M. Loïc Hervé. C’est un fiasco !
M. Guillaume Gontard. Alors que la France est en retard par rapport à ses voisins en matière de vaccination, alors que les doses manquent encore pour vacciner les quelque 20 millions de Françaises et de Français qui ne le sont pas, alors que le Gouvernement fait, mois après mois, la démonstration de son manque d’anticipation, le Président de la République continue de décider seul de mesures qui menacent gravement les libertés publiques.
Madame la ministre, nous sommes fatigués de cette morgue, de ce paternalisme, de cette arrogance. En vous adressant aux Français comme à des enfants, en n’admettant jamais vos nombreuses erreurs, en multipliant les propos à l’emporte-pièce sur les masques, les vaccins, le passe sanitaire, vous dépréciez – hélas ! – méthodiquement la valeur de la parole publique.
La défiance qui s’accroît depuis les premiers jours du quinquennat atteint un niveau invraisemblable. Comment convaincre des citoyens chauffés à blanc de la nécessité de se faire vacciner ? Ils sont tellement exaspérés qu’ils tombent dans les bras des populistes et des complotistes les plus abjects, qui usent de comparaisons à vomir et accentuent les fractures de la société.
Ce cercle vicieux, vous n’avez malheureusement pas fait grand-chose pour le rompre, loin de là. Votre passe sanitaire, inapplicable, montera les gens les uns contre les autres.
En réécoutant la fin lunaire de l’intervention présidentielle, on pourrait presque penser qu’il s’agit d’un rideau de fumée volontairement répandu pour poursuivre votre entreprise de casse sociale : je pense notamment à la réforme des retraites ou à celle de l’assurance chômage.
Loin de moi l’idée de vous prêter de si funestes intentions. Pourtant les résultats sont là : la population est fracturée dans des proportions alarmantes. Or l’immunité collective ne pourra être conquise que si les Français adhèrent collectivement aux objectifs de la campagne vaccinale. Je le dis et le redis au nom de l’immense majorité des écologistes : il est impératif de convaincre toute la population de la nécessité de se faire vacciner. Comme le ministre l’a dit tout à l’heure, il n’y a qu’une seule voie possible.
Pour ce faire, quand allez-vous enfin confier à l’assurance maladie la mission de mener une campagne massive de sensibilisation pour rappeler l’importance de la vaccination, souligner la sécurité des vaccins et préciser les modalités pratiques du processus ? Que prévoyez-vous pour rapprocher les plus jeunes de la vaccination ? Et surtout, quelles mesures allez-vous prendre pour enfin déployer la vaccination dans les quartiers populaires ?
Les inégalités sociales face au vaccin sont criantes. C’est l’ignorance autant que la défiance qu’il faut combattre. Laissez-nous vous le dire, sans que nous en comprenions bien les raisons, vous n’avez pas encore « fourni votre effort », comme l’on dit dans le jargon cycliste.
Dans ces conditions, étendre le passe sanitaire dans de pareilles proportions et à une telle vitesse est inacceptable. Vous ne laissez même pas la possibilité à celles et ceux qui le souhaitent de se faire vacciner à temps. Vous instaurez le contrôle de tous par tout le monde, selon un dispositif juridiquement bancal, et ce malgré les alertes du Conseil d’État et de la Défenseure des droits.
Vous imposez des amendes délirantes, équivalentes à celles qui sont applicables en cas d’usurpation d’identité, par exemple. Dans le même temps, faisant fi des recommandations sanitaires, vous autorisez l’abandon du masque dans les lieux soumis au passe sanitaire. Au passage, vous écornez encore le droit du travail. Tout cela pour ne pas rendre obligatoire la vaccination ! Ce n’est pourtant pas notre position, mais force est de constater que l’obligation vaccinale aurait été une mesure plus simple et moins liberticide.
Comme d’habitude, vous n’écoutez rien ni personne : vous avez fait passer toutes les mesures que vous pouviez par décret, en urgence, et vous ne nous soumettez le reste que par obligation, en nous imposant des conditions d’examen déplorables que l’urgence ne saurait justifier, même si l’on peut comprendre la difficulté de la situation.
