M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Tout cela nécessite une coordination et une cohérence : c’est l’enjeu.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Hélène Conway-Mouret. Je souhaite à mon tour rendre hommage à celles et ceux qui consacrent leur vie, parfois, malheureusement, jusqu’au sacrifice ultime, à notre protection.
Deux ministres, deux questions ; la première s’adresse à Mme la ministre des armées.
Nos militaires déployés dans l’opération Barkhane au Mali depuis plus de huit ans mènent une guerre asymétrique contre le terrorisme. Sur le terrain, ils vivent quotidiennement sous la menace d’engins explosifs improvisés, à chaque sortie de leur base, dans des véhicules blindés légers, les plus adaptés aux missions, mais qui sont vulnérables et vieillissants. Les kits de surprotection des VBL MkI vont bientôt être livrés, mais avons-nous une feuille de route pour lutter efficacement contre les IED ? N’est-il pas temps d’engager une réflexion sur le compromis nécessaire entre mobilité, discrétion et protection pour les VBAE, peut-être faut-il la mener avec notre partenaire belge ?
Par ailleurs, compte tenu de la mutation de la forme des combats, ne devrions-nous pas nous reposer davantage sur le support aérien et procéder ainsi à un rééquilibrage de nos forces pour continuer à exercer une pression maximale sur nos ennemis ?
Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, vous avez rappelé, très justement, le consensus qui se dégage autour de l’idée que la résolution de la crise malienne passera surtout par une approche globale liant défense, diplomatie et développement, qui permettra la reconstitution d’un État de droit.
La population, qui ne voit guère les progrès que son pays devrait faire grâce aux centaines de millions d’euros que nous investissons dans de nombreux projets par le biais de l’aide publique au développement, continue de sombrer dans la pauvreté. Les bénéficiaires en sont les groupes armés, qui s’appuient sur une forme d’assise populaire pour renouveler leurs forces tombées au combat.
Le véritable enjeu est donc bien de tarir la source de recrutement de ces groupes, qui attirent à eux, non pour des raisons idéologiques ou religieuses, une jeunesse sans espoir d’insertion économique et sociale, sans espoir d’avenir.
Vous avez présenté les grandes lignes de l’aide internationale au Sahel. Pouvez-vous préciser les priorités de la France, de l’AFD, en matière d’investissement dans la reconstruction d’un appareil régalien fonctionnel à même d’assurer la sécurité des populations, leur éducation, leur santé…
M. le président. Merci de conclure !
Mme Hélène Conway-Mouret. … et d’un système judiciaire dans lequel celles-ci auront confiance, afin de lutter sur le long terme contre les causes profondes de déstabilisation du Sahel ?
M. le président. Dans le cadre du partage du temps de réponse, je demande aux ministres de veiller à ne pas dépasser une minute d’intervention chacun.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, les engins explosifs improvisés, armes non discriminantes, frappent d’abord les populations. Leur emploi par les groupes armés terroristes prouve bien qu’ils ne cherchent pas la confrontation avec nos forces armées.
Barkhane a réussi récemment plusieurs opérations d’importance – l’ayant mentionné en ouverture de ce débat, je n’y reviendrai pas. Le démantèlement d’une partie des capacités d’IED a été réalisé. Nous ciblons les poseurs de ces engins et les réseaux.
Quelles sont les perspectives ? D’abord, la régénération du parc de véhicules. Pour commencer, des kits de protection seront livrés dans les prochaines semaines : comprenant des blindages extérieurs et de la mousse intérieure, ils protégeront mieux nos combattants. Plus tard, un nouveau véhicule, le véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), sera mis à disposition. Entre-temps, nous essayons d’équiper nos forces avec les engins les plus récents et les plus efficaces : ainsi, l’arrivée des Griffon du programme Scorpion au cours de cette année contribuera à améliorer la protection de nos militaires.
En outre, un certain nombre de technologies innovantes sont en cours de développement : des radars pénétrant à travers le sol pour identifier d’éventuels IED, des brouilleurs, des robots de déminage, autant d’équipements qui concourront à renforcer la protection de nos forces.
Enfin, l’arme aérienne dont vous avez parlé est absolument indispensable, mais elle ne permet pas tout. Nous avons besoin aussi de forces au sol, pour attaquer ceux qui sont au plus près des populations sans risquer d’atteindre celles-ci. C’est bien parce que nous discriminons nos actions que nous avons besoin de troupes au sol, en plus de l’arme aérienne.
M. le président. Monsieur le ministre, il ne reste que quelques secondes du temps accordé au Gouvernement pour la réponse… Peut-être pourrez-vous profiter d’une intervention ultérieure pour compléter la réponse de votre collègue ?
La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Je rends hommage à la mémoire de tous ceux qui sont tombés en opération extérieure. Mes pensées vont à leur famille, dont la vie a basculé.
Le sommet de N’Djamena doit être l’occasion d’une franche évaluation de ce qui a été réalisé depuis celui de Nouakchott, de ce que chaque pays consacre, en moyens humains et financiers, à la paix.
Madame la ministre, depuis votre entretien avec votre homologue le secrétaire d’État américain, Lloyd Austin, avez-vous pu obtenir plus d’informations sur le niveau de participation des États-Unis dans la bande sahélo-saharienne en termes de drones, de renseignement et de transport logistique ? Sans ce soutien, nous savons que des opérations peuvent être compromises.
À N’Djamena, une question de fond doit être clairement posée : quel prix pour quelle paix ? De ce point de vue, il est moins question d’agenda de retrait que de responsabilités. Nous ne gagnerons pas la paix sans déconstruire la propagande des djihadistes, qui étendent leur politique d’influence, de déstabilisation et de recrutement vers le golfe de Guinée, sans gagner la confiance des populations.
Ce sommet doit être aussi un moment de franchise : l’excellence des diplomaties africaines n’ignore pas la présence de nombreuses influences étrangères. Il n’est pas inutile de rappeler que celles-ci n’ont ni les mêmes méthodes de résolution de crises ni la même appréhension des droits humains.
Le très regrettable épisode dans le village de Bounti et les accusations proférées desservent la paix et favorisent les terroristes. Nos partenaires africains savent combien l’information est une bataille en soi.
Monsieur le ministre, quel message la France portera-t-elle pour que chaque partie assume ses responsabilités, s’agissant notamment du respect des missions des soldats français ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, je profiterai de cette intervention pour terminer de répondre à Mme Conway-Mouret, d’autant que sa question a partie liée avec celle-ci.
Parmi les nécessités du moment, on ne met pas suffisamment en avant l’application du Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, le P3S. Il s’agit de savoir comment occuper, immédiatement, les territoires libérés et pacifiés par l’intervention de Barkhane ou des forces conjointes.
Un effort considérable doit être mené en la matière, en liaison avec les autorités locales, pour que la présence physique des autorités de l’État dans les zones libérées soit rapide, les États concernés étant par ailleurs aidés à recouvrer leur dimension régalienne au travers d’appareils policier et judiciaire à la hauteur des événements récents.
À cet égard, notre collaboration avec l’Union européenne est très bonne. Des avancées assez innovantes sont en train de voir le jour. Cela fait aussi partie du sursaut dont j’ai dit qu’il devrait suivre le sommet de N’Djamena.
En ce qui concerne les manipulations de l’information, nous savons bien qu’elles existent et à qui elles sont destinées à profiter. Nous constatons aussi que, régulièrement, les autorités des pays concernées procèdent à des mises au point qui renforcent la mission confiée à nos forces et à nos opérations de développement.
Lutter contre les manipulations, c’est aussi un combat. Nous devons le mener collectivement, d’autant que, au-delà du Sahel, ces manipulations peuvent être instrumentalisées par divers acteurs politiques pour dégrader l’image de la France.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. L’opération Barkhane au Mali joue un rôle déterminant dans la lutte contre le djihadisme et le terrorisme au Sahel, mais aussi pour notre sécurité, ici, en France et en Europe. En plus de pacifier la région du Sahel, Barkhane participe à la protection de notre démocratie et de la civilisation européenne.
Je salue les hommes et les femmes qui engagent leur vie pour la France dans la lutte contre le terrorisme. Je soutiens nos forces armées et je rends hommage à nos morts.
À l’heure où la sécurité des Européens reste menacée par le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne et alors que la France est désormais la seule puissance militaire complète et indépendante au sein de l’Union européenne, la décision sur les ressources propres a pu nous interroger sur nos capacités à gérer une dette vertigineuse. Madame la ministre, ne pensez-vous pas que le sujet de la mobilisation effective des Vingt-Sept dans ces opérations doit être posé clairement, en intégrant un critère sous la forme d’un ratio entre le niveau d’engagement des pays en termes humains et financiers, leurs ressources et leur niveau d’endettement ?
Ce prisme financier doit être complété par la prise en compte des conséquences de la mobilisation des armées sur un temps long sur leur besoin en préparation et leur équipement.
