Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Sollogoub, à l’issue de la campagne Parcoursup 2020, un nombre important de candidatures pour les formations nouvellement intégrées aux diplômes d’orthophoniste, d’orthoptiste et d’audioprothésiste a été constaté. C’est la raison pour laquelle mon ministère a souhaité élargir le vivier d’étudiants dans ces trois formations.
Dans le cadre du plan de relance, le financement de capacités d’accueil supplémentaires à la rentrée 2020 a ainsi été acté. Les places supplémentaires ont été intégrées à Parcoursup, et l’arrêté fixant le nombre d’étudiants à admettre en première année de ces formations a été modifié en conséquence. De plus, les financements prévus portent sur la durée globale de formation de chaque place nouvellement créée. Nous avons ainsi augmenté de 5 % le nombre de places en orthophonie, de 6 % en orthoptie de 3,5 % en audioprothèse. Le financement afférent alloué s’élève à 6 000 euros par étudiant, soit un montant total de 522 000 euros.
Je vous confirme que l’université de Paris bénéficiera en 2021 d’une subvention supplémentaire de 96 000 euros pour la création de ces places en orthoptie. Je souhaite d’ailleurs remercier l’université de Paris d’avoir pensé ces parcours de façon délocalisée. Comme vous l’avez indiqué, cela démontre que l’on est parfaitement capable de dispenser des formations en santé partout sur notre territoire, et dans des conditions d’encadrement parfois meilleures que dans les métropoles.
Cet engagement a été confirmé au mois d’avril à l’université de Paris. Les crédits versés au titre du plan de relance sont en cours de notification et seront reçus prochainement par l’université. Comme vous, j’estime qu’il est très important que l’État tienne ses engagements et, une fois de plus, il les tiendra.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Je vous remercie, madame la ministre, de cette réponse dont vous vous doutez qu’elle me réjouit. Vous avez évoqué l’année 2021, mais il s’agit bien de formations qui ont commencé en septembre 2020. En sommes-nous d’accord ? (Mme la ministre acquiesce.)
J’espère que nous aurons le plaisir de vous recevoir à Nevers pour vous présenter cette formation et vous montrer qu’il s’agit réellement d’un modèle « gagnant-gagnant », qui nous permet de proposer aux étudiants des terrains de stage d’excellence dans des territoires sous-dotés.
Je me permets d’ailleurs de vous suggérer de généraliser ce système à d’autres formations et, surtout, de le pérenniser à Nevers. Je vous demande donc de nouveau des fonds, cette fois pour demain et après-demain, car il serait vraiment dommage que cette expérience s’arrête en cours de route.
contrôles des exploitations agricoles dans le cadre de la politique agricole commune
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la question n° 1563, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, ma question porte sur les contrôles effectués pour le versement des primes de la politique agricole commune (PAC) liées aux surfaces.
Un acompte de 70 % de la prime PAC des agriculteurs est versé au mois d’octobre. Dans certains territoires, des contrôles sont réalisés chaque année, et cela est bien normal. Toutefois, ces contrôles sont effectués au prisme de la présomption de culpabilité. Ainsi, dès lors qu’une ferme est contrôlée, le versement de l’acompte à hauteur de 70 % de la prime est gelé jusqu’à la fin du contrôle.
Un premier contrôle aérien est effectué autour du mois d’octobre. Si tout va bien, les agriculteurs contrôlés percevront l’acompte en fin d’année. En revanche, si le moindre problème est relevé, tout est bloqué : un contrôle physique est alors effectué, et l’agriculteur ne percevra ses primes PAC qu’à l’issue de l’instruction qui peut durer des mois, voire davantage.
