Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa, M. Jacques Grosperrin.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
avenir de la nouvelle-calédonie
M. Mikaele Kulimoetoke ; M. Jean Castex, Premier ministre.
M. Patrick Kanner ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Patrick Kanner.
coopération transfrontalière avec le luxembourg
Mme Véronique Guillotin ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Véronique Guillotin.
dégradation du dialogue social et inviolabilité parlementaire
M. Guillaume Gontard ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Guillaume Gontard.
Mme Colette Mélot ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Gérard Longuet ; M. Jean Castex, Premier ministre.
réforme de la haute fonction publique (i)
M. Jean Hingray ; Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques ; M. Jean Hingray.
coût réel des compteurs linky pour les usagers
Mme Cathy Apourceau-Poly ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Cathy Apourceau-Poly.
conférence du médicament et souveraineté en matière de santé
Mme Catherine Deroche ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Catherine Deroche.
réforme de la haute fonction publique (ii)
M. Jean-Pierre Sueur ; Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques ; M. Jean-Pierre Sueur.
lutte contre les violences à l’encontre des élus
M. Édouard Courtial ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
nouvelle stratégie nationale pour un « cloud » de confiance
Mme Catherine Morin-Desailly ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Catherine Morin-Desailly.
modalités de procuration de vote
Mme Catherine Procaccia ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Catherine Procaccia.
M. Jean-Jacques Michau ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
catastrophes naturelles et indemnisations
M. Jean Pierre Vogel ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jean Pierre Vogel.
déconfinement et perspectives sanitaires pour l’été
Mme Marie-Pierre Richer ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Marie-Pierre Richer.
Suspension et reprise de la séance
Conclusions de la conférence des présidents
4. Communication d’un avis sur un projet de nomination
5. Débat sur le bilan de l’application des lois
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. Philippe Paul, en remplacement de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne ; M. le président.
M. Cyril Pellevat, en remplacement de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. Vincent Éblé, vice-président de la commission des finances ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
Mme Nadège Havet ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. Jean-Yves Roux ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
Mme Cécile Cukierman ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. Dany Wattebled ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. Guillaume Gontard ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. François Bonneau ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. Jérôme Durain ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
6. Pacte vert européen. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains
M. Henri Cabanel ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
M. Pierre Laurent ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Pierre Laurent.
Mme Denise Saint-Pé ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
M. Gérard Longuet ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Gérard Longuet.
Mme Vanina Paoli-Gagin ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
M. Jacques Fernique ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Jacques Fernique.
M. André Gattolin ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
M. Jean-Michel Arnaud ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Jean-Michel Arnaud.
Mme Gisèle Jourda ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Gisèle Jourda.
M. Pierre Cuypers ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
M. Franck Montaugé ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Franck Montaugé.
M. Cyril Pellevat ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Guillaume Chevrollier.
M. Stéphane Piednoir ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
Mme Béatrice Gosselin ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
7. Reprise et relance des activités culturelles – Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture
Mme Céline Brulin ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
Mme Annick Billon ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; Mme Annick Billon.
Mme Sabine Van Heghe ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
M. Roger Karoutchi ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; M. Roger Karoutchi.
M. Jean-Pierre Decool ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
M. Thomas Dossus ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; M. Thomas Dossus.
M. Julien Bargeton ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
M. Bernard Fialaire ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
Mme Sonia de La Provôté ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; Mme Sonia de La Provôté.
M. Lucien Stanzione ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; M. Lucien Stanzione.
Suspension et reprise de la séance
M. Max Brisson ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; M. Max Brisson.
Mme Marie-Pierre Monier ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
Mme Else Joseph ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; Mme Else Joseph.
Mme Anne Ventalon ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
Mme Laurence Muller-Bronn ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
Mme Laurence Garnier ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; Mme Laurence Garnier.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Jacques Grosperrin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun d’entre vous sera attentif à observer au cours de nos échanges les valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres, ainsi que du temps de parole.
avenir de la nouvelle-calédonie
M. le président. La parole est à M. Mikaele Kulimoetoke, pour le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Mikaele Kulimoetoke. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, pendant plus d’une semaine, avec le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, vous avez invité plusieurs délégations calédoniennes, qui ont également été reçues par M. le Président de la République et M. le Président du Sénat. Ces réunions que vous avez organisées avec ces délégations calédoniennes ont permis de dialoguer, en toute sincérité et responsabilité, sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
En effet, lors des deux précédents référendums, les Calédoniens ont exprimé clairement leur volonté de rester au sein de la République française. Si cette décision doit nous rassurer, elle implique plusieurs responsabilités, un ensemble d’éléments présentés dans un document inédit sur les conséquences concrètes qu’engendrerait le « oui » ou le « non ».
Ce travail considérable, que je salue, a été réalisé par plusieurs services de l’État. Il témoigne de l’implication du Gouvernement et de l’administration, quelle que soit l’issue choisie par les Calédoniens.
Monsieur le Premier ministre, au terme des discussions menées avec conviction et détermination, en collaboration avec le ministre des outre-mer, et toujours dans un esprit de dialogue, avec les principales délégations calédoniennes, des avancées ont été obtenues.
Pourriez-vous présenter devant le Sénat les résultats de ces négociations ?
Par ailleurs, si de nombreux doutes sont levés, d’autres subsistent encore. De récents sondages ont indiqué qu’une partie de la population calédonienne, dont de nombreux étudiants, quitterait le territoire si le « oui » venait à l’emporter. Une inquiétude partagée par la communauté wallisienne et futunienne, que je représente ici, et qui souhaite rester au sein de la République française.
Aussi, monsieur le Premier ministre, je souhaiterais savoir quelles sont les assurances que le gouvernement français serait prêt à donner à ces populations. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le sénateur Kulimoetoke, je vous remercie vivement de votre question, qui me donne l’occasion de rendre compte, devant la représentation nationale, et devant le Sénat en particulier, de la semaine qui vient de s’écouler, laquelle a été effectivement extrêmement importante.
D’abord, permettez-moi de vous le dire, depuis Michel Rocard, le Premier ministre est chargé d’une responsabilité particulière dans le dossier calédonien, sur lequel, par conséquent, je me sens particulièrement investi, aux côtés de M. le ministre des outre-mer. Cela m’a donné la possibilité de rencontrer physiquement, pour la première fois, crise sanitaire et contraintes obligent, la plupart des représentants de Nouvelle-Calédonie que j’avais invités.
Bien entendu, depuis l’entrée en fonction de ce gouvernement, nous n’étions pas restés inactifs sur ce dossier puisque la période considérée, vous le savez parfaitement, a été marquée par l’organisation du deuxième référendum prévu par les accords de Nouméa.
Dès que les résultats de ce dernier ont été connus, le ministre des outre-mer s’est rendu plusieurs jours sur l’île pour ouvrir un processus de concertation et préparer ce que nous avions prévu, à savoir l’invitation à Paris, le moment venu, de l’ensemble des délégations pour discuter et échanger avec le gouvernement de la République de la situation et des perspectives.
Qu’il me soit également permis de rappeler au Sénat – le sujet est important, monsieur le sénateur – que, dans l’intervalle, nous avons eu à gérer des sujets d’ordre public. Je me réjouis à cet égard que le calme soit revenu et que la situation ait été maîtrisée.
De même, bien entendu en lien avec les autorités de l’île, notamment la présidente Backès, nous avons eu à gérer le très important dossier de l’usine du Sud de nickel, que l’État a concouru à régler grâce aux moyens qu’il a déployés – vous le savez, c’était une affaire de transmission.
Cette séance de concertation très approfondie est arrivée aujourd’hui à son terme puisque c’est demain matin que la plupart des représentants néocalédoniens quittent Paris pour rejoindre le territoire.
Monsieur le sénateur, vous me demandez quel est le bilan que nous pouvons tirer de cette séquence qui s’achève et qui en appelle d’autres.
Comme vous l’avez dit, ce dont je vous remercie, elle a permis de rappeler la prééminence du dialogue et de la concertation. C’est là l’un des premiers rôles de l’État : veiller à ce que, toujours, le dialogue et la concertation s’imposent et constituent le cadre des échanges, si difficiles soient-ils, si opposées puissent être les conceptions que les uns et les autres ont de l’avenir de ce territoire – je ne vous ferai évidemment pas l’injure de vous les rappeler.
L’État a favorisé et aiguillonné ce dialogue et cette concertation, le ministre des outre-mer, auquel je veux rendre hommage, s’est beaucoup impliqué,…
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. … comme votre serviteur.
La semaine qui s’achève, mesdames, messieurs les sénateurs, a permis, ce qui était l’un de nos objectifs premiers, de clarifier de manière significative les enjeux qui sont devant nous. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu saluer ce travail inédit de l’ensemble des services administratifs de l’État, dans lequel plusieurs ministres du Gouvernement se sont impliqués, visant à examiner de façon extrêmement détaillée et approfondie quelles seraient les implications d’un « oui » ou d’un « non ».
Ce travail décisif, qui n’avait jamais été fait, a été très fortement apprécié par l’ensemble des parties prenantes à ces discussions. Maintenant, on sait de quoi l’on parle et il est possible de décider en connaissance de cause.
Par ailleurs, je profite de cette occasion pour vous dire, monsieur le sénateur, qu’un atelier spécifique portait sur Wallis-et-Futuna, son avenir, et sur les différentes conséquences des hypothèses envisagées pour les habitants de ces îles.
La semaine qui s’est écoulée a permis d’éclairer l’avenir autour de trois principes que nous avons présentés. Au terme de ces discussions, chacun a pris ses responsabilités, l’État a pris les siennes. Nous n’en sommes pas à signer un accord ; nous avons mis sur la table, après concertation, une méthode, ce qui était très important.
Premier principe : l’accord de Nouméa doit aller à son terme et l’État en est le garant, par respect non seulement des anciens représentants de l’État, mais également de l’ensemble des protagonistes à ce processus. Il y aura donc un troisième référendum.
Deuxième principe : à la différence des étapes précédentes, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons préparer la suite.
Il y aura donc un référendum, mais son résultat sera certainement serré si l’on se réfère aux deux consultations précédentes. « Oui » ? « Non » ? Et après, que se passe-t-il ? Pour éclairer les conséquences, nous avons mis sur la table une méthode grâce à laquelle les parties en présence devront s’accorder pour préparer le jour d’après. Nous avons proposé que cette phase préparatoire s’achève avant le 30 juin 2023, calendrier qui a reçu l’aval de l’ensemble des parties.
Cette phase devra déboucher sur un projet politico-institutionnel complet, que la seule réponse « oui » ou « non » ne permet pas de construire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est interminable !
M. Jean Castex, Premier ministre. Peut-être, madame, vous avez sans doute raison, mais c’est là un sujet très important.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est une vraie déclaration de politique générale !
M. Jean Castex, Premier ministre. Troisième principe : l’État a souhaité dépasser les questions institutionnelles. Ainsi, j’ai veillé à ce qu’on discute également du développement et de la réduction des inégalités, qui sont très fortes dans cette île, et que, au-delà des simples questions institutionnelles, ces sujets soient au cœur des discussions qui vont s’ouvrir. (Marques d’impatience sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
Dans ce cadre, mesdames, messieurs les sénateurs, l’État prend ses responsabilités en décidant de l’organisation de la troisième consultation référendaire le 12 décembre prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
situation politique en france
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, après votre réponse à la question précédente, je tiens à saluer votre sens du dialogue.
Je ne doute pas un seul instant que, ni de près ni de loin, ni philosophiquement ni politiquement, vous ayez la moindre sympathie pour le Front national.
Toutefois, au lendemain d’élections législatives partielles, à quelques semaines aussi de deux rendez-vous électoraux majeurs, force est de constater que l’extrême droite progresse dans notre pays. Dans les intentions de vote, dans les médias, mais également dans les esprits. Aujourd’hui, l’hypothèse que, pour une troisième fois, la famille Le Pen soit présente au second tour d’une élection présidentielle devient une évidence.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Grâce à qui ?
M. Patrick Kanner. Et encore, ce n’est pas le scénario le plus pessimiste…
Vous n’êtes pas les seuls responsables de cette évolution politique.
Mme Sophie Primas. François Mitterrand !
M. Patrick Kanner. Mais votre majorité présidentielle porte depuis quatre ans le destin du pays. La sombre perspective que je viens d’évoquer est-elle pour vous une fatalité ou, au contraire, pensez-vous utiliser les dix prochains mois pour nous éviter ce naufrage ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Je ferai plus court, monsieur le président Kanner…
Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises : en politique, il faut se déterminer par rapport à soi-même et par rapport à ce qu’on considère être l’intérêt général du pays. (M. Bruno Sido applaudit.)
La meilleure façon d’éviter que des idées autres que celles que vous représentez ne parviennent au pouvoir, c’est, premièrement, n’avoir pour seule boussole que les valeurs de la République, de la démocratie et de l’État de droit. Elles sont chevillées au corps de l’action du Gouvernement et du Président de la République.
Deuxièmement, c’est de mener une politique au service de nos concitoyens, au service du redressement économique, au service de la lutte contre la crise sanitaire, au service de la réduction des inégalités, y compris territoriales, au service d’une lutte sérieuse, opérationnelle et non démagogique contre l’insécurité. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Voyez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Kanner, c’est tout à fait ce que mon gouvernement s’emploie à faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.
M. Patrick Kanner. En tout cas, monsieur le Premier ministre, les Français ne l’entendent pas ainsi. Vous me répondez « mesures », vous nous répondez « programme de gouvernement » : de notre point de vue, je vous l’accorde, c’est peut-être, effectivement, la meilleure façon de mener la bataille sur le terrain ; pour autant, permettez-moi de m’inquiéter de votre stratégie.
Vous avez choisi votre adversaire et vous jouez une partition dangereuse, qui peut s’avérer tragique pour notre pays. En faisant exploser le paysage démocratique, en promouvant l’ambiguïté du « en même temps », en espérant la disparition de la gauche et, maintenant, de la droite, en méprisant les corps intermédiaires, vous avez créé un champ de ruines et vous ne tenez pas compte des avis du Parlement, en particulier de celui de la Haute Assemblée.
À cela vous ajoutez du cynisme, monsieur le Premier ministre, vous qui avez été le premier acteur du vaudeville politique que nous vivons actuellement en région PACA, dans un pitoyable tripatouillage politicien.
Mme Patricia Schillinger. Oh là là !
M. Patrick Kanner. Le résultat, malheureusement, on le connaît, on le voit dans les sondages. Vous courez de manière désordonnée après la thématique sécuritaire, et vous avez également sous-estimé la colère sociale de nos concitoyens, que l’exercice du grand débat n’a pas suffi, malheureusement, à calmer.
Aujourd’hui, le danger est à nos portes, l’extrême droite, comme dans d’autres pays européens, peut prendre le pouvoir sans violence. Dans moins d’un an, le deuxième tour de la présidentielle sera passé, et vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
coopération transfrontalière avec le luxembourg
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, vous connaissez la situation si particulière et si difficile des ressources humaines en santé dans les territoires frontaliers, plus particulièrement nord-lorrains.
Je souhaite évoquer ici le phénomène d’aspiration vers le Luxembourg des infirmières et aides-soignantes formées en France.
Pour en illustrer l’ampleur, je ne prendrai qu’un seul exemple, celui de l’hôpital de Mont-Saint-Martin, situé à quelques kilomètres du Luxembourg. Il subit une fuite de 20 % de son personnel et, à ce jour, malgré la fermeture d’un étage entier, il manque 37 infirmières pour assurer son fonctionnement normal.
Fait nouveau : les agences d’intérim n’arrivent plus à fournir suffisamment de personnel. Cette situation est devenue insupportable dans tous nos établissements, comme elle l’est en ville.
Les mesures du Ségur de la santé et les efforts de la région Grand Est en matière de formation ne suffiront pas à eux seuls à stopper l’hémorragie tant le différentiel salarial entre nos pays est élevé.
Le Premier ministre luxembourgeois est lui aussi très sensible à cette question, le Luxembourg dépendant grandement des travailleurs français. Monsieur le ministre, des solutions doivent être trouvées dans une dimension transfrontalière. Les projets ne manquent pas, comme celui de créer un institut transfrontalier de la formation aux métiers de la santé.
Alors, à quelques semaines de la conférence intergouvernementale franco-luxembourgeoise et de l’examen du projet de loi 3DS, je souhaitais attirer votre attention sur une situation devenue impossible. Monsieur le ministre, c’est quand les ministres rencontrent leurs homologues que les projets avancent, à l’instar de la toute dernière rencontre entre les Premiers ministres Xavier Bettel et Jean Castex sur le volet de la mobilité, par exemple.
Pour garantir que nos concitoyens en zones frontalières aient accès aux soins dont ils ont besoin, pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, de la même mobilisation ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice Véronique Guillotin, vous avez rappelé très justement que le Premier ministre Xavier Bettel et le Premier ministre Jean Castex se sont rencontrés hier pour une séance de travail dans le contexte nouveau de la fin progressive de la pandémie. Ils ont pu observer l’un et l’autre que, au cours de cette période, les relations entre la France et le Luxembourg s’étaient renforcées dans la solidarité, y compris dans la solidarité en matière de santé puisque les hôpitaux luxembourgeois ont accueilli des patients du Grand Est et que, nous-mêmes, au travers de nos postes, avons permis le rapatriement de citoyens luxembourgeois tout en maintenant la libre circulation entre nos deux pays.
Le Premier ministre l’a redit hier à M. Bettel : nous sommes tout à fait déterminés à nous inscrire dans une logique de gagnant-gagnant. Cela passe par une nouvelle dynamique du codéveloppement, cela passe par des financements complémentaires de nos voisins luxembourgeois aux côtés de l’État et des collectivités frontalières du nord de la Lorraine et de la région Grand Est, ces financements de projets étant rendus nécessaires par l’installation d’entreprises et le développement du travail transfrontalier, en particulier dans le domaine de la santé.
Nous avons fait l’inventaire des sujets qu’il nous faudra aborder lors de la commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise, qui va se réunir très prochainement, avant l’été, la première fois depuis 2016.
Au cours de cette réunion, dont la préparation se déroule plutôt bien, y compris sur les sujets que vous avez évoqués en matière de formation en santé, nous enregistrerons, j’en suis convaincu, de nouvelles avancées sur plusieurs projets structurants : je pense en particulier au transport ferroviaire, qui permet de limiter le recours aux voitures, ainsi qu’à la signature de la convention transfrontalière, qui permettra, en matière de santé, de développer de nouvelles pistes de coopération comme l’amélioration de la formation sur les métiers en tension, les échanges de stagiaires et la coopération entre observatoires de santé et laboratoires de santé luxembourgeois, en partenariat avec le centre hospitalier régional de Metz-Thionville.
Je le répète, ce rendez-vous n’avait pas eu lieu depuis très longtemps et c’est la visite, hier à Paris, du Premier ministre Xavier Bettel qui a permis de l’activer. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le ministre, je sais pertinemment que des choses avancent, mais j’insiste une nouvelle fois sur la formation des infirmières et sur la coopération entre nos deux pays, car rien ne se passera sans elle. C’est un sujet grave et majeur pour nos territoires. (M. Henri Cabanel applaudit.)
dégradation du dialogue social et inviolabilité parlementaire
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, jeudi dernier, des paysans désemparés, inquiets des orientations désastreuses de la nouvelle politique agricole commune (PAC) n’avaient pas d’autre choix que de manifester pacifiquement. Faute d’être entendus par leur ministre, ils demandaient simplement une audience au Président.
Des parlementaires sont venus à leur rencontre pour entamer le dialogue et tenter de nouer le lien avec le pouvoir exécutif. Résultat des courses : notre collègue Bénédicte Taurine, ceinte de son écharpe tricolore, a été outrageusement jetée au sol par un policier.
Notre collègue Joël Labbé, qui avait pourtant pris soin d’alerter le cabinet du Président, a été empêché de rejoindre les paysans.
Ces images ont ému tous les républicains dignes de ce nom.
Monsieur le Premier ministre, ces faits de violence contre des manifestants pacifiques et contre des parlementaires identifiés dans l’exercice de leurs fonctions sont sans précédent et particulièrement graves. Votre réponse au président Mélenchon, hier à l’Assemblée nationale, n’est franchement pas à la hauteur de la gravité des faits. Nous vous demandons aujourd’hui une condamnation sans équivoque. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président Gontard, j’ai effectivement déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ces faits, hier, devant l’Assemblée nationale.
Je voudrais d’abord, ici même, les rappeler tels qu’ils se sont déroulés.
D’abord, je me permettrai de corriger l’une de vos affirmations, monsieur le président : la porte du ministre de l’agriculture, pour discuter de la PAC ou de tout autre sujet, est en permanence ouverte à l’ensemble des organisations syndicales du monde agricole. (C’est faux ! sur les travées du groupe GEST.) Vous le savez bien, au Sénat, sur quelque travée que vous siégiez. Ce qui n’empêche pas l’expression de désaccords : cela s’appelle la démocratie. Julien Denormandie est reconnu par l’ensemble de la communauté paysanne comme consacrant beaucoup de temps au dialogue. (Marques d’indignation sur les travées du groupe GEST. – M. Fabien Gay lève les bras au ciel.)
Deuxième rectification : j’informe le Sénat que la manifestation à laquelle vous faites référence, en tout cas pour sa partie qui s’est déroulée sur la voie publique, n’avait fait l’objet d’aucune déclaration au titre de l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure. Elle s’est poursuivie, je le constate, par l’occupation totalement illégale des locaux de Pôle emploi, dans lesquels les manifestants ont pénétré de force. Le gestionnaire des lieux, suivant la procédure légale, a fait appel au concours de la force publique pour qu’il soit procédé à leur évacuation.
Je le rappelle, parce que ces faits sont quand même extrêmement importants. Les incidents dont vous faites mention se sont déroulés dans ce cadre-là. C’est la raison pour laquelle je redis devant le Sénat ce que j’ai dit devant l’Assemblée nationale : chacun, en particulier les dépositaires de l’autorité publique, les parlementaires mais bien entendu aussi les forces de sécurité intérieure, doit respecter les lois de la République.
Des faits dont vous parlez, sur lesquels je n’ai évidemment aucune information, le procureur de la République territorialement compétent s’est saisi. Nous verrons bien les suites qu’il y donnera. En toute hypothèse, si, à bon droit, les images dont vous parlez ont pu choquer et qu’elles sont regrettables, je rappelle également au Sénat que, dans cette affaire, deux policiers ont été blessés, l’un ayant subi des jets de pierres nécessitant son transfert à l’hôpital.
Tout cela n’est pas normal, monsieur le président Gontard. Il y a eu des attitudes condamnables. J’en profite pour appeler chacun au calme et à ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, vous m’accorderez que jamais une telle action d’un syndicat majoritaire – lequel déclare rarement celles qu’il mène auprès de la préfecture – n’a fait l’objet d’une répression aussi violente – et je ne compte pas les policiers blessés.
Après les gilets jaunes, les journalistes, les avocats, les médecins et tant d’autres, la répression violente du mouvement social a atteint son paroxysme : plus personne n’est épargné, ni les agriculteurs ni même les représentants du peuple. (Protestations à droite et au centre.)
On comprend que vous vouliez supprimer les preuves avec le funeste et heureusement mort-né article 24 !
Monsieur le Premier ministre, le dialogue, l’écoute, la recherche du compromis : voilà les leviers d’une démocratie apaisée !
« Je crois – et j’ai toujours cru – aux vertus du dialogue social ; toute ma vie publique en atteste » : ces mots, monsieur le Premier ministre, ce sont les vôtres, prononcés lors de votre déclaration de politique générale.
Loin, très loin de restaurer la confiance entre l’État et les corps intermédiaires, vous vous enfermez dans votre tour d’ivoire (Exclamations sur les travées du groupe RDPI.) : le séparatisme n’est pas toujours là où on le croit !
À défaut de maintenir le dialogue avec le pays,… (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Guillaume Gontard. … ne nous empêchez pas de le faire. Entraver les parlementaires dans l’exercice de leur fonction est totalement inacceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – Huées à droite.)
baccalauréat et orientation
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, la réforme du lycée général engagée voilà deux ans a remplacé les filières traditionnelles de la voie générale par des enseignements de spécialité choisis à la carte.
L’objectif de cette réforme était de lutter contre les inégalités scolaires en supprimant le déterminisme social qui se reflétait dans le choix des filières.
Les lycéens choisissent désormais trois enseignements de spécialité en classe de première, pour n’en garder que deux en classe de terminale. Or le caractère élitiste reproché à la filière S se reporte parfois sur le choix des deux spécialités conservées en terminale. Ainsi, les meilleurs élèves et les plus favorisés ont tendance à reconstituer les filières traditionnelles de cette façon.
Autre stéréotype, qui n’est pas nouveau : 50 % des filles choisissent d’arrêter la spécialité « mathématiques », contre 30 % des garçons. Ce choix détermine très souvent l’orientation post-bac.
Pour que cette réforme atteigne l’objectif visé, certains chefs d’établissement proposent quelques ajustements qui pourraient être bienvenus et qui s’appuient notamment sur les questions suivantes.
Premièrement, la préparation des élèves aux épreuves anticipées de spécialité en classe de terminale est-elle suffisante ?
Deuxièmement, le contenu pédagogique des enseignements en sciences est-il toujours en adéquation avec le nombre d’heures consacrées, qui a diminué après la réforme ?
Troisièmement, l’abandon d’une spécialité en terminale ne restreint-il pas les possibilités d’orientation pour un certain nombre d’élèves ?
Quatrièmement, enfin, la réintégration de la spécialité « mathématiques » au sein du tronc commun ne permettrait-elle pas d’améliorer le niveau général des élèves et de réduire le déterminisme social lié au choix de cet enseignement ?
Monsieur le ministre, quel est votre regard sur ces questions ? Plus généralement, quel premier bilan de l’application de la réforme dressez-vous à ce stade ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice Colette Mélot, vous me posez quatre questions : je vous en remercie, car elles vont au cœur des enjeux de cette réforme, dont le mot clé est liberté. C’est précisément pourquoi elle est appréciée des lycéens : les enquêtes d’opinion le prouvent, leur taux de satisfaction s’établit autour de 60 % à ce stade.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ah oui ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Pourquoi ? Parce qu’ils en constatent déjà les premiers bénéfices, notamment avec la disparition des séries, qui leur permet d’avoir beaucoup plus de choix. Au total, 90 % des élèves se concentrent sur quinze combinaisons : c’est évidemment beaucoup plus que les trois séries antérieures dans la voie générale.
Ainsi, la philosophie de la réforme est à l’œuvre et produit déjà des effets.
Une autre de ses caractéristiques, c’est la modularité, que je retrouve dans vos quatre questions. Cette modularité permet une souplesse, et donc des évolutions. C’est pourquoi nous disposons d’un comité de suivi du baccalauréat, dont la prochaine réunion aura lieu le 11 juin prochain : nous nous adaptons sans cesse aux situations que nous observons.
Dès lors, comment répondre rapidement à vos quatre questions ?
Premièrement, le comité de suivi doit effectivement regarder si, pour mars 2022, nous devons prévoir un programme légèrement moins ambitieux afin d’être réellement prêts lors des examens terminaux : il faut nous pencher sur cette question, sachant que les élèves continuent de travailler de mars à juin et que leurs enseignements de spécialité sont au cœur du grand oral qu’ils auront à passer. Ils pourront donc accomplir la totalité du programme.
Deuxièmement, on peut entendre ici ou là que l’on a perdu des heures de sciences, mais ce n’est pas exact. Aujourd’hui, un élève peut totaliser au maximum dix-sept heures d’enseignements scientifiques. Autrefois, en terminale S, il en avait seize : deux fois six heures d’enseignement de spécialité, deux heures de maths expertes et deux heures d’enseignement scientifique dans le tronc commun.
Madame la sénatrice, dix-sept heures, c’est beaucoup. Bien entendu, l’une de nos priorités a été de renforcer l’enseignement des sciences et d’avoir des élèves mieux préparés. Ainsi, le programme de physique-chimie est beaucoup plus ambitieux qu’antérieurement.
Troisièmement, vous vous demandez si le fait d’abandonner un enseignement de spécialité en première pose problème. À mon avis, c’est au contraire le moyen d’assurer une orientation progressive, en entonnoir, dont les élèves se disent satisfaits.
Évidemment, ces différents points ont vocation à être discutés dans la perspective des prochaines évolutions ! (MM. François Patriat et Alain Richard applaudissent.)
avenir du corps préfectoral
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Gérard Longuet. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Cher Jean Castex, vous avez commencé par annoncer, de manière surprenante, que vous vouliez supprimer les préfets et les sous-préfets…
M. Gérard Longuet. Puis, vous vous êtes ravisé en disant : « Pas du tout : c’est le statut que je veux supprimer. »
Il se trouve que vous êtes énarque : moi aussi ; que vous avez servi le Président Sarkozy : moi aussi (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) ; que vous êtes membre de la Cour des comptes : pas moi. (Rires et exclamations sur les mêmes travées.) Je suis membre du corps préfectoral et je peux vous dire que votre initiative vient détruire l’un des piliers de la République sur le terrain. (Mme Sophie Primas acquiesce.)
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Gérard Longuet. Pourquoi ?
Tout d’abord, le corps préfectoral exige une compétence interministérielle. Cela ne s’improvise pas ; cela demande de la durée. Or qui dit « durée » dit « carrière » et, donc, « statut ». (M. François Calvet opine.)
Ensuite, l’exercice des fonctions préfectorales suppose de l’autorité ; cette autorité se fonde, elle aussi, à l’épreuve des faits. Elle demande de la durée, une carrière et, donc, un statut.
Enfin, pour occuper de tels postes, il faut du sang-froid. Les expériences très récentes de mes collègues le montrent : gérer l’ordre public, ce n’est pas faire un grand oral de sortie de Sciences politiques !
Il faut donc de la durée ; il faut de la carrière ; il faut du statut.
En agissant avec désinvolture, vous semblez totalement mépriser cette réalité. Pourtant, vous en avez été bénéficiaire pendant la crise des gilets jaunes comme pendant la pandémie actuelle ; d’ailleurs, vous mobilisez à présent les préfets et les sous-préfets pour mettre en œuvre le plan de relance et vous êtes bien content de les trouver.
Ma question est d’une grande simplicité.
Parmi les préfets, on peut nommer n’importe qui – d’ailleurs, certains gouvernements ne s’en sont pas privés. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Parmi les sous-préfets, il y a une minorité d’énarques et une immense majorité de magistrats, de cadres de préfecture, de policiers et de militaires : voilà un corps ouvert, voilà un élément de promotion, voilà un truc qui marche et votre seule idée c’est de le foutre en l’air ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le sénateur Gérard Longuet, je vous ai senti très sincère…
M. Gérard Longuet. C’est ma vie !
M. Jean Castex, Premier ministre. C’est la mienne aussi. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
Avant tout, je n’ai jamais dit que je voulais supprimer les préfets et les sous-préfets. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Jamais ! Je veux, au contraire, les renforcer et les conforter… (Exclamations ironiques sur des travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)
M. Vincent Éblé. On y croirait presque !
M. Jean Castex, Premier ministre. Vous riez : vous considérez que cela passe forcément par un statut et par un corps.
M. Gérard Longuet. Eh oui !
M. Jean Castex, Premier ministre. Soyons précis : vous avez parlé des sous-préfets. La plupart d’entre eux – les deux tiers, pour être exact – préfigurent déjà, et depuis longtemps, la réforme que nous voulons faire : ce sont des administrateurs civils détachés dans le corps des sous-préfets.
Demain, tous seront des administrateurs de l’État, mieux formés et mieux payés…
M. Bruno Sido. Ah !
M. Jean Castex, Premier ministre. … compte tenu des responsabilités qu’ils vont exercer, affectés au métier de sous-préfet. Ces personnes auront donc toutes un statut et un corps : toutes !
Je l’ai déjà dit dans cet hémicycle et je le répète : peut-être la crainte d’une politisation est-elle le fruit d’une ambiguïté. Soyons très clairs : ce que nous voulons, c’est la fonctionnalisation, c’est-à-dire la gestion des ressources humaines (GRH) autour d’une filière et d’un métier. Je vais y revenir à propos de l’expérience accumulée, question majeure que vous avez relevée à fort juste titre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la fonctionnalisation n’est en aucun cas la contractualisation, qui – vous le savez – existe dans 80 % des pays. Bien des États disposent d’une haute fonction publique, préfectorale ou non, entièrement constituée de contractuels – en bon français, cela s’appelle le spoil system – que l’on change régulièrement.
M. Jean Castex, Premier ministre. Ce n’est pas du tout notre modèle ; ce n’est pas du tout ce vers quoi nous allons !
Monsieur Longuet, je vous en supplie, prenez le temps de relire les travaux préparatoires à l’ordonnance de 1945, qui est l’œuvre de Michel Debré et du général de Gaulle : leur nom, ici ou ailleurs, n’a certainement rien d’infamant. Ils voulaient que le corps des administrateurs civils soit le plus interministériel possible et ce principe restera : les administrateurs de l’État iront dans des filières, par exemple la diplomatie ou l’administration préfectorale.
Cette assemblée réunit beaucoup d’élus locaux qui ont occupé des fonctions exécutives.
M. Bruno Sido. Oui !
M. Jean Castex, Premier ministre. Ils le savent très bien : cela s’appelle des cadres d’emplois – ce n’est pas nous qui l’avons inventé ! –, au sein desquels on procède par affectation.
Ces administrateurs conserveront un corps et disposeront d’un statut beaucoup plus interministériel. Cela ne pose aucun problème, d’autant que le corps préfectoral a déjà largement ouvert la voie ! Il est sans doute l’un des grands corps les plus interministériels et les plus « accueillants »,…
M. Gérard Longuet. Un peu trop…
M. Jean Castex, Premier ministre. … sans être pour autant le seul.
Si j’osais – je parle sous le contrôle de la ministre de la transformation et de la fonction publiques –, je vous dirais même : le but de la réforme, c’est d’étendre ce qui existe pour le corps préfectoral à l’ensemble de la haute fonction publique !
Il s’agit de raisonner, désormais, sur la base des métiers et des fonctions.
Aujourd’hui, dans la logique de corps, vous avancez à l’ancienneté. De préfet du Gers, vous passez préfet de l’Isère, puis de la Seine-Saint-Denis. C’est comme cela.
Or l’intérêt de l’État employeur serait de dire : « En ce moment, il y a de graves problèmes en Guyane : il est absolument nécessaire d’y affecter telle personne, qui a le grade de préfet de région, eu égard à la situation sanitaire et économique de ce territoire. » Mais la GRH actuelle ne le permet pas : on considérerait que l’intéressé rétrograde, car on adopte une approche statutaire.
Bien entendu nous allons conserver les préfets et les sous-préfets : la République a besoin d’eux. Mais nous allons améliorer leur gestion…
Mme Sophie Primas. Pas du tout convaincant !
M. Jean Castex, Premier ministre. Surtout – c’est la vraie question, je l’ai déjà dit ici –, nous allons renforcer leurs moyens d’action et leur autorité, car l’État s’est démembré sur le plan territorial. C’est ce que nous allons faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
réforme de la haute fonction publique (i)
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Jean Hingray. « M. le sous-préfet est en tournée. Cocher devant, laquais derrière, la calèche de la sous-préfecture l’emporte majestueusement au concours régional de la Combe-aux-Fées. […] Sur ses genoux repose une grande serviette en chagrin gaufré qu’il regarde tristement. »
Et si M. le sous-préfet regarde si tristement sa serviette, c’est parce qu’il sait qu’il va être la victime collatérale de la crise des gilets jaunes et des errements de l’administration pendant la période du covid. (Sourires sur plusieurs travées.)
Victime par ricochet, M. le sous-préfet est d’autant plus triste après vos dernières annonces, monsieur le Premier ministre. Comme nous, vous avez certainement lu la lettre d’Alphonse Daudet avec beaucoup de plaisir. Vous vous souvenez qu’emporté par sa passion le sous-préfet faisait des vers. Je ne suis pas sûr qu’il s’en contente après votre réforme : faute de statut, il ira pantoufler, il entrera dans le grand mercato des hauts cadres dirigeants. (M. le Premier ministre manifeste son exaspération.)
Peu à peu, l’État sera vidé de son armature et privé de la stabilité qui fait sa marque : ou alors il faudra que nous acceptions une haute fonction publique qui succombe aux chants des sirènes, ceux sonnants et trébuchants de rémunérations comparables à celles du privé. (M. le Premier ministre lève les yeux au ciel.)
Sont-ce les prémices d’un système des dépouilles à la française ? Est-ce ainsi que vous voulez dessiner la France ?
Le problème, ce n’est pas la qualité du corps préfectoral : c’est ce que l’on attend de lui comme serviteur d’un territoire ; c’est le cadre qu’on lui offre pour accomplir sa mission.
Monsieur le Premier ministre, la France n’a-t-elle pas besoin du corps préfectoral, à l’heure où le monde rural souffre ?
La France n’a-t-elle pas besoin d’un système qui a montré toute son efficacité depuis deux cents ans ?
La France n’a-t-elle pas besoin d’une école aussi prestigieuse que l’ENA pour étendre son influence à l’international ? (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Monsieur le sénateur, ce matin en conseil des ministres, j’ai effectivement présenté une ordonnance qui réforme l’encadrement supérieur de l’État.
Vous le savez, il s’agit non pas d’une réforme de l’ENA, mais bien d’une réforme de l’État. À cet égard, je tiens à rappeler certaines vérités : depuis quelques quinquennats, cette réforme s’est soldée par l’affaiblissement de l’État.
Ici, dans les rangs de la droite,…
Mme Laurence Rossignol. Dont vous venez !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … certains ont défendu la révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Avec vous !
M. Roger Karoutchi. Où étiez-vous à ce moment-là ? Avec nous, dans les cabinets ministériels !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Qu’ont-ils fait ? Ils ont vidé les préfectures et les sous-préfectures. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.) Ils ont affaibli de 30 % l’armature des forces vives qui s’occupent réellement des Français là où ils sont.
Cette réforme n’a pas été comblée par la gauche, je vous rassure… (Exclamations à gauche.)
Aujourd’hui, notre gouvernement ne suit pas une approche comptable : il cherche à remettre sur le terrain des hommes et des femmes compétents, choisis parce qu’ils ont du métier, parce qu’ils ont reçu une formation et parce qu’ils répondent aux besoins des Français. (M. Édouard Courtial proteste.)
Comme en 1945, nous regardons notre pays en face. Nous regardons ses faiblesses, ses forces et ses défis.
Le monde a changé depuis 1945. Qu’il s’agisse des technologies, notamment du numérique, ou du climat, nous devons former autrement et recruter autrement.
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, le spoil system que certains décrivent ne correspond pas à nos valeurs et, pour ma part, en tant que ministre de la fonction publique, j’assume le choix de remettre des fonctionnaires et des hauts fonctionnaires sur le terrain.
Je suis la première ministre de la fonction publique depuis quinze ans à avoir remis des hauts fonctionnaires dans les départements : ces hommes et ces femmes, ce sont les sous-préfets à la relance, que vous avez d’ailleurs critiqués ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
J’assume aussi de défendre le statut de la fonction publique. J’entends d’anciens ministres, notamment certains de mes prédécesseurs de droite,…
Mme Sophie Primas. Mais d’où venez-vous ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … appeler à bazarder tout simplement le statut de la fonction publique.
M. Roger Karoutchi. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. « Plus de statut, rien que des contrats ! » Cette politique n’est pas la nôtre.
Enfin, j’assume notre choix face aux logiques de corps : préférer systématiquement les compétences, les métiers et les personnes ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Pierre Louault et Bernard Fialaire applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.
M. Jean Hingray. Madame la ministre, je pensais que votre réforme avait été construite sans la participation des énarques : mais M. Longuet nous a rappelé que le Premier ministre était l’un d’eux. Raison de plus pour défendre l’ENA et le corps préfectoral ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Décidément, le courant ne passe plus entre les usagers et les compteurs Linky. Depuis leur déploiement à marche forcée, de réelles résistances se sont exprimées et, aujourd’hui, les usagers apprennent qu’ils devraient finalement rembourser les compteurs Linky !
Puisque le projet Hercule, renommé grand EDF, prévoit la privatisation du gestionnaire de réseaux Enedis, ces compteurs pourraient permettre d’effacer, voire de couper l’électricité à distance. Or il faut au contraire réaffirmer la mission de ce grand service public.
Soyons clairs. En 2011, le ministre Besson nous disait : « Linky sera gratuit. » En 2018, le ministère de l’écologie confirmait cette gratuité. Depuis, le Gouvernement n’a eu de cesse de le répéter, il n’y aura pas d’augmentation de la facture liée à Linky : gratuité de l’installation et pas d’augmentation des taxes ni du tarif de l’électricité.
Pourtant, il semble bien que les usagers et les collectivités territoriales, dont les factures ont flambé de 50 % en dix ans, pourraient encore débourser près de 130 euros par compteur. Si l’on ajoute que la durée de vie des compteurs n’est que de vingt ans, il faudra remettre la main à la poche sous peu.
Enfin, malgré les démentis d’Enedis, le Turpe 6, c’est-à-dire les taxes incluses dans les factures, augmentera bien au 1er août prochain.
Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : allez-vous respecter les engagements pris auprès de nos concitoyens d’une gratuité totale, sans entourloupe, des compteurs Linky ? Surtout, allez-vous enfin être plus transparents au sujet des coûts réels que devront supporter les usagers ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Apourceau-Poly, vous vous interrogez au sujet d’une supposée affirmation, relayée par la presse, relative à une augmentation des factures d’électricité liée au remboursement de l’installation des compteurs Linky.
Je vous le confirme : cette installation a eu un coût, que la Cour des comptes, dans son rapport, estime à 130 euros par compteur.
Ce coût d’investissement est et sera directement et intégralement assumé par Enedis. L’entreprise en assurera le recouvrement par des économies d’exploitation dans les prochaines années, grâce à un réseau plus moderne et plus flexible. Ces économies bénéficieront à la fois au réseau et aux consommateurs. (M. Fabien Gay proteste.)
Il n’y aura donc pas, comme certains ont pu l’avancer, d’augmentation de 15 euros ou d’un autre montant sur la facture annuelle d’électricité pour rembourser l’installation de ces compteurs.
Mme Éliane Assassi. Ah oui ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Au-delà des économies d’énergie, le compteur Linky permet des économies sur les budgets des ménages grâce à une meilleure maîtrise des consommations personnelles.
