Mme Éliane Assassi. … mais on ne leur en donne pas les moyens. »
Plutôt que de prendre des mesures qui ne feront qu’aggraver les conditions de détention, il est au contraire urgent, selon nous, de réfléchir globalement au système pénal que nous souhaitons pour notre pays. Les études sur le sujet sont unanimes : la seule manière de lutter contre la surpopulation carcérale, et donc contre les conditions de détention indignes, est d’engager un grand plan de décroissance carcérale.
Cela irait à rebours des choix des gouvernements successifs, qui ont prôné une plus grande sévérité en matière de répression et une plus grande rapidité dans l’exécution des réponses pénales : alourdissement des peines et de la fermeté des sanctions prononcées par les juridictions, d’un côté ; extension du champ d’action de la procédure de comparution immédiate et volonté de mise à exécution des peines, de l’autre. Il faut y ajouter l’augmentation du nombre de personnes placées en détention provisoire.
Seule la mise en place d’une politique publique de désinflation carcérale sera en mesure de mettre un terme aux échecs des politiques antérieures. Cette proposition de loi doit entrer en vigueur rapidement, mais, surtout, ouvrir la voie à un débat plus large en la matière et à d’autres propositions pour améliorer notre système punitif. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi déposée par notre collègue François-Noël Buffet, qui vise à faire cesser une situation insupportable pour le pays des droits de l’homme. Prenant acte des divers arrêts et sanctions visant notre République, cette proposition a deux objets principaux. Le premier, c’est de garantir à tous les détenus des conditions de détention compatibles avec le principe de dignité de la personne humaine. Le second, c’est de créer une voie de recours effective lorsque sa dignité est bafouée.
Mes chers collègues, nous partageons le même constat sur toutes les travées depuis de nombreuses années : la situation carcérale, notamment au sein des maisons d’arrêt, n’est plus supportable dans un pays comme le nôtre.
Depuis le début des années 2000, le nombre de détenus en France a augmenté chaque année, alors que, pendant cette période, le nombre de places supplémentaires a crû moins vite, voire a diminué dans certains établissements.
Quand, en Allemagne ou au Royaume-Uni, la population carcérale des établissements pénitentiaires demeure légèrement en deçà du taux d’occupation maximal, aux alentours de 96 % du nombre de places opérationnelles, nous sommes à 116 % en France. La situation est encore plus critique au sein des maisons d’arrêt.
Déjà, en 2000, un rapport du Sénat, rédigé par nos anciens collègues Guy-Pierre Cabanel et Jean-Jacques Hyest évoquait « des prisons républicaines aux oubliettes de la société », ce qui représentait « une honte et une humiliation pour la République ».
En 2019, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté établissait que la densité moyenne des maisons d’arrêt en France était de 138 personnes pour 100 places opérationnelles, 44 de ces établissements ayant une densité supérieure à 150 %. Pour certains, le taux d’occupation peut aller jusqu’à 200 %, voire 213 %. Je pense ici au quartier de la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Ducos en Martinique.
Cette situation est bien connue des pouvoirs publics depuis une dizaine d’années. Elle fait peser au-dessus de nos têtes une permanente épée de Damoclès. La France avait déjà été condamnée pour la première fois à ce sujet en 2013. Il s’agissait alors de la maison d’arrêt Charles-III de Nancy. Pour autant, nos établissements pénitentiaires sont toujours surpeuplés et, bien souvent, les conditions de détention au sein des maisons d’arrêt sont considérées comme indignes. Il est question de vétusté, d’insalubrité, de trop grande promiscuité. C’est malheureusement souvent une réalité.
En effet, alors que tout propriétaire privé doit légalement garantir à ses locataires une surface habitable d’au moins neuf mètres carrés, il n’est pas rare que l’État français fasse cohabiter plusieurs codétenus dans une cellule de huit mètres carrés, avec un ou plusieurs matelas au sol. Cette situation est indigne.
Alors qu’en pleine crise sanitaire, pour assurer la protection de la santé de l’ensemble de nos concitoyens, des mesures drastiques de distanciation physique s’imposent à tous, depuis maintenant presque un an, l’opinion publique a découvert qu’il n’était pas rare que trois codétenus partagent la même cellule. C’est cette situation que vivaient bon nombre des trente-deux requérants qui ont intenté une action contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme. C’est donc tout logiquement que, le 30 janvier 2020, cette instance nous a, encore une fois, rappelés à l’ordre au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose que « nul ne peut être soumis […] à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Pour le moment, nous échappons à la mise en œuvre de la procédure dite de « l’arrêt pilote », une procédure qui permet d’identifier des problèmes structurels et, surtout, d’imposer des mesures d’amélioration à l’État concerné. Nous ne pourrons pas éternellement y échapper, ce qui serait humiliant, vous en conviendrez, pour le pays des Lumières et des droits de l’homme.