Vous n’écoutez aucun représentant des oppositions, alors même que celles-ci sont toutes d’accord contre vous. Vous ne consultez pas ou vous faites semblant ; vous n’associez que très peu les collectivités locales. Contrairement à ce que vous semblez croire, tout cela ne nous fait pas gagner en efficacité, très loin de là, hélas !
Bien des régimes parlementaires, à commencer par l’Allemagne, enregistrent de meilleurs résultats que nous dans la gestion de l’épidémie (Mme la ministre déléguée le conteste.) sans s’asseoir pour autant sur la délibération démocratique.
Alors, madame la ministre, j’espère que vous retiendrez au moins les apports de bon sens du Sénat. Je pense en particulier aux mesures d’isolement.
Pour les écologistes, en l’état, cela reste insuffisant. Le texte permettrait trop d’atteintes aux libertés publiques. Il découle de trop de promesses bafouées et créerait trop de divisions. Nous appelons le Gouvernement à « mettre le paquet » sur la stratégie vaccinale plutôt que de contraindre trop brutalement et de diviser.
Nous appelons enfin à lever les brevets sur les vaccins et à favoriser leur diffusion mondiale. Tous les efforts que nous faisons, toutes les restrictions que nous nous imposons devront se poursuivre tant que nous permettrons au virus de circuler largement dans le monde, tant qu’il mutera et que des variants apparus aux quatre coins du monde, résistant à nos vaccins, reviendront frapper à notre porte.
L’égoïsme vaccinal des pays occidentaux, les gestions nationales de l’épidémie de covid-19 sont des impasses sanitaires. Il est grand temps de sortir du cadre national pour enrayer, enfin, la pandémie. Nous espérons qu’au-delà du soutien à nos sportifs le président Macron profitera de son déplacement à Tokyo pour œuvrer en ce sens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les présidents de commission, mes chers collègues, en ouvrant ce débat, nous devons garder notre attention fixée sur la très forte mutabilité de la situation sanitaire.
Depuis dix-huit mois, nous observons, avec une capacité d’anticipation très réduite, des variations importantes dans les types de virus, comme dans leur manière de se propager. La prudence des chercheurs et, parfois, leurs divergences nous montrent bien qu’ils s’attendent à de nouvelles situations imprévues. Il nous faut donc délibérer avec la prudence et le pragmatisme que cette difficulté à anticiper et la largeur du champ des évolutions possibles imposent.
C’est pourquoi, tout en comprenant évidemment l’insatisfaction de ceux de mes collègues qui déplorent une délibération trop rapide, il me semble nécessaire de souligner que les responsables publics – et les parlementaires en sont tout autant que les membres de l’exécutif – ont le devoir de s’adapter, dans leur travail et l’accomplissement de leurs missions, aux situations présentant une urgence ou une nécessité.
Les mesures que nous examinons ont pour double objectif de protéger l’ensemble de la population et de maintenir le maximum d’activités sociales, dans un contexte en évolution. D’où la nécessité que nous soutenions une large palette de mesures de limitation et de freinage de la diffusion du virus, et ce pour une durée suffisante.
Là se situe ma différence d’appréciation avec le rapporteur Philippe Bas, dans les explications qu’il a précédemment fournies. Il vaut mieux, en effet, que nous ayons ces mesures à disposition pour une durée plus longue, sachant que l’exécutif sera amené à en faire un emploi proportionné – M. le ministre a été tout à fait explicite sur ce point – et que, bien entendu, le recours aux différentes prérogatives fera l’objet au jour le jour d’un contrôle du Parlement et sera discuté avec lui.
Dès lors, je crois que nous serons très nombreux – la totalité du groupe, s’agissant du RDPI – à approuver l’exigence de vaccination pour motifs professionnels, non seulement au sein des métiers du secteur du « soin », dans une acception assez large, mais aussi dans les autres activités impliquant un contact intensif avec le public.
Ces obligations emportent des sanctions. Certes, il faut y apporter les adoucissements, les atténuations – je pense notamment aux délais – nécessaires dans une démocratie sociale. Cependant, arrêter des obligations d’intérêt public aussi majeures sans les assortir de sanctions serait un recul dans l’exercice de nos responsabilités.
Il est vrai que le passe sanitaire est une contrainte sociale. Mais l’intérêt général, dont nous sommes les gardiens, doit prévaloir. Si ces mesures sont la condition du maintien des activités – je reviens sur le dilemme évoqué par le ministre, avec le risque que nous courons d’avoir à basculer vers des fermetures d’activités, voire des confinements –, alors nous devons affronter cette réalité.
Il est vrai, aussi, que le passe sanitaire a pour effet de favoriser ceux qui ont choisi de se faire vacciner de façon précoce. C’est pourquoi, s’agissant du choix des dates exactes pour appliquer les mesures, nous devrons envisager des adaptations – je sais que le Gouvernement y est prêt, madame la ministre, et le sujet sera revu tout au long de la navette.
Des centaines de milliers de personnes sont vaccinées chaque jour – certaines semaines, nous sommes en capacité de réaliser jusqu’à 3 millions de vaccinations –, mais il faut tout de même tenir compte du délai nécessaire pour avoir les deux doses. Le choix des dates précises à partir desquelles s’appliqueront les mesures de fermeture ou, en tout cas, l’obligation de présenter un passe sanitaire est donc un choix délicat.
Comme nous ne pouvons pas non plus trop tergiverser devant l’urgence et la rapidité de la hausse des contaminations, il faudra, ensemble, que nous retenions un délai d’adaptation pragmatique, de manière à accompagner la remontée du flux vaccinal.
Je souhaite aussi rendre le Gouvernement attentif à la proposition formulée par notre rapporteur Philippe Bas de donner la priorité aux sanctions administratives par rapport aux sanctions pénales.
Je crois qu’une mesure de santé publique se prête plus à une décision de l’autorité administrative, selon des dispositifs que nous connaissons bien, y compris le contrôle en référé quasi instantané du tribunal administratif – il n’y a donc pas du tout de déni de justice. De par la rapidité d’application et le caractère direct de sa mise en vigueur, une mesure comme la fermeture administrative d’une activité dans laquelle aurait été constaté, après contrôle par la force publique, le non-respect des obligations est, à mon sens, une approche plus efficace et, d’une certaine manière, moins coûteuse que celle par les mesures judiciaires.
Aboutirons-nous à une obligation générale de vaccination ? Je le crois, exactement selon les mêmes arguments que ceux qui ont été énoncés par Claude Malhuret : nous n’avons pas de raison de nous effaroucher d’une obligation vaccinale supplémentaire, alors qu’il en existe depuis un siècle un quart dans ce pays, avec des résultats éblouissants sur le plan de l’intérêt général. Il ne faut pas reculer devant cette décision !
Cependant, pour répondre à certains de nos collègues qui en font une solution immédiate, il nous reste probablement une bonne quinzaine de millions d’injections à réaliser pour arriver à un taux de couverture suffisant, en tenant compte des personnes qui n’ont pas encore reçu leur première dose et de celles qui ont reçu la première, mais doivent attendre la seconde. Instaurer cette obligation générale de vaccination dès maintenant, alors que nous ne pourrions pas la contrôler avant plusieurs mois, ne serait pas efficace ; il est préférable que nous gardions cette décision, que nous aurons à prendre comme législateur, pour plus tard dans l’année, à un moment où, espérons-le – mais tout est fait pour cela –, les mesures dont nous discutons ce soir auront atteint leur pleine efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de citer une phrase tirée de La Peste, le chef-d’œuvre d’Albert Camus, dont chacun mesure combien il résonne dans la période que nous vivons : « Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux ».
Cette citation illustre le difficile équilibre entre liberté et protection de la santé, entre libertés individuelles et intérêt général – autant de débats qui nous animent depuis le début de la pandémie.
M. Loïc Hervé. Les libertés individuelles, c’est l’intérêt général.
Mme Véronique Guillotin. Dix-huit mois et neuf projets de loi plus tard, nous n’en sommes toutefois plus au même point. Aujourd’hui, nous avons le vaccin. Nous avons un espoir. Nous avons cette chance inouïe de disposer de plusieurs millions de doses proposées gratuitement à la population – faut-il le rappeler ? – pendant que, comme l’indiquait mon collègue Bernard Fialaire, dans de nombreux pays n’ayant pas atteint notre degré de développement, nombreux sont ceux qui les réclament ou qui meurent de ne pas les avoir reçus. Je pense bien sûr aux Tunisiens, qui connaissent des heures sombres et à qui nous exprimons toute notre amitié et notre solidarité.
Pendant qu’ils comptent leurs morts, faute de bouteilles d’oxygène et de vaccins en nombre suffisant, nous en sommes toujours à débattre de l’efficacité et de la sécurité de la vaccination.
Bien sûr, il faut écouter ceux qui doutent, les sceptiques, les réticents. Il faut dialoguer avec eux, faire preuve de pédagogie, leur redire que toutes les phases de test et les procédures d’autorisation sont respectées, que la pharmacovigilance assure une surveillance continuelle des éventuels effets secondaires. Le soin, malgré tout, reste basé sur la confiance et la médecine sur des faits scientifiques, que l’on ne peut balayer sur la base de supputations sans fondements.
Mais il faut aussi être intraitable vis-à-vis des plus virulents, ceux qui dégradent les centres de vaccination, qui menacent les personnes y travaillant, qui comparent notre pays à une dictature et notre système de santé à la Shoah. Ceux-là ont franchi résolument la ligne rouge de la décence.
M. Vincent Segouin. Tout à fait !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. Aujourd’hui, tout le monde s’improvise virologue ou infectiologue…
M. Philippe Bas, rapporteur. Le Président de la République aussi !
Mme Véronique Guillotin. … et les réseaux sociaux amplifient le phénomène. Personne n’a l’obligation de tout maîtriser ou de tout comprendre. En revanche, chacun a l’obligation éthique et morale de se forger un avis à partir des faits.
De ce point de vue, la vaccination nous protège contre les formes graves du virus et en limite la circulation, comme l’absence quasi totale de patients vaccinés en réanimation en témoigne.
L’immunité collective est un objectif vers lequel nous devons tendre et les mesures de ce texte y contribuent.
Face à l’arrivée du variant delta, dont la charge virale est multipliée par mille et dont le taux de contamination est de 60 % plus élevé que celui du virus initial, nous devons malheureusement et de toute urgence prendre de nouvelles mesures si nous voulons contenir une quatrième vague, qui risque de nous submerger et de nous obliger au confinement, ce que personne ne souhaite.
Cette pandémie, par sa violence et son extraordinaire résistance, nous impose des ajustements perpétuels. Les nouvelles mesures de ce texte en choquent certains, vu le nombre de messages que nous recevons dans nos boîtes mail, car elles contraignent l’accès aux activités du quotidien.
Il est vrai que ces ajustements touchent à certaines de nos libertés individuelles, mais l’État a un devoir de protection. Ce n’est pas lui qui nous prive de nos libertés ; c’est bien, avant tout, le virus ! Jusqu’à présent, ce devoir de protection s’est manifesté au travers de périodes de confinement et de couvre-feu qui ont, chaque fois, aggravé un peu plus la lassitude des Français et la situation économique du pays. Ces mesures sont, en outre, bien plus privatives de libertés que le passe sanitaire qui nous est proposé.
Néanmoins, l’extension de ce dernier et l’obligation vaccinale doivent s’accompagner de garde-fous.
Les délais imposés pour l’un et pour l’autre paraissent bien courts. Si l’on veut un statut vaccinal complet au 15 septembre prochain, il faudrait avoir reçu sa première dose avant le 18 août. Or certains centres ne proposent pas de créneaux avant la fin du mois d’août. À ce sujet, madame la ministre, il conviendrait de confirmer que les personnes soumises à l’obligation vaccinale auront un accès prioritaire au vaccin, afin de pouvoir se mettre en règle au plus vite.
Nous devons privilégier l’incitation et récompenser ceux qui sont engagés dans la démarche de la vaccination. Quand on sait que l’immunité acquise est forte dès trois semaines après la première injection, une tolérance ne pourrait-elle pas être accordée aux primo-vaccinés ?
Pour les plus récalcitrants, nous ne devons bien sûr jamais renoncer à expliquer, rassurer et accompagner. Cependant, malgré les efforts réalisés en matière de pédagogie, le taux de vaccination de la population et des soignants demeure insuffisant – c’est une réalité.
L’obligation vaccinale n’est pas une stigmatisation, comme on l’entend souvent. Elle existe déjà contre l’hépatite B et évolue en fonction de la situation sanitaire. Elle vise à protéger les soignants, mais aussi à répondre, comme le disait notre rapporteur pour avis, à leur « exigence d’exemplarité » et à leur « devoir éthique » vis-à-vis des personnes vulnérables qu’ils s’engagent à protéger au quotidien.
Je suis donc favorable à l’obligation vaccinale, et proposerai même de l’étendre à d’autres professions.
Je m’interroge par ailleurs sur les conditions de contrôle du passe sanitaire dans les restaurants et les cafés. Je serai favorable à ce que la responsabilité porte sur le consommateur, plutôt que sur l’exploitant, et que les contrôles soient effectués par des personnes habilitées à le faire.
Enfin, je ne peux terminer mon propos sans évoquer le délai si court qui nous est octroyé pour l’examen de mesures d’une telle importance. Si nos marges de manœuvre sont comme souvent limitées, nous aurions tout de même apprécié de pouvoir prendre le temps de la réflexion et du débat.
Toutefois, vous l’aurez compris, madame la ministre, je partage la philosophie du texte et la nécessité de ces mesures de freinage de la circulation virale et de déploiement massif de la vaccination. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes Les Républicains et UC – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, d’emblée, je souhaite vivement contester la précipitation de ce débat. Celle-ci ne permet pas d’examiner sérieusement les dispositions proposées, qui ont d’ailleurs évolué au fil des jours.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est bien vrai !
Mme Éliane Assassi. Je ne m’appesantirai pas sur les travaux des commissions des lois et des affaires sociales. Nous avons été contraints de travailler dans des conditions à la limite de l’acceptable, tant pour nous, élus, que pour nos collaboratrices et nos collaborateurs.
Enfin, sans vous faire offense, madame la ministre, je dois vous dire que je regrette profondément le départ de M. le ministre Olivier Véran… (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Il a siégé jusqu’à cinq heures quarante-cinq à l’Assemblée nationale !
Mme Éliane Assassi. Je ne sais comment nous devons interpréter ce départ précipité du ministre, qui n’a même pas pris le temps d’écouter la discussion générale, en particulier les interventions des groupes.
Mes chers collègues, nous sommes pleinement conscients des dangers que fait courir le variant delta, et vous devez accepter de débattre avec ceux qui proposent d’autres chemins que la voie ouverte par le Président de la République. La démocratie, le pluralisme, c’est savoir écouter, prendre en compte et parfois concéder et reconnaître ses erreurs.
Oui, nous savons que le variant delta se répand vite, et ce depuis de nombreuses semaines.
Oui, nous savons qu’en France les contaminations repartent vivement à la hausse.
Nous savons aussi que la vaccination est le rempart efficace pour éviter les hospitalisations et les réanimations. C’est un outil formidable pour venir à bout de l’épidémie. À ce titre, nous demandons que le vaccin soit reconnu comme grande cause nationale et mondiale et, donc, que les brevets soient levés.
Mais il faut des moyens pour aller au plus près de la population non vaccinée, souvent par abandon social ou manque d’information. Informer, convaincre, mobiliser tous les acteurs de la société, telle est la clé d’une vaccination pour tous. C’était, peu ou prou, la position de M. Olivier Véran.
Alors, pourquoi un tel revirement ? Comment ne pas être surpris par cette volonté soudaine de culpabiliser notre peuple, de le diviser, de le fracturer ?
C’est M. Olivier Véran, lui-même, qui a refusé les vaccinodromes en janvier dernier. C’est lui qui a fait le choix d’une vaccination progressive de la population, rappelant durant des semaines que les jeunes ne risquaient pas tant et pouvaient attendre.
Qui a fait le choix de commander massivement le vaccin AstraZeneca, qui fut sévèrement critiqué jusqu’à être interdit dans plusieurs pays ? La campagne vaccinale fut même suspendue en France.
En mai et en juin dernier, la vaccination a décollé et la suspicion a reculé. Cependant, qu’a fait le Gouvernement pour organiser la vaccination de masse durant les congés face à la déferlante du variant delta ? Et quelle mouche l’a piqué pour qu’il dégaine, aujourd’hui, un projet de loi aussi attentatoire aux libertés publiques ?
De plus, pourquoi produire un argumentaire culpabilisateur à outrance, alors que les doses ne sont pas disponibles pour parvenir rapidement à l’immunité collective ?
Madame la ministre, l’analyse que nous développerons au cours des débats est la suivante : ce projet de loi et le discours d’Emmanuel Macron sont un aveu d’échec manifeste. Notre peuple n’est pas assez vacciné, non pas parce qu’il est récalcitrant, mais parce que vous n’avez pas mis en œuvre les moyens nécessaires.
Ensuite, et « en même temps », le Président de la République utilise ce moment pour accentuer la dérive autoritaire de son pouvoir et placer notre pays sous une cloche libérale.
Le 12 juillet dernier, il a mêlé sa nouvelle réponse sécuritaire pour contrer la crise sanitaire à la confirmation ou à l’annonce de coups de force antisociaux. Dans son intervention, l’autoritarisme apparaît comme le point commun des différents aspects de la politique du pouvoir actuel.
La prolongation de l’état d’urgence sanitaire du 30 septembre au 31 décembre 2021 symbolise le maintien d’un état d’exception.
L’instauration du passe sanitaire est un outil de division de notre peuple. Le respect du droit et de l’égalité est à préserver.
Comme d’innombrables juristes, associations et syndicats, la Défenseure des droits s’est vivement inquiétée et a énoncé dix recommandations précises, importantes pour préserver les libertés et le droit face à vos propositions. J’aimerais connaître votre réponse détaillée à ces interpellations.
Le passe sanitaire est, selon nous, vicié dès le départ. Qui dit passe sanitaire dit contrôle d’identité… Madame la ministre, soit vous faites contrôler l’identité des gens par des personnes non assermentées et c’est une dérive inacceptable, soit vous permettez d’intensifier les contrôles de police inopinés dans les restaurants, dans les cinémas, dans les salles de sport, dans les transports, ou encore à domicile dans le cadre des procédures d’isolement.
Est-ce là le modèle de société que vous portez ? Une société de suspicion, de contrôle permanent !
Quand vous faites ce choix, nous faisons celui de la confiance et de la santé publique.
Le passe sanitaire sera une obligation dans la vie quotidienne pour l’ensemble de nos concitoyens ; et une obligation au travail pour certains d’entre eux. Nous refusons que la suspension ou le licenciement soit l’aboutissement de cette obligation en milieu professionnel.
Concernant les soignants, nous comprenons l’enjeu de les soumettre à l’obligation vaccinale. Mais pourquoi brandir, là aussi, la menace de la suspension et du licenciement ?
L’obligation d’isolement soulève également d’importants problèmes de droit. Nous refusons qu’une mesure privative de libertés – car c’est de cela dont il s’agit – puisse découler d’un seul test positif, sans décision de justice. Par ailleurs, comment ne pas constater une nouvelle fois la discrimination à l’égard des moins favorisés, qui ne peuvent respecter l’isolement du fait de conditions de logement précaires ?
Enfin, madame la ministre, comment ne pas s’alarmer du changement de donne concernant le système d’information national de dépistage populationnel, le SI-DEP ? Réservé au personnel de santé, il sera consultable, demain, par toutes les catégories de personnes habilitées à effectuer des contrôles. La préservation des données personnelles et le secret médical sont foulés aux pieds par votre projet.
Madame la ministre, nous voterons contre ce texte, même provisoirement assoupli par le Sénat. Sous le couvert d’un combat pour la vaccination, il accélère en effet le développement d’un projet de société attentatoire aux libertés et aux droits des salariés, sans armer notre pays face aux pandémies. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs centristes abordent le débat sur la réponse à la crise sanitaire en suivant deux lignes directrices.
La première est la priorité que nous accordons à la vaccination, complétée par le maintien des gestes barrières.
La seconde est la défense des libertés, une responsabilité dont le Sénat s’acquitte traditionnellement. Pour la plupart, les membres de notre groupe acceptent donc le passe sanitaire, mais dans un cadre nettement plus resserré que celui que le Gouvernement propose. Ils refusent d’alimenter une passion française pour le droit pénal et de brandir la menace du licenciement, là où la suspension du contrat de travail et des salaires nous semble déjà très suffisante.
M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !
M. Philippe Bonnecarrère. Quelques mots sur notre diagnostic : la crise de la covid-19 dure depuis dix-huit mois, la maladie est installée probablement pour longtemps et le virus ne connaît pas les frontières.
Nous avons demandé, hier matin, au professeur Jean-François Delfraissy de nous aider à nous projeter sur le long terme.
Il nous a exprimé les doutes et les incertitudes de la communauté scientifique, et nous a présenté les deux thèses privilégiées. Pour les optimistes, après une vaccination généralisée, le virus continuera d’évoluer – avec peut-être une ou deux mutations encore – tout en perdant progressivement sa capacité à contaminer ou, plus simplement, sa dangerosité. Pour les pessimistes, il pourrait connaître de nouveaux variants à « échappement vaccinal », pour utiliser la terminologie employée par le professeur, conduisant alors à une nécessaire évolution des vaccins au fur et à mesure des mutations.
Que les scénarios soient pessimistes ou optimistes, une forme de « normalité », si vous me permettez l’expression, de la présence du virus s’impose à nous. Comment pouvons-nous la gérer ? La réponse nécessite de choisir entre de mauvaises ou de très mauvaises solutions.
Nous abordons cette question avec humilité, en étant conscients que nous sommes dans une société, sinon de peur, au moins de défiance, où l’émotion l’emporte régulièrement sur la rationalité et où l’individualisme a souvent, vous le savez bien, pris le pas sur le collectif.
Cela nous conduit à ne pas trop asséner de vérités, à exprimer des réponses mesurées, dont nous devons admettre qu’elles pourront évoluer, à cultiver en définitive une éthique du doute et du respect des opinions.
La réponse en matière de santé publique est connue, je l’ai mentionnée en préambule : la vaccination, couplée aux gestes dits « barrières ». Les vaccins ont été trouvés, ils sont disponibles, gratuits et proposés à toute la population.
Notre débat de ce soir est donc typiquement – je le dis sans être discourtois – une forme de débat de riches.
Vaccinons ! Nous avons le recul nécessaire, pour répondre à une question qui nous est régulièrement posée, grâce aux plus de 3 milliards de vaccinations déjà réalisées à travers le monde. Nous n’avons pas d’alternative sérieuse : le retour à un confinement serait un drame et, comme vous le savez, il n’y a pas plus de solutions disponibles sous forme de médicament.
Tenons aussi compte du fait que nous sommes dans une société où chaque vie est essentielle. Il n’est pas possible de raisonner sur une forme d’acceptation d’un nombre de morts ou de malades graves, même s’il n’est interdit à aucun d’entre nous d’avoir une réflexion sur la place de la spiritualité ou sur une notion de transcendance.
Dans le contexte de l’accélération des contaminations par le variant delta, la vaccination et le maintien complémentaire des gestes barrières sont, pour les sénateurs centristes, la priorité. Il reste à les traduire dans les règles de la vie publique. Deux solutions s’offrent alors à nous : la vaccination obligatoire générale ou le passe sanitaire.
La vaccination obligatoire générale a le mérite de répondre clairement à l’enjeu de santé publique. Le dispositif est simple, précis, conforme à une autre passion française, celle de l’égalité. Il est aussi pédagogique.
Le Gouvernement ne propose pas cette solution, la question posée – plusieurs de mes prédécesseurs ont déjà formulé l’argument – étant celle de son acceptabilité sociale. Ce qui est souhaitable, mes chers collègues, est-il possible ? Nos concitoyens accepteront-ils une telle mesure ? Comment l’État la fera-t-il respecter ? Si la vaccination devenait obligatoire, l’État engagerait évidemment sa crédibilité sur l’exécution de ces dispositions.
Toutefois, au sein de notre groupe, nous n’écartons pas la possibilité de devoir envisager la vaccination obligatoire générale. C’est une question, nous semble-t-il, de calendrier. Les observations critiques formulées à l’égard de cette solution, comme on a pu l’entendre au fil des interventions, sont surtout liées à un risque d’engorgement des demandes de vaccination, à la rentrée, mais il faut continuer d’envisager cette solution comme une perspective possible.
La proposition de rendre obligatoire la vaccination des soignants ne fait aucune difficulté dans notre groupe. Il s’agit, à nos yeux, de la simple application de règles éthiques. C’est aussi une question de confiance dans notre pacte social.
Reste la question du passe sanitaire…
Le passe sanitaire prévu pour un seul été, comme on nous l’avait dit et répété, pour nous convaincre de donner notre accord à ce qui allait devenir la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, n’est bien sûr plus d’actualité. Cela n’est pas de nature à favoriser la confiance…
Le passe sanitaire porte-t-il atteinte aux libertés ? Oui.
S’agit-il d’une atteinte grave aux libertés ? Oui, à la fois par son étendue et, peut-être et surtout, par une forme de banalisation de la situation, puisque nous en sommes tout de même à notre quatorzième période d’état d’urgence depuis 2015.
Cette atteinte est-elle proportionnelle au risque ? C’est notre interrogation.
Le Gouvernement avance l’argument de l’urgence, et nous avons entendu les chiffres quant aux évolutions du variant delta, notamment ceux, cités par M. le rapporteur, relatifs à la charge virale et à la rapidité de transmission.
À l’Assemblée nationale, le passe sanitaire a été décrit comme un outil de liberté, une incitation à se faire vacciner, pour permettre à chacun d’entre nous d’avoir une vie normale. Le discours est efficace d’un point de vue psychologique, les prises de rendez-vous massives en vue de la vaccination, dans les heures qui ont suivi l’intervention du Président de la République, l’ont démontré.
Je voudrais cependant attirer votre attention, mes chers collègues, sur la limite de cet exercice, en tout cas la contradiction ou l’ambiguïté du passe sanitaire : celui-ci nous est proposé à titre incitatif, pour favoriser la vaccination, alors que sa vocation devrait être sanitaire.
Le passe sanitaire n’est pas, à l’inverse de la vaccination, une réponse de santé publique en tant que telle. Il ne soigne pas. Il peut le devenir s’il contribue à réduire le brassage social et, ainsi, les risques de transmission. Telle est sa justification.
Cela signifie, madame la ministre, qu’au moment où régulièrement depuis l’intervention du Président de la République les membres du Gouvernement prennent la parole pour annoncer un assouplissement supplémentaire ou la suppression d’un « irritant », le passe sanitaire risquerait, d’assouplissement en assouplissement, de coup de rabot en coup de rabot – et il y aura des amendements en ce sens –, de perdre sa vocation sanitaire pour n’avoir plus qu’un rôle incitatif. Dès lors, il serait sans fondement juridique, en particulier constitutionnel.
Bien sûr, je resterai prudent quant à la position arrêtée par le Conseil constitutionnel. Cependant, ne sous-estimons pas cet aspect de la question, ou ce risque, dans notre débat.
Quant à la défense des libertés, qui constitue notre deuxième ligne directrice, les questions qu’elle soulève ont bien été prises en compte dans le travail de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, mené par les rapporteurs Philippe Bas et Chantal Deseyne.
J’insiste sur le changement de logiciel. En décidant, si le texte est voté, d’un état d’urgence sanitaire et non pas d’un régime de sortie de cet état, nous marquerons par définition le caractère exceptionnel et temporaire des mesures que le Gouvernement propose.
J’ajoute, bien sûr, qu’il est nécessaire de préciser le volet d’encadrement des mesures, notamment la date butoir fixée au 31 octobre 2021 et le compte rendu hebdomadaire dont elles doivent faire l’objet. Il faut aussi favoriser la fermeture administrative plutôt que les sanctions pénales, mettre en place le suivi de l’isolement par les agents de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), garantir que les services préfectoraux n’auront pas accès aux dossiers médicaux et prévoir la suspension du contrat plutôt que le licenciement.
Enfin, madame la ministre, j’appelle votre attention sur la maladresse qu’a commise M. Véran lorsque, dans son propos introductif, il a insisté sur les points de désaccord à venir avec le Sénat. J’espère qu’elle sera corrigée demain, si tant est que le Gouvernement souhaite que la commission mixte paritaire ait une issue positive. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)