M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Céline Brulin, vous soulignez qu’aucune aide spécifique n’a été débloquée en faveur des opérateurs de liaisons trans-Manche. Vous êtes toutefois obligée de reconnaître que les différents dispositifs mis en place par le Gouvernement, notamment le net wage, ont permis d’accompagner l’ensemble des compagnies de ferries.
Permettez-moi de corriger un point relatif au net wage. J’ai indiqué tout à l’heure que le décret devrait être prêt pour le 30 mars, qu’il serait ensuite publié et que cette aide serait mise en place en juillet. Or le rendez-vous est bien, non pas en juillet, mais en mai. Autrement dit, nous y sommes…
Si aucune mesure spécifique n’a été mise en place, toutes ces mesures globales ont permis malgré tout de passer ce moment difficile qui, certes, se poursuit, mais du fait cette fois de la crise sanitaire. Ces mesures de soutien ont permis d’éviter tout licenciement. Telle était la priorité du Gouvernement, et nous avons atteint notre objectif. Je souhaite que nous poursuivions l’accompagnement des entreprises afin de garantir l’emploi maritime.
Vous m’avez également interrogée sur l’EES, c’est-à-dire le système des entrées/sorties qui a été instauré par l’Europe en 2017. Le Royaume-Uni étant désormais un pays tiers, ce système doit être mis en place à nos frontières avec ce pays. La France compte 33 points de passage aux frontières maritimes où ce document sera exigé. Ce nouveau contexte nous impose de réaliser des aménagements et des investissements complémentaires pour assurer une fluidification du passage. Un système de pré-enregistrement sera également mis en place. Il est actuellement encore à l’étude, mais sera annoncé sous peu.
Nous disposons encore d’un peu de temps, puisque l’entrée en vigueur de cette attestation n’interviendra qu’en mai 2022, mais nous y travaillons d’ores et déjà avec l’ensemble des territoires qui seront concernés.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Vous n’avez pas répondu à ma question relative à la ligne, opérée en DSP, Dieppe-Newhaven, qui est très importante pour mon département de la Seine-Maritime. Or, a priori, il n’est pas prévu qu’elle bénéficie du net wage, mais peut-être ce point pourrait-il être étudié.
Par ailleurs, vous affirmez que nous avons le temps de nous préparer aux nouvelles contraintes liées aux entrées et aux sorties de nos ports. Permettez-moi d’insister, car les acteurs alertent sur l’étendue des travaux et le coût des équipements et des infrastructures que cela impliquera. Il me semble nécessaire de consacrer des crédits du plan de relance à ces investissements.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier.
Mme Catherine Fournier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les entreprises du trans-Manche sont aujourd’hui victimes d’une situation exceptionnelle à double titre, du fait du Brexit et de la mise en place de mesures sanitaires strictes à la frontière du Royaume-Uni.
Dans le Pas-de-Calais, les entreprises privées assurant la liaison trans-Manche emploient plus de 10 000 personnes, et bien davantage à l’échelon national. Aujourd’hui, ces entreprises souffrent.
Elles souffrent du Brexit qui a réduit le marché des échanges de 27 % et nécessité des investissements qui se chiffrent en dizaines de millions d’euros. Comme l’a rappelé Mme la ministre, Eurotunnel a investi 48 millions d’euros afin de réaliser des infrastructures imposées par le Gouvernement.
Elles souffrent aussi de la covid qui a conduit à fermer la frontière de la Grande-Bretagne plus que toutes les autres, comme pour sanctionner une nouvelle fois les Britanniques de leur départ de l’Union européenne, alors que finalement, c’est nous qui souffrons.
Certaines entreprises ont déjà présenté leur plan de licenciements ; d’autres, comme Eurotunnel, cherchent à maintenir l’emploi en attendant une réponse gouvernementale à la hauteur des enjeux.
De plus, dans la continuité de l’accord Brexit, il est impératif de contrôler l’effectivité du protocole nord-irlandais repoussé unilatéralement au mois d’octobre 2021, ce qui détourne la frontière et constitue une concurrence déloyale inacceptable à l’entrée du territoire européen. Il est très important que le Gouvernement établisse un dialogue constructif et direct avec le Royaume-Uni.
Pour la suite, des propositions concrètes existent : un véritable plan de relance des entreprises du trans-Manche, et plus largement, des emplois logistiques et touristiques de la façade Manche-Mer du Nord ; la mise en place du duty free pour le tunnel et les ports, qui ne dépend plus que de l’autorisation du Gouvernement car la Commission n’a pas émis d’objection ; la simplification des conditions de voyage vers la France pour les Britanniques vaccinés ; le redémarrage du trafic Eurostar par le soutien de l’État avec, en contrepartie, des arrêts à Calais-Fréthun, nouvelle porte d’entrée de l’Union européenne. Qu’attendons-nous encore pour mettre en place ces mesures de bon sens ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Catherine Fournier, permettez-moi de répondre d’abord à votre dernière question.
La société Eurostar connaît effectivement de lourdes difficultés, principalement en raison de la crise sanitaire. Son chiffre d’affaires a chuté en 2020 de 75 % par rapport à 2019. Malgré la mise en place d’un prêt bancaire de 450 millions d’euros en juin dernier et l’aide des actionnaires à hauteur de 210 millions d’euros, le maintien des restrictions de circulation fait craindre une nouvelle crise de liquidités dès le deuxième semestre 2021. Nous y veillons et nous y travaillons.
C’est pourquoi les services du ministre chargé des transports et leurs homologues britanniques mettent tout en œuvre afin de trouver des solutions pour soutenir l’entreprise et assurer l’avenir de cette liaison ferroviaire trans-Manche.
Tout comme les Français, le Gouvernement est étroitement attaché au ferroviaire. C’est pourquoi nous avons engagé un plan massif visant à renforcer le rail en général, dans le transport tant de marchandises que de voyageurs. Malgré le Brexit, les trafics demeurent importants. Par ailleurs, la création de zones duty free demandée par Getlink permettra de trouver de nouvelles ressources.
Le transit par Eurotunnel reste absolument considérable. Chaque année, il est emprunté par 22 millions de passagers – la moitié via l’Eurostar et l’autre moitié via les navettes passagers Eurotunnel. Nous veillons à consolider l’ensemble de ces moyens de transport trans-Manche pour que ces liaisons puissent perdurer. On m’indique que la baisse de chiffre d’affaires enregistrée par Eurostar n’est pas de 75 %, comme je l’ai dit, mais de 25 %. Je suis pourtant persuadée que la baisse est beaucoup plus importante, mais nous allons le vérifier.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble du Gouvernement est mobilisé sur ces sujets. Les nombreux déplacements de ministres dans les territoires montrent que nous avons été présents et que nous le resterons. Le Président de la République et le Premier ministre nous ont d’ailleurs demandé de dresser un bilan de toutes ces opérations dans les quinze jours qui viennent.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Madame la ministre, comme l’a indiqué Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance de Brittany Ferries, lors de l’assemblée générale de la semaine dernière, la crise sanitaire s’ajoutant à celle du Brexit a frappé la compagnie trans-Manche d’une double peine. Celle-ci lutte avec beaucoup de difficulté depuis un an pour préserver les emplois et maintenir son activité.
Mais à l’heure où la contamination est loin d’être maîtrisée dans toute l’Europe, et même si la campagne de vaccination bat son plein et que les mesures sont drastiques, un certain nombre de passagers qui embarquent sur ces compagnies trans-Manche ne sont pas astreints aux mesures sanitaires qui sont exigées pour tous les autres voyageurs.
Ainsi, en dépit de toutes les précautions sanitaires mises en œuvre, les enfants de moins de 11 ans sont en contact direct avec les marins, le personnel navigant et les autres passagers. Or les enfants n’entrent pas dans le programme de vaccination en Europe, et cela bien que différentes études, dont l’une est parue aujourd’hui, montrent que les jeunes enfants ne sont pas moins contaminants que les adultes.
De même, depuis le décret du 20 février dernier, les chauffeurs de poids lourds revenant en France depuis le Royaume-Uni n’ont plus besoin de présenter un test de dépistage s’ils sont restés moins de quarante-huit heures sur le sol britannique.
Les marins et le personnel navigant de ces compagnies maritimes courent donc le risque d’être contaminés. Devant ce danger potentiel, et une fois l’ensemble des publics prioritaires vaccinés – comme c’est déjà le cas pour les personnes âgées en Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), et comme ce sera le cas dès la mi-avril pour tous les enseignants, ainsi qu’Emmanuel Macron l’a annoncé aujourd’hui à Valenciennes –, est-il envisageable que la nouvelle stratégie vaccinale esquissée par le Président de la République, et ciblée sur des professions exposées, soit ouverte à d’autres secteurs les plus en contact avec la population, à l’exemple des salariés du trans-Manche ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Jean-Michel Houllegatte, je suis entièrement d’accord avec vous. Lors de la première vague de la crise sanitaire, la France a très tôt reconnu les marins comme des travailleurs essentiels. Nous avons mesuré à quel point notre approvisionnement dépendait de leur travail. Je tiens d’ailleurs à les remercier, ainsi que l’ensemble des acteurs portuaires, d’avoir permis que nous soyons régulièrement avitaillés.
Les gens de mer – il faut le rappeler – sont également reconnus comme travailleurs prioritaires aux échelons européen et international. Ils ont donc l’autorisation de franchir les frontières intérieures et extérieures sur présentation de leur carte professionnelle et de l’attestation de déplacement.
Le sujet que vous soulevez a déjà été abordé par mon ministère. Il est en cours d’instruction au sein de la cellule de crise interministérielle que nous avons mise en place. Après les annonces du Président de la République relatives aux enseignants, j’ai réitéré cette demande car les gens de mer sont également un public prioritaire que nous devons mieux protéger et vacciner rapidement. C’est pour moi une préoccupation quotidienne.
Permettez-moi d’avoir une pensée pour les trois marins pêcheurs qui sont actuellement hospitalisés dans l’océan Indien ou le Pacifique. Je souhaite apporter des solutions rapidement afin que de telles situations ne se renouvellent pas.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Permettez-moi de souligner que cette problématique de la vaccination n’est pas négligeable au plan économique. En effet, les conclusions de la dernière étude sur les destinations touristiques sont encourageantes puisqu’elles indiquent que la clientèle britannique, qui représente 80 % des traversées, est prête à revenir en France. En 2019, ces traversées ont induit près de 9 millions de nuitées. Il serait dommageable que ces circulations trans-Manche estivales soient perturbées en raison de l’indisponibilité sanitaire des marins.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Voilà presque trois mois que le Royaume-Uni est définitivement sorti de l’Union européenne. Les entreprises du trans-Manche, tout comme les ports de la façade Nord-Ouest, qu’ils soient situés dans les Hauts-de-France, en Normandie ou en Bretagne, n’ont pas attendu la date fatidique du 1er janvier dernier pour anticiper cette nouvelle réalité.
Tous les acteurs ont montré leur capacité de résilience et d’adaptation aux conséquences de cette séparation. Ce qu’ils n’avaient pas anticipé, c’est la crise sanitaire qui entraîne un choc supplémentaire et concomitant. Les acteurs du trans-Manche subissent ainsi la double peine – Brexit et covid-19 –, sans oublier la concurrence des grands ports du nord de l’Europe. Ils sont aujourd’hui très inquiets et se trouvent dans une situation critique.
Une réserve d’ajustement au Brexit est prévue pour en atténuer l’impact et soutenir les secteurs les plus touchés. Face à l’injuste répartition de cette réserve que propose la Commission européenne, j’ai appelé avec mon collègue Christian Cambon à un rééquilibrage de cette enveloppe au profit de notre pays et, par conséquent, de l’ensemble des collectivités et entreprises concernées.
Les opérateurs du trans-Manche – je tiens à insister sur le rôle et la place des ports dans ce système – doivent pouvoir bénéficier de ces fonds pour couvrir les dépenses d’aménagement requises par le retrait britannique. Je rappelle que 70 % des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne transitent par le Nord de France.
Les structures portuaires, avec le concours des régions, ont été contraintes de réaliser des investissements importants : outils de contrôle douanier, nouveaux terminaux, etc. D’après l’Union des ports de France, près de 20 millions d’euros ont déjà été investis, et ce montant devrait doubler d’ici à la fin 2023.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que ces dépenses réalisées très en amont par les opérateurs seront couvertes par la réserve d’ajustement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le député Jean-François Rapin, vous avez raison de souligner que la France dans sa globalité, le Gouvernement, mais aussi les collectivités et l’ensemble des acteurs économiques ont anticipé le Brexit. Ces acteurs, et plus largement les Français, ceux qui vivent au bord de la mer comme ceux du monde rural – mon collègue Joël Giraud l’a rappelé tout à l’heure – ont cette capacité de résilience qui nous permet de nous adapter à des situations très difficiles. En revanche, nous n’avions pas anticipé la crise sanitaire qui nous a frappés et qui a sensiblement compliqué les choses.
Les investissements ont effectivement été importants. J’aurai l’occasion de rappeler ultérieurement les montants investis pour chaque territoire et chaque port. Nous ne pouvons que nous féliciter de ces investissements substantiels déjà réalisés et de ceux qui sont à venir car, comme vous le savez, nous avons encore du travail à faire.
La réserve d’ajustement a vocation à compenser les dépenses engagées par les collectivités, les entreprises et l’État. Des débats sont en cours à l’échelon européen. Ils ne sont complètement satisfaisants ni sur le volume, ni sur les répartitions entre pays, ni en termes d’aménagement portuaire ou de pêche. Nous devons continuer à argumenter, à expliquer et à monter nos dossiers pour obtenir des réponses à la hauteur de ce que vous attendez.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.
M. Jean-François Rapin. Madame la ministre, je vous invite à consulter la proposition de résolution européenne relative à la réserve d’ajustement au Brexit, qui a été déposée par la commission des affaires européennes la semaine dernière…
M. Jean-François Rapin. C’est un bel exercice de soutien à la politique nationale menée au niveau européen, dont on ne peut que s’inspirer.
Nous formulons deux propositions : premièrement, que les rééquilibrages se fassent financièrement, et, deuxièmement, que la prise en compte de la temporalité dans la répartition de la réserve d’ajustement soit revue et corrigée. En effet, il n’est pas normal que les collectivités qui ont investi bien en amont soient pénalisées aujourd’hui. C’est le cas dans ma région comme dans d’autres régions littorales.
Permettez-moi d’insister, madame la ministre, pour que le Gouvernement soit bataillant sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la ministre, le Brexit est une opportunité ! Aussi incroyable que ce soit, après plus de quatre années de négociations complexes, ces mots sont parfois prononcés dans les Hauts-de-France dès que l’on approche le port de Dunkerque et son écosystème.
Le territoire dunkerquois a compris très tôt l’importance qu’allait revêtir le départ des Britanniques sur la relation trans-Manche et l’économie en résultant. J’ai eu de nombreux échanges avec les acteurs de terrain, particulièrement les autorités portuaires et les entreprises. La préparation du Brexit a été très bien organisée. Je salue la capacité d’adaptation et la réactivité dont chacun a su faire preuve. Les services de l’État, notamment douaniers, ont mis en place un accompagnement efficace.
Le port de Dunkerque a transformé son activité, réorganisé sa distribution et anticipé tous les cas de figure. L’annonce de l’accord de commerce et de coopération fut, tout de même, un soulagement pour nos entreprises.
Le port a saisi les opportunités qui s’offraient à lui, et il devrait prendre prochainement la place de premier port européen pour le trafic avec l’Irlande. Pour l’instant, la connexion avec Douvres n’est pas endommagée. C’est la conséquence des réserves que les Anglais ont accumulées à la fin de l’année dernière et de la chute du trafic due à la pandémie de covid-19.
Bien sûr, certains effets négatifs devront être contrés ! Je pense notamment aux difficultés qui pourraient menacer la fluidité de circulation sur l’autoroute A16, ce qui inquiète les transporteurs de la région. Je pense aussi à de possibles dérives dans les années à venir. Nos entrepreneurs restent vigilants et demandent à disposer de moyens d’alerte pour pouvoir réagir si l’accord était bafoué, particulièrement en cas de concurrence déloyale.
L’Europe doit pouvoir se défendre et rester unie. À cet égard, la flexibilité importante des ports belges ou encore hollandais, tout comme la création de ports francs en Angleterre, ne peuvent que nous interpeller.
Madame la ministre, quelle est votre position quant à la création de zones économiques spéciales (ZES) dans le port de Dunkerque et sur son littoral, suggérée par le député du Nord, Paul Christophe ?
Ces ZES ont pour objectif majeur de favoriser une fiscalité du territoire avantageuse en matière d’emploi, ce qui permettra de réindustrialiser les ports en renforçant leur attractivité. L’avenir des entreprises qui assurent les liaisons trans-Manche en dépend.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Decool, vous l’avez dit, le Royaume-Uni a pris l’initiative de créer dix ports francs. La France ne sera pas en reste. À la demande du Président de la République, le Premier ministre a annoncé lors du dernier CIMer, le 22 janvier 2021, qu’il travaillerait sur le sujet.
J’ai dit précédemment, parce qu’il me semble parfois que le temps est un peu trop lent, que nous venions « enfin » de lancer cette réflexion sur les leviers qui permettront à la France de se doter de zones industrialo-portuaires, le terme désignant à peu près la même chose que les ZES.
Nous sommes donc favorables à leur développement et nous y travaillons. Nous indiquons aux investisseurs qu’ils pourront bénéficier non seulement d’une meilleure attractivité fiscale et douanière, mais aussi d’une simplification administrative, notamment en matière environnementale. Notre objectif est de mettre les ports français sur un pied d’égalité avec les autres ports européens.
Quels que soient les dispositifs qui seront retenus, ils devront s’inscrire dans la mise en œuvre de la transition écologique, sujet central qui est au cœur des politiques menées par le Gouvernement. Il n’en va pas autrement des « ports francs », si du moins ce terme a un sens, car au-delà des zones que le Royaume-Uni s’apprête à créer, il recouvre une pluralité de statuts, sans doute très différents d’un côté et de l’autre de la Manche.
Je sais combien le littoral de Dunkerque est exposé aux conséquences du Brexit. Cependant, il va également bénéficier de nouvelles opportunités. Vous avez mentionné à juste titre les liaisons avec l’Irlande. En effet, le port de Dunkerque a reçu, cette semaine, la dix-millième unité de fret réalisée depuis janvier 2021 via la ligne de Dunkerque à Rosslare.
Mieux vaut considérer que dans le cadre de la crise sanitaire, comme dans celui du Brexit, des opportunités s’offrent à la France. Elles existent à Dunkerque, et plus largement dans le domaine du shipping. La France doit pouvoir prétendre au titre de nouvelle place du shipping.
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin.
M. Pascal Martin. Madame la ministre, les liaisons maritimes entre la France et la Grande-Bretagne sont vitales pour notre économie. Une étude réalisée en 2020 révèle que la ligne de ferries reliant Dieppe à Newhaven, reprise depuis 2001 par le conseil départemental de la Seine-Maritime, sous forme d’une DSP, génère 48 millions d’euros par an de retombées à l’échelle départementale, 82 millions d’euros à l’échelle régionale et 219 millions d’euros à l’échelle nationale. Or il ne s’agit pas de la plus importante des lignes trans-Manche.
Cependant, les entreprises qui assurent les dessertes trans-Manche sont économiquement précaires. C’est la raison pour laquelle les collectivités les soutiennent financièrement. Le Brexit risque de remettre en cause ce fragile équilibre. Je remercie donc nos collègues Nathalie Goulet et Michel Canevet pour ce débat.
Les liaisons trans-Manche ne figurent pas dans le deal du Brexit, ce qui suscite une incertitude quant à leur avenir. Il n’est pas certain que les collectivités aient encore le droit d’aider financièrement les entreprises de ferries comme elles l’ont fait jusqu’à présent.
Précédemment, dans les dossiers portés à sa connaissance sur le sujet, l’Union européenne a pris acte d’un soutien public et ne l’a pas interdit. Elle n’a pas non plus condamné la France au titre d’une aide d’État.
Par ailleurs, un équilibre non coopératif se met en place. Les Anglais achètent aux compagnies des capacités de transport pour leurs approvisionnements vitaux, les faisant ainsi bénéficier d’une forme de soutien au détriment des besoins de transport français.
Enfin, le Brexit peut être une occasion de rééquilibrer la situation. En effet, pour l’instant, les lignes profitent aux deux pays, mais ne sont soutenues financièrement que par la France.
Dans ces conditions, madame la ministre, allez-vous négocier avec la Grande-Bretagne des accords spécifiques sur les liaisons maritimes trans-Manche ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Pascal Martin, comme vous le rappelez avec justesse, une partie non négligeable du trafic trans-Manche bénéficie d’un soutien des collectivités, et il faut le saluer. Ce soutien peut notamment prendre la forme – la sénatrice Brulin l’a rappelé – de délégations de service public, en dépit de l’absence d’obligation en la matière.
Avant même le Brexit, en raison de la crise sanitaire de 2020, le Royaume-Uni et l’Irlande, dont je rappelle qu’elle est très dépendante du trafic maritime, ont apporté un soutien financier direct à un certain nombre d’armateurs, notamment des opérateurs français, pour qu’ils maintiennent ces lignes vitales pour l’approvisionnement de leurs territoires.
À ce stade, la France a choisi – je l’ai précisé lors de mes interventions précédentes – d’apporter un soutien économique direct aux armateurs, tant par le biais des mesures de droit commun que j’ai citées que par celui de dispositifs spécifiques. Ce choix de soutenir les compagnies plutôt que les lignes doit permettre de préserver l’emploi. Notre priorité reste en effet de protéger la situation économique et sociale des entreprises.
Quant à l’opportunité d’un accord spécifique aux liaisons trans-Manche avec le Royaume-Uni, elle n’est pas d’actualité. Mieux vaut le dire en toute franchise ! Toutefois, soyez assuré que l’État restera très attentif aux conditions sociales et environnementales dans lesquelles opèrent les concurrents de nos armateurs sur ces lignes.
C’est l’une des priorités de notre action. Dans ce domaine comme dans d’autres, j’entends continuer à mener le combat contre le dumping social et environnemental, afin de maintenir les conditions d’une concurrence loyale dans les activités trans-Manche.
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, pour la réplique.
M. Pascal Martin. Madame la ministre, je regrette que, selon vos mots, il n’y ait pas d’« opportunité » d’accord avec le Royaume-Uni, compte tenu des enjeux économiques majeurs.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Madame la ministre, « quand la mer baisse, les rochers montent ! » (Sourires.) Je vous invite à voir dans ce vieux dicton marin une métaphore de la situation de l’activité trans-Manche. La baisse concerne les volumes de trafic qui, sous l’effet du Brexit et de la crise sanitaire, s’effondrent.
À Dieppe – je suis moi aussi un élu de la Seine-Maritime –, l’opérateur DFDS Seaways a enregistré une diminution de 66 % du trafic de passagers. Alors que celui-ci représentait 50 % du chiffre d’affaires de l’entreprise en 2019, il ne constitue plus aujourd’hui que 2 % de l’activité.
La baisse de volumes touche aussi le fret, après une légère embellie à la fin de 2020, alors que les Britanniques constituaient des stocks.
Cette situation précipitera les compagnies sur les rochers, tout droit vers le naufrage, si des mesures fortes ne sont pas prises. Tous les opérateurs ne partagent pas nécessairement votre optimisme.
Ainsi, DFDS Seaways a engagé un premier plan social qui prévoit le départ de 152 personnes sur les sites de Calais et Dieppe, par redéploiement et départs volontaires, avec heureusement un seul licenciement.
La situation peut cependant empirer. Une année touristique blanche se profile, les droits de port augmentent pour financer les gros investissements indispensables pour s’adapter au Brexit, et la subvention britannique dont DFDS Seaways bénéficie, grâce à un appel à candidatures, disparaîtra au plus tard au mois de juin prochain, et peut-être plus rapidement.
À court terme, les deux bateaux qui assurent la liaison entre Dieppe et Newhaven, ou au mieux un seul, risquent de rester à quai, ce qui entraînera le licenciement de 66 membres d’équipage. À moyen terme, la question de la pérennité de la ligne et celle du pavillon se posent.
Les entreprises ont besoin d’être aidées, particulièrement DFDS Seaways, dont l’activité relève d’une délégation de service public sur cette liaison, comme mes collègues l’ont déjà dit. À ce titre, la compagnie ne bénéficie pas du remboursement des charges sociales salariales des marins.
Plus largement, il y va de la relance du pavillon français : si son excellence est reconnue, son coût reste de 20 % à 30 % supérieur aux autres pavillons, lorsqu’il s’agit d’armer un ferry.
Aussi, madame la ministre, que ce soit dans le plan de relance ou dans des dispositions particulières relevant de l’Union européenne, nous attendons un soutien accru aux lignes trans-Manche. Nous souhaitons aussi vous voir mettre en œuvre une stratégie de promotion de la destination France auprès du public britannique, pour relancer la fréquentation touristique.