Il s’agit donc de mettre fin à l’existence d’un problème structurel qui ternit l’image de la France en Europe. En matière de surpopulation carcérale, et je m’adresse ici au Gouvernement, la situation exige, comme le précise la Cour de Strasbourg, « l’adoption de mesures générales et structurelles visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention ».
À la problématique des conditions de détention indignes, conséquence d’une surpopulation carcérale, s’ajoute la question du droit de recours effectif. Lorsque l’on a le sentiment que son droit à la dignité est bafoué, il n’y a rien de plus dramatique que le sentiment d’être abandonné par la Nation.
En se mettant au diapason de la juridiction européenne, le Conseil constitutionnel, dans une décision qui brille par sa clarté et sa fermeté, est venu sanctionner le silence de la loi, le 2 octobre dernier. En résonance avec la Cour de Strasbourg, qui a constaté, à raison, que le pouvoir d’injonction du juge des référés n’était que de portée limitée, notre juge constitutionnel a également sanctionné notre incompétence en considérant que, trop souvent, les recours dont disposent les détenus sont inefficaces et inopérants en pratique.
Nous devons en tirer l’enseignement qu’un effort et une action collectifs sont nécessaires sur cette problématique. En premier lieu, c’est à nous, législateurs, qu’il incombe de modifier la loi pour faire cesser cette anomalie. Ce sera, ensuite au Gouvernement, ou plus précisément à l’administration pénitentiaire, de prévenir au maximum toute atteinte à la dignité des personnes détenues. Enfin, il reviendra au juge judiciaire, garant de la liberté individuelle, de mettre en œuvre toute mesure de nature à faire cesser une atteinte à la dignité lorsqu’il sera saisi d’une situation individuelle.
Nous saluons encore une fois l’initiative prise par le président Buffet devant l’inaction du Gouvernement, alors que la date butoir fixée par le Conseil constitutionnel se rapprochait. Nous saluons également la qualité du travail réalisé par notre rapporteur, Christophe-André Frassa, qui a su, dans le temps très limité dont il disposait, proposer à notre commission des améliorations bienvenues.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, en attendant que soit mise en œuvre une réorganisation structurelle et profonde de notre service public pénitentiaire, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi sans réserve.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui intervient après l’arrêt de condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre de la France du 30 janvier 2020. La France a alors été condamnée à indemniser trente-deux personnes incarcérées dans un certain nombre d’établissements pénitentiaires de métropole et d’outre-mer.
La Cour européenne des droits de l’homme a notamment relevé des conditions indignes de détention de ces prisonniers, considérant qu’elles étaient constitutives d’un mauvais traitement au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour cette instance juridictionnelle, le minimum requis pour assurer la dignité que l’on est en droit d’attendre n’est pas respecté en France : possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée ; aération disponible ; accès à la lumière et à l’air naturels ; qualité du chauffage ou encore respect des exigences sanitaires de base. De même, elle a relevé la présence de nuisibles, tels que des cafards, des rats, des poux, des punaises ou autres parasites. Elle en appelle donc à traiter ces mauvaises conditions par des moyens plus appropriés de désinfection, des produits d’entretien, des fumigations et en procédant à des vérifications régulières des cellules, ainsi qu’à prendre des mesures visant à résorber véritablement la surpopulation carcérale.
Cet arrêt de condamnation du 30 janvier 2020 relève enfin, et c’est là un point important, le non-respect de l’article 13 de la Convention européenne, qui reconnaît à toute personne dont les droits et libertés ont été violés un droit à un recours effectif devant une instance nationale. La Cour souligne en effet que les requérants ne disposent pas d’une voie de recours effective afin de faire cesser ces conditions de détention jugées indignes.
La dignité humaine en prison est l’un des sujets sur lesquels la France est régulièrement condamnée par la CEDH : dix-sept condamnations !
Dans le même temps, le 2 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a exigé du législateur qu’il garantisse aux personnes détenues la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne, et ce en votant une nouvelle loi avant le 1er mars 2021.
S’il est évident que l’échéance ne sera pas respectée, la présente proposition de loi répond à un impératif de dignité humaine et constitue une étape importante pour améliorer le respect des droits fondamentaux dans notre pays. Je salue donc l’initiative du président de notre commission et le félicite de sa réactivité, plus grande que celle du Gouvernement, qui envisageait de traiter ce sujet dans le futur projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, dont l’examen n’est pas prévu, je crois, avant le mois de juin.
Ce texte doit donc permettre à un détenu qui considérerait faire l’objet de conditions de détention indignes de saisir le juge judiciaire. Une fois saisi, celui-ci disposerait de trois options : ordonner soit le transfèrement du détenu, soit sa mise en liberté ou bien un aménagement de sa peine.
Pour autant, monsieur le garde des sceaux, cette amélioration ne saurait faire perdre de vue ce qui doit être, me semble-t-il, la réponse véritable et durable à la question des conditions de détention, qui nous occupe aujourd’hui. Je veux parler de la construction de nouveaux établissements. Vous l’avez dit, la prison est une des réponses pénales possibles.
Force est de constater que le compte n’y est pas aujourd’hui, le programme immobilier pénitentiaire ayant connu, avant vous, il est vrai, quelques soubresauts par rapport à l’intention initiale affichée. Je rappelle que le Président de la République avait expressément fixé l’objectif de 15 000 places de prison construites durant ce mandat. Entre-temps, cette promesse a connu quelques codicilles : il fallait comprendre places de prison lancées et non construites, sur non pas un, mais deux mandats présidentiels. C’est en tout cas ce qu’avait acrobatiquement tenté de nous faire comprendre votre prédécesseur en sortant les rames.
Pour être juste, je me dois de compléter mon propos pour dire que, sous le mandat précédent, ce n’était pas fameux non plus, puisque, in fine, seules 2 000 places ont été construites.
S’agissant plus précisément du texte qui nous occupe aujourd’hui, je souligne qu’il a été modifié en commission par l’adoption de neuf amendements, qui visent essentiellement à parfaire la procédure. Je me félicite du dispositif proposé. Je remercie le président de la commission d’avoir insisté auprès du Gouvernement pour que ce sujet soit inscrit rapidement à l’ordre du jour de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une proposition de loi importante.
Certes, les individus placés en détention ont commis des actes répréhensibles. Ces personnes doivent subir une véritable sanction, mais attenter à leur dignité nous semble inadmissible. Fermer les yeux sur des conditions de détention dégradantes n’honore ni notre pays ni notre justice.
De nombreux rapports dénoncent à juste titre la surpopulation carcérale, l’impossibilité d’utiliser des sanitaires de manière privée ou la prolifération d’espèces nuisibles dans certains établissements. Si les conditions d’un enfermement digne ne sont pas réunies, l’incarcération risque de perdre tout son sens. Le but de la prison est, bien entendu, de punir, mais elle doit aussi réhabiliter des individus qui, lorsqu’ils auront payé leur dette à la société, devront y être réintégrés.
Je tiens à préciser que je ne jette pas la pierre aux personnels de l’administration pénitentiaire, qui essaient de faire au mieux, alors que les conditions ne le permettent pas toujours. Les raisons sont bien connues : personnel en nombre insuffisant, infrastructures vieillissantes et manque de places complexifient inexorablement leur travail. Leurs conditions d’exercice difficiles avaient d’ailleurs été abordées par la commission des lois lors de nos travaux sur l’état des forces de sécurité intérieure. Je pense que nous sommes tous d’accord sur ce constat, dans la mesure où la totalité des groupes politiques s’est montrée favorable à ce texte.
J’aimerais profiter de cette tribune pour vous faire part de problèmes dont j’ai été témoin lorsque j’ai eu l’occasion de visiter des prisons pour femmes. On parle moins souvent de leurs conditions de détention, mais cela ne signifie pas que leur incarcération se passe sans accroc. Elles ne représentent que 3,6 % de la population carcérale en France et sont mieux loties que les hommes, certes, en ce qui concerne la surpopulation.
Au 1er janvier 2021, on estimait que 2 500 femmes étaient incarcérées pour 2 000 places opérationnelles, mais cette statistique globale cache d’importantes disparités. En effet, certains quartiers pour femmes, comme ceux de Toulouse, Perpignan, Nîmes ou Limoges, sont occupés à plus de 140 %. Ce chiffre peut grimper jusqu’à 170 % à Bordeaux.
