Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 21 septembre 2020, l’Union européenne appelait à une reprise forte et à une Europe compétitive et durable, via la suppression des obstacles au commerce au sein de l’UE, la simplification des procédures administratives et l’empêchement des obstacles de nature réglementaire.
Les 1er et 2 octobre 2020, les dirigeants de l’Union européenne soulignaient la nécessité de revenir, dès que possible, à un marché unique pleinement opérationnel. Ils demandaient plus particulièrement la suppression des obstacles injustifiés, en particulier dans le domaine des services, le façonnement d’un nouveau système de gouvernance économique mondiale ou encore des investissements dans l’utilisation efficace des compétences.
Six mois plus tard, les obstacles administratifs, les obstacles de gestion et les obstacles du « en même temps » nous hantent toujours ; ils hantent toujours la France, avec l’exemple contagieux et ô combien alarmant de la vaccination chez nous.
« On est prêts », disiez-vous, monsieur le secrétaire d’État, avec tous les autres membres du Gouvernement. Malheureusement, la réalité nous montre le contraire : l’avenir est loin d’être serein. La France est la tortue de la vaccination, mais le lièvre de la communication (Sourires.).
Des vaccinodromes, certes, mais avec quoi, et pour quoi ? Notre maillage médical territorial n’est-il pas suffisant ? Alors que les Français ont confiance en leur médecin, nos personnes âgées vont devoir se confronter à ces lieux ; un déplacement de leur médecin ou de leur infirmier serait pourtant plus rassurant, dans un contexte fortement anxiogène.
Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d’État, que nous avons en France 100 000 docteurs médecins généralistes et 50 000 pharmaciens. Si chacun d’entre eux recevait 10 personnes par jour, il y aurait quotidiennement 1,5 million de vaccinés, ou du moins d’injections : plus de 45 millions de personnes seraient vaccinées au bout d’un mois. Encore faudrait-il bien sûr avoir un nombre suffisant de vaccins !
Or à quel niveau de vaccination sommes-nous aujourd’hui ? Au plus bas, en comparaison avec nos voisins européens. L’heure est grave ; après un an de crise sanitaire, le constat est sans appel : les Français en ont assez, ils sont angoissés, ils sont anxieux ! Nous sommes donc loin des conditions humaines de la reprise forte que souhaite l’Union européenne et que nous souhaitons tous.
Économiquement, le constat est aussi alarmant. Là encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes : ils montrent une fois de plus que la France est en bas du classement.
Les chiffres de la balance commerciale française sont parus : le déficit atteint 82 milliards d’euros pour la France, alors que son voisin allemand connaît 180 milliards d’euros d’excédent – oui, d’excédent, et non de déficit ! – et que l’Italie, dont on se moque parfois, connaît elle aussi un excédent, de 63 milliards d’euros.
Et la sonnette d’alarme continue de retentir ! La part de marché de la France dans le commerce international a chuté en vingt ans de près de 35 %, passant de 5,1 % à 3,5 %, soit une chute bien supérieure à la moyenne de l’Union européenne, alors même que la part de marché de l’Allemagne augmentait, pour s’établir à 7,2 %, soit plus du double du niveau français.
Mon exemple suivant portera sur un fleuron français : l’industrie automobile. Selon les chiffres de l’Insee, alors que la France produisait 13,1 % des automobiles européennes en 2000, cette proportion n’est plus que de 6,7 % aujourd’hui, alors que la part de l’Allemagne est passée dans le même temps de 40,6 % à 44,5 %.
Quant à l’industrie agroalimentaire, la France assurait en 2000, en valeur, 7 % des exportations mondiales dans ce secteur, contre environ 4,5 % aujourd’hui. La part de l’Allemagne, dans le même temps, est passée de 5,1 % à 5,4 %.
Je pourrais continuer cette liste : ainsi, pour l’industrie pharmaceutique, la part de la France est de 6,3 % des exportations dans le monde, alors que l’Allemagne détient 15 % de ces parts de marché.
Nous n’avons plus de top sector, comme on dit en bon français ! Je me pose donc clairement la question suivante : la France va-t-elle devenir une colonie allemande ? Au-delà de ces comparaisons, nous devenons, faute de force suffisante, une caisse de résonance de l’Allemagne : ces chiffres révèlent que la situation française est dégradée, voire désastreuse !
En revanche, la France aime sa démocratie ; elle n’est pas une colonie de la Macronie ! (Sourires.)
On entend parler d’un éventuel report des élections départementales et régionales, alors que tous les autres pays votent, notamment nos voisins européens !
M. André Gattolin. Mettez-vous d’accord !
M. Laurent Duplomb. Je vous rappelle, monsieur Gattolin, que douze pays de l’Union européenne ont tenu des élections depuis mars 2020, sans compter la Suisse, qui a organisé des élections cantonales et trois referendums, dont le dernier s’est tenu récemment, le 7 mars dernier.
M. André Gattolin. Eh oui !
M. Laurent Duplomb. Outre les Pays-Bas, dont les élections législatives viennent d’avoir lieu, deux pays de l’Union européenne prévoient de tenir des élections d’ici à la fin du mois de juin : des élections législatives se tiendront en Bulgarie le 4 avril et des élections régionales dans le Land de Saxe-Anhalt le 6 juin 2021.
Par ailleurs, le Royaume-Uni organise ses élections locales et des élections législatives en Écosse et au Pays de Galles le 6 mai 2021.
Comment pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, envisager un report de ces élections ? Ce serait dangereux pour notre démocratie et démontrerait, une fois de plus, que vous employez des moyens détournés pour parvenir à vos fins !
Monsieur le secrétaire d’État, plutôt que de communiquer, vous devriez agir : agir pour redresser notre économie, agir pour la vaccination, agir pour l’avenir de la France et non pour reporter les élections ! Confucius disait : « L’homme de bien préfère être lent à parler, mais prompt à agir. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, après les propos pleins d’optimisme et de légèreté de M. Duplomb, je vais m’efforcer, une fois n’est pas coutume, d’être le lièvre de la réponse ! (Sourires.)
Si vous m’y autorisez, je veux vous offrir quelques éléments de réponse qui soient les plus complets possible, en regroupant par grands thèmes les remarques et interpellations qui ont été formulées.
J’aborderai en premier lieu la question de la vaccination, car c’est, à juste titre, celle qui préoccupe le plus et sera donc en tête de l’ordre du jour du Conseil européen. Je veux notamment rétablir certains faits et apporter plusieurs précisions au sujet du cadre européen de vaccination.
On voit bien – je l’ai dit très honnêtement – que ce cadre n’est pas parfait aujourd’hui. C’est un fait qu’il y a dans le monde des pays qui vont plus vite en la matière que les États membres de l’Union européenne. Il faut savoir pourquoi et essayer d’y remédier, sans pour autant noircir un tableau qui n’en a pas besoin.
Si l’on procède à des comparaisons internationales, on peut constater qu’il y a essentiellement trois pays qui vont plus vite que les pays de l’UE.
Deux grandes économies importent particulièrement, du fait de leur taille : les États-Unis et le Royaume-Uni. Quant au troisième, Israël, qui est souvent cité en exemple, il s’agit d’un cas assez particulier : cet État a accepté de conclure avec un laboratoire pharmaceutique un accord permettant de lui fournir des données médicales, en échange d’une livraison plus rapide de doses de vaccination. Je ne crois pas que nous aurions fait un tel choix.
Il faut aussi relever – je ne m’en félicite pas ! – que certains pays dont on nous dit qu’ils ont trouvé la solution miraculeuse pour procéder à une campagne de vaccination n’ont pas, de fait, réalisé de miracles. On nous avait vanté les prétendus mérites de la Chine dans la gestion globale de la crise sanitaire ; on nous promet le vaccin libérateur de la Russie. Pourtant, ces deux puissances vaccinent, en proportion, deux fois moins vite que les pays de l’Union européenne.
Précisons enfin, puisque des comparaisons imprécises, voire fausses, sont parfois faites, que la France n’est pas la lanterne rouge de la vaccination au sein de l’Union européenne, très loin de là. En proportion de la population adulte, même si nous devons collectivement aller plus vite, nous sommes devant l’Allemagne, devant l’Italie et devant l’Espagne.
M. Guillaume Chevrollier. Mais derrière la Roumanie !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Certes, monsieur le sénateur, nous ne sommes pas les premiers du classement de l’Union européenne, mais les différences sont très faibles entre les différents pays, hormis quelques exceptions assez atypiques, comme Malte, qui a pu aller très vite du fait de sa petite taille.
Toujours est-il que nous ne sommes pas la lanterne rouge de l’UE : nous sommes plus rapides que les Allemands, que les Espagnols ou que les Italiens, pour prendre des pays comparables au nôtre par leur taille. Je ne dis pas que tout va bien, mais il faut tout de même remettre les choses dans leur contexte et à leur juste place.
On sait que le sujet, pour l’Union européenne, c’est l’accélération de la production et de la livraison de vaccins. Cela se fera, non par des stratagèmes ou des tensions, mais en éprouvant toutes les solutions, jusqu’aux plus innovantes, pour que nous soyons livrés plus vite.
Cela implique tout d’abord de passer des contrats supplémentaires ; c’est ce que nous avons fait, notamment, avec le laboratoire Pfizer, qui nous a déjà livré au premier trimestre plus de doses que prévu et qui nous livrera encore au deuxième trimestre 10 millions de doses supplémentaires par rapport aux prévisions. Cela fait partie des bonnes nouvelles !
Il faut ensuite mettre la pression sur les laboratoires qui connaissent des retards ; on sait bien qu’il est question ici d’un laboratoire en particulier, à savoir AstraZeneca.
Dans de tels cas, il faut utiliser tous les leviers qui sont à notre disposition. Cela peut aller, comme je l’ai dit, jusqu’à des recours juridiques, mais soyons honnêtes : à court terme, ce n’est pas un recours en justice qui va nous apporter des flacons de vaccin !
On essaie donc de régler les problèmes industriels et de trouver des solutions créatives, innovantes, voire exceptionnelles – la période l’exige ! –, comme des accords croisés de production. C’est ce que nous avons incité le laboratoire Sanofi à faire, afin de produire, dès cet été, des vaccins Johnson & Johnson et Pfizer dans ses sites français et allemands. Nous mobilisons toutes ces solutions.
Ensuite, nous défendons nos intérêts. Je défends le cadre européen, parce qu’aucun de ces vrais problèmes de production ne serait mieux réglé dans un cadre national, me semble-t-il ; si vous voulez connaître ma conviction, je pense même que ce serait exactement le contraire, parce qu’on ajouterait aux problèmes actuels une guerre entre pays européens pour les doses de vaccin.
Beaucoup d’entre vous ont fait l’éloge de la coopération européenne et réaffirmé sa nécessité. Je partage volontiers cette position, d’autant que je ne suis pas sûr que, si l’on était en train de se faire la guerre entre Français, Allemands, Espagnols ou Italiens pour acheter des doses de vaccin, nous en sortirions gagnants ; je suis même persuadé que nous sortirions tous perdants d’un tel conflit, parce que la campagne de vaccination en Europe serait bien plus décalée d’un pays à l’autre, alors que c’est aussi notre intérêt que de voir les vaccinations aller au même rythme dans des pays voisins.
La défense de nos intérêts implique la mise en place de mécanismes tels que des contrôles des exportations. De nombreux orateurs ont souligné leur pertinence ; je le prends comme un encouragement pour cette réunion du Conseil européen. Vous avez notamment évoqué, monsieur Rapin, l’idée d’un principe simple de réciprocité.
On peut comprendre les problèmes industriels d’un laboratoire comme AstraZeneca, parce qu’il s’agit d’une campagne exceptionnelle et, somme toute, d’une prouesse industrielle.
Pour autant, on ne peut pas comprendre que, quand on a signé un contrat, on soit moins bien traité que d’autres signataires de contrats ; je pense au Royaume-Uni, qui a signé son contrat avec AstraZeneca en même temps que nous, et même un jour plus tard ! Une fois de plus, ne nous concentrons pas sur les faux problèmes : ce n’est pas une affaire de signature ou de délai administratif dans la signature des contrats.
Vous avez également justement rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous devrons tirer de la crise des leçons en matière de compétence sanitaire européenne. Celle-ci n’existait pas auparavant ; on l’a construite au cours de la crise. Le problème que nous avons rencontré à l’échelle européenne est que nombre de pays européens, dont la France, ont subi un retard industriel par rapport à d’autres puissances pharmaceutiques ou d’innovation.
C’est notamment le cas vis-à-vis des États-Unis d’Amérique, qui ont plus investi que nous, plus vite, et sur plus de vaccins et de technologies risquées. En outre, ils avaient dès l’origine une capacité de production plus grande, même si nous la rattrapons à un rythme rapide.
Plusieurs d’entre vous ont cité à cet égard les efforts déployés par le commissaire français Thierry Breton pour accélérer nos capacités de production. Nous sommes en voie de tenir notre objectif : d’ici à la fin de l’année, la capacité annuelle de production de vaccins sur le territoire de l’Union européenne atteindra 2 à 3 milliards de doses. Cela fera de nous, avec les États-Unis, le premier producteur mondial de vaccins, et de loin !
M. Laurent Duplomb. On en est loin !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Il convient de replacer les choses dans ce contexte et de relever les améliorations que l’on est en train d’apporter, au fur et à mesure et le plus vite possible. Je le répète : le seul sujet sur lequel nous allons nous concentrer est la production et la livraison de vaccins ; quant au reste, il ne s’agit pas de vraies réponses à une situation qu’il faut, objectivement, améliorer.
Je veux à présent vous apporter quelques éléments de réponse au sujet de la relance et de la stratégie économique, qui ont été évoquées par nombre d’entre vous et, en particulier, par M. le rapporteur général de la commission des finances.
Pour être précis et apporter une note positive en cette heure tardive, je ferai remarquer que plus de neuf États membres, de fait, sont arrivés au bout de la procédure d’autorisation du plan de relance européen : la procédure parlementaire est en effet achevée dans quatre États supplémentaires, auxquels il ne reste plus qu’à notifier la ratification aux autorités européennes ; on peut donc considérer que treize États ont aujourd’hui ratifié ce plan de relance, soit près de la moitié des membres de l’Union. Il faut encore accélérer !
Une dernière phase doit, elle aussi, être accélérée, à savoir la discussion avec la Commission européenne de chacun des plans de relance nationaux. Pour répondre à la question qui m’a été posée sur le calendrier, je préciserai que c’est à la fin du mois d’avril que le programme national de relance et de résilience sera communiqué, en même temps que le programme de stabilité ; il fera sans doute alors également l’objet d’un débat devant votre assemblée.
Je veux brièvement revenir sur les comparaisons, parfois imprécises, qui sont établies entre le plan européen et le fameux « plan Biden » de relance de l’économie américaine. Il ne convient pas de comparer celui-ci aux 750 milliards d’euros du plan de l’Union européenne, parce qu’il ne s’agit pas d’un plan de relance, mais principalement de mesures d’urgence portant sur le pouvoir d’achat ou le chômage partiel.
De telles mesures sont mises en place dans les États membres de l’UE en dehors du plan de relance : quand vous additionnez l’ensemble des mesures d’urgence et des plans de relance nationaux et européens qui ont été mis en place, même si le total est encore imprécis, on avoisine sans doute les 2 000 milliards d’euros, soit une somme très voisine de celle du plan américain.
Rappelons également qu’une partie des mesures du « plan Biden », notamment les mesures sociales de soutien au pouvoir d’achat des ménages, sont liées au fait que l’économie américaine a vingt points de dépense publique de moins que la France, ce qui a des inconvénients en temps de crise.
Il y a dans ces dispositifs un effet de rattrapage qui empêche une comparaison directe avec nos mesures, en particulier de chômage partiel. Je ferai remarquer à ce propos que la Commission européenne a relevé la semaine dernière que la France avait été le pays de l’Union européenne qui avait décaissé le plus de moyens pour aider les entreprises, les salariés et le pouvoir d’achat durant cette crise.
Je veux maintenant faire un point sur les questions numériques, qui sont également à l’ordre du jour de cette réunion du Conseil européen et que plusieurs d’entre vous ont évoquées.
La taxation du numérique sera évoquée, de même que la souveraineté numérique au sens large, dont M. Pellevat a parlé. La boussole numérique pour 2030 est un concept important ; concrètement, il s’agit de chantiers que l’on doit faire avancer d’ici à la présidence française et au cours de celle-ci.
Des propositions législatives seront faites en ce sens, autour de la cryptomonnaie ou de cryptoactifs, mais aussi de la souveraineté de nos centres de stockage de données, un sujet très important. Vous savez d’ailleurs que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne nous incite à relocaliser ces centres.
Nous avons subi le dramatique incendie du centre de stockage de l’entreprise OVH, à Strasbourg, mais il existe des acteurs européens qui peuvent être nos champions du stockage de données. Parfois, on n’a pas le réflexe d’imposer le recours à des solutions européennes pour le cloud ou, en meilleur français, les centres de données ; parfois, on ne dispose pas des règles nécessaires pour le faire.
J’en avais pris un exemple très concret lors de notre précédent échange, parce que la souveraineté numérique passe d’abord par ce genre de choix : nous avons refusé une solution de stockage sur des serveurs non européens pour les données de la présidence française, au profit d’une solution européenne, à savoir OVH.
C’est possible, et il faut renforcer cet avantage : cela fera partie des discussions relatives à la souveraineté numérique. Ce concept figure d’ailleurs pour la première fois dans le projet de conclusions de ce Conseil, qu’il conviendra de préciser.
J’en viens aux questions relatives à la francophonie, confus que je suis d’avoir utilisé le terme de cloud. (Sourires.) M. Gattolin a souligné à juste titre l’importance de ces questions.
Je pourrai en faire un long exposé, quelques jours après la Semaine de la francophonie et sa Journée internationale, mais je puis d’ores et déjà vous annoncer que Jean-Baptiste Lemoyne et moi-même serons accompagnés de la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF, le 8 avril prochain, à Bruxelles, pour rencontrer la présidente de la Commission, le président du Conseil européen et beaucoup d’autres acteurs des institutions européennes et souligner auprès d’eux la nécessité, pendant la présidence française et au-delà, de recourir davantage au français.
En effet, il s’agit non pas seulement de francophonie, mais plus largement de multilinguisme, et il ne faut pas tomber dans un réflexe anglophone qui est d’autant moins justifié après le Brexit.
Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Cette approche est justifiée d’un point de vue défensif : nous devons être extrêmement fermes pour que tous les documents et les interventions soient traduits et disponibles en français et dans d’autres langues ; la présidence française sera l’occasion de s’en assurer.
Toutefois, il nous faut aussi une approche plus offensive, en renforçant à l’occasion de notre présidence nos actions de formation et nos démarches en faveur de l’attractivité de la langue française, notamment dans la pratique quotidienne des institutions européennes. Vous avez raison, monsieur Gattolin, ce sujet est extrêmement important.
Permettez-moi, madame la présidente, de revenir brièvement sur un autre point tout aussi important que j’ai omis de mentionner au sujet de la vaccination : on a affirmé de beaucoup de pays qu’ils étaient sortis du cadre européen, mais tel n’est pas le cas, même s’ils en ont eu la tentation. Il y a parfois eu en la matière, si vous me permettez l’expression, un peu d’« intox » ou de communication politique.
Ainsi, le Danemark et l’Autriche n’ont pu trouver en dehors du cadre européen, des millions de doses de vaccin : il n’y a pas de solution miracle ! De fait, ils n’en ont même trouvé aucune et n’ont procédé à aucun achat en dehors du cadre européen. On avait un moment évoqué un contrat complémentaire conclu par l’Allemagne avec Pfizer et BioNTech : ce contrat n’a pas été signé, et l’Allemagne a intégré de nouveau le cadre européen, pour une nouvelle commande de 300 millions de doses du vaccin Pfizer-BioNTech.
Pour être tout à fait précis, deux pays ont passé des commandes complémentaires : la Hongrie et la Slovaquie. Vous avez d’ailleurs pu constater que cette commande va entraîner la chute du gouvernement slovaque, parce que les formations minoritaires de la coalition au pouvoir n’ont pas accepté ce choix de sortir du cadre européen.
Or les doses promises par la Russie n’arrivent qu’au compte-gouttes ; les Slovaques se sont en outre aperçus qu’il était assez risqué de recourir à un vaccin qui n’était pas autorisé, à ce stade, par l’Agence européenne des médicaments : ces doses russes, en nombre limité, ne sont donc même pas utilisées à ce jour en Slovaquie !
Je le répète, il n’y a pas de solution miracle en Europe, avec des vaccins russes ou chinois qui nous sauveraient. À ce propos, la Pologne a eu des contacts avec la Chine, mais elle n’a finalement pas commandé de vaccins chinois.
Monsieur Laurent, vous avez évoqué la question de la propriété intellectuelle et des brevets, en citant le Président de la République quant à l’idée d’un accès généralisé aux vaccins, considérés comme un bien public mondial.
C’est exactement ce que nous faisons, mais la levée des brevets n’est pas la bonne réponse, car elle créerait un doute sur la rémunération de l’innovation dans un domaine où – cela a d’ailleurs constitué une difficulté – des start-up, parfois européennes, ont investi massivement et ont besoin de cette rémunération. Certains laboratoires, dont AstraZeneca, il faut le reconnaître, vendent déjà leur vaccin à prix coûtant. Ce n’est pas le cas d’autres laboratoires, qui ont besoin d’amortir leur investissement dans une certaine mesure.
En revanche, ce n’est pas aux pays qui n’ont pas les moyens d’accéder aux vaccins, notamment en Afrique, d’assurer cette rémunération du secteur privé.
C’est exactement pour cette raison que la France a, la première, proposé l’initiative européenne et le mécanisme Covax. Nous avons commencé à livrer un certain nombre de doses, même si nous sommes tous confrontés à un problème de rareté. Malgré ces difficultés, nous avons déjà envoyé près de 30 millions de doses dans 33 pays.
C’est le Président de la République qui, lors du dernier sommet européen, a proposé que nous vaccinions en priorité, malgré nos propres difficultés d’approvisionnement, tous les soignants africains d’ici à l’été prochain. Il le redira jeudi, car c’est la priorité absolue si l’on veut que leurs systèmes de santé tiennent dans une période extrêmement difficile.
Nous sommes à la manœuvre sur ce point. Aussi, dépassons les postures : la bonne solution est de passer par ce système où nous achetons des doses pour les donner à des pays qui n’en ont pas les moyens. C’est d’ailleurs pourquoi l’Union européenne est la zone qui, dans le monde, a commandé le plus de doses – 2,6 milliards, soit bien plus que nos propres besoins –, de manière à en donner un certain nombre et à assurer une vaccination mondiale.
Au vu de l’heure qui avance, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’être plus rapide dans ma réponse à vos autres questions, voire à pratiquer une forme d’oubli plus ou moins délibéré ! (Sourires.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Vous y répondrez devant notre commission !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Bien volontiers ; je serai ravi de poursuivre ces échanges devant votre commission des affaires européennes.
Je veux cependant répondre en un mot à M. Fernique, qui a fait allusion au mécanisme dit « CBCR », pour Country by Country Reporting, si vous me pardonnez cet affreux anglicisme. C’est grâce à la France que l’on a trouvé un accord au Conseil européen. Certains points, relatifs notamment à la phase de transition, doivent encore être réglés. Il est normal qu’une telle phase soit ouverte.
Pour vous répondre précisément quant aux informations comptables que les entreprises pourraient garder pour elles, nous avons demandé que la clause de sauvegarde s’applique à un nombre très restreint d’informations. La discussion se poursuivra avec le Parlement dans les prochaines semaines ; le rapporteur de ce projet de directive sera un député français de la délégation Renaissance. Ce débat va continuer, mais je tiens à répéter que c’est grâce à la France que ce projet a été débloqué après plusieurs années.
Je reviendrai, si vous le voulez bien, pour un débat plus large sur les droits à polluer et l’articulation avec le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
Quant aux certificats sanitaires, il ne s’agit certainement pas d’instaurer un passeport, ou un passe, vaccinal. Quoi qu’il arrive, et même quand la campagne de vaccination aura porté ses fruits pour la population adulte, d’ici à l’été, on ne peut pas exclure toute une partie de la population, en particulier les jeunes, de la possibilité de circuler en Europe.
Si passe il y a, il doit être sanitaire, et non pas seulement vaccinal : il faut donc, monsieur Kern, qu’il intègre d’autres modalités, comme le test PCR ou la preuve d’immunité consécutive au fait d’avoir contracté la covid-19.
Je ne reviendrai pas sur la question des supercalculateurs, mais je pense que mes éléments de réponse sur la souveraineté numérique pourront être pertinents face aux interrogations de Mme de Cidrac.
Quant à la PAC, madame Gruny, je vous propose de revenir plus en détail sur cette question dans le prolongement de notre précédent échange. Sachez en tout cas que je partage vos préoccupations !
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous remercie tout d’abord d’avoir été si studieux, en dépit de l’heure tardive de ce débat.
Je le conclurai très brièvement, en trois points.
Premièrement, en écho à André Gattolin et à l’idée d’une « refrancisation » de l’Europe en matière linguistique, je veux à mon tour faire mon mea culpa pour avoir utilisé le terme cloud dans mon exposé. Voyez-vous, monsieur le secrétaire d’État, j’ai un peu de mal à le traduire : il serait difficile d’employer « nuage » dans un tel discours… (Sourires.)
Je veux faire un parallèle immédiat avec l’un des sujets qui va être étudié par le Conseil européen : celui de l’autonomie stratégique. Le terme « autonomie » n’a pas la même compréhension dans ses différentes traductions ; nous pouvons le ressentir différemment que certains de nos voisins ; se pose donc ici un véritable enjeu.
Vous avez évoqué le deuxième enjeu de notre débat dans votre discours préliminaire, monsieur le secrétaire d’État, même s’il n’a pas de lien direct avec ce qui va être étudié par le Conseil européen : il est bon que la Conférence sur l’avenir de l’Europe puisse commencer.
Vous avez évoqué un délai d’un an pour ses travaux ; j’espère qu’il pourra être tenu, mais cela me paraît difficile si l’on veut lui donner l’ambition requise, car il faudra y être studieux et déterminer les échelles de consultation. En tout cas, cette conférence est essentielle pour la continuité européenne.
Pour mon troisième point, j’ai été sensible au discours d’André Reichardt et, en particulier, à ses propos sur le pacte de stabilité.
Un sujet commence d’émerger et nous tombera dessus dans peu de temps, d’ici à la fin de 2022. On commence à entendre des discours sur une reprise éventuellement plus rapide de ce pacte de la part des autres États, notamment de manière à écourter cette période, dès lors que l’on considérera être revenu à la normale.
Toutefois, qu’est-ce qu’un retour à la normale ? Est-ce la reprise de la croissance à un taux de 6 % ou 7 %, après une chute de 12 % ? Est-ce, plus modestement, retrouver le taux de croissance d’avant la crise ? Toutes ces questions sont ouvertes ; elles n’ont pas encore trouvé de réponses. Nous aimons bien, ici, fixer des critères : ils seront essentiels en la matière et il faudra les harmoniser à l’échelle européenne. Vous avez là un sacré travail, monsieur le secrétaire d’État !
Enfin, concernant la vaccination, en santé publique, on a un devoir de moyens. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je vais vous mettre la pression : vous avez à la fois un devoir de moyens et une obligation de résultats. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)