Cette offre participe à la fourniture de contrats plus adaptés à nos consommations…
M. Fabien Gay. La seule formule, c’est le tarif réglementé !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Elle apporte un meilleur regard, qu’il s’agisse de la détection des appareils énergivores ou des améliorations de la performance énergétique : ce faisant – j’y insiste –, elle permet à la fois d’économiser des ressources et de réduire le budget énergétique. Les fonctionnalités de Linky permettent des gains sur la facture d’électricité.
Le déploiement de ces compteurs est suivi de très près par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui a elle-même veillé au bon fonctionnement de ce marché et à sa cohérence avec nos objectifs de politique énergétique.
Je le répète, il n’y aura pas d’augmentation pour les consommateurs. La CRE l’a une nouvelle fois souligné : les économies associées au déploiement du compteur Linky compensent les coûts d’investissement. Comme vous, nous comparerons attentivement les factures…
M. Fabien Gay. Cela fait dix ans que l’on compare !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. … et je suis sûre que nous pourrons collectivement nous réjouir du bon fonctionnement de ces compteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la secrétaire d’État, vos arguments ne sont absolument pas convaincants.
Il faut des actes forts et le premier d’entre eux doit être de renoncer à la privatisation d’Enedis et au projet Hercule, devenu grand EDF : le nom change, mais pas votre volonté de casser cette entreprise.
Aujourd’hui, il faut résister aux injonctions européennes, dont les compteurs Linky donnent un avant-goût libéral bien amer ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
conférence du médicament et souveraineté en matière de santé
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Ma question porte sur le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) qui se tiendra à la fin du mois de juin.
Lors du dernier CSIS, en 2018, le Premier ministre de l’époque s’était engagé à redonner à la France l’une des premières places en matière d’innovation, tout en relevant qu’elle avait perdu ce rang au fil du temps.
Certes, des engagements ont été tenus, mais des freins demeurent. Je pense bien sûr au problème de l’innovation. Je songe également à l’enjeu de notre souveraineté en matière de médicaments, notamment pour les médicaments matures.
Monsieur le secrétaire d’État, notre commission des affaires sociales a lancé une mission flash pré-CSIS, dont Véronique Guillotin et Annie Delmont-Koropoulis sont les rapporteures. Elles remettront leurs conclusions avant le CSIS.
Néanmoins, nous souhaitons savoir dans quel état d’esprit vous abordez ce CSIS, notamment à l’aune de la crise sanitaire.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame Deroche, vous connaissez bien ces sujets. Vous connaissez aussi le rôle du Conseil stratégique des industries de santé, instance de dialogue créée en 2004 et placée sous l’égide du Premier ministre et du Président de la République.
Le Gouvernement est particulièrement attaché à ce lieu de concertation et d’échange. En effet, le dialogue qui s’y tient a toujours permis aux pouvoirs publics de mieux comprendre les contraintes, les enjeux et les ambitions de l’industrie des produits de santé. En parallèle, cela permet aux industriels de percevoir les exigences des différentes politiques publiques que nous menons. C’est cette compréhension mutuelle qui fait la force d’un tel exercice et, plus largement, de notre système de santé.
Dans le contexte global d’aggravation des tensions d’approvisionnement auquel nous avons été confrontés, la crise sanitaire a mis en exergue la nécessité de garantir la sécurité sanitaire de la France et, donc, de se doter d’outils pour assurer, sur le territoire, l’accès aux traitements dont les patients ont besoin. Le CSIS y participe pleinement.
Ce dernier a pour ambition de consolider la place de la France comme nation innovante et souveraine en santé. Dans cette perspective, cinq axes stratégiques ont été fixés. Je vous les rappelle : assurer une recherche fondamentale d’excellence et interdisciplinaire ; catalyser l’innovation en aidant les jeunes entreprises innovantes ; faciliter l’accès aux marchés des produits innovants ; soutenir l’industrialisation des produits, voire leur relocalisation – c’est un sujet que nous avons beaucoup évoqué ces derniers mois ; enfin, développer et faire émerger les formations nécessaires à disposer des compétences.
L’objectif est toujours le même : offrir aux patients un meilleur traitement et leur en garantir un accès dans la durée.
Vous le savez probablement : un travail a été mené par cinq personnalités qualifiées sur ces cinq axes. Il approche de son terme et des annonces pourraient être faites d’ici à l’été. Le ministre des solidarités et de la santé a conscience des attentes que ces travaux ont suscitées.
La politique industrielle et l’innovation au service du patient ont trop souvent été opposées dans notre pays. Cette vision n’est pas la nôtre. Nous souhaitons une industrie forte, une industrie créatrice de valeur pour les patients et le système de santé français, et je sais que ce souhait fait l’objet d’un large consensus. En effet, il participe non seulement à une meilleure sécurité sanitaire de notre pays, mais aussi à la souveraineté, que vous évoquez dans votre question et à laquelle nous sommes tous attachés !
M. Pierre Charon. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez effectivement fixé des objectifs, que nous faisons nôtres. Nous attendons à présent de connaître les annonces du CSIS et de voir comment elles se traduiront dans les faits.
En effet, les attentes sont nombreuses, qu’il s’agisse de l’écosystème de la recherche dans son ensemble, du développement des filières ou des essais cliniques précoces, notamment avec le point très particulier des comités de protection des personnes (CPP). Je n’oublie pas non plus la réforme de l’évaluation, que l’on attend toujours, et les questions de financement.
La stratégie industrielle est un enjeu majeur, mais elle est pour ainsi dire inexistante dans ce domaine actuellement.
Aussi, notre commission surveillera les suites données au CSIS comme le lait sur le feu ! Nous verrons comment elles se traduiront dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou dans les propositions de loi que nous avons déposées au sujet de la médecine personnalisée et des CPP.
Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le président Larcher a fixé, pour nos travaux, l’axe de la stratégie européenne en matière de santé et de recherche. Il faut faire confiance à nos chercheurs, à nos industriels et à nos thérapeutes : il faut les aider et non pas les freiner. Il faut savoir faire des paris et prendre des risques. J’espère que vous saurez tenir compte des enseignements de la crise sanitaire et procéder à un vrai retour d’expérience ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
réforme de la haute fonction publique (ii)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame Amélie de Montchalin, vous engagez-vous, au nom du Gouvernement, à ce que l’ordonnance relative à la haute fonction publique adoptée ce matin donne lieu à une ratification explicite, au terme d’un vrai débat parlementaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Dites oui ! (Sourires.)
Plusieurs sénateurs Les Républicains. Bon courage !
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Monsieur le sénateur, vous le savez : pour qu’une ordonnance soit prise, il faut que le Parlement ait habilité le Gouvernement à le faire.
M. Roger Karoutchi. Il s’agit de la ratification !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En la matière, l’article 59 de la loi d’août 2019 a habilité le Gouvernement à présenter avant le 7 juin 2021 une ordonnance (Murmures désapprobateurs sur plusieurs travées.), qui doit être déposée sur le bureau des assemblées d’ici au 7 septembre prochain. Ensuite, en vertu des prérogatives du Gouvernement et en concertation avec les présidences de l’Assemblée nationale et du Sénat, la définition de l’ordre du jour posera le cas de la ratification.
J’ajoute qu’il ne s’agit pas d’une réforme de suppression ou de destruction et que ce chantier est mené au grand jour, sans agenda caché. (Protestations sur les travées du groupe SER.) Il est le fruit d’un long travail, entrepris par la droite comme par la gauche. Mais, si les discussions ont été nombreuses, notamment dans cette assemblée, elles ont rarement abouti.
M. Bruno Sido. Ce n’est pas la question !
M. David Assouline. On veut débattre !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous sommes tout à fait prêts au débat. D’ailleurs, j’ai fait savoir aux commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat que je me tenais à leur disposition : vous étiez vous-même présent à mon audition de la semaine dernière, qui s’est tenue sur ma demande.
Notre réforme est là pour que nous puissions regarder trois faiblesses. (MM. David Assouline et Jean-Pierre Sueur s’exclament.)
Il n’est en aucun cas question d’insuffisance des hommes ou des femmes, de grande qualité, qui se sont battus et qui ont fait que l’État tient.
Ces faiblesses sont la diversité, l’ouverture et la proximité. Rappelons quand même que 90 % des hauts fonctionnaires travaillent à l’intérieur du périphérique, alors que 90 % des fonctionnaires sont, eux, en dehors de Paris.
On constate également un déficit d’efficacité. Je pense au numérique ; je pense également au climat : qui pense aujourd’hui que cet enjeu relève de la seule responsabilité du ministère de la transition écologique ?
Il nous faut donc former différemment, recruter différemment et gérer les carrières différemment, au grand jour. Il faut le faire pour les Français. En effet, les hauts fonctionnaires n’appartiennent à personne, à aucun parti politique. Ils appartiennent à l’État et donc à la Nation tout entière ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot, MM. Jean-Paul Prince et Pierre Louault applaudissent également. – Protestations sur plusieurs travées à droite et à gauche.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, vous savez bien que vous n’avez pas répondu à la question simple et précise que j’ai posée.
M. Pierre Charon. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous n’ignorez pas non plus la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020.
Nous sommes face à une mise en cause de l’État républicain, tel qu’il a été conçu par Jean Zay, par le général de Gaulle, par Michel Debré, par Pierre Mendès France, et nous n’avons aucune garantie que le débat revienne devant le Sénat et devant l’Assemblée nationale.
Il est inconcevable que l’on fasse cela sans que le Parlement puisse s’exprimer : ce n’est pas acceptable !
Sur ce papier, j’ai écrit un seul mot, car je ne veux pas me tromper : fonctionnalisation ! Quel enrichissement de la langue française ! (Rires et exclamations ironiques.) Nous allons avoir des préfets fonctionnalisés ; des diplomates fonctionnalisés…
M. Jean-Pierre Sueur. … – je le souligne, même si M. Le Drian est parti ; des corps d’inspection qui n’auront plus l’indépendance nécessaire pour exercer leurs missions.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, tout cela n’est pas sérieux : ce n’est pas conforme à l’esprit républicain ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et UC.)
lutte contre les violences à l’encontre des élus
M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Édouard Courtial. Ma question s’adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Chaque jour apporte son lot de violence : celle-ci est dorénavant partout, aucun territoire n’est épargné. Elle touche tous les citoyens et – c’est nouveau – cible plus particulièrement ceux qui représentent l’autorité. C’est le cas des élus locaux, au premier rang desquels les maires, victimes de violences verbales et de plus en plus souvent physiques, comme il y a quelques jours encore en Côte-d’Or.
Nous ne le dirons jamais assez : agresser un maire ou, plus largement, un élu, c’est attaquer la République.
Ceux qui sont au service des autres deviennent donc une cible. Cette banalisation et cette impunité sont intolérables. Pour nos concitoyens, la lassitude le dispute à l’impuissance, car l’État semble avoir perdu le contrôle de la situation.
Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, les coups et blessures volontaires ont augmenté de près de 20 % malgré le confinement : ce bilan est sans appel.
Pour mettre fin à cette spirale dangereuse, il n’y a qu’une seule réponse possible – vous le savez tous –, c’est la fermeté. Or lorsqu’on regarde ce qu’il est advenu des agresseurs d’élus, nous sommes loin du compte, et c’est révoltant !
Dans l’Isère, un maire frappé au visage et brûlé à une main a vu ses agresseurs condamnés à une peine de prison avec sursis et à quelques travaux d’intérêt général ; dans les Yvelines, un maire dont l’agression s’est traduite par cinq jours d’incapacité totale de travail (ITT) a vu ses agresseurs condamnés à 200 et 300 euros d’amende ; dans le Pas-de-Calais, un maire agressé violemment et hospitalisé a vu ses trois agresseurs écoper d’un avertissement solennel et d’une peine assortie d’un sursis.
Mme Catherine Procaccia. Scandaleux !
M. Édouard Courtial. Monsieur le garde des sceaux, pensez-vous que ces peines qui évitent toute incarcération soient à la hauteur de la gravité des délits commis ? Pensez-vous que c’est ainsi que nous protégerons vraiment nos élus ? Il y a d’un côté les beaux discours et, de l’autre, la triste réalité ; d’un côté l’intransigeance de façade et, de l’autre, la complaisance coupable.
Monsieur le garde des sceaux, vous vous indignez, vous rendez hommage, mais je vous le dis, pour les maires, ce n’est plus suffisant. Ne pensez-vous pas qu’il est temps d’abroger les lois et les circulaires Belloubet qui font tout pour éviter la prison, c’est-à-dire une vraie peine, aux voyous ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Pour reprendre un mot qui a été utilisé dans cette enceinte il y a de cela quelques semaines, je devrais avoir « honte », monsieur le sénateur ? Il est vrai que lorsque vous étiez au pouvoir, vous avez réglé toutes ces questions de délinquance ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Permettez-moi un aparté : depuis une trentaine d’années, nous déplorons environ 1 000 crimes de sang par an dans notre pays peuplé de 65 millions d’habitants.
Mme Sophie Primas. Donc tout irait bien ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Allez donc voir ce qui se passe à l’étranger ! Avec trois crimes de sang par jour, le filon est inépuisable pour vous. Vous pouvez considérer la justice au seul prisme d’une analyse « fait-diversière ». La question est : qu’avez-vous fait et que proposez-vous ?
S’agissant des élus, je vais vous répondre.
M. Édouard Courtial. Ah oui !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Eh oui. Nous avons fait beaucoup de choses, voyez-vous. Dès le 7 septembre 2020, en concertation avec les associations d’élus – certains d’entre vous le savent –, j’ai signé des instructions claires et précises.
Savez-vous que, entre 2019 et 2020, nous avons doublé le nombre de condamnations dans ce champ infractionnel ? Savez-vous que le taux d’incarcération, en hausse de près de dix points en 2020, s’élevait à 62 % ? Via une circulaire du 15 décembre 2020, j’ai demandé la mise en œuvre de la justice de proximité que nous avons instituée, et j’ai encouragé un dialogue avec les élus locaux.
Dans votre département – vous devez le savoir, monsieur le sénateur –, les parquets de Beauvais, de Senlis et de Compiègne ont mis en place un certain nombre de dispositifs qui n’existaient pas, notamment un référent au parquet qui est à la disposition des élus. Allez donc les rencontrer !
Un protocole entre les maires et les parquets a déjà été signé par près de soixante communes de votre département, et des réunions régulières ont lieu avec les maires.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ce n’est pas vrai !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Comme je l’avais indiqué à Mme Gatel, j’ai créé un dispositif qui n’existait pas : j’ai demandé le mois dernier que, via les services judiciaires, nous obtenions une remontée semestrielle des violences. Les parquets que j’évoquais tout à l’heure, comme tous les parquets de France, demandent aux forces de l’ordre d’être immédiatement informés pour pouvoir sanctionner. (Marques d’impatiences sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’ai terminé, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Alain Cazabonne applaudit également.)
nouvelle stratégie nationale pour un « cloud » de confiance
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Au moment où un nouveau scandale éclate sur l’espionnage de dirigeants européens par la National Security Agency (NSA), ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, et porte sur les incohérences du Gouvernement vis-à-vis des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), qui sont aussi le bras armé de la puissance américaine en Europe.
La protection des données de santé des Français reste, à cet égard, notre préoccupation première.
En juillet dernier, dans cet hémicycle, je m’étonnais que ce soit Microsoft qui ait été chargé d’héberger la plateforme des données de santé, et ce sans appel d’offres spécifique. Le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques me répondait alors, au mépris des acteurs technologiques européens, que c’était « la meilleure et la seule société ».
Le président de Dassault Systèmes s’en était ému. Il avait rappelé à Emmanuel Macron que lui-même avait acquis une des plus importantes sociétés mondiales de traitement de données de santé, Medidata, et qu’il n’avait même pas été approché !
On a, depuis lors, découvert que plusieurs millions de serveurs de Microsoft, prétendument incontournables, ont été espionnés par la Chine partout sur la planète pendant des mois.
Comme l’a révélé Élise Lucet, l’architecture de la plateforme a, par ailleurs, été conçue par le responsable du plus gros revendeur de données médicales au monde : la société américaine IQVIA.
Que penser, dès lors, de votre annonce, le 17 mai dernier, d’une nouvelle stratégie pour un cloud dit « de confiance », incitant des sociétés françaises à utiliser les technologies des Gafam pour traiter nos données les plus sensibles ? Vous conférez ainsi un blanc-seing à Microsoft ou à Google pour entrer dans le saint des saints de nos administrations, au moment même où la Commission européenne lance une enquête sur l’usage d’Amazon et de Microsoft par les institutions européennes.
Assumez-vous vraiment ces choix qui mettent encore plus en péril notre sécurité et qui, surtout, torpillent nos propres entreprises ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice Morin-Desailly. Oui, le cloud est partout, il est devenu un outil incontournable pour héberger et traiter les données des entreprises, des administrations et des citoyens.
Cet essor du cloud est une opportunité pour la France et pour l’Europe ; il représente aussi des risques, qu’ils soient relatifs à l’intégrité des données, à la multiplication des cyberattaques – nous l’évoquions la semaine dernière –, ou aux menaces que représentent les législations extraterritoriales donnant accès à nos données aux États étrangers, par exemple.
Pour répondre rapidement à ces enjeux, le Gouvernement a élaboré une stratégie claire reposant sur trois piliers.
Le premier est le label « cloud de confiance », qui rend possible de nouvelles combinaisons, comme la création d’entreprises alliant actionnariat européen et technologie étrangère sous licence, et permettra aux entreprises et aux administrations françaises de bénéficier des meilleurs services offerts par le cloud, tout en garantissant la meilleure protection de leurs données.
Le deuxième est la politique « cloud au centre », portée par la ministre Amélie de Montchalin au cœur de l’administration pour accélérer résolument la transformation numérique dans la manipulation de données sensibles. Celles-ci devront impérativement être hébergées sur le cloud interne de l’État ou sur un cloud industriel validé par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi).
Le troisième pilier, enfin, est une stratégie industrielle ambitieuse inscrite dans le quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA) sous l’égide de France Relance. Cette stratégie permettra d’asseoir la souveraineté française et européenne en la matière.
Sur le sujet précis du Health Data Hub que vous mentionnez, madame la sénatrice, sachez que, dans les délais annoncés par Olivier Véran, c’est-à-dire au plus tard fin 2022, nous vous apportons la garantie que la migration vers un cloud de confiance labellisé sera réalisée.
Telles sont les priorités de la politique de cloud du Gouvernement. Soyez assurée que Bruno Le Maire, mais aussi Amélie de Montchalin, Cédric O et l’ensemble du Gouvernement sont pleinement mobilisés sur le sujet du Health Data Hub. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la secrétaire d’État, je regrette vraiment cette complaisance dangereuse vis-à-vis de sociétés qui prétendent créer des technologies protectrices en accordant de coûteuses licences à des acteurs européens pour des offres de cloud « made in Europe ».
Soyons lucides, ces technologies ne seront en aucun cas protectrices vis-à-vis de la loi FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act), laquelle permet aux services de renseignement américains d’obtenir secrètement les données traitées par des sociétés américaines, où qu’elles soient. C’est d’ailleurs cette loi qui a justifié l’annulation de l’accord transatlantique de transfert de données personnelles par la Cour de justice de l’Union européenne.
Contrairement à ce qu’a affirmé Cédric O, cette stratégie à contretemps ne permettra donc pas de répondre réellement aux enjeux de souveraineté numérique. Hélas, mes chers collègues, force est de constater que la « gafamisation » de l’État est en marche. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
modalités de procuration de vote
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Procaccia. Ma question concerne les difficultés que rencontrent les habitants de plusieurs communes de mon département pour établir des procurations en vue des élections de juin.
Jusqu’à présent, dans les villes où il n’y avait ni poste de police nationale ni tribunal d’instance, il suffisait de se rendre au poste de police municipale, les jours où la police nationale y assurait ses permanences, pour faire enregistrer une procuration. Il en a toujours été ainsi, en particulier à Villeneuve-le-Roi et à Ablon-sur-Seine.
Aujourd’hui, toutefois, la police refuse de pratiquer ces enregistrements au motif qu’elle n’en aurait plus le droit. Contactée, la préfecture, qui a défini les lieux d’enregistrement des procurations l’an dernier, indique qu’elle a reçu par circulaire la consigne stricte de ne pas permettre le dépôt de procurations dans les postes de police municipale.
Pourtant, le décret du 1er juin 2020 dispose bien que les électeurs peuvent faire établir des procurations dans un lieu recevant le public autre que le commissariat ou le tribunal d’instance. Pourquoi interdire aux policiers municipaux d’exercer cette fonction ?
Madame la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, comment pouvez-vous déclarer inciter les Français à voter, et, en même temps, supprimer cette possibilité dans des lieux où tout se déroulait bien ? Auriez-vous un peu peur, à l’image d’un ancien président des États-Unis, que trop de procurations soient défavorables à vos candidats ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
Mme Catherine Procaccia. Ma question est double. Pourquoi est-ce interdit ? Par ailleurs, comptez-vous revenir sur l’arrêté de la préfecture du Val-de-Marne, et sur ceux d’autres départements, qui interdisent l’enregistrement de procurations dans ces locaux, auparavant utilisés à cette fin ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Catherine Procaccia, pour répondre à la fin de votre question, nous n’avons peur de rien, et certainement pas de la démocratie, bien au contraire ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons débattu, au sein de cet hémicycle, pour fixer les dates des prochaines élections. Celles-ci se tiendront les 20 et 27 juin, dans un contexte pandémique particulier que chacun connaît. Nous avons enrichi ensemble le projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux et régionaux pour faire en sorte que les mesures sanitaires soient appliquées.
M. Vincent Éblé. Quel est le rapport ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. La politique du Gouvernement vise à mettre en place les conditions de la plus grande participation possible, notamment par la e-procuration.
M. Vincent Éblé. Et en diffusant de la propagande avant l’ouverture officielle de la campagne électorale, vous facilitez les choses ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Votre collègue m’a posé une question, monsieur le sénateur. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais lui répondre.
M. le président. Poursuivez !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. J’en viens au sujet plus précis sur lequel vous m’avez interrogée. Les policiers nationaux en permanence occasionnelle dans les services de police municipale n’enregistrent pas les procurations. Cela s’inscrit dans une démarche constante qui va dans le sens d’un allégement de la charge des agents. En effet, dans le contexte sanitaire que chacun connaît, nous souhaitons que les agents de la police nationale puissent se recentrer sur leur métier. Tel est le sens de cette consigne.
Pour autant, nous ne réduisons pas le périmètre des lieux où les procurations peuvent être enregistrées. Je veux le dire très clairement : les commissariats de police nationale demeurent disponibles pour faire valider des documents dans le cadre d’une procédure qui allège cette charge.
S’agissant des personnes qui ont des raisons objectives de ne pas pouvoir se déplacer, telles que la maladie ou un handicap, les services de police continuent, partout sur le territoire, d’assurer la prestation de déplacement à domicile.
Enfin, le site maprocuration.gouv.fr permet à chacun d’effectuer la majeure partie des démarches en ligne pour réduire les délais d’attente dans les commissariats.
Je remercie, à cette occasion, l’ensemble des élus et des électeurs qui se mobilisent à chaque scrutin pour tenir les bureaux de vote et qui participent ensuite au dépouillement. Ils font vivre la démocratie ; c’est un rôle essentiel.
Soyez assurée, madame la sénatrice, de la détermination du Gouvernement aux côtés des élus, des assesseurs, des bénévoles et des électeurs pour faire en sorte que ces élections se tiennent dans les meilleures conditions possible et avec la plus grande participation possible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Vous affirmez vouloir favoriser la participation, et en même temps vous supprimez, de fait, un certain nombre de lieux d’enregistrement des procurations. Vous proposez une loi visant à développer les polices municipales, et en même temps vous interdisez dorénavant à la police nationale qui exerce dans les locaux de ces dernières de faire son métier. Vous affirmez vouloir lutter pour le climat et, en même temps, vous obligez les gens à prendre leur voiture pour se déplacer.
À mes yeux, ce quinquennat multiplie les incohérences du « en même temps » pour ne faire que de la communication. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
projet hercule
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Jacques Michau. L’annonce soudaine, en mai dernier, du report de la réorganisation d’EDF, dite « projet Hercule », est venue siffler la fin de la partie d’une affaire bien mal engagée.
Entre menace de privatisation, démantèlement de ce géant de l’électricité et désarroi des salariés, ce plan aura finalement fait long feu. Tant mieux !
Aujourd’hui encore, nous n’avons aucune information sur les raisons qui ont conduit à l’échec de ces négociations avec Bruxelles. Quels sont les points d’achoppement ? Quelles contraintes n’ont pu être levées ? Nous n’en savons rien.
Ce manque de transparence, auquel vous nous habituez, pose un véritable problème démocratique. Beaucoup se demandent d’ailleurs s’il ne s’agit pas là d’une de vos habiletés pour permettre au chef de l’État d’enjamber l’élection présidentielle sans subir les contrecoups d’une réforme très contestée.
La France possède, avec EDF, l’un des plus grands groupes énergétiques européens intégrés et le premier opérateur nucléaire au monde. Pourtant, ce géant public ne cesse de pâtir de choix désastreux réalisés dans le passé ; des décisions qui, sous prétexte d’ouverture des marchés, ont conduit EDF à vendre à perte à ses concurrents, au rang desquels de grands groupes énergétiques, l’électricité qu’il produit.
De plus, comme l’admettait il y a peu M. le ministre Bruno Le Maire, une telle réforme ne peut se faire contre le corps social d’une entreprise.
Cette scission porterait un coup fatal à notre grand opérateur public, qui a pourtant un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique face à l’urgence climatique et qui, dès lors, devrait être conforté.
À nouveau, le chemin que dessine le Gouvernement est trop flou et ne répond pas, pour l’heure, aux interrogations de fond qui se posent pour le groupe.
Madame la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, pouvez-vous nous confirmer qu’EDF restera bien un groupe intégré non soumis au morcellement ? Comment sortir de l’impasse de l’endettement pour sécuriser le nucléaire et continuer à investir dans les énergies renouvelables ? Quid de la préservation du parc hydroélectrique français, si cher à nos territoires ?
Il est grand temps de nous donner une feuille de route claire et un calendrier précis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Michau, votre question porte sur le projet industriel stratégique d’EDF et son rôle clé dans la transition énergétique, mais aussi sur la transparence du Gouvernement sur ce dossier très important.
Vous le savez, le Gouvernement, en lien étroit avec EDF, a engagé des discussions avec la Commission européenne pour mettre en œuvre une réforme ambitieuse de cette entreprise stratégique. Nous sommes de votre avis : c’est parce qu’EDF est un très grand groupe et que nous entendons le pérenniser et le rendre plus fort que nous souhaitons mettre en œuvre une réforme ambitieuse, laquelle doit sécuriser EDF sur le long terme. Nous sommes encore, à cette heure, en pleine négociation.
Cette réforme doit aussi sécuriser la place que nous donnons au nucléaire dans le mix énergétique. Ceci emporte la reconnaissance que l’activité nucléaire n’est pas une activité comme les autres et justifie la mise en œuvre d’une régulation.
Cette réforme doit, enfin, ancrer durablement EDF comme entreprise publique, mais aussi sécuriser les concessions hydroélectriques et garantir le statut des industries électriques et gazières, les IEG, ainsi que de leurs personnels.
Soyons très clairs. Premièrement, monsieur le sénateur Michau, cette réforme est nécessaire, dans l’intérêt du groupe EDF ; deuxièmement, le Gouvernement a une ligne rouge : le maintien, par cette réforme, d’un groupe EDF totalement intégré. Cela fait l’objet de discussions. En un mot, nous n’accepterons pas un accord qui conduirait à l’éclatement du groupe.
J’espère être aussi claire et transparente que possible et répondre ainsi à votre questionnement.
Des consultations sont également en cours avec les syndicats pour améliorer le projet et créer un consensus autour de cette réforme. Rien ne s’oppose à ce que le Parlement se saisisse du débat sur l’avenir d’EDF si ce projet aboutit. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Sophie Primas. Rien ne s’oppose ? C’est même obligatoire !
catastrophes naturelles et indemnisations
M. le président. La parole est à M. Jean Pierre Vogel, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Pierre Vogel. Ma question concerne le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, examiné aujourd’hui même en commission. Elle s’adressait à M. le ministre de l’intérieur, dont je regrette l’absence car il connaît bien les problématiques sur lesquelles elle porte pour les avoir rencontrées dans son département.
Ce projet de loi dit « Climat et résilience » représenterait, pour reprendre les termes de la ministre de la transition écologique, « un changement de société ».
En attendant, il faut bien constater l’omission d’un problème majeur, concret, grave, et pourtant lié au climat. En effet, ce texte ne contient pas un mot sur un phénomène qui touche de nombreux départements, dont la Sarthe : les sols argileux qui se rétractent après des épisodes récurrents de fortes précipitations suivis de sécheresse.
Les maires des communes concernées sont extrêmement isolés dans leurs démarches auprès des services de l’État pour obtenir la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Tenus par des délais contraints, ils ne savent pas pourquoi leur commune n’a pas été reconnue alors que la commune voisine l’a été, et ils sont impuissants à aider leurs administrés.
Rien non plus, dans ce texte prétendument de rupture, n’est indiqué au sujet du régime d’indemnisation des propriétaires dont les maisons fissurées les contraignent à déménager ou à supporter de coûteux travaux, quand ils en ont les moyens.
Je partage avec de nombreux collègues de toutes les travées de cet hémicycle mon grand étonnement de ne rien trouver sur ce sujet dans le projet de loi Climat.
Madame la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, pouvez-vous nous dire si le Gouvernement a enfin pris la mesure de la situation, en acceptant la réforme proposée par le Sénat ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Vogel, vous posez une question absolument fondamentale.
L’indemnisation des dégâts provoqués par les épisodes de sécheresse est aujourd’hui assurée par la garantie catastrophes naturelles. Sa mise en œuvre a conduit le Gouvernement à reconnaître 6 974 communes, soit une commune française sur cinq, en état de catastrophe naturelle au titre des épisodes de sécheresse géotechnique des années 2018 et 2019.
Cependant, la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle n’est prononcée que lorsque les épisodes de sécheresse géotechnique présentent une intensité anormale avérée au regard des critères hydrométéorologiques et géotechniques améliorés en 2019.
Un dispositif d’aide exceptionnel destiné aux particuliers qui habitent dans les communes non reconnues en état de catastrophe naturelle au titre de la sécheresse de 2018 a été adopté en loi de finances initiale pour 2020.
Au terme d’un travail gouvernemental approfondi, notamment sur la loi que vous avez évoquée, les modalités de mise en œuvre de ce dispositif, définies par décret, seront modifiées dans les tout prochains jours afin, notamment, d’assouplir les conditions de ressources des sinistrés pour permettre à ces derniers de bénéficier plus largement du dispositif, et d’élargir les dépenses éligibles au dispositif pour couvrir, par exemple, les frais d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou les mesures conservatoires réalisées dans l’urgence, souvent par les propriétaires.
Le Gouvernement a soutenu la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 28 janvier dernier, visant à réformer le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Ce texte prévoit des dispositions importantes qui permettront d’améliorer la prise en compte de ce phénomène.
Afin d’enrichir la réflexion des parlementaires sur ce sujet, le Gouvernement a missionné l’Inspection générale des finances et le Conseil général de l’environnement et du développement durable pour proposer des mesures concrètes d’amélioration de la prévention et de la prise en charge des dommages provoqués sur le bâti existant par la sécheresse géotechnique.
Les propositions de la mission nous permettront de nourrir le projet de réforme du régime de la garantie catastrophes naturelles de manière à couvrir l’ensemble des limites du dispositif actuel.
Comme vous, le Gouvernement est pleinement mobilisé sur ce sujet d’importance, qui dépasse les clivages ; il s’appuie sur le travail constant des préfets, en lien avec les maires confrontés aux effets concrets de ces phénomènes sur les territoires, notamment en Sarthe, comme vous l’avez mentionné. (M. Alain Richard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean Pierre Vogel, pour la réplique.
M. Jean Pierre Vogel. Madame la ministre déléguée, il n’est plus temps d’attendre les conclusions d’un rapport commandé par le Gouvernement à des inspecteurs d’administration, alors que tout a déjà été énoncé en 2019 dans le rapport de Nicole Bonnefoy et de Michel Vaspart.
La proposition de loi que vous évoquez, adoptée par l’Assemblée nationale le 28 janvier dernier, prévoit des dispositions très nettement insuffisantes au regard des enjeux ; le Gouvernement le sait bien.
Il est plus que temps de réformer un régime d’indemnisation des catastrophes naturelles dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est devenu largement obsolète.
Les nombreux propriétaires sinistrés et les maires concernés attendent de l’aide, des réponses concrètes et tangibles, et non des incantations ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
déconfinement et perspectives sanitaires pour l’été
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre Richer. J’associe à ma question Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales.
La période estivale qui arrive est propice aux échanges, aux rassemblements familiaux et amicaux, aux événements culturels et aux loisirs.
Quels moyens comptez-vous mettre en place, en termes de dépistage, pour assurer que l’été déconfiné se passera dans des conditions de vigilance optimale et éviter une quatrième vague à la rentrée ?
Allez-vous remobiliser les officines de pharmacie pour encourager, notamment, les autotests recommandés par la Haute Autorité de santé (HAS) pour des dépistages itératifs ?
Qu’en est-il de la capacité des entreprises et des collectivités à proposer des autotests ou des tests rapides à leurs collaborateurs ?
Par ailleurs, la rentrée scolaire doit être préparée. Peut-on espérer l’anticiper ?
Enfin, on annonce une baisse du nombre de doses de vaccins disponibles dans les territoires, par exemple des doses de Pfizer dans les Pays de la Loire, alors que les communes du littoral verront leur population croître fortement durant l’été. Cette baisse est-elle confirmée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice Marie-Pierre Richer, je crois percevoir dans votre question le vœu – que nous partageons tous – de laisser prochainement derrière nous cette crise sanitaire qui met notre pays à rude épreuve depuis plus d’un an.
Avec l’ensemble des acteurs du secteur sanitaire, le Gouvernement travaille évidemment pour que cette perspective se réalise.
Je me permets de partager avec la représentation nationale les chiffres récents, qui sont encourageants : moins de 10 000 nouveaux cas sont recensés en moyenne chaque jour, soit un niveau comparable à celui de la fin du deuxième confinement, et la pression hospitalière diminue nettement, puisque moins de 3 000 personnes sont actuellement admises dans les services de réanimation.
Nous ne sommes pas encore revenus à une situation normale, mais ces chiffres valident la stratégie du Gouvernement en matière de lutte contre l’épidémie.
Nous pouvons également nous satisfaire du succès de notre campagne de vaccination. Depuis qu’elle a commencé, plus de 26 millions de nos concitoyens ont reçu une première dose, soit, à ce jour, 50 % de la population majeure de notre pays. Le rythme quotidien oscille entre 500 000 et 700 000 injections, alors que la vaccination est désormais ouverte à tous les adultes, quel que soit leur état de santé.
Des annonces seront très prochainement faites par le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, sur les prochaines étapes de cette stratégie, notamment pour les semaines à venir et les mois estivaux.
Nous devons toutefois rester vigilants ; le porte-parole du Gouvernement le rappelait à la sortie du conseil des ministres. Dans certaines régions, le fameux « R » et le taux d’incidence ont augmenté ces derniers jours. Il faut continuer de respecter les gestes barrières et poursuivre la campagne de vaccination large et massive, notamment en direction des plus fragiles, comme la stratégie du Gouvernement le préconise depuis le début.
Nous y travaillons, en développant sur le territoire, une stratégie d’« aller vers » les populations les plus isolées et les plus fragiles.
Un conseil de défense sanitaire a eu lieu ce matin pour aborder la question de la vaccination des adolescents de plus de douze ans. Vous le savez probablement, l’Agence européenne des médicaments a donné son accord la semaine dernière à l’un des vaccins dans cette perspective. La Haute Autorité de santé rendra prochainement un rapport sur ce sujet, et le ministre de la santé et des solidarités aura bientôt l’occasion de s’exprimer sur cette question.
Enfin, les officines de pharmacie ont été des acteurs centraux jusqu’à présent et le demeureront dans les semaines à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre Richer. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de vos réponses, mais elles ignorent les trois quarts de mes questions, ce qui montre bien que les interrogations sont encore nombreuses.
Nos concitoyens et les professionnels pâtissent de ce manque de lisibilité, sinon de visibilité. Ces interrogations induisent des doutes, et donc de la méfiance, là où il faut, au contraire, de la confiance.
S’il est indéniable que l’accélération notable de la vaccination a permis une nette amélioration de la situation sanitaire – je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement de nos élus, sans lesquels les centres de vaccination n’auraient pas été efficients –, il ne faudrait pas que le déconfinement de cet été, que nous avons tous appelé de nos vœux, se termine mal.
Monsieur le secrétaire d’État, plus que jamais, les décisions doivent être soumises à une exigence de clarté pour être efficaces. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mercredi 9 juin 2021, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Conférence des présidents
M. le président. Mes chers collègues, les conclusions adoptées par la Conférence des Présidents, réunie ce jour, sont consultables sur le site du Sénat.
Conclusions de la conférence des présidents
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mercredi 2 juin 2021
À 16 h 30
- Débat sur le bilan de l’application des lois
• Présentation du rapport sur l’application des lois : 10 minutes
• Réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Débat interactif avec les présidents des commissions permanentes et le président de la commission des affaires européennes : 2 minutes maximum par président avec possibilité d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Débat interactif avec les groupes à raison d’un orateur par groupe : 2 minutes maximum par orateur avec possibilité d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Délai limite pour les inscriptions des auteurs de questions : mardi 1er juin à 15 heures
- Débat sur le Pacte vert européen (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 1er juin à 15 heures
Le soir
- Débat sur la reprise et la relance des activités culturelles (demande du groupe SER)
• Temps attribué au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 1er juin à 15 heures
Jeudi 3 juin 2021
À 9 h 30
- trente-cinq questions orales
Ordre d’appel des questions fixé par le Gouvernement.
• n° 1657 de M. Alain Cazabonne à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales
(Lutte contre les constructions illégales en zone naturelle)
• n° 1629 de M. Bruno Rojouan à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales
(Revitalisation des centres-villes)
• n° 1691 de M. Philippe Tabarot transmise à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville
(Reconstruction des vallées des Alpes-Maritimes après la tempête Alex)
• n° 1635 de Mme Pascale Gruny à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics
(Lisibilité de la réforme de la fiscalité locale sur l’avis d’imposition des contribuables)
• n° 1603 de M. Jean-Jacques Panunzi à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance
(Application du crédit d’impôt sur les investissements en Corse)
• n° 1640 de M. Serge Mérillou à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance
(Situation de la société Argicur)
• n° 1553 de Mme Cathy Apourceau-Poly transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics
(Présence postale dans les territoires)
• n° 1681 de Mme Dominique Estrosi Sassone à M. le secrétaire d’État auprès des ministres de l’économie, des finances et de la relance, et de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques
(Antenne 5G à Berre-les-Alpes)
• n° 1541 de Mme Élisabeth Doineau à Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques
(Participation des employeurs territoriaux à la prévoyance)
• n° 1587 de M. Jean-Jacques Michau à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports
(Reconduction du dispositif « vacances apprenantes »)
• n° 1609 de Mme Béatrice Gosselin à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports
(Fermeture des classes et diminution des heures de cours)
• n° 1664 de Mme Jacky Deromedi à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées
(Suite de la conférence nationale du handicap)
• n° 1628 de Mme Agnès Canayer à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie
(Hyper-fréquentation et sur-tourisme dans les petites communes)
• n° 1703 de M. Patrick Chaize à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation
(Prise en charge des conséquences pour les agriculteurs des foyers d’encéphalite à tiques)
• n° 1600 de Mme Hélène Conway-Mouret à M. le garde des sceaux, ministre de la justice
(Apaisement des conflits familiaux et rôle de l’avocat-médiateur)
• n° 1562 de M. Philippe Mouiller à M. le ministre des solidarités et de la santé
(Sort des derniers oubliés du Ségur de la santé)
• n° 1623 de M. Hugues Saury à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles
(Sécurité des enfants en famille d’accueil)
• n° 1593 de Mme Nicole Duranton à M. le ministre des solidarités et de la santé
(Vers une télémédecine interdépartementale pérenne)
• n° 1643 de M. Michel Canévet à M. le ministre des solidarités et de la santé
(Application du Ségur de la santé et suites de la mission sur les métiers de l’autonomie)
• n° 1659 de M. Jean-Luc Fichet à M. le ministre des solidarités et de la santé
(Accès aux traitements adaptés pour le cancer du sein triple négatif métastatique)
• n° 1695 de M. Fabien Gay à M. le ministre des solidarités et de la santé
(Accès aux soins en Seine-Saint-Denis et situation de l’hôpital de Montreuil)
• n° 1523 de M. Jean-Yves Roux à M. le ministre des solidarités et de la santé
(Conséquence des nouvelles sectorisations du service d’aide médicale urgente des Alpes de Haute-Provence)
• n° 1580 de Mme Nicole Bonnefoy à M. le ministre de l’intérieur
(Projet de reconstruction du commissariat de police de Cognac)
• n° 1705 de M. Didier Marie à M. le ministre de l’intérieur
(Effectifs supplémentaires de police)
• n° 1706 de M. Didier Rambaud à M. le ministre de l’intérieur
(Attribution d’une prime pour les secouristes des compagnies républicaines de sécurité en montagne)
• n° 1598 de M. Pascal Martin à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement
(Application de la loi relative à l’installation obligatoire des détecteurs de fumée dans les lieux d’habitation)
• n° 1663 de M. Jean-Baptiste Blanc à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement
(Loyers impayés)
• n° 1700 de M. Didier Mandelli transmise à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement
(Stationnement de caravanes sur des terrains classés)
• n° 1602 de Mme Sabine Drexler à Mme la ministre de la transition écologique
(Stocamine)
• n° 1606 de M. Jean-Marie Mizzon à Mme la ministre de la transition écologique
(Précisions quant à la réforme du code minier)
• n° 1624 de M. Vincent Segouin à Mme la ministre de la transition écologique
(Sauvegarde du patrimoine riparien)
• n° 1528 de Mme Monique de Marco à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports
(Déviation du Taillan-Médoc et risque de pollution de l’eau)
• n° 1613 de Mme Laurence Garnier à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports
(Aménagement de l’aéroport Nantes-Atlantique)
• n° 1674 de M. Jean-Pierre Decool à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports
(Rétrocession des ponts-routes aux communes par la SNCF)
• n° 1333 de M. Laurent Lafon à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports
(Traversée de Villecresnes)
À 14 h 30
- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, présentée par M. Vincent Delahaye, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 627, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 21 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 25 mai matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du Règlement : lundi 31 mai à 12 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 28 mai à 17 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 2 juin à 15 heures
- Débat sur la régulation des Gafam (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 2 juin à 15 heures
- Débat sur le thème : « Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives » (demande du groupe GEST)
• Temps attribué au groupe Écologiste - Solidarité et Territoires : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 2 juin à 15 heures
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 8 juin 2021
À 14 h 30 et le soir
- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021
• Intervention liminaire du Gouvernement
• 5 minutes attribuées respectivement à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des finances et à la commission des affaires européennes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 h 30
• Réponse du Gouvernement
• Conclusion par la commission des affaires européennes : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 7 juin à 15 heures
- Proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs, présentée par Mme Laure Darcos (procédure accélérée ; texte de la commission n° 663, 2020-2021 ; demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication avec une saisine pour avis de la commission des affaires économiques.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 28 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 2 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 7 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 8 juin après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 7 juin à 15 heures
Mercredi 9 juin 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 9 juin à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
- Proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, présentée par Mme Sylvie Robert (procédure accélérée ; texte de la commission, n° 653, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 28 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 2 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 7 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 8 juin à 15 heures
- Proposition de loi relative à la protection sociale globale, présentée par M. Rachid Temal et plusieurs de ses collègues (texte n° 430, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 31 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 2 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 7 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 8 juin à 15 heures
Jeudi 10 juin 2021
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
- Proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant, présentée par M. Pierre-Antoine LEVI et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 657, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 28 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 2 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 7 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 9 juin à 15 heures
- Proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie, présentée par Mme Anne-Catherine LOISIER (texte de la commission n° 655, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 31 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 2 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 7 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 9 juin à 15 heures
À l’issue de l’espace réservé au groupe UC
- Débat sur le thème : « Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? » (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 9 juin à 15 heures
- Débat sur le thème : « Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? » (demande du groupe CRCE)
• Temps attribué au groupe CRCE : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 9 juin à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Lundi 14 juin 2021
À 16 heures et le soir
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avec une saisine pour avis de la commission des affaires économiques, de la commission de la culture, de la commission des finances et de la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : jeudi 27 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 2 juin matin, après-midi et soir et jeudi 3 juin, matin, après-midi et éventuellement soir
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 10 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 14 juin en début d’après-midi et le soir, mardi 15 juin matin et mercredi 16 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure 30
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 11 juin à 15 heures
Mardi 15 juin 2021
À 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
Mercredi 16 juin 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 16 juin à 11 heures
À 16 h 30, le soir et la nuit
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
Jeudi 17 juin 2021
À 10 h 30, 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
Vendredi 18 juin 2021
À 9 h 30, 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Éventuellement, lundi 21 juin 2021
À 16 heures, le soir et la nuit
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
Mardi 22 juin 2021
À 14 h 30, le soir et la nuit
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
Mercredi 23 juin 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 23 juin à 11 heures
À 16 h 30, le soir et la nuit
- Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote sur cette déclaration, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à la programmation militaire
• Temps attribué aux orateurs des groupes, à raison d’un orateur par groupe : 14 minutes pour le groupe Les Républicains, 12 minutes pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, 10 minutes pour le groupe Union Centriste, 8 minutes pour les groupes Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, Rassemblement Démocratique et Social Européen, communiste républicain citoyen et écologiste, Les Indépendants - République et Territoires et Écologiste - Solidarité et Territoires et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• 10 minutes attribuées à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et 5 minutes attribuées à la commission des finances
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 22 juin à 15 heures
En application de l’article 39, alinéa 6, du Règlement, le vote sur cette déclaration donnera lieu à un scrutin public ordinaire et aucune explication de vote ne sera admise.