Pour assurer leur sécurité et éviter des débordements si elles venaient à croiser des hommes, les femmes sont isolées dans leurs quartiers, mais cette séparation rend souvent impossible leur participation à des formations, des activités sportives, socioculturelles et rend plus compliqué leur accès aux soins, ce qui est inquiétant. Elles sont aussi plus exposées, lors de leur incarcération, aux ruptures de liens familiaux ou conjugaux. Les visites sont plus compliquées pour leurs proches dans la mesure où seuls treize établissements en France accueillent des femmes condamnées à plus de deux ans de prison. Un tel état de fait rend plus difficiles leurs chances de réhabilitation.
Si les conditions de détention des femmes sont aussi à améliorer, j’aimerais aussi profiter de ces quelques minutes pour soulever un problème qui me tient à cœur : les enfants qui naissent et grandissent en prison dans les premiers mois de leur vie.
Environ 60 accouchements auraient lieu chaque année en prison et 95 enfants seraient accueillis chaque année en cellule « mère-enfant ». Si 29 établissements pénitentiaires sur 191 disposent d’une nurserie, 76 places seulement y sont réservées à des mères avec des enfants.
Comme vous le savez peut-être, mes chers collègues, les mères d’enfants de moins de 18 mois peuvent demander à être incarcérées avec leur bébé. J’ai pu le vérifier à la prison de Sequedin, près de Lille, dont je suis ressortie très touchée.
Si les mères ont parfois commis des crimes et méritent amplement leur incarcération, leurs enfants, eux, ne sont pas responsables et ils doivent, comme tout être humain, voir leur dignité respectée. Les établissements, s’ils sont généralement propres et bien tenus, n’apparaissent pas adaptés pour le développement et le bien-être de nouveau-nés. Pourquoi ne pas remédier à cette situation, monsieur le garde des sceaux ?
J’aimerais insister ici sur la nécessité de lancer une réflexion large, ouverte à tous, pour que les conditions de vie des enfants se trouvant en quartiers « mère-enfant » soient améliorées. Ces bébés n’ont pas demandé à naître ou grandir en prison. C’est à nous de faire en sorte que les choses se passent au mieux.
Pourquoi ne pas créer des prisons pour femmes, avec un plus petit nombre de personnes incarcérées, ce qui permettrait de respecter leurs exigences familiales ? En bref, des prisons plus petites, plus nombreuses, mieux réparties géographiquement. Cela permettrait non seulement d’améliorer les conditions de vie des enfants nés en détention, mais aussi, de manière plus pragmatique, de libérer des places pour les détenus masculins.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Brigitte Lherbier. Ce dernier point me paraît particulièrement intéressant.
En tout cas, cette proposition de loi approuvée par tous, monsieur le président de la commission, permet d’espérer. Nous y sommes donc favorables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui, madame la sénatrice Lherbier, madame la présidente Assassi, on ne peut pas ne pas avoir aujourd’hui une pensée particulière pour les femmes détenues, pour les conditions de détention des enfants de femmes détenues, qui sont de fait, eux aussi, détenus. La Chancellerie est très vigilante sur ces questions. Ces enfants sont pris en charge par des services qui leur permettent de connaître l’extérieur, notamment d’autres enfants. Je ne peux qu’être sensibilisé, vous rejoignant ainsi, sur ces situations si particulières, et je suis tout à fait ouvert à ce que vous me fassiez part de ce qui vous paraît utile pour améliorer la condition de ces femmes détenues.
Monsieur le sénateur Bonhomme, ma réponse à votre intervention sera très rapide, parce que je me félicite de voir que ce texte fait l’objet d’un très large consensus. D’ailleurs, je n’en doutais pas une seconde : comment pourrait-on ne pas être sensible à la surpopulation carcérale et aux conditions indignes de détention ; « indigne » est d’ailleurs le mot le plus faible qu’on puisse utiliser, car il s’agit parfois de conditions inhumaines, ou dégradantes.
J’ai besoin des élus locaux dans les territoires pour procéder à l’implantation des nouvelles prisons : la prison est toujours la bienvenue dans la commune d’à côté, ce n’est pas simple !
M. Roger Karoutchi. C’est sûr !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Comme je vous l’ai dit, 7 000 places sont aujourd’hui en construction, et j’annoncerai dans les jours qui viennent les sites qui ont été retenus pour la construction des 8 000 places supplémentaires. J’ai choisi les sites d’implantation, et j’aurai bien sûr l’honneur de vous en parler, car je sais que la représentation nationale est particulièrement attentive à ces questions.
Dans mon esprit, d’ailleurs, il ne s’agit pas d’incarcérer plus, mais d’incarcérer mieux. La prison est utile pour punir, je ne le renie pas ; elle est également utile pour protéger la société d’individus dangereux ; elle est enfin destinée à permettre davantage la réinsertion. Nous aurons bien sûr l’occasion de discuter ensemble de ces questions plus précisément au travers du projet de loi qui est en cours de finalisation.
Enfin, je veux répondre rapidement à M. le sénateur Sueur, qui est particulièrement impliqué sur ces questions.
Premièrement, Mme Simonnot, à qui j’ai adressé un courrier le 19 novembre 2020 dans lequel j’exposais la teneur de l’amendement que le Gouvernement allait déposer sur ce sujet, ne m’a jamais répondu. Je tiens quand même à vous le dire, monsieur le sénateur, parce que je vous ai entendu à de nombreuses reprises évoquer le nom de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Son travail est bien sûr infiniment respectable, mais, alors que nous l’avions alertée, alors que nous lui avions donné le texte que nous préparions, nous n’avons pas reçu de réponse. L’absence de réponse ne vaut certes pas consentement, mais elle ne nous a pas adressé de propositions de modifications.
Deuxièmement, mon administration pratique déjà le transfèrement des détenus. Quand un directeur interrégional des services pénitentiaires m’alerte au sujet d’une surpopulation pénale dans une zone, ce qui conduit notamment aux matelas par terre, je demande bien sûr à ce qu’il y ait un transfèrement. On n’attend pas que la loi soit votée pour intervenir en la matière, et c’est bien le moins que l’on puisse faire. Récemment, des transfèrements ont ainsi été effectués de la région toulousaine vers Marseille ; c’était indispensable. Si vous me pardonnez cette simplification, je dirai qu’on essaie de désemplir les prisons les plus pleines au profit des prisons un peu moins pleines.
Troisièmement, monsieur Sueur, on a libéré non pas 13 000 personnes, mais 6 000. Je veux apporter des précisions indispensables sur le sujet, parce qu’on a beaucoup glosé sur ces libérations. En réalité, ce sont 6 000 personnes libérées et 6 000 personnes qui ne sont pas entrées en prison. Cette première précision chiffrée est importante.
Aujourd’hui, il y a 8 000 détenus de moins qu’en janvier de l’année dernière. Pour autant, la situation reste évidemment préoccupante. Il faut aussi reconnaître que les incarcérations reprennent, à la suite de l’activité délinquantielle. Ainsi, pendant le confinement, il y avait peu de cambriolages – les chiffres en la matière font rêver ! –, mais cette activité a naturellement repris.
Je tiens quand même à le rappeler – vous le savez bien sûr, mais, parmi les gens qui nous écoutent, il y en a qui sont légitimement préoccupés par ces questions –, les 6 000 personnes qui ont été libérées ne sont pas des criminels, comme on a pu le dire – ce discours a notamment été tenu à Fréjus –, mais des gens qui auraient de toute façon été libérés à la fin du confinement ; il ne leur restait à purger qu’un ou deux mois de détention, et ce pour des infractions qui n’étaient bien sûr pas des crimes de sang, des viols ou des faits de terrorisme.
Enfin, vous affirmez que le dispositif qu’avait présenté le Gouvernement sous forme d’amendement, que l’on retrouve aujourd’hui enrichi par le Sénat, serait au fond contraire à l’arrêt du 8 juillet 2020 de la Cour de cassation. Si tel était le cas, il n’en resterait pas moins que le législateur peut ne pas être d’accord avec la jurisprudence,…
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … mais tel n’est pas le cas. Je veux faire arbitrer cette divergence entre nous par le Conseil d’État, selon qui l’amendement que le Gouvernement avait préparé s’inspirait de la solution retenue par l’arrêt du 8 juillet 2020 de la Cour de cassation, en y apportant des précisions utiles. Je pense que votre analyse n’est pas la bonne ; en tout cas, ce n’est ni la mienne ni celle du Conseil d’État.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je souhaitais apporter, trop longuement sans doute, ce dont je vous prie de bien vouloir m’excuser.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention
Article unique
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 144-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sans préjudice des dispositions de l’article 803-8 garantissant le droit de la personne d’être détenue dans des conditions respectant sa dignité, le juge d’instruction ou, s’il est saisi, le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, selon les modalités prévues à l’article 147, dès que les conditions prévues à l’article 144 et au présent article ne sont plus remplies. » ;
2° Le III de l’article 707 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le droit de cette personne d’être incarcérée dans des conditions respectant sa dignité est garanti par les dispositions de l’article 803-8. » ;
3° Après l’article 803-7, il est inséré un article 803-8 ainsi rédigé :
« Art. 803-8. – I. – Sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de la justice administrative, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application des dispositions du présent code qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine, peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est en exécution de peine, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes.
