Mme la présidente. Votre question, monsieur Duplomb !
M. Laurent Duplomb. Égalim, monsieur le ministre, c’est moins de revenus, mais plus de charges. Il faut peser pour que la loi Climat et résilience n’en rajoute pas…
Mme la présidente. Ce n’est pas une question !
M. Laurent Duplomb. … et que l’erreur du titre II de la loi Égalim ne soit pas reproduite ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Duplomb, je pense – cela ne date pas de trois ans, mais de dix ou quinze ans – que le débat politique sur l’agriculture a trop souvent abandonné la raison, la science, ce que certains qualifieraient – j’y suis fondamentalement attaché – de bon sens paysan. Remettre un peu de raison dans tout cela fait beaucoup de bien. J’y concours, et j’espère pouvoir faire bouger des lignes. Je ne dis pas cela à l’intention des parlementaires que vous êtes : je dis cela de manière générale à propos du débat politique et sociétal public.
C’est extrêmement important : n’oublions jamais que c’est grâce à nos agriculteurs, ces entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple, que nous avons réussi à tenir pendant toute la période de la pandémie de covid-19 et que nous y réussissons encore aujourd’hui.
Le combat n’est jamais terminé. Égalim a changé des choses ; l’état d’esprit, notamment, a évolué. Je vous en donne un exemple très pragmatique : toutes les consultations et tous les travaux que nous avons menés avec Serge Papin ont montré qu’aucun acteur, grande distribution, industriels, agriculteurs, ne veut abandonner Égalim. En revanche, on s’accorde pour constater qu’Égalim ne va pas assez loin. Ma responsabilité, aujourd’hui, est de dresser un constat sans concession, très factuel, de ce qui a marché et de ce qui n’a pas marché, des secteurs où l’état d’esprit a changé et de ceux où il est resté le même, et de faire bouger les lignes.
Je partage ce que vous avez dit : beaucoup de lignes doivent encore bouger ! J’en suis convaincu.
« Toujours plus de charges sans que l’on parle jamais des revenus », avez-vous déploré pour finir. Je ne peux pas être plus clair que lorsque je dis que la création de valeur environnementale ne saurait être dissociée de la création de valeur agricole. Toutes celles et tous ceux qui croient dans les transitions agroenvironnementales se retrouvent dans cette idée : plus on créera de la valeur pour le compte de résultat des agriculteurs, plus ces transitions seront rapides.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Plus de deux ans après sa promulgation, nous pouvons nous demander si la loi Égalim, par-delà l’immense espoir qu’elle a suscité, n’a pas finalement été un coup d’épée dans l’eau, tant l’insatisfaction est généralisée. Cette loi était censée redonner de la valeur aux producteurs agricoles en permettant notamment la prise en compte des indicateurs de coûts de production. Or nous voilà deux ans plus tard, et les interprofessions ne sont toujours pas en mesure de proposer les bons indicateurs.
Cette loi était également censée conduire à une restructuration des relations entre les acteurs des filières ; or la contractualisation en amont, visant à soustraire les producteurs au pouvoir de marché que peuvent exercer les acteurs de la grande distribution sur le prix d’achat, n’est pas effective. Le sera-t-elle un jour ?
Monsieur le ministre, j’aurai principalement deux interrogations.
Premièrement, alors que l’impératif d’une plus juste rémunération de la valeur tout au long de la chaîne alimentaire reste intact, quelle suite allez-vous donner au rapport Papin qui vous a été remis le 25 mars dernier, notamment à la proposition visant à garantir le prix de la matière première lors de la première contractualisation en instaurant une mécanique d’indexation ? Nous le savons, le coût des matières premières représente la principale charge de certains industriels, et la clause actuelle de renégociation des prix est inopérante.
Deuxièmement, comment peut-on aider le monde agricole à se rassembler pour peser davantage dans les filières agroalimentaires, s’imposer dans les relations commerciales et obtenir des prix rémunérateurs face aux acteurs de l’aval des filières ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Longeot, les questions que vous posez sont au cœur du rapport de Serge Papin. Encore une fois, ce rapport, c’est le Gouvernement qui l’a souhaité.
Je voudrais vraiment saluer la qualité du travail effectué par Serge Papin, qui connaît incroyablement bien le dispositif, dans ses moindres détails et dans ses moindres recoins, et qui sait précisément décoder les discours et les positions des uns et des autres. Ayant lui-même pratiqué les négociations commerciales pendant vingt-cinq ans, il sait comment procéder pour faire bouger les lignes.
Serge Papin a acquis une sorte de sagesse sénatoriale, et il a fait preuve d’une grande volonté. C’est la raison pour laquelle nous pouvons faire ces propositions aujourd’hui. Face à la qualité des efforts fournis, je ne peux que m’engager à ce que ce travail ne reste pas lettre morte.
Serge Papin, vous vous en souvenez sans doute, avait animé l’atelier 5 des EGA. Si j’ai choisi de travailler avec lui, c’est précisément pour suivre jusqu’au bout la logique engagée. Les sénateurs Duplomb et Gremillet l’ont rappelé à juste titre : nous sommes restés au milieu du gué et nous ne l’avons pas encore franchi. Pour aller de l’avant, il nous faut mettre en œuvre les recommandations formulées dans le rapport.
Ce dernier est sur la table, et c’est à vous, parlementaires, de vous en saisir, en prenant également en compte les travaux qui ont été effectués au Sénat et à l’Assemblée nationale. Soyez assurés de ma détermination à mettre en œuvre les recommandations de ce rapport !
Certains sujets sont plus compliqués que d’autres. Tout ne relève pas de la loi, par exemple l’origine des produits. Pour ceux qui en relèvent, seules les assemblées pourront les faire évoluer, si elles ont le courage d’apporter les modifications nécessaires.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Ce débat nous donne une nouvelle fois l’occasion d’attirer l’attention du Gouvernement sur la nécessité de corriger les effets néfastes de la loi Égalim.
Alors que ce texte devait apporter une réponse législative aux attentes exprimées lors des EGA, il a déçu la quasi-totalité des acteurs qui s’étaient exprimés. Cette démarche ambitieuse de consultation a suscité beaucoup d’espoir, puis nourri la déception, faute de reprendre sans filtre les préconisations des principaux acteurs.
Aujourd’hui, comme mes collègues l’ont déjà dit à maintes reprises, hormis dans la grande distribution, tout le monde s’accorde sur un constat d’échec de la loi Égalim. Vous avez même réussi, monsieur le ministre, à mettre d’accord tous les syndicats agricoles, depuis la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) jusqu’à la Confédération paysanne.
Le constat est tout d’abord celui de l’échec de votre théorie du ruissellement qui n’a eu aucun effet pour les agriculteurs. Un seul chiffre suffit à l’illustrer : le prix d’achat aux fournisseurs a diminué de 0,4 % en 2019. On est loin du beau discours de Rungis, lorsque le Président de la République promettait une loi pour « permettre aux agriculteurs de vivre du juste prix payé », selon ses propres mots.
Un autre sujet d’inquiétude porte sur une facette de la loi qui s’appliquera au 1er janvier 2022, avec l’obligation de proposer dans la restauration collective une proportion d’au moins 50 % de produits durables et de qualité, dont 20 % de bio. Ainsi que le souligne un collectif d’une trentaine d’associations de consommateurs ou de préservation de l’environnement, cet objectif intéressant paraît aujourd’hui hors d’atteinte, tant les collectivités sont livrées à elles-mêmes.
En effet, comment pourrait-on l’atteindre, quand les surfaces conduites en bio stagnent désespérément dans notre pays, faute d’y avoir mis les moyens ? Alors que le seuil visé a été fixé à 15 % de la surface agricole utile en 2022, elles n’en représentent pour l’instant que 8,5 %. Monsieur le ministre, je ne parlerai même pas des aides au maintien que vous avez supprimées depuis la loi Égalim.
Sur tous ces sujets, nous avons des propositions à faire. Il faut que l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires joue tout son rôle dans la construction des prix. Il convient aussi de mieux soutenir l’agriculture biologique et les productions de qualité, et de faciliter l’accès à la restauration collective pour nos producteurs locaux.
Pour sortir de l’impasse, il faut une nouvelle loi. C’est un fait que même Serge Papin préconise, dans le rapport qu’il vient de vous remettre. La nécessité de cette loi ne fait donc plus grand doute.
Aussi ma question sera simple : monsieur le ministre, prendrez-vous davantage en compte les propositions des acteurs du monde agricole et du Sénat, la chambre qui représente les territoires, dans l’élaboration de la deuxième loi Égalim ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. La réponse est, à l’évidence, oui, monsieur le sénateur Tissot ! Nous commençons à nous connaître, et je ne crois pas que vous puissiez me reprocher de ne pas écouter avec beaucoup d’attention les propositions des uns et des autres. S’il y a désaccord, j’engage toujours le débat pour en comprendre les causes, et je veille dans tous les cas à privilégier un esprit de coconstruction.
Encore une fois, si j’ai commandé ce rapport à Serge Papin, c’est pour éviter de reproduire l’expérience qui a été la mienne quand je suis arrivé au ministère. Je suis alors entré directement dans le rapport de force de la négociation.
Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons pesé autant que nous pouvions dans cette négociation, par le truchement de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ; les autres acteurs concernés pourront le confirmer. Si nous ne l’avions pas fait, le résultat aurait été dramatique, alors même qu’il n’est pas encore satisfaisant.
Cependant, fort de cette expérience, j’ai la responsabilité politique de ne pas laisser perdurer un système où l’engagement du Gouvernement dans le rapport de force des négociations serait le seul espoir pour les agriculteurs d’obtenir une meilleure rémunération. Il faut opérer un certain nombre de changements et, pour cela, nous devons identifier avec beaucoup de lucidité les aspects de la loi Égalim qui ont fonctionné.
En effet, cette loi a fonctionné à certains égards. Veillons donc à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! Elle a notamment permis de faire évoluer l’état d’esprit des acteurs du secteur, sans toutefois aller assez loin.
Monsieur le sénateur, je connais votre attachement au monde agricole. Objectivement, si des solutions de facilité existaient de manière évidente, si ce combat ne nécessitait pas de remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier, je pense – n’y voyez pas de polémique politicienne – que la précédente majorité l’aurait mené à bien. Nous avons enclenché un mouvement, grâce à la loi Égalim. Nous constatons, avec beaucoup de lucidité, que le compte n’y est pas et qu’il faut aller plus loin. C’est la démarche dans laquelle je m’inscris, et que je conduirai avec détermination et dans la concertation.
Mme la présidente. Je suis très heureuse de donner la parole à Mme Marie-Christine Chauvin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Christine Chauvin. Monsieur le ministre, le 25 mars et le 6 avril, un peu partout en France, les agriculteurs étaient dans la rue. Vous le savez comme nous, une grande partie de nos agriculteurs ne peuvent pas vivre de leur travail. Or l’ambition de la loi Égalim était qu’ils le puissent. Malheureusement, les résultats ne sont pas là.
À cet échec s’ajoutent les conséquences de la crise sanitaire, qui est venue bousculer les accords commerciaux. L’année 2021 s’ouvre donc dans des conditions très particulières. Force est de constater que la guerre des prix est revenue de façon violente.
Les agriculteurs ne doivent pas servir, une fois de plus, de variable d’ajustement. C’est le rôle de l’État de trouver une solution.
Nous vous avons souvent alerté, monsieur le ministre, et, hélas, nous avions raison ! Le ruissellement n’est pas arrivé. Où est cet argent ? Le constat est simple : pas un centime n’est arrivé dans la cour des fermes !
Il est indispensable de rendre contraignantes l’élaboration et la prise en compte des indicateurs des coûts de production. Il faut aller vite. La profession a trop attendu.
Cette rémunération plus juste devra, entre autres, encourager l’installation des jeunes agriculteurs. Les paysans ne peuvent plus, et ne doivent plus, être le maillon le plus mal servi dans la répartition de la valeur. Ils nourrissent le pays et ils en sont fiers. Nous devons et vous devez les aider !
La loi Égalim peut nourrir l’illusion d’une production haut de gamme, voire entièrement haut de gamme. Veillons à ne pas y céder, car c’est le pouvoir d’achat qui guide le choix des consommateurs. Toutes les gammes françaises ont leur place sur le marché. En ne ciblant que les « premiers de cordée », nous prenons le risque de laisser les produits importés, et qui ne garantissent pas la même sécurité alimentaire, aller aux plus démunis. L’équilibre est difficile à trouver entre création et répartition de valeur, car en plus de la question du partage, il faut aussi envisager celle de la création de valeur.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire sur ces deux tableaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice Chauvin, la manière dont vous présentez ces deux tableaux correspond exactement à mon appréhension du problème. Comme vous l’avez répété, il faut remettre la création de valeur au centre du dispositif.
La difficulté tient d’abord à ce qu’il nous faut avoir le courage politique de le faire. Encore une fois, n’y voyez aucune polémique politicienne, mais les gouvernements dont votre sensibilité se fait l’écho ont fait le choix d’axer absolument toute leur communication sur le pouvoir d’achat et ont omis de dire l’impact que cette stratégie pouvait avoir sur les agriculteurs.
C’est un acte politique de dire que, dans notre pays, l’agriculture est fondée sur la qualité, que la qualité se rémunère et que cette rémunération impose que le consommateur paye plus cher les aliments issus de notre agriculture.
M. Laurent Duplomb. Il y a la PAC pour cela !
M. Julien Denormandie, ministre. Une fois cela posé, je considère qu’il faut surtout dissocier les politiques, comme vous le proposez. Il existe, en effet, des politiques sociales de soutien et des politiques d’accompagnement de nos agriculteurs. Par conséquent, il convient non seulement de créer de la valeur, mais aussi de répartir la valeur créée entre la grande distribution, les industriels et les agriculteurs, et cela sans aucune naïveté, car pour l’instant cette répartition se fait sur le dos des agriculteurs. Nous devons, enfin, développer une politique sociale.
Si nous voulons réussir, ces trois objectifs doivent s’inscrire dans une approche dissociée. Il est important de parvenir à exposer cette stratégie, mais elle reste compliquée à mettre en œuvre. C’est pour cela que je me bats, et je suis certain que nous partageons la même vision sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Chauvin, pour la réplique.
Mme Marie-Christine Chauvin. Monsieur le ministre, dissocions, en effet, mais n’oublions aucun volet ! La loi Égalim doit être revue profondément et rapidement. Vous devez soutenir nos agriculteurs. Vous venez d’affirmer votre volonté de faire bouger les lignes. Plus encore que nous, les agriculteurs comptent sur vous pour le faire !
Il faut aussi défendre la ferme France dans les négociations de la PAC, protéger nos paysans de certains excès qui pourraient se glisser dans le projet de loi Climat et résilience, et mettre en place des mesures à la hauteur pour aider les sinistrés des dramatiques aléas climatiques qui ont eu lieu récemment. Je pense tout particulièrement à ceux dont les vignes et les cultures, dans le Jura et dans le reste de la France, ont subi des dégâts liés au gel. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou.
M. Serge Mérillou. Les agriculteurs, ces héros de la première ligne, garantissent notre souveraineté alimentaire. Depuis trop longtemps, ils crient leur colère, leur détresse, leur désespérance. Ils dénoncent légitimement les effets pervers d’une loi Égalim qui est un échec d’autant plus sévère qu’elle avait suscité beaucoup d’espoir. Elle n’a pas ramené de valeur ajoutée à nos agriculteurs.
Monsieur le ministre, je salue votre prise de conscience sur les nombreux dysfonctionnements de cette loi. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vous avait pourtant alerté sur son probable échec, lors d’un débat au Sénat.
L’ensemble des syndicats agricoles constatent que le relèvement du seuil de revente à perte a permis aux distributeurs de dégager plusieurs centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire, alors que dans le même temps, le revenu des agriculteurs a chuté de près de 8 % entre 2019 et 2020.
Aussi, je prends acte des propositions du rapport Papin, mais seront-elles respectées dans les secteurs de la transformation et de la distribution ?
L’exigence de la transparence doit être une priorité. En effet, sans transparence, il n’y a pas de partage de valeur. Je vous invite donc à œuvrer pour l’obligation de cette transparence sur le prix payé par le premier transformateur au producteur, à la signature du contrat.
Enfin, la proposition de créer des indicateurs anonymisés sur la création de la valeur dans la filière doit être confirmée. Nous devons éviter l’impasse dans laquelle nous mènerait un Observatoire de la formation des prix rendu tributaire de la seule volonté déclarative des uns et des autres.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire de ces propositions ? Allez-vous enfin prendre des mesures concrètes pour contraindre la grande distribution à rémunérer dignement les producteurs ? Allez-vous combattre la loi du profit à tout prix, aux côtés des agriculteurs ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Mérillou, même si nous pouvons avoir des désaccords, je ne pense pas que vous puissiez qualifier d’« effet pervers » le résultat de la mise en œuvre de la loi Égalim.
Les acteurs concernés ne parlent d’ailleurs pas d’« effet pervers »… Loin d’en être un, ce résultat nourrit un espoir, même si celui-ci n’est pas à la hauteur des attentes. Je reconnais cette réalité, et c’est pourquoi je me bats pour modifier un certain nombre de points.
Cependant, il faut raison garder. La loi Égalim a constitué une première étape dans la marche en avant qu’a voulu enclencher mon prédécesseur, Stéphane Travert, quand il a défendu ce texte avec vigueur. Force est de constater que cette étape nécessaire n’est pas suffisante. C’est précisément pour cette raison que le Gouvernement a décidé de confier une mission à Serge Papin.
La période incite à remettre en question la méthode de conduite des politiques publiques. En l’occurrence, on ne peut pourtant pas reprocher au Gouvernement d’avoir adopté une telle approche. Nous avons mis le sujet sur la table, alors que nos prédécesseurs ne l’avaient pas fait durant les cinq dernières années. Nous avons essayé de faire évoluer la situation. Nous avons tiré le constat que certaines de ces évolutions fonctionnaient, mais qu’il restait « un trou dans la raquette » sur de nombreux aspects.
Nous remettons donc le sujet sur la table pour trouver de nouvelles solutions et pour mener le travail à son terme. Cette méthode de politique publique est tout à fait légitime.
En revanche, je vous rejoins sur l’idée qu’il y a un besoin impérieux de trouver des mesures complémentaires pour que l’espoir suscité par la loi Égalim se concrétise par des résultats dont l’effet portera sur le prix payé dans les cours de ferme.
Voilà pourquoi je me bats, en suivant cette méthode avec beaucoup de force.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.
M. Serge Mérillou. Les agriculteurs attendent des mesures claires pour favoriser le retour de cette fameuse valeur ajoutée après laquelle, depuis des années, ils courent désespérément.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. Monsieur le ministre, lors de l’examen du projet de loi Égalim, le Sénat n’a jamais caché sa position. Il a toujours fait part de ses inquiétudes sur ce texte qui lui semblait déséquilibré et bien loin de la grande loi agricole tant attendue par le monde paysan.
Le climat des négociations commerciales, le niveau des revenus agricoles, la volatilité des prix des matières premières, tels sont quelques-uns des problèmes les plus importants que la loi n’a pas résolus.
Cependant, pour être tout à fait honnête, le pouvait-elle, alors qu’elle ne s’attaquait qu’aux relations contractuelles entre l’agriculteur et ses acheteurs, ce qui représente moins d’un cinquième des recettes de l’agriculteur ?
Dans le rapport qu’il a présenté il y a quelques semaines, Serge Papin ne nous a pas démentis. Il partage notre diagnostic en ces termes : « Nous sommes toujours dans un rapport de force inversement proportionnel à la concentration des opérateurs. Les plus forts et les mieux organisés, c’est-à-dire la grande distribution et les grandes entreprises, sont les gagnants du système actuel. » Il va même encore plus loin en ajoutant que l’agriculture reste « le maillon faible dans ce rapport de force ». Vous avez parlé vous-même, monsieur le ministre, d’un « jeu de dupes sur le dos de l’agriculteur ».
Nous avons donc été ravis d’apprendre votre intention de modifier la loi Égalim avant le mois d’octobre prochain, en reprenant les recommandations de M. Papin sous la forme d’une proposition de loi qui serait examinée avant l’été.
M. Papin suggère une clause de révision des prix automatique pour prendre en compte les variations des cours de la matière première. Nous l’avions proposée au Sénat en 2018, en 2019 et en 2020.
M. Laurent Duplomb. C’est vrai !
M. Olivier Rietmann. Un véhicule législatif est d’ailleurs à l’Assemblée nationale dans l’attente de son inscription à l’ordre du jour. Monsieur le ministre, ne trouvez-vous pas que cela fait beaucoup de temps perdu ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je ne sais pas s’il y a eu beaucoup de temps perdu, mais je sais qu’il y a urgence à aller plus loin et à agir. Je souhaite que l’année 2021 soit celle de l’indexation des coûts des matières agricoles.
Pourquoi ? J’ai mentionné précédemment les gallinacés dans le Gers. Parmi les volailles, prenez le cas des poules pondeuses. Je tiens à votre disposition toutes les études qui portent sur l’augmentation du coût de leur alimentation. Sous l’effet des aléas climatiques, le prix des céréales qu’on donne aux poules pondeuses est en hausse de 20 %, 30 % ou 40 %. Des analyses ont étudié la possibilité de répartir le montant de ce coût sur toute la chaîne agroalimentaire.
Alors que le coût en termes de charges, c’est-à-dire le coût de revient pour l’agriculteur, est très significatif, le coût répercuté sur le prix d’achat pour les consommateurs ne représente que quelques centimes. Le ratio est souvent de un à cinq, voire de un à dix, entre l’augmentation du coût de revient et l’impact sur le prix affiché pour les consommateurs.
Voilà en quoi consiste la proposition de l’indexation des coûts, car il s’agit plus d’indexation que de revoyure, cette dernière existant déjà. Je pense que c’est une très bonne idée que de la recommander, comme vous le faites.
En vérité, la loi n’empêche pas l’indexation. Aujourd’hui, les grands capitaines d’industrie et de la grande distribution, que j’appelle à un réveil collectif, car il y va de la souveraineté de notre agriculture, peuvent déjà la pratiquer. Toutefois, comme ils ne le font pas suffisamment et que le réveil collectif n’est manifestement pas assez fort, nous devons nous poser la question de savoir s’il faut que la loi s’en mêle, et je crois que c’est le désir de beaucoup d’entre vous. (M. François Patriat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour la réplique.
M. Olivier Rietmann. Monsieur le ministre, si je prends l’exemple de la viande bovine, durant les vingt-quatre dernières années, le prix de vente au consommateur a augmenté de 74 %. Le revenu des agriculteurs, quant à lui, a augmenté d’environ 20 %, et leurs charges de 55 %.
Je ne peux donc que vous encourager, monsieur le ministre, à ne pas demeurer l’amoureux transi des agriculteurs, à ne pas rester « au milieu du gué », pour reprendre votre expression, et à aller jusqu’au bout de la tâche, en proposant une loi Égalim 2. Selon moi, celle-ci doit être une loi d’exception pour le monde agricole. En effet, on ne pourra pas avoir une agriculture de qualité sans la payer au bout du compte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. le ministre acquiesce.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadine Bellurot.
Mme Nadine Bellurot. Je veux tout d’abord apporter mon soutien à nos agriculteurs et viticulteurs, notamment ceux des vignobles de Reuilly et Valençay, victimes d’un phénomène climatique dramatique. Nous devons être à leurs côtés dans cette nouvelle épreuve.
Monsieur le ministre, alors que vous négociez la PAC, il reste encore à traiter le sujet essentiel de la concurrence déloyale en Europe et dans le monde entier.
La loi Égalim, dans son article 44, interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit, en vue de la consommation humaine ou animale, des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques.
Cette disposition vertueuse est très importante, car elle contribue à revenir sur la concurrence déloyale de certaines productions étrangères qui, bien que commercialisées en France, ne respectent pas les normes françaises et européennes imposées aux agriculteurs, à la fois en termes de traitements et de modes de production.
Malheureusement, depuis trois ans, nous continuons à importer en France des produits interdits, alors que nous ne cessons d’imposer aux agriculteurs contrainte sur contrainte. On exige, par exemple, des semences certifiées pour la lentille du Berry, alors que l’on importe des lentilles du Canada qui ont été traitées au glyphosate pour accélérer leur maturation. (M. Laurent Duplomb opine.) Cet exemple pourrait se décliner dans la plupart des productions agricoles.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous renforcer les contrôles prévus par la loi ? Il y va, en effet, de la santé de nos concitoyens. Or il semble que vous manquiez de moyens pour lutter contre ce type de situation.
Au-delà de cette question, comment assurer une égalité de traitement entre les agriculteurs ? En effet, imposer toujours plus d’obligations à nos agriculteurs français, alors que le monde entier fait autrement, c’est mettre en péril notre agriculture et notre autonomie alimentaire, à laquelle nous sommes tous attachés.
Il faut donc des règles identiques et une meilleure traçabilité, sans dérogation possible. Essayons au moins d’appliquer ces principes en Europe ! La crise actuelle est peut-être une opportunité à saisir, car elle a sensibilisé le monde entier à la sécurité sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)