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
Jeudi 24 juin 2021
À 10 h 30, 14 h 30 et le soir
- 4 conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
=> Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de partenariat entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kenya relatif à la promotion et à l’échange des compétences et talents (texte de la commission n° 617, 2020-2021)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Japon, d’autre part (texte n° 538, 2020-2021)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord-cadre entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’Australie, d’autre part (texte n° 539, 2020-2021)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord de partenariat pour les migrations et la mobilité entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde (texte de la commission n° 619, 2020-2021)
• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : mardi 22 juin à 15 heures
- Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi relatif à la bioéthique (texte A.N. n° 3833)
Ce texte sera envoyé à la commission spéciale.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 15 juin après-midi
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 21 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 23 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 23 juin à 15 heures
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
Vendredi 25 juin 2021
À 9 h 30, 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Lundi 28 juin 2021
À 16 heures, le soir et la nuit
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
Mardi 29 juin 2021
À 14 h 30 et le soir
- Explications de vote des groupes puis scrutin public sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte n° 551, 2020-2021)
• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 28 juin à 15 heures
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (procédure accélérée ; texte A.N. n° 4104)
Ce texte sera envoyé à la commission des lois avec une saisine pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 24 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 29 juin matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 28 juin à 15 heures
Mercredi 30 juin 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 30 juin à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (procédure accélérée ; texte A.N. n° 4104)
Prochaine réunion de la Conférence des Présidents : mercredi 16 juin 2021 à quatorze heures.
M. le président. En l’absence d’observations, je les considère comme adoptées.
4
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis, lors de sa réunion du 26 mai 2021, un avis favorable par vingt voix pour, et aucune contre, à la reconduction de M. Christophe Béchu à la présidence du conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.
Acte est donné de cette communication.
5
Débat sur le bilan de l’application des lois
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l’application des lois (rapport d’information n° 645).
Monsieur le ministre délégué, madame le président de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances, chère Pascale Gruny, mesdames, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, nous nous retrouvons cet après-midi pour débattre, comme tous les ans, du bilan de l’application des lois que nous avons votées au cours de la session écoulée.
Je salue M. Marc Fesneau, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne, qui répondra au nom du Gouvernement aux questions du Sénat.
Ce débat est important pour les parlementaires que nous sommes. À quel moment les lois que nous votons deviennent-elles une réalité concrète pour nos concitoyens ? La réponse à cette première question, c’est qu’elles ne l’ont pas été avant un délai de sept mois après leur promulgation, en moyenne, cette année.
Le décalage est grand entre cette mise en œuvre tardive et le rythme effréné auquel s’enchaînent les projets de loi inscrits à l’ordre du jour du Parlement. Je crois que cela n’est pas bon pour la démocratie.
Nous avons récemment souhaité aller encore plus loin dans notre contrôle sur l’aspect essentiel que constitue le suivi des ordonnances. En effet, nous déplorons tous l’explosion de leur nombre.
À la fin du mois de mars dernier, et sans tenir compte de la progression qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui, on recensait 259 ordonnances publiées depuis le début du quinquennat, soit une hausse de 48 % par rapport à la même période sous le quinquennat précédent, et de près de 150 % par rapport au quinquennat 2007-2012.
Comme le relève dans son rapport d’information notre collègue Mme Pascale Gruny, que je remercie de son travail, le processus législatif ordinaire n’est plus le principal mécanisme d’adoption de la loi. J’en veux pour preuve le décompte selon lequel, au cours de la dernière session, il y a eu 100 ordonnances pour 43 lois. Ce nombre est révélateur, et la tendance inquiétante.
Face à cette évolution, la résolution que nous avons adoptée hier permettra au Sénat, sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel, de renforcer le contrôle du recours à cet outil.
Dès l’année prochaine, nous nous retrouverons en séance publique pour un débat annuel sur le suivi du recours aux ordonnances, en plus de notre rendez-vous traditionnel sur l’application des lois.
Le contrôle du Parlement sur les ordonnances passe également par leur ratification expresse, ce qui nécessitera, le cas échéant, de déposer des propositions de loi de ratification. Nous pourrons les examiner pendant les semaines de contrôle.
Monsieur le ministre, nous souhaiterions par exemple débattre dans l’hémicycle de l’ordonnance portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, adoptée ce matin en conseil des ministres, et évoquée lors de notre dernière séance de questions au Gouvernement, notamment par notre collègue Jean-Pierre Sueur.
Sans plus attendre, je donne la parole à Mme Pascale Gruny, président de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances, pour nous présenter le bilan de l’année parlementaire 2019-2020. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny, président de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, chers collègues, en cinquante ans, le bilan annuel de l’application des lois est devenu un dispositif incontournable de l’arsenal dont dispose le Sénat pour assurer sa mission constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement.
Au-delà d’une exigence juridique, l’application de la loi est une condition très concrète de bon fonctionnement de la démocratie.
Comment espérer retrouver la confiance des Français et les faire le plus possible adhérer aux réformes annoncées s’ils n’en voient pas la concrétisation ? Sur le terrain, les élus sont confrontés à ces interrogations, car dans l’esprit de tous, la loi entre en vigueur dès qu’elle est adoptée en conseil des ministres.
Avant d’aborder à proprement parler le bilan de la session écoulée, je rappellerai en quelques mots les spécificités de l’exercice, cette année. Tout d’abord, le 1er octobre 2019, sont entrées en vigueur les dispositions des articles 19 bis A et 19 bis B de notre règlement.
L’article 19 bis A rappelle le rôle fondamental des commissions permanentes pour l’application des lois, et consacre leur contribution au présent bilan. En outre, sur le fondement du nouvel article 19 bis B du règlement, plusieurs de nos collègues ont procédé au suivi de l’application de la loi dont ils avaient été rapporteurs.
Je souhaite saluer la disponibilité des services du secrétariat général du Gouvernement. Comme je l’avais souhaité, notre dialogue a permis d’avancer grandement sur plusieurs points relatifs au décompte des mesures d’application, qui pouvaient accaparer le débat, au détriment des questions de fond.
En revanche, monsieur le ministre, j’estime, à l’instar des présidents de commission, qu’il est un point sur lequel nous devons encore évoluer. Je déplore, en effet, que le Gouvernement limite son suivi aux seuls décrets, sans l’étendre aux arrêtés, contrairement à ce que fait le Sénat.
La petite taille des structures ne doit pas conduire le Gouvernement à s’exonérer de sa responsabilité en la matière. Pour l’application d’une loi, peu importe que la disposition adoptée renvoie à un décret ou à un arrêté. Dans les deux cas, si l’un ou l’autre n’est pas pris, la volonté du législateur est empêchée.
J’ajoute que, conformément à l’article 21 de la Constitution, seul le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire de droit commun. Il me semble qu’à ce titre, le secrétariat général du Gouvernement n’outrepasserait pas son rôle s’il suivait la publication des différents arrêtés ministériels.
J’en viens au bilan de l’application des lois adoptées lors de la session parlementaire 2019-2020, c’est-à-dire entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020. Au cours de cette période, 43 lois ont été adoptées, dont 15 étaient d’application directe.
Par rapport à la session précédente, le taux global d’application des lois, de 62 % cette année, a subi une chute de dix points. Si l’on exclut les mesures dont le législateur a prévu une entrée en vigueur différée, il atteint 69 %.
Cette dégradation des chiffres est principalement imputable aux effets des mesures de confinement décidées dans le cadre de la lutte contre la pandémie de covid-19. La crise sanitaire a, en effet, entraîné une forte perturbation de la chaîne normative due à l’augmentation du nombre de textes adoptés en urgence et à l’incidence directe de la pandémie sur l’organisation du travail dans les ministères.
Cette dégradation traduit également un manque d’anticipation de la part du Gouvernement, car certains services ministériels sont mis à contribution sur des chantiers législatifs nouveaux, avant même d’avoir pu procéder à l’élaboration des textes – souvent nombreux – qui restent à prendre pour l’application des lois adoptées antérieurement.
Ces deux facteurs – la crise sanitaire et le manque d’anticipation – expliquent le rebond significatif du délai moyen de prise des textes d’application. Celui-ci est passé de cinq mois et douze jours pour la session 2018-2019 à sept mois et un jour pour la session 2019-2020, soit un mois de plus que la limite de six mois que s’est fixée le Gouvernement depuis plusieurs années.
Les consultations obligatoires, les procédures de notification à la Commission européenne et certaines contraintes opérationnelles et politiques expliquent aussi ce retard.
Les efforts fournis, notamment en matière de prénotification, sont parfois insuffisants. Ainsi, le projet de décret prévu à l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, concernant l’accès des mineurs aux sites pornographiques, n’a été notifié à la Commission européenne que le 2 avril 2021, soit plus de sept mois après la promulgation de la loi dont il fait application.
Le Gouvernement ne parvient pas toujours à s’astreindre à la rapidité qu’il exige pourtant de plus en plus du Parlement.
En plus des cas où la procédure accélérée est de droit, celle-ci a été engagée pour examiner 26 des 43 lois qui ont été adoptées au cours de la session. Fait plus frappant encore, en 2019-2020, les sept projets de loi relatifs à la situation sanitaire ont été examinés en dix-huit jours, en moyenne. À trois reprises, la navette parlementaire s’est même déroulée en moins de huit jours. Les commissions permanentes se sont, à chaque fois, fortement mobilisées.
Comme cas ultime, et bien qu’elle ait été examinée en procédure accélérée, je citerai la loi du 30 juillet 2020 permettant d’offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l’épidémie de covid-19. Elle est en effet devenue caduque avant même d’avoir reçu le décret d’application nécessaire.
Convenez, monsieur le ministre, que les parlementaires ont des raisons de s’interroger – c’est un euphémisme – sur l’opportunité d’examiner précipitamment des textes qui ne sont finalement pas appliqués, alors même que le calendrier parlementaire est suffisamment chargé.
Dans le même esprit, quelle utilité le Gouvernement accorde-t-il vraiment aux expérimentations ? Quel sens donner à la démarche qui consiste à généraliser une mesure avant même d’avoir tiré le bilan de son expérimentation prévue par la loi, voire de l’avoir engagée ? Les commissions ont identifié des exemples particulièrement éclairants de cette dérive.
Enfin, avant d’évoquer le sujet des ordonnances, je souhaite attirer votre attention sur un point de vigilance qui concerne le taux de remise des rapports demandés au Gouvernement. Il demeure en effet insuffisant, à hauteur de 28 %. Si le Parlement demande trop de rapports, il est clair que cette dérive n’est pas imputable au Sénat, qui mène depuis longtemps une véritable « chasse aux rapports ».
J’en viens à la dernière partie de mon intervention.
La crise sanitaire a renforcé une tendance à l’œuvre depuis une décennie et qui nous préoccupe tous. Il s’agit du recours massif – pour ne pas dire excessif – aux ordonnances qui caractérise la méthode du Gouvernement pour légiférer.
Au cours de la session 2019-2020, les ordonnances ont représenté 70 % des textes intervenant dans le domaine de la loi. Vous avez rappelé, monsieur le président, que pour 43 lois promulguées, 100 ordonnances ont été publiées. Plusieurs d’entre elles constituaient, il est vrai, la reconduction de mesures décidées en urgence au fil de la lutte contre la pandémie, ce qui contribue à gonfler leur nombre.
Cependant, dans quelques cas, les ordonnances excèdent le champ de l’habilitation accordée par le Parlement. Ce procédé est un vecteur d’insécurité juridique, y compris pour le Gouvernement.
Le Conseil d’État a ainsi annulé une partie de l’ordonnance relative au mécanisme des prix abusivement bas inscrit dans la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, prise sur le fondement de son article « balai » et non en référence à la procédure spécifique prévue.
Le réflexe du Gouvernement peut alors consister en un élargissement préventif du champ d’habilitation, ce qui constitue un autre risque juridique. Ainsi, il y a quelques jours, le Conseil constitutionnel a censuré l’habilitation prévue à l’article 38 de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, qui autorisait le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil national des activités privées de sécurité. Le Conseil a en effet estimé que cette habilitation permettait en réalité au Gouvernement de poursuivre une tout autre finalité que celles qu’elle énonçait.
Je déplore enfin vivement que seule une infime minorité des projets de loi de ratification soit inscrite à notre ordre du jour. Cela prive le Sénat du débat nécessaire au contrôle des ordonnances.
Pour éviter ce que j’appellerai un « double dessaisissement » du Parlement, en amont et en aval, il nous reviendra notamment de déposer des propositions de loi de ratification des ordonnances et de les inscrire à l’ordre du jour du Sénat lors des semaines de contrôle, ainsi que l’a proposé le groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat, et peut-être même lors des semaines sénatoriales.
Un débat en séance publique distinct de celui portant sur le contrôle de l’application des lois devrait également être organisé l’année prochaine, comme vous l’avez annoncé, monsieur le président. C’est à l’évidence une bonne chose. Espérons que la résolution adoptée hier par notre assemblée conduise le Gouvernement à modérer ses initiatives dans ce domaine !
Sans préjuger des débats à venir, j’observe que, dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience, le Gouvernement souhaite être habilité à ouvrir aux régions la possibilité de mettre en place une écotaxe pour certains véhicules circulant sur les voies du domaine public routier national mises à leur disposition.
Or les régions n’exercent pas encore cette compétence, puisque son transfert est prévu dans un autre texte – le projet de loi dit 4D (déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification), ou 3DS (déconcentration, décentralisation, différenciation, simplification) – qui sera, lui aussi, examiné prochainement par le Sénat.
À voir ainsi se télescoper une ordonnance prévue dans un projet de loi et une disposition inscrite dans un autre, je crois pouvoir dire que notre débat d’aujourd’hui a encore de beaux jours devant lui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier la présidente Pascale Gruny de la grande qualité de son rapport, et l’ensemble des présidents de commission, ainsi que les services du Sénat, pour le travail toujours minutieux sur le fondement duquel nous allons échanger.
L’année dernière, nous constations, comme vous l’avez rappelé, madame la présidente, des divergences importantes entre les méthodes de calcul du Gouvernement et celles du Sénat. Cet écart laissait penser que le taux d’application des lois s’était fortement dégradé, alors même qu’il ne subissait qu’un léger recul lié à une hausse importante du nombre de textes à prendre.
Si l’année qui s’achève a permis au secrétariat général du Gouvernement – dont je tiens à saluer l’engagement et l’efficacité – et aux services du Sénat de trouver un point d’équilibre en établissant un second indicateur de suivi, la crise sanitaire a eu un impact significatif sur la capacité du Gouvernement à prendre les mesures d’application des lois dans le délai de six mois qui s’impose.
La position du Gouvernement et celle du Sénat ont, en effet, convergé sur la nécessité de présenter un indicateur d’application des lois qui ne prend en compte que les seules mesures actives, c’est-à-dire celles dont l’entrée en vigueur n’est pas différée.
Cependant, Mme Gruny m’interroge sur la différence de méthode qui persiste entre le Gouvernement et le Sénat quant à la prise en compte des arrêtés. J’y vois principalement deux raisons que j’ai déjà évoquées par le passé.
D’une part, si le Premier ministre est titulaire du pouvoir réglementaire, comme vous l’avez rappelé, et s’il assure le suivi des 1 600 décrets publiés chaque année, les arrêtés relèvent de la responsabilité des ministères qui les signent. Les ministres sont donc susceptibles d’être directement interrogés par les parlementaires, notamment le rapporteur chargé du suivi de l’application d’un texte, au sujet de leur publication.
D’autre part, il n’apparaît pas réaliste de confier au secrétariat général du Gouvernement la mission d’assurer une veille exhaustive sur les près de 8 000 arrêtés qui sont publiés chaque année, soit 20 à 40 textes par jour.
Ces précisions méthodologiques étant établies, j’en viens au bilan de l’application des lois, à proprement parler. Arrêté au 31 mars 2021, il présente un taux de 73 %, avec 380 mesures prises sur les 520 mesures actives. Comme vous l’avez indiqué, madame la présidente, il est en recul de neuf points par rapport au bilan que je vous présentais l’an dernier, ce qui s’explique en grande partie par la crise sanitaire.
Mme la présidente Gruny m’interroge sur les voies d’amélioration que le Gouvernement compte suivre pour améliorer le taux et les délais de publication des mesures d’application.
Je tiens d’abord à vous assurer qu’il met tout en œuvre pour rattraper le retard pris au cours de l’année 2020. Celui-ci tend d’ailleurs à se résorber progressivement puisque, à ce jour, le taux d’application des lois a progressé de sept points, pour s’établir à 80 % de mesures publiées. Le Gouvernement s’est fixé pour objectif de rendre applicables dans les meilleurs délais les réformes votées par le Parlement.
Afin de m’assurer de la pleine mobilisation de l’ensemble des ministères, je réunis régulièrement un comité interministériel de l’application des lois. Je rappelle dans ce cadre à l’ensemble des ministères de plein exercice la nécessité de publier les textes d’application dans un délai de six mois après la promulgation des lois dont ils ont la charge. J’interviens également sur ce sujet, en conseil des ministres, de manière périodique.
À l’échelon des services et des cabinets ministériels, le secrétariat général du Gouvernement organise des réunions interministérielles, à une échéance de trois puis six mois, pour définir la programmation des mesures et inciter à leur publication rapide. Je ne vous cache pas que la perspective du présent débat annuel contribue parfois à accélérer, au printemps, la mise en œuvre de certains décrets.
J’en viens à la période de crise que nous traversons et aux mesures prises pour limiter son impact sur l’application de la loi.
Permettez-moi tout d’abord de saluer le travail et l’engagement de l’ensemble des agents des ministères qui ont œuvré à cette tâche.
Malgré la forte capacité d’adaptation et de réaction dont les administrations ont su faire preuve, la mise en œuvre progressive du télétravail pour une partie des agents et l’impossibilité, pour d’autres, d’assurer leurs fonctions du fait de l’épidémie, ont eu un impact certain sur la publication de nombreux textes, notamment ceux attendus pour l’application de la loi d’orientation des mobilités, la LOM, pour celle de la loi relative à l’énergie et au climat et de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite AGEC, ainsi que pour celle des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2020.
À ces difficultés, s’est ajoutée l’augmentation conséquente de la charge de travail liée à la gestion de la crise sanitaire, avec la préparation de 91 ordonnances ainsi que de 95 décrets et de 54 arrêtés portant sur le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire.
Le déploiement massif du télétravail, grâce notamment à l’équipement en matériel informatique, permet désormais de faire face plus sereinement aux contraintes liées à une crise du même type.
Vous avez évoqué, madame la présidente, la question de la durée de la prénotification à la Commission européenne. Ce délai, prévu de manière classique, ouvre la possibilité d’un dialogue entre le Gouvernement et la Commission pour préparer les dispositions.
Enfin, Mme la présidente Gruny m’interroge sur le recours accru aux ordonnances et sur la durée de l’habilitation du Gouvernement. Le travail de décompte que vous avez effectué vous permet d’affirmer, à juste titre, que 259 ordonnances ont été publiées, soit 151 de plus que durant la même période, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, comme le président Larcher l’a rappelé.
Cependant, une grande partie des ordonnances prises depuis un an, l’ont été pour faire face à l’urgence de la crise sanitaire et à l’impossibilité de réunir le Parlement de manière continue. Il n’est donc pas possible de faire sans retranchements des comparaisons valables.
Chaque fois qu’il l’a pu, le Gouvernement a transformé les demandes d’habilitation en droit substantiel. J’ai le souvenir, lorsque je présentais le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19, d’avoir travaillé avec vous pour limiter au maximum le recours aux ordonnances, pourtant nécessaires pour faire face à l’urgence de la situation.
Ainsi, en excluant du décompte une partie seulement des 99 ordonnances liées à la gestion de la crise sanitaire, l’autre partie ne relevant pas du champ que je viens de définir, le nombre d’ordonnances prises sous ce quinquennat reste au total très proche de celui recensé, durant la même période, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il est en outre inférieur à celui du quinquennat de François Hollande.
J’entends, par ailleurs, les critiques quant aux délais d’habilitation que vous jugez trop importants. Des efforts ont pourtant été accomplis pour que les ordonnances soient publiées le plus rapidement possible. En effet, depuis le début de la quinzième législature, leur délai de publication est resté en moyenne de 25 % inférieur à la durée de l’habilitation votée par le Parlement, elle-même souvent réduite au cours de l’examen parlementaire.
Dans le cas d’habilitations courtes, les délais de publication sont généralement encore plus réduits, puisque celle-ci intervient au bout de 31 jours pour les habilitations de 90 jours, et au bout de 125 jours pour les habilitations de 180 jours.
Pour l’ensemble de ces raisons, je ne peux souscrire à vos propos qui laissent à penser que le Gouvernement retarderait le rythme des réformes, alors que le Parlement serait disposé à les mettre en œuvre rapidement.
La répartition entre le pouvoir législatif et le pouvoir législatif délégué permet, au contraire, de concentrer la discussion parlementaire sur les points essentiels, et de réserver les écritures les plus techniques aux ordonnances. Ce dispositif est d’autant plus nécessaire compte tenu des règles de partage de l’ordre du jour.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif. Je rappelle que chaque orateur peut intervenir pour deux minutes maximum et que le Gouvernement peut, s’il le souhaite, répondre à chaque orateur pour une durée équivalente.
Je vais tout d’abord donner la parole aux représentants des commissions.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre, deux ans et demi après la promulgation de la loi Égalim, le Conseil d’État vient d’enjoindre au Gouvernement, la semaine dernière, de publier le décret d’application de l’article prévoyant un moratoire sur les bâtiments de poules pondeuses en cage.
Cette décision souligne que l’interprétation fournie par le Gouvernement pour justifier l’absence de décret s’écarte parfois de la volonté exprimée par le législateur, lors de l’examen parlementaire d’un texte.
La problématique des ordonnances illustre également les divergences qui peuvent exister entre l’exécutif et le législatif au sujet du strict respect du champ d’habilitation défini dans la loi. À titre d’exemple, je citerai l’ordonnance relative à la coopération agricole.
Monsieur le ministre, je voudrais toutefois vous interroger sur une autre pratique qui me semble peu satisfaisante, à savoir la pérennisation des expérimentations avant même leur évaluation, comme l’a mentionné notre collègue Pascale Gruny.
Ainsi, l’article 24 de la loi Égalim prévoyait l’expérimentation de menus végétariens hebdomadaires par les cantines scolaires des collectivités territoriales volontaires. Une disposition du projet de loi Climat et résilience prévoit la pérennisation de cette expérimentation, avant même que l’évaluation n’en soit remise. En effet, les conclusions du rapport qui nous a été transmis il y a quelques jours ne sont que provisoires, car la période de confinement n’a pas permis de conduire l’expérimentation dans des conditions probantes.
Si l’expérimentation constitue probablement un outil pertinent pour améliorer l’efficacité des politiques publiques, il ne faudrait pas qu’elle se transforme en un instrument politique, visant à obtenir un accord sceptique et temporaire des parlementaires, à une date donnée.
Dès lors, ne conviendrait-il pas de rendre obligatoire la remise des résultats d’une expérimentation avant toute prolongation ou pérennisation ? Ne faudrait-il pas au moins prévoir que les expérimentations se fassent sur une durée suffisamment longue pour couvrir le délai de remise des résultats de leur évaluation ? On éviterait ainsi de les pérenniser dans la précipitation, avant leur extinction.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la présidente Primas, s’agissant de l’article 68 de la loi Égalim qui interdit la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d’élevage de poules pondeuses en cage, le Gouvernement a considéré jusqu’alors que le texte était insuffisamment clair et précis pour permettre son entrée en vigueur sans l’intervention d’un décret. Nous prenons acte de la décision du Conseil d’État, et nous mettrons tout en œuvre pour en tirer les conséquences dans les meilleurs délais.
Je ne reviendrai pas sur la question du respect de l’habilitation à légiférer par ordonnances, sur laquelle je me suis déjà exprimé. Nous aurons sans doute l’occasion d’en discuter à nouveau.
La répartition des rôles dans le contentieux des ordonnances est très claire : il appartient au Conseil d’État d’apprécier le respect de l’habilitation par le Gouvernement, lorsqu’il publie son ordonnance. Même si l’annulation en la matière demeure relativement rare, la décision que vous mentionnez, relative à l’ordonnance du 24 avril 2019, témoigne de l’efficacité des mécanismes de contrôle. Les commissions parlementaires peuvent, par ailleurs, se saisir librement de ce sujet.
Vous évoquez, enfin, la question de la généralisation des expérimentations, notamment celle prévue à l’article 24 de la loi Égalim. Mise en place pour une durée de deux ans, elle fait obligation aux gestionnaires publics ou privés des services de restauration collective scolaire de proposer, au moins une fois par semaine, un menu végétarien. Une évaluation devait être transmise au Parlement, dans un délai de six mois avant le terme de l’expérimentation.
Au cours de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi Climat et résilience, texte sur lequel les commissions du Sénat travaillent en ce moment même, la rapporteure Mme Célia de Lavergne a fait adopter par amendement la généralisation de cette expérimentation, qui devait s’achever en novembre 2021. Elle s’est appuyée pour cela sur le rapport qui a été transmis au Parlement et que vous avez mentionné, madame la présidente, en précisant qu’il n’était que partiel.
Votre assemblée pourra en connaissance de cause se prononcer au fond sur ce sujet. Il relève de la logique même de l’expérimentation qu’on puisse prévoir de la généraliser avant son terme, au regard de ses bons résultats, afin d’éviter une période de suspension de ses effets.
Au demeurant, le Parlement ne saurait être lié par une loi antérieure. Il est le seul à pouvoir apprécier l’opportunité d’une telle généralisation.
M. le président. La parole est à M. Philippe Paul, en remplacement de M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Philippe Paul, en remplacement de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le ministre, je vous prie tout d’abord d’excuser le président Cambon qui n’a pas pu être présent aujourd’hui et qui m’a chargé de le représenter.
Un sujet est au cœur de nos préoccupations, à savoir le sort réservé à une disposition très importante de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 2025. Cette disposition prévue à l’article 44 de la LMP porte sur des conditions d’achat.
Monsieur le ministre, le législateur a exprimé son intention en votant des dispositions permettant de lever les pesanteurs dans les procédures d’achat du ministère des armées. Après promulgation de la loi, ces dispositions, auxquelles la direction des affaires juridiques du ministère s’est toujours opposée, ont été tout simplement effacées à l’occasion d’une codification. C’est un mépris total de la volonté du législateur et c’est, bien sûr, tout à fait contraire aux principes de la codification à droit constant.
Notre collègue Cédric Perrin a interpellé sur ce sujet Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement, lors de son audition, le 12 mai dernier. Les éléments de réponse qu’elle nous a apportés ne sont pas satisfaisants.
En effet, elle a indiqué que la disposition votée desservait l’objectif recherché par les parlementaires et que, pour cette raison, le Gouvernement ne l’a pas repris dans le cadre des travaux de codification du droit de la commande publique.
Au-delà du décompte des textes réglementaires pris, appliquer les lois, c’est d’abord ne pas revenir sur la volonté du législateur ! Cet incident est révélateur du peu de cas fait des travaux parlementaires. Nous tenions à vous alerter à nouveau, monsieur le ministre, car notre commission restera mobilisée sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le sénateur Philippe Paul, le Gouvernement partage non seulement votre préoccupation de garantir la souplesse et la rapidité des procédures d’achat pour nos forces armées, mais aussi votre souci du respect de la loi votée par le Parlement.
Si l’ordonnance du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique a modifié les dispositions que vous évoquez, alors que celles-ci avaient été introduites dans la dernière loi de programmation militaire, cette modification n’entre pas en contradiction avec les deux objectifs que je viens de rappeler. Elle garantit, au contraire, que l’ambition du législateur en la matière sera respectée.
Cette disposition prévue à l’article 44 de la loi de programmation militaire reprenait des précisions qui figuraient dans le considérant de la directive du 13 juillet 2009 concernant les exclusions propres au marché de défense et de sécurité. Or elle était en réalité contraire aux objectifs poursuivis par le Parlement, puisqu’elle tendait à rigidifier le cadre dérogatoire et à en limiter la portée.
La rédaction actuelle assure une transposition stricte de la directive dont elle reprend mot pour mot les dispositions sans y ajouter de conditions restrictives supplémentaires. À l’inverse, le texte issu de la LPM complétait ce dispositif par des termes issus des considérants, alors que ceux-ci sont dépourvus de valeur normative, et donc susceptibles d’introduire des biais dans l’application des règles de la commande publique.
Ainsi, en insérant des exemples de ce que pourrait recouvrir chacune des exclusions, la LPM introduisait une interprétation restrictive des dérogations aux règles de commande publique, dans la mesure où un juge aurait pu être amené à considérer la liste de ces exemples comme exhaustive. La rédaction actuelle qui se limite aux termes de la directive permet d’utiliser pleinement les souplesses offertes par le droit de l’Union européenne et d’atteindre l’objectif commun au Gouvernement et, je le crois, au Parlement, celui d’une plus grande réactivité dans les acquisitions les plus sensibles des forces armées.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la vision qu’a le Gouvernement des finances sociales.
Chacun sait que la crise sanitaire a bouleversé l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Or, si le cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale n’impose pas la même rigueur que la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, ces lois ne sont toutefois pas dénuées de toute normativité.
Aussi, notre commission aurait souhaité l’examen d’un collectif social. En effet, quand l’exécution s’écarte de manière aussi considérable de la prévision votée, le Parlement ne peut se satisfaire d’informations sans débat et se borner à constater a posteriori des dépenses de plusieurs milliards d’euros.
Au nom des exigences démocratiques les plus élémentaires, peut-on encore se satisfaire de voir le Gouvernement augmenter de 150 millions d’euros à près de 5 milliards d’euros la dépense de nature budgétaire qu’est la dotation à Santé publique France, et ce par simple arrêté ministériel ? Le Parlement peut-il se contenter d’un simple courrier lorsque le découvert de la sécurité sociale est porté de 39 à 95 milliards d’euros ?
La commission des affaires sociales a fait des propositions concernant l’évolution de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, la LOLFSS, en tirant les conclusions de ce qu’il s’est passé cette année. Le Gouvernement les soutiendra-t-il ?
Je souhaite également vous interroger sur les autorisations de transfert de déficits à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, qui ont été votées l’été dernier. Nous avons constaté que le décret relatif à ce transfert, pris en janvier 2021, prévoyait un montant excédant de 174 millions d’euros celui qui avait été fixé, alors que le Gouvernement avait toute latitude pour demander sa modification en loi de financement de la sécurité sociale.
En raison de ce dépassement, je m’interroge profondément sur le respect par le Gouvernement des plafonds strictement fixés par le Parlement en matière sociale. Qu’entend faire le Gouvernement pour régulariser cette situation ? Les plafonds prévisionnels des exercices 2021 à 2023 seront-ils réajustés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la présidente Deroche, vous m’interrogez sur la gestion des finances sociales au cœur de la crise sanitaire et sur les évolutions qui pourraient être apportées au cadre des lois de financement de la sécurité sociale.
Cette question ne concerne pas directement l’application des lois, mais plus généralement – et c’est dans ce sens que je vais vous répondre – les prérogatives du Gouvernement vis-à-vis du Parlement en matière de finances sociales, ainsi que l’exercice qui en a été fait durant la crise. Je tâcherai cependant de vous apporter quelques éléments de réponse.
Les crédits que vous votez chaque année dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale sont évaluatifs, à la différence des crédits votés en loi de finances. Cela correspond à la nature même des dépenses de la sécurité sociale, que l’on peut qualifier de dépenses de guichet, cette spécificité ayant permis au Gouvernement de réagir avec efficacité tout au long de cette crise. Je pense par exemple à l’achat de plus de 9 000 respirateurs, ou au déploiement d’un système d’information de suivi des tests.
Contrairement à ce que vous avancez, le Parlement n’a pas été tenu à l’écart durant cette période. Les dépenses exceptionnelles que vous évoquez ont été présentées aussi bien devant la commission des comptes de la sécurité sociale que devant le conseil d’administration de Santé publique France, deux instances au sein desquelles siègent des représentants de chaque assemblée.
S’agissant de la nécessité de rectifier la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 en cours d’exercice, rien ne l’impose en droit, contrairement à ce qui prévaut pour la loi de finances.
En pratique, cette modification n’aurait pas amélioré la lisibilité des comptes de la sécurité sociale, puisque l’imprévisibilité des dépenses hospitalières, les délais de facturation des professionnels de santé et la réactivité nécessaire pour s’engager sur des précommandes de vaccins auraient rendu caduques les prévisions d’un éventuel projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative avant même que nous en ayons achevé l’examen.
Le Gouvernement est donc opposé à l’intégration de crédits limitatifs au sein d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale, car cela nuirait à la souplesse indispensable – on l’a bien vu – au fonctionnement de la sécurité sociale.
En contrepartie, l’information et l’association du Parlement sont essentielles tout au long de l’année. C’est tout le sens de l’avis du comité d’alerte de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) qui vous a été remis hier.
En ce qui concerne l’évolution du cadre des finances sociales, enfin, le Parlement devrait prochainement être saisi d’une proposition de loi organique visant à réformer la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Les propositions que ne manquera pas de formuler votre commission feront l’objet d’un débat à cette occasion.
M. le président. Si je puis me permettre, monsieur le ministre – et je me sens parfaitement qualifié, en tant que président du Sénat, pour vous le signaler –, la commission des comptes de la sécurité sociale n’est pas le Parlement ! Ce n’est pas parce que des parlementaires y siègent que le rapport auquel vous faites allusion est un rapport au Parlement. Si je me permets de faire cette incise, c’est parce que nous attendons bel et bien un rapport devant le Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission de la culture applaudit également.)
La parole est à M. Cyril Pellevat, en remplacement de M. le président de la commission de l’aménagement du territoire.
M. Cyril Pellevat, en remplacement de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’exprime au nom du président Longeot, qui ne peut être présent dans cet hémicycle, puisque notre commission examine en ce moment même le projet de loi Climat et résilience.
Parmi les lois adoptées au cours de la session 2019-2020, deux textes particulièrement volumineux concernaient la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable : la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) et la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC.
Malheureusement, l’application de ces deux lois demeure incomplète, contrairement aux engagements pris par le Gouvernement lors de leur examen.
Dès lors, monsieur le ministre, comment comptez-vous faire pour que, au-delà de l’impact négatif bien compréhensible de la crise sanitaire sur le fonctionnement des services des ministères intéressés, la mobilisation de ces services en vue de l’élaboration d’un autre texte de grande ampleur, le projet de loi Climat et résilience, ne complique pas davantage la mise en application de ces deux lois ?
Au-delà de l’appréciation quantitative des choses, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable déplore, comme d’autres, que le Gouvernement s’écarte parfois de la volonté clairement exprimée par le législateur.
Je ne prendrai qu’un exemple, celui de l’article 35 de la loi AGEC visant à lutter contre le gaspillage non alimentaire. Le décret d’application de cette disposition ne prévoit pas l’obligation, pour l’entreprise donatrice, de contribuer aux frais de stockage des produits donnés. Par conséquent, il crée un obstacle au réemploi des invendus, que le législateur avait entendu privilégier par rapport au simple recyclage.
J’entends que le décret a été pris en temps et en heure, mais vous conviendrez, monsieur le ministre, que la situation ainsi créée est contraire à l’objectif que le législateur avait sans ambiguïté mis en avant lors des débats parlementaires. Comment entendez-vous désormais modifier ce regrettable état de fait, qui constitue en outre un très mauvais signal adressé aux associations qui se dévouent à cette tâche indispensable ?
Enfin, en matière d’ordonnances, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’inquiète, elle aussi, du recours à des habilitations de convenance, par exemple dans le cadre de la LOM.
Nous regrettons également le retard pris dans la publication de la stratégie pour le développement du fret ferroviaire, qui devait nous être remise le 1er janvier dernier.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le sénateur Pellevat, vous déplorez le taux d’application encore trop faible de la loi d’orientation des mobilités et de la loi AGEC.
Vous l’avez rappelé vous-même, le retard pris pour la publication de ces textes est en grande partie imputable à la crise sanitaire. Cela étant, je vais essayer de vous rassurer sur la publication à venir d’un nombre important de décrets les concernant, qui sont en cours de contreseing ou d’examen par le Conseil d’État.
En ce qui concerne la loi AGEC, parmi les 17 mesures actives restant à appliquer, 10 devraient ainsi être publiées d’ici la fin du mois de juillet, ce qui portera le taux d’application de la loi à 88 %, contre 70 % aujourd’hui.
S’agissant de la loi d’orientation des mobilités, 24 des 36 mesures actives devraient être également prises d’ici la fin juillet, ce qui permettra de porter le taux d’application de la loi à 90 %, alors qu’il s’élève actuellement à moins de 70 %.
C’est bien la preuve que la mobilisation des services sur la loi Climat et résilience n’a qu’un effet mesuré sur la publication à court terme des textes d’application de ces deux lois. J’espère que vous en serez rassuré.
Vous m’interpellez également sur le respect de l’intention du législateur concernant l’article 35 de la loi AGEC, qui vise à lutter contre le gaspillage non alimentaire. Il convient tout d’abord de rappeler que l’interdiction d’élimination des invendus non alimentaires est une avancée majeure dans la lutte contre le gaspillage, et que la France est le premier pays à avoir inscrit un tel principe dans son droit national.
Le choix a été fait de maintenir de la souplesse dans l’application de ce principe, ce qui se traduit par l’introduction de dispositions facultatives à négocier dans les conventions, et ce afin d’inciter les donateurs à se conformer à ces nouvelles obligations. Ainsi, le décret prévoit des conditions minimales relatives aux conventions de dons, qui serviront de base de travail partagé entre les donateurs et les bénéficiaires. Elles pourront être complétées par des engagements complémentaires, relatifs notamment au transport ou au stockage des invendus.
Enfin, en ce qui concerne le recours à ce que vous appelez des « habilitations de convenance », notamment dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités, je rappelle que, sur les 57 mesures d’habilitation prévues par cette loi dont la date de publication est passée, seules trois n’ont pas fait l’objet d’une ordonnance, soit 6 % du total. Vous conviendrez qu’il ne s’agit donc en rien d’un détournement de procédure de la part du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de la culture.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de la session 2019-2020, l’activité législative de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, comme celle des autres commissions permanentes du Sénat, n’a pas été épargnée par la dégradation de la situation sanitaire.
En dépit des vicissitudes liées à l’épidémie de la covid-19, deux lois ont néanmoins été promulguées dans notre champ de compétence. La première, la loi relative à la création du Centre national de la musique (CNM), s’avère intégralement applicable : un décret en Conseil d’État couvrant les trois mesures d’application prévues par le texte a en effet été publié moins de deux mois après sa promulgation.
