M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Madame la secrétaire d’État, l’insertion professionnelle des jeunes est l’un des piliers fondateurs de l’économie sociale et solidaire. Cette importance a été reconnue dans le cadre du plan de relance puisque la moitié des sommes engagées pour le secteur sont dédiées à l’insertion.
Un tel effort est important, mais nécessaire, quand on sait combien l’ESS est une manière concrète de faire vivre l’égalité des chances. Cette branche permet en effet aux jeunes de faire leurs preuves dans un cadre adapté.
Dans le seul département des Yvelines, on dénombre plus de 40 structures d’insertion par l’activité économique, représentant 900 salariés. Bien d’autres structures de l’ESS mettent en œuvre des démarches de lutte contre l’exclusion. Cependant, elles se révèlent bien souvent fragiles du fait de leur modèle économique. La question de leur pérennité économique se pose pour la grande majorité des projets, à juste titre, car peu de structures tendent malheureusement vers cet horizon.
Si les entreprises et les associations de l’ESS reconnaissent l’effort fait par le Gouvernement, elles pointent aussi un manque de cohérence globale et quelques trous dans la raquette.
Deux points sont régulièrement mentionnés : d’une part, le besoin d’attirer les jeunes plus qualifiés afin de bénéficier de leurs compétences ; d’autre part, les difficultés de trésorerie au-delà de la période de crise actuelle, pour lesquelles il faut trouver des solutions pérennes. Il convient donc de répondre aux difficultés structurelles de l’ESS tout en poursuivant la dynamique pour l’insertion des jeunes, des plus éloignés de l’emploi.
Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous accentuer le lien entre les structures de l’ASS et les services de l’emploi – je pense particulièrement aux missions locales, entre autres – et renforcer les structures de l’ESS pour accroître l’insertion des jeunes ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. En réalité, c’est une question gigogne, qui en contient plusieurs. J’y répondrai rapidement, en commençant par évoquer les missions locales.
Les missions locales qui œuvrent pour l’accompagnement de nos jeunes aujourd’hui bénéficient de 190 millions d’euros au sein du plan de relance. Il est bien normal qu’on les soutienne dans la période que nous traversons.
Vous soulevez ensuite deux points concernant l’emploi : le premier concerne nos jeunes, le second, au-delà de la période de crise actuelle, les difficultés de trésorerie.
On me critique souvent dans les territoires, et à raison – ce fut le cas à Marseille –, au motif que j’emploie de nombreux sigles et acronymes utilisés dans le secteur de l’IAE, ou insertion par l’activité économique, « IAE » étant lui-même un sigle.
J’entends le manque de cohérence globale que vous évoquez, mais ce que je trouve intéressant dans l’IAE, c’est qu’elle porte en elle à la fois le volet relatif à l’insertion, qui dépend du département, et le volet relatif à l’activité économique, qui repose sur la région.
Quand on est un acteur de l’ESS, en général une association ou une coopérative au service des autres, on ne sait pas forcément vers qui se tourner – le département, la région ou l’État. Un travail de fond sur cette complexité doit être effectué, mais il est difficile de le faire dans l’urgence. C’est un sujet important.
Vous évoquez le besoin d’attirer les jeunes plus qualifiés vers l’ESS. Hugues Vidor, le président de l’UDES, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, porte avec force cette thématique. Nous sommes convenus que l’urgence est d’utiliser les 40 000 parcours emploi compétences qui sont d’ores et déjà prévus dans le plan de relance. Je suis disposée à favoriser l’emploi de jeunes plus qualifiés dans l’ESS, mais utilisons d’abord les moyens prévus dans le plan de relance avant d’envisager d’autres dispositifs.
J’ai dépassé le temps de parole qui m’est allouée ; j’en suis désolée, madame la sénatrice. Je répondrai par écrit à votre dernière question.
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.
Mme Marta de Cidrac. Je vous remercie de votre tentative de réponse, madame la secrétaire d’État.
Ma question était pourtant très simple : j’aurais aimé que vous nous disiez de quelle façon conjuguer économie sociale et solidaire et insertion et emploi des jeunes.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau.
M. Gilbert Favreau. Madame la secrétaire d’État, une chose paraît acquise, c’est que l’économie sociale et solidaire a le vent en poupe, comme en témoignent tous les chiffres qui ont été cités : peu d’entreprises ou de secteurs d’activité peuvent se vanter d’avoir connu une telle progression au cours des années passées.
Aujourd’hui, l’ESS représente 14 % de l’emploi du secteur privé, soit 2,4 millions de salariés. Le domaine social est particulièrement actif, quelque 41 % des emplois de ce secteur relevant de l’économie sociale et solidaire.
Pour ma part, j’évoquerai l’économie sociale et solidaire sous l’angle de l’éducation, pour plagier ma collègue Corinne Imbert, qui l’a évoquée, elle, sous l’angle du logement.
Actuellement, l’Éducation nationale semble faire de l’ESS davantage un objet de découverte qu’un élément de programme. Ainsi, du 22 au 27 mars prochain sera organisée en France la semaine de l’économie sociale et solidaire à l’école. Différentes ressources seront mises à la disposition des enseignants et des lycéens, comme un dossier pédagogique et des fiches pratiques.
Cette présentation de l’ESS s’inscrit plus dans une logique d’initiation que dans une logique d’enseignement, notamment au travers du parcours d’avenir, qui permet aux élèves, de la sixième à la terminale, de construire progressivement, et tout au long de leurs études secondaires, une véritable compétence à s’orienter.
À un moment où la préoccupation majeure de la France est l’accès de ces jeunes au travail, ne serait-il pas préférable d’inscrire l’économie sociale et solidaire dans le programme des élèves de la seconde à la terminale, pour en faire un enseignement de base, de nature à renforcer leur insertion dans la vie professionnelle et à susciter des vocations ?
J’ai lu voilà quelques jours l’article 2 du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui devrait peut-être nous inspirer. Il prévoit en effet que « l’éducation à l’environnement et au développement durable » prépare les élèves « à l’exercice de leurs responsabilités de citoyen ». Peut-être pourrait-on faire la même chose pour l’économie sociale et solidaire ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Favreau, l’un n’est pas exclusif de l’autre. Je pense que l’on peut tout à fait éveiller les élèves dans les petites classes et faire de l’ESS un élément d’enseignement, voire de formation, de la troisième à la terminale, en vue du post-bac. Des délégués du développement durable existent déjà dans les classes au collège. Je dirai donc : les deux, mon général, si vous m’autorisez cette expression.
Je ne pense pas qu’il faille mettre fin à l’initiation de la sixième à la troisième, qui est très utile, car elle permet de développer les pratiques du quotidien et d’éveiller l’esprit de nos plus jeunes, de leur faire comprendre peu à peu que l’ESS est un écosystème d’avenir, source d’emplois et de création d’entreprises.
Les deux approches sont complémentaires et participent à la fois de l’éducation au développement durable et de la pratique d’une économie. Elles permettent une formation écoresponsable.
Je peux vous dire une chose : nous accordons un grand intérêt à la semaine de l’ESS à l’école et c’est une initiative que je soutiens. Je crois qu’il est important de faire contribuer les plus jeunes à un projet collectif : le coopératif est au cœur de l’économie sociale et solidaire. Nous avons tout à gagner à les faire bénéficier d’un tel apprentissage le plus tôt possible.
Je pense donc que nous pouvons faire les deux. Peut-être faut-il renforcer l’enseignement de l’ESS au lycée, mais il me semble aussi très utile d’avoir une sensibilisation et une éducation à l’économie sociale et solidaire et au développement durable dès la sixième.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Madame la secrétaire d’État, j’évoquerai les problèmes rencontrés par les ressourceries et les recycleries.
Comme vous le savez, un certain nombre de ces structures de l’économie sociale et solidaire intervenant dans le secteur du réemploi et de la réutilisation connaissent ou vont connaître des difficultés financières importantes. Elles disposent bien souvent d’une trésorerie insuffisante ou de fonds propres trop faibles pour affronter les conséquences de la pandémie de la covid-19.
Or ces structures participent à la préservation des ressources et à la réduction des déchets tout en présentant des atouts socioéconomiques. Elles contribuent évidemment au recyclage et à l’économie circulaire, mais créent également du lien social ainsi qu’une dynamique positive dans un certain nombre de territoires. Elles favorisent la création d’emplois, souvent au bénéfice de personnes en réinsertion professionnelle ou en situation de précarité. Elles aident des familles ayant peu de moyens à s’équiper en offrant une seconde vie aux produits. Leur approche transversale permet donc une conjugaison à mon sens bienvenue des différentes politiques publiques : prévention des déchets, développement économique et social…
Les collectivités jouent un rôle important dans le développement des projets de recycleries.
Ainsi que cela a été souligné, le ministère de la transition écologique et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ont proposé au mois de septembre dernier un plan qualifié d’« exceptionnel » pour apporter un soutien de 10 millions d’euros et éviter des arrêts d’activité.
Or si ce plan s’adresse opportunément aux petites structures de l’économie sociale et solidaire de moins de trois salariés, il semble en revanche exclure les ressourceries et recycleries qui emploient en moyenne vingt et une personnes. Quels sont précisément les critères d’éligibilité en vigueur ?
Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous rassurer les acteurs du secteur, qui œuvrent au quotidien, mais semblent parfois rencontrer des difficultés ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur, je vous remercie de soulever cette question. Le fonds pour le réemploi solidaire est un dossier que je suis depuis l’été dernier.
Vous le savez, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, a prévu la mise en place de nouveaux fonds par les éco-organismes à des filières à responsabilité élargie des producteurs. Les filières qui produisent des produits électriques ou électroniques, des meubles ou des articles de bricolage ou de jardinage devront y participer à hauteur de 5 % de leur écocontribution. Cela devrait représenter une enveloppe de 30 millions d’euros à destination des recycleries, ressourceries et autres structures de l’ESS.
Le décret du 27 novembre 2020 qui met en œuvre ces dispositions de la loi AGEC prévoit une attribution des financements sur la base de procédures ouvertes à toute personne éligible qui en formule la demande et l’allocation d’au moins 50 % des ressources du fonds aux personnes disposant de l’agrément Entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS).
Je le souligne, ce taux est un minimum et les critères d’attribution pour tout projet doivent se conformer à un principe de proximité : la fixation d’une distance maximale entre le lieu de dépôt du produit et celui de la réalisation des opérations garantissant que ces aides bénéficient aux petites entreprises locales, même hors ESS.
J’entends la crainte des différents acteurs associatifs, parfois relayée – c’était encore le cas à l’instant – par des parlementaires : les fonds pourraient finir par profiter à des entreprises industrielles méconnaissant les objectifs de retour à l’emploi et de limitation du gaspillage des ressources qui sont au cœur de l’article 62 de la loi AGEC. Je poursuis actuellement les discussions avec le ministère de la transition écologique pour définir comment nous assurer au mieux du fléchage nécessaire.
S’il faut envisager une clause de revoyure, nous l’envisagerons. Simplement, aujourd’hui, le fonds pour le réemploi solidaire, c’est 50 % pour les ESUS et 50 % pour les autres acteurs. Nous avons simplifié le dispositif en faisant un guichet unique, car le fonctionnement par appel à projets est souvent compliqué, notamment pour les acteurs de l’ESS.
Nous ferons le point avec Barbara Pompili dans quelques mois. Je ne manquerai alors pas de vous tenir informés.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Mes chers collègues, je vous remercie d’avoir participé à ce débat. J’ai particulièrement apprécié la richesse de vos interventions, ce qui m’amène à poser cette question : l’ESS est-elle un facteur important de transformation de notre modèle économique et social ? En effet, au-delà du consensus qui existe entre nous sur un certain nombre de points, l’ESS doit être considérée comme un modèle économique de remplacement. C’est, me semble-t-il, le sujet central.
Les réponses ou les absences de réponses ciblées aux besoins des entreprises de l’ESS dans un certain nombre de pays européens libéraux – cela ne concerne pas uniquement la France – montrent la faible compréhension de l’ESS par les administrations publiques centrales.
Comment faire de l’ESS un levier majeur, peut-être la clé de voûte de la relance économique, en tout cas d’une certaine relance économique, celle du « monde d’après », dans une logique de résilience, d’innovation et de coopération ?
L’ESS promeut la citoyenneté active, la démocratie participative et la pluralité des systèmes économiques, qui sont essentielles pour toucher les groupes les plus vulnérables et les plus marginalisés ; nous en avons eu plusieurs illustrations au cours du débat. Il est nécessaire que ces valeurs fondamentales demeurent présentes et actives au sein de toutes les entreprises de l’ESS.
Le principe de la lucrativité limitée, c’est-à-dire la mise au service des hommes et du développement de projets des excédents, donc des bénéfices dégagés, la rémunération limitée ou nulle du capital et l’encadrement de l’échelle des salaires, avec en particulier un ratio entre les salaires les plus hauts et les salaires plus bas, caractérisent aussi l’ESS et ses entreprises ; ne l’oublions pas. C’est un autre modèle économique qui est proposé.
Des études récentes, notamment celles de Social Economy Europ (SEE) et de United Nations Inter-Agency Task Force on Social and Solidarity Economy (UNTFSSE), soulignent l’importance de s’inspirer des principes et pratiques de l’ESS pour reconstruire un monde durable, afin de créer ce nouveau paradigme économique appuyé sur les logiques de l’économie circulaire, de la sécurité alimentaire, de l’échange de bonnes pratiques, du développement économique local, de l’innovation sociale et du bien commun.
L’ESS, c’est vert, c’est durable et c’est humain ! La plupart des entreprises de l’ESS s’appuient sur leurs membres, sont ancrées dans leur communauté, où elles jouent un rôle essentiel dans le développement économique et la gouvernance locale.
Ainsi, dans le cadre de la relance, l’ESS peut favoriser la création d’emplois décents, mais aussi un développement plus centré sur les personnes à l’échelon local. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire visent plutôt à fournir des biens et des services à leurs membres et aux communautés dont elles sont proches. Elles sont souvent dirigées ou détenues par ces communautés, donc enclines à relever à la fois les défis du changement climatique et de la réduction de la pauvreté.
Le Gouvernement devrait inclure les ESS dans la conception et la mise en œuvre des mesures d’intervention et de reconstruction. Il est nécessaire de saisir les occasions de passer à des économies plurielles qui incluent et promeuvent des modèles d’entreprises alternatifs orientés vers la personne et la planète. Les politiques publiques visant à créer et renforcer des écosystèmes pour l’ESS sont décisives pour pouvoir mettre en place un programme de développement transformateur de notre modèle économique et social, donc de notre société.
Pour mes camarades des associations et des coopératives – je pense notamment à ceux de Scop-TI, à Gémenos, qui ont repris l’usine de thé Fralib Unilever à la suite du conflit social –, je reviendrai sur deux ou trois mesures importantes.
Ainsi que Mme Puissat l’a évoqué, les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (Cress) et ESS France sont aujourd’hui, me semble-t-il, demandeuses d’un véritable financement et veulent avoir un rôle comparable à celui des chambres de commerce et d’industrie. Leurs représentants m’en ont parlé. Je pense que c’est un sujet important. Afin de pouvoir jouer le rôle dont vous avez parlé, madame la secrétaire d’État, les structures concernées ont besoin de moyens, et pas seulement de moyens financiers. Pour l’instant, elles ne les ont pas, ou pas suffisamment.
Enfin, peut-être faudrait-il s’interroger sur le flou juridique qui entoure la possibilité pour les collectivités territoriales d’acquérir des titres associatifs. C’est un problème pour elles comme pour les associations. Ouvrir cette possibilité permettrait sans doute de résoudre un certain nombre de difficultés de financement.
L’« ESSisation », barbarisme utilisé par un certain nombre de mutuelles, est une nécessité pour une économie durable et performante ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Situation et devenir de l’économie sociale et solidaire. »
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 3 mars 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Débat sur l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ;
Débat sur les conclusions du rapport « Mobilités dans les espaces peu denses à l’horizon 2040 : un défi à relever dès aujourd’hui ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quarante.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER