou groupes de termes, « lutte », « toutes les formes » et « antisémitisme », pris individuellement ou globalement, ont leur importance.
Ma famille politique a dans son ADN la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ; elle votera donc évidemment cette proposition de résolution.
Je la voterai d’autant plus que je suis sénateur du Val-d’Oise, un département touché dans sa chair par les ravages de l’antisémitisme.
J’étais samedi dernier, comme chaque année, à Aincourt, où, le 5 octobre 1940, le régime collaborationniste de Pétain transformait un sanatorium en camp d’internement. Près de 1 500 enfants, femmes et hommes y furent internés jusqu’à sa fermeture le 15 septembre 1942, avant d’être déportés dans les camps d’extermination de Ravensbrück et d’Auschwitz. Peu d’entre eux survécurent à la barbarie nazie.
J’étais également, le 30 novembre 2015, à Sarcelles, où nous avons inauguré, en présence de Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur de l’époque, une place et une stèle en hommage à Yohan Cohen, assassiné à 20 ans, assassiné parce que juif, par un terroriste dans l’attentat de l’Hyper Cacher. Je me souviendrai toute ma vie de la douleur, des visages et des mots de la famille et des amis de Yohan Cohen.
Je ne reprendrai pas ici la longue liste des crimes antisémites qu’a connus la France ces dernières années – d’autres l’ont fait avant moi. Mais il faut dire que la progression est notable, et même sensible : 687 faits antisémites constatés dans notre pays en 2019. Voilà pourquoi nous devons mener ce combat contre l’antisémitisme, en adoptant une double démarche.
Une démarche pédagogique, tout d’abord, visant à combattre et à faire tomber les préjugés – et je tiens à cet égard à saluer l’action des différents gouvernements de François Hollande, puis d’Emmanuel Macron, dans le cadre des plans nationaux de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, trop peu connus et qu’il faudra relancer.
Une démarche de répression totale, ensuite : il ne faut rien laisser passer. L’antisémitisme n’est pas une opinion, mais bien un délit ; il faut une justice implacable.
Les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologique et Républicain voteront donc unanimement la proposition de résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour l’inscription à l’ordre du jour de la Haute Assemblée de ce débat sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme.
L’antisémitisme est un poison, une attaque intolérable contre notre société dans sa globalité, contre le vivre-ensemble et le « faire société ». Chaque fois que l’antisémitisme frappe, c’est l’égalité entre les citoyens qui est affaiblie.
Je ne rappellerai pas l’ensemble des chiffres témoignant de la recrudescence des actes antisémites du quotidien en France – plusieurs d’entre vous avant moi, mes chers collègues, les ont déjà exposés. Mais deux chiffres me heurtent tout particulièrement : 84 % des jeunes Français de confession juive âgés de 18 ans à 24 ans ont été victimes d’un acte antisémite, selon un sondage conduit par l’IFOP en janvier 2020 ; selon cette même étude, 54 % des agressions verbales se déroulent en milieu scolaire.
Ces chiffres inacceptables me donnent le vertige. Nous attendons des écoles et des universités qu’elles soient des lieux d’apprentissage de la vie, de découverte des valeurs humanistes, de tolérance et d’ouverture sur le monde, et non l’occasion pour nos enfants de vivre ou d’être témoins de telles démonstrations de haine.
Ces chiffres en disent long sur ce poison qui touche notre jeunesse, qui n’en est d’ailleurs pas la seule victime. De tels actes imposent non seulement une condamnation ferme et claire de la part des responsables politiques, mais surtout une action rapide et déterminée pour que cela cesse. À chaque profanation de tombes, l’émotion est vive ; et si les inscriptions s’effacent, la douleur, elle, demeure. Quant aux réseaux sociaux et aux forums de discussion ou consacrés aux jeux vidéo, ils sont eux aussi des lieux propices à la propagation de discours antisémites.
Cet été, nous avons vécu, sous prétexte d’une opposition à des mesures sanitaires, un regain de haine inédit en France. Comme vous tous, mes chers collègues, j’ai été profondément choquée de voir défiler un tel antisémitisme décomplexé, assumé à visage découvert, lors de manifestations où des comparaisons abjectes entre le passe sanitaire et l’étoile jaune ont été mises en scène. L’indifférence des personnes qui ont défilé aux côtés de telles pancartes haineuses est inacceptable.
De telles situations me rappellent le discours prononcé par Elie Wiesel, qui fut lauréat du prix Nobel de la paix, sur les périls de l’indifférence. Voici ce qu’il disait : « Être indifférent à la souffrance, c’est ce qui rend l’humain inhumain. L’indifférence n’est pas un début, c’est une fin. Et, par conséquent, l’indifférence est toujours l’amie de l’ennemi, car elle profite à l’agresseur – jamais à sa victime, dont la douleur est amplifiée quand elle se sent oubliée. ».
J’ai l’espoir qu’un sursaut de conscience puisse avoir lieu dans notre société, car l’antisémitisme n’est pas le problème de nos concitoyens de confession juive : c’est le problème de notre société tout entière. Nous ne devons jamais cesser de combattre tant l’antisémitisme que l’indifférence à l’antisémitisme.
Ce combat de tous les instants passe par la répression, l’interdiction, le rappel de la loi par la puissance publique contre ce délit pénal ; mais il passe aussi par une responsabilité collective de chacun des citoyens qui doivent condamner fermement de tels actes et réagir immédiatement quand ils en sont les témoins.
Enfin, ce combat passe par la promotion de l’enseignement de la Shoah, de la mémoire et par une meilleure identification des actes antisémites.
À cet effet, notre groupe tient à saluer le travail mené par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste dont la France est membre. Le 26 mai 2016, cette organisation intergouvernementale a adopté par consensus une définition dite « de travail » de l’antisémitisme.
Cette définition, qui n’est pas juridiquement contraignante et n’a pas vocation à l’être, a le mérite de faire connaître et comprendre ce qu’est l’antisémitisme. Elle permet aussi de mieux identifier des actes antisémites. Les exemples concrets cités dans le document de travail de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste contribuent à ce travail de pédagogie et d’identification, et montrent que ces actes passent par des discours de forme visuelle, des stéréotypes ou encore des théories conspirationnistes.
D’ailleurs, cette définition tend à garantir la liberté d’expression. Elle ne vise pas à empêcher les critiques à l’égard d’Israël qui sont comparables à celles exprimées à l’encontre d’autres pays.
Le groupe RDPI se félicite que le Président de la République ait fait le choix d’endosser la définition de travail de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste à l’occasion du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le 20 février 2019, dans la continuité du discours prononcé le 16 juillet 2017.
Cette proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui invite le Gouvernement, dans un travail de pédagogie, à diffuser cette définition auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires. Notre groupe soutient une telle perspective, car nous sommes nous aussi convaincus qu’en matière de prévention, d’éducation, de formation ou de répression cette définition constituera un instrument utile pour mieux lutter contre l’antisémitisme.
Comme l’a souligné le Président de la République, il ne s’agit pas de modifier le code pénal, encore moins d’empêcher ceux qui veulent critiquer, mais il s’agit de préciser et de raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats et de nos enseignants dans cette lutte.
Par conséquent, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de résolution, qui respecte les jalons posés par le président Macron. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Jean-Claude Requier et Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en guise de préambule, je voudrais relever que l’examen de cette résolution pour lutter contre toutes les formes d’antisémitisme coïncide ce jour avec une cérémonie internationale officielle commémorative de l’Holocauste de Babi Yar à Kiev, en présence du président allemand Frank-Walter Steinmeier et du président israélien Isaac Herzog.
Ce quatre-vingtième anniversaire nous rappelle deux journées funestes où 33 000 juifs ont été exécutés par balles les 29 et 30 septembre 1941 à Babi Yar, un ravin aux abords de Kiev creusé par une rivière, lieu d’extermination par les nazis de la population juive de la ville dans sa totalité.
Il s’agit, mes chers collègues, du plus grand massacre de la Shoah ukrainienne ; il est important de le rappeler en mémoire de tous ces innocents assassinés au nom d’une idéologie barbare. Nous aurions pu marquer aujourd’hui un moment de silence…
Il est intolérable de songer qu’en Ukraine le bataillon néonazi Azov parade en toute liberté avec un symbole qui ressemble particulièrement à celui de la deuxième division SS Das Reich.
La proposition de résolution de nos collègues Bruno Retailleau et Hervé Marseille est particulièrement à propos ; elle est pertinente et bienvenue.
Depuis de nombreuses années déjà, notre pays doit malheureusement affronter une résurgence de l’antisémitisme, comme nous l’avons tous rappelé, et nous déplorons la spirale insupportable d’actes antisémites de plus en plus violents. C’est inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. Mireille Knoll, Sarah Halimi, llan Halimi, les victimes de l’école Ozar Hatorah de Toulouse ou encore celles de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes : la liste ne cesse de s’allonger.
Ces hommes, ces femmes et ces enfants sont morts parce qu’ils étaient juifs. À ces crimes, il faut ajouter les profanations et dégradations de sépultures et de lieux de culte, les insultes et les agressions physiques.
L’antisémitisme, c’est l’intolérance, la haine et la violence. L’antisémitisme, c’est le refus de nos lois. C’est un poison portant atteinte à la France et à nos valeurs républicaines. Il faut le réaffirmer autant que nécessaire, car « il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée ». Ces mots de Charles Péguy devraient inviter certains candidats à l’élection présidentielle à davantage de modération.
Oui, nous avons le devoir d’empêcher que l’inacceptable ne devienne ordinaire, que l’insupportable ne se banalise !
À cet égard, la proposition de résolution vise à faire approuver la définition de l’antisémitisme fixée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. Cette organisation internationale, fondée en 1998, regroupant trente et un pays et à laquelle appartient la France, qui renforce et promeut l’enseignement de la Shoah, la recherche et la mémoire.
La courte définition par l’IHRA est complétée par une série d’exemples afin de permettre de mieux identifier les actes antisémites. La formulation de ces exemples permet de ne pas se heurter à la liberté d’expression.
Je félicite les rédacteurs qui précisent que « les critiques à l’égard d’Israël comparables à celles exprimées à l’encontre d’autres pays ne peuvent être qualifiées d’antisémites ».
En effet, la France a toujours considéré les libertés d’expression et d’opinion comme des valeurs les plus fondamentales de la République.
Madame la ministre, mes chers collègues, cette définition, qui n’est juridiquement pas contraignante et n’est pas destinée à le devenir, tend à faire connaître et comprendre ce qu’est l’antisémitisme, ainsi qu’à apporter un éclairage opportun sur le « fait antisémite ». Elle vise donc notamment les milieux scolaires et universitaires. Elle sera également utile pour les forces de l’ordre et les magistrats.
Adopter cette proposition de résolution constitue donc un geste symbolique fort au sein de notre assemblée : c’est montrer notre détermination collective à combattre l’antisémitisme et, par là même, tous ceux qui, par leurs propos ou leurs actes, sèment la haine et l’intolérance. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voterai naturellement cette proposition de résolution, comme beaucoup ici.
Néanmoins, en arriver à devoir voter une telle résolution est surtout la marque d’un échec, celui de toutes nos politiques publiques depuis vingt ans. Ne pas avoir à voter un tel texte, cela signifierait qu’il n’y a pas spécialement d’attentats, de crimes et de délits antisémites dans notre pays. Or il y en a…
À la fin de la guerre, tout le monde s’est dit que, après la Shoah et l’abomination, plus personne n’oserait imaginer pratiquer un antisémitisme de paroles, d’opinions ou d’actes. On a cru pendant trente ou quarante ans qu’il s’agissait d’une donnée permanente.
Mais, malheureusement, depuis maintenant vingt ou trente ans, les choses ont dérapé, d’abord dans les mots, puis dans les actes. Année après année, les actes antisémites ont explosé et augmenté de 10 % ou de 15 %. On s’y est presque habitué, à tel point que l’on se dit parfois : « L’an dernier, les actes antisémites ont augmenté de 17 % au lieu de 23 %. » Et l’on se satisfait presque d’une telle diminution. Est-ce acceptable ? Bien sûr que non !
Je le dis au groupe CRCE, le premier texte fort a été la loi Gayssot. Puis il y a eu toute une série de textes, toute une série d’appels, toute une série d’instructions, de circulaires, de décrets : tout cela n’a rien changé…
Aujourd’hui, nous sommes face à un antisémitisme protéiforme : traditionnel pour les séides d’une extrême droite néonazie ; protéiforme pour les négationnistes classiques qui font de Pétain le protecteur des juifs français. Ne disent-ils pas qu’il livrait à cette fin les juifs étrangers ? Comme s’il y avait une gradation dans le fait d’envoyer des gens à la déportation : c’est absolument insupportable !
Nous ne savons pas très bien comment lutter. La vérité, c’est qu’il incombe davantage à l’éducation, à la formation des jeunes, à la pédagogie et aux médias d’être en première ligne qu’au législateur. N’avons-nous pas déjà voté beaucoup de textes, pour peu de réussite ?
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des actes antisémites récents, qu’ils soient avoués, inavoués, revendiqués ou anonymes. Je ne parlerai pas des réseaux sociaux, je n’évoquerai pas les insultes. Mais je m’interroge : jusqu’où tout cela ira-t-il ?
Cette proposition de résolution présente au moins l’avantage de rappeler que le Parlement est sensible à cette affaire. Il s’agit, en réalité, d’un appel au Gouvernement.
Certes, c’est une bonne chose que notre assemblée la vote aujourd’hui, mais il importe que le Gouvernement ait inlassablement à l’esprit que les textes de loi ne suffisent pas. Il faut passer à l’acte. Il faut que les réseaux sociaux soient sévèrement punis lorsqu’ils laissent déborder la haine antisémite, lorsque des gens sont insultés et lorsque des personnes et des lieux de cultes sont menacés. Cela vaut pour toutes les religions dans ce pays : personne ne doit être menacé pour ses convictions !
Aujourd’hui, nous allons voter cette proposition de résolution. Mais je vous pose à tous une question : qu’est-ce que le Sénat ? Une assemblée constituée de 348 sénateurs ayant chacun individuellement ses propres convictions : de gauche, de droite, du centre. Nous avons tous une approche différente des choses. Mais le Sénat, comme l’Assemblée nationale, est aussi, à l’instar du Gouvernement, le garant de l’unité de la Nation, de la démocratie et de la République !
Si nous laissons continuer cette progression des actes antisémites, nous remettons en cause la République, la démocratie et la Nation !
Il n’y a pas de nation sans unité ; il n’y a pas de nation sans autorité de l’État ; il n’y a pas de nation sans un schéma commun, une volonté commune et un destin commun. Voter cette résolution, c’est dire oui à la Nation ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, celui qui ne connaît pas son passé est condamné à le revivre. À une époque comme la nôtre, où certains révisent de manière répétée et nauséabonde l’histoire de notre pays et le rôle de Vichy dans les déportations des « juifs français », faut-il que nous discutions d’une résolution sur la définition de l’antisémitisme ?
Bien sûr, il est de notre rôle de légiférer de manière ferme sur ces incriminations pénales, mais ce n’est pas à un Parlement de définir les notions qui font l’objet d’un débat historiographique et de centaines de travaux critiques.
La définition choisie par l’IHRA, rejetée par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et tant d’autres dans le monde, qui parle d’une « certaine perception des Juifs », est loin d’être une référence indiscutable.
D’un point de vue très factuel, la résolution présentée exprime le vœu de s’appuyer sur « la définition, non contraignante, de l’antisémitisme fixée par l’IHRA ».
Bien sûr, cela va de soi, nous condamnons tous ici toutes les formes d’antisémitisme.
L’antisémitisme, consiste avant tout à ramener quelqu’un à son identité juive, réelle ou supposée, à le caractériser par cette appartenance. C’est une discrimination, un préjugé, une hostilité ou une violence à l’encontre des juifs en tant que juifs. Tout cela est bien antécédent à l’existence même de l’État d’Israël, voire au développement du sionisme.
Le sujet est grave, il est dramatique. Il appelle d’autant plus à la nuance. Chacun, sur nos travées, condamne de manière forte et sans réserve la montée des actes de violence envers les juifs, ainsi que la haine exprimée par certains envers ceux qu’ils estiment responsables de leur malheur ou qu’ils imaginent contrôlant des zones entières de notre société.
L’antisémitisme évolue, surtout ses formes, ses raisons supposées, ses justifications inacceptables et toujours empreintes de mauvaise foi.
Le révisionnisme, qui vient parfois de la droite et de l’extrême droite, est un antisémitisme qui s’exprime sous la forme de profanation de cimetières et de synagogue. Il faut le combattre.
L’écho que certains donnent à de trop nombreuses théories complotistes sur la pandémie et le développement abject des pancartes « Qui ? » n’arrangent rien. Tout cela doit être combattu. Quels que soient les chiffres, nous devons lutter sans nuance. Cette haine aveugle, cette révision de l’histoire à des fins démagogiques n’ont pas de place dans notre république.
Les défenseurs de cette résolution et de cette définition de l’antisémitisme y voient la possibilité de qualifier d’antisémites les attaques antisionistes motivées par une haine des juifs.
Pourtant, rien dans la définition même proposée par l’IHRA ne parle de sionisme ou d’antisionisme. Ce sont les exemples publiés dans la déclaration de 2016 qui évoquent les conditions dans lesquelles la critique d’Israël pourrait être antisémite.
Et c’est bien sur ce point que nous nous devons être vigilants, nuancés, sans que cela remette en cause notre volonté de combattre de manière pleine et entière toutes les formes d’antisémitisme.
Le Président de la République a déclaré vouloir élargir la définition de l’antisémitisme à l’antisionisme.
Je sais que les auteurs de la résolution aiment à rappeler que l’IHRA a affirmé qu’« une critique d’Israël similaire à celle portée contre n’importe quel autre pays ne peut être vue comme antisémite ». Mais c’est bien parce que cela n’est pas si clair dans les définitions et les exemples qui ont été retenus que l’IHRA, puis vous-mêmes, à l’alinéa 7, estimez nécessaire de vous dédouaner de cette interprétation.
J’ai lu le communiqué qui expose cette définition et où sont présentés des exemples d’antisémitisme. J’en citerai un : nier au peuple juif son droit à l’autodétermination « en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste ».
Si l’on peut considérer qu’il existe dans certaines attaques formulées contre Israël des dérives antisémites, les critiques de la politique des gouvernements israéliens ne peuvent y être assimilées sans nuire au combat contre l’antisémitisme et le racisme. Nous refuserons toujours cette instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme.
Une tribune parue dans Le Monde et signée par des personnalités juives concluait : « Nos opinions sur le sionisme peuvent être diverses, mais nous pensons tous, y compris ceux qui se considèrent comme sionistes, que cet amalgame est fondamentalement faux. »
Mes chers collègues, oui l’antisionisme est parfois le faux nez de l’antisémitisme, mais le simple fait qu’il puisse servir d’alibi à ce nouvel âge de l’antisémitisme ne doit pas justifier que nous cédions en validant ce faux-semblant.
Le droit pénal est d’interprétation stricte, mais les juges ne sont pas des robots et ils sont là pour évaluer la situation. L’arsenal juridique est déjà important pour sanctionner l’antisémitisme.
Attaquer une personne du fait de son origine, de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, à une nation, à une race ou à une religion déterminée est déjà sanctionné. Cela fait l’honneur de notre République et de notre Constitution.
Pour toutes ces raisons, il nous apparaît trop déséquilibré de voter cette résolution. Nous demandons donc son retrait. À défaut, nous nous abstiendrons.
J’annonce dès aujourd’hui que notre groupe déposera très prochainement un texte sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)