Je souhaite que nous sortions de ce régime de présomption de culpabilité, et que le gel d’une partie des primes PAC soit uniquement lié aux lieux qui sont identifiés comme posant certaines difficultés. En effet, de nombreux agriculteurs doivent acquitter des annuités de remboursement, payer des salaires et des charges et s’approvisionner, notamment en matières premières. Beaucoup se retrouvent ainsi dans des situations très compliquées. Pourrait-on entamer des discussions avec les instances européennes afin de changer ce système ?
Par ailleurs, des améliorations pourraient être apportées quant à l’organisation des contrôles physiques effectués dans un second temps, qu’il s’agisse des délais ou de la méthode employée. Plutôt qu’une administration de la méfiance, offrons du conseil et de la bienveillance à nos agriculteurs !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur, vous interrogez le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Julien Denormandie, qui vous prie d’excuser son absence, sur la possibilité de payer un dossier d’aide PAC avant la finalisation des contrôles qui sont requis.
Le ministre de l’agriculture souhaiterait pouvoir vous donner satisfaction, mais il rappelle que c’est, hélas ! strictement interdit par la réglementation, qui impose la finalisation des contrôles avant le paiement de l’aide. Cette disposition permet d’assurer la bonne gestion des aides de la PAC, et donc, in fine, des impôts de l’ensemble de nos concitoyens ; il s’agit d’un gage de légitimité de la PAC vis-à-vis du citoyen, et donc, finalement, d’une disposition qui protège la PAC.
Pour autant, les services instructeurs français, les directions départementales des territoires (DDT), l’Agence de services et de paiement et les services centraux du ministère de l’agriculture sont pleinement mobilisés chaque année pour payer le plus rapidement possible le maximum d’agriculteurs. Ce fut d’ailleurs le cas également en 2020, malgré la crise du covid-19 : nous pouvons tous les remercier de cette implication.
Dès les premiers jours de décembre 2020, soit dès la date de paiement permise par la réglementation européenne, 99 % des agriculteurs ont reçu les principaux paiements découplés – le paiement de base, le paiement redistributif – et plus de 97,5 % avaient également reçu leur « paiement vert », sans compter l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) qu’une même proportion éligible avait également perçue.
Toutes les marges de manœuvre de la réglementation sont mobilisées au bénéfice des agriculteurs pour hâter les paiements. La France est ainsi l’un des États membres qui paie le plus rapidement les aides de la PAC aux agriculteurs.
Le ministre de l’agriculture militera dans la prochaine PAC pour la reconnaissance du droit à l’erreur et, plus généralement, pour la simplification de la PAC, parce qu’une PAC plus simple et plus juste permettra de faire mieux encore pour les agriculteurs qu’à l’heure actuelle.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour la réplique.
M. Pierre-Jean Verzelen. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Il est tout à fait logique que le versement des aides de la PAC soit contrôlé, puisque ces aides sont de l’argent public. En revanche, il ne paraît pas opportun de bloquer tout paiement pendant plusieurs mois pour un unique problème. Vous m’avez indiqué que nous étions tenus par la réglementation. Je l’entends, mais j’estime que le bon sens – qui serait par ailleurs susceptible de rapprocher les citoyens de l’Europe – voudrait que l’on fasse évoluer cette réglementation.
épandage des boues d’épuration
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne, auteur de la question n° 1597, transmise à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Chantal Deseyne. Madame la ministre, les articles 125 et 86 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ont invité le Gouvernement à agir par voie réglementaire afin d’arrêter les nouveaux référentiels applicables aux boues d’épuration en vue de leur usage au sol, d’une part, et, d’autre part, les conditions dans lesquelles les boues pourront être compostées par ajout d’un coproduit structurant, notamment de type « déchets verts ».
Les options de traitement de la boue d’épuration en vue de son hygiénisation dépendent pour les territoires de considérations géographiques, techniques, historiques et financières diverses qu’une modification brutale et uniforme pourrait gravement fragiliser.
Les inquiétudes relatives à cette nouvelle réglementation sont très diverses. Il ressort notamment que les exigences de siccité sont susceptibles de rendre les boues impropres à l’usage agricole en deçà d’un certain seuil, qu’il sera nécessaire d’adapter la capacité de traitement des stations d’épuration ou encore que les exigences liées au seuil de structurants – les déchets verts – dans le cadre des procédés de compostage seront relevées.
Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il faire face aux difficultés concrètes qui ne manqueront pas de résulter de la mise en œuvre de cette nouvelle réglementation et qui, à juste titre, préoccupent de nombreux élus locaux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice, l’article 125 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, a habilité le Gouvernement à transposer par ordonnance des directives européennes relatives aux déchets.
Ainsi, l’article 14 de l’ordonnance du 29 juillet 2020 relative à la prévention et à la gestion des déchets a complété le code rural et de la pêche maritime d’un article qui précise : « Un décret pris après consultation de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, fixe les critères de qualité agronomique et d’innocuité selon les conditions d’usage pour les matières fertilisantes et les supports de culture, afin de s’assurer que leur mise sur le marché et leur utilisation ne porte pas atteinte à la santé publique, à la santé animale et à l’environnement. » Ce décret dit « socle commun des matières fertilisantes et supports de culture » prendra en compte toutes les matières fertilisantes mises sur le marché ou utilisées en France, dont les boues d’épuration.
L’article 86 de la loi AGEC précise que les référentiels réglementaires sur l’innocuité environnementale et sanitaire applicables aux boues d’épuration en vue de leur retour au sol doivent être révisés au plus tard le 1er juillet 2021. À compter de cette date, l’usage au sol de ces boues, seules ou en mélange, brutes ou transformées, est interdit dès lors qu’elles ne respectent pas les normes ainsi définies.
Une période de transition est prévue entre le 1er juillet 2021 et l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. Durant cette période, les dispositions des arrêtés du 8 janvier 1998 et du 2 février 1998 resteront applicables aux boues.
Les mesures exceptionnelles concernant les boues d’épuration adoptées dans le contexte de l’épidémie de covid-19 ne sont pas liées à la future réglementation mentionnée ci-dessus. Il n’est en effet pas prévu que celle-ci rende obligatoire l’hygiénisation des boues d’épuration avant leur épandage.
Le décret « socle commun des matières fertilisantes et supports de culture » devra répondre au double objectif de protéger les terres agricoles et de faire progresser l’économie circulaire. Les nouvelles dispositions relatives à l’innocuité comme à l’efficacité des matières fertilisantes seront mises en place progressivement, en fonction notamment des données scientifiques disponibles, de la nature de ces matières fertilisantes, des risques qu’elles peuvent présenter, des moyens existants pour les maîtriser et des délais d’adaptation pour les acteurs.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour la réplique.
Mme Chantal Deseyne. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. J’ai bien compris que nous étions contraints de transposer une norme européenne. Pour autant, ces nouvelles mises aux normes qui s’imposeront très vite, dès 2021, seront à l’origine, pour les collectivités en charge des stations d’épuration, de coûts élevés qui seront reportés sur les usagers. Si la qualité des boues d’épuration n’est pas satisfaisante, celles-ci finiront dans des centres d’incinération, ce qui n’est ni économique ni écologique.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
3
Contrôle, régulation et évolution des concessions autoroutières
Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières, sur les conclusions de son rapport d’information.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes
Dans le débat, la parole est tout d’abord à M. Éric Jeansannetas, président de la commission d’enquête qui a demandé ce débat.
M. Éric Jeansannetas, président de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec une grande satisfaction que j’engage ce débat sur un sujet qui préoccupe nombre de nos concitoyens : les concessions autoroutières.
Depuis leur privatisation en 2006, les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) sont l’objet de controverses, parfois légitimes, qui débouchent aussi sur des débats stériles, voire caricaturaux.
Dans quelles conditions la privatisation a-t-elle été réalisée ? Comment les tarifs sont-ils fixés ? Comment les nombreux avenants ont-ils été négociés ? Doit-on, en somme, mettre fin aux concessions ?
C’est pour apporter un éclairage documenté et objectif sur ces questions récurrentes dans le débat public que la commission d’enquête que j’ai eu l’honneur de présider a été créée sur l’initiative du groupe Union Centriste.
Il s’agissait, d’une part, de faire la lumière sur l’idée selon laquelle l’État serait, en quelque sorte, floué par les concessions en cours au profit des groupes concessionnaires et, d’autre part, d’anticiper la fin des concessions, qui interviendra dans dix ans pour les premières, ainsi que de formuler des propositions cohérentes et équilibrées pour que la répartition des profits futurs soit juste pour l’État, les usagers et les exploitants.
Tout au long de nos travaux, nous nous sommes donc attachés à analyser les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, et à retracer l’historique de la mise en place du réseau autoroutier.
Nous avons, par ailleurs, cherché à évaluer de manière rigoureuse le niveau réel de rentabilité de l’exploitation des autoroutes.
Enfin, nous nous sommes penchés sur l’effectivité des contrôles de l’État quant au respect des contrats en cours avec les concessionnaires.
Les autoroutes sont un bien commun. Elles constituent des infrastructures de grande ampleur et un outil d’aménagement du territoire. Pour réaliser de longs trajets en voiture, nos concitoyens sont quasiment obligés de les parcourir. On peut donc considérer qu’il s’agit à la fois d’un service public et d’un monopole économique. Était-il dès lors souhaitable de la part de l’État de les privatiser ?
Lorsque le Premier ministre Dominique de Villepin a décidé, en 2006, de privatiser les autoroutes, des ouvertures partielles du capital avaient déjà été réalisées depuis 2002. La situation budgétaire des SCA ne nécessitait pas d’intervenir en urgence et la majorité était d’ailleurs divisée sur le sujet – les auditions que nous avons menées nous l’ont confirmé.
Le choix qui a été fait à l’époque a été de récupérer en une fois un montant élevé – 14,8 milliards d’euros – pour réduire la dette de l’État et financer de nouvelles infrastructures. Il s’agissait alors d’une décision politique. L’autre option était de continuer à percevoir, année après année, la rente que constitue l’exploitation des autoroutes, en assumant les aléas économiques : niveau du trafic, coût des travaux d’entretien…
Il n’est pas question ici de refaire l’histoire, mais d’envisager l’avenir. Notre commission d’enquête a estimé que les concessions en cours étaient trop longues d’environ dix ans : au-delà de 2022, les dividendes versés devraient atteindre 40 milliards d’euros, à comparer avec les coûts d’acquisition des sociétés.
Il apparaît donc impensable de prolonger les concessions en cours et si le choix est fait de les renouveler, lorsqu’elles arriveront à échéance, il faudra a minima en réduire la durée.
Je n’entrerai pas dans le détail de nos conclusions, car je vais laisser mon collègue rapporteur Vincent Delahaye s’en charger. Je souhaite simplement dire que le but du débat que nous avons aujourd’hui est de faire vivre le travail que nous avons mené. Nous ne voulons pas que notre rapport termine, comme bien d’autres avant lui, au fond d’un tiroir.
Dès maintenant, nous devons préparer la fin des concessions et faire valoir notre rôle de parlementaires, qui consiste à peser dans la décision publique sur un sujet d’intérêt général.
Mme le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d’enquête.
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le président Jeansannetas et tous les membres de la commission d’enquête sur les concessions autoroutières.
Je suis très heureux de ce débat, d’abord parce qu’il peut contribuer à faire en sorte que notre rapport ne finisse pas au fond d’un tiroir, comme c’est malheureusement trop souvent le cas en matière de rapports, ensuite parce qu’il nous donne l’occasion de vous accueillir, monsieur le ministre, et de débattre avec vous d’un sujet d’intérêt général, qui préoccupe nombre de nos compatriotes.
Notre but a toujours été d’aider le Gouvernement à mieux négocier avec les sociétés concessionnaires historiques pour favoriser l’intérêt général, celui de la collectivité et celui des usagers.
Dans cette affaire, le péché originel a consisté à ne pas modifier les contrats de concession des sociétés historiques d’autoroutes, conclus finalement entre l’État et lui-même. Ces contrats étaient assez mal ficelés et peu adaptés à une délégation de service public confiée au secteur privé. Ces contrats ont été modifiés, notamment en 2015, mais ces rectifications sont insuffisantes.
Nous aboutissons ainsi à une espèce de blocage juridique, que certains, il est vrai, contestent, notamment dans notre assemblée. Des juristes le contestent également. Néanmoins, le débat est légitime et il doit avoir lieu.
En tout état de cause, nous avons choisi d’adopter une autre stratégie, qui repose sur trois piliers.
Le premier pilier est la fin de la logique infernale consistant à compenser les travaux par un allongement de la durée des contrats. Les contrats, je viens de le souligner, sont mal ficelés et ne sont pas adaptés à des délégations de service public. Cessons donc de les proroger : tel est notre premier objectif. Nous avons pu constater lors de nos travaux que la rentabilité attendue par les groupes Vinci et Eiffage lors de la privatisation – et qui était d’un niveau considérable – était atteinte dix ans avant la fin des contrats. Cela signifie qu’il y a matière à négocier l’utilisation de ces surplus pour la réalisation de travaux complémentaires sans contrepartie, mais aussi pour des modulations tarifaires en fonction des usages – véhicules propres, covoiturage, etc.
Le deuxième pilier de notre stratégie est le sommet des autoroutes. Nous pensons qu’il faut inviter tous les protagonistes à s’asseoir autour de la table pour définir enfin l’équilibre économique et financier des contrats. C’est la pierre angulaire de toute discussion, c’est toujours sur ce sujet que l’on achoppe, il faut donc discuter.
Le troisième pilier, ce sont les pénalités. Le protocole de 2015 prévoyait en effet des pénalités pour le cas où le planning des travaux ne serait pas respecté, car des concessions ont été allongées à cet effet. Or le planning n’a pas été respecté pour les travaux prévus en 2015. Je précise par ailleurs que nous n’avons pas réussi à obtenir tous les détails que nous aurions voulu connaître sur ce point et que nous aimerions bien qu’ils nous soient communiqués. Les pénalités seront-elles appliquées ?
À mon sens, il ne faut pas oublier de préparer la fin des contrats et d’accélérer l’inventaire des biens de retour. Il importe également de s’assurer du maintien des investissements, notamment en matière d’entretien et de maintenance. Il convient aussi de réfléchir à des clauses visant à un meilleur équilibre des contrats de concession – revoyure et partage des gains – et impliquer les usagers, à travers leurs associations, sans oublier le Parlement.
Les parlementaires ne sont pas des empêcheurs de tourner en rond, mais peuvent être des aidants et des soutiens. C’est comme cela, monsieur le ministre, que nous serons ensemble plus utiles et plus efficaces !
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les autoroutes font partie de la vie des Français.
Beaucoup, les empruntent chaque jour pour aller au travail ou pour faire leurs courses. D’autres, les empruntent seulement quelques fois dans l’année, pour partir en vacances. Mais tous les Français ont une expérience de l’autoroute. C’est parce qu’elles sont si ancrées dans leur vie, si indispensables à leurs déplacements, si structurantes pour nos territoires, qu’elles méritent toute notre attention. Elles méritent plus que des raccourcis et des débats simplistes.
Il faut d’abord le rappeler, nos autoroutes sont un modèle de modernité, de confort et de sécurité. Oui, la France peut se targuer d’avoir l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur réseau autoroutier du monde.
Nous pouvons être fiers de ce modèle façonné il y a près de soixante-dix ans. La loi de 1955 portant statut des autoroutes, conçue en plein « boom automobile » de l’après-guerre, répondait alors au besoin d’équiper rapidement le territoire. Mais, depuis, le monde a changé et nos besoins aussi. Le paysage des acteurs autoroutiers, leur relation avec l’État et les contrats de concession sont bien différents de ceux qui prévalaient alors.
Les contrats actuels, justement, doivent prendre fin de 2031 à 2036. C’est l’occasion de faire un bilan critique de notre modèle de financement et de gestion des infrastructures, sans complaisance ni démagogie. C’est l’occasion de le changer en mieux, de se demander quel est le modèle que nous voulons.
Le Sénat s’est de nouveau saisi de cette question l’an passé en lançant une commission d’enquête sur les concessions autoroutières, dont M. Jeansannetas était président et M. Delahaye rapporteur. Je tiens à souligner la qualité de ses travaux et la pertinence d’une grande partie des analyses de son rapport.
Celui-ci fournit des éléments d’éclairage précieux, tant sur les modalités d’amélioration des clauses contractuelles que sur les perspectives d’évolution du pilotage des contrats pour les années à venir. Nous avons examiné ses propositions avec attention et nous partageons un grand nombre de ses trente-huit recommandations.
Pour preuve, près de 60 % d’entre elles sont déjà appliquées ou en cours de mise en œuvre. Mais – car il y a un « mais » – nous avons un point de divergence, voire de désaccord, qui concerne vos estimations de rentabilité des concessions.
Nous avons d’abord relevé des biais méthodologiques, puisque l’analyse s’écarte de la doctrine retenue par le régulateur, dont les équipes d’experts travaillent depuis six ans sur la question.
Il y a aussi des écarts dans les projections. Certes, le sujet est complexe en cette période d’incertitudes liées à la crise sanitaire, mais entre la réalité des comptes des sociétés et les chiffres proposés par votre analyste, on passe du simple au double, voire du simple au triple !
Les résultats sont, là aussi, très éloignés de ceux du rapport quinquennal de l’Autorité de régulation des transports.
Enfin, je regrette que le rapport installe une fausse polémique sur la question du plan de relance autoroutier entériné par le protocole de 2015, dont l’équilibre économique a pourtant été expressément validé en 2014 par la Commission européenne, laquelle n’est pas spécialement laxiste sur ces sujets !
En d’autres termes, comme chaque fois qu’un rapport a été produit sur les concessions autoroutières, il n’existe aucun calcul ni aucune analyse qui prouverait de manière robuste une « sur-rentabilité » des sociétés concessionnaires.
Plutôt que d’entrer dans cette polémique qui ne fait pas progresser le débat, il me paraît plus utile de concentrer l’action de l’État sur deux priorités : un meilleur encadrement des contrats et la projection de l’avenir du modèle des concessions.
La première de ces priorités est de mieux encadrer les concessions existantes jusqu’à leur terme. L’année 2015 a marqué une étape décisive en la matière. Le plan autoroutier et la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, ont permis de rééquilibrer les relations entre l’État et les SCA.
Un dispositif limitant les éventualités de surprofits a été introduit dans les contrats historiques : en cas de surprofit, les tarifs de péages sont revus à la baisse ou la durée de la concession est réduite.
L’État récupère toutes les économies faites par les SCA sur les investissements résultant des décalages de calendrier ou des abandons de projets.
Le Parlement a également vu ses moyens de contrôle, d’évaluation et d’information considérablement renforcés. C’est ainsi au législateur qu’il revient d’autoriser l’allongement de la durée des contrats de concession.
Les pénalités en cas de défaillance d’une société sur la sécurité, la performance ou l’état du réseau sont continûment renforcées.
Enfin, la loi du 6 août 2015 a créé une autorité de régulation indépendante en matière autoroutière. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), devenue depuis l’Autorité de régulation des transports (ART), rend des avis publics sur les projets de nouveaux contrats de concession, mais aussi sur tous les projets d’avenants ayant une incidence sur les tarifs de péage. Elle produit annuellement une synthèse des comptes des sociétés concessionnaires et tous les cinq ans un rapport sur la rentabilité des contrats. Le premier rapport quinquennal de l’autorité a ainsi été publié à la fin de juillet 2020.
Certes, les contrats historiques représentent la majorité du réseau, mais l’État a aussi passé de nouveaux contrats de concessions bien plus stricts. Tous ceux qui ont été passés depuis les années 2000 respectent globalement les recommandations de votre rapport.
Notre deuxième priorité est de nous projeter, d’anticiper et de réfléchir à l’avenir des contrats de concessions.
Je l’avais déjà rappelé en tant que député, je reste constant sur la question : l’enjeu principal est de penser à ce que nous en ferons demain de nos concessions. Nous devons nous y atteler avec méthode, sans préjugé ni précipitation. Pour cela, il nous faut commencer par cadrer les grands termes du débat.
Faut-il interrompre les contrats avant qu’ils n’arrivent à leur terme, c’est-à-dire renationaliser ? Très clairement, non. Ce serait une gabegie financière de plus de 47 milliards d’euros, une entrave au droit des contrats et, ce faisant, un affaiblissement de l’État de droit.
Faut-il, à l’inverse, les prolonger ? Je sais que certains d’entre vous y sont favorables. Je sais qu’intégrer de nouveaux projets locaux par adossement pourrait être intéressant pour certains territoires, le cadre européen étant, là aussi, particulièrement strict.
Mais je le disais, le monde a changé et nos besoins aussi. À trop vouloir prolonger les contrats du passé, nous risquerions d’accroître leur déconnexion avec les attentes des Français.
Assurément, les contrats anciens doivent être modernisés. Les moderniser, oui, mais comment ? Comment favoriser les nouvelles énergies peu émissives et mieux prendre en compte les questions environnementales ? Comment trouver des mécanismes pour une plus grande modération tarifaire ?
Je n’ai pas de vision arrêtée ou dogmatique sur le sujet. Ma conviction est que nous ne devons pas brider nos réflexions : nous avons eu l’occasion au cours des débats en commission d’évoquer les concessions multimodales, les concessions régionalisées, les tarifs segmentés. Bref, un nouveau modèle pourrait se construire de façon consensuelle.
Le « concession bashing » ne fera pas progresser le débat. N’oublions pas que les sociétés concessionnaires ont produit 50 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2006 et 2018. En plus de cela, sur la même période, elles ont investi 20 milliards d’euros dans le patrimoine autoroutier. Sans le modèle concessif, des dizaines de projets d’infrastructures, au service des Français, n’auraient pu voir le jour.
Pour aborder toutes ces questions et définir les aménagements à réaliser d’ici là, vous plaidez, monsieur le rapporteur, pour l’organisation d’un sommet des autoroutes. Sur le principe, j’y suis favorable.
Il doit nous permettre de trouver comment gérer la « fin de vie » des contrats, sans les plonger dès maintenant dans un coma artificiel. Il me semblerait en effet insoutenable de ne procéder à aucun aménagement complémentaire dans les dix à quinze prochaines années. Nous avons déjà commencé à y travailler, en intégrant le déploiement de bornes électriques, les nouvelles mobilités ou l’expérimentation de péages en flux libre.
Par ailleurs, nous avons besoin d’un cénacle où débattre des perspectives de gestion du réseau concédé. Nous aurons ces débats aujourd’hui et je m’engage à ce que nous puissions les poursuivre dans un horizon qui reste à définir. Le Parlement sera évidemment associé à ces réflexions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette question de l’avenir des concessions autoroutières engage le pays pour les prochaines décennies…