Mme le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sabine Van Heghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir demandé ce débat sur la réforme en cours de l’éducation prioritaire.
Le zonage de l’éducation prioritaire ne concerne que 30 % des élèves en situation difficile. Ainsi, les écoles dites « orphelines », les lycées professionnels et les écoles rurales ne relèvent pas de ce dispositif ou n’en bénéficient que peu. Or – je le constate dans mon territoire du Pas-de-Calais – les écoles rurales ont un impérieux besoin de moyens supplémentaires.
Je suis favorable au renforcement des moyens dans des territoires pouvant connaître des situations conjoncturelles difficiles, liées à la fermeture d’usines par exemple. Malheureusement, le Pas-de-Calais connaît ces chocs conjoncturels et sociaux ; récemment encore, il a subi la fermeture du site Bridgestone de Béthune.
Madame la secrétaire d’État, l’annonce de votre expérimentation, en novembre dernier, a également suscité de nombreuses inquiétudes.
La Cour des comptes l’a souligné dans son rapport de 2018 : la politique d’éducation prioritaire est la seule politique nationale de lutte contre les inégalités sociales. Nous devons donc la réformer avec la plus grande prudence.
Pourquoi ne pas réviser la carte des REP et des REP+, qui laisse de côté 70 % des élèves défavorisés ?
Au fil de vos déclarations, le financement de cette expérimentation demeure incertain. Lors de la précédente révision des zones d’éducation prioritaires, en 2014, la majorité de gauche d’alors avait dégagé 350 millions d’euros de budget supplémentaires, dont 100 millions d’euros pour les indemnités de personnel.
Je crains que le renforcement des moyens pour les écoles rurales ne débouche sur le regroupement des établissements et, comme le redoutent les maires, sur des fermetures d’écoles. Il est d’ailleurs à noter que vous avez annoncé votre expérimentation sans concertation préalable avec les élus locaux.
Va-t-on assister à des transferts de moyens des ghettos urbains vers les zones rurales, alors que les problématiques ne sont pas du tout les mêmes ? Les écoles rurales ont besoin de moyens, mais de moyens spécifiques.
Les interrogations ont été renforcées par le lancement, en janvier dernier, d’une autre expérimentation : les territoires éducatifs ruraux, au sein des académies d’Amiens, de Nancy-Metz et de Normandie.
Ce dispositif entend englober le parcours de l’élève depuis sa petite enfance jusqu’à son insertion professionnelle. Le chevauchement de ces expérimentations augmente l’incertitude pour l’ensemble des acteurs concernés quant à l’approche privilégiée par le Gouvernement pour répondre aux enjeux spécifiques aux écoles rurales.
Les contrats locaux d’accompagnement, qui permettent aux recteurs d’octroyer des moyens supplémentaires à certains établissements, suscitent eux aussi des inquiétudes : si l’expérimentation est généralisée, elle signera la fin de la coordination nationale garantissant l’équité dans la répartition des moyens. Les moyens dévolus aux établissements pourraient varier selon la sensibilité de chaque recteur, ce qui nous exposerait, hélas, au risque de clientélisme.
Madame la secrétaire d’État, votre expérimentation a été lancée trop tardivement, et je m’interroge au sujet des critères de sélection des académies. Ainsi, je regrette que les outre-mer n’y soient pas représentés, compte tenu de leurs spécificités. Au reste, la Cour des comptes a récemment émis des critiques au sujet de l’éducation prioritaire dans les territoires ultramarins.
Cet embryon de réforme et la précipitation avec laquelle vous procédez suscitent de nombreuses interrogations et inquiétudes. Avec l’ensemble de mes collègues sénateurs socialistes, écologistes et républicains, je m’opposerai à toute tentative de détricotage de la politique menée en faveur des élèves les plus défavorisés ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la République théorique, c’est l’égalité des droits ; la République idéale, c’est l’égalité des chances.
Si la loi sculpte et garantit les droits, c’est l’école qui peut, patiemment, mais sûrement, façonner, ciseler la clé des chances de surmonter les déterminismes sociaux. Ces chances, ce sont celles de s’épanouir, de s’insérer et de progresser sur l’échiquier de la société.
École et République sont donc consubstantielles dans le socle des valeurs qui fondent notre pacte social. Mais elles sont aussi unies historiquement, car c’est la République, la IIIe, au début de la décennie 1880, au temps de Jules Ferry, qui a rendu l’école gratuite, l’instruction primaire obligatoire et l’enseignement public laïc ; et c’est l’école qui, en métamorphosant ses élèves en citoyens instruits et éclairés, a profondément enraciné la République jusqu’à nos jours, si l’on excepte le sinistre épisode de Vichy.
Or l’égalité des chances ne se décrète pas ; elle s’élabore pas à pas, mais reste fragile et le fameux âge d’or de la IIIe République doit être nuancé. Après l’école primaire, la poursuite des études y était rare. L’Ancien Régime et les privilèges avaient certes été effacés, mais les castes et les classes perduraient. Mieux valait être bien né pour accéder à des fonctions éminentes. Selon que vous étiez puissant ou misérable, les portes s’ouvraient ou restaient closes.
La prolongation de la scolarité obligatoire à seize ans, en 1959, et la création du collège unique, en 1975, avaient aussi pour but l’égalité des droits et des chances. Las, les résultats des élèves sont restés très inégaux et largement liés à l’origine sociale.
Est alors née officiellement, en 1981, la politique d’éducation prioritaire. Son principe, la discrimination positive, apparue notamment aux États-Unis dans les années 1960, consiste à donner plus à ceux qui ont moins, à favoriser les défavorisés.
Cette politique de différenciation territoriale concerne aujourd’hui un peu plus de 1,7 million d’élèves, soit 20 % des 8,5 millions d’enfants scolarisés dans les écoles et collèges publics, 110 000 enseignants et – les précédents orateurs l’ont rappelé – 1 100 réseaux d’éducation prioritaire. Elle mobilise environ 1,5 milliard d’euros. Pour être précis, ce « surcoût » représente 4 % du total des moyens consacrés aux écoles et collèges publics.
Aujourd’hui, personne ne remet en cause la pertinence de l’éducation prioritaire, mais ses modalités doivent être revues pour que le système devienne plus juste et plus efficace.
Le système est-il juste ? Non, malheureusement. Un seul chiffre l’illustre, rappelé de nombreuses reprises : quelque 70 % des enfants socialement défavorisés sont aujourd’hui hors des dispositifs d’éducation prioritaire. La Cour des comptes a d’ailleurs insisté sur cette réalité.
Nous connaissons tous, dans nos départements, des écoles ou des collèges avec un public socialement fragile, qui mériterait de bénéficier de moyens supplémentaires.
La ruralité se révèle la grande oubliée et même l’injuste exclue de l’éducation prioritaire. Le ministère en est conscient. Il vient de lancer une expérimentation, modeste, autour de quelques territoires éducatifs ruraux : tant mieux !
Pour rendre la politique d’éducation prioritaire plus juste, il est indispensable de refondre son périmètre et de réfléchir à la pertinence d’un des critères en vigueur : la nécessité de relever, géographiquement, d’un quartier prioritaire de la politique de la ville.
Mon département de l’Oise, dont plus de la moitié des habitants sont ruraux, comptait jadis deux collèges et leurs écoles de campagne en REP et en REP+. Aujourd’hui, ces établissements n’appartiennent plus auxdits réseaux. Pourtant, les difficultés touchant la population perdurent : elles ont même empiré.
Une mesure de bon sens serait de passer d’une logique de réseaux à une logique d’écoles d’éducation prioritaire, car, au sein du même secteur, de la même petite ville, on observe souvent des situations très différentes. Ne serait-il pas temps – les précédents orateurs l’ont également souligné – de faire confiance aux territoires, qui connaissent leurs forces et leurs faiblesses, pour mieux répartir les moyens d’action ?
Le système est-il efficace ? Bien des observateurs sont dubitatifs. Les résultats restent modestes, et l’écart demeure malheureusement important, au titre du brevet des collèges par exemple. Le Cnesco pointe à la fois la dilution des moyens et un mauvais calibrage du zonage des bénéficiaires.
Le dédoublement des classes de CP, de CE1 et désormais de grande section, engagé en 2017, peut apporter une réponse appréciable, même s’il est trop tôt pour crier victoire. Certains enseignants insistent d’ailleurs sur le revers de la médaille : certains élèves perdent une relative aptitude à l’autonomie.
En parallèle, prenons garde à ne pas créer de frustrations dans certaines zones périphériques des réseaux d’éducation prioritaire. En effet, les parents acceptent mal de voir leur enfant dans une classe à triple niveau avec 28 élèves, alors que, à quelques kilomètres, d’autres classes n’en comptent que 12. N’oublions jamais que le parent d’élève est aussi citoyen et contribuable.
Gardons également à l’esprit une catégorie d’élèves dont nous n’avons pas parlé : les lycéens des zones rurales dépourvues de lycées, qui partent tôt le matin pour rentrer tard le soir. Peut-on parler d’égalité des chances pour ces jeunes, qui passent deux à trois heures par jour dans les transports ? Non !
Que la République redevienne républicaine,…
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Paccaud. … qu’elle soit le terreau fertile d’une véritable égalité des chances, dont notre pays a besoin pour sortir de la crise morale qui le ronge,…
Mme le président. Merci, monsieur Paccaud !
M. Olivier Paccaud. … tel doit être notre objectif,…
Mme le président. Vous reviendrez ! (Sourires.)
M. Olivier Paccaud. … un Graal impossible à atteindre sans une école lucide et prodigue, ce « cœur de Marianne »… (Mme le président coupe le micro de l’orateur.)
Mme le président. Mes chers collègues, il faut respecter votre temps de parole. Je ne ferai aucune exception.
La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la politique d’éducation prioritaire, mise en place dans l’urgence en 1981 pour « donner plus à ceux qui ont le moins », devait faire réussir tous les élèves. C’est sans doute ce défi qui m’a donné envie, cette année-là, de devenir enseignante.
Jusqu’à mon élection au Sénat en septembre dernier, j’exerçais ma profession dans un réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, un Rased, d’abord à Mulhouse, puis dans le Sundgau, un territoire rural du sud du Haut-Rhin.
Lorsque cette structure n’a plus été en mesure de remplir ses missions auprès des élèves, mon rôle a consisté à accompagner les enseignants qui avaient mobilisé et épuisé les moyens mis à leur disposition pour tenter d’aider les élèves dépassés par les attentes de l’école.
J’ai également accompagné des parents en détresse : vers qui se tourner quand le milieu rural se révèle être un désert sanitaire et quand la première antenne de soins médico-psycho-pédagogique se trouve à plus d’une heure de route, avec une liste d’attente de deux années ?
J’ai ainsi vécu sur le terrain l’évolution de cette politique publique, avec laquelle a précisément commencé ma vie professionnelle, et je suis heureuse de pouvoir aujourd’hui vous faire part de mon expérience.
Mon premier constat, c’est que jamais, durant ma carrière, l’éducation nationale n’aura pris en compte la ruralité et ses spécificités. La politique de l’éducation prioritaire a été collée sur la politique de la ville, et de larges moyens ont été affectés aux zones urbaines, au détriment des autres territoires.
Aujourd’hui, on se retrouve avec une fracture entre l’école des villes et l’école des champs, alors que plus de dix millions de jeunes de moins de 20 ans vivent en zone rurale et que 75 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP ou en REP+.
Depuis les années 1980, l’école en milieu rural fait l’objet d’une politique par défaut. Depuis quarante ans, elle sert de variable d’ajustement de la politique de la ville, qui a concentré un maximum de moyens sans avoir produit les résultats escomptés.
À l’arrivée, ceux qui en font les frais sont ceux que l’on croyait épargnés : des élèves qui vivent dans des territoires sans équipements culturels ou socio-éducatifs, scolarisés dans des classes à multiniveaux, soutenus à bout de bras par des enseignants qui n’ont ni la formation adéquate ni la disponibilité nécessaire pour faire face à la grande difficulté scolaire et aux troubles du comportement qui explosent partout depuis une dizaine d’années.
Mon second constat est encore plus alarmant. Les professionnels sont à bout de souffle, épuisés, parfois même soupçonnés d’incompétence, alors qu’ils sont simplement dans l’impossibilité d’apporter des réponses adéquates au sein même de l’école, trop souvent faute de marges de manœuvre suffisantes accordées aux autorités académiques.
Madame la secrétaire d’État, j’en suis convaincue : aujourd’hui, il faut accorder déployer davantage de moyens humains dans les écoles, dans toutes les écoles. Il faut réduire le nombre d’élèves par classe partout et non uniquement dans les zones dites « sensibles ».
Il faut renforcer les réseaux de professionnels spécialisés qui interviennent à l’école aux côtés des enseignants. Ces personnels sont à même de traiter des situations de détresse affective et éducative par un suivi personnalisé de chaque élève en difficulté et de sa famille.
Madame la secrétaire d’État, il faut prévenir la difficulté scolaire et la traiter à temps aujourd’hui, car elle porte en elle le germe des détresses de demain.
Comme l’évoquaient très justement Mme Azéma et M. Mathiot dans leur rapport, il est urgent d’engager des politiques coconstruites au sein même des académies, de donner à ces dernières des marges de manœuvre humaines et financières suffisantes, ainsi qu’aux collectivités territoriales et aux agences régionales de santé, les ARS, pour désenclaver les territoires et déployer des structures de soins médico-psycho-pédagogiques, au plus près des familles.
L’école est un formidable outil pour rétablir la paix sociale.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Sabine Drexler. Notre avenir à tous s’y joue en ce moment,…
Mme le président. Merci !
Mme Sabine Drexler. … pas seulement celui de nos enfants, mais le nôtre aussi, car c’est du leur qu’il dépend !
Mme le président. Je suis épuisée, mes chers collègues, car j’ai passé l’après-midi à couper la parole aux orateurs.
Si chacun prend trente ou quarante secondes en plus, cela aboutit à des dépassements importants, au détriment des débats suivants. Je vous remercie donc de respecter votre temps de parole.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir organisé ce débat sur l’éducation prioritaire. C’est en effet ma charge ministérielle, et je suis heureuse d’échanger sur ce sujet avec vous, de lever les doutes qui ont été exprimés, ainsi que je l’ai entendu, et de répondre à vos questions.
Permettez-moi de commencer par l’intitulé de ce débat, qui porte sur « la réforme […] de l’éducation prioritaire ». Madame la sénatrice Céline Brulin, je souhaite clarifier ce point : il s’agit non pas d’une réforme, mais d’une expérimentation.
Les mots ont un sens. Réformer, c’est modifier l’existant, en apportant, si possible, une amélioration. Or il se trouve que je ne touche pas à l’existant ; je mène une expérimentation. Comme en matière de sciences, il s’agit d’essayer quelque chose de nouveau.
Le sénateur Bargeton l’a rappelé, ce secrétariat d’État est une création, sous la Ve République. (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRCE.) C’est loin d’être anecdotique, et cela confirme la volonté du Président de la République de permettre à tous nos élèves un égal accès à la réussite.
Ma feuille de route me conduit à travailler tout aussi activement à la lutte contre les inégalités sociales et les inégalités territoriales ; mon action au secrétariat d’État à l’éducation prioritaire ne consiste donc pas à casser, à détruire, mais au contraire à renforcer et à élargir les moyens et les dispositifs permettant de mieux accompagner nos élèves, nos familles et nos professeurs.
Avant de répondre à vos différentes questions, je veux vous faire part de deux éléments.
Tout d’abord, je porte depuis toujours, dans mon engagement, deux convictions fortes, qui sont pour moi deux lignes conductrices : la première, c’est la protection de l’enfance ; la seconde, la lutte contre les inégalités.
Si vous souhaitez le vérifier, je vous invite à consulter mes différents travaux parlementaires concernant la lutte contre les violences sexuelles, le handicap, les jeunes aidants, les enfants – donc la famille –, ou encore à vous référer à la loi, que j’ai portée et qui a été votée ici à l’unanimité, visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques. Je n’en dirai pas davantage.
Ensuite, dans mon parcours personnel et professionnel, j’ai été cadre dans les ressources humaines, puis autoentrepreneuse, avant, un jour, de choisir de devenir professeure des écoles. J’ai alors exercé en éducation prioritaire. Je connais donc bien ces publics, ces élèves, leurs difficultés, ainsi que nos professeurs, nos équipes pédagogiques et leur engagement sans faille.
Il me semblait important de vous dire cela avant de vous répondre, de façon que vous compreniez combien mon objectif n’est absolument pas de casser l’éducation prioritaire !
Je vais maintenant tenter d’aborder l’ensemble de vos questions par un propos général, dans lequel vous trouverez, je l’espère, l’ensemble des réponses que vous attendez.
Depuis 2017, Jean-Michel Blanquer a fait beaucoup pour l’éducation prioritaire. Je peux citer, par exemple, le dédoublement des classes de CP et de grande section, aujourd’hui à taux plein, qui concernent 300 000 de nos élèves en éducation prioritaire.
Je suis en train, avec le ministre, de dédoubler les classes de grande section. Nous allons progressivement monter en puissance pour atteindre cet objectif dès 2022. Une réforme parallèle a été engagée, en vue, notamment, de réduire les effectifs dans nos classes à vingt-quatre élèves.
Je puis vous parler également de la mesure Devoirs faits, qui est beaucoup plus qu’une simple aide aux devoirs : c’est un véritable accompagnement pour tous nos élèves en difficulté. C’est aussi – on ne le dit jamais assez – une véritable mesure de justice sociale, car elle est à 100 % gratuite.
Vous l’avez dit, 50 % de nos élèves en éducation prioritaire en bénéficient, mais j’ai constaté des biais à l’occasion de mes nombreux déplacements. Vous êtes en effet une douzaine aujourd’hui à être intervenus, et je me suis déjà rendue dans une dizaine de vos territoires. Vous direz peut-être que je répète les propos du Premier ministre, mais je suis très attachée aux territoires et je ne m’arrête pas à la descente des trains dans les grandes villes : je vais au-delà.
Mme Marie Mercier. Nous aussi !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. C’est ainsi que j’ai pu constater ce biais : bon nombre de nos élèves dans les zones rurales, dans les zones de montagne, dans les territoires enclavés, dépendent trop souvent d’un transport scolaire pour rentrer à la maison et ne peuvent pas bénéficier de la mesure Devoirs faits, dont la valeur ajoutée pédagogique, éducative et sociale, est forte. C’est la raison pour laquelle j’ai développé Devoirs faits à distance, afin de répondre à cette problématique des territoires.
J’ai beaucoup entendu parler de la ruralité, et vous avez été nombreux à dire que l’on avait fait trop peu pour ces zones. Je vais vous dire concrètement, ce que je fais pour nos territoires ruraux : Devoirs faits à distance répond donc à cette problématique, et, dans le contexte sanitaire si difficile où nous ne trouvons, cela permet de toucher davantage ces élèves en difficulté, sans pour autant les brasser.
Je pourrais également évoquer les cités éducatives. Monsieur le sénateur Paccaud, j’étais récemment à Beauvais, dans l’Oise, pour annoncer le lancement d’une nouvelle cité éducative.
Madame de La Provôté, vous avez évoqué Territoires éducatifs ruraux, une mesure qui est en quelque sorte le duplicata des cités éducatives. Oui, nous travaillons dans la ruralité à construire ces alliances éducatives, pour accompagner tous nos élèves, depuis la petite enfance jusqu’à l’insertion professionnelle, en mobilisant l’ensemble des forces vives sur nos territoires.
Je pourrais également évoquer les internats d’excellence, avec 240 projets à l’étude, pour accueillir 13 000 élèves supplémentaires, ou encore les cordées de la réussite, qui sont déjà à taux plein dans les zones rurales – 20 000 de nos élèves ruraux sont « encordés » – et tant d’autres dispositifs que je porte au secrétariat d’État, à la suite de tout ce qui a été fait par le ministre Jean-Michel Blanquer.
Mme Éliane Assassi. Bref, tout va bien !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Revenons maintenant à ce qui a mobilisé bon nombre de vos questions, à savoir les contrats locaux d’accompagnement. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Si vous ne m’écoutez pas, mesdames, messieurs les sénateurs, ne venez pas vous plaindre ensuite de ne pas avoir d’informations !
M. Pierre Ouzoulias. Mais nous sommes très attentifs, madame la secrétaire d’État !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Ces contrats sont nés à la fois des constats que j’ai dressés lors de mes déplacements et des lectures très enrichissantes que j’ai pu faire : le rapport Azéma-Mathiot, le rapport de Salomé Berlioux et le rapport de la Cour des comptes.
J’ai en effet constaté que le zonage, ce « tout ou rien », avait des limites et créait des effets de seuil. Un peu plus de 70 % de nos élèves ne sont pas concernés aujourd’hui par les moyens de l’éducation prioritaire ; il y a donc une zone grise. Les écoles orphelines, les établissements en perte d’attractivité ont été évoqués, mais pas les lycées professionnels. Ceux-ci, pourtant, entreront dans les moyens de l’éducation prioritaire, grâce aux contrats locaux d’accompagnement.
Il a beaucoup été question de ruralité, à raison : à mon arrivée, j’ai constaté que, trop souvent, l’éducation prioritaire était perçue exclusivement au prisme des quartiers de la politique de la ville, les QPV, et des zones urbaines. Pourtant, l’éducation prioritaire concerne aussi la ruralité, laquelle a été très mal desservie à l’occasion de ce dernier zonage. C’est donc sur la base de l’ensemble de ces constats que j’ai décidé de lancer cette expérimentation.
S’agissant de la méthode, j’ai entendu dire que je n’aurais pas mené de concertations. C’est évidemment faux. À l’heure où je vous parle et depuis la fin du mois de septembre, nous avons déjà mené une trentaine d’audiences avec l’ensemble des organisations syndicales.
J’ai également à cœur de travailler avec tous les élus. J’ai été moi-même une élue municipale, une élue régionale et une parlementaire ; je ne sais que trop combien il est important de travailler en concertation avec l’ensemble des élus. Cette expérimentation a donc été annoncée, travaillée et préparée avec les élus et les organisations syndicales, et nous continuerons à agir de cette façon.
En ce qui concerne le calendrier, l’expérimentation a été annoncée au mois de novembre dernier ; depuis lors, nous avons installé un comité de pilotage.
Trois académies sont expérimentatrices : Nantes, Lille et Aix-Marseille. Vous comprenez bien leur répartition géographique : elles présentent chacune des particularités, et nous considérons qu’elles constituent un échantillon qui pourrait être représentatif de ce que donneraient ces mesures si nous les généralisions – j’y insiste : je parle au conditionnel.
Nous avons mis en place un comité de pilotage national, qui est composé de mon secrétariat d’État, de l’administration centrale et des académies concernées. J’ai très clairement mandaté ces dernières, parce que je souhaite faire entrer de nouveaux publics et de nouveaux territoires dans cette expérimentation. Je leur ai donc demandé d’être particulièrement attentives à nos écoles orphelines, à nos lycées professionnels et à nos territoires ruraux. Ainsi, 172 établissements sont aujourd’hui présélectionnés pour en faire partie.
Un budget est consacré à cette expérimentation. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez indiqué que j’avais parlé d’un budget constant. Je vais clarifier les choses : cette expérimentation n’est pas une réforme, je le répète, mais une voie parallèle. Cela signifie que je ne touche pas au zonage existant, c’est-à-dire aux REP et aux REP+, non plus qu’aux moyens qui sont alloués à cette carte. C’est en ce sens que j’ai parlé de moyens constants. Néanmoins, l’expérimentation menée en parallèle bénéficie d’un budget spécifique, de 3,2 millions d’euros.
J’ai entendu dire que nous aurions fait peu, très peu, trop peu pour l’éducation prioritaire. Or plus de 2 milliards d’euros lui sont aujourd’hui alloués, soit une augmentation d’environ 30 % depuis 2017. S’y ajoutent 3 millions d’euros spécifiquement consacrés à cette expérimentation en parallèle. J’espère donc avoir été suffisamment claire à la fois sur les objectifs et sur les moyens qui lui sont alloués.
Revenons au calendrier. Ce comité de pilotage est dédoublé, dans les académies, par des comités de suivi. Vous avez souhaité y être associés ; tel est bien le cas. Dans chaque académie expérimentatrice, l’ensemble des acteurs est associé : l’éducation nationale, bien sûr, les cadres de la maison, mais également les élus. Pour moi, c’est très important. J’y insiste : vous êtes largement associés à cette expérimentation.
Je le disais, celle-ci s’adresse à un nouveau public, sur un nouveau territoire, avec un raisonnement complètement différent, qui sort du zonage et de la logique du tout ou rien, pour aller vers plus d’équité, de justice, de souplesse et une meilleure allocation des moyens, répartis, non pas en paquets, comme c’est le cas aujourd’hui, avec un paquet de moyens pour les REP et un paquet de moyens pour les REP+, mais bien en fonction des besoins spécifiques des établissements.
Ces moyens seront donc aussi variables que le sont ces besoins : ici du crédit pédagogique ; là, une diminution d’effectif des classes ; ailleurs, un renforcement des fonds sociaux. Bref cela sera variable.
Une expérimentation ne vaut pourtant que si elle est évaluée. C’est pourquoi nous sommes en train de mettre en place un protocole à cette fin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez fait dire bien des choses, aujourd’hui. J’aurais, en particulier, annoncé la généralisation de cette expérimentation en 2022. Je n’ai jamais tenu de tels propos !
Ce que j’ai dit, très précisément, c’est que l’expérimentation commencera en septembre prochain, que nous l’évaluerons et que, si nous jugeons pertinent de l’élargir en 2022, nous l’étendrons alors à quelques académies supplémentaires. Nous préparons cette mesure, parce que nous souhaitons anticiper et parce qu’une telle évolution reposerait sur une ligne budgétaire spécifique au PLF 2022.
Le budget atteint donc aujourd’hui 3,2 millions d’euros, pour 172 établissements annoncés à ce stade. Je vous l’ai dit, j’ai passé une commande très claire à l’ensemble des recteurs d’académie : seront inclus très précisément une trentaine de lycées professionnels et une trentaine d’établissements, d’écoles et de collèges, dans les territoires ruraux, parce que c’est très important à mes yeux, vous l’avez compris.
Avec Jean-Michel Blanquer, j’ai la volonté de travailler toujours plus en faveur de l’école rurale. C’est ce que nous faisons au travers des territoires éducatifs ruraux et d’autres mesures, comme les cordées de la réussite.
Vous m’avez interrogée également sur les outre-mer, en affirmant que ceux-ci ne seraient pas concernés par l’expérimentation. Outre-mer, l’éducation prioritaire est très présente. S’ils ne sont pas associés aujourd’hui à l’expérimentation des contrats locaux d’accompagnement, nous travaillons avec ces territoires à un projet spécifique adapté à leurs particularités.
J’ai également été interrogée sur la carte scolaire. Vous m’avez dit que bon nombre de nos classes seraient fermées à la rentrée. Je rappelle l’engagement du Président de la République : pas de fermeture d’école sans accord du maire pour les communes de moins de 5 000 habitants. Pour la rentrée de 2020, en raison du contexte sanitaire très particulier, il a été décidé qu’il n’y aurait pas non plus de fermeture de classe sans accord du maire.
Comme vous le savez, nous sommes au cœur des discussions sur la carte scolaire, et nous examinons localement les situations, au cas par cas, en concertation avec l’ensemble des acteurs sur le territoire ; vous-mêmes, en tant qu’élus, êtes particulièrement concernés et associés.
Je vous indique tout de même que, depuis plusieurs années, nous constatons une diminution récurrente et progressive des effectifs. Nous avons ainsi perdu environ 65 000 élèves. Pour autant, nous n’avons cessé d’augmenter les moyens, en particulier sur le premier degré, parce qu’il est très important, pour le ministre comme pour moi-même, de travailler à consolider les fondamentaux, à savoir lire, écrire, compter et respecter autrui.
J’ai été interrogée également sur la différenciation ; à mon sens, les contrats locaux d’accompagnement constituent la réponse à cet enjeu.
Vous m’avez demandé comment ces établissements avaient été sélectionnés. Cela relève de la différenciation, certes, mais la politique d’éducation prioritaire reste une politique nationale, appuyée sur un référentiel national très présent et inchangé. Nous avons simplement offert quelques leviers supplémentaires aux académies pour leur permettre de travailler de façon très locale. On a parlé à ce sujet de cousu main, voire de sur-mesure ; c’est bien l’objectif !
C’est en croisant l’ensemble de ces indicateurs que les recteurs et les services académiques ont produit cette liste de 172 établissements à laquelle j’ai prêté la plus grande attention, étant particulièrement sensible à ces nouveaux publics. Je vous ai ainsi parlé de l’école orpheline et des lycées professionnels. Rappelons que ces derniers recrutent bon nombre de leurs élèves dans l’éducation prioritaire, mais n’ont plus aucun moyen depuis la mise en place de ce zonage, qui les a exclus de l’éducation prioritaire.
Vous m’avez interrogée également sur les bourses scolaires. Ma feuille de route, vous l’avez bien compris, comprend cette expérimentation sur l’éducation prioritaire, les dispositifs, conduits par le ministre, que je déploie, et d’autres que je crée, ainsi que, enfin, un troisième pilier, qui me tient particulièrement à cœur, qui est adossé au plan de lutte contre la pauvreté et qui répond parfaitement à cette question.
En effet, je travaille activement à restructurer nos fonds sociaux. J’ai constaté que, dans bon nombre de nos établissements, ceux-ci ne sont pas consommés ou sont sous-consommés. Or trop de nos élèves ne bénéficient pas de leur bourse, avec un taux de non-recours encore très élevé.
Pour répondre à ces deux problématiques, je travaille à la restructuration de ces fonds sociaux, avec des messages très clairs et volontaristes adressés à l’ensemble de nos cadres, pour que ceux-ci s’en saisissent mieux. Je souhaite qu’ils aillent, le plus tôt possible, dès la fin de l’année scolaire, au moment des inscriptions ou des réinscriptions, solliciter les familles, qui, dans le contexte si particulier que nous traversons, sont de plus en plus nombreuses à avoir des besoins et, malheureusement, ne connaissent pas ces dispositifs ou n’osent pas les demander.
J’étudie également, avec Olivier Dussopt, la possibilité d’automatiser l’information d’un droit à la bourse.
Enfin, je travaille sur une mesure que vous connaissez bien : les petits-déjeuners. Trop nombreux sont nos élèves qui arrivent à l’école le ventre vide. Il y a trois ans, quand cette mesure a été mise en place, nous estimions qu’entre 250 000 et 300 000 de nos élèves arrivaient à l’école le matin sans avoir petit-déjeuné. Avec la crise sociale que nous traversons, ce chiffre a probablement augmenté. C’est la raison pour laquelle, avec Olivier Véran, je réfléchis à un nouveau mode de distribution de ces petits-déjeuners dans nos établissements.
Je reviens aux contrats locaux d’accompagnement. Vous considérez que leur temporalité est trop courte : pourquoi une évaluation au bout d’un an ? Que va-t-il se passer ensuite ? Effectivement, nous allons évaluer l’expérimentation dans l’année qui suit, avec l’objectif de l’améliorer. C’est le principe de l’expérience et du tâtonnement : on fait, puis on s’améliore.
Ces contrats locaux d’accompagnement sont conclus pour trois ans, avec, peut-être, une clause de rendez-vous. « Peut-être » parce que, aujourd’hui, je ne sais pas si cette clause de rendez-vous sera nécessaire et si elle le sera pour un, deux ou trois ans. Vous voyez donc que cette expérimentation accorde localement beaucoup de souplesse sur les territoires aux recteurs et à nos établissements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à l’ensemble de vos questions sur la méthode, sur le calendrier, sur l’évaluation de cette expérimentation, sur son hypothétique élargissement – je ne sais pas si elle sera généralisée et je n’ai jamais dit que ce serait le cas à la rentrée de 2022 –, sur la carte et les moyens de l’éducation prioritaire, qui restent inchangés, sur le fait que cette expérimentation est une voie parallèle bénéficiant d’un financement spécifique, enfin sur les critères retenus pour désigner ces établissements.
Comme vous le voyez, il n’y a ni hasard ni clientélisme, comme je l’ai entendu dire. Cela n’a pas été fait au doigt mouillé, mais bien avec rigueur et avec méthode.
Puisque l’on a cité Saint-Exupéry, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de partager une citation qui m’est chère. Pythagore disait : « Un homme n’est jamais si grand que lorsqu’il est à genoux pour aider un enfant. » C’est précisément ce à quoi je m’emploie au secrétariat d’État à l’éducation prioritaire pour assurer l’élévation générale du niveau de nos élèves et la réussite de tous nos enfants sur tous nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)