Je souhaite ici saluer la célérité avec laquelle le Gouvernement a précisé les missions de ce nouvel établissement public. Je m’en félicite, car le CNM a été d’une grande efficacité pour soutenir l’ensemble des acteurs de la filière musicale. Là s’arrêtent malheureusement mes félicitations, monsieur le ministre.
En effet, la seconde loi promulguée durant la session 2019-2020, relative à la modernisation de la distribution de la presse, comporte trois dispositions qui demeurent à ce jour en attente de mesures d’application.
S’agissant de ce texte, ni le décret en Conseil d’État désignant l’autorité compétente pour reconnaître le caractère d’information politique et générale des publications ni ceux qui déterminent le seuil de chiffre d’affaires au-delà duquel s’appliquent les obligations relatives aux kiosques numériques n’ont, à ma connaissance, encore été pris.
Pourriez-vous m’indiquer, monsieur le ministre, à quel horizon ces textes seront-ils publiés ?
Enfin, je souhaite évoquer une mesure prévue par un texte relevant de la compétence de mon collègue de la commission des finances, mais qui ne nous est pas totalement étrangère.
L’article 276 de la loi de finances pour 2019 prévoyait en effet que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 1er juin 2019, un rapport sur la réforme de la contribution à l’audiovisuel public (CAP), que l’on appelait autrefois la redevance audiovisuelle, dans la perspective de la disparition de la taxe d’habitation qui sert de support à son recouvrement.
Or, malgré plusieurs sollicitations auprès des ministres successifs, ce rapport n’a toujours pas été remis au Parlement. Alors que votre collègue Roselyne Bachelot vient d’annoncer la création d’un nouveau groupe de travail sur le sujet, sans que l’on sache à ce jour si les parlementaires seront appelés à y participer, pourriez-vous nous indiquer quand ce rapport sera publié ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président Lafon, au-delà des félicitations que vous nous avez adressées en préambule, et dont je vous remercie évidemment, vous m’avez posé plusieurs questions auxquelles je vais tâcher de répondre.
Par exemple, vous m’interrogez sur le rapport relatif à la réforme de la contribution à l’audiovisuel public, dont la remise au Parlement était prévue par l’article 276 de la loi de finances pour 2019. Je sais que votre commission porte une grande attention à l’avenir de la CAP dans le contexte de la suppression complète, à l’horizon 2023, de la taxe d’habitation qui sert de support à son recouvrement.
Le rapport sollicité n’a pas été jugé satisfaisant par le Gouvernement. La ministre de la culture a eu l’occasion de dire à plusieurs reprises sa volonté de poursuivre un travail sérieux et abouti à la hauteur de cet enjeu crucial pour le secteur de l’audiovisuel.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, la ministre de la culture et le ministre chargé des comptes publics ont annoncé leur souhait d’engager un travail approfondi avec les parlementaires – beaucoup d’entre vous ayant déjà travaillé sur cette question –, afin d’identifier les pistes de réforme d’ici à 2022.
La crise sanitaire et ses conséquences sur le secteur culturel dans son ensemble ont quelque peu retardé la mise en place de ce groupe de travail, mais je sais que la ministre de la culture veut désormais que les choses avancent rapidement. Je ne doute pas qu’elle vous sollicitera très prochainement pour lancer officiellement cette réflexion.
En tout état de cause, si cette réforme a pour objectif de permettre à l’audiovisuel public de disposer d’un financement pérenne et affecté, indispensable à la programmation budgétaire des entreprises du secteur et à la préservation de leur indépendance, elle ne devra pas se traduire par la création d’un nouvel impôt, conformément à la politique fiscale que conduit le Gouvernement depuis 2017.
Concernant la loi relative à la modernisation de la distribution de la presse, je vous informe que le décret en Conseil d’État désignant l’autorité compétente pour reconnaître le caractère d’information politique et générale des journaux et publications a été publié le 2 mai 2021. Il s’agit du décret 2021-540 du 29 avril 2021 pris pour l’application de l’article 4 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 modifiée relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques.
S’agissant enfin des deux décrets déterminant, notamment, le seuil de chiffre d’affaires au-delà duquel s’appliquent les obligations relatives aux kiosques numériques, les projets de textes, ainsi que les dispositions législatives qu’ils appliquent, doivent être notifiés à la Commission européenne au titre de la directive 2015/1535. Cette notification devait intervenir au cours de la semaine du 26 au 30 avril 2021 : la fin du statu quo est donc prévue au mois de juillet 2021.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des finances.
M. Vincent Éblé, vice-président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’un point de vue général, la commission des finances regrette que le taux de mise en œuvre de la loi de finances pour 2020 soit en recul. Elle note cependant que les mesures d’urgence votées dans les trois premières lois de finances rectificatives de l’année passée ont été rapidement et correctement appliquées.
Le 12 mai dernier, le président Claude Raynal, qui m’a demandé de le représenter ici, monsieur le ministre, puisqu’il assiste à cet instant même à l’audition de vos collègues Bruno Le Maire et Olivier Dussopt, avait interrogé Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement. Je n’insisterai donc que sur trois points.
Premier point, l’article 147 de la loi de finances pour 2020, qui comporte l’essentiel des mesures de transposition du « paquet TVA » sur le commerce électronique, doit entrer en vigueur le 1er juillet prochain.
Comme vous le savez, la commission des finances s’implique depuis plusieurs années sur le sujet de la fiscalité à l’heure de l’économie numérique. Nous avions souligné l’importance, pour les opérateurs, de connaître les dispositions d’application de cet article, alors que nous nous rapprochions chaque jour davantage de l’entrée en vigueur de cette réforme.
Un décret et un arrêté ont finalement été publiés hier, juste avant notre débat, ce dont nous pouvons nous féliciter : ils étaient indispensables pour que les opérateurs puissent être prêts en temps et en heure. Dont acte !
Deuxième point, nous avons adopté l’an passé des mesures de soutien en faveur des médias. Le crédit d’impôt pour dépenses de création audiovisuelle et cinématographique n’a toujours pas fait l’objet d’un feu vert européen. La secrétaire générale du Gouvernement nous a indiqué ne pas savoir si la fumée blanche allait sortir. Pouvez-vous nous dire si vous restez optimiste ?
Par ailleurs, la loi a été promulguée le 30 juillet 2020 ; la prénotification européenne a eu lieu en novembre et la notification en avril 2021. Ces délais ne sont-ils pas trop longs lorsque l’on veut mettre en œuvre des mesures d’urgence ?
Dernier point, un arrêté doit fixer les conditions d’application de l’article 66 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, qui oblige certaines entreprises dans lesquelles l’État détient une participation à respecter des engagements climatiques.
Notre commission a récemment organisé une table ronde sur la finance durable qui a montré, s’il en était besoin, l’acuité du sujet. L’arrêté serait au stade de la consultation avec les parties prenantes.
Alors que le Sénat va bientôt débattre du projet de loi Climat et résilience, ne pensez-vous pas que des dispositions d’ores et déjà votées par le Parlement sur les engagements climatiques des entreprises à capitaux publics devraient être rapidement mises en œuvre ? C’est du moins notre conviction.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président Éblé, tout d’abord, je ne sais pas s’il existe un lien de cause à effet entre la publication au Journal officiel du décret relatif à la transposition du paquet TVA sur le commerce électronique, ainsi que des trois arrêtés l’accompagnant, et notre débat de ce jour, mais je me permets, comme vous, de m’en féliciter. Après tout, cette parution s’explique peut-être par l’influence vertueuse de ce contrôle parlementaire.
Vous m’interrogez sur le crédit d’impôt pour dépenses de création audiovisuelle et cinématographique, voté dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020. Le dispositif a été prénotifié à la Commission européenne le 9 novembre 2020, ce qui a permis d’échanger en amont de la notification du 13 avril, et d’obtenir rapidement une décision d’approbation, laquelle a été rendue le 17 mai.
Dès lors, le Gouvernement devrait être en mesure de publier rapidement le décret, donnant ainsi raison, si je puis me permettre, à l’optimisme que vous avez exprimé.
Les délais que vous évoquez sont usuels, voire plutôt resserrés, et correspondent à la durée normale des échanges entre le Gouvernement et la Commission qui a, elle aussi, comme vous pouvez l’imaginer, un programme de travail très chargé, compte tenu des réponses qu’elle a dû apporter à la crise sanitaire et économique.
Enfin, vous mentionnez l’article 66 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, qui oblige certaines entreprises dans lesquelles l’État détient une participation à respecter des engagements climatiques.
Le sujet est effectivement fondamental, mais soulève de multiples difficultés, qui ont été soulignées dès l’examen de la mesure devant le Parlement, puisque cette disposition requiert que l’on définisse des trajectoires individuelles pour chaque entreprise.
Néanmoins, le ministère de l’économie, des finances et de la relance, ainsi que le ministère de la transition écologique ont trouvé un point d’accord : le projet d’arrêté a été soumis à la consultation des parties prenantes avant sa publication. À ce stade, je ne peux pas vous donner un calendrier plus précis, mais les choses avancent.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, la commission des lois constate, sur un plan statistique, que le quart des mesures d’application prévues par les textes qu’elle a examinés au fond en 2019-2020 n’était toujours pas pris au 31 mars dernier.
Cette situation est d’autant plus regrettable que notre commission a examiné 23 des 43 lois promulguées durant la période, soit 53 % du total, hors lois autorisant la ratification de conventions internationales. J’insiste sur le caractère pourtant obligatoire de la publication des mesures d’application car, en l’absence de toute sanction à l’égard d’un Gouvernement qui ne prendrait pas les décrets prévus, et ce dans un délai raisonnable, seule la publicité du contrôle parlementaire engendrera une amélioration de la situation.
Certes, ce taux d’application des lois ne préjuge pas de la qualité des mesures prises, et ne tient pas compte des mesures facultatives, dont nous savons qu’elles ont été cette année particulièrement nombreuses du fait de l’état d’urgence sanitaire. Dans un contexte objectivement difficile, la commission des lois ne souhaite donc pas surinterpréter cette donnée et reconnaît le caractère constructif des échanges avec le secrétariat général du Gouvernement.
Je souhaite toutefois attirer votre attention sur deux lois parmi les 23 relevant de la compétence de la commission des lois, qui demeuraient entièrement inapplicables au 31 mars 2021.
Il s’agit, d’une part, de la loi du 3 juillet 2020 visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l’arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent et, d’autre part, de la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux : plus de huit mois après l’entrée en vigueur de ces deux lois, aucun des décrets obligatoires prévus par ces textes, pourtant issus de propositions de loi déposées par des députés, n’avait été pris à l’issue des délais impartis.
De même, notre commission regrette vivement que la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales n’ait toujours pas été rendue pleinement applicable au 31 mars 2021.
Je vous ferai grâce d’autres remarques pourtant importantes. Mes questions sont les suivantes, monsieur le ministre : réfléchissez-vous à des mesures pour assurer un pilotage plus efficace des phases consultatives préalables à la parution des mesures réglementaires ? Plus généralement, quels enseignements tirez-vous des dysfonctionnements qui ont conduit à ces retards ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président Buffet, vous m’interrogez sur l’application de différentes lois issues d’initiatives parlementaires, qui représentent, je le rappelle, 18 des 43 textes votés durant la dernière session parlementaire.
Tout d’abord, je voudrais vous remercier pour le travail approfondi que vous avez conduit avec le secrétariat général du Gouvernement : celui-ci a permis d’avancer sur un certain nombre de dispositions, même si vous m’alertez sur deux ou trois points.
S’agissant de la loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, quatre mesures d’application restent encore à prendre, dont une devrait être publiée en juin 2021. Il s’agit du décret visant à former les arbitres et les juges, dans le domaine sportif, à la lutte contre les arrêts cardiaques et aux gestes qui sauvent. Les autres décrets sont en cours de rédaction.
La loi visant à encadrer le démarchage téléphonique appelle pour sa part trois mesures d’application et deux mesures éventuellement nécessaires.
Un premier décret portant application de deux mesures doit être pris, afin de définir les jours et horaires, ainsi que la fréquence à laquelle la prospection commerciale par voie téléphonique non sollicitée peut se dérouler ; il doit également déterminer les conditions dans lesquelles la prospection en vue de la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines est autorisée.
Ce décret qui a été soumis pour consultation fait débat : les positions des associations de consommateurs, d’une part, et des organisations professionnelles, d’autre part, sont très éloignées. Des arbitrages ministériels et interministériels devront être rendus sans qu’il soit possible à ce stade d’annoncer une date précise de publication.
Un second décret doit être pris pour définir les modalités selon lesquelles l’inscription sur une liste d’opposition au démarchage téléphonique est reconductible tacitement. Il fait l’objet d’échanges avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui devrait prochainement rendre un avis avant la saisine du Conseil d’État. Il est prévu que le décret paraisse en juillet 2021.
Concernant les deux mesures éventuelles, les décrets seront pris en tant que de besoin et dépendent des règles déontologiques qui seront adoptées par la profession.
Enfin, vous m’interrogez, tout comme l’a fait Mme la présidente Gruny, sur la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Un décret d’application est encore nécessaire : il concerne la possibilité, pour le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’adresser une mise en demeure aux sites internet pornographiques ne garantissant pas suffisamment l’impossibilité d’accès pour un mineur, et de saisir le président du tribunal judiciaire de Paris.
La Commission européenne a été notifiée de ce projet de décret le 2 avril dernier, une fois qu’ont été identifiés les procédés techniques pour contrôler l’âge des utilisateurs.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 4 mars dernier, j’ai présenté un rapport sur le suivi des résolutions européennes, des avis motivés et des avis politiques qui traduit notre attachement, y compris dans le domaine des affaires européennes, au contrôle des suites données à nos travaux. Ce rapport démontre une nouvelle fois la réelle influence du Sénat à Bruxelles.
Je tiens à mentionner que, cette année encore, le Sénat français fait partie des dix assemblées parlementaires les plus actives, parmi les trente-neuf que compte l’Union européenne, pour ce qui concerne le dialogue politique avec la Commission européenne.
Sur la session 2019-2020, 17 résolutions européennes ont été adoptées par le Sénat. Dans environ 83 % des cas, les positions exprimées par le Sénat dans ces résolutions européennes ont été prises en compte.
Je voudrais à présent revenir sur une préoccupation partagée par nombre des précédents intervenants, notamment mes collègues présidents de commissions permanentes : je veux parler des ordonnances.
Nous constatons, d’année en année, un recours croissant aux ordonnances pour transposer les textes européens.
En juin 2019, le règlement du Sénat a confirmé le rôle de la commission des affaires européennes dans sa mission d’alerte sur les surtranspositions. Sur l’initiative du président Larcher, le Sénat a entrepris de modifier son règlement pour permettre le suivi des ordonnances.
À ce sujet, la commission des affaires européennes serait très intéressée que l’outil de suivi en ligne mis en place à cet effet soit enrichi d’une mention indiquant dans quelle mesure les ordonnances listées contribuent à la transposition et à la mise en œuvre de nos obligations européennes. Notre commission pourrait ainsi exercer sa mission d’alerte sur les surtranspositions, y compris dans les ordonnances prises par le Gouvernement, qui sont souvent trop discrètement ou tacitement ratifiées. Monsieur le ministre, pouvez-vous vous y engager ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président, vous connaissez l’attachement du Gouvernement aux questions européennes et le respect qu’il porte aux travaux des commissions des affaires européennes des deux assemblées. Je souhaite souligner la qualité du travail qui est fait par le Sénat dans ce domaine.
Les propositions que vous présentez dans le cadre de vos travaux, en lien avec les autres parlements européens, et au travers de vos propositions de résolution, nourrissent la réflexion du Gouvernement, particulièrement à l’approche de la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022.
La question de la transposition des directives recoupe, comme vous l’avez souligné, celle des ordonnances.
Pour parvenir à maintenir un taux de transposition le plus élevé possible, le Gouvernement a, comme ses prédécesseurs, recours à des projets de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, dits Ddadue, qui comportent un certain nombre de demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances.
Ces instruments permettent de traiter efficacement de questions souvent très techniques, en laissant aux parlementaires le soin d’apprécier la portée qu’ils donnent à l’habilitation.
Au 30 novembre 2020, le déficit de transposition de la France était de l’ordre de 0,3 %, trois directives seulement souffrant alors d’un retard de transposition sur les 1 024 en vigueur et relevant du marché intérieur. Ce déficit est bien en dessous de l’objectif fixé par l’Union européenne, qui est de l’ordre de 0,9 %. Nous pouvons conjointement nous féliciter de ce résultat, qui démontre l’attachement de la France aux institutions européennes et aux dispositions qu’elles prennent.
Comme vous le signalez, le travail de suivi des ordonnances engagé par le Sénat pourra aisément être complété par l’information selon laquelle une ordonnance transpose une directive européenne. Les rapports du Président de la République qui les accompagnent au moment de leur publication font mention à la fois du fondement légal de l’habilitation et de la référence de la directive transposée. Vous avez raison : ces éléments éclairent utilement le Parlement sur l’usage que le Gouvernement fait des ordonnances.
M. le président. Dans le débat interactif, la parole est désormais aux représentants des groupes, selon les mêmes règles que pour les représentants des commissions.
La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie la présidente Pascale Gruny de son travail sur le bilan de l’application des lois, sujet qui est au cœur de la présente semaine de contrôle. Je pense à l’examen à venir de la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit. Je pense aussi à la discussion de la proposition de résolution visant à réviser notre règlement qui a eu lieu hier.
Un dispositif utile et consensuel a d’ailleurs été voté, afin que le Gouvernement informe la conférence des présidents des ordonnances qu’il prévoit de publier au cours du semestre. Pourrez-vous, monsieur le ministre, indiquer la portée que ce dispositif bienvenu aura dans l’organisation de vos travaux ?
Plus généralement, le bilan de l’application des lois souligne, comme par le passé, une banalisation du recours aux ordonnances. La crise sanitaire a impliqué tout au long de l’année 2020 de prendre et d’adapter des mesures, notamment par ordonnance. Au regard de l’urgence, 100 ordonnances ont ainsi été prises, presque le double de l’année précédente.
Pour présenter les habilitations comme une facilité dont userait le Gouvernement et dont la pertinence ne serait pas établie, le bilan se fonde sur un délai moyen de 209 jours entre le dépôt du projet de loi d’habilitation et la publication de l’ordonnance. Or ce délai est de 29 jours pour les ordonnances prises dans le cadre de la crise sanitaire.
Cette célérité ainsi que le doublement du nombre des ordonnances dans ce contexte bien particulier peuvent expliquer un allongement du délai de publication constaté pour les autres ordonnances.
La comparaison ne peut se faire que toutes choses égales par ailleurs, et compte tenu des spécificités de la situation. Le Sénat a d’ailleurs lui-même consenti plusieurs habilitations, y compris au sein du texte adopté la semaine dernière relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire.
Il faut enfin rappeler que, une fois franchi le délai de dépôt du texte de ratification, le Parlement peut tout à fait intervenir pour modifier ces ordonnances. Monsieur le ministre, quel bilan le Gouvernement tire-t-il de cette période de crise et des délais très courts que l’on a pu observer entre le dépôt des projets de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances et la publication desdites ordonnances ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la sénatrice Nadège Havet, je voudrais d’abord saluer, comme je l’ai fait tout à l’heure, la qualité du travail du Sénat en matière de contrôle de l’application des lois.
Vous m’interrogez sur les évolutions du règlement du Sénat : il n’appartient pas au Gouvernement de commenter les évolutions du règlement de votre assemblée, et encore moins avant même la décision du Conseil constitutionnel. Évidemment, le Gouvernement se pliera, comme il essaie de le faire à chaque fois, à ce nouvel exercice qui permettra aux sénateurs, comme l’a rappelé la présidente Gruny, de mieux contrôler l’application des lois tout au long de la session.
Vous avez abordé la question des ordonnances. Comme vous l’avez indiqué, au cours de la session, près de 100 ordonnances ont été prises. Elles ont permis de faire face à l’épidémie et de mettre en place des dispositifs de soutien en un temps record. C’est évidemment la crise sanitaire qui explique un tel recours accru aux ordonnances, comme j’ai tenté de vous l’expliquer tout à l’heure.
Vous vous félicitez de la célérité avec laquelle ces ordonnances ont pu être mises en œuvre. C’est précisément dans ce but que nous y avons eu recours. Vous me permettrez, à cet égard, de saluer la mobilisation de tous les agents publics durant cette période : ils ont permis de faire face avec rapidité et efficacité à la crise, tant au niveau central qu’au niveau déconcentré, grâce à un usage adapté des ordonnances.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Le bilan de l’application des lois s’inscrit dans une tradition parlementaire qui n’est sans doute pas assez prise en compte. Le Sénat s’y trouve pourtant au cœur de sa mission constitutionnelle de contrôle, mais aussi de sa responsabilité partagée de législateur.
Il faut dire que ce débat tombe à pic, à la veille de l’examen du projet de loi 4D, qui pourrait, à l’instar du projet de loi Engagement et proximité, s’avérer tentaculaire, et à ce titre plus difficilement applicable rapidement. Prenons-y garde !
Vous me permettrez trois remarques et suggestions.
Le temps donné entre le dépôt en ligne du texte modifié par la commission et l’examen en séance est parfois d’une brièveté rocambolesque, ce qui ne permet pas un travail de qualité. Nous devons améliorer cette procédure.
Deuxièmement, nous pouvons admettre, dans un contexte exceptionnel, le recours croissant aux ordonnances, mais ce n’est pas, selon nous, une solution pérenne.
Troisièmement, je m’interroge sur le rôle des questions écrites au Gouvernement ; il doit être possible de les faire évoluer sans modifier la Constitution, en identifiant plus rapidement les questions qui touchent, précisément, aux décrets d’application ou au caractère non opérationnel de certaines dispositions votées. Monsieur le ministre, la balle est dans votre camp ; pouvons-nous réfléchir à mieux mobiliser cet outil ?
J’en viens à une mission à laquelle, je l’espère, le Sénat va conférer une place croissante, celle d’évaluation – la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation s’en est d’ailleurs saisie récemment. Les rapports au Parlement et le recours aux expérimentations ont enrichi nos textes de loi ces dernières années. Mais qu’en faisons-nous ?
Comment sont traités les rapports remis au Parlement ? Quelles suites leur ont été données en 2020 ? Quelles difficultés sont-elles constatées dans leur élaboration ? Faut-il continuer à demander de tels rapports ?
Comment sont traitées les suites des expérimentations prévues dans les textes de loi que nous votons ? Le Sénat ne pourrait-il devenir, en la matière, un évaluateur identifié et, pour ce qui est des projets de loi stratégiques concernant les collectivités locales, proposer lui-même de telles expérimentations en amont de leur examen ? Des expérimentations ciblées et évaluées constituent des garants intéressants du caractère opérationnel de la loi tout en permettant d’aller plus vite dans la rédaction d’éventuels décrets d’application.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Roux. Vous soulevez un grand nombre d’interrogations ; je vais essayer d’y apporter des réponses, qui seront par définition concises.
Vous avez évoqué la réorganisation matérielle de l’examen des textes au Sénat. Il est vrai que, pendant la session en cours, période qui nous occupe cet après-midi, la crise a rendu les conditions d’exercice de vos missions particulièrement tendues, plus encore qu’elles ne le sont déjà d’ordinaire. Nous essayons de faire aussi bien que possible, et l’on peut espérer que la sortie de la crise sanitaire nous permettra de retrouver des délais et une organisation plus conformes à l’image que nous nous faisons les uns et les autres de ce que doit être le travail parlementaire.
De la même façon – je le dis au passage –, les rapports transmis au Parlement participent de son information ; il appartient aux députés et aux sénateurs de s’en saisir.
Vous avez parlé du recours aux ordonnances, dont vous jugez qu’il doit rester exceptionnel et ne pas devenir la norme. J’ai essayé de répondre à la présidente Gruny en indiquant que cette surutilisation des ordonnances était très liée à la crise sanitaire et qu’il fallait évidemment revenir à un usage plus modéré de ce dispositif.
Vous m’incitez à trouver des solutions pour mieux mobiliser les questions écrites. Je rejoins votre souci de leur donner toute la place qu’elles méritent – le président Larcher le rappelle souvent – en tant qu’outils de contrôle du Gouvernement par les parlementaires. J’ai d’ailleurs très souvent rappelé cet impératif à mes collègues, y compris à la fin de l’année dernière et au cours des mois qui viennent de s’écouler.
Cependant, vous conviendrez qu’avec près de 60 000 questions écrites posées depuis le début du quinquennat par les députés et les sénateurs, il ne serait pas aisé de transformer cet outil de contrôle – c’est bel et bien un outil de contrôle, prévu comme tel, avec ses contraintes de réponse – en indicateur de suivi. Le bilan de l’application des lois me semble un outil plus adapté pour répondre à cet objectif.
Quant à la question des expérimentations, elle a déjà été soulevée. Cette procédure constitue en effet une méthode intéressante pour mettre en œuvre certaines réformes. Le Sénat est toujours libre de proposer des expérimentations ; dans la mesure où il est saisi en premier lieu des textes relatifs aux collectivités territoriales, ces propositions servent de base aux discussions dans la suite de la navette parlementaire.
La généralisation des expérimentations passe nécessairement par une nouvelle loi après la remise du rapport qui en dresse le bilan. Là encore, me semble-t-il, il revient aux parlementaires de se saisir du sujet qui est en cause ou d’adopter la disposition concernée dans le cadre d’un nouveau texte de loi.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous sommes conduits ces jours-ci à réfléchir à l’élaboration de la loi et aux modalités du travail législatif : hier la réforme du règlement du Sénat, bientôt la problématique des lois obsolètes, aujourd’hui ce débat sur le bilan de l’application des lois.
Je souhaiterais pour ma part revenir sur un point : de quelle loi parle-t-on ? Les ordonnances sont en effet de plus en plus nombreuses et les ratifications de plus en plus rares ; ainsi le pouvoir exécutif empiète-t-il toujours davantage sur le pouvoir législatif.
Certes, monsieur le ministre, la Constitution de 1958 a œuvré à l’extension du pouvoir réglementaire, notamment en le rendant autonome. Il reste qu’il appartient au pouvoir en place de veiller à l’équilibre des pouvoirs.
Il n’y a qu’à voir les projets de loi de gestion de la crise sanitaire : ce sont pas moins de 92 ordonnances qui ont été prises dans ce cadre, sur des sujets aussi variés qu’importants, et aucune ratification n’a été soumise au Parlement. Et ce n’est qu’un exemple : la tendance s’est peut-être un peu accentuée, mais elle ne fait, année après année, que se confirmer.
Dans une décision rendue le 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a spécifié en des termes inédits qu’une ordonnance qui n’aurait pas été ratifiée par le Parlement pourrait avoir rétroactivement force de loi une fois passé le délai d’habilitation. Autrement dit, passé leur date limite, les ordonnances doivent être considérées comme des dispositions législatives. Il ne faudrait pas que laisser traîner pour éviter le débat démocratique devienne une règle là où il s’agit de légiférer.
Ayant entendu les premières réponses que vous avez faites, monsieur le ministre, j’ajoute qu’il ne faudrait pas non plus donner le sentiment que la démocratie n’est qu’une question de ratios horaires et que le temps du travail et du débat législatifs représente une perte d’efficacité.
Je souhaite donc connaître la position du Gouvernement sur cette décision, en espérant que celle-ci n’ait pas déjà été intégrée à la jurisprudence en matière de procédure législative.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la sénatrice Cukierman, je vous remercie de votre question. Loin de moi l’idée qu’il faudrait rationaliser le temps parlementaire. J’ai simplement indiqué que dans certains cas – j’ai fait référence à la gestion de la crise sanitaire – où les ordonnances sont le meilleur outil pour œuvrer dans la plus grande célérité.
Vous m’interrogez par ailleurs et plus globalement sur le recours aux ordonnances, qui constitue à vos yeux un recul des pouvoirs du Parlement. Je ne reviendrai pas sur les propos que j’ai tenus tout à l’heure. Je rappelle simplement que, depuis 2007, la moyenne annuelle s’établit à 42, hors ordonnances liées à la crise.
Pour parler franchement, le constat d’une forme de « banalisation », pour reprendre le mot utilisé par Jean-Marc Sauvé lors d’un colloque sur la législation déléguée en 2014, me semble difficile à contester.
Je manque de temps, sans doute, ainsi que du recul nécessaire, pour me livrer à une explication juridique des causes de ce phénomène, mais je partage de façon empirique l’analyse de l’ancien vice-président du Conseil d’État, que je me permets de citer : « L’“inflation législative” […] a […] trouvé dans la législation déléguée un exutoire durable, d’abord pour répondre à l’urgence de certaines réformes ou pour décharger le Parlement de l’adoption de textes techniques […], ensuite pour investir très largement le domaine devenu très extensif de la loi. »
Pour ce qui est de la ratification des ordonnances par le Parlement, le Gouvernement s’engage généralement, au moment de la demande d’habilitation et s’agissant de sujets d’intérêt pour les parlementaires, à inscrire à l’ordre du jour le projet de loi de ratification. Ce fut le cas pour le tout premier texte d’habilitation voté sous ce quinquennat, visant à renforcer le dialogue social, ou plus récemment au sujet de la justice pénale des mineurs.
Le Parlement demeure en outre libre d’inscrire sur son ordre du jour, notamment à la suite des débats de contrôle, la ratification d’ordonnances dont il souhaite discuter ou amender le contenu. L’article 48 de la Constitution lui confère la maîtrise de la moitié de son ordre du jour ; libre à lui d’en disposer selon ses priorités. Tel est le sens, me semble-t-il, de l’une des conclusions du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat.
À l’inverse, le Gouvernement n’est pas favorable à l’inscription systématique en séance publique, sur son ordre du jour prioritaire, de projets de loi de ratification, dès lors qu’il n’existe pas de volonté politique d’en modifier la teneur ou d’en valider le principe.
Je tiens à rappeler qu’en la matière, le Sénat a de lui-même écarté l’option d’un débat en séance publique pour près de la moitié des ratifications d’ordonnances sous ce quinquennat. L’article 71 de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite Pacte, par exemple, qui prévoyait la ratification de 23 ordonnances, a été examiné en procédure de législation en commission à la demande de la commission spéciale et n’a donné lieu à aucun débat particulier.
Vous m’interrogez également sur la décision récente relative à la répartition des compétences entre le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et le Parlement en matière d’ordonnances non ratifiées.
Lorsque le délai d’habilitation accordé par le Parlement au Gouvernement pour prendre l’ordonnance est expiré, la contestation de l’ordonnance, au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, doit prendre la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité dont aura à juger le Conseil constitutionnel.
En revanche, le Conseil d’État continuera de contrôler systématiquement la conformité de l’ordonnance aux règles et principes de valeur constitutionnelle, aux engagements internationaux et aux limites fixées par le Parlement.
Le Parlement, quant à lui, conservera l’entièreté de ses pouvoirs, que ce soit pour ratifier l’ordonnance, qui ne pourra le cas échéant plus être contestée devant le Conseil d’État, ou pour la modifier.
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Bien qu’un peu austère, cet exercice relatif au bilan de l’application des lois constitue un temps fort du contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement.
Une fois la loi votée, en effet, le rôle du législateur n’est pas achevé. L’organisation de ce débat cet après-midi nous permet notamment de donner toute sa force au principe de séparation des pouvoirs et de veiller à la crédibilité de l’action publique.
En premier lieu, je souhaite mettre l’accent sur le recours trop fréquent à la procédure accélérée.
À titre d’exemple, sur les 23 lois promulguées lors de la précédente session et examinées au fond par la commission des lois, 17 ont été adoptées après engagement de cette procédure, soit un taux de 74 % ! Autrement dit, l’exception devient la règle, or ces conditions nuisent au nécessaire travail sur le fond. En effet, des délais restreints portent atteinte à la qualité du débat parlementaire et donc de la loi, ce que nous regrettons vivement.
En second lieu, monsieur le ministre, je souhaite vous interpeller sur la non-communication de rapports au Parlement prévus par la loi ou, selon les cas, sur le retard observé dans leur transmission.
Dans les 23 lois promulguées au cours de la session parlementaire 2019-2020 qui avaient été envoyées au fond à la commission des lois, sept remises de rapport étaient prévues ; à ce jour, quatre rapports seulement ont été remis, soit un taux de remise de l’ordre de 57 %. Ce chiffre n’est pas satisfaisant.
Concernant les retards dans la transmission, je souhaite citer, à titre d’exemple, le rapport prévu à l’article 18 de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.
Monsieur le ministre, ma question est la suivante – beaucoup de mes collègues se la posent : quelles mesures envisagez-vous de prendre enfin pour remédier à ces situations ? (M. Jean-Pierre Decool applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le sénateur Wattebled, je partage le sentiment que vous avez d’abord exprimé : la bonne application des lois et son contrôle par le Parlement participent de la crédibilité de l’action et de la délibération publiques, à laquelle nous sommes bien évidemment tous attachés.
Vous regrettez le recours trop fréquent à la procédure accélérée. Cette tendance n’est pas propre à ce quinquennat ; on observe qu’elle est en hausse depuis au moins une dizaine d’années, ce qui n’est sans doute pas sans lien avec la révision constitutionnelle de 2008, qui a profondément modifié les règles de fixation de l’ordre du jour. À défaut de procédure accélérée, un texte déposé depuis moins de six semaines ne peut être inscrit à l’ordre du jour, ce qui, à un ou deux jours près, peut conduire à retarder son examen d’un ou de plusieurs mois.
Les conditions d’examen exceptionnelles que nous avons connues durant la crise ne sont cependant pas représentatives de la manière dont la discussion des textes s’est déroulée depuis 2017. Même si le Gouvernement demande généralement la réunion d’une commission mixte paritaire à l’issue des premières lectures, comme le recours à la procédure accélérée l’y autorise, il s’est efforcé de ménager des délais d’examen raisonnables entre le dépôt ou la transmission d’un texte et son examen en séance publique.
Ainsi certaines grandes réformes du quinquennat, telles que la loi Égalim, la loi Pacte ou la loi d’orientation des mobilités ont-elles été examinées en procédure accélérée, sans que cela empêche de laisser au Parlement des délais supérieurs à ceux qui sont prévus à l’article 42 de notre Constitution pour la procédure de droit commun.
Enfin, vous m’interrogez sur la question des rapports au Parlement. Je constate comme vous qu’ils sont remis avec un certain retard ; je ne manque pas, d’ailleurs, de rappeler certains de mes collègues à leurs obligations de ce point de vue.
Cet effort est d’autant plus nécessaire que les parlementaires adoptent de plus en plus une attitude responsable pour limiter l’inscription dans la loi de ce type de dispositifs. Je tiens d’ailleurs à signaler l’action du Sénat en ce domaine.
Les demandes de rapport permettent certes de débattre de sujets qui n’auraient pas leur place dans un amendement, compte tenu de l’article 40 de la Constitution, mais elles alourdissent les textes et nuisent à leur bonne application. Étant donné les efforts qui sont faits par les parlementaires, le Gouvernement doit lui-même s’astreindre à des efforts analogues afin de rendre les rapports dans les délais qui sont prévus.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur la mauvaise application du code de l’environnement par les préfets.
Je prendrai ici un exemple parmi tant d’autres d’application déficiente de son article L. 163-1 relatif aux mesures de compensation des atteintes prévues ou prévisibles à la biodiversité occasionnées par la réalisation d’un projet d’aménagement : le projet Inspira, en Isère, vise à étendre sur 221 hectares une zone industrialo-portuaire en bordure du Rhône. Les commissaires enquêteurs qui ont conduit l’enquête publique portant sur ce projet, jugeant les mesures compensatoires insatisfaisantes et constatant leur médiocrité et leur inadéquation, ont émis un avis défavorable au projet.
En effet, en vertu de l’article L. 163-1 du code de l’environnement, si les atteintes liées au projet ne peuvent être compensées de façon satisfaisante, celui-ci ne doit pas être autorisé en l’état. On aurait donc pu s’attendre à ce que les préfets refusent l’autorisation ; or il n’en fut rien.
Par ailleurs, pour Inspira comme pour bien d’autres projets, les durées des mesures compensatoires prévues sont dérisoires : une trentaine d’années, quand les destructions peuvent s’étendre sur des décennies, voire des siècles. La génération suivante ne pourra que constater la destruction définitive une fois les compensations devenues caduques.
Les dispositions de l’article L. 163-1 imposent pourtant que les mesures de compensation se traduisent par une obligation de résultat et soient effectives pendant toute la durée des atteintes. Or cette disposition n’est jamais respectée par les préfets.
Encore n’est-ce pas la seule : je ne citerai, parmi d’autres, que le non-respect chronique des articles L. 124-1 et suivants du même code relatifs à la communication des documents qui relèvent de l’environnement. Cette violation nous a valu une mise en demeure de la Commission européenne en mai 2020. Un an plus tard, une circulaire a enfin été transmise aux préfets pour leur intimer de respecter la loi. Cela nous semble pourtant le minimum dans un État de droit.
Monsieur le ministre, comment expliquez-vous que les préfets outrepassent ainsi trop souvent la loi ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le sénateur Gontard, vous posez la question de la façon dont les préfets font respecter les normes. Au fond, de manière sous-jacente, vous mettez ainsi en cause le rôle des préfets en tant que garants de l’application des lois sur leur territoire.
Votre question laisse par ailleurs entendre que le Gouvernement donnerait des instructions pour que la loi ne soit pas respectée dans certaines situations. Monsieur Gontard, je ne peux y souscrire. Je considère pour ma part que les préfets sont de très grands serviteurs de l’État, qui ont contribué, notamment dans leurs relations avec les maires et avec l’ensemble des élus, à ce que notre pays puisse tenir jour après jour face à la crise.
J’ai du mal à comprendre le lien entre, d’une part, votre question, et la réponse que vous attendez, et, d’autre part, le débat de ce jour, qui porte sur les mesures d’application des lois prises par le Gouvernement. Ce débat ne me semble pas avoir vocation à s’immiscer dans le contrôle de légalité.
Concernant les procédures que vous évoquez au niveau local, il revient, en effet, au juge administratif de trancher. Il ne convient pas non plus de remettre en cause l’article 20 de notre Constitution, qui – je le rappelle – place l’administration à la disposition du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. François Bonneau.
M. François Bonneau. L’excès de réglementation conduit à une dévaluation de la règle de droit ; en la matière, le Conseil d’État avait sonné l’alerte dans son rapport public de 1991, relevant notamment qu’« un des éléments de la dégradation de la norme [législative] réside dans le développement des textes d’affichage, un droit mou, un droit flou, un droit à l’état gazeux ».
Les textes qui passent par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et plus généralement les textes qui touchent à la protection de l’environnement, sont plus que les autres propices au développement d’une sorte de nonchalance de la part des autorités chargées de les appliquer.
Ainsi, la loi pour l’économie bleue, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et la loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, toutes trois résultant de projets de loi votés en 2016, ne sont pas encore totalement appliquées. Pour ce qui est de la loi Montagne, plus d’un quart de ses dispositions ne sont toujours pas appliquées !
À examiner le récent projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, qui ne contient rien d’autre qu’une énième formule incantatoire et qui sera sans doute dépourvu du moindre effet juridique, il paraît évident que le gouvernement actuel n’entend pas prendre le contre-pied de cette tendance malheureuse.
Certes, le Parlement n’est pas toujours exempt de reproches. Mais la tendance croissante à user de projets de loi dans un but purement cosmétique, à la limite de simples opérations de communication, nous semble gravement nuire à la lisibilité de notre droit et à l’autorité des lois. Et ce n’est pas en agissant de la sorte que nous favoriserons la protection effective de l’environnement.
Aussi, à la veille de l’examen du tentaculaire projet de loi Climat et résilience par la Haute Assemblée, anticipons un peu, monsieur le ministre : quelles garanties pouvez-vous apporter aux parlementaires concernant les très, voire trop, nombreuses dispositions nouvelles visant à protéger l’environnement ? Pourront-elles effectivement être mises en œuvre dans un délai raisonnable ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le sénateur Bonneau, vous m’interrogez, au fond, sur le sens de la loi, sur sa finalité. Vous faites à juste titre le constat – partagé – d’une inflation législative. Et l’exercice que nous faisons aujourd’hui, qui consiste à contrôler l’application de la loi, permet de vérifier que les lois promulguées ne sont pas des lois d’affichage, mais produisent bel et bien leurs effets au travers de leur application concrète.
Il est vrai que les textes examinés sont souvent très complexes. Vous évoquez le projet de loi Climat et résilience, sur lequel plus de 4 000 amendements, qui n’émanaient pas du Gouvernement, ont été discutés lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale. La Haute Assemblée en est désormais saisie, et nombre d’amendements ont été déposés en vue de l’élaboration du texte de la commission. Il y va de sujets complexes, dont certains nécessitent de nombreuses dispositions législatives.
Dans ce cadre, il faut – vous l’avez dit de façon sous-jacente – que chacun s’astreigne à rester dans le cadre fixé par la Constitution pour la loi. Quant au Gouvernement, il doit complémentairement faire en sorte que les mesures d’application de la loi soient concrètes. C’est le respect de ces exigences qui décide du caractère non cosmétique d’une loi.
Je rappelle quand même, au passage, que le taux d’application des lois, qui, comme l’a souligné à juste titre la présidente Gruny, était en recul par rapport à l’an dernier, est fortement remonté pour atteindre désormais l’objectif de 80 %. Ce taux est satisfaisant compte tenu de la situation, mais aussi au regard du taux d’application des lois par le Gouvernement observé au fil des ans. J’ajoute qu’il s’élèvera à 88 % au début de l’été, ce qui témoigne de la grande capacité des administrations à venir à bout des stocks de lois adoptées et à démontrer l’utilité des lois pour nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Beaucoup de choses ont déjà été dites sur le contenu du rapport ; elles sont pour la plupart assez positives. Monsieur le ministre, je ne vais pas faire la fine bouche : la copie du Gouvernement est plutôt bonne. Ce rapport vierge de tout vitriol, plutôt positif pour l’exécutif, plutôt positif pour les parlementaires également, m’inspire en définitive trois questions directes.
L’obstruction parlementaire existe-t-elle ?
Quel est l’avenir des ordonnances ?
Que serions-nous sans le Conseil constitutionnel ?
On nous dit souvent que la fabrication de la loi est lente, que le Parlement n’est pas assez moderne, surtout en France, ce pays si archaïque qui ose débattre de tout… On constate, à la lecture de ce rapport, que ces affirmations maintes et maintes fois répétées sont tout bonnement fausses : nous savons légiférer vite.
Je suis curieux d’entendre le ministre chargé des relations avec le Parlement sur ce sujet. Au lendemain du vote de la réforme de notre règlement qui vise à réduire certains débats, cela ne devrait pas manquer d’intérêt…
On nous dit aussi que certains sujets sont trop techniques pour les parlementaires, que les ordonnances sont bien commodes et permettent d’avancer vite et bien sur des thèmes pointus. D’autres que moi, en commission des lois ou cet après-midi en séance, ont déjà pointé le paradoxe qu’il y a à voir certaines habilitations non utilisées par le Gouvernement ou ont évoqué le goût amer laissé par certaines ordonnances mal ficelées.
Mon collègue Jean-Pierre Sueur relève que les ratifications sont devenues facultatives, et le président Larcher évoquait tout à l’heure la possibilité de propositions de loi de ratification. Quelle doctrine d’utilisation des ordonnances préconisez-vous, monsieur le ministre ?
Je tiens pour finir, afin d’être agréable à M. le ministre, à revenir sur un autre aspect légistique qui n’a pas véritablement été évoqué jusqu’ici, celui de l’utilité des censures du Conseil constitutionnel. Toutes les statistiques figurant dans ce rapport n’auraient pas été aussi bonnes si les textes adoptés n’avaient pas été nettoyés par les Sages. Je pense ici à feu la PPL Retailleau sur les casseurs, à la PPL Avia, l’été dernier, ou à la PPL Sécurité globale cette année.
Je suis convaincu, monsieur le ministre, que des juristes écouteront avec intérêt votre réponse à ces questions anodines.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le sénateur Durain, j’ai du mal à concevoir que ces questions soient totalement anodines. Je commence par les points positifs : vous avez donné deux bons points, l’un au Sénat pour son travail de contrôle et d’évaluation des lois, l’autre au Gouvernement pour son travail d’application – je vous en remercie.
Vous m’avez ensuite posé trois questions anodines, donc. (Sourires.)
Une curiosité, pour commencer : vous souhaitez connaître l’avis du Gouvernement, singulièrement du ministre chargé des relations avec le Parlement, sur le règlement du Sénat. Ma réponse ne vous étonnera pas : il ne m’appartient pas, en vertu du principe d’autonomie des assemblées, de me prononcer sur le règlement du Sénat.
Par ailleurs, vous ne m’avez pas entendu, et vous n’avez jamais entendu de membre du Gouvernement, en particulier pendant la crise sanitaire, remettre en cause la célérité avec laquelle, à l’Assemblée nationale comme au Sénat – le président Larcher en est témoin, ainsi qu’un certain nombre d’entre vous –, nous avons réussi à trouver, dans des conditions, y compris sanitaires, très difficiles, les voies et moyens permettant d’aller vite.
Pour ce qui est des ordonnances, j’ai indiqué quelle était la doctrine du Gouvernement en matière de ratification notamment ; je n’y reviens pas.
Vous m’invitez enfin à un deuxième exercice difficile : juger des décisions que prend le Conseil constitutionnel. Si celui-ci censure parfois des mesures ou des textes d’origine gouvernementale, je me permets de rappeler qu’il lui arrive aussi de censurer des dispositions d’origine parlementaire. Après tout, il exerce ses prérogatives, et c’est bien normal.
Tels sont les éléments que je souhaitais vous apporter, de manière tout aussi anodine.
M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. L’application des lois est le gage de l’efficacité, notamment en matière d’aménagement du territoire, sujet qui concerne l’ensemble des élus.
À titre d’exemple, je vous présenterai pour ma part un bilan de l’application de la loi du 22 juillet 2019 portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Environ 25 % des mesures d’application prévues manquent encore aujourd’hui à l’appel.
L’article 2 dispose qu’une convention doit être formalisée entre les ministres compétents concernant la reprise par l’ANCT des missions anciennement exercées par l’Agence du numérique. Où en est-on ?
Les conventions pluriannuelles mentionnées à l’article 7, liant l’ANCT et ses cinq opérateurs partenaires et prévoyant les conditions de la participation financière de ces derniers à la mise en œuvre des actions de l’Agence, n’ont pas encore été transmises au Parlement par la voie officielle prévue par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Elles sont déterminantes pour assurer le bon fonctionnement de l’ANCT et éviter que celle-ci devienne un arbre de plus dans la forêt des opérateurs de l’État.
Manque enfin le décret auquel renvoie l’article 11, censé déterminer les catégories de personnes pouvant entrer dans la réserve citoyenne pour la cohésion des territoires ainsi que la durée et les clauses du contrat d’engagement. La direction générale des collectivités locales (DGCL) a indiqué que plusieurs projets sont en cours depuis un an concernant cette mise en œuvre a priori difficile.
Le succès de l’Agence nationale de la cohésion des territoires reposera sur sa capacité à répondre efficacement aux besoins des collectivités territoriales.
Dans cette perspective, je rappelle quelles sont les priorités sur lesquelles nous avons régulièrement attiré l’attention du Gouvernement : un dialogue constant avec les élus dans le cadre des comités locaux de cohésion territoriale – je reste dans l’attente des précisions que j’ai demandées concernant leur installation ; une solide offre d’ingénierie pour accompagner les projets locaux ; un travail essentiel de coordination des actions de l’ANCT avec celles de ses opérateurs partenaires.
Vous en conviendrez, monsieur le ministre, l’application est indispensable si l’on veut conserver la confiance des territoires.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le sénateur de Nicolaÿ, permettez-moi tout d’abord de vous remercier de centrer votre propos sur l’utilité de la loi portant création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Je vous sais très attaché à l’Agence en tant que représentant du Sénat à son conseil d’administration. Je m’efforcerai de vous apporter un certain nombre d’éléments de réponse.
L’article 2 de la loi prévoit effectivement une convention de reprise par l’ANCT des missions anciennement assurées par l’Agence du numérique. Cette convention est en cours de rédaction et devrait être présentée au mois de juin au conseil d’administration ; sa publication devrait intervenir à l’été 2021. Comme vous le soulignez, il est important que cette convention puisse être prise rapidement pour tenir compte des recommandations émises par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2021.
Les conventions pluriannuelles entre l’ANCT et ses opérateurs partenaires tels que l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) ou l’Agence de la transition écologique (Ademe) ont été contresignées par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Elles doivent également l’être par l’ensemble des parties prenantes, ce qui n’est pas encore le cas à l’heure actuelle. Ces documents seront ensuite transmis au Parlement par l’ANCT.
Pour ce qui concerne le décret destiné à déterminer les catégories de personnes pouvant entrer dans la réserve citoyenne pour la cohésion des territoires, les travaux d’élaboration sont en cours et devraient aboutir à l’été 2021.
Je tiens enfin à m’associer à votre propos sur la nécessité de ne pas décevoir l’attente forte des élus concernant l’ANCT. Celle-ci saura s’inscrire dans la politique du Gouvernement en faveur des territoires, au travers du plan de relance notamment, et démontrer son efficacité sur le terrain, en particulier pour les collectivités disposant de moindres capacités d’ingénierie.
Conclusion du débat
M. le président. Monsieur le ministre, madame le président Pascale Gruny, mes chers collègues, je remercie chacune et chacun d’entre vous pour sa contribution à ce débat important pour la vie parlementaire.
Je me disais, en vous écoutant, qu’au fond ce n’est pas pour nous que nous faisons la loi : nous ne sommes pas là pour nous entreregarder. La loi, c’est pour les Français que nous la faisons, en faisant vivre une définition concrète de ce qu’est l’État de droit dans une démocratie.
Nous faisons beaucoup de lois ; nous en faisons d’ailleurs beaucoup trop. Nous ne cessons de le dire depuis des années, mais nous en faisons de plus en plus ! Et, ces lois, nous les faisons parfois de manière impulsive, pour répondre le mercredi à un événement intervenu le samedi ou le dimanche précédent.
Cet exercice de contrôle, que nos collègues ne comprennent pas toujours suffisamment, permet de s’interroger sur l’utilité de la loi. N’y voyez pas un doute existentiel, mais je pense que nous vivons une forme de banalisation de la loi, et que cette banalisation affaiblit l’État de droit.
Je souhaitais le souligner, car il y va de ma responsabilité de président du Sénat.
Pour ce qui est des ordonnances – je le dis aussi bien à M. le ministre qu’à chacune et à chacun d’entre vous, mes chers collègues –, revenant sur une affaire qui a soulevé cet après-midi un certain nombre d’interrogations, j’affirme qu’on ne peut pas dire qu’on ne ratifiera jamais et que l’habilitation suffit ! C’est un de nos devoirs que de ratifier.
J’attends ce que dira Conseil constitutionnel sur la résolution qui a été votée hier. C’est un point important : nous ne pouvons pas continuer à penser que la quantité est le gage de la qualité s’agissant de l’État de droit.
Voilà ce que je voulais vous dire, en vous remerciant tous, à l’issue d’un débat que je juge essentiel. Je vous remercie, monsieur le ministre : ce n’est pas une tâche facile que de répondre ; cela exige parfois quelques acrobaties sémantiques. (Sourires.)
J’en profite pour rappeler que la législation en commission n’est pas une législation au rabais. Elle n’est pas automatique ; tout simplement, elle est parfois la plus adaptée, et la séance publique peut prendre le relais en cas de désaccord.
Je tiens assez fortement à ce débat, vous le voyez. Une des missions du Sénat est de contrôler ; nous devons poursuivre ce travail essentiel en commission, via nos missions d’information et de contrôle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)
Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan de l’application des lois.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Pacte vert européen
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le Pacte vert européen.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que notre assemblée entamera dans quelques jours le long examen en séance publique du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience, il a semblé important au groupe Les Républicains que le Sénat puisse débattre en amont du cadre dans lequel l’action climatique conduite par notre pays devra s’inscrire.
Hier, lorsque j’ai présenté mon rapport pour avis devant la commission des finances, je n’ai pas manqué de relever que les quelques articles sur lesquels je m’étais penchée appelaient tous à une concertation avec nos partenaires de l’Union européenne.
Le cadre dont nous allons débattre, c’est le projet de Pacte vert, présenté par la Commission européenne en décembre 2019. Ce pacte vise à atteindre la neutralité climatique en 2050, puis des émissions nettes négatives par la suite, à restaurer la biodiversité et à mettre un terme à la dégradation de l’environnement. Son fil rouge : parvenir dans les trente ans qui viennent à une transformation complète du modèle de croissance de notre continent.
Cette feuille de route implique des changements d’une réelle ampleur, que nous n’avons pas forcément tous perçus. Tous les pans de notre activité sont concernés, qu’il s’agisse de l’énergie, de l’industrie, du commerce, des transports, de la construction, de la recherche, de la finance, du recyclage ou encore de l’agriculture. Ce sont plusieurs dizaines de règlements et de directives qui seront proposés ou révisés dans les prochains mois.
À ce titre, un premier paquet législatif, intitulé « Ajustement à l’objectif 55 », sera présenté le mois prochain pour adapter la réglementation à la nouvelle cible climatique agréée fin avril par le Parlement européen et le Conseil, et qui porte sur une réduction nette de 55 % des émissions européennes d’ici à 2030. L’adoption de ce cadre obligera très certainement à réviser les ambitions de la France, inscrites dans le projet de loi Climat et résilience.
Mes chers collègues, il nous faut tous mesurer la hauteur de la marche qu’il nous est demandé de franchir. Entre 1990 et 2018, l’Europe a réduit ses émissions de 23 %. En un peu plus de huit ans, nos résultats devront donc être supérieurs de près de 40 % à ceux que nous avons obtenus au cours des trente dernières années. Même en tenant compte du progrès technique réalisé depuis les années 1990, l’effort à fournir est colossal !
La Commission européenne a présenté en janvier 2020 un plan d’investissement pour la transition écologique doté de 1 000 milliards d’euros sur dix ans. On peut le comparer au plan Juncker, lequel était à hauteur de 500 milliards d’euros sur cinq ans.
Dans le même temps, la Commission précisait que, pour atteindre l’objectif de réduction de 40 % des émissions à l’horizon 2030, c’était non pas 1 000, mais 2 000 milliards d’euros d’investissements qui étaient nécessaires. Ce ne sont donc pas les 37 % du plan de relance européen affectés à la transition écologique, soit 275 milliards d’euros seulement, qui permettront de combler la différence, et encore moins de financer la réalisation d’un objectif désormais porté à 55 %.
Pour tenir ces engagements climatiques, les finances nationales des États membres devront également être mises à contribution. L’Insee a récemment évalué à 100 milliards d’euros les dépenses annuelles nécessaires pour que la France atteigne la neutralité climatique en 2050, contre une dépense estimée à 45 milliards d’euros en 2018.
Il faudra donc mobiliser des capitaux privés. En disant cela, je souligne en creux que la notion de développement durable repose sur trois piliers : la soutenabilité écologique, l’efficacité économique et l’équité sociale. Il serait illusoire de prétendre se concentrer sur le premier pilier en oubliant les deux autres : ce serait courir le risque d’un effondrement global. La Commission y a été attentive puisque, dans l’enveloppe de 1 000 milliards d’euros d’investissements prévus, 100 milliards servent à financer un mécanisme pour la transition juste, en vue notamment de soutenir les territoires les plus en retard.
Les entreprises, véritables chevilles ouvrières de la transition écologique, devront donc être au centre de notre attention. Car c’est leur capacité à investir pour innover, développer de nouveaux modes de production, mais aussi assumer de nouvelles contraintes qui dictera notre capacité à atteindre nos objectifs climatiques.
Une politique industrielle volontariste est à ce titre indispensable. Les projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), qui permettent un soutien dérogatoire aux règles en matière d’aides d’État pour les filières industrielles innovantes, doivent en être un instrument fort. Et la volonté de relocalisation industrielle doit être une boussole.
Mais surtout, l’intense activité normative qui s’ouvre au niveau européen devra faire preuve d’un absolu pragmatisme. J’illustrerai mon propos par quelques exemples.
Tout d’abord, en matière d’énergie, il faut reconnaître le rôle majeur que doit jouer l’énergie nucléaire.
Dans un contexte où la demande en électricité est appelée à croître, le recours à l’énergie nucléaire est le seul moyen d’assurer une production, à la fois, totalement décarbonée, adaptée aux besoins et abordable pour les entreprises mais aussi pour les particuliers. Sa non-inclusion, à ce stade, dans la taxonomie sur la finance verte est une aberration.
J’ai envie de croire à l’engagement du Gouvernement en la matière, après avoir entendu les propos tenus, il y a quelques instants, par le ministre Bruno Le Maire devant notre commission des finances.
Pragmatisme, ensuite, en matière commerciale. Nous avons un besoin impérieux de conditions de concurrence équitables, notamment au travers d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
Enfin, en matière agricole et alimentaire, les stratégies « Biodiversité » et « De la ferme à la table », conjuguées à la nouvelle architecture verte de la politique agricole commune (PAC), laissent entrevoir une baisse de la production en Europe. Ce n’est pas l’étude d’impact européenne disponible sur le sujet qui le dit, mais les évaluations du ministère américain de l’agriculture, lequel estime que cette réduction pourrait aller jusqu’à 12 %.
Au regard de la qualité de l’étude d’impact qui a été communiquée dans le cadre du projet de loi Climat et résilience, je ne jetterai pas la pierre à la Commission… Mais nous devons nous interroger collectivement sur l’évaluation des conséquences des objectifs que nous nous fixons en matière climatique.
La transition dans laquelle s’engage aujourd’hui l’Union européenne exigera des efforts gigantesques. Mais elle ne pourra que s’enliser si elle se limite à interdire ou à taxer.
Elle pourra au contraire réussir si elle parvient à mobiliser le génie européen pour concevoir et exploiter les technologies bas-carbone de demain.
Elle réussira si nous sommes en mesure d’en faire aussi un levier de création d’emplois et de valeur ajoutée.
Pour relever cet immense défi, gardons donc à l’esprit que, si l’ambition climatique et environnementale n’est plus une option, celle-ci ne pourra se concrétiser qu’en combinant deux qualités aussi fondamentales que complémentaires des Européens : la créativité et le pragmatisme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette invitation et de l’occasion qui m’est donnée d’échanger avec vous sur le Pacte vert européen, dont l’importance est primordiale pour la transition écologique.
Je souhaite rappeler que le Pacte vert doit beaucoup à la volonté forte de la France d’accélérer la transition écologique en Europe. Comme le Président de la République l’indiquait dès 2017 dans son discours de la Sorbonne, nous avons fait de cette volonté une boussole politique. À cette occasion, il avait notamment souligné que « l’Europe devait être à l’avant-garde d’une transition écologique efficace et équitable », et qu’il fallait pour cela « accompagner les territoires qui pourraient souffrir de ces changements ».
Le Pacte vert, présenté en décembre 2019 par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, reprend cette vision, systémique, d’une transition juste pour l’Europe, avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 tout en rendant durables les politiques publiques européennes.
Il suit un principe essentiel : concevoir une action publique qui ne nuise pas à l’environnement et au climat, mais qui soit acceptable pour tous. Ce principe s’applique aussi bien à la politique énergétique qu’à la politique industrielle ou à nos politiques commerciales.
Le Pacte vert reprend également de nombreuses propositions françaises auxquelles le Gouvernement est très attaché, comme la réforme du marché carbone européen, la mise en place, en parallèle, d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou encore la création d’un fonds de transition juste pour accompagner les territoires affectés par la transition écologique. J’y reviendrai plus en détail.
J’estime que nous, Français, avons une responsabilité particulière dans la mise en œuvre de ce pacte, que nous avons voulu, en partie inspiré et continuellement soutenu. Nous devons, dès lors, veiller à ce que son ambition initiale demeure intacte dans sa déclinaison opérationnelle.
Nous avons été particulièrement vigilants au moment de la crise sanitaire en 2020. En effet, le risque était grand, compte tenu de l’urgence de la situation, de voir ce pacte relégué parmi les priorités politiques de second rang et, parallèlement, de disposer de plans de relance reposant principalement sur des politiques et mesures visant à rétablir la situation d’avant – ce fut le cas lors de la réponse à la crise de 2009 –, en ignorant le virage nécessaire et même impératif de la transition écologique. Cela étant dit, la prise de conscience n’a jamais été aussi forte sur ces sujets.
La volonté a été clairement exprimée dans le Pacte vert d’inscrire ces enjeux au cœur du budget européen 2021-2027 et du plan de relance.
Ainsi, 30 % du nouveau budget européen et du plan de relance sont consacrés à la lutte contre le changement climatique. C’est bien parce que la France a porté sans relâche cette ambition que celle-ci est aujourd’hui déclinée du niveau communautaire au niveau national. Nous ouvrons ainsi la voie à une mise en œuvre ambitieuse de ce pacte, en toute cohérence.
Depuis 2019, la Commission européenne a formalisé de nombreuses stratégies pour organiser ce pacte et ses déclinaisons.
L’Union européenne s’est dotée de nouveaux objectifs climatiques clairement rehaussés – atteindre la neutralité carbone en 2050 et réduire au moins de 55 % nos émissions d’ici à 2030 –, et un accord est intervenu récemment sur la loi européenne sur le climat.
Ces plans désormais établis, nous démarrons à présent le chantier de construction de cette Europe durable et neutre en carbone. Lors de cette phase déterminante, notre ambition doit se concrétiser afin que l’on n’en reste pas au stade de l’incantation et des bonnes intentions.
Nous aurons ainsi un rendez-vous majeur, le 14 juillet prochain, avec la publication d’un ensemble de treize propositions législatives destinées à assurer la déclinaison opérationnelle de ces nouveaux objectifs climatiques, et une cinquantaine d’autres propositions.
La France, lorsqu’elle présidera le Conseil de l’Union, devra donc relever ce grand défi : faire avancer les nombreuses propositions du Pacte vert. Les avancées obtenues permettront de conforter et d’amplifier les réformes que nous portons au niveau national, dans le cadre du projet de loi Climat et résilience et de la mise en œuvre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC.
Cette présidence sera aussi l’occasion de faire avancer de nombreuses propositions à dimension européenne de la Convention citoyenne pour le climat, que nous n’oublions pas. Si l’échelon communautaire nous a semblé préférable pour mettre en œuvre certains dispositifs, notamment le verdissement de la fiscalité énergétique, il s’agit désormais de les porter et de les décliner.
Nous aurions beaucoup à dire sur la finance verte et la politique commerciale, mais je m’en tiendrai ici à la stricte compétence du ministère de la transition écologique et à quatre domaines d’action essentiels.
L’un de ces domaines est l’accélération de la décarbonation de l’économie et de la société pour atteindre l’objectif climatique « 2050 ».
La présidence française du Conseil devra faire progresser les objectifs climatiques européens, au travers des propositions phares qui sont portées par le Président de la République depuis le discours de la Sorbonne : une meilleure tarification du carbone au niveau européen, avec le système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SCEQE), dits ETS en anglais ; la création du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, un outil novateur, très ambitieux et même fondamental puisqu’il doit permettre de récompenser les efforts des industries et des travailleurs européens, et d’orienter les efforts dans les pays tiers, et ce dans le strict respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Toujours au chapitre de notre politique de décarbonation, nous devrons agir dans tous les secteurs en suivant un objectif global, décloisonné, comme le prévoit le projet de loi Climat et résilience.
Il nous faudra aussi mener des politiques sectorielles. Celle des transports constitue un enjeu clé, et l’Union jouera un rôle majeur à cet égard au travers de réglementations contraignantes mais aussi de financements et d’incitations. Nous devrons en particulier travailler avec nos partenaires sur l’accélération du déploiement des véhicules à faibles émissions, sur le report modal vers le rail, notamment pour le fret, ou encore sur le développement des carburants alternatifs dans tous les modes de transport.
Sur le volet énergétique, il nous faudra accélérer le déploiement des énergies renouvelables en renforçant les objectifs européens et en allant plus loin pour améliorer l’efficacité énergétique, notamment en termes de performance énergétique des bâtiments.
Les secteurs de la construction, de l’agriculture et de la forêt seront évidemment également au cœur de nos travaux.
Le Gouvernement est très attentif à ce que la politique systémique de décarbonation soit soutenable et juste, comme l’a préconisé la Convention citoyenne pour le climat. Ce principe doit être au cœur du Pacte vert européen, et c’est dans cet esprit que nous aborderons la présidence du Conseil de l’Union.
Le Pacte vert permettra d’accélérer la transformation du modèle économique européen pour le rendre plus circulaire et plus durable. La présidence française sera l’occasion réelle et concrète de favoriser cette accélération, de progresser dans les domaines de la réduction des emballages plastiques et de la durabilité des produits en agissant sur leur cycle de vie. Cette politique fera écho aux mesures françaises prévues dans la loi AGEC.
L’impact de nos politiques nationales sera démultiplié si l’ensemble de l’Union européenne s’en empare. Entraîner nos partenaires à suivre nos engagements sera un défi que nous devrons relever.
Nous attachons beaucoup d’importance à la place des consommateurs, auxquels nous donnons les moyens de faire des choix éclairés. J’ai d’ailleurs évoqué cet enjeu avec plusieurs collègues ministres de l’environnement de l’Union, au sein du groupe Reach-Up.
Le Pacte vert visera également à renforcer les mesures de protection contre l’impact des produits chimiques.
M. le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Les travaux sur l’origine de l’épidémie de covid nous conduisent à promouvoir une approche « Une seule santé », dite aussi « One Health », qui englobe une politique très ambitieuse en termes de santé environnementale.
Je tiens à citer aussi la protection de la biodiversité, que nous n’oublions pas.
Les signaux sont donc forts, et la cohérence est absolue entre nos politiques nationales, l’action européenne et l’engagement international.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Une agriculture verte, à quel prix ? Telle est la question en suspens.
Alors que les trois jours de négociations relatives à la PAC se sont achevés, la semaine dernière, sans que l’on soit parvenu à un consensus, on voit bien que l’Europe peine à s’entendre. Mais il ne faut pas s’arrêter à ces difficultés.
Le verdissement de l’agriculture est nécessaire et non négociable. Et l’Europe, avec son projet « De la ferme à la table », assume ses objectifs d’agriculture sûre, nutritive et de qualité élevée.
Les enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux sont tellement évidents que les pays membres ont compris la nécessité d’une feuille de route verte pour l’agriculture, mais aussi plus largement. Ainsi, le Pacte vert marque un choix politique fort et définitif pour coller aux enjeux du changement climatique.
Pour nos agriculteurs, le volet économique est celui qui bloque actuellement. Comment s’appliqueront les écorégimes ? À quel taux ? Sous quelles conditions ?
Si les débats sont longs et les négociations rudes, il faut rester optimiste : l’agriculture durable est à portée de main européenne. Et c’est un point fort, car l’attente sociétale est bien là.
Comme je le répète souvent dans cet hémicycle, lorsque des mesures franco-françaises sont proposées, l’échelle européenne est de loin la plus adaptée. Le marché mondial libéral étant extrêmement concurrentiel, adoptons ensemble une même posture pour ne pas, en plus, accroître la concurrence entre États membres. Mais cela entraînera de nouvelles règles, de nouveaux contrôles.
Madame la secrétaire d’État, nous le savons, tous les dossiers sont fastidieux à remplir à cause d’une énorme complexité et de délais d’instruction parfois trop longs. Existe-t-il une uniformité européenne des procédures de contrôle et des logiciels qui en découlent ? En un mot, la simplification est-elle intégrée dans les négociations en cours ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. En effet, monsieur le sénateur Cabanel, il est nécessaire que l’ambition environnementale soit appliquée dans l’ensemble de l’Union européenne.
Cette nécessité se décline en plusieurs points de vigilance. Il s’agit, tout d’abord, de la lutte contre la distorsion de concurrence que subissent nos agriculteurs. Julien Denormandie s’est engagé sur ce dossier et il a obtenu, en octobre dernier, la mise en œuvre des écorégimes au sein de l’Union. Cet outil – un dispositif en cours de négociation, doté d’un pourcentage minimal de fonds – nous permettra de sécuriser la situation de nos agriculteurs.
La simplification est également nécessaire si l’on veut que la PAC soit véritablement un outil d’accompagnement, et elle est ardemment défendue. Nous avons ainsi obtenu l’inscription dans les règles de la PAC d’un droit à l’erreur pour tenir compte des accidents de la vie.
Sur le plan national, le souci de simplification préside aux arbitrages stratégiques qui ont été rendus. Un écorégime unique, calculé de manière forfaitaire, a été mis en place. L’objectif est qu’il soit incitatif.
Nous restons vigilants sur ces enjeux car, comme vous le savez, les négociations se poursuivent.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Avec le Pacte vert européen, la France prend des engagements forts en faveur de la décarbonation massive de notre économie. Je ne discute pas, ici, le niveau de ces engagements. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne cesse de nous alerter sur le retard pris…
Ce qui est certain, c’est que l’atteinte des objectifs nécessitera une réorientation massive des financements. La Banque centrale européenne (BCE) et les banques ont donc un rôle crucial à jouer. Si elles ne réorientent pas leurs financements, il n’y aura pas de réussite possible.
Or, alors que les banques sont peu présentes au rendez-vous de la transition, de la relocalisation et de la reconquête de souveraineté, une étude récente, publiée par Oxfam et Les Amis de la Terre, montre que les banques françaises restent massivement engagées dans le soutien aux énergies fossiles.
Ce rapport indique que, depuis janvier 2020, BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole, la Banque populaire et la Caisse d’épargne ont accordé 100 milliards de dollars de financement aux entreprises actives dans les énergies fossiles. La plus engagée à cet égard est BNP Paribas.
Tout montre donc que nos principaux acteurs financiers sont tellement exposés aux entreprises « fossiles » qu’ils n’ont aucun intérêt à réorienter leurs financements, si l’on s’en tient à leurs critères actuels de rentabilité.
Ma question est donc simple, madame la secrétaire d’État : comment comptez-vous agir sur les banques françaises afin qu’elles réorientent leurs critères de financement ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Laurent, la taxonomie nous donnera des orientations très fortes, et un cadre. Ce choix et cette vision sont partagés par les acteurs concernés, au premier rang desquels figurent les banques.
J’entends les questionnements, et aussi la volonté de verdir ces activités. Je rappelle, pour ce qui est de la France, que le Gouvernement a déjà opéré cette transition. En effet, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l’Agence française de développement (AFD) ont consenti des efforts importants pour que ces crédits et ces budgets soient transparents. L’exigence en termes de reporting a ainsi été renforcée.
Au vu de l’attente citoyenne, et pour satisfaire leurs clients, les banques affichent aujourd’hui cette volonté de transparence. Il nous appartient de les accompagner dans le déploiement d’outils destinés à rendre véritablement lisibles les budgets relatifs à leurs activités.
Cette préoccupation est partagée. La Banque européenne d’investissement (BEI), qui a été transformée en Banque du climat, travaille à l’élaboration d’un label qui permettra de rassurer les consommateurs et l’ensemble des acteurs.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.
M. Pierre Laurent. Madame la secrétaire d’État, vous me parlez d’intentions, mais les faits, c’est tout de suite qu’ils se jouent ! La BCE dispose d’un puissant levier avec ses programmes de rachat d’actifs dotés de 1 700 milliards d’euros : à quoi servent ces 1 700 milliards ?
Selon l’ONG Reclaim Finance, la BCE est prise d’une véritable frénésie gazière : elle subventionnerait actuellement 62 nouveaux projets gaziers. Le gouverneur de la Banque de France l’a récemment reconnu à demi-mot, il faudra trois à cinq ans pour intégrer la variable climatique. Or c’est maintenant que l’argent public et celui de la BCE pleuvent dans l’Eurosystème ! C’est maintenant que se produit un phénomène irréversible ! Et pourtant aucune mesure sérieuse n’est prise pour réorienter cet argent.
Si vous ne prenez pas d’autres mesures, si vous laissez les banques et la BCE continuer de financer de la sorte les énergies fossiles, le Pacte vert sera aussi vert qu’une mine de charbon…
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.
Mme Denise Saint-Pé. Madame la secrétaire d’État, nous débattons aujourd’hui, à la demande de mes collègues du groupe Les Républicains, du Pacte vert pour l’Europe, cet ensemble de propositions avancées par la Commission européenne à la fin de 2019 afin de rendre le continent européen climatiquement neutre pour 2050.
L’objectif est sans nul doute ambitieux, mais il a le mérite de dessiner un cap. Mieux encore, la Commission dessine une trajectoire pour l’atteindre en proposant aux États membres plusieurs outils susceptibles de les aider dans leur transition énergétique. Ainsi, elle a proposé de créer une taxonomie verte pour les activités économiques, en définissant le seuil d’émission de CO2 en deçà duquel les activités économiques seraient considérées comme durables sur le plan environnemental.
Malheureusement, l’énergie nucléaire est exclue de la taxonomie à ce stade. Je ne peux que regretter cette décision, car elle condamne une énergie pourtant décarbonée, non intermittente, pilotable et qui permet de créer de nombreux emplois à la fois qualifiés et non délocalisables. Toutefois, le Parlement européen a voté, en juin 2020, un règlement qui laisserait la porte ouverte à la réintégration de l’énergie nucléaire, et la Commission elle-même envisage de corriger cette situation par le biais d’un acte délégué avant la fin de l’année 2021.
C’est dans ce cadre que le Président de la République et plusieurs dirigeants européens ont adressé, en mars 2021, une lettre à la Commission européenne pour lui rappeler l’indispensable contribution du nucléaire à la lutte contre le changement climatique. Cette intervention était nécessaire, et je tiens à la saluer.
Néanmoins, nous sommes maintenant en juin. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous m’indiquer si les discussions ont progressé sur ce sujet ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice, vous évoquez la question de la taxonomie, qui est une clé de voûte du plan d’action de la Commission, et celle de la finance durable, qui vise à réorienter les investissements vers des activités plus durables sur le plan environnemental.
La taxonomie doit permettre aux investisseurs et à toute partie prenante d’identifier facilement la part verte des activités d’un acteur financier. Elle contribuera d’abord à limiter substantiellement les pratiques d’écoblanchiment : nous aurons ainsi davantage de visibilité et de transparence. Elle est également un outil qui doit permettre aux activités concernées de mieux amorcer, voire de poursuivre dans le meilleur des cas, leur transition vers la neutralité carbone en 2050.
La France a participé activement à la construction de cette taxonomie, et elle reste fortement impliquée dans les négociations européennes qui devront aboutir – vous l’avez indiqué –, d’ici à la fin de 2022, à l’élaboration d’un outil ambitieux et pragmatique.
Un premier acte délégué sur ces objectifs climatiques, approuvé informellement fin avril, devrait être transmis au Conseil et au Parlement européen d’ici à la fin juin : ces institutions auront ensuite quatre mois pour se prononcer sur une éventuelle objection.
Concernant l’énergie nucléaire, puisque vous m’interpellez plus directement sur ce sujet, elle fera l’objet d’un acte délégué complémentaire. Plusieurs États membres, en particulier d’Europe de l’Est, comptent sur cette énergie nucléaire pour décarboner leur mix électrique et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
La Commission européenne a mandaté des groupes d’experts. De fait, nous devons réellement porter un regard objectivé, pour ne pas dire dépassionné, sur ces questions afin d’évaluer les impacts environnementaux potentiels du nucléaire.
Un centre commun de recherches regroupant des experts de la Commission a rendu un premier rapport plutôt favorable à l’inclusion du nucléaire, mais deux autres groupes d’experts étudient actuellement la problématique. La Commission décidera sur la base de ces travaux de l’inclusion ou non du nucléaire dans la taxonomie, dans le cadre d’un acte délégué complémentaire à publier au plus tard en 2021.
La France sera vigilante à l’aboutissement rapide de ce processus, et à ce que la décision prise in fine soit vraiment fondée – je le redis – sur des critères objectifs et incontestables.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d’État, l’objectif que s’est fixé l’Union européenne en instaurant le principe de la neutralité carbone en 2050 est très ambitieux, tout comme l’est l’objectif d’une baisse de 55 % des émissions en 2030 par rapport au niveau de 1990, même si, pour l’instant, un accord n’a pas encore été trouvé sur les modalités pour y parvenir.
Ces objectifs sont encore plus ambitieux si l’on considère comment les choses se sont passées depuis 1990. La baisse des émissions de carbone de l’Union européenne que nous avons relevée est, en réalité, une baisse en trompe-l’œil, car nos importations conduisent à une émission, ailleurs, de gaz plus importante que la réduction à laquelle nous procédons en Europe. Si nous voulons être un continent exemplaire, mais aussi participer à la baisse globale des émissions sur la planète, nous devons contrôler cet aspect des choses.
Les mesures que nous mettons en œuvre aujourd’hui pour parvenir à une baisse des émissions doivent être évaluées en permanence. Car c’est un défi scientifique ; en la matière, nous faisons des découvertes tous les jours, et nous constatons que les effets pervers des changements peuvent parfois être pires que ce que l’on souhaite combattre…
Sans aller jusqu’à ces extrêmes, je voudrais citer deux exemples.
Le premier, c’est le poids dans les négociations des puits de carbone, en particulier des forêts. Ces puits ont une efficacité très variable en fonction des circonstances, mais ils permettent à certains pays qui prétendent en disposer d’émettre. Comment les évaluer en fonction de l’état des connaissances ?
Le second, c’est la taxonomie, que nous avons déjà évoquée. Elle permet d’évaluer les investissements qui sont réalisés, ce qui est essentiel quand on alloue autant de moyens que nous allons le faire dans les prochaines années à ces objectifs. Toutefois, les connaissances scientifiques vont évoluer dans ce domaine, et il est absolument indispensable que les principes de la taxonomie soient évalués et révisés en fonction de l’état de ces connaissances et de ce que nous constatons au jour le jour.
Madame la secrétaire d’État, ma question est la suivante : comment intégrer l’évaluation continue des outils que nous mettons en œuvre pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de carbone non seulement dans les négociations, nos accords et notre politique au sein de l’Union européenne, mais aussi dans les accords commerciaux et d’investissement qui nous lient avec le reste du monde ?
M. le président. Mes chers collègues, je demande à chacun de respecter son temps de parole. Monsieur Leconte, vingt-huit secondes de dépassement sur deux minutes, cela fait beaucoup…
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Leconte, votre interrogation va dans le sens des travaux qui sont menés sur l’ETS et sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Il faut évaluer et expertiser ce mécanisme, puis le mettre en conformité avec les règles de l’OMC. Nous devons relever ce défi afin de mettre au point cet outil qui, je le crois, fait aujourd’hui consensus mais qui doit être affiné sur la base d’une expertise absolument nécessaire.
S’agissant de l’empreinte carbone et des puits de carbone, qui sont au cœur de votre question, nous disposons aujourd’hui d’inventaires très sérieux qui agrègent les connaissances et d’une analyse des facteurs d’évolution qui doivent nous permettre à l’avenir de dessiner nos politiques en la matière. Nous y serons encore plus attentifs demain, compte tenu des enjeux auxquels nous devons faire face, tels que l’adaptation des forêts au changement climatique.
Grâce à ces inventaires annuels et cette évaluation scientifique, qui sont essentiels en termes de transparence et d’identification des impacts, les politiques européennes feront l’objet d’études d’impact détaillées par la Commission et par ses agences.
Ces sujets complexes et novateurs sont aujourd’hui examinés par le centre commun de recherche qui assiste la Commission. Les administrations nationales confortent, ou contestent, ces analyses qui nourrissent leurs positions dans le cadre des négociations à venir. Nous sommes dans un moment fondateur, mais très encourageant !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, nous allons gagner du temps, car ma question a déjà été excellemment posée par Mme Saint-Pé et la réponse me convient.
Je voudrais simplement attirer votre attention sur un point, madame la secrétaire d’État : si nous voulons être en position plus forte dans la deuxième étape que vous avez évoquée, il faut nous rappeler que la France est en mesure de traiter durablement les déchets de haute activité et à vie longue dans des conditions que vous maîtrisez parfaitement, madame la secrétaire d’État, puisque vous êtes une représentante du département au sein duquel, en limite nord, sera installé le centre de stockage.
J’en profite pour développer une courte réflexion : introduisez dans le débat européen sur le Pacte vert la notion de densité ! Les habitants des régions à faible densité ont l’immense mérite d’entretenir des puits de carbone, volontairement ou non – c’est parfois leur métier.
La contrepartie, c’est que, dans ces zones à faible densité de population, les dépenses de transport sont beaucoup plus élevées ; ce coût devrait être pris en compte. D’un côté, ces habitants utilisent certainement – oh, c’est affreux ! (Sourires.) – du diesel, mais, de l’autre, ils entretiennent la nature qui permet d’absorber, par la fonction chlorophyllienne, le CO2 produit par les urbains.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de votre réflexion improvisée. La solidarité territoriale doit être envisagée au niveau communautaire, et plus finement sur nos territoires entre le rural et l’urbain. Nous avons déjà au niveau national des dispositifs destinés à équilibrer ces situations, et des dotations qui sont déployées en fonction.
Je retiens votre remarque sur la prise en compte, dans les négociations communautaires, du critère de densité qui doit absolument apparaître et être intégré dans la répartition européenne des efforts.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.
M. Gérard Longuet. Votre réponse me convient parfaitement, madame la secrétaire d’État. Je vous rappelle que l’État a la responsabilité de la mise en œuvre de la déclaration d’utilité publique (DUP) concernant le site du centre industriel de stockage géologique (Cigéo) : si celle-ci était lancée avant la fin de l’année, nous aurions au moins un argument pour montrer que si nous acceptons le nucléaire, nous en gérons les inconvénients.
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la secrétaire d’État, depuis 2019, le Pacte vert nous est, et nous sera encore dans les mois à venir, dévoilé au travers de stratégies et de communications, mais aussi via des propositions juridiquement contraignantes. Autant d’ambitions qui devront se concrétiser pour nos concitoyens dans les territoires.
Notre transition verte, même à l’échelle européenne, ne se fera pas sans investissements massifs et correctement fléchés. Le montant du plan d’investissement pour une Europe durable s’élève à 1 000 milliards d’euros sur dix ans. Tous les acteurs, publics et privés, nationaux et européens, devront concourir à la réalisation de cet objectif de transition verte. L’ensemble des régions européennes s’inscriront donc dans cette transformation sans que cette accélération laisse à la traîne les régions les plus en retard, et ce grâce à un financement spécifique de rattrapage.
La réussite du Pacte vert européen tient, je le pense, à des questions de calendrier et de juste ciblage. Nous devons faire de la crise économique et sanitaire un accélérateur de la transition. Une part importante de notre énergie et de nos investissements doit donc se focaliser sur ce sursaut vital qui appelle vitesse, innovation, mise à l’échelle et massification et que seule une intense et étroite coopération public-privé pourra assurer.
Sur ces 1 000 milliards d’euros, 25 % proviennent du cadre financier pluriannuel actuel et déborderont certainement sur le suivant. Cela se traduira par des aides et fonds européens. Le calendrier de déploiement concret du Pacte vert dans nos territoires sera donc décisif. Avons-nous une vision claire sur ce sujet ?
Madame la secrétaire d’État, les territoires connaissent très bien leurs besoins. C’est pourquoi nous militons pour une approche ascendante, en mode plateforme public-privé et en circuit court, dans le déploiement des financements et l’accès aux fonds européens. Comment les pouvoirs publics comptent-ils assurer la bonne exécution de ce volet qui est un élément clé de la mise en œuvre du Pacte vert européen ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice, vous l’avez dit, le Pacte vert nous a donné une nouvelle vision de la stratégie de croissance de l’Union et de ses domaines prioritaires d’investissement. Ainsi, 30 % du nouveau budget européen et du plan de relance sont consacrés à la lutte contre le changement climatique. Cette orientation a pu déstabiliser et appeler à une relecture de certains dispositifs d’aide ; elle a surtout nécessité de faire preuve d’une grande réactivité en termes de délais.
Je profite de cette occasion pour saluer les préfectures, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), les opérateurs de l’État et l’ensemble des acteurs qui ont su accompagner des projets dans des délais très contraints, afin que nous puissions mobiliser pleinement tous les moyens que nous offrent cette stratégie et ce plan de relance.
Dans ce cadre, 40 % des fonds de France Relance seront financés par le plan de relance européen, ce qui explique qu’il faille trouver une cohérence dans les objectifs. Le Gouvernement, que je représente ici, est vigilant à ce que le dispositif soit, à la fois, compréhensible, transparent et accessible aux différents bénéficiaires, parmi lesquels – vous les avez citées – les petites et moyennes entreprises, mais surtout les collectivités, qui ont également été sollicitées dans des délais très contraints.
S’agissant de la mise en œuvre des fonds européens et du plan de relance dans les territoires, la méthode portée par Jacqueline Gourault a fait l’objet d’un accord conclu entre l’État et les régions en juillet 2020.
Les régions doivent coordonner cette action pour l’amplifier. Elles jouent un rôle majeur dans la bonne utilisation du plan de relance et des fonds européens dans les territoires. Il est prévu de resserrer le dialogue au niveau local, en systématisant notamment les comités de financeurs.
Par ailleurs, de nouveaux guides, notamment sur l’articulation des fonds européens avec le plan de relance, ont été édités ou sont en cours de diffusion pour aider les territoires à mobiliser pleinement et de manière optimale ces financements européens.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la secrétaire d’État, dans le Pacte vert pour l’Europe, les transports ont un potentiel important. Les mobilités représentent le quart des émissions de l’Union, et cette part ne cesse d’augmenter.
Pour une transition des mobilités, la démarche du Pacte vert nécessite d’articuler le cadrage européen, les déclinaisons territoriales et une volonté politique nationale, bien sûr déterminante. C’est là ma question : notre pays est-il plutôt un frein ou joue-t-il vraiment un rôle moteur pour accélérer et généraliser cette transition vers une mobilité durable, autant par ses politiques nationales que par son action au Conseil européen ?
Où en sommes-nous du transfert modal vers le rail ? Notre pays ne compte pas parmi les bons élèves de l’Union. Les discours sur ce sujet sont bons, mais les investissements et les programmations opérationnelles ne le sont pas. Ainsi, 2021 est l’année européenne du rail : la TVA à 5,5 % pour les billets de train serait une façon de nous inscrire dans ce mouvement.
Des politiques seront nécessaires pour faire évoluer les tarifications des transports. Où en sommes-nous ? Les exonérations relatives aux carburants d’aviation ont fait de l’Union européenne un paradis fiscal pour le kérosène. On sait que la Commission a sous le coude une étude estimant qu’une taxation du kérosène réduirait les émissions de 11 % sans entraîner d’effets négatifs sur l’économie.
S’agissant du ciel unique européen, les avancées majeures attendues depuis tant d’années et les diminutions substantielles des émissions qui devaient en résulter arriveront-elles enfin ?
Enfin, où en sommes-nous sur la contribution du transport routier de marchandises ? Non seulement notre pays traîne indéfiniment à mettre en place un dispositif pollueur-payeur qui fasse vraiment levier, mais il freine aussi, semble-t-il, une harmonisation européenne ambitieuse.
Pour que toutes les intentions du Pacte vert pour l’Europe ne restent pas lettre morte, j’espère que le Conseil des ministres européens des transports de demain saura surmonter les obstacles, et que les positions de la France n’en constitueront pas de nouveaux.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Fernique, les préoccupations que vous évoquez sont au cœur des travaux du Conseil, mais également de nos politiques nationales.
Le report modal est au centre de la politique défendue par le ministre Djebbari. En tant qu’ancienne rapporteure de la loi d’orientation des mobilités (LOM), nous avons ardemment travaillé – vous le savez – sur cette question. On constate aujourd’hui les premiers résultats de cette nouvelle politique de report modal, notamment vers le rail.
La Commission européenne travaille également sur les énergies renouvelables, sur tous les domaines qui pourront avoir un impact sur la performance en matière d’émissions de CO2 des véhicules légers, et elle a révisé l’ambition du texte sur l’évolution du système européen d’échange de quotas.
Toutes ces politiques doivent absolument participer à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % par rapport à 1990. Trouver un accord sur certaines de ces propositions sera l’une des priorités de la présidence française, au début de 2022.
Dans le cadre du Green Deal, la Commission a également lancé la vague de rénovations des bâtiments. Au-delà des transports, la rénovation énergétique est aussi un levier important d’action auquel nous sommes très attachés. Ce sujet figure dans le plan de relance européen comme dans le plan de relance national.
L’initiative comporte en outre un volet législatif relatif à la directive sur la performance énergétique des bâtiments. Le Gouvernement a déjà largement étudié les enjeux de ces textes et il a établi un document recensant les positions françaises sur les principaux leviers.
Nous intensifierons notre action par la publication d’un paquet législatif, auquel nous serons très attentifs, qui permettra de réformer le marché intérieur du gaz pour mieux l’adapter au gaz renouvelable et décarboné.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. Madame la secrétaire d’État, une façon claire de marquer la volonté de notre pays d’être moteur de la transition pour des mobilités décarbonées et durables est à votre portée : c’est le projet de loi Climat et résilience.
Il est encore temps de revoir votre copie avec l’aide du Sénat et d’inscrire dans le texte un engagement fort pour le rail, la TVA à 5,5 % et le financement de la décarbonation par le principe pollueur-payeur, tant pour l’aérien que pour la route.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la secrétaire d’État, ma question part d’un double constat.
Le premier a notamment été évoqué par Mme Lavarde lors de son intervention préalable : les investissements consacrés au niveau européen, tant dans le cadre financier pluriannuel que dans le plan de relance, à l’environnement et à la transformation écologique sont certes élevés, mais ils peuvent sembler relativement faibles au regard des ambitions actuellement affichées.
Le second constat est que, malheureusement, les politiques sectorielles et structurelles européennes ont souvent tendance à fonctionner en silos. On relève des difficultés d’articulation, voire des contradictions, entre ce qui est investi dans un secteur et ce qui l’est dans un autre.
On parle depuis plusieurs cadres financiers pluriannuels du verdissement de la PAC, un objectif qui a été très long à mettre en œuvre. Je souhaite souligner que nous aurons des opportunités, au travers des investissements importants qui seront réalisés dans les années à venir en matière de transformation numérique de la société, d’évoluer vers une agriculture plus efficiente, appelée, en très mauvais français, Smart Farming.
Cette expression a été stupidement traduite par les termes d’« agriculture intelligente », comme si l’agriculture traditionnelle était bête, alors qu’il serait préférable de parler « d’agriculture de précision ». Il reste que par l’usage des moyens numériques et de la cartographie par drone, on parvient assez facilement à réduire de 30 % l’usage des intrants sur certains sols, notamment dans la viticulture, et qu’on peut également limiter le recours à l’irrigation.
Au niveau européen, 3,7 milliards d’euros d’investissements privés et publics se sont portés l’an passé sur les start-up de l’alimentaire ou de l’agriculture. Ce montant peut paraître élevé, mais il n’est pas suffisant. Quels sont les moyens qui, dans le cadre du Pacte vert et du budget européen, pourraient être alloués au développement d’une meilleure efficience écologique, mais aussi productive de notre agriculture ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Gattolin, je vous rejoins sur la nécessité de décloisonner et d’arrêter de fonctionner en silos – sans mauvais jeu de mots par rapport au sujet agricole.
Nous devons faire en sorte que les outils soient mis à la portée de tous afin que chacun puisse s’en saisir, avec quelques précautions évidentes que nous allons évoquer. Ce décloisonnement et cette massification sont au cœur du Green Deal. Aujourd’hui, la disruption ne réside plus dans la rupture technologique : on connaît les outils, il faut maintenant les développer et les rendre accessibles à tous.
Dans l’agriculture, le numérique a ouvert des possibilités pour mieux connaître, analyser, et optimiser – vous l’avez dit – les apports en intrants. L’agriculture doit être compétitive tout en réduisant son impact sur l’environnement ; c’est bien notre défi commun. Il s’agit, non pas de rompre avec certaines pratiques, mais simplement d’accompagner l’agriculture dans ces nouveaux enjeux, avec en plus, à la clé, une réduction – appréciable – de la pénibilité.
Tout cela doit conduire à un apport dans la chaîne de valeur, à une optimisation logistique, à une traçabilité sanitaire, à une différenciation en termes de qualité et à davantage d’échanges d’informations entre producteurs et consommateurs – autant d’éléments qui sont également très positifs.
Le volet agriculture collaborative et circulaire doit permettre de retisser la connexion, le lien, entre les agriculteurs, en encourageant les partages, extrêmement appréciés, de bonnes pratiques, d’informations et de savoirs.
Vous l’avez dit, les logiques agroécologiques sont au service même de la gestion de la ressource : elles nous permettent d’irriguer en préservant les ressources en eau ou de traiter les parasites par des méthodes plus saines pour l’environnement. Ces objectifs très ambitieux sont nécessaires.
Le numérique doit être mis au service de cette recherche de progrès, mais cela doit se faire dans le respect de la diversité des modes de production et surtout, de la souveraineté des données. Nous devons faire face à ce double défi : d’une part, la mise à disposition et le partage des données agricoles, des connaissances scientifiques et des technologies numériques et, d’autre part, la préservation de la confidentialité des données, qui doit être garantie – je pense notamment aux données relatives aux relations commerciales des agriculteurs.
Des projets plus spécifiques, qui sont également très intéressants, sont développés en parallèle en France, tels que le projet Numagri, ou l’Agdatahub, une plateforme sécurisée d’échange de données agricoles qui se développe en permettant aux agriculteurs de sécuriser et de maîtriser leurs données.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Dans le cadre de la future PAC, des outils numériques occuperont une place importante. Je pense également aux services de conseil dans les systèmes de connaissances et d’information agricole Akis.
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’invite chacun d’entre vous à respecter son temps de parole.
La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Je vais m’attacher à respecter mon temps de parole, monsieur le président.
Madame la secrétaire d’État, je souhaite insister principalement sur l’impact que peut avoir ce Pacte vert pour les PME et les TPE dans nos territoires. Nous constatons régulièrement que nos collectivités, mais aussi nos entreprises, ont de grandes difficultés de compréhension des modes d’éligibilité et d’accès aux aides européennes.
J’ai en tête deux entreprises de mon département : Acanthis, spécialisée dans la cosmétique, la gestion végétale et la transformation végétale en produits industriels, et Beringer, qui fabrique des trains d’atterrissage pour les petits aéronefs.
Ces entreprises attendent le Pacte vert car elles ont besoin de moyens financiers pour pouvoir agir et faciliter leur contribution à la transition écologique et climatique, et surtout, pour satisfaire leurs clients et leurs donneurs d’ordre. Comment envisagez-vous concrètement que des TPE dans des territoires de province puissent accéder, dans de bonnes conditions, aux financements du Pacte vert, en lien avec le plan de relance porté par le Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur, je fais plus qu’envisager cet objectif, je le vis au quotidien comme vous – j’en suis certaine –, vous le vivez en tant que parlementaire.
Nous avons au quotidien, pour la mise en œuvre et le déploiement des moyens du plan de relance, des contacts avec les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les préfets et tous les acteurs de la vie locale. Au sein de ces lieux d’échanges, dans l’urgence de la crise sanitaire et pour répondre à l’impératif d’une nécessaire réaction économique, nous avons vu naître de belles rencontres et des partenariats. Certaines entreprises qui n’étaient pas forcément dans le radar – si j’ose dire – bénéficient aujourd’hui d’un accompagnement et de moyens, à la fois d’urgence et de transition de leur outil industriel.
Cette dynamique est, je le crois, pleinement mise en œuvre. De nouveau, je remercie tous les acteurs qui se sont engagés au quotidien, depuis maintenant plus d’un an, dans l’accompagnement des entreprises et des commerçants qui risquaient, et risquent encore, de subir de plein fouet économiquement la crise sanitaire que nous connaissons mais qui, heureusement, et c’est tout l’enjeu de cette résilience, peuvent bénéficier de ces moyens pour rediriger leur activité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. Je vous remercie d’avoir rappelé ces considérations générales, madame la secrétaire d’État.
La réalité est que, dans nos territoires, le plan de relance, tel qu’il a été mis en œuvre, ne se traduit pas concrètement par des engagements auprès de certaines entreprises. Nous rencontrons ainsi des blocages avec les Dreal, et les chefs d’entreprise qui souhaitent investir pour se positionner sur leur marché, en lien avec les financements du plan de relance, peinent à obtenir des réponses concrètes à leurs demandes.
Je ne manquerai pas de me rapprocher de votre cabinet, madame la secrétaire d’État, pour signaler certaines situations précises, dans ma région.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 12 mai dernier, la Commission européenne a adopté un plan d’action intitulé « Vers une pollution zéro dans l’air, l’eau et les sols ».
Au travers de ce plan, on ambitionne de parvenir, d’ici à 2050, à un monde dans lequel la pollution serait réduite à des niveaux inoffensifs pour la santé humaine et pour les écosystèmes naturels, en réduisant la pollution des sols et en améliorant la restauration de ceux-ci. Mon intervention portera sur ce point.
À la suite du Parlement européen, qui a adopté, le 28 avril dernier, une résolution sur la protection des sols, nous sommes plusieurs sénateurs à avoir déposé, voilà quelques jours, une proposition de résolution européenne tendant à demander la relance du processus d’élaboration d’une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de la dégradation de ces derniers par les activités industrielles et minières.
Au travers de cette proposition de résolution européenne, nous mettons en évidence le fait que l’Europe est l’une des régions de la planète où les terres sont le plus mal en point, que, même si la protection de l’eau et de l’air a fait l’objet de directives spécifiques et précoces, le cadre réglementaire européen sur la pollution des sols fait cruellement défaut, après l’abandon, en 2014, de la directive de 2006, et que, aujourd’hui, un cadre politique global et cohérent à l’échelle de notre continent s’impose.
La commission sénatoriale d’enquête sur la pollution des sols post-activités industrielles et minières a pu le souligner, la pollution des sols ne peut être réduite à des problèmes territoriaux circonscrits ; elle exige une mobilisation nationale et supranationale, afin de poser les jalons d’un véritable droit national et européen de la protection des sols.
Madame la secrétaire d’État, comptez-vous faire valoir cette position – que dis-je, porter cette impérieuse nécessité dans les négociations en cours ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Vous l’imaginez bien, madame la sénatrice Gisèle Jourda, je vous rejoins dans cette préoccupation. Quand on lutte contre l’érosion de la biodiversité, on est évidemment très attaché à la question de la préservation des sols.
Le plan d’action Zéro pollution est ambitieux, et nous le soutenons dans ses grandes lignes ; je pense notamment à l’idée d’attaquer les pollutions à la source. Il est absolument nécessaire de renforcer notre action contre la dégradation des sols, et la préparation de la stratégie européenne pour prévenir la dégradation des sols est un outil allant en ce sens.
Cet outil doit s’appuyer sur de solides connaissances scientifiques et sur des retours d’expériences. Nous devons, je le répète, être très objectifs sur ces questions, sur les mécanismes et les impacts de la dégradation des sols, c’est-à-dire sur les activités qui y sont liées.
Ainsi, nous avons, à l’échelon national, un groupement d’intérêt scientifique qui réunit des organismes de recherche sur ces questions et dont les travaux constituent une référence à l’échelle internationale, donc également communautaire.
La protection des sols requiert, vous l’avez indiqué, une approche transversale, un décloisonnement, entre les questions industrielles, agricoles ou d’urbanisation. La stratégie Zéro pollution de la Commission doit nous aider à intégrer tous ces enjeux. C’est d’ailleurs lié à l’objectif de zéro artificialisation nette des sols, un objectif national très ambitieux.
Ce sont des défis importants, ne nous mentons pas. Vous êtes tous élus de territoires dans lesquels cette évolution est inquiétante ou, en tout cas, peut susciter des questions.
Il nous faut donc accompagner les territoires, en fonction du contexte local, de l’évolution de la démographie, de l’accueil d’activités économiques ou de la valorisation des gisements fonciers existants ; nous devons avoir une approche très fine. Au reste, dans les territoires, les acteurs savent accompagner leurs interlocuteurs de manière nuancée.
Par ailleurs, au regard du nombre de friches industrielles que nous connaissons, nous faisons face à un défi important ; nous avons, pour le recyclage urbain, des moyens considérables, qui doivent nous permettre de maîtriser l’étalement urbain et la dépollution des sites. Nous disposons, avec le fonds pour le recyclage des friches, qui a été augmenté de 350 millions d’euros, de moyens sans précédent, car la pollution des sols a parfois une origine industrielle et minière.
Le code minier sera révisé au travers du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience ; je sais que vous avez tenu la plume pour rédiger certaines de ses dispositions, et je vous en remercie.
Cela dit, il nous semble plus prudent d’attendre la stabilisation du cadre européen…
M. le président. Veuillez conclure, s’il vous plaît.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. … avant de légiférer à l’échelon national, mais, je le sais, nous sommes d’accord sur ces sujets.
M. le président. Madame la secrétaire d’État, je vous prie vraiment de respecter le temps de parole de deux minutes qui vous est accordé.
La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la réplique.
Mme Gisèle Jourda. Je souhaite vraiment, madame la secrétaire d’État, que la pollution des sols post-activités minières ou industrielles ne soit pas oubliée dans le Pacte vert. Par-delà la législation nationale, il nous faut une directive européenne en la matière, la directive précédente ayant été abandonnée, afin de donner un sens à ce Pacte vert, que nous désirons tant.
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers.
M. Pierre Cuypers. Madame la secrétaire d’État, quels sont les moyens et les outils que vous comptez déployer en ce qui concerne la gestion des risques sanitaires, dans le cadre de la prochaine politique agricole commune ?
Vous avez indiqué, le 21 mai dernier, dans le cadre des arbitrages relatifs au plan stratégique national, le PSN, pour la PAC post-2023, avoir décidé d’allouer 186 millions d’euros, soit une légère augmentation de ses crédits, au programme de gestion des risques. Je salue cette avancée, mais, nous le savons tous, cette hausse sera nettement insuffisante pour accompagner les agriculteurs face à la multiplication des risques climatiques, sanitaires et économiques qu’ils connaissent.
J’ajoute que les travaux issus du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique seront fondamentaux pour élargir la base de financement de notre politique de gestion des risques agricoles et pour accompagner réellement nos agriculteurs face au changement climatique. C’est un défi pour notre agriculture ; c’est un défi pour notre nation.
Dans vos annonces, la question de la gestion des risques sanitaires a été complètement occultée. La crise de la jaunisse des betteraves sucrières que nous avons rencontrée nous a rappelé durement que le changement climatique s’accompagnait d’une pression sanitaire croissante, renforcée par les différentes interdictions d’outils de protection, et que les agriculteurs pouvaient se trouver démunis.
Il se trouve que les producteurs ne sont éligibles ni au Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental, le FMSE, en vertu du code rural, ce qui explique que les indemnisations aient dû passer par les aides de minimis, ni dans le cadre de la future PAC, dont le financement paraît nettement insuffisant au regard des lignes budgétaires dégagées dans la programmation.
Bien entendu, l’exemple betteravier peut se reproduire dans d’autres filières, et nous devons nous interroger sur le volet indemnitaire après 2023. Que faites-vous, madame la secrétaire d’État, pour éviter que ces filières ne deviennent des mendiantes de la souveraineté alimentaire française ?
Ma question est donc simple : quelles dispositions le Gouvernement auquel vous appartenez compte-t-il prendre à propos de la montée en puissance de la pression sanitaire sur nos cultures ?
Si les stratégies d’innovation et de prévention sont essentielles, un véritable volet financier de type indemnitaire doit être prévu par l’État.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Vous avez suivi avec nous, me semble-t-il, monsieur le sénateur, l’ouverture du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique. Nous trouverons, au cours des mois qui viennent, c’est-à-dire jusqu’au mois de janvier prochain, nombre de réponses aux questions que vous soulevez aujourd’hui.
C’était une démarche essentielle, cela a été beaucoup souligné ; nous devons décloisonner nos politiques, et cela n’a de sens que si l’on accompagne les acteurs et les agriculteurs face à ces défis et à ces nouveaux enjeux. Il convient de concilier des activités et des pratiques de la production agricole française, que nous soutenons pleinement et qui visent à assurer la souveraineté alimentaire, avec les défis, notamment climatiques, auxquels les agriculteurs font face, qui affectent la gestion de l’eau et créent des difficultés sanitaires.
Des aides majeures ont été déployées à destination de ces filières. Vous connaissez l’engagement que nous avons pris, en responsabilité, quand la filière betteravière s’est trouvée en difficulté, voilà quelques mois.
Nous devons faire face, ensemble, à ce défi. Il s’agit non pas de réagir en adoptant des postures dogmatiques, mais de trouver, pour chaque filière, pour chaque secteur, des réponses adaptées et des aides en tant que de besoin ; nous avons su le faire, en cette période difficile, en augmentant de façon relativement importante les dépenses en la matière. L’accompagnement de ces secteurs est donc avéré.
Enfin, en ce qui concerne la transition de certaines filières, il est parfois question de conversion et d’adaptation à une politique commerciale, qui impose de nouvelles normes sanitaires. On fait ainsi la promotion, dans les accords commerciaux, de certaines clauses visant à protéger nos agriculteurs. Nous y sommes très attachés.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, selon la présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, le Pacte vert nous aidera à réduire les émissions tout en créant des emplois. Le vice-président, M. Timmermans, parle quant à lui de « transition ouverte et inclusive ».
Madame la secrétaire d’État, quels sont les objectifs du Gouvernement en matière de création d’emplois verts dans les filières concernées, particulièrement dans celles de l’énergie, du bâtiment, de l’industrie et de la mobilité ? Quel est, dans le cadre de ce Pacte vert, votre objectif de réduction du chômage de longue durée, qui s’est considérablement accru sous l’effet de la crise sanitaire ? Où en êtes-vous des plans d’action de filières, touchant à la formation initiale et continue ou encore à la requalification, pour être au rendez-vous du volet social de ce Pacte vert ?
En résumé, sur l’emploi et l’inclusion, quelle est votre méthode, s’il y en a une, quelle est votre feuille de route et quels sont vos objectifs quantifiés ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Bien évidemment, monsieur le sénateur, on ne peut pas imaginer une telle transition sans l’implication des nouveaux métiers de la formation, pour accompagner l’évolution de nombre de filières économiques, dans l’industrie et l’activité agricole, au cœur de cette transition.
Nous déployons ces dispositifs avec des moyens, ces emplois verts, qui doivent accompagner les changements de trajectoire professionnelle. L’importance de la formation est évidente. Cette évolution est vécue, je crois, comme une chance, parce que, en ayant la possibilité d’accéder aux moyens qui favorisent la réorientation professionnelle, certaines personnes retrouvent du sens dans leur activité professionnelle.
Nombre de Français cherchent un engagement dans cette transition, et des moyens existent. Chaque semaine, chaque jour, nous sommes sollicités par des filières professionnelles cherchant des personnes pour mettre en œuvre ces nouvelles pratiques.
L’environnement international accompagne également cette transition du point de vue social. D’ailleurs, un sommet social aura lieu à Porto, le 8 mai prochain, au cours duquel le Président de la République portera cette position, avec une forte implication.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Votre réponse est constituée de propos très généraux, madame la secrétaire d’État. Vous n’avez absolument pas répondu aux questions que je vous ai posées. Je le regrette.
Malgré tout, j’espère que le Gouvernement a une feuille de route et des objectifs en matière de créations d’emploi et de réduction du chômage. Cela reste tout de même notre priorité nationale, et la France ne doit pas passer à côté des effets de ce Pacte vert. Pour ma part, j’y crois et je pense que les filières se mobilisent dans cette perspective.
Néanmoins, je le répète, vous n’avez pas du tout répondu à ma question, et je le déplore.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Pacte vert européen représente, de toute évidence, un tournant important dans la politique climatique de l’Union européenne. En se fixant l’objectif d’une baisse de 55 %, d’ici à 2030, de ses émissions de gaz à effet de serre et de la neutralité carbone d’ici à 2050, l’Union fait preuve d’une ambition sans précédent.
Toutefois, ces buts ne seront pas atteignables sans des réformes dans de nombreux secteurs, tels que l’agriculture, l’énergie, les transports ou encore la gestion des déchets, le sujet que je souhaite aborder.
En effet, en 2020, un plan d’action et des conclusions pour une économie circulaire ont été adoptés par l’Union européenne. S’il s’agit d’un bon pas dans le sens de l’économie circulaire et de la valorisation des déchets, plusieurs problèmes demeurent.
Tout d’abord, il n’y a pas assez de demande, en Europe, pour la plupart des matières premières recyclées. Ainsi, seulement 12 % des matières premières sont issues du recyclage. Il semble donc opportun de fixer des objectifs chiffrés de contenu recyclé dans une majorité de produits et non uniquement dans les bouteilles en PET, ou polytéréphtalate d’éthylène.
De surcroît, pour atteindre une réelle économie circulaire, il est nécessaire de mettre en place des incitations pour récompenser les bénéfices environnementaux du recyclage, puisque le marché n’arrive pas encore à les internaliser.
En outre, si le nouveau règlement sur le transfert des déchets part d’une bonne intention, il est contreproductif en l’absence, en Europe, de marchés finaux de matières recyclées, puisqu’il conduit à une augmentation du stockage et de l’incinération, avec une valorisation plus faible.
Restreindre l’exportation de matières premières issues du recyclage de qualité fausse les marchés et rend les matières premières recyclées encore moins compétitives, alors que les matières premières primaires bénéficient d’un commerce libre, ce qui induit un désavantage concurrentiel.
En outre, l’empreinte carbone des matières premières issues du recyclage, qui est inférieure à celles des matières « classiques », n’est pas suffisamment prise en compte.
Enfin, l’exigence fixée dans la directive-cadre sur les déchets n’est pas suffisamment mise en œuvre et ne permet donc pas que les déchets exportés hors d’Europe soient traités dans des conditions équivalentes à celles qui sont applicables dans l’Union.
Ma question est donc relativement simple, madame la secrétaire d’État : que compte mettre en œuvre le Gouvernement, à l’échelle européenne, pour renforcer le marché des matières premières recyclables et pour permettre une meilleure application de la directive-cadre, afin que soit possible une réelle différenciation entre les déchets posant problème et les matières premières recyclées répondant à des spécifications de qualité ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur, je partage votre vigilance. Il est nécessaire d’aller vers une économie pleinement circulaire ; c’était d’ailleurs l’objet d’une réunion que j’ai eue, hier, avec mes collègues du groupe Reach-Up, notamment à propos de la question des batteries ; j’y reviendrai.
La transition de l’industrie européenne se trouve en effet au cœur du Pacte vert, pour assurer la transformation, dans un sens plus durable, du modèle économique. La crise sanitaire que nous connaissons n’a fait que renforcer cet objectif.
C’est tout l’objet de la stratégie industrielle proposée en mai 2021 par la Commission à la suite de la crise sanitaire, qui met l’accent sur cette transition et qui inclut un plan d’action pour l’économie circulaire. Notre stratégie industrielle, au travers d’alliances que nous connaissons déjà – je pense par exemple à l’aviation dite « zéro émission » envisagée par la Commission ou à un travail sur les batteries –, doit s’insérer dans ce cadre, qui pose la question de l’économie circulaire.
La transition vers une économie pleinement circulaire constitue une chance pour conjuguer nos ambitions en matière d’environnement et de souveraineté économique et technologique, tout en créant des emplois verts.
Néanmoins, dans le cadre des négociations actuelles, la situation exige toute notre vigilance, notamment sur la question des batteries ; c’est une évolution qui doit être encadrée. Nous devons prévoir l’observation de l’ensemble du cycle de vie, grâce à aux innovations que nous développons. Je le répète, il convient d’exercer notre vigilance sur l’ensemble du cycle, de l’extraction des matières premières jusqu’au recyclage des batteries usagées.
Il faut également une législation européenne permettant de réduire, en cohérence avec les attentes exprimées par la Convention citoyenne sur le climat, l’utilisation des plastiques à usage unique. Par ailleurs, nous devons appuyer le développement de l’écoconception et le renforcement de l’information des consommateurs, afin de donner à ces derniers les moyens d’agir en faveur de la transition verte.
Au travers de son règlement sur les batteries, la Commission européenne soutient ces objectifs européens, notamment en matière d’incorporation de matériaux recyclés ; nous souhaitons étendre ce principe.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Pacte vert européen est un vaste plan ambitieux, énumérant de nombreuses priorités et proposé par la Commission européenne, afin que l’Europe devienne exemplaire en matière écologique.
Le défi est global et immense, car il est urgent de retrouver un équilibre entre l’homme et la nature.
Toutefois, nous devons être rationnels dans la manière d’aborder ce Pacte vert européen : si nous appliquons de nouvelles normes à ceux qui produisent en Europe, faisons en sorte de pouvoir appliquer les mêmes à ceux qui exportent vers l’Europe. En effet, nous nous imposons des règles de plus en plus exigeantes, parfois légitimes, mais le Pacte vert ne doit pas être l’occasion de rendre plus compétitifs des produits chinois à bas coût, développés dans des conditions écologiques désastreuses.
Prenons l’exemple de l’agriculture. Nos agriculteurs, qui, par l’excellence de leur savoir-faire, travaillent dur pour assurer notre souveraineté alimentaire, attendent de pouvoir enfin vivre dignement de leur métier et assurer le dynamisme économique des territoires ruraux. Ils ne supporteraient pas de subir encore plus de distorsions de concurrence en provenance de l’extérieur de l’Union européenne, comme ils en connaissent déjà à l’intérieur de l’Union. Pour que cette liberté d’échanger ait un sens, il faut que les règles soient les mêmes pour tous et il convient de rétablir de l’équité, de la réciprocité, dans les échanges internationaux.
La politique d’alimentation est cruciale. La stratégie dite « de la ferme à la table » du Pacte vert européen porte sur l’ensemble des stades de la chaîne alimentaire. Une multitude d’initiatives sont attendues dans les prochains mois et années, afin de concrétiser les grands objectifs fixés pour 2030.
Les outils pour y parvenir sont nombreux. Plusieurs acteurs, dont le Sénat, ont déploré l’absence de quantification des mesures préconisées par Bruxelles. D’ailleurs, la Commission européenne aurait, semble-t-il, réalisé une étude prévoyant une baisse de 10 % de la production de l’Union européenne, mais ce document serait bloqué depuis plus de six mois par le vice-président Timmermans, afin de ne pas être publié avant la fin des négociations sur la PAC. Madame la secrétaire d’État, cette affirmation est-elle exacte ? Comment y réagissez-vous ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Chevrollier, la stratégie du Pacte vert, qui se décline notamment au travers de la stratégie dite « de la ferme à la fourchette », doit, en premier lieu, nous protéger des distorsions de concurrence. En second lieu, elle doit préserver la qualité de nos produits, sans contraindre les agriculteurs, qui aujourd’hui peuvent craindre de telles distorsions de concurrence.
Ces stratégies concernent tant l’agriculture ou la pêche que l’alimentation ou la forêt et visent l’horizon de 2030. Elles portent sur la proportion de surfaces agricoles consacrée à l’agriculture biologique ou sur la réduction du recours et de l’exposition aux produits phytopharmaceutiques. Les plans stratégiques nationaux, ou PSN, ont évidemment vocation à contribuer fortement au Pacte vert dans ce cadre ; cela n’en constitue pas l’unique vecteur, mais cette dimension sera néanmoins très observée.
La contribution des PSN au Pacte vert, au travers concrètement de l’écorégime et des mesures vertes du deuxième pilier, constituera l’angle d’analyse de la Commission pour évaluer ces plans stratégiques. En outre, il y aura, dans ces PSN, un mariage de différents aspects ou enjeux relatifs à l’ambition environnementale de la future PAC : les objectifs économiques, le soutien aux filières et aux territoires et le rôle d’appui aux zones rurales.
Dans le cadre de la révision de la politique commerciale, qui est une priorité du Gouvernement – l’actualité récente a montré que celui-ci tenait des positions assez fermes sur ces enjeux –, les propositions intéressantes de la Commission doivent être confortées ; l’intégration, dans les accords commerciaux, de la déforestation importée issue de l’accord de Paris en est un bon exemple.
Nous avons su prendre, je crois, nos responsabilités face aux fragilités des accords commerciaux, qui ne doivent pas mettre en danger l’agriculture et la qualité de la production agricole française. Nous y serons donc très vigilants.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Je vous remercie de vos propos, madame la secrétaire d’État, mais vous n’avez pas répondu à ma question sur cette étude prévoyant une baisse de 10 % de la production européenne.
Le Pacte vert européen doit créer de la valeur ajoutée sur le continent européen, dans une logique de développement social, économique et environnemental, bref de développement durable au sein de l’Union européenne, afin de permettre aux agriculteurs français de dégager des revenus et de créer de la valeur. En tout cas, c’est ce que les agriculteurs attendent.
Nous serons particulièrement vigilants quant à la mise en œuvre de ce pacte.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la lecture des ambitions de ce pacte peut légitimement susciter l’enthousiasme de quiconque porte un intérêt au dérèglement climatique. Le constat est sans appel, et nous nous accordons tous à reconnaître l’urgence d’une lutte contre le changement climatique qui ne soit pas circonscrite à une action locale, ni même nationale, mais qui s’inscrive dans un cadre international.
L’objectif est clair et connu, en réalité, depuis de nombreuses années : il faut parvenir à la neutralité carbone, à l’échelle planétaire, aux alentours de 2050.
Avec le Pacte vert, l’Union européenne entend prendre toute sa part dans ce défi mondial et se dote d’un outil établissant un cadre, imprimant une direction. Parmi les mesures de ce pacte, je veux citer la réduction, d’ici à 2050, de 90 % par rapport à 1990, des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.
C’est une chose de définir des objectifs ambitieux, c’en est une autre de décliner ces objectifs en actions concrètes ; sur ce point, beaucoup reste à faire.
Prenons un exemple : l’Union européenne comptait quelque 220 000 points de recharge accessibles au public en 2020, et ces bornes sont très inégalement réparties sur le territoire européen.
La feuille de route pour une mobilité durable, présentée à la fin de l’année dernière, présentait l’ambition d’avoir au moins 30 millions de voitures zéro émission sur les routes européennes d’ici à 2030. Cela nécessiterait, on le sait, 3 millions de bornes publiques de recharge ; or l’objectif fixé dans le pacte s’élève à 1 million de bornes en 2025, c’est-à-dire demain. Nous pouvons nous inquiéter d’un tel décalage entre objectifs et moyens d’action.
La Cour des comptes européenne l’a d’ailleurs pointé du doigt, en avril dernier, en indiquant que « l’UE est encore loin de l’objectif […] qu’elle s’est fixé » et qu’« elle ne s’est pas dotée d’une feuille de route stratégique globale pour l’électromobilité ».
Madame la secrétaire d’État, pourrons-nous compter sur la France pour être moteur et faire avancer ce chantier de l’électromobilité européenne ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Piednoir, vous l’avez dit, c’est énorme, ne nous mentons pas : la nécessité de réduire les émissions du secteur des transports de 90 % d’ici à 2050 représente un défi immense.
Heureusement, nous avons des moyens et des réponses. En outre, on observe des trajectoires, par exemple dans le secteur de l’automobile, qui sont parfois beaucoup plus rapides que ce que l’on avait modélisé.
La Commission européenne a présenté, dès le 9 septembre 2020, sa stratégie de mobilité durable et intelligente, ainsi qu’un plan d’action, car, vous l’avez dit, il faut maintenant passer à l’acte. Il y a ainsi 82 initiatives relatives à tous les modes de transport, pour permettre à ce secteur de réaliser sa transformation écologique et numérique.
Il en existe également une déclinaison française, à savoir la stratégie nationale bas-carbone, qui prévoit une décarbonation quasi complète du secteur des transports à l’horizon de 2050, au moyen de cinq leviers clairement identifiés : la décarbonation de l’énergie consommée, grâce notamment à l’électrification de la mobilité et au passage aux carburants alternatifs décarbonés, la performance énergétique des véhicules, la maîtrise de la demande dans le cadre du renforcement de l’économie circulaire, un report modal vers des mobilités propres et un travail sur le transport de voyageurs et de marchandises.
En cohérence avec cette stratégie nationale, il nous faut absolument encourager l’échelon européen, pour favoriser l’accélération du déploiement des carburants alternatifs, le déploiement de l’innovation et de la numérisation dans les transports et la mise en place d’un système de tarification carbone qui permette de donner un signal prix clair pour les opérateurs.
C’est tout l’objet du système communautaire d’échange de quotas d’émission, l’ETS ou Emissions Trading Scheme, de la fiscalité énergétique ou encore de l’écocontribution. La promotion du transport multimodal, notamment du fret ferroviaire, et l’impulsion, dans le secteur aérien, du développement de l’avion du futur doivent également accompagner cette dynamique.
La Commission présentera une grande partie de ses propositions législatives à la mi-juillet prochain, dans le cadre du paquet « Fit for 55 », qui sera présenté dans le courant du second semestre de 2021 ; cela nous permettra d’atteindre ces objectifs.
Nous avons en outre, en France, un objectif en matière de déploiement de bornes, notamment en résidentiel, avec un enjeu de déploiement sur le territoire. Nombre d’acteurs sont, je le sais, extrêmement mobilisés sur ces questions.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.
Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Pacte vert, qui se trouve au cœur de l’agenda de la nouvelle Commission européenne, entrée en fonction fin 2019, vise à mettre en œuvre un programme de transformation structurelle de l’économie européenne, afin d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050.
Il s’agit d’un cadre global pour un grand nombre de stratégies, qui couvrent l’ensemble des objectifs environnementaux, comme la protection de la biodiversité, l’économie circulaire et la réduction de la pollution, au-delà du domaine « énergie-climat », classique dans les politiques européennes.
Alors que les premiers éléments du pacte ont été dévoilés au début de 2020 – plan d’investissement, projet de loi Climat et résilience –, avec un nombre important d’initiatives, législatives ou non, la crise du covid-19 a redéfini les priorités de l’Union européenne. Cette crise soulève la question de la nécessité de faire évoluer le Pacte vert dans ce nouveau contexte.
Ce pacte se doit d’être central dans la diplomatie climatique mondiale. Il implique une transformation totale de notre système économique, pour atteindre, en 2050, une économie décarbonée.
L’Europe doit donc faire le pari de la croissance et de la prospérité économique, même si de sérieux doutes subsistent. En effet, certains pays ont allégé ou « oublié » les contraintes environnementales. La pandémie est venue ajouter d’importantes priorités, à court et moyen terme, à cette perspective zéro carbone pour 2050.
Si je partage le postulat de la Commission européenne affirmant qu’il n’y a pas de contradiction entre les manières de répondre à ces deux crises mondiales, nous devrons être collectivement à la hauteur de ce défi. La reprise économique peut et doit être à la fois verte et solide, pour être pleinement conforme au Pacte vert pour l’Europe.
Madame la secrétaire d’État, j’ai deux questions.
Alors que la France exercera la présidence du Conseil au premier semestre 2022, pouvez-vous nous assurer que notre pays sera bien au rendez-vous pour guider notre continent vers une énergie propre ?
Par ailleurs, les entreprises et les collectivités locales sont des acteurs essentiels pour la transition énergétique. Elles doivent élaborer des plans climat-air-énergie territoriaux. Il faut alors que le dialogue soit très resserré sur le terrain entre les collectivités et les services de l’État. Qu’entendez-vous mettre en œuvre pour que le Pacte vert devienne une réalité territoriale ? L’Union européenne n’atteindra l’objectif de sa neutralité climatique que si les territoires participent activement à cette transformation.
Pour conclure, permettez-moi de reprendre les propos de Mme Christine Lavarde : « La créativité et le pragmatisme de tous les acteurs seront les clés de la réussite de ce pacte ».
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons là une belle conclusion au débat de cette fin de journée.
Notre ambition était que personne, aujourd’hui, n’ignore plus ces enjeux. Preuve de notre succès, le Pacte vert a été maintenu dans le contexte d’une actualité et d’un calendrier complètement bouleversés par la crise sanitaire, économique et sociale.
C’est bien le signe, je crois, que les enjeux environnementaux sont tout à fait liés à la nécessité de construire un modèle français, européen et même international qui soit soutenable et vivable pour chacun. Malgré ce calendrier, nous avons tenu le rythme en France, en lien avec des États membres également ambitieux, avec lesquels nous avons appuyé, soutenu et maintenu le Pacte vert au cœur des priorités de l’Union européenne.
Ainsi, nous avons obtenu que 30 % du nouveau budget européen du plan de relance soient directement fléchés vers la lutte contre le changement climatique. La Commission a réaffirmé, dans toutes ses initiatives, que le Pacte vert était la stratégie de croissance de l’Union et le nouveau prisme de toutes nos politiques.
Permettez-moi également de souligner que, malgré la crise sanitaire, nous avons adopté une loi européenne sur le climat qui rehausse les objectifs de réduction des émissions pour 2030, ce qui constitue un signal majeur.
Le Pacte vert prévoyait une première phase de révision de nombreuses politiques de l’Union. Celle-ci a eu lieu dans les temps, et la Commission a bien publié les stratégies qu’elle avait prévues. Cette phase, sans doute moins visible, n’en constituait pas moins le préalable indispensable à de nombreuses propositions législatives, que nous attendons désormais. Le timing a donc été respecté.
S’agissant de la mise en œuvre du Pacte vert dans les territoires, on l’a vu ce soir, les régions sont, aux côtés de l’État, des acteurs essentiels dans son déploiement et sa mise en œuvre. Plus largement, le maillage territorial a permis un déploiement très fin du plan de relance.
En conclusion, permettez-moi de répéter ce soir ma satisfaction de voir l’État, ses services et toutes les collectivités faire preuve d’une telle réactivité dans la mise en œuvre de ce plan de relance, dans la droite ligne des ambitions du Pacte vert.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout le monde ou presque en convient désormais, le changement climatique est non plus seulement une réalité, mais aussi une urgence.
Il faut naturellement que l’Europe prenne toute sa part à l’effort global que chaque nation devra désormais entreprendre ou intensifier. N’oublions pas néanmoins qu’elle ne représente que 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Avec le Pacte vert présenté en 2019, l’Europe s’est dotée d’une feuille de route ambitieuse pour atteindre la neutralité climatique et combattre les atteintes à l’environnement. Au travers de son nouveau cadre financier pluriannuel, augmenté d’un plan de relance inédit, elle entend dégager des moyens financiers qui, s’ils ne sont pas en eux-mêmes suffisants, seront sans commune mesure avec ceux qui ont été mobilisés par le passé.
Au cours des derniers mois, les principaux objectifs du Pacte vert ont été précisés. En matière climatique, ils ont d’ores et déjà été endossés par le Parlement européen et les États membres. Certes, on peut le regretter, tous les pays de l’Union n’auront pas à atteindre la même cible, mais tous devront néanmoins accélérer la cadence de leur transition.
Après l’heure des objectifs, vient aujourd’hui celle de la mise en œuvre. Quelque 87 textes sont annoncés, dont 27 seulement ont déjà été présentés : le chantier ne fait donc que commencer.
Il s’accélérera, dès le mois de juillet prochain, avec la présentation par la Commission européenne du paquet « Ajustement à l’objectif 55 », qui s’attaquera à de nombreux dossiers d’envergure, parmi lesquels le système d’échange des quotas d’émission, l’utilisation et le changement d’affectation des terres, les infrastructures des carburants alternatifs, la taxation de l’énergie, le déploiement des énergies renouvelables, ou encore la création du très attendu mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
La prudence est toutefois de mise : la semaine dernière, le Conseil européen extraordinaire a renvoyé le dossier à l’automne et demandé à la Commission un examen approfondi des incidences environnementales, économiques et sociales au niveau des États membres. Soyons conscients de la difficulté et de l’immensité de la tâche qui nous attend, spécialement en France.
L’ampleur des transformations induites par la mise en œuvre du Pacte vert européen dans tous les pans de notre activité, ainsi que leur coût, leur complexité et leurs risques, ne doit en aucun cas être sous-estimée.
Le secteur agricole en fournit une édifiante illustration : faute d’étude d’impact de la Commission européenne, qui se refuse à en fournir, les estimations du gouvernement américain tablent sur une diminution d’environ 10 % de la production agricole à l’horizon de 2030, au vu des objectifs fixés.
La prolongation inattendue, jusqu’en juin, des négociations sur la PAC prouve la difficulté à concilier les ambitions environnementales et la viabilité de notre agriculture. Rappelons, madame la secrétaire d’État, que, depuis trente ans, s’il y a un secteur qui s’est adapté aux normes européennes, c’est bien l’agriculture, ainsi d’ailleurs que la pêche.
M. Guillaume Chevrollier. Absolument !
M. Jean-François Rapin. Pour demeurer dans les limites fixées par l’accord de Paris, la voie que nous devons emprunter est une ligne de crête extraordinairement étroite, qui chemine entre deux à-pics : d’un côté, celui de l’effondrement écologique, de l’autre, celui de la décroissance économique, de la détresse sociale et des fractures territoriales, qui obéreraient de fait toute ambition environnementale.
La solution miracle n’existe pas, et l’équilibre de notre réponse au défi climatique devra s’apprécier tant globalement que secteur par secteur et mesure par mesure. Toutefois, face aux efforts considérables qui devront être fournis par chacun, quelques principes cardinaux me semblent devoir guider notre action.
Le premier d’entre eux est le pragmatisme et l’efficacité. Dans la période de transition accélérée, à bien des égards périlleuse, que nous devons amorcer, les dogmatismes n’ont plus leur place, qu’ils soient écologiques, par exemple en matière d’énergie, d’agriculture ou, tout simplement, de croissance, ou qu’ils soient économiques, notamment en matière de concurrence et de commerce.
Certains réflexes idéologiques doivent céder le pas à des politiques cohérentes et réalistes. Il s’agit de créer les bonnes incitations pour que les citoyens et les entreprises soient en capacité de réduire leur empreinte carbone et leur impact écologique. À ce titre, il importe d’inclure le nucléaire dans la taxonomie européenne, car c’est un atout clé pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Bien sûr, ce mouvement n’ira pas sans contraintes nouvelles. Croire le contraire serait se bercer d’illusions. Néanmoins, se contenter de taxer, restreindre ou interdire, c’est, à coup sûr, envoyer la transition écologique se fracasser sur le mur de l’acceptabilité. Nous savons tous, depuis les « bonnets rouges » et les « gilets jaunes », ce qu’il advient lorsque l’écologie est perçue comme exclusivement punitive.
C’est à ce titre qu’un second principe directeur me paraît essentiel : le soutien à l’innovation.
Il s’agit, tout d’abord, de la concevoir et de la développer, via des investissements massifs dans les technologies bas-carbone et zéro carbone ainsi que dans les technologies de captage, de stockage et d’utilisation du carbone. Ensuite, il faut la déployer et l’exploiter par la constitution d’écosystèmes industriels, par exemple autour de l’hydrogène bas-carbone bénéficiant d’un cadre réglementaire à la fois incitatif et protecteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le Pacte vert européen.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
7
Reprise et relance des activités culturelles
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur la reprise et la relance des activités culturelles.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques années après la fin du Second Conflit mondial, Albert Camus écrit : « Sans la culture, et la liberté relative qu’elle suppose, la société, même parfaite, n’est qu’une jungle. C’est pourquoi toute création authentique est un don à l’avenir. »
Ces quatre mots – culture, liberté, création et avenir – composent presque autant un programme pour la réouverture des lieux culturels qu’un récit existentiel et civilisationnel.
Depuis plus d’un an, en effet, à l’exception de rares moments, nous avons expérimenté une vie sans culture vivante.
Certes, le numérique a permis d’apporter une forme d’ersatz culturel, et des choses formidables ont été réalisées. Néanmoins, la preuve est faite aussi qu’il ne peut se substituer à ce qui fonde les arts vivants et, plus globalement, l’acte culturel : ce partage avec les autres est le ressenti, en réalité, d’émotions et de réflexions aussi diverses que diffuses. Ce pouls-là, palpitant, nous a terriblement manqué.
Ainsi, à la gravité de la période que nous venons de traverser, doit désormais répondre une forme non pas d’insoutenable légèreté de l’être, mais de douce légèreté commune.
Il ne s’agit pas tant d’affirmer que rien n’est grave, mais plutôt, puisque tout est grave et que maintenant nous le savons, que nous pouvons aussi penser et nous extraire de cette réalité pour travailler et tendre vers d’autres imaginaires. C’est ce besoin, encore plus vital aujourd’hui, que la culture nous aide, entre autres, à assouvir.
Pour ce faire, et en vue de faciliter et de dynamiser la reprise des activités culturelles, les conditions de réouverture doivent être propices. C’est la raison pour laquelle notre groupe a demandé la tenue de ce débat, pour vous entendre, madame la ministre, et afin que vous puissiez répondre aux questions de mes collègues qui s’en posent encore.
J’en profiterai également pour avancer quelques idées, afin de participer à la réflexion, mais aussi de consolider la relance culturelle, y compris à moyen terme.
L’urgence de garantir un déconfinernent culturel réussi a trait au déploiement de ses modalités. Cela va du pass sanitaire à la cohérence d’ensemble des protocoles mis en œuvre. S’il ne s’agit nullement de reléguer l’impératif sanitaire au second plan, il convient néanmoins de rappeler que l’étude de mars 2021, menée par l’Institut Pasteur, sur les lieux de contamination au SARS-CoV-2, aboutissait à la conclusion que la fréquentation des lieux culturels n’avait pas été associée à un sur-risque d’infection pendant la période où ceux-ci étaient ouverts.
En d’autres termes, s’il est logique qu’ils soient soumis à des protocoles sanitaires, les établissements et les événements culturels n’ont pas à endurer des modalités de réouverture plus drastiques que d’autres lieux aux caractéristiques similaires. Je pense aux critères cumulatifs très lourds pour les festivals – mais cela va peut-être évoluer –, au pass, à la jauge et à la densité. C’est une question de sécurité, d’égalité de traitement, mais aussi d’accessibilité réelle à la culture.
À cet égard, le pass sanitaire, bien qu’il soit temporaire, et mieux cadré par le Sénat, soulève encore de multiples interrogations, et sa mise en œuvre se révélera compliquée et coûteuse.
Je tiens à rendre hommage à l’extrême agilité et pugnacité dont devront faire preuve les organisateurs de festivals et d’autres rencontres, qui ont décidé, et je m’en réjouis, de maintenir leur événement cet été, dans la mesure où ils se jettent, pour partie, dans l’inconnu.
Il faut les accompagner efficacement, par exemple par rapport aux dépenses supplémentaires. À cet égard, une garantie de redémarrage de la part de l’État ne serait-elle pas de nature à les rassurer ? Que pensez-vous, madame la ministre, de cette préconisation de la mission d’information sur les effets des mesures de confinement, dont M. Roger Karoutchi était le rapporteur ?
En plus des difficultés d’organisation, cet accompagnement est naturellement d’ordre financier. Chacun le sait : toutes les structures, les équipes et les artistes auteurs ont été fragilisés. La commission de la culture du Sénat avait alerté sur les pertes considérables que subissaient les différents secteurs culturels.
D’un point de vue quantitatif, le Gouvernement a agi, et il faut le saluer. Des fonds ont été débloqués pour soutenir les acteurs culturels, via des aides transversales et sectorielles. Néanmoins, d’un point de vue qualitatif, quelques points peuvent être soulevés, qui auront peut-être demain des conséquences sur la reprise. En effet, je suis intimement convaincue que la période la plus délicate, qui est devant nous, va révéler la fois les vertus de notre robuste modèle culturel français, mais aussi ses fragilités.
La situation des équipes artistiques est ainsi préoccupante, et les lieux dans le domaine des arts visuels et du spectacle vivant auront une responsabilité majeure, en termes de solidarité, pour les soutenir et les accompagner à un moment où l’embouteillage des projets induira forcément une sélection plus dure. Il me semble, madame la ministre, que la vigilance sur ce sujet devra s’accompagner d’une évaluation de cette situation par les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC.
La difficulté à adapter les aides transversales aux spécificités du secteur culturel a été réelle ; je pense aux « trous dans la raquette », aux artistes auteurs et aux établissements publics de coopération culturelle, les EPCC, qui ont pu en être exclus pour des raisons juridiques. Là encore, une analyse fine des situations devra être menée.
Enfin, s’agissant de la problématique récurrente de la déclinaison territoriale des crédits, les lieux intermédiaires et les associations culturelles n’ont pas été suffisamment appuyés, alors que leur ancrage territorial est important.
Si nous nous tournons vers l’avenir, il se révèle indispensable que le soutien à la culture ne s’arrête pas du jour au lendemain. Le prochain PLFR permettra d’aborder cette question. Pour les intermittents, je pense qu’une clause de rendez-vous à l’automne, liée à la prolongation de l’année blanche, peut être nécessaire. Quant au volet sur l’emploi artistique, il devra également faire l’objet d’une évaluation et être amplifié, singulièrement en direction des jeunes artistes.
Les acteurs culturels nous alertent : ils sont heureux de rouvrir, mais n’ont pas pour autant franchi le mur. Ils sont parfois plongés dans un paradoxe, où l’euphorie de la reprise n’apaise aucunement les craintes quant à la pérennité de leur activité. Pour eux, le juge de paix sera 2022, voire 2023.
C’est pourquoi, au regard de l’ampleur de la crise et par souci de visibilité, établir une programmation pluriannuelle pour la culture de 2022 à 2027, sur le modèle de celle qui est prévue pour la recherche, serait peut-être un bon moyen de rassurer les acteurs de la culture. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?
En effet, ce besoin impérieux de visibilité est l’une des grandes leçons de cette crise. La politique de stop and go a été difficile à vivre, d’autant plus que l’anticipation est un facteur décisif ; les équipes sont épuisées.
Afin d’anticiper la rentrée, et quoiqu’il arrive, un plan de maintien des activités culturelles devra être bâti, en lien avec les acteurs culturels, bien sûr, mais aussi en dialogue avec les collectivités. De la même façon, il faudra rapidement anticiper sur les protocoles et préciser ces derniers, pour que les festivals en jauge debout – je pense naturellement aux Rencontres trans musicales, cet hiver, dans mon département – puissent se préparer.
Puisque l’on parle d’anticipation, nous proposerons qu’un plan d’investissement en faveur de l’équipement en ventilation et aération des établissements culturels soit inscrit dans la prochaine loi de finances, en lien avec les fonds de soutien des collectivités déjà à l’œuvre.
En outre, les collectivités territoriales, partenaires naturels des acteurs culturels, sont très heureuses de voir la vie culturelle reprendre sur leur territoire. Elles ont un rôle central à jouer dans la relance culturelle. Les conseils des territoires pour la culture, les CTC, doivent, plus que jamais, jouer un rôle de veille, mais aussi de coordination et d’impulsion pour permettre une véritable territorialisation d’une action publique mieux concertée.
Enfin, la reprise des activités culturelles n’est pas qu’institutionnelle : en France, près d’une personne sur quatre pratique une activité culturelle en amateur. Autant dire que, pour beaucoup de nos concitoyens, le retour à la vie culturelle était attendu. Un certain nombre de points réglementaires, notamment sur les protocoles de divers établissements recevant du public, ou ERP, les empêchent encore de pratiquer. J’espère, madame la ministre, que vous les préciserez très prochainement.
Définitivement, la culture est tout sauf un privilège. Plus que nécessaire, elle nous est essentielle, et c’est peut-être la grande révélation de cette période difficile que nous venons de vivre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, depuis le 19 mai dernier, les spectacles, les monuments, les théâtres, les salles de cinéma, les centres et galeries d’art ont rouvert leurs portes au public.
L’amélioration de la situation sanitaire permet de renouer avec ce qui fait l’essence même de la culture : se réunir, se retrouver et échanger. La réouverture se traduit par des retrouvailles, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Cette réouverture tant attendue des lieux de culture se veut toutefois prudente et progressive. Elle est échelonnée en plusieurs phases, d’ici au début du mois de juillet, de manière coordonnée et cohérente avec les autres secteurs jusque-là fermés.
Après la première étape du 19 mai, les contraintes de jauges seront allégées à compter de la semaine prochaine et seront levées pour toutes les salles et, là où le public est assis, à compter du 30 juin. Cette démarche décline le modèle résilient sur lequel le ministère de la culture et les professionnels se sont mobilisés depuis plusieurs mois dans cette perspective. Les prochaines semaines permettront au pays tout entier de vivre la culture.
La réouverture s’amorce bien, avec une offre très diversifiée dans tous les secteurs. Au cinéma, plus de 2 millions d’entrées ont été enregistrées lors de la première semaine de réouverture, soit, malgré la jauge de 35 %, plus du double des entrées réalisées sur la même période en 2020.
Les musées, les expositions et les salles de spectacles ouvertes ont également fait le plein, et le public a été au rendez-vous ; je pense notamment au musée d’Orsay et au Centre Pompidou, qui affichaient complet pour leurs expositions temporaires durant le premier week-end.
Les festivals ont également pu reprendre depuis le 19 mai. C’était le cas des Nuits de Fourvière, à Lyon, hier soir, avec des jauges également réduites et qui évoluent selon les mêmes étapes. Grâce à la vaccination et à l’amélioration de la situation sanitaire, les festivals, si nombreux et si divers, pourront se tenir cet été ; nous devons nous en réjouir.
Je sais que les questions sont encore nombreuses, et, madame la sénatrice Sylvie Robert, vous en avez énuméré un certain nombre, auxquelles je répondrai au cours de notre débat interactif.
Les interrogations sont nombreuses notamment sur les modalités pratiques, et je sais qu’il s’agit d’un vrai sujet de préoccupation pour le Sénat. Je m’attends donc à de nombreuses questions et interpellations dans les prochaines minutes.
La réouverture se fait également dans des conditions maîtrisées de sécurité sanitaire, tant pour le public que pour les artistes, les agents, les techniciens et les salariés des lieux. Les professionnels ont, en effet, tout mis en œuvre, avec l’appui du ministère de la culture, pour que la réouverture, qui repose sur des protocoles rigoureux et toute l’expérience qui a été accumulée lors du premier déconfinement, soit une réussite.
Le public a ainsi pu être accueilli, dès le premier jour, dans les meilleures conditions, grâce à la mobilisation de l’ensemble des personnels des lieux culturels. Je veux vraiment ce soir, devant vous, les remercier. Cette réouverture est également possible dans de bonnes conditions parce que le Gouvernement a mobilisé toutes ses forces pour soutenir la culture et faire en sorte qu’elle reste vivante, forte et que, dans toute sa diversité, elle surmonte cette période si difficile.
Depuis le début de la crise sanitaire, ce sont quelque 12,4 milliards d’euros qui ont été mobilisés par l’État en faveur de la culture, pour les structures publiques, les entreprises culturelles, les créateurs, les artistes et les techniciens. Ce chiffre est inégalé dans le monde.
Plus de 8 milliards d’euros d’aides transversales et près de 1,4 milliard d’euros d’aides sectorielles ont soutenu l’ensemble de la filière du cinéma, de la musique, du théâtre, aidé les festivals et encouragé les captations de spectacles. Enfin, le Gouvernement déploie depuis le mois de janvier les 2 milliards d’euros accordés au titre du plan de relance, qui permettent de soutenir nos opérateurs, de renforcer l’emploi culturel et de moderniser les filières culturelles.
Vous pouvez d’ores et déjà constater, dans vos territoires, la mise en œuvre de ces crédits.
Pour accompagner la réouverture, qui commence par des jauges limitées, un nouveau train de mesures a également été mis en place, avec une enveloppe supplémentaire de 148 millions d’euros pour soutenir les secteurs du cinéma et du spectacle vivant, particulièrement frappés par la crise sanitaire.
À compter du mois de juin, ces entreprises continueront de bénéficier du fonds de solidarité, sous certaines conditions et de manière dégressive, au prorata de leurs pertes de chiffre d’affaires.
Enfin, le dispositif d’activité partielle sera prolongé pour les secteurs prioritaires sans reste à charge pour l’employeur jusqu’à la fin du mois de juin, et même au-delà dans certaines conditions. À partir de juillet, un régime dégressif prendra le relais, pour tenir compte de la reprise progressive d’activité.
Par ailleurs, l’année blanche en faveur des intermittents est prolongée de quatre mois, jusqu’au 31 décembre 2021, avec trois filets de sécurité – j’y reviendrai lors du débat interactif – pour les douze mois suivants : extension de la période d’affiliation au-delà de douze mois, clause de rattrapage et modalités aménagées de l’allocation de professionnalisation et de solidarité. Ces mesures permettront de garantir une indemnisation durant toute l’année 2022, soit seize mois de protection supplémentaire pour les intermittents de la culture.
J’ai également eu l’occasion d’annoncer une enveloppe de 30 millions d’euros pour soutenir directement l’emploi artistique, grâce au renforcement de trois dispositifs qui visent à soutenir l’activité culturelle de proximité, en allégeant le coût de l’emploi artistique pour les employeurs occasionnels.
Les jeunes – vous en parliez, madame la sénatrice, et c’est tellement important ! – qui ont commencé leur carrière dans les professions de la culture et du spectacle pendant la crise sanitaire sont les premiers bénéficiaires des politiques de protection mises en place durant la crise. Ils profitent d’un accompagnement renforcé, avec non seulement le développement de l’apprentissage et un recours plus important au plan « 1 jeune, 1 solution », mais aussi l’abaissement du seuil d’accès au régime d’intermittent pour les primo-accédants de moins de 30 ans.
Cette réouverture est une réussite, mais elle n’est pas une fin en soi. Elle n’a de sens que si nous poursuivons nos politiques d’accès à la culture, principalement centrées sur les jeunes.
C’est ce que nous avons fait au ministère de la culture au cours des derniers mois. Je pense bien évidemment à la généralisation du pass culture, qui permet, depuis le 20 mai dernier, à chaque jeune de 18 ans de bénéficier d’un crédit de 300 euros utilisable vingt-quatre mois pour réserver des spectacles au théâtre ou à l’opéra, pour acheter des places de concert, des instruments de musique ou des livres, pour planifier des visites de musées et d’autres lieux de patrimoine.
Je sais que ce dispositif ne fait pas l’unanimité dans cet hémicycle, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y a un incroyable engouement depuis l’annonce de sa généralisation.
Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire en amont de nos échanges. Cette reprise était très attendue. Nous avons travaillé d’arrache-pied au ministère de la culture, avec l’ensemble des professionnels, pour qu’elle soit solide et pérenne.
Les Français ont été au rendez-vous de cette réouverture, et nous devons, toutes et tous, continuer à faire vivre la culture dans les semaines et les mois à venir.
Débat interactif
Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Je vous préviens, mes chers collègues, que je serai intraitable sur le respect de votre temps de parole !
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la ministre, « non essentiels », voilà comment ont été considérés les acteurs culturels durant de trop longs mois.
La reprise culturelle doit être l’occasion de montrer exactement l’inverse et de redéfinir les objectifs d’une politique culturelle. Le premier d’entre eux, selon nous, doit être l’accès de tous à la culture dans la proximité ; j’insiste sur ce point. Cela veut dire mieux soutenir les lieux à rayonnement régional, mais aussi des lieux et des équipes artistiques divers et à dimension plus locale.
Tous doivent être accompagnés pour mieux aller à la rencontre des publics les plus éloignés de la culture, dont certains se sont encore plus éloignés du fait de la période que nous venons de vivre.
Selon nous, cela passe notamment par une redéfinition de la distribution des subventions : aujourd’hui, par exemple, 85 % des compagnies conventionnées en Normandie n’y vivent pas et ne font pas travailler les artistes normands. Nous attendons un nouvel acte de la décentralisation de la culture vivante.
Les intermittents sont soutenus au travers de l’année blanche et des filets de sécurité que vous venez de rappeler, madame la ministre. Toutefois, il semble que ce qui est donné d’une main est repris de l’autre, avec la réforme de l’assurance chômage et les modifications des annexes 8 et 10, qui les priveraient du bénéfice du régime de l’intermittence s’ils effectuent des heures au régime général.
Enfin, je souhaite insister sur le lien entre lieux culturels, équipes artistiques et établissements scolaires. Ces derniers sont l’une des clés de l’élargissement de l’accès à la culture, mais les financements manquent. Je pense, par exemple, au projet d’orchestre de l’école de la ville d’Eu, dans mon département, qui se trouve menacé faute de financement.
Or, comme chacun le sait ici, des enfants qui dansent, qui jouent, qui peignent, qui chantent, fréquenteront beaucoup plus facilement les lieux culturels en grandissant.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Je veux vraiment répondre à l’accusation récurrente, madame la sénatrice, selon laquelle nous ne considérerions pas la culture comme essentielle.
Ce mot a été prononcé pour définir des commerces journaliers dont nous avons besoin pour assurer notre subsistance ; il n’a jamais été question de dire que la culture n’était pas essentielle. Au demeurant, comme le disait Pierre Reverdy – à moins que ce ne soit saint Paul –, « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ».
Or, ces preuves, nous les avons données : 12,4 milliards d’euros pour soutenir la culture. Observez ce qu’ont fait les nations comparables : l’Italie, pays ayant mobilisé le plus de crédits après la France, a débloqué un peu plus de 4 milliards d’euros ; l’Allemagne, 2 milliards d’euros ; la Grande-Bretagne, 1,7 milliard de livres ; l’Espagne, pays tant vanté pour avoir laissé quelques salles ouvertes à Madrid, 800 millions d’euros pour aider ses artistes…
Oui, pour le Gouvernement français, la culture est essentielle. Il en a apporté la preuve en soutenant massivement le secteur culturel, avec ses opérateurs et avec ses directions régionales des affaires culturelles, les DRAC. La crise a montré combien l’organisation territoriale de l’État était importante, et les DRAC ont été au plus près des acteurs de terrain.
J’ai mobilisé les structures de concertation autour des DRAC avec la création des CTC, les conseils des territoires pour la culture, régionaux. Je mène également une politique active de développement des comités régionaux des professions du spectacle, les Coreps ; en effet, beaucoup de régions n’en possèdent pas, alors que ce sont précisément les lieux où les acteurs de la culture et les décideurs locaux peuvent se rencontrer.
En ce qui concerne les intermittents, je ne vous réponds pas tout de suite, car j’ai épuisé mon temps de parole, mais j’y reviendrai à l’occasion d’autres questions. (Sourires.)
Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. À compter du 9 juin, les grandes manifestations culturelles se verront appliquer une forme de double peine : pass sanitaire et jauge réduite.
La présentation du pass sanitaire sera exigée pour toute manifestation culturelle accueillant plus de 1 000 personnes. Et un maximum de 5 000 spectateurs devra être respecté, dès lors que ce seuil représente moins de 65 % de la jauge.
Or qui dit « pass sanitaire » dit « contrôles », donc « effectifs et coûts supplémentaires ». Qui dit « jauge » dit « moins de public », donc « moins de recettes ». Et qui dit « plus de coûts et moins de recettes » dit « absence de marge et déficit ».
Aussi, à l’instar de certains restaurants ou cafés qui font le choix de rester fermés, faute d’une surface de terrasse suffisante, cette spirale inflationniste a pu conduire certains organisateurs ou producteurs à annuler ou reporter une représentation, plutôt que de prendre le risque de perdre de l’argent. Nombreux sont les festivals qui, cet été encore, laisseront les artistes dans les loges, les techniciens au chômage et les prestataires à l’agonie.
Pourquoi donc imposer cette double peine ? Pourquoi imposer une jauge pour accueillir des spectateurs qui présentent la preuve qu’ils ne développent pas le virus de la covid-19 ? C’est bretelles et ceinture !
Madame la ministre, quel est l’intérêt de maintenir une jauge pour les événements exigeant un pass sanitaire ? Il semblerait que ce pass, tel qu’il est envisagé, ne soit pas satisfaisant. Prenons l’exemple du festival de Poupet, en Vendée : n’est-il pas dissonant d’imposer ce pass aux spectateurs quand on ne l’exige pas des organisateurs, des techniciens et des bénévoles ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je ne puis laisser parler de double peine. La double peine, ce serait celle que nous infligerions aux spectateurs qui n’auraient pas été suffisamment protégés. Nous comprenons tous que plus ils sont nombreux, plus le risque de contamination est important. C’est en cela que je parlais de reprise progressive et cohérente.
Je rappelle qu’il serait illégal d’imposer le pass sanitaire aux agents, que ceux-ci soient salariés ou bénévoles ; c’est une question de droit du travail, et je ne puis donc retenir votre remarque.
Ce pass nous permettra de tenir un agenda de réouverture plus soutenu. Il s’agit d’une solution pragmatique. Comme je l’ai déjà souligné lors de mes auditions en commission, je n’étais pas une fanatique du passeport vaccinal, mais une partisane du pass sanitaire avec des conditions très encadrées. Je crois savoir qu’il a été voté, et c’est une bonne chose. La France est d’ailleurs loin d’être le seul pays à faire ce choix.
Le pass sanitaire sera applicable du 9 juin au 30 septembre, dès que la jauge de billetterie est supérieure à 1 000. Il s’agit d’événements de grande ampleur. Les établissements recevant du public, les ERP, concernés sont donc les chapiteaux, les salles de théâtre ou de spectacle de plus de 1 000 places, les salles de spectacle sportif, les salles de conférence, les salons et foires d’exposition, les festivals debout et assis, notamment en plein air.
Vous connaissez les trois types de preuve qui seront opposables : le test négatif, le certificat de rétablissement et le certificat de vaccination. Ces différentes modalités de présentation de la preuve permettront de garantir l’accessibilité de tous aux activités.
Je compléterai mes propos à l’occasion des questions suivantes. (Sourires.)
Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.
Mme Annick Billon. À Poupet, comment pourra-t-on réaliser autant de contrôles et de tests, alors que 30 000 billets – donc potentiellement 30 000 tests – ont été vendus ? Que faire si le festivalier qui a acheté son billet depuis plus d’un an ne peut présenter un pass sanitaire ? Qui va payer ? (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Peut-être faut-il envisager un fonds de compensation pour les remboursements ?
Mme le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe.
Mme Sabine Van Heghe. Madame la ministre,, en cette période de reprise – seulement partielle, il est vrai – des activités culturelles, je souhaite vous alerter sur les très grandes difficultés éprouvées par les directrices et directeurs de festivals et par les intermittents qui y travaillent.
Vous avez annoncé, voilà quelques semaines, les conditions de tenue des festivals à compter du 1er juillet prochain : des festivals en configuration debout, en plein air avec une jauge de quatre mètres carrés par festivalier. Ces mesures suscitent des inquiétudes chez les professionnels, qui se demandent comment adapter ces contraintes à la particularité de leurs manifestations.
Certains festivals sont toujours dans l’incertitude quant à la tenue de leur édition de 2021, quand d’autres ont d’ores et déjà dû renoncer, comme le Main Square Festival d’Arras, qui a donné rendez-vous à ses habitués pour une édition 2022.
Même si les acteurs culturels tentent, tant bien que mal, de conserver le lien privilégié tissé avec nos concitoyens, les difficultés sont encore très grandes. Le fonds de compensation billetterie ne peut malheureusement tout résoudre.
C’est en effet tout un écosystème qui est touché, de nombreux commerçants et sous-traitants souffrent. Les difficultés des acteurs culturels, tout comme celles des intermittents du spectacle, vont malheureusement perdurer de longs mois.
Nombre d’intermittents ne partagent pas l’optimisme du Gouvernement : la reprise des activités culturelles depuis le 19 mai, aussi bienvenue soit-elle, est pour bon nombre d’entre eux un leurre. Ils sont en effet un très petit nombre à avoir pu reprendre le travail.
L’annonce du prolongement de l’année blanche jusqu’au 31 décembre 2021 et la mise en place de filets de sécurité pour 2022 n’ont pas rassuré les intermittents, qui craignent une baisse sensible de leurs revenus à partir de janvier 2022.
Comptez-vous mettre en place une indispensable clause de rendez-vous en fonction des évolutions et prendre l’engagement de la plus grande vigilance dans les prochains mois face à la prévisible persistance des difficultés affectant le monde culturel ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Vous avez raison, madame la sénatrice : ce n’est pas parce que les restrictions ont été levées que tous les événements culturels pourront reprendre.
Les uns et les autres sont soumis à des contraintes différentes. Je viens d’apprendre, par exemple, que mon cher festival de Baugé, en Maine-et-Loire, ne reprendra pas en 2021, parce qu’il collabore habituellement avec de nombreux artistes originaires de Grande-Bretagne, qui ne pourront venir exercer leur art cette année. Il s’agit d’un tout petit festival, en milieu rural, qui doit faire face à de nombreuses contraintes, à des problèmes de répétition… Certains spectacles vivants ne reprendront que le 1er septembre : la saison se terminant en juin, ils ne veulent pas relancer les équipes.
Nous allons accompagner ces transformations et les pertes de billetterie. J’ai annoncé, le 18 février dernier, un fond festival exceptionnel de 30 millions d’euros, dont 20 millions d’euros dédiés à la musique et gérés par le Centre national de la musique, le CNM, et 10 millions mis en œuvre par les DRAC pour les petits festivals et manifestations dans d’autres disciplines artistiques.
Nous aiderons aussi les festivals qui s’adaptent. Je pense, par exemple, aux Vieilles Charrues, en Bretagne, qui se tiendront cette année en mode assis. Cela entraîne bien évidemment une perte de billetterie et des frais supplémentaires.
Grâce à cette enveloppe de 38 millions d’euros mobilisée par la culture, de nouvelles commissions vont être mises en place pour soutenir la reprise des représentations du printemps et de l’été. Nous serons aux côtés de ces structures.
Avec les dispositifs que nous mettons en œuvre – à commencer par les quatre mois supplémentaires qui permettront d’accompagner cette phase de reprise –, les intermittents vont profiter d’une protection spécifique en 2022 que je vous détaillerai dans quelques instants.
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des propositions que la mission d’information du Sénat sur les effets des mesures en matière de confinement a formulées pour ce qui concerne la réouverture des lieux culturels. Nous vous avions auditionnée et nous sommes à peu près sur la même ligne.
Je suis rarement généreux à l’égard du Gouvernement, mais il faut être un peu raisonné et raisonnable : il est certain que la France a bien plus aidé son secteur culturel que ses voisins (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.),…
M. Julien Bargeton. Absolument !
M. Roger Karoutchi. … et c’est tant mieux. À certains moments, il faut dire les choses ; je veux bien entendre que blanc c’est gris et gris c’est blanc, mais la vérité est là.
Nous vous le devons en grande partie, madame la ministre, car vous avez obtenu des arbitrages budgétaires plutôt positifs pour le milieu culturel. Je vous en remercie.
Pour ma part, je suis pour le maintien de la jauge et pour le pass sanitaire, tel qu’il a été voté par le Sénat. En effet, il serait insupportable à tous les Français d’affronter une quatrième vague au mois de septembre prochain. Qui l’accepterait ? Prendre des précautions me paraît donc tout à fait normal.
Toutefois, madame la ministre, même si les jauges vont être progressivement allégées, le monde du spectacle vivant craint que la dégressivité des aides ne soit de plus en plus forte et qu’ils ne puissent passer le cap de 2022. Avez-vous obtenu des arbitrages budgétaires favorables à cet égard ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Timeo Danaos et dona ferentes – cela dit pour les amateurs des pages roses du Larousse ou d’Astérix… (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. D’Astérix, bien sûr !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. À chacun ses références ! Je vous remercie, monsieur le sénateur, cher Roger Karoutchi, de vos propos.
Pourquoi les Français ont-ils accepté de voir le secteur culturel être autant aidé, parfois bien davantage que d’autres domaines d’activité ? C’est que les Français y sont attachés, même ceux qui ne le fréquentent pas. Un jeune homme me disait récemment ne jamais aller au théâtre, mais vouloir que les théâtres restent ouverts. Cette phrase peut paraître ridicule, mais elle ne l’est pas : nous vivons dans un pays qui permettra peut-être à ce monsieur, qui n’est jamais allé au théâtre, de s’y rendre un jour. Et c’est extrêmement important.
Bien évidemment, les dispositifs que nous mettons en place sont sous surveillance. Nous prévoyons clauses de rendez-vous et bilans. Je me suis engagée, voilà quelques semaines, devant le Conseil national des professions du spectacle, à nous retrouver à la fin de la période estivale pour faire le bilan : comment les choses se sont-elles passées, combien d’intermittents ont repris, pendant combien d’heures ont-ils travaillé…
Ce ne sera pas pour solde de tout compte. Tout au long de l’année, nous n’avons eu de cesse d’être réactifs, de tricoter les dispositifs pour éviter les trous dans la raquette et de prendre en compte la situation des uns et des autres. Ce monde est si divers, avec des rémunérations qui empêchent parfois les indemnisations ou les rendent difficiles. Nous suivrons bien entendu toutes ces questions, monsieur le sénateur.
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Je ne doute pas de votre volonté, madame la ministre, mais j’entends d’autres membres du Gouvernement remettre en cause le « quoi qu’il en coûte »…
Le déficit 2021 sera nettement supérieur aux prévisions de début d’année. Le moment arrivera où la contrainte financière sera tellement rude que je ne sais pas si vous obtiendrez toujours des arbitrages favorables.
En tout cas, qu’il s’agisse de la bonification ou de la prolongation de l’exonération de taxes, le spectacle vivant a besoin de l’État pour revivre.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Après les longs mois de fermeture et la longue léthargie de la vie culturelle française, les salles de concert, les théâtres, les cinémas font leur timide retour, pour le plus grand bonheur des artistes et du public.
Les salles s’adaptent aux conditions imposées par la pandémie, avec une jauge réduite à 35 %. Ces limitations imposent l’adaptation du budget de chaque événement, ce qui implique de revoir entièrement la programmation.
Certaines salles en configuration debout ou trop petites ne sont pas adaptées aux nouvelles règles sanitaires et n’envisagent pas de rouvrir avant l’automne 2021. En effet, le concert test réalisé à Paris le 29 mai dernier, avec un protocole sanitaire extrêmement lourd, reste peu représentatif de la réalité des situations observées localement.
Les associations culturelles sont fortement pénalisées par la crise. Nombre d’entre elles font part de leurs inquiétudes à trouver les financements nécessaires auprès des collectivités locales pour relancer la vie culturelle. Or, nous le savons, l’organisation d’un événement nécessite des mois de préparation en amont.
La réouverture des salles de répétition et des conservatoires municipaux est également une question sensible pour de nombreux maires qui restent dans l’incertitude.
À l’école, le ministre de l’éducation nationale avait encouragé la pratique du chant choral. Or la crise sanitaire a entraîné une grande déperdition de bénévoles et la démobilisation des enfants ou des parents.
Dans un tel contexte, madame la ministre, quels sont les moyens envisagés par le Gouvernement pour favoriser une reprise progressive, mais pérenne, de la vie culturelle sur l’ensemble du territoire ? Je pense en particulier aux communes rurales.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Cher Jean-Pierre Decool, après les lois de 1983, la décentralisation a mis du temps à s’installer dans les collectivités territoriales. Il a peut-être fallu une génération pour qu’elles s’emparent de l’ensemble des pouvoirs qui leur avaient été donnés.
Toutefois, les crédits pour la culture pilotés par les collectivités territoriales sont aujourd’hui plus importants que ceux de l’État, il faut l’avoir en tête. Les opérations qu’elles mènent sont extrêmement importantes et permettent de mailler le territoire. Nous avons conclu ensemble des partenariats cruciaux et tout à fait signifiants.
La crise sanitaire nous a peut-être permis de mieux comprendre l’importance des collectivités territoriales : je les ai toujours trouvées à mes côtés ces derniers mois. Elles m’ont souvent sollicitée, et j’ai essayé de leur répondre de la meilleure façon, sans esprit de système et sans arrogance. Je les ai associées à tous les moments de la discussion pour bâtir ensemble. En arrivant rue de Valois, mes premiers mots ont été : « Je serai la ministre des artistes et des territoires », car rien ne peut se faire sans ces derniers.
Nous avons mis en place des mesures. Je pense notamment à l’enseignement artistique, auquel vous êtes très attaché, et aux conservatoires. Les enseignements ont repris dès le 19 mai pour les publics qui étaient déjà accueillis antérieurement ; ainsi de la danse sans contact pour les mineurs et du chant lyrique individuel. L’enseignement de la danse pourra reprendre à partir du 9 juin. La reprise sera totale à compter du 1er juillet, ainsi que pour le chant lyrique en pratique collective.
Il n’y aura alors plus de restrictions. Ce sera un moment très important pour nos territoires.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Madame la ministre, les Français danseront-ils cet été ?
La reprise des festivals est une véritable bouffée d’air frais pour beaucoup ; la joie de celles et ceux qui ont pu assister à l’ouverture des Nuits de Fourvière hier à Lyon en témoigne.
Toutefois, la musique ne s’écoute pas uniquement assis. Qu’il s’agisse des festivals debout de musiques actuelles ou des clubs, tout un pan de la culture est encore à l’arrêt. La question est celle non pas des aides, mais de la reprise.
Pour les clubs ou discothèques, qui sont souvent des établissements à vocation culturelle, depuis plus d’un an, à chaque déconfinement, à chaque allégement des contraintes sanitaires, c’est la même déception, les mêmes frustrations : « pas maintenant », « plus tard », « soyez patients »…
Le 1er juillet aurait dû marquer la reprise pour les festivals ou concerts debout, mais les règles sont encore floues avec cette jauge d’un festivalier pour quatre mètres carrés et l’appréciation laissée au préfet. De nombreux festivals ont donc été contraints d’annuler pour la seconde année consécutive.
Madame la ministre, le monde de la culture électronique et des musiques actuelles a été patient et inventif. Comme celui des Vieilles Charrues, le festival Nuit Sonores, par exemple, a su se réinventer en configuration assis.
Aujourd’hui, les terrasses se remplissent et les Françaises et les Français sortent de chez eux. Partout en France, on ressent cette même aspiration à la fête, à se retrouver, à la danse, à la musique, à déconfiner le corps et l’esprit.
Rappelons que cette culture des musiques électroniques, née dans la clandestinité, n’a jamais attendu aucune reconnaissance de l’État et sait s’organiser. Nous avons déjà eu l’occasion de le constater ces derniers temps, avec les raves et les soirées spontanées qui ont parfois rassemblé des centaines de jeunes danseurs. Laisser le monde de la nuit et des musiques actuelles se diriger vers la clandestinité risque de donner lieu à un été de répression.
Le 5 mai dernier, le Parlement allemand a reconnu les clubs comme lieux de culture. Pour eux, cela change tout : reconnaissance d’un rôle évident dans la création artistique, relation privilégiée avec l’État, changement de regard du public… Les conséquences positives de cette décision enrichissent tout le secteur.
Madame la ministre, vous nous aviez dit, lors de votre audition par la commission, que vous teniez encore des réunions sur la question des quatre mètres carrés par festivalier. Avez-vous avancé depuis lors ?
Par ailleurs, envisagez-vous d’accorder le statut de lieu culturel à certains établissements de nuit, pour éviter de les laisser tantôt entre les mains de Beauvau, tantôt entre celles de Bercy, et leur accorder enfin la reconnaissance de votre ministère ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Loin de moi l’idée de dire que les discothèques et autres night-clubs ne sont pas des lieux de culture : ils peuvent l’être, comme ils peuvent ne pas l’être ; cela dépend.
En tout cas, sur le plan des attributions qui sont les miennes, les discothèques ne relèvent pas du ministère de la culture. On peut le regretter, mais c’est ainsi.
Effectivement, et il n’est pas très compliqué de le comprendre, les discothèques, dans leur mode de fonctionnement, posent des problèmes de sécurité sanitaire évidents. Il n’est pas besoin d’être épidémiologiste, infectiologue ou virologue pour s’en rendre compte.
Du concert test qui a été organisé à l’Accor Arena selon des modalités définies scientifiquement – chaque spectateur se tenait debout –, on peut tirer des enseignements intéressants pour une reprise de l’activité des discothèques.
En tout cas, n’allez pas imaginer que ce concert test puisse servir de modèle de fonctionnement pour les concerts ; c’est une expérimentation menée, d’un côté, par une organisation professionnelle spécialisée dans le spectacle de musiques actuelles, le Prodiss, et de l’autre, par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, selon des modalités définies scientifiquement.
Cette expérimentation a fait appel à des êtres humains, lesquels pourraient d’ailleurs se retourner contre les autorités sanitaires ou politiques s’il était avéré qu’ils n’avaient pas été protégés.
Cette expérimentation lourde nous permettra de tirer des enseignements extrêmement précis. En réponse à d’autres questions, je reviendrai sur les conditions d’organisation de ces concerts pour bien faire comprendre ce qu’est un concert test.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour la réplique.
M. Thomas Dossus. Il n’a pas été répondu à ma question portant sur les modalités concrètes de mise en œuvre de la jauge d’un festivalier pour quatre mètres carrés. Cela nous aurait permis de les comprendre un peu mieux.
Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Madame la ministre, lorsque l’on parle de reprise des activités culturelles, on pense souvent, ce qui est bien normal, aux lieux – aux salles de spectacle, aux cinémas, etc.
Par ailleurs, il a été souligné ici que la France avait aidé, comme nul autre pays, son secteur culturel.
La culture sous toutes ses formes doit redémarrer partout, dans tous les territoires. De fait, madame la ministre, vous avez annoncé, à la suite de l’été 2020, la reprise de l’été culturel en 2021.
Mes questions sont donc les suivantes : quel bilan tirez-vous de l’été culturel 2020 pour pouvoir affirmer qu’il faut le reprendre en 2021 ? Quels moyens financiers y seront consacrés ? Comment faire pour qu’il soit le plus ouvert possible, le plus large possible, le plus inclusif possible, comme l’on dit parfois aujourd’hui, afin notamment qu’il prenne en compte les questions d’égalité entre les femmes et les hommes ou bien la valorisation des jeunes talents et des jeunes artistes ?
Cette déclaration va dans le bon sens. Nous souhaiterions en savoir davantage sur ce que sera l’été culturel 2021.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Julien Bargeton, votre question sur l’été culturel répond finalement à deux préoccupations précédemment évoquées. D’une part, comment aider les jeunes, à la fois les artistes qui créent, qui jouent, et les jeunes désireux d’assister aux spectacles ? D’autre part, comment mailler le territoire par des manifestations artistiques facilement accessibles ?
Le bilan de l’été culturel 2020 est extrêmement positif. Quelque 10 000 manifestations ont rassemblé plus de 1 million de spectateurs et participants et permis à 8 000 artistes de travailler. Cela a donc été un vrai succès, d’autant que ces manifestations se sont déroulées principalement dans des secteurs prioritaires, des secteurs confrontés à des difficultés sociales considérables.
Cette initiative a permis de renforcer le partenariat avec les collectivités territoriales, de découvrir de nouveaux partenariats avec des équipes indépendantes et des collectifs qui n’étaient pas nécessairement connus des services. Les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, ont ainsi découvert de petites compagnies, de petites structures qui se sont mobilisées et qui ont pu trouver du travail.
Tous les lieux ont été investis, qu’il s’agisse des zones difficiles, des zones très rurales, des Ehpad, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou des centres de vacances.
La sphère culturelle demeurant très touchée cette année, j’ai décidé de reconduire le budget de l’été culturel pour l’année 2021, à hauteur de 20 millions d’euros.
Les DRAC assureront la répartition de ces fonds au plus près des territoires, avec un focus particulier, cette année, sur les jeunes artistes récemment sortis des écoles, l’attractivité de ces territoires, un partenariat affirmé avec le pass culture, une volonté de développer des projets associant sport et culture en préparation de l’Olympiade culturelle, enfin, comme vous l’avez souhaité, l’égalité entre les hommes et les femmes et l’ouverture à la diversité – c’est l’un de mes mantras.
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la ministre, je m’associe aussi aux témoignages de reconnaissance pour tout ce qui a été fait pour la culture durant cette crise sanitaire, mais le patrimoine ne doit pas servir de variable d’ajustement face aux besoins suscités par celle-ci, alors que nos monuments et nos musées sont essentiels à la relance, à la fois en tant que vecteurs d’émancipation pour les citoyens, en tant que leviers de cohésion sociale et en tant que facteurs de rayonnement national et d’attractivité des territoires.
Certains monuments historiques ont ainsi subi des pertes de chiffre d’affaires de plus de 50 % sur un an. Le Gouvernement s’est engagé dans le cadre du loto du patrimoine ou du plan de relance pour la rénovation du petit patrimoine et des cathédrales.
Avant la crise sanitaire, les besoins de restauration du patrimoine protégé étaient déjà importants au regard de leur mauvais état.
Le manque d’ingénierie des petites communes et des propriétaires privés constitue d’ailleurs un frein à la réalisation de nombreux projets. Cette difficulté pose particulièrement problème à l’heure actuelle, où le temps presse pour lancer des projets susceptibles d’aider les entreprises de restauration du patrimoine à surmonter la crise.
Toutefois, les financements des monuments ne peuvent être pérennes avec la seule aide de l’État : les recettes touristiques sont essentielles pour leur survie, en particulier pour les propriétaires et gestionnaires privés.
Madame la ministre, comment promouvoir le tourisme pour leur assurer une fréquentation maximale cet été et les aider à surmonter la crise ? Afin d’assurer le respect des gestes sanitaires tout en garantissant la réouverture des monuments, comment comptez-vous, de manière pratique, limiter les files d’attente et, ainsi, respecter la jauge ? L’État pourrait-il financer la modernisation numérique du secteur en systématisant la pratique des billets horodatés pour accéder aux monuments ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord de rappeler le montant inédit des moyens qui ont été mobilisés pour le patrimoine, les 614 millions d’euros du plan de relance s’étant ajoutés aux 7,1 milliards d’euros de crédits courants du ministère de la culture. À ce titre, 1 milliard d’euros a été consacré à la préservation du patrimoine.
Cette mobilisation inédite rejoint d’ailleurs l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne, qui a inscrit parmi celles-ci, en accord avec les autres pays, la valorisation du patrimoine.
Je veux que les ponts qui existent entre le patrimoine et le spectacle vivant, entre le patrimoine et le tourisme, soient renforcés.
J’en donnerai un exemple. Dans le plan de relance, une ligne budgétaire de 30 millions d’euros est prévue pour la commande publique d’œuvres à de jeunes artistes. Bernard Blistène, qui pilote ce dossier, nous a proposé – nous l’avons accepté – que chacune des œuvres soit accueillie dans un site patrimonial, que ce soit un site patrimonial bâti ou un site naturel. À cette fin, il travaille, d’un côté, avec le Centre des monuments nationaux, et, de l’autre, avec le Conservatoire du littoral.
C’est ainsi que je conçois le patrimoine, un patrimoine vivant, qui diffuse de la culture et qui s’extraie ainsi d’une vision purement muséale.
Ces monuments ont été largement aidés selon les normes que nous avons fixées pour l’ensemble des autres structures et ils continueront bien sûr à l’être.
Mme le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté.
Mme Sonia de La Provôté. Ma question concerne les conséquences de la crise sanitaire sur l’éducation artistique et culturelle. Celle-ci est un pilier de la démocratisation de la culture. S’appuyant sur le réseau scolaire, elle a pour but de permettre à tous les jeunes un accès à la culture. Elle se traduit par le « 100 % EAC à l’école », dont on ne connaît pas vraiment les critères, mais qui a le mérite d’être un objectif pour tous.
Cet objectif a été fixé à 88 % en 2020, avant d’être abaissé à 75 % compte tenu du contexte sanitaire, les 100 % étant désormais attendus pour 2023.
La crise sanitaire a donc conduit à des retards dans le « 100 % EAC », liés aux mesures de confinement, aux protocoles sanitaires et aux fermetures de lieux culturels.
L’EAC, dans sa forme d’échange, de visites et de rencontres, n’a pas eu lieu pendant un temps si long, pour tant d’écoles et pour tant d’enfants. Ce retard et cette raréfaction des actions, associés aux effets du confinement et du distanciel, nous le savons, vont creuser les inégalités culturelles liées au contexte socioéconomique et territorial. Si elle n’est pas corrigée, cette carence sera néfaste en matière d’accès à la culture, à la diversité culturelle et à l’ouverture à des propositions différentes.
L’EAC bien mené et accompagné constitue un moyen essentiel pour amener les jeunes et les enfants à s’ouvrir hors les murs de cette période difficile et si enfermante.
Dès lors, madame la ministre, à l’heure où les activités culturelles reprennent, comment comptez-vous rattraper le retard pris par ces jeunes générations, pour lesquelles les différences de capital culturel se ressentiront encore plus que les autres ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, il est exact que le confinement et les difficultés rencontrées par le secteur culturel ont amené à freiner cet objectif de diffusion du « 100 % EAC » que nous nous étions fixé. À partir du moment où l’on ne peut pas emmener les élèves visiter un musée ou une exposition ou assister à un spectacle, cette ambition s’en trouve réduite. Toujours est-il que nous en sommes à 75 %, ce qui n’est pas si mal compte tenu des difficultés liées au confinement.
Pour autant, il ne faut pas baisser les bras ; au contraire, il faut accélérer pour atteindre cet objectif, et c’est ce que nous allons faire.
Ainsi, je signale tout d’abord la création de l’Institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle, qui sera inauguré à Guingamp en septembre 2021 et placé sous la direction d’Emmanuel Ethis. L’Institut sera donc un opérateur de référence dans la conduite de la politique en matière de formation initiale et continue, de recherche et de diffusion des ressources.
L’éducation artistique et culturelle ne peut être assurée en amateur ; elle requiert des professionnels pour ce faire.
Je veux tout de même souligner un élément : certes, cette période a été difficile pour les enseignants, mais certains d’entre eux, ce dont je les remercie, se sont sorti les tripes, si j’ose dire, pour mener ces opérations d’EAC.
Je remercie également les artistes qui ont accepté, bénévolement, durant ces derniers mois, de venir dans les écoles pour danser, pour jouer, pour lire des textes.
Ces activités sont à nouveau accessibles dans les lieux de culture. Avec le Premier ministre, nous sommes allés la semaine dernière au musée d’Orsay à la rencontre de jeunes élèves issus de quartiers prioritaires. Ce fut absolument extraordinaire : la façon dont ces jeunes avaient préparé cette visite et dont ils ont raconté ce qu’ils y ont vu montre à quel point nous avons eu raison d’évaluer l’action du ministère de la culture à l’aune de cette éducation artistique et culturelle, que je mène en parfaite collaboration avec Jean-Michel Blanquer.
Mme le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour la réplique.
Mme Sonia de La Provôté. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
L’EAC nécessitera des moyens – vous en avez évoqué quelques-uns – pour une mise en place systémique et rapide dans tous les territoires. Vous comprendrez que cette question est d’autant plus cruciale à l’heure où le Président de la République a annoncé l’extension du pass culture jusqu’aux élèves de quatrième. Là, il y a des moyens !
Le pass ne peut ni ne doit à lui seul résumer la politique d’éducation culturelle. Vous avez répondu sur ce dispositif, mais il reviendrait tout de même, si on lui accorde la priorité, à donner un portefeuille sans avoir appris à s’en servir.
Le risque est grand de voir ainsi les inégalités se renforcer : le pass est un outil, en aucun cas une éducation à la culture. Les clés de la culture sont ailleurs que dans une application, fût-elle aimée.
Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione.
M. Lucien Stanzione. Madame la ministre, je profite de ce débat pour aborder la question de la couverture sociale des intermittents du spectacle et de la situation particulière de toutes les professions discontinues, oubliées des aides.
Tout d’abord, comme vous le savez, les intermittents du spectacle qui n’ont pas effectué assez d’heures ne disposent pas de couverture maladie ou maternité. La plupart des intermittents n’ont pu effectuer un nombre d’heures suffisant pour rouvrir ces droits à congé maladie, cependant qu’ils ont perdu des droits acquis précédemment.
Si vous avez annoncé, à la mi-mai, avoir pris des mesures, il semble qu’aucune traduction juridique de ces dernières n’ait vu le jour, ce qui est tout à fait problématique pour les acteurs de la culture. Ils ne disposent d’aucune base légale justifiant la prise en charge de leurs soins ou de leur grossesse et entrent parfois en conflit avec la sécurité sociale, qui n’est toujours pas au courant des annonces faites.
Ma première question est donc la suivante : un décret est-il prévu pour combler ce vide juridique ? Quelle sera sa date d’effet et quelle sera sa date de signature ?
Par ailleurs, toutes les professions à interventions discontinues, qui n’entrent pas du tout dans le champ de l’intermittence – je pense aux créateurs, aux artistes acteurs ou musiciens, aux techniciens son ou lumière, aux pigistes, aux prestataires en restauration ou autres, à tous les autoentrepreneurs ou travailleurs libéraux – éprouvent aujourd’hui de grandes difficultés, comme ils en éprouveront à l’avenir, sans qu’aucune aide leur soit attribuable.
Avez-vous prévu des mesures financières spécifiques pour protéger ces professionnels tout au long de la crise sanitaire créée par la covid-19 ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, j’espère que nous aurons l’occasion de nous voir au festival d’Avignon, où je me rendrai bien évidemment, ce festival qui est tellement emblématique que ses aficionados, si j’ose dire, l’attendent tous les ans avec un grand plaisir, qu’il s’agisse du in ou du off.
Rassurez-vous, les textes promis sont en cours d’élaboration. Je ne puis vous indiquer la date précise à laquelle ils seront signés, mais ils le seront en temps et en heure de manière à protéger les artistes, puisque tel est l’objectif. Il n’y aura aucun retard à l’allumage ; je suis cela de très près.
Dernièrement, André Gauron nous a remis, à Élisabeth Borne et à moi-même, le rapport que nous lui avions conjointement commandé sur les suites de l’année blanche en faveur des intermittents du spectacle et de l’audiovisuel – le statut de l’intermittence relève du ministère du travail en tant que mode de protection de l’emploi. (Mme la ministre est essoufflée.) Pardonnez ces petits problèmes respiratoires, dont mon amie la covid est la cause…
Ce travail d’évaluation montre clairement que, dès avant la reprise du 19 mai, quelque 75 % des intermittents – 100 000 sur 120 000 – avaient recouvré leurs droits. Au fil des semaines, et à mesure que les activités reprendront, ce chiffre ira croissant et les choses s’amélioreront.
Pour ceux qui pourraient ne pas avoir travaillé suffisamment d’heures pour bénéficier de ces droits, nous avons déployé des dispositifs qui permettront de les recouvrer : je pense en particulier à la clause de rattrapage, qui s’appliquait jusqu’à présent à la condition de disposer de cinq années complètes de couverture à l’intermittence, condition que nous avons supprimée.
Nous avons ainsi permis à des jeunes qui n’avaient pas la possibilité de disposer de ces 338 heures nécessaires d’émarger néanmoins à ces six mois supplémentaires de protection, et même à une seconde période de six mois. Ce sont donc bien douze mois de couverture qui sont assurés.
Véritablement, nous avons veillé à ce que tous les intermittents puissent être protégés tout au long de l’année 2022.
Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione, pour la réplique.
M. Lucien Stanzione. Madame la ministre, vous ne m’avez pas tout à fait répondu s’agissant de ceux qui ne relèvent pas du statut de l’intermittence.
Or c’est un problème important. En effet, de nombreux artistes ou créateurs – je les ai cités tout à l’heure – relèvent non pas de ce statut, mais de celui de l’autoentrepreneuriat. Négociant directement avec les collectivités locales pour produire leurs spectacles, ils ne bénéficient pas des dispositifs que vous avez évoqués. J’espère donc que vous trouverez une solution pour leur venir en aide.
Mme le président. Madame la ministre, souhaitez-vous que nous marquions une pause de quelques minutes ?
Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures quarante.)
M. Max Brisson. Avec le confinement, la fermeture des salles a profondément affaibli le cinéma français : chute de 70 % du nombre d’entrées, chute d’autant des recettes, baisse de 30 % des investissements dans la production cinématographique.
Si le Centre national du cinéma estime avoir évité une hécatombe, notamment grâce au soutien de plus de 400 millions d’euros déployé par l’État, les plaies demeurent vives pour le secteur.
Elles demeurent vives, car les relations entre les différents médias et le cinéma français ont également été bousculées.
Depuis 1946, le financement du cinéma français repose sur le principe de solidarité entre les supports de diffusion, qui n’ont cessé de se diversifier, et la protection de fenêtres d’exploitation en salle pour la projection première de la production cinématographique.
Néanmoins, au moment de la réouverture des salles, un défi majeur resurgit : celui de la chronologie des médias.
Les pressions se font en effet de plus en plus vives pour réduire les fenêtres d’exploitation en salle et accélérer la diffusion des films sur les médias à la demande. Ainsi, la fenêtre de ces derniers pourrait passer d’un délai de trente-six à douze mois, voire, pour certaines chaînes, de huit à six ou cinq mois.
Alors que les Français retrouvent avec plaisir et attachement leurs salles de cinéma, cette réduction des fenêtres d’exploitation de ces dernières constitue un péril nouveau pour un secteur en grande difficulté. Elle pourrait remettre en cause la découverte première de films en salle, qui, pourtant, participe de notre mode de vie et constitue tout autant un fait social qu’un mode d’accès à la production cinématographique.
Madame la ministre, dans un contexte où le cinéma est affaibli, l’État doit réaffirmer haut et fort sa détermination à le soutenir.
Quelle est donc votre position face aux pressions qui s’exercent sur la profession pour réduire les fenêtres d’exploitation en salle ? Êtes-vous prête à sanctuariser la fenêtre d’exploitation des films en salle, qui en ont plus que besoin ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Vous avez raison, monsieur le sénateur Max Brisson, de dire que le cinéma français est une exception en Europe : notre industrie cinématographique se situe à la troisième place dans le monde, et elle est la seule en Europe. Si nous avons pu ainsi la conserver, c’est grâce à l’aide constante de l’État, qui a survécu à tous les aléas liés aux changements des majorités politiques.
Nous disposons également d’un réseau sans égal en Europe : 2 000 salles et 6 000 écrans. Je signale d’ailleurs que la crise a laminé nombre de réseaux de cinémas dans d’autres pays, cependant que nous avons su conserver le nôtre.
Ce ne sont pas 400 millions d’euros qui ont été mobilisés : en effet, à ces 400 millions d’euros d’aides spécifiques, il faut ajouter les aides transversales de près de 1 milliard d’euros, dont le cinéma a largement profité.
Pour accompagner la reprise de l’industrie cinématographique et la réouverture des salles de cinéma, j’ai proposé une enveloppe de 80 millions d’euros, dont 60 millions seront consacrés justement à la perte de recettes du fait de la limitation des jauges : 60 millions d’euros pour les exploitants de salles, 10 millions d’euros pour les distributeurs et 10 millions d’euros pour les producteurs. Nous sommes donc encore à la manœuvre pour aider le cinéma.
Dès le mois de décembre dernier, les professionnels ont été invités par le Centre national du cinéma, afin d’entamer une négociation en vue d’aboutir à un nouvel accord professionnel.
Ces discussions sont encadrées dans le temps par une disposition de l’ordonnance transposant la directive européenne relative à la fourniture de services de médias audiovisuels, disposition autorisant le Gouvernement, en cas d’échec, à adopter provisoirement une nouvelle chronologie. Certains représentants des producteurs et ayants droit se sont rapidement accordés sur une proposition de nouvelle chronologie, autour de laquelle se sont cristallisées les réactions des différents diffuseurs.
C’est à partir de ces échanges que le CNC proposera prochainement un projet d’accord, qui servira de base à la seconde phase de la concertation, avec pour objectif d’aboutir d’ici au 1er juillet prochain.
Je puis vous dire que, s’agissant de la protection de la distribution du cinéma et de la fenêtre de quatre mois pour la diffusion en salle, je serai intraitable.
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Madame la ministre, vos propos sont forts, et je vous en remercie. Il s’agit bel et bien d’une exception française, reposant notamment sur le maillage territorial des cinémas. On trouve ainsi des salles dans les bourgs centres, les petites villes et les villes moyennes : c’est véritablement exceptionnel.
C’est la chronologie des médias qui a construit l’exception du cinéma français et qui doit permettre de la préserver : nous comptons sur vous pour la protéger. Sachez que le Sénat vous soutiendra dans cet effort !
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la ministre, je m’exprime au nom de David Assouline, que je vous prie d’excuser.
Après des mois d’attente, la culture se déconfine enfin, progressivement, pour le plus grand bonheur des Françaises et des Français.
On ne peut pas nier l’ampleur du travail accompli par le ministère pour soutenir la culture. Néanmoins, nous pouvons déplorer plusieurs trous dans la raquette.
Tout d’abord, je pense aux intermittents. Si l’année blanche a été bénéfique pour beaucoup, un très grand nombre de jeunes diplômés du milieu artistique ont été coupés dans leur élan par la fermeture des lieux culturels. Ils se retrouvent sans ressources et ne reçoivent que peu d’aides de l’État.
De surcroît, tous ces diplômés formés vont subir une double peine : non seulement ils auront davantage de difficultés à être engagés, mais la saison 2021-2022 sera une année blanche de création à cause d’un trop-plein de spectacles.
Trop d’interprètes, trop de créations, pas assez de diffusion : ce triangle infernal risque d’aggraver la précarité de ces jeunes artistes qui, s’ils ne sont plus étudiants, ne sont pas encore intermittents. En parallèle, il serait bon qu’une clause de rendez-vous soit discutée à la fin de l’année pour toutes les aides des intermittents.
Ensuite, le ministère a concentré ses plans de relance sur des structures et des compagnies traditionnellement subventionnées par l’État. Cet effort budgétaire est louable, mais incomplet, puisqu’il ne bénéficie pas aux établissements subventionnés par les communes, des musées aux théâtres en en passant par les salles de spectacles ou encore les établissements publics de coopération culturelle, les EPCC.
Les répercussions financières de cette crise sont très lourdes. Faute d’un meilleur accompagnement de l’État, il revient aux territoires de supporter l’intégralité du soutien de ces établissements, alors même que leurs finances sont dans le rouge.
La ville de Paris n’est pas plus épargnée que les autres collectivités : à ce jour, aucun mécanisme de soutien budgétaire direct et de compensation des pertes de recettes n’a été prévu pour la capitale. Ainsi, la réaction de l’État n’est toujours pas à la hauteur des enjeux soulevés par cette crise inédite.
Madame la ministre, les prochains plans de relance de l’État cibleront-ils bien tous les établissements culturels, sur l’ensemble du territoire national ? Que comptez-vous faire aider les jeunes artistes ? Il faut rectifier le tir et combler les trous dans la raquette.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je l’ai dit : nous sommes maintenant dans un État décentralisé. Les crédits mobilisés en masse par les collectivités territoriales et leurs groupements – communes et intercommunalités, départements, régions, structures informelles au sein desquelles elles sont rassemblées – sont maintenant plus importants que les crédits de l’État.
Dès lors, chacun doit se recentrer sur ses responsabilités. Vous parlez des difficultés financières des collectivités territoriales : que dire de celles de l’État ? Ce dernier a consenti un effort budgétaire massif, et même sans précédent.
Dans le cadre d’une politique culturelle territorialisée, on ne saurait partir du principe que l’État va aider toutes les structures existantes. Certaines d’entre elles ont été créées par des acteurs locaux, en particulier par des collectivités territoriales, qui se sont engagées à les soutenir et à les financer : face aux difficultés de l’heure, ils ne peuvent pas tendre la sébile vers l’État. Chacun doit trouver les ressources en soi.
Le rôle de l’État sera de piloter des têtes de réseau ; de faire en sorte que les têtes de réseau déjà financées acceptent des diffusions et des partenariats et agissent avec davantage de responsabilité dans les territoires. Je pense en particulier aux grands vaisseaux amiraux qui assurent la structuration culturelle du pays.
Si, demain, les dizaines de milliers de structures culturelles que la France dénombre étaient aidées par l’État, nous en serions réduits à une politique de Gribouille. Véritablement, nous devons réfléchir ensemble à ce qu’est une politique territorialisée, impliquant les responsabilités des collectivités territoriales et le rôle éminent de l’État !
Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. La reprise des activités culturelles accompagne celle de la vie tout court, car la culture, c’est la vie : tout ce qui affecte l’une rejaillit sur l’autre.
Toutefois, à ce jour, malgré les éclaircies, il y a encore trop de brouillard, comme on le voit dans plusieurs secteurs sérieusement affectés.
Le spectacle vivant rassemble de nombreux acteurs. Il est indispensable à la vitalité de nos territoires. Il est pourtant à l’arrêt depuis un an, et la reprise engagée depuis deux semaines se fait à un rythme modéré.
Le secteur du spectacle musical et de variétés joue un rôle essentiel : son chiffre d’affaires et le nombre d’emplois qu’il regroupe en témoignent. Sa fragilité peut entraîner un effet domino sur d’autres activités. Il faut donc de la prévisibilité quant aux règles et aux protocoles applicables.
Comment appliquer la jauge de quatre mètres carrés par personne ? Quel sera le protocole pour les festivals de rue, où les gestes barrières ne sauraient faire oublier qu’il n’existe justement pas de barrière ? Les critères retenus ne sauraient être trop éloignés de leur identité, de leur public ou de leur modèle économique. Comment aider un festival pour lequel les buvettes et la restauration constituent un appui indispensable ?
Madame la ministre, vous avez annoncé la création d’un fonds de 30 millions d’euros pour accompagner les festivals qui s’adaptent, afin de compenser les pertes d’exploitation. C’est à la fois beaucoup et trop peu.
Les ressources des entreprises privées du spectacle vivant dépendent uniquement de la billetterie. Or, pour certains organisateurs, 2021 sera la seconde année consécutive sans festival. Les collectivités territoriales vont être sollicitées, mais elles n’ont guère de moyens.
Comment sera organisé le fonds de compensation de billetterie que vous avez annoncé ? Comment le pass culture sera-t-il mis en œuvre et associé à la reprise culturelle ?
Comment s’orienter vers un nouveau modèle économique pour l’activité culturelle ? Peut-on envisager comme piste la bonification du crédit d’impôt pour le spectacle vivant musical, le CISV ? Essayons d’être encore plus ambitieux et audacieux !
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je n’aurai sans doute pas le temps de répondre à toutes vos questions en deux minutes ! Je ne pourrai en aborder que quelques-unes.
Vous avez raison de le souligner : les festivals de musique, en particulier de musique actuelle, sont un élément tout à fait majeur de structuration des territoires : toute mon action tend à les préserver, car je veux qu’ils puissent continuer.
Il suffit de regarder comment s’est déroulé le concert organisé à l’Accor Arena pour mesurer le défi sanitaire que nous devons relever : cette expérience a une véritable valeur pédagogique. En effet, les concerts de musique actuelle se caractérisent par une très grande proximité, des cris et beaucoup de transpiration : le public danse et se masse au pied de la scène.
Je tiens également à revenir sur la jauge des quatre mètres carrés, qui a provoqué un certain nombre d’interrogations. Certains semblent croire que chaque spectateur doit rester dans une sorte de petit espace de quatre mètres carrés où personne ne peut pénétrer. (Sourires.) Bien sûr, il ne s’agit pas de cela ! Il convient simplement de diviser par quatre la surface des salles, calculée en mètres carrés, pour obtenir la jauge en question.
Nous allons retravailler ce point, car il a fait l’objet d’un véritable problème de communication : je comprends qu’une telle interprétation ait pu prêter à confusion.
Quant aux festivals, ils constituent eux aussi une question majeure. J’ai lancé les premiers États généraux des festivals. Nous avons établi un diagnostic en octobre dernier à Avignon. Je serai également au printemps de Bourges, qui organise sa seconde édition depuis le début de la pandémie, et je vous invite à participer à la concertation qui se tiendra dans ce cadre à la fin du mois de juin : nous devons déterminer, ensemble, comment ces festivals doivent évoluer et quelles solutions nous pouvons trouver pour eux.
Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph, pour la réplique.
Mme Else Joseph. Madame la ministre, j’y insiste, la jauge des quatre mètres carrés est un réel problème pour les festivals de rue.
J’ajoute qu’il faut donner des signes aux organisateurs de festivals. Il est difficile de mettre sur pied de telles manifestations en quinze jours.
Mme le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.
Mme Anne Ventalon. Depuis le 19 mai dernier, les lieux culturels accueillent de nouveau le public, et chacun s’en réjouit. Les portes se sont rouvertes, mais les professionnels s’interrogent : est-ce pour de bon ou seulement pour la saison ?
Bien des établissements, à commencer par les lieux du spectacle vivant, ont repris les représentations. Malgré les jauges et le port du masque, la présence du public confirme une grande appétence pour la culture.
Les aides allouées ont permis aux structures concernées d’affronter cette longue traversée du désert culturel. Mais, avec l’augmentation progressive des jauges, elles sont appelées à se tarir.
Je rappelle que bien des établissements, notamment les théâtres de ville, dépendent directement des communes : ces dernières contribuent pour près de la moitié au financement du théâtre vivant.
Or elles ont bien du mal à dessiner la trajectoire que vont prendre leurs finances, d’autant que les mécanismes de compensation des surcoûts liés à la crise ne sont pas encore suffisamment documentés. De plus, elles ignorent si elles pourront bénéficier du plan de relance et, le cas échéant, sous quelles modalités.
Le spectacle vivant risque donc de subir le contrecoup de la détérioration des finances du bloc communal, qui, face à la crise sanitaire, a dépensé davantage et a vu ses recettes diminuer.
Madame la ministre, dans ces conditions, vous imaginez l’incertitude et l’anxiété qui gagnent les directions des théâtres. Elles ont besoin de faire des choix artistiques, budgétaires et humains. Bref, elles doivent se projeter dans les prochaines années, sans savoir précisément sur quelles ressources elles pourront compter.
J’en viens à ma question, madame la ministre. Si des théâtres de ville ou d’autres établissements du spectacle vivant constatent, l’année prochaine, une baisse significative de leurs dotations, seront-ils éligibles à l’aide de 148 millions d’euros que vous avez annoncée ? L’État viendra-t-il secourir les théâtres de ville en danger ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je commencerai par un point d’orthodoxie budgétaire : ces 148 millions d’euros sont des crédits d’urgence à dépenser pendant l’année 2021. Ils ne relèveront en aucun cas du projet de loi de finances pour 2022.
Votre intervention me permet également de rappeler que la question de la démocratisation culturelle est encore devant nous : au sujet de l’appétence des Français pour le spectacle vivant, sur laquelle vous insistez, je vous répondrai à la fois oui et non.
Qu’elles soient élaborées par le ministère ou par les organisations professionnelles, les statistiques relatives aux pratiques culturelles de nos concitoyens sont formelles : au total, quelque 55 % des Français n’ont jamais mis les pieds dans un lieu de spectacle vivant, qu’il s’agisse des musiques actuelles, des musiques classiques, de l’opéra, du théâtre, du cirque ou encore du cabaret.
De plus, sur les 45 % de Français restants, seuls 10 % sont des pratiquants habituels – figurent dans cette catégorie les personnes qui assistent à dix spectacles vivants au moins chaque année, ce qui n’est d’ailleurs pas si considérable.
Depuis soixante ans, notre politique d’offre culturelle est extrêmement forte. On a fait le pari de l’offre, en pensant que cette dernière allait ruisseler sur les pratiques culturelles des Français. À présent, il faut mener une politique de la demande, il faut aller vers les publics : c’est ce que nous faisons avec l’éducation artistique et culturelle ou encore avec le pass culture.
Nous ne devons pas nous aveugler : c’est tous ensemble que nous relèverons le défi de la démocratisation culturelle. Ce n’est pas parce que les salles de théâtre sont pleines que tout le monde va au théâtre. Ce débat m’offre l’occasion de le dire solennellement.
Enfin, nous sommes encore dans l’incertitude. Quelles seront les conséquences de la pandémie ? Quelles salles seront menacées ?
Pour moi, le plus urgent, c’est de garantir la sécurité sanitaire, car c’est une des conditions d’une reprise pérenne. Les structures du spectacle vivant font donc l’objet d’une très grande vigilance de ma part : nous devons les aider de la meilleure façon, car ce sont elles qui sont les plus menacées.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.
Mme Laurence Muller-Bronn. Depuis plus d’un an, les guides-conférenciers sont sans travail. Ils espéraient pouvoir reprendre leurs activités à partir du 19 mai 2021, mais compte tenu des conditions du déconfinement, des restrictions, de l’arrivée des variants, du pass sanitaire et des quarantaines appliquées lors du passage des frontières, nous pouvons déjà l’affirmer : les visiteurs, qu’ils soient Français ou étrangers, particulièrement les touristes américains et asiatiques, ne seront pas de retour avant bien longtemps.
La profession, qui s’exerce au contact des voyageurs et des groupes, est l’une des plus durement touchées du monde de la culture et du tourisme. Elle est pourtant restée dans l’ombre.
Les conséquences de la crise sanitaire ont frappé un métier qui souffrait déjà d’un statut saisonnier et précaire, tributaire des événements climatiques, géopolitiques et économiques.
Finalement, la pandémie nous ouvre les yeux sur la nécessité de protéger cette activité précieuse pour le rayonnement du patrimoine français.
Madame la ministre, ce sont environ 12 000 guides-conférenciers titulaires de la carte professionnelle qui travaillent en freelance, en tant qu’autoentrepreneurs ou avec des CDD de quelques mois, en jonglant avec plusieurs missions. Au total, 80 % des guides-conférenciers sont des femmes. À l’heure actuelle, ces professionnels sont toujours sans travail et beaucoup ne s’en remettront pas.
Diplômés, polyglottes, ils sont eux aussi essentiels à la vie culturelle de notre pays. Ils ont connu le même arrêt brutal que les intermittents du spectacle ; pourtant, ils n’ont pas eu droit à la même protection.
Les guides-conférenciers sont bien des intermittents de la culture, non des petites mains du patrimoine ou du tourisme. Il est urgent que le ministère de la culture, d’une part, devienne l’interlocuteur exclusif de la profession, et, d’autre part, envisage une reconnaissance légale protectrice de ce métier.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je tiens à vous rassurer : pour moi, pour mon cabinet ou pour les services de mon ministère, les guides-conférenciers n’ont jamais été dans l’ombre.
Vous l’avez rappelé : ils jouent un rôle de premier plan dans la valorisation touristique et culturelle de notre patrimoine et de nos territoires. L’effondrement de la fréquentation des lieux pour lesquels ils travaillent les place dans une situation très difficile.
Parmi ces professionnels, ceux qui exercent une activité internationale sont bien sûr particulièrement touchés. En outre – il faut bien le dire –, un certain nombre d’entre eux vivent en dehors des circuits classiques de rémunération : ils pratiquent des activités au pourboire, des activités grises qui ne leur permettent pas de cotiser et, partant, d’être protégés.
Le contexte est en train de changer : on peut espérer qu’un certain nombre de touristes étrangers seront remplacés par des touristes français – on l’observe d’ailleurs d’ores et déjà –, mais la situation reste très difficile.
Je rappelle que les guides-conférenciers sont éligibles aux dispositifs transversaux mis en place : leurs organisations professionnelles n’ont sans doute pas joué pleinement leur rôle d’information à cet égard.
En complément de ces soutiens financiers, nous pensons à la réorganisation de la profession, qui est absolument indispensable.
Un groupe de travail interministériel, qui réunit les quatre principaux syndicats et fédérations professionnels des guides-conférenciers, a été mis en place et se réunit. Nous avançons au sujet de la sécurisation des cartes professionnelles et pour la création d’un registre numérique permettant d’éviter les falsifications.
En effet, certains voyagistes facturent les visites de guides-conférenciers, puis, lorsque ces derniers montent à bord des cars, les touristes sont invités à donner un pourboire, ce qui est absolument anormal. Nous progressons également pour renforcer la reconnaissance de cette profession et évaluer ses besoins.
Depuis le 19 mai dernier, les visites guidées dans nos musées et monuments ont pu reprendre. Par dérogation aux règles liées aux rassemblements, les personnes titulaires d’une carte professionnelle peuvent guider une clientèle sans limitation du nombre de participants, ce qui est particulièrement important : leurs revendications ont été entendues.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Garnier.
Mme Laurence Garnier. Madame la ministre, depuis quinze jours la culture reprend ses droits, et tout le monde s’en réjouit. Pour autant, il reste une ombre au tableau : les activités culturelles n’ont pas encore repris partout du fait de l’occupation de certains lieux.
À Paris, le théâtre de l’Odéon n’est plus occupé depuis quelques jours. Mais, à Nantes, le théâtre Graslin est occupé depuis maintenant plus de trois mois, et de nombreuses autres villes françaises sont concernées.
Concrètement, les directeurs de ces établissements sont obligés de déprogrammer des spectacles qui pourraient avoir lieu : c’est un comble, alors que le pays a été privé d’activité culturelle pendant des mois !
Aujourd’hui, on ne peut plus accepter ces occupations de lieux culturels. J’ai envie – comme vous, j’en suis sûre – que les Français retrouvent leurs théâtres, et je pense notamment aux Nantais ; j’ai envie que les artistes retrouvent leur public.
Pour autant, il faut s’interroger : il faut comprendre ce que dit cette situation et mesurer la fracture qu’elle révèle. D’un côté, les grandes structures culturelles ont bénéficié d’un fort soutien, d’un grand accompagnement de la part de l’État comme des collectivités. De l’autre, de nombreux acteurs culturels – compagnies de danse et de théâtre, d’arts de la rue, artistes auteurs, etc. – ont été extrêmement fragilisés par cette crise et s’inquiètent légitimement pour leur avenir.
Aussi, ma question est double. Elle porte tout d’abord sur l’ordre public : comment et quand l’État compte-t-il redonner aux Français l’accès à ces lieux culturels ? Elle porte ensuite sur nos politiques culturelles : comment comptez-vous combler le fossé qui s’est creusé entre les grandes structures et cette myriade d’acteurs culturels qui sont essentiels à la dynamique de notre pays ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, au plus fort de la crise, une centaine de lieux culturels ont été occupés, par un ensemble d’environ 1 000 personnes : c’est beaucoup et c’est peu à la fois.
Cela étant, je n’ai jamais agi en comptable des mouvements sociaux. À mon sens, les personnes qui occupaient ces lieux de culture avaient des choses à nous dire : c’est la raison pour laquelle, dès le 7 mars dernier, je suis allée à la rencontre des intermittents de la CGT spectacle qui occupaient le théâtre de l’Odéon.
Je ne dis pas que je trouvais ces occupations normales. Elles étaient illégales, mais elles étaient légitimes, car, pour les intéressés il s’agissait de se faire entendre. C’est ainsi que je les ai vécues.
Nous avons multiplié les rencontres avec les organisations représentatives des intermittents, qui occupaient massivement ces lieux de spectacle.
Las – il faut bien le reconnaître –, il y a eu des dérives. Un certain nombre de maires et quatre directeurs d’établissement ont sollicité le recours à la force publique.
Je l’ai dit dès le départ : je ne serai pas la ministre de la culture qui demandera le recours à la force publique. J’ai fait confiance à l’esprit de responsabilité. Je savais que, dès la réouverture des lieux de culture, la plupart de ces mouvements cesseraient. D’ailleurs, le bilan est clair : hier, on ne comptait plus que vingt-huit lieux occupés – la décrue est donc des trois quarts – mobilisant 300 personnes, qui ne sont d’ailleurs pas toutes des intermittents.
Ce mouvement ne peut pas s’arrêter d’un coup d’un seul, et je le comprends. Certaines personnes ont pris l’habitude de vivre dans une certaine convivialité, en multipliant les assemblées générales et les colloques. Elles ont besoin de se retrouver ; d’autres ont émigré vers d’autres lieux.
En tout cas, maintenant, j’en appelle à la responsabilité de chacun. Les lieux de culture sont rouverts ; l’intermittence est garantie et, avec elle, la protection des intermittents. Il est temps de retrouver un fonctionnement normal des lieux de culture.
J’ai toujours respecté les intermittents : je continuerai à les respecter et à les écouter.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.
Mme Laurence Garnier. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions. Je vous rejoins largement, mais ce qui était entendable – même si c’était illégal, comme vous l’avez rappelé – avant la réouverture des lieux culturels l’est beaucoup moins aujourd’hui : il s’agit précisément de relancer les activités culturelles, y compris dans ces lieux, même s’ils sont beaucoup moins nombreux qu’il y a quinze jours.
Au-delà, de la scène nationale et de la grande structure conventionnée à la petite compagnie de danse ou d’arts de la rue, c’est la solidarité de toute la chaîne culturelle qu’il va falloir retravailler au cours des mois à venir.
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je serai brève, car il est déjà tard.
Les débats consacrés la culture sont essentiels et ils ne sont que trop rares ! Je tiens donc à remercier l’ensemble des orateurs. Madame la ministre, je vous remercie également de vous être prêtée au jeu des questions-réponses après votre propos liminaire.
Vous avez constaté combien mes collègues sont attachés à la culture. La diversité de leurs questions témoigne de l’intérêt qu’ils portent à ce secteur et leur précision est le reflet de leur expertise. En faveur du secteur culturel, notre mobilisation collective est réelle et notre vigilance va continuer, sachez-le.
Tout d’abord, nous serons très attentifs à la mise en œuvre du plan de relance dans nos différents territoires : nous le savons d’ores et déjà, nous devrons assumer une importante mission de contrôle à cet égard.
Ensuite, à la rentrée prochaine, nous nous pencherons sur la situation de l’ensemble des acteurs. Vous l’avez dit fort justement : un certain nombre de dispositions doivent faire l’objet de clauses de rendez-vous. Nous y serons également attentifs.
Enfin, nous veillerons à la poursuite de l’accompagnement financier. Dès le début du mois prochain, un projet de loi de finances rectificative sera soumis à notre examen. Les aides transversales doivent être poursuivies : la culture en bénéficiera, mais nous devons voir précisément comment ces aides seront modulées. Il s’agit de garantir la poursuite des activités culturelles.
Bien sûr, le projet de loi de finances sera une étape importante. Nous avons évoqué le crédit d’impôt en faveur du spectacle vivant : nous prolongerons ces débats en traitant de la protection sociale et des différents budgets concernés. Vous le savez, sur ces questions, nous serons pleinement mobilisés.
Mes chers collègues, on sait combien l’écosystème culturel est fragile : la crise actuelle l’a particulièrement montré. Il exigera des mesures de soutien et d’anticipation. En parallèle, l’évolution de la situation appellera de nombreuses clarifications.
Cette crise sera peut-être aussi l’occasion de modifier certaines pratiques. Peut-être tendrons-nous désormais vers plus de solidarité entre les lieux et les artistes, vers plus de bienveillance et d’attention. Peut-être cette crise nous permettra-t-elle de repenser notre modèle.
J’insiste toujours sur le caractère exceptionnel du modèle culturel français. Ses fragilités ont été mises au jour, mais cette crise nous permettra peut-être d’aller vers des pratiques plus vertueuses. C’est notre rôle que de les accompagner.
L’enjeu, en définitive, c’est la démocratie culturelle. Il s’agit d’une véritable nécessité : c’est pourquoi l’accès du plus grand nombre de nos concitoyens à l’art et à la culture doit être, véritablement, un objectif collectif et concerté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la reprise et la relance des activités culturelles.
8
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 3 juin 2021 :
À neuf heures trente :
Trente-cinq questions orales.
À quatorze heures trente :
Explications de vote puis vote sur la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, présentée par M. Vincent Delahaye, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 627, 2020-2021) ;
Débat sur la régulation des Gafam ;
Débat sur le thème « Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures dix.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER