Mme Cécile Cukierman. Ça va être de notre faute !
M. Gérald Darmanin, ministre. … que l’on assiste à des attaques répétées contre les biens et les personnes, des attaques insupportables contre les policiers et les gendarmes. On dénombre très exactement 3 000 policiers et gendarmes blessés dans des manifestations depuis trois ans : 3 000 ! Et nous devrions estimer que c’est la police qui est responsable de ce que vous critiquez ?
Il va de soi que la police de la République doit respecter une déontologie, bénéficier d’une formation et de moyens et, évidemment, subir des sanctions et se soumettre à des inspections lorsque certains de ses membres salissent l’uniforme de la République ; mais je me refuse à prendre une petite partie pour le tout.
Vous avez défendu une position extrêmement politique. Je me permets de vous dire que vous vous trompez de combat : la protection des individus et des biens est une grande mesure sociale. J’estime être à la tête d’un grand ministère social, parce que nous sommes là quand plus personne n’est là. Les policiers sont des urgentistes, qui interviennent après que tout le monde a failli.
Je terminerai, madame Assassi, en vous disant que, s’il y a des lois antiterroristes, c’est parce qu’il y a des terroristes, et que, s’il y a des lois pour la sécurité, c’est parce qu’il y a des délinquants ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Vous n’avez pas répondu à la question !
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous inscrivons dans la démarche de nos collègues du groupe CRCE.
En effet, on pouvait espérer qu’une proposition de loi, encore intitulée « sécurité globale », s’attelle d’abord à améliorer les conditions de travail et la formation des policiers, à lutter contre le mal-être de nombreux agents, à renforcer les équipes, à restaurer dans la sérénité une confiance entamée entre la France et sa police, à exiger une police exemplaire qui protège en luttant avec fermeté contre toutes les dérives, même marginales, qu’il s’agisse de violence, d’actes de racisme ou de sexisme, à créer une autorité indépendante de contrôle de la police pour lutter contre l’impunité, à revoir une doctrine de maintien de l’ordre qui, trop souvent, tue et mutile des manifestants, à réinvestir les quartiers populaires en créant une véritable police de proximité.
Rien de tout cela !
À la place, on nous propose un désengagement massif de l’État, qui se défausse de ses responsabilités sur les polices municipales et la sécurité privée, désengagement qui porte en germe un renforcement dramatique des inégalités territoriales, une course à l’armement qui s’apparente à une véritable fuite en avant sécuritaire, une dérive orwellienne de surveillance de masse, qui, avec le funeste article 24 notamment, piétine les droits des individus et les libertés publiques, au premier rang desquels la liberté d’informer et le droit de manifester.
On ne peine guère à trouver outre-Atlantique le modèle qui vous inspire, et il fait froid dans le dos ! Une image glaçante vient à l’esprit : celle de ces polices municipales américaines, plus équipées que des soldats, moins formées que des réservistes de la gendarmerie, qui abattent dans le dos des citoyens en fuite, le plus souvent afro-américains. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Naturellement, cette perspective effrayante nous est proposée par un ancien chef du RAID, sans avis du Conseil d’État ni étude d’impact, le tout en plein état d’urgence sanitaire, alors que le droit de manifester est contraint, et ce contre l’avis de toutes les associations de défense des libertés publiques ou de la Défenseure des droits.
M. Jean Bacci. Vous préférez le Venezuela ?
M. Guillaume Gontard. N’en jetez plus, la coupe est pleine !
Alors que la crise sanitaire dure et nous épuise, que la crise économique et sociale s’aggrave jour après jour, qu’il nous faut inventer le monde d’après, sobre et résilient, le Gouvernement n’a rien d’autre à proposer aux Françaises et aux Français que la poursuite de cette dérive sécuritaire et liberticide.
Triste spectacle que…
Mme le président. Il faut conclure.
M. Guillaume Gontard. … ce Gouvernement impuissant devant les défis…
Mme le président. Merci, mon cher collègue.
M. Guillaume Gontard. … qui nous font face, réduit à agiter les peurs…
Mme le président. Vous avez dépassé votre temps de parole.
M. Guillaume Gontard. … et à chasser sur les terres du Rassemblement national. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Je suis assez étonné que le débat s’engage dans les termes que l’on nous a proposés.
Réfuter le caractère politique d’un débat parlementaire sur la sécurité publique est un peu surprenant. Si nous sommes là pour parler de diverses mesures techniques intéressant la police, la gendarmerie et la police municipale, il n’est peut-être pas utile que nous soyons aussi nombreux dans l’hémicycle.
Il s’agit donc bien d’un texte politique. Tolérez qu’un certain nombre d’entre nous, ici, dans cet hémicycle, considèrent que l’équilibre entre sécurité et libertés publiques soit un sujet dont on doit se préoccuper. Si Éliane Assassi a déposé, au nom de son groupe, une motion tendant à opposer la question préalable, c’est justement parce que ce texte pose cette question.
Alors, évidemment, ce n’est pas une révolution, mais on perçoit un glissement dans le rapport entre la police et la population. Quand le préfet Lallement dit à une manifestante : « Nous ne sommes pas dans le même camp, madame », il s’agit bien – n’en déplaise au ministre – d’un glissement.
La police de la République est issue de la République. D’ailleurs, cher Henri Leroy, sur ces travées, nous sommes tout aussi attachés à la sécurité des policiers et des gendarmes que vous.
M. Jérôme Bascher. Prouvez-le !
M. Jérôme Durain. Ne nous accusez pas du sort qui leur a été fait, des blessures qui leur ont été infligées, des décès que les forces de l’ordre ont eu à déplorer. Nous y sommes très attachés.
Nous sommes aussi très attachés à ce que policiers, gendarmes et policiers municipaux puissent travailler dans de bonnes conditions. C’est précisément la raison pour laquelle nous allons développer des arguments dans ce débat.
Il nous semble que, en guise de continuum, vous nous proposez une confusion. Tout le monde va tout faire, mais personne ne va rien faire correctement, et pas partout !
Les polices municipales sont inégalitaires, parce que toutes les municipalités n’ont pas les mêmes moyens. Les policiers municipaux, qui devront assurer le lien avec la population, vont faire ce que devrait faire la police d’État, laquelle conservera les seules missions de police judiciaire, de renseignement et de maintien de l’ordre. Il y a là un glissement dont nous allons, je l’espère, passer de longues minutes à débattre.
S’agissant des défenseurs des libertés publiques, je ne crois pas qu’ils soient tous mélenchonistes. Quand la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’inquiète de certaines évolutions qui pourraient découler du texte, elle pose des questions que nous devons tous nous poser. Nombreux sont ceux, juristes, avocats, magistrats et journalistes, qui débattent de ces questions dans le débat public.
Nous sommes à notre place quand nous posons ces questions et quand nous soutenons la motion déposée par le groupe communiste : nous voulons une police de la République, issue de la République, qui défende la sécurité et la liberté ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 70, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 90 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 254 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme le président. Dans la suite de la discussion générale, mes chers collègues, je vous demande de respecter vos temps de parole.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi relative à la sécurité globale aurait mérité, à mon sens, d’être examinée en même temps que le prochain projet de loi confortant le respect des principes de la République, car il existe une osmose entre ces deux textes. Il est tout de même un peu dommage d’avoir « tronçonné » la discussion de ces textes, dans la mesure où l’examen de l’un rejaillit sur l’examen de l’autre, et réciproquement.
Quoi qu’il en soit, je ne peux que me réjouir de ce que ce texte essaie d’inscrire les différents acteurs de la sécurité, la police et la gendarmerie, mais aussi les polices municipales, dans une même logique. On peut cependant regretter que le texte vise avant tout les polices municipales, la police nationale et la gendarmerie, et que d’autres acteurs, d’autres agents publics participant aux missions de sécurité, soient un peu oubliés.
C’était le cas, dans le texte que nous a transmis l’Assemblée nationale, des gardes champêtres, par exemple. Monsieur le ministre, je ne vois pas pourquoi ces gardes champêtres ne sont pas traités comme les policiers municipaux.
M. Loïc Hervé, rapporteur. On ne va pas passer trois minutes sur les gardes champêtres !
M. Jean Louis Masson. Il s’agit en effet d’employés municipaux, qui jouent un rôle très semblable à celui des policiers municipaux. C’est un exemple parmi d’autres : de nombreux autres services de l’État ou services parapublics auraient mérité de mieux figurer dans ce texte. Il en est un peu question dans cette proposition de loi, mais insuffisamment : je pense notamment aux agents de la police ferroviaire et des douanes.
Parfois, on peut même se poser des questions sur l’action de la police nationale. Dans mon département, par exemple, la police a récemment été informée de l’existence d’un trafic de drogue, mais il a finalement fallu que ce soient les douanes qui interviennent pour contrôler les voitures suspectées. En effet, dans certains cas, lorsqu’il ne s’agit pas d’une intervention de nature judiciaire, la police a finalement moins de pouvoirs que les douanes. Dans d’autres cas, c’est bien entendu l’inverse.
Plus généralement, il faut bien voir que, face à la délinquance, ce texte a un peu trop tendance à réduire les libertés de tous ceux qui fonctionnent normalement, autrement dit les libertés de la population générale, plutôt qu’à se concentrer sur les délinquants et les criminels de tous bords. C’est peut-être là sa faiblesse.
Cela me fait penser à un ex-candidat à l’élection présidentielle, qui voulait absolument passer la racaille au Kärcher, qui n’a finalement rien passé du tout et, sous l’autorité duquel – une fois qu’il a été élu Président de la République –, la délinquance et la criminalité…
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. … ont finalement prospéré. D’ailleurs, pour soutenir la délinquance…
Mme le président. Merci !
M. Jean Louis Masson. J’en termine, madame la présidente, plus que trente secondes…
Mme le président. Sûrement pas ! Vous avez dépassé votre temps de parole ! (Rires ironiques.)
M. Jean Louis Masson. Pour soutenir la délinquance, ce président avait même supprimé 10 000 emplois de policiers !
Mme le président. Merci !
M. Jean Louis Masson. Vive le Kärcher ! (Rires ironiques.)
Mme le président. Mon cher collègue, je vous prie de bien vouloir porter correctement votre masque, jusqu’au nez. Cette remarque est valable pour l’ensemble de l’hémicycle.
La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Bernard Fialaire et Arnaud de Belenet applaudissent également.)
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de la moitié de nos concitoyens se sentent en insécurité au quotidien.
Cette triste réalité est reflétée par un sondage paru en fin d’année dernière, mais aussi par l’actualité. Il est urgent de remédier à une telle situation. L’ordre public et la sécurité se trouvent en effet au fondement de la vie en société et de l’exercice des libertés.
Assurer la sécurité de nos concitoyens est l’une des missions les plus essentielles de l’État. Même si d’autres acteurs y concourent au sein d’un « continuum de sécurité », c’est à l’État qu’il revient de faire respecter les lois sur le territoire national et de permettre une activité sereine.
Les policiers municipaux et les gardes champêtres sont un important pilier. Ces agents sont présents en permanence sur les territoires des communes qui ont pu les recruter. Ils sont proches des habitants et de leurs préoccupations. Nous soutenons donc l’expérimentation visant à confier à certaines polices municipales des prérogatives de police judiciaire. Elle permettra de déterminer le bon niveau d’exercice de ces compétences.
À ce titre, nous insistons sur la nécessité d’une bonne complémentarité entre les polices nationale et municipale, notamment l’indispensable compatibilité entre leurs outils informatiques.
Il faut néanmoins prendre garde à ne pas creuser davantage le fossé entre la ville et la campagne. Toutes les communes n’ont pas les moyens de recruter des agents de police municipale, et nombre de celles qui ont pu en recruter ne disposent pas d’effectifs suffisants pour participer à l’expérimentation prévue à l’article 1er.
Je me félicite à cet égard de ce que la commission des lois ait abaissé le seuil à quinze agents. La question de la pérennisation de l’expérimentation se posera nécessairement. Il faudra veiller à ce que les petites communes ne soient pas pénalisées à cette occasion et que la sécurité soit uniforme sur l’ensemble de notre territoire.
L’autre acteur de la sécurité est le secteur privé. Nous soutenons l’encadrement de la sous-traitance, qui améliorera la clarté de l’exécution de ces contrats. Dans les domaines de l’accès à la profession et du contrôle par le Cnaps, la commission a proposé des rééquilibrages bienvenus, qui devraient emporter l’adhésion.
En plus de ces deux piliers, le texte que nous examinons a été enrichi, par rapport à celui qui avait été initialement déposé, d’un volet relatif à la vidéoprotection.
Les récentes décisions de la CNIL et du Conseil d’État interdisant l’usage de drones munis de caméras à des fins d’ordre public impliquaient de définir le régime légal de leur utilisation.
S’il est important de donner à nos forces de l’ordre un accès à cette technologie, il est indispensable d’encadrer son usage pour protéger les libertés publiques et garantir la validité des procédures fondées sur de tels éléments de preuve. À cet égard, je me réjouis que la commission ait pris en compte les recommandations de la CNIL. L’encadrement proposé est à même de renforcer la confiance placée dans la vidéoprotection.
Par ailleurs, nous soutenons le choix d’écarter la possibilité offerte aux forces de l’ordre de diffuser des images aux fins d’information du public sur les circonstances d’une intervention. Il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal.
Enfin, concernant le renforcement de la protection des forces de l’ordre, nous regrettons que l’article 24 ait été la source de vives polémiques, alimentées par des déclarations malheureuses.
Il faut défendre ceux qui nous défendent. En la matière, la rédaction proposée par nos rapporteurs nous semble meilleure, sans qu’elle parvienne toutefois à résoudre toutes les difficultés. Nos forces de l’ordre ont avant tout besoin de moyens matériels suffisants pour remplir leur mission sereinement.
L’ensemble des mesures figurant dans ce texte contribue à l’amélioration de la sécurité de nos concitoyens. La question des moyens financiers consacrés à nos forces de l’ordre reste cependant centrale. Nous serons à vos côtés, monsieur le ministre, chaque fois qu’il sera question d’améliorer les conditions de sécurité de nos gendarmes et de nos policiers, car il y va en définitive de la protection de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Murmures accentués sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le contexte de crise sanitaire a déjà fortement ébranlé nos libertés individuelles et collectives, le Gouvernement et la majorité LaREM font le choix de les miner plus encore avec ce texte, témoignage d’un virage ultrasécuritaire et droitier à la veille de l’élection présidentielle.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Il ne faut pas exagérer !
Mme Esther Benbassa. La commission propose que cette proposition de loi dite de « sécurité globale » s’intitule désormais « pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés ».
M. Loïc Hervé, rapporteur. Bien trouvé, n’est-ce pas ? (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. C’est un curieux titre pour un texte qui se soucie si peu des libertés. (M. Loïc Hervé, rapporteur, proteste.)
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Vous devriez venir plus souvent en commission des lois, madame Benbassa !
Mme Esther Benbassa. Cette proposition de loi, conçue à l’origine pour acter un élargissement des compétences de la police municipale, s’est vue détournée de son objet principal. Elle est en réalité pilotée par le Gouvernement, lui-même aux ordres des syndicats de police les moins progressistes, et impose des dispositions dangereuses, dénoncées par maints observateurs, dont les rapporteurs du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la Défenseure des droits et la CNCDH.
La version du texte qui nous est soumise ne saurait satisfaire mon groupe, compte tenu des nombreuses atteintes aux droits et libertés fondamentales qu’elle comporte toujours et le peu de garanties qui ont été introduites.
Certaines modifications apportées par la commission des lois peuvent, bien sûr, être saluées. Celle-ci a, par exemple, supprimé l’article 20 bis, qui prévoyait la transmission d’images provenant des systèmes de vidéoprotection installés dans les parties communes d’immeubles.
De même, la réécriture de l’article 24, qui crée un délit de « provocation à l’identification », permet de limiter l’impact de la disposition initiale sur la liberté de la presse, même si, dans le même temps, elle introduit une sanction plus dure.
Le réel problème que soulève l’article 24 n’a cependant pas été réglé. L’infraction prévue porte encore atteinte de manière disproportionnée à la liberté d’expression ; elle crée un obstacle supplémentaire au contrôle des policiers et des gendarmes et, par conséquent, à l’action de la justice.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Ce n’est pas vrai !
Mme Esther Benbassa. Monsieur Daubresse, ce n’est pas un dialogue ! J’aimerais terminer mon intervention.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je n’ai rien dit,…
M. Alain Richard. Oui, mais notre collègue a compris d’où venait le danger ! (Sourires.)
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. … mais je l’ai pensé très fort ! (Nouveaux sourires.)
Mme Esther Benbassa. Steve Maia Caniço, Cédric Chouviat, Michel Zecler, nous avons tous à l’esprit ces victimes dont nous n’aurions rien su ou qui n’auraient pas pu se défendre sans ces images.
Les articles 21, 22 et 22 bis concernent le déploiement et l’intensification de la vidéosurveillance, ce à quoi nous, écologistes, nous opposons.
Entre surveillance de masse « en marche » et instillation de la peur, ce gouvernement a fait le choix de la doctrine Big Brother. L’usage des drones, particulièrement intrusif, inquiète légitimement, tant il est lui aussi susceptible de brider la liberté de manifester.
Nous disons également non au maintien de l’article 25, qui prévoit la possibilité, pour les policiers nationaux et les militaires de la gendarmerie, de conserver leur arme en dehors des heures de service et dans des établissements recevant du public.
Reconnaissons enfin que ce texte n’a hélas de « global » que le nom. Il manque d’ambition et ne s’appuie sur aucune vision complète et réellement novatrice de la sécurité en France.
Rien n’a été pensé quant à la formation des policiers, notamment sur les questions de la lutte contre tous les types de discrimination.
Rien n’a été envisagé non plus pour remédier aux contrôles au faciès, aux violences policières ou encore à cette culture de l’impunité qui jette le discrédit sur l’image des forces de l’ordre, et contribue à saper le lien de confiance nécessaire entre celles-ci et la population.
Briser l’omerta qui protège les agents violents quand la majorité des bons agents en subissent les conséquences aurait constitué une réponse juste. D’où ma question : à quand une inspection générale de la police nationale (IGPN) indépendante ?
Prétextant une situation sécuritaire dégradée, le Gouvernement alimente en réalité, et sans réel fondement, une surenchère sécuritaire dans notre pays au travers de ce projet de loi déguisé en proposition de loi.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-sept, est reprise à seize heures.)
M. Alain Richard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons, aujourd’hui, demain et après-demain, d’une proposition de loi d’une réelle ampleur, qui nous donne l’occasion d’améliorer, de façon significative, les moyens concrets de la sécurité de nos concitoyens ; c’est de cela que je souhaite parler.
Certes, des questions de principe ont pu être abordées et pourront l’être de nouveau au cours du débat ; c’est, comme toujours, légitime. Néanmoins, je suggère au Sénat d’observer qu’aucun des cadres classiques du droit de la sécurité publique, ces cadres éprouvés et reconnus comme constitutionnels qui sont la base de notre législation dans les trois domaines concernés, n’est affecté par les dispositions de ce texte, tel qu’il nous arrive de l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un texte de moyens et non de changement de principes.
En effet, ne sont modifiés ni le statut ou les relations avec l’État des polices municipales, ni le cadre d’action de la sécurité privée, ni les principes de l’utilisation des images vidéo en matière de sécurité publique. Nous abordons, je le répète, un texte de moyens, de modalités, de développement des capacités.
L’Assemblée nationale et le Gouvernement ont cherché à donner à cette proposition de loi les bons outils d’efficacité ; cela a également été la volonté, je tiens à le souligner, des deux rapporteurs au fond – Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé –, dont le travail méthodique a bien préparé notre débat, ainsi que celle du rapporteur pour avis.
Je commencerai par un mot de diagnostic. Les effectifs disponibles sont en progression dans les trois ensembles : police et gendarmerie nationales, police municipale, y compris gardes champêtres, et sécurité privée, mais les besoins de présence et d’intervention, sans cesse plus intenses, dans un contexte que je ne décris pas – stupéfiants et délinquance associée, terrorisme, criminalité organisée et délinquance de proximité, qui font face à l’aspiration des citoyens à un cadre de vie stable et respecté –, imposent de chercher l’efficacité.
Il n’y a pas de baguette magique pour augmenter les effectifs. Indépendamment du problème budgétaire, il y a des limites au recrutement dans les trois secteurs : on observe des difficultés de recrutement, du point de vue de la qualité et du nombre des candidats, tant dans la police municipale que dans la police nationale, la gendarmerie et la sécurité privée ; prenons d’ailleurs garde de trop abaisser le niveau du recrutement. J’ajoute que les formations initiales sont importantes et coûteuses en effectifs.
Par conséquent, il est bienvenu de travailler sur le gain d’efficacité et de clarté dans les cadres opérationnels des trois types de force. C’est ce que le présent texte tend à faire.
Au cours des précieuses minutes de mon temps de parole, je souhaite surtout insister sur le premier secteur, l’élargissement des capacités des polices municipales. Cet élargissement est largement souhaité sur toutes les travées ; il tient compte de la présence de proximité de la police municipale, de sa connaissance fine du terrain, de l’élévation régulière de ses capacités, de ses qualifications et de son accoutumance à la coopération quotidienne avec la police nationale et avec la gendarmerie.
Ainsi, ce texte lance une expérimentation de grande ampleur, ouvrant aux polices municipales comptant plus de quinze agents qualifiés la capacité de relever des infractions dans plusieurs champs qui – nous le savons tous – comptent beaucoup dans l’atmosphère de sécurité locale. J’en cite quelques-unes, pour montrer que l’on n’est pas non plus en train de bouleverser l’équilibre des pouvoirs : la vente à la sauvette, les infractions à la législation des débits de boissons et de l’ivresse publique, la dégradation de biens publics, le défaut de permis de conduire et d’assurance, les obstacles déposés sur la voie publique, l’intrusion sur les terrains communaux ou dans les locaux communaux, les occupations de parties communes d’immeuble ou encore la consommation de stupéfiants. Qui peut dire que les polices municipales ne sont pas légitimes pour intervenir face à ces types de délits ? Le cadrage me semble avoir été bien fait et il faut, selon moi, s’en tenir là.
Bien sûr, il peut y avoir un débat, tout à fait justifié et respectable, sur certaines de ces capacités, mais le cadre me semble particulièrement sécurisant du point de vue des libertés, puisque cette évolution reposera sur le volontariat de chaque commune, après délibération, qu’il y aura un contrôle attentif du procureur et que la convention de coopération avec la police nationale sera renouvelée, adaptée.
Des propos négatifs ont été tenus à propos d’un « retrait » ou d’un « transfert » de la police nationale. Je veux le souligner devant les collègues qui ont tenu ces propos, rien, dans ce texte, ne prévoit un retrait quelconque des prérogatives de la police ou de la gendarmerie nationales, ce qui serait d’ailleurs contradictoire avec la nature même de ces forces de sécurité.
En revanche, la coopération sera plus équilibrée, puisqu’elle permettra aux forces nationales de réserver leurs interventions aux situations les plus porteuses de risque sécuritaire. Il n’y a par ailleurs pas de mal à prévoir un nombre très important de communes volontaires pour cette expérimentation.
Je souhaite également exprimer ma satisfaction à voir arriver une réponse à une demande ancienne de nombre d’entre nous : la possibilité de mutualiser les polices municipales par un syndicat intercommunal, de sorte que le rapport entre employeur, champ géographique et type d’autorité soit bien clarifié, pour les cas, nombreux, où une communauté n’est pas en mesure d’assurer cette mission.
En ce qui concerne la sécurité privée, le texte procède à une mise à jour et à l’accroissement de la vigilance des autorités publiques sur le fonctionnement des sociétés concernées. Je le signale, aucun des articles du code de la sécurité intérieure qui énumèrent, de façon limitative, les interventions et les droits d’action des sociétés de sécurité privées n’est modifié. Ce qui change, ce sont les règles de recrutement, de formation et de discipline, ainsi que les conditions de contrôle de la sécurité privée par la police et par le Cnaps.