« Si les allégations figurant dans la requête sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve que les conditions de détention de la personne ne respectent pas la dignité de la personne, le juge déclare la requête recevable, fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l’administration pénitentiaire dans un délai compris entre trois jours ouvrables et dix jours. Le cas échéant, il informe par tout moyen le magistrat saisi du dossier de la procédure du dépôt de la requête.
« Si le juge estime la requête fondée, il fait connaître à l’administration pénitentiaire les conditions de détention qu’il estime contraires à la dignité de la personne humaine et il fixe un délai compris entre dix jours et un mois pour permettre de mettre fin, par tout moyen, à ces conditions de détention. Le juge ne peut enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées et celle-ci est seule compétente pour apprécier les moyens devant être mis en œuvre. Elle peut à cette fin transférer la personne dans un autre établissement pénitentiaire, sous réserve, s’il s’agit d’une personne prévenue, de l’accord du magistrat saisi du dossier de la procédure.
« II. – Si, à l’issue du délai fixé, le juge constate qu’il n’a pas été mis fin aux conditions indignes de détention, il prend l’une des décisions suivantes :
« 1° Soit il ordonne le transfèrement de la personne dans un autre établissement pénitentiaire ;
« 2° Soit, si la personne est en détention provisoire, il ordonne sa mise en liberté immédiate, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique ;
« 3° Soit, si la personne est définitivement condamnée et qu’elle est éligible à une telle mesure, il ordonne un aménagement de peine.
« Le juge peut toutefois refuser de rendre l’une des décisions prévues aux 1° à 3° du présent II au motif que la personne s’est opposée à un transfèrement qui lui a été proposé par l’administration pénitentiaire en application du dernier alinéa du I, sauf s’il s’agit d’un condamné et que ce transfèrement aurait causé, eu égard au lieu de résidence de sa famille, une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale.
« III. – Les décisions prévues au présent article sont motivées. Elles sont prises au vu de la requête et des observations de la personne détenue ou, s’il y a lieu, de son avocat, des observations écrites de l’administration pénitentiaire et de l’avis écrit du procureur de la République, ainsi que, le cas échéant, si le juge l’estime nécessaire, de l’avis du juge d’instruction. Le requérant peut demander à être entendu par le juge, assisté s’il y a lieu de son avocat. Dans ce cas, le juge doit également entendre le ministère public et le représentant de l’administration pénitentiaire si ceux-ci en font la demande. Ces auditions peuvent être réalisées selon un moyen de télécommunication audiovisuelle conformément à l’article 706-71.
« Les décisions prévues aux deuxième et dernier alinéas du I et au II du présent article peuvent faire l’objet d’un appel devant le président de la chambre de l’instruction ou devant le président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel. Lorsqu’il est formé dans le délai de vingt-quatre heures, l’appel du ministère public est suspensif ; l’affaire doit alors être examinée au plus tard dans un délai de quinze jours, faute de quoi l’appel est non avenu.
« La décision prévue au deuxième alinéa du I doit intervenir dans un délai de dix jours au plus à compter de la réception de la demande. Celle prévue au dernier alinéa du même I doit intervenir dans un délai de dix jours au plus à compter de la précédente décision. Celles prévues au II doivent intervenir dans un délai de dix jours à compter de l’expiration du délai fixé par le juge. À défaut de respect de ces délais, la personne peut saisir directement le président de la chambre de l’instruction ou le président de la chambre de l’application des peines.
« IV. – Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État.
« Ce décret précise notamment :
« 1° Les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention ou du juge de l’application des peines ;
« 2° La nature des vérifications que le juge peut ordonner en application du deuxième alinéa du I, sans préjudice de sa possibilité d’ordonner une expertise ou de se transporter sur les lieux de détention ;
« 3° Dans quelle mesure, à compter de la décision prévue au dernier alinéa du même I, le juge administratif, s’il a été saisi par la personne condamnée, n’est plus compétent pour ordonner son transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire. » ;
4° (nouveau) Au premier alinéa de l’article 804, la référence : « n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 » est remplacée par la référence : « n° … du … tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention ».