M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. Tout d’abord, je veux rappeler que ce débat a eu lieu grâce à une initiative prise par Michel Canevet, Nadège Havet et moi-même. Nous avions d’abord pensé à une commission d’enquête, tant le sujet est large, avant d’envisager la création d’une mission d’information. Finalement, le groupe Union Centriste ayant déjà exercé son droit de tirage, il a tenu à ce que la question soit abordée sous cette forme.
Le débat a été très riche puisqu’il a permis d’entendre de très nombreux collègues, y compris jusque dans le département des Ardennes, qui n’est pas pourtant pas un territoire maritime. (Sourires.)
Madame la ministre, vos réponses ont été beaucoup plus enthousiastes que précises. Qu’il s’agisse des questions sur la fiscalité, sur les financements en place ou sur la coordination des différentes politiques ministérielles, les informations transmises n’ont pas toujours été très nettes.
En tout cas, il y a un mot que je n’ai pas entendu, celui de « souveraineté ». Pourtant, lorsque l’on aborde la question du transport maritime, qu’il s’agisse des personnels ou des compagnies, c’est bien notre souveraineté qui est en jeu.
Deux observations s’imposent.
Premièrement, vous n’avez pas vraiment répondu à Catherine Fournier sur le duty free. Il serait bon que vous le fassiez de façon plus précise dans les jours qui viennent. Plus généralement, il serait intéressant que vous listiez l’ensemble des aides qui ont été accordées par l’État.
Pour éviter de créer de nouvelles iniquités, empêchons que certaines sociétés, parce qu’elles sont historiquement bien implantées, profitent des aides, quand d’autres, plus petites et moins visibles, n’en profitent pas !
Deuxièmement, je souhaiterais que, dans la perspective du prochain projet de loi de finances, vous et vos services, madame la ministre, puissiez mettre à notre disposition un document de politique transversale, autrement dit un « orange budgétaire », sur cette activité trans-Manche. Vous l’avez dit, cette politique concerne de nombreux ministères, à la fois celui de l’environnement, celui des transports et celui de l’économie. Un tel travail serait bienvenu : il permettrait de recenser l’ensemble des dispositifs dans un seul et même document, ce qui nous permettrait de travailler dans les meilleures conditions.
Nous ne sommes qu’au mois de mars. Aussi serait-il utile de tenir un autre débat sur les mesures fiscales attendues par les opérateurs, qu’il s’agisse de fiscalité directe ou de fiscalité sur les charges sociales. Ainsi, nous serions prêts pour les prochains projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Ce débat s’intercale entre les débats budgétaires de l’année dernière et le Fontenoy du Maritime que vous animez. Il a été passionnant, mais je crois qu’il ne constitue qu’une étape.
Je le répète, madame la ministre, il nous manque encore des réponses précises sur le duty free, les ports francs et l’ensemble des aides, autant d’éléments qui pourraient utilement figurer dans le document de politique transversale que j’appelle de mes vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, lors du scrutin n° 94 portant sur l’article 25 de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la sécurité globale, Claude Malhuret a été noté comme ayant voté pour alors qu’il souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
7
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires européennes, le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président Rapin, monsieur le président Cambon, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous présenter ce soir les sujets qui seront à l’ordre du jour du Conseil européen de jeudi et vendredi prochains. Celui-ci, pour des raisons sanitaires, se tiendra en visioconférence, et c’est le Président de la République qui représentera notre pays.
Le premier sujet qui sera abordé, sans doute le plus longuement, est celui de la situation sanitaire liée à la crise de la covid, dans toutes ses dimensions. Nous étudierons en particulier comment mieux coordonner les mesures de gestion que peut prendre l’Europe et les réponses qu’elle peut apporter.
Pour être très clair, la priorité est simple : il faut accélérer la campagne de vaccination en Europe, augmenter l’approvisionnement en doses de vaccin. À cette fin, je suis convaincu qu’il est essentiel de maintenir le cadre européen d’acquisition de ces doses, cadre qui, à ce jour, est non pas un problème mais la solution. Néanmoins, il faut renforcer la pression sur les laboratoires, s’assurer de la bonne exécution des contrats et ne négliger aucun outil, aucun mécanisme, pour garantir le plus rapidement possible, de manière complète et équitable, l’approvisionnement de l’Union européenne et de ses États membres en doses de vaccin.
Vous le savez, un débat s’est fait jour voilà quelques semaines sur le contrôle des exportations de vaccin. Un tel mécanisme a été mis en place, notamment à la demande de la France, par les institutions européennes au début du mois de février. La France défend le principe de réciprocité et d’équité qu’a proposé la Commission européenne. C’est ce à quoi veille celle-ci au travers des contrôles systématiques qui sont exercés sur les livraisons effectuées depuis l’Union européenne. Je précise que le but n’est pas de les interdire, car tel ne serait pas notre intérêt dans la mesure où, ayant aussi besoin d’importer des doses, nous devons en permettre, dans certains cas, l’exportation.
C’est donc dans ce cadre européen que nous assurerons au mieux la défense de ces intérêts. Nous en discuterons donc jeudi et vendredi.
Vous le savez, afin de tirer les leçons de ce qui n’a pas été suffisamment anticipé et de ce qui s’est révélé insuffisamment efficace dans cette crise sanitaire, la Commission européenne a également proposé – là aussi, c’était une demande qu’avait formulée la France voilà plusieurs mois – de mettre en place une forme d’agence européenne s’inspirant du modèle de l’agence fédérale américaine, la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda), dans le but de financer davantage, plus en amont et en prenant plus de risques, la recherche de solutions technologiques et médicales.
Si l’on veut être tout à fait honnête et transparent, il faut bien dire que c’est grâce à cela que les États-Unis d’Amérique ont pu obtenir un avantage décisif dans cette campagne de vaccination. C’est pourquoi nous devons en tirer les leçons pour l’Union européenne.
De fait, au mois de février, la Commission européenne a proposé de créer une autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire, appelée HERA (Health Emergency Response Authority). De premiers financements ont été proposés en préfiguration de cette agence.
Sur ce front sanitaire et vaccinal, ce point sera donc également à l’ordre du jour du Conseil de la fin de semaine.
Dans cette crise, il est important aussi que les Européens continuent à faire preuve de fermeté, d’unité et de solidarité. Vous avez constaté les tensions qui sont parfois apparues entre États européens face aux difficultés sanitaires et vaccinales que nous rencontrons tous. Je note d’ailleurs qu’à deux exceptions près, aucun État européen, malgré les tentations, n’est sorti de ce cadre, car il n’existe pas de solution miracle pour trouver des doses « cachées ». Chaque pays a donc fait l’expérience qu’il était dans notre intérêt de demeurer dans le cadre européen, pour une plus grande sûreté sur les plans tant scientifique qu’industriel.
Quand un pays membre est confronté, ponctuellement, à d’importantes difficultés, notre intérêt à la fois sanitaire et géopolitique doit nous conduire à faire jouer la solidarité européenne. C’est ce que nous avons fait collectivement à l’égard de deux pays européens particulièrement touchés ces dernières semaines, la République tchèque et la Slovaquie.
Et puisque cette entraide européenne fait parfois moins de bruit dans les médias que d’autres gestes géopolitiques, je tiens donc à le souligner : c’est d’abord d’un soutien européen dont ont bénéficié ces deux pays et d’autres, comme l’Autriche, plutôt que de solutions externes à l’Union européenne.
Cette approche de solidarité doit aussi se penser à l’échelle internationale. C’est la raison pour laquelle la France défend depuis plusieurs mois, par la voix du Président de la République, l’idée que le vaccin doit être considéré comme un bien public mondial et que l’accès à celui-ci doit être progressivement généralisé, indépendamment des moyens financiers, des capacités industrielles ou sanitaires de telle ou telle région du monde.
Non seulement cela correspond à nos valeurs, mais c’est aussi notre intérêt pour que la pandémie ne continue pas de frapper l’ensemble de la population mondiale et donc, in fine, l’Europe et la France.
C’est notamment l’initiative Covax qui porte cette ambition de solidarité internationale. Financée à plus de 40 % par l’Union européenne, elle a déjà permis d’ailleurs d’assurer de premiers approvisionnements à destination de pays en développement, en particulier en Afrique.
Il faut également accélérer la campagne vaccinale et préparer l’avenir. C’est pourquoi le Conseil européen se penchera sur l’après-crise sanitaire, qui devra être gérée de manière coordonnée. C’est notre devoir d’Européens d’anticiper et de coordonner ensemble, notamment – rêvons un peu – la levée progressive des mesures restrictives de circulation, mieux que nous ne l’avons fait après la première vague de la pandémie, l’été dernier.
C’est dans cet esprit que, le 17 mars dernier, la Commission européenne a proposé de créer un « certificat vert numérique », qu’on appelle parfois « pass sanitaire ». Selon nous, cette proposition va dans la bonne direction.
Cette solution de pass sanitaire n’est certes pas pour aujourd’hui. Nous avons dit à plusieurs reprises qu’elle était prématurée, ce qu’a répété le Président de la République lors du dernier sommet européen. Mais nous devons l’anticiper.
Deux critères principaux doivent être retenus.
D’une part, cette solution doit être européenne pour nous préserver de solutions nationales non coordonnées, voire incohérentes ou contradictoires, ce qui ne serait dans l’intérêt d’aucun pays. C’est ce vers quoi tend la proposition qu’a formulée le commissaire Thierry Breton voilà quelques jours.
D’autre part, cette solution ne doit pas reposer sur le seul vaccin car, même si nous nous employons à ce que la campagne de vaccination s’accélère partout en Europe, il est évident qu’à l’été, elle n’aura pas encore été généralisée à l’ensemble de la population, en particulier aux jeunes. Et donc opérer une discrimination entre générations et entre catégories d’âge serait une approche injuste. C’est aussi pour cette raison que la proposition de la Commission européenne intègre comme preuve sanitaire non seulement le vaccin, mais aussi d’autres éléments, comme un test négatif ou une infection préalable à la covid, laquelle apporte une protection au moins pour quelques mois.
Autre enjeu de ce Conseil européen, au-delà de l’après-crise sanitaire : renforcer notre économie, faire face aux conséquences de cette crise en poursuivant la construction d’une autonomie stratégique de l’Europe, redonner aux secteurs économiques les plus touchés une ambition européenne plus forte. Seront donc évoquées les questions de politique industrielle et le marché unique.
La France défend en l’espèce, depuis plusieurs années, un certain nombre de priorités, notamment le renforcement de notre politique commerciale qui, tout en restant ouverte vers le monde extérieur, doit être capable de garantir une meilleure lutte antidumping, une meilleure autonomie stratégique, l’équité dans l’accès aux marchés publics.
Nous demanderons une nouvelle fois, à l’occasion de ce Conseil européen, que soit relancé le travail législatif au niveau de l’Union européenne.
Nous défendrons aussi, dans cet esprit de reconstruction économique, l’accélération des plans de relance, du plan de relance européen en particulier. Voilà maintenant six semaines, votre assemblée a voté les ressources propres permettant de financer ce plan ; cependant, il reste encore quatorze pays européens qui doivent faire de même. C’est aussi ce message d’urgence et d’accélération que nous ferons passer.
Dans ce débat sur le marché unique et sur le renforcement de notre économie, un point spécifique sera consacré à la question du numérique.
Vous le savez, depuis maintenant plus de trois ans, la France porte l’ambition d’une taxation juste des entreprises du numérique, qui, souvent, échappent à quasiment toute imposition. Il y a un peu plus de deux ans, les pays européens ont collectivement pris la décision de renvoyer ces travaux à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La nouvelle administration américaine a adressé des signaux positifs en faveur de leur reprise dans un tel cadre international.
Néanmoins, il faut être très clair : si ces travaux n’aboutissent pas ou, dans le cas où ils aboutiraient, s’ils doivent faire l’objet de précisions, nous devrons reprendre le fil des discussions européennes dès la fin du premier semestre 2021. Nous attendons d’ailleurs de la Commission européenne une proposition législative sur de nouvelles ressources propres budgétaires, notamment une taxe numérique au niveau européen. Ce sera là sans doute un point de débat difficile de ce sommet européen, mais nous devrons à nouveau porter cette initiative.
Le Conseil européen sera l’occasion de discuter de l’agenda international. Plusieurs points ont été renvoyés à ce sommet, cependant qu’un nouveau – je le signale à votre assemblée – vient de s’ajouter à cet agenda : le président du Conseil européen, Charles Michel, a annoncé cet après-midi que le président américain Joe Biden serait, en fin de journée jeudi, connecté à la visioconférence des chefs d’État et de gouvernement pour un échange sur la nouvelle relation transatlantique.
Plusieurs points étaient déjà à l’ordre du jour de ces échanges, notamment une question relative à la Turquie. Nous avons demandé, au mois de décembre, au Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, de faire un point complet de la relation entre l’Union européenne et la Turquie pour étudier les signaux adressés par celle-ci après la pression que les Vingt-Sept, la France en tête, avaient exercée sur elle à la suite du Conseil européen qui s’est tenu à la fin de l’année 2020.
Vous le savez, ces signaux sont ambigus et parfois contradictoires. Certains, il faut le reconnaître, sont positifs.
Ainsi, en Méditerranée orientale, les forages illégaux ont, à ce stade, cessé et des bateaux qui menaçaient de porter atteinte à la souveraineté de la Grèce ou de Chypre ont été retirés des eaux concernées. A contrario, dans d’autres domaines, qui touchent à son paysage politique et partisan, la Turquie a adressé ces derniers jours encore des signaux préoccupants. Ce week-end, dans un registre différent mais tout aussi préoccupant, elle a annoncé se retirer de la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, une décision que, avec Jean-Yves Le Drian et Elisabeth Moreno, nous avons profondément regrettée.
Par conséquent, Josep Borrell fera donc un point aussi transparent et complet que possible. Si besoin était, nous avons préparé des mesures restrictives, mais nous donnerons sans doute jusqu’au mois de juin à la Turquie pour clarifier sa position, pour marquer sa volonté de dialogue ou d’escalade. Nous restons ouverts au dialogue, mais l’Europe se prépare à faire preuve de fermeté, si nécessaire, dans la continuité de celle qu’a fait prévaloir la France ces derniers mois.
Une même approche de dialogue et de fermeté sera poursuivie à l’égard de la Russie. Un point sur cette question est également inscrit à l’ordre du jour de ce Conseil européen.
J’ajoute un dernier élément.
Un sommet entre l’Union européenne et l’Inde étant prévu au mois de mai, sous la présidence portugaise, la France souhaite ajouter à la discussion de l’agenda international un point sur la région indo-pacifique, dans le but de construire une stratégie européenne à destination de cette zone. Ces derniers jours, les États-Unis et le Royaume-Uni, en manifestant une volonté d’implication plus forte, ont signifié que cet espace géopolitique était pour eux une priorité. Le souhait de la France est que l’Europe manifeste une pareille ambition.
Pour conclure, je veux indiquer que, voilà quelques jours, un accord a enfin été trouvé pour le lancement de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
Même s’il ne fera pas l’objet d’une discussion entre les chefs d’État et de gouvernement, il s’agit là d’un point d’actualité important. Il devrait trouver dans les prochaines semaines une traduction concrète puisque le 9 mai seront lancés les premiers débats entre les trois institutions européennes. Seront sollicitées les contributions de l’ensemble des parlements nationaux, de l’ensemble des gouvernements des États membres et de toute autre instance – association, fédération, etc. – qui souhaiterait, pour une année, participer à ce débat sur les orientations à long terme de l’Union européenne.
Puisque nous parlions de l’après-crise, nous devrons aussi réfléchir aux réformes importantes qui pourront être mises œuvre au sein de l’Union européenne, et dont la présidence française aura à connaître à partir de 2022. (M. André Gattolin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des formes armées. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen abordera évidemment la nouvelle relation euro-britannique, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle connaît en ce moment une phase critique.
Il va falloir empêcher la dérive politique et symbolique du Royaume-Uni, loin de notre continent. L’année dernière, Boris Johnson avait remis en cause le protocole irlandais au mépris de la signature britannique. Certes, il s’est ravisé in extremis pour arracher un accord commercial, mais on sait que les partis unionistes d’Irlande du Nord n’en contestent pas moins les contrôles en mer d’Irlande qu’implique le marché unique.
Et voilà maintenant que le Royaume-Uni revient à nouveau sur ses engagements, en prolongeant de six mois la dispense provisoire de contrôle sanitaire des produits agroalimentaires passant de la Grande-Bretagne à l’Irlande du Nord !
L’Union européenne vient certes de mettre en demeure le Royaume-Uni de renoncer à cette décision illégale, mais la question très sensible de la frontière irlandaise s’est déjà envenimée avec la tentative avortée des autorités européennes d’y contrôler les livraisons de vaccins au Royaume-Uni.
Et c’est à juste titre que l’Union européenne exige maintenant que les livraisons de vaccins prévues aux contrats soient honorées : la Commission devrait adresser une mise en demeure au groupe AstraZeneca, afin que ses usines britanniques livrent enfin les Vingt-Sept.
L’Europe a passé les contrats nécessaires ; elle ne peut accepter de plus grands retards dans la vaccination. Monsieur le secrétaire d’État, il y va de la crédibilité des institutions européennes ; elles ont là l’occasion de montrer le visage d’une Europe qui protège et non d’une Europe qui échoue.
Au-delà de la dimension sanitaire, il y a évidemment un enjeu politique considérable dans ce dossier.
Dans cette perspective, il faut souligner à nouveau l’importance du Royaume-Uni dans la défense européenne, au moment où les Vingt-Sept élaborent leur « boussole stratégique » et où ce pays, de son côté, publie sa Revue stratégique.
Désormais, les membres de l’Union européenne ne représentent plus que 20 % des dépenses militaires des pays membres de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), comme se plaît à le rappeler son secrétaire général, Jens Stoltenberg.
Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, la question de la défense européenne mobilise notre assemblée de manière constante. Sur ce sujet, il est naturellement indispensable de préciser la relation de l’Union européenne avec l’OTAN. Le Président de la République, je n’en doute pas, aura à cœur de le faire.
L’Union européenne peut et doit améliorer sa résilience et sa capacité de défense pour conquérir son autonomie. Que les États-Unis réinvestissent l’OTAN, tant mieux ! Qu’ils aient un regain de considération pour l’Europe, tant mieux ! Que l’Organisation se préoccupe du flanc sud de l’Europe, tant mieux !
Mais prenons garde que les Européens, trop heureux d’éprouver à nouveau la solidité du parapluie de l’OTAN, se laissent entraîner dans cette dangereuse confrontation qui se profile entre les États-Unis et la Chine : l’amitié et la solidarité ne sont pas l’alignement.
Enfin, l’Union européenne est, par exemple, bien mieux placée que l’OTAN pour sanctionner les actes hostiles d’une Turquie membre de l’Alliance.
Les travaux sur la « boussole stratégique » offrent peut-être une fenêtre pour nous entendre afin d’organiser notre sécurité et notre défense conformément à nos valeurs et à nos intérêts. Du reste, cela n’est pas contradictoire avec le rôle dévolu à l’OTAN.
Je sais pouvoir compter sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour que la France s’investisse pleinement dans cette démarche de la « boussole stratégique », que nous suivons pas à pas.
Cette démarche pourra s’enrichir d’une étude bienvenue, à savoir la vision pour la transformation numérique de l’Europe d’ici à 2030, que le Conseil des ministres va examiner.
Qu’il s’agisse d’intelligence artificielle, de stockage des données ou de cybersécurité, l’enjeu du numérique est fondamental pour l’autonomie stratégique de l’Union. Il irrigue tous les domaines de la défense et de la sécurité, mais aussi notre tissu industriel et de recherche. L’Union européenne peut encore rester dans la course si elle a la volonté d’avancer.
Concernant la cybersécurité, les dernières attaques dont les États-Unis ont été victimes montrent la prégnance de la menace cyber.
Je l’observe avec soulagement : l’Europe est de plus en plus lucide sur le mélange de menaces et d’opportunités que représente le numérique.
Autre sujet majeur abordé au Conseil : la Turquie.
Monsieur le secrétaire d’État, gardons-nous de lui envoyer des signaux trop positifs ! Certes, elle a retiré son navire de forage Oruç Reis de la zone de recherche en mer Égée, et fait de l’adhésion à l’Union européenne une « priorité stratégique » ; certes, elle a entamé des concertations exploratoires avec la Grèce. Mais ses refus d’inspection dans le cadre de l’opération Irini, son attitude en Libye, sa réaffirmation de l’illégitimité du droit de la mer et une tension qui reste palpable en Méditerranée orientale doivent nous laisser sur nos gardes.
Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, le retrait de la Turquie, annoncé samedi, de la convention d’Istanbul sur les violences faites aux femmes montre que, derrière les paroles apaisantes, les désaccords de fond sont profonds. Puissent les discussions sur le rapport que le Haut Représentant de l’Union européenne doit présenter sur la Turquie être à la hauteur de ces enjeux !
L’Union européenne doit aussi affiner sa doctrine quant à l’approche du dossier russe. Vous connaissez la position du Sénat : nécessaire fermeté, mais ouverture permanente au dialogue avec ce grand voisin et défense de nos intérêts économiques.
Sur tous ces sujets, monsieur le secrétaire d’État, vous avez notre confiance, mais le chemin est encore bien long et nécessite du courage pour faire advenir une Europe plus forte, plus unie et plus autonome. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il ne fait pas de doute que les difficultés liées à la campagne de vaccination à travers l’Europe occuperont une part considérable des échanges du Conseil européen de cette semaine, plusieurs points de son ordre du jour intéressent plus directement notre commission des finances.
Alors que le Conseil européen examinera les priorités pour le second semestre 2021, je mentionnerai ce soir deux principaux points d’attention.
Tout d’abord, la commission des finances suit avec grande attention la mise en œuvre de la réponse budgétaire de l’Union européenne à la crise sanitaire, au regard des perspectives de reprise économique de l’Union.
En juillet dernier, tous les États membres se sont accordés sur la mise en œuvre d’un plan de relance. Où en sommes-nous huit mois plus tard ? Si la France a rapidement approuvé la décision « ressources propres », indispensable pour permettre à la Commission européenne de lever les ressources nécessaires au plan de relance sur les marchés, à ce jour, seuls neuf autres États membres ont suivi la même dynamique.
Or, au travers de la ratification de cette décision, se joue une véritable course contre la montre pour la reprise économique. En effet, tant que le plan de relance européen n’est pas mis en œuvre, les budgets nationaux restent en première ligne pour soutenir l’économie, au risque d’accentuer davantage les déséquilibres macroéconomiques entre les États membres.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous faire un point d’étape sur la ratification de la décision « ressources propres » et ses blocages ? Le Gouvernement espère-t-il toujours une entrée en application de celle-ci d’ici avant l’été ?
En outre, s’il n’est pas encore mis en œuvre, le plan de relance européen semble, selon certains, déjà insuffisant. La semaine dernière, son dimensionnement a même alimenté les divergences entre les membres du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), comparé notamment aux 1 900 milliards de dollars du plan de relance américain.
Il faut donc, à tout le moins, engager les fonds rapidement pour que la relance budgétaire européenne ne soit pas reléguée en deuxième division.
En outre, pour bénéficier des subventions du plan de relance européen, encore faut-il que les États membres fassent valider leur plan national pour la reprise et la résilience. Les discussions entre le Gouvernement et la Commission européenne sur son contenu ont déjà commencé il y a plusieurs mois.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous établir devant nous un état des lieux de ces échanges et nous confirmer le calendrier de transmission au Parlement du plan national pour la reprise et la résilience ? Cette transmission aura-t-elle lieu à la fin du mois d’avril, en même temps que le programme de stabilité ? Le plan français est-il à la hauteur des objectifs devant être satisfaits pour solliciter les fonds ?
Le second point à l’ordre du jour du Conseil européen qui intéresse tout particulièrement la commission des finances est le bilan des travaux sur la fiscalité de l’économie numérique, lequel devrait être discuté entre les États membres.
Prenant acte de l’échec des discussions entre les États membres sur les propositions de la Commission européenne datant de 2018, la France a introduit en 2019 une taxe sur les services numériques. Toutefois, cette solution ne peut qu’être temporaire, en attendant que les négociations au niveau de l’OCDE aboutissent.
Si les contraintes de l’unanimité en matière fiscale restent entières, l’année 2021 pourrait offrir un contexte renouvelé à ces discussions entre les États membres.
Premièrement, la Commission européenne est tenue de présenter une nouvelle proposition de ressource fondée sur une redevance numérique, et ce avant le mois de juin. Dans cette perspective, l’introduction de nouvelles ressources propres de l’Union européenne pour soulager les États membres du remboursement du plan de relance constitue assurément une incitation sans précédent à progresser sur ce dossier.
Deuxièmement, plusieurs États membres ont désormais mis en place une taxation proche de la « taxe GAFA à la française », tels que l’Autriche, l’Italie, l’Espagne ou encore la République tchèque.
Toutefois, la prudence reste de mise, compte tenu de la persistance d’opinions divergentes entre les États membres.
Surtout, l’articulation avec les négociations à l’OCDE reste, semble-t-il, incertaine à ce stade : envisageons-nous une solution européenne subsidiaire ou complémentaire ? Il s’agit d’une question centrale, alors qu’un accord semble de nouveau possible à la faveur des positions prises par la nouvelle administration américaine.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous faire le point sur le message que la France entend porter sur ce dossier au Conseil européen de cette semaine ? Des progrès par rapport au Conseil européen de novembre dernier peuvent-ils être attendus ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDSE.)