Certes, nous voyons quelques signes encourageants d’européanisation des opérations : la task force Takuba, déjà mentionnée, et la mission EUCAP Sahel Mali, pour le conseil et la formation en sécurité intérieure. Mais que cela représente-t-il vraiment à l’échelle des Vingt-Sept ?
Par ailleurs, le Fonds européen de défense, qui se substitue au plan de développement industriel de défense, a vu sa dotation initiale divisée par deux : de 13 milliards, elle est passée à 7 milliards d’euros. Dans quelle mesure ce fonds assure-t-il un soutien à la France dans ces opérations ?
Comment favoriser le dialogue entre États membres pour qu’ils soutiennent davantage encore l’effort militaire considérable consenti par la France contre le terrorisme islamiste au Sahel ?
Enfin, la présidence française de l’Union européenne en 2022 devrait être l’occasion d’une prise de conscience en faveur de la défense de l’Europe et d’une participation accrue de tous aux opérations de paix. Comment préparez-vous d’ores et déjà cette échéance ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Nous cherchons à créer une dynamique pour embarquer avec nous le plus grand nombre de partenaires européens. Encore faut-il qu’ils soient volontaires et capables.
Le Président de la République a amorcé cette mobilisation en avançant l’idée d’une initiative européenne d’intervention, regroupant ceux de nos partenaires qui sont volontaires et capables. Ce projet s’est concrétisé avec la force Katuba.
Demain, nous disposerons de nouveaux outils dans le cadre européen.
En particulier, nous pourrons nous appuyer, à partir du 1er juillet prochain, sur la Facilité européenne de paix, dans le cadre de laquelle l’Union européenne pourra équiper, notamment en armes létales, des soldats qu’elle aura formés au titre des missions EUTM. Dans certains pays, comme le Centrafrique, l’Union européenne est très active pour former les militaires de l’armée locale et financer l’aide au développement, mais cette action n’est pas nécessairement reconnue, parce que, à la porte des centres de formation, ce sont les Russes qui, parfois, équipent les hommes, bénéficiant ainsi, en quelque sorte, du travail que nous, Européens, avons accompli… Je l’affirme avec force : la Facilité européenne de paix sera un atout considérable entre les mains des Européens !
Il y aura, d’autre part, le fonds européen de défense, dont il est faux de prétendre qu’il a été divisé par deux : zéro divisé par deux, cela fait toujours zéro… Or 8 milliards d’euros sont prévus pour les sept prochaines années. Ce fonds a vocation à financer non pas les opérations, mais la recherche et le développement en vue d’une capacité européenne souveraine, dont nous manquons encore cruellement mais que nous allons construire !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Voilà huit ans que la France est engagée dans la bande sahélo-saharienne pour lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes, après avoir dû intervenir pour éviter la faillite des structures étatiques. De Serval à Barkhane, nos soldats sont l’honneur de la France et des acteurs de paix pour tous les pays de la zone ! La représentation nationale les soutient autant qu’elle en est fière.
Reste que, au regard des moyens investis, ces explications et une évaluation de notre action sur place sont indispensables, tant pour nos compatriotes que pour les pays africains impliqués.
Au fil des années, les critiques sont aisées ; mais dans quel état politique la zone serait-elle aujourd’hui, si la France n’avait pas répondu favorablement à la demande d’assistance et d’intervention du gouvernement malien ?
Notre présence ne saurait être considérée comme une occupation, alors que nos soldats protègent la population et forment les forces de sécurité locales pour permettre aux pays concernés de renforcer leurs structures étatiques face au terrorisme.
L’un des objectifs du sommet de Pau était l’établissement d’un partenariat de combat pour intégrer les forces partenaires. Dans ce cadre, il a été convenu de concentrer les efforts, notamment pour améliorer la qualité de la formation des militaires des armées des pays du Sahel. Cet aspect de l’intervention est essentiel aussi parce qu’il conditionne un retrait progressif de nos troupes. Pourriez-vous dresser un bilan de la formation par les Français et de l’autonomisation des troupes maliennes ?
Sénatrice du département, la Moselle, qui accueille le 1er régiment d’infanterie de Sarrebourg et le 1er régiment d’hélicoptères de combat de Phalsbourg, je tiens à vous interroger en outre sur les avancées en matière de disponibilité des appareils et le maintien en condition opérationnelle. Les hélicoptères de l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) sont de véritables anges gardiens pour les troupes au sol, surtout compte tenu de l’immensité du territoire.
Dans son rapport d’information sur le sujet, notre collègue Dominique de Legge a appelé à une gouvernance plus efficace, à une homogénéité accrue du parc et à une plus grande verticalisation des contrats. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Nous consacrons beaucoup d’efforts à l’accompagnement et à la formation des armées maliennes. Il faudrait vérifier, mais il me semble que, au total, plus de 15 000 militaires maliens ont été formés par Barkhane – en plus de ceux formés dans le cadre d’EUTM Mali.
Au-delà de ce bilan important, des actions structurelles sont à conduire qui relèvent largement des autorités maliennes. Nous les aiderons à les mener, grâce à une coopération structurelle renforcée avec le ministère de la défense malien.
Vous m’avez interrogée aussi sur la disponibilité des moyens, en particulier des hélicoptères, pour Barkhane.
J’ai expliqué précédemment que les hélicoptères n’étaient pas suffisants. Reste que leur rôle est absolument essentiel pour nos opérations.
Leur disponibilité dans le cadre de Barkhane est critique. Le taux de disponibilité en opérations est de l’ordre de 75 % à 80 %, ce qui est très bon, bien meilleur en tout cas que la disponibilité sur le territoire national. Heureusement, car tout doit être fait pour que ces appareils soient disponibles pour compléter l’intervention de nos forces au sol.
Assurer cette disponibilité est particulièrement exigeant parce que les conditions météorologiques le sont aussi, accélérant l’usure de ces engins. C’est pourquoi, au-delà de nos efforts pour le maintien en conditions opérationnelles de nos moyens aériens – je serai sans doute amenée à en rendre compte devant votre commission –, nous veillons avec une attention toute spéciale à ce que les hélicoptères déployés sur place, dont le nombre est taillé au plus juste – ils sont une trentaine –, soient en permanence opérationnels ; nous surveillons cela comme le lait sur le feu.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. La France est présente au Sahel depuis 2013, dans le cadre d’un dispositif qui n’a cessé d’évoluer et de croître. Sur le terrain, de francs succès opérationnels ont été rencontrés, et des cibles de haute valeur éliminées. Notre connaissance du théâtre est désormais assez précise, nos modes d’action se sont adaptés et les personnels se sont aguerris au contact d’une région et d’un ennemi rudes.
Chacun d’entre nous ici a une pensée pour nos soldats tombés là-bas.
Même si elles n’affrontent pas un État, nos troupes et leurs alliés africains font face à une adversité solide et organisée. Comme le commandant de l’opération Barkhane l’a rappelé, « l’ennemi a sa propre volonté : il aspire à un projet politique et dispose d’une stratégie pour le mettre en œuvre ».
Cet ennemi n’est pas unique, mais pluriel, protéiforme. Il est fait de différents groupes s’appuyant notamment sur les tensions communautaires, l’absence d’alternatives sociales et économiques et les difficultés des États de la région. Il a su muter et s’ajuster à notre dispositif. Dans ce contexte, nous avons glissé d’une opération limitée à une véritable guerre asymétrique, qui s’installe dans la durée.
L’opinion publique occidentale voit dans les modes d’action des ennemis une certaine lâcheté, quand d’autres y voient, au contraire, une efficacité redoutable, à moindre coût, pour atteindre leurs objectifs.
Madame le ministre, d’après le retour d’expérience de Barkhane, mais aussi d’Afghanistan, quelles conséquences allez-vous tirer en matière d’engagement de la France en opérations extérieures ? Se dirige-t-on vers des opérations plus ponctuelles, menées avec une empreinte au sol réduite et sans mettre la main dans l’engrenage de situations locales complexes et anciennes ? Dans l’approche « 3D », va-t-on vers plus de diplomatie et de développement ? Bref, assiste-t-on au grand retour de Galula ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, vous avez fort bien décrit la guerre asymétrique : une guerre qui engage un adversaire généralement plus faible et qui se dérobe face à la force militaire. Refusant l’affrontement direct, celui-ci développe d’autres moyens d’action.
Dans ce cadre, si je puis dire, tous les coups sont permis : il s’agit non seulement de nous discréditer, mais encore, au mépris du droit international humanitaire, d’exploiter les tensions communautaires, de cibler directement les populations civiles, menacées et terrorisées, pour tenter de les rallier par la force – d’où la présence sur le théâtre de très jeunes combattants –, de détruire les écoles et d’assassiner les chefs locaux.
Face à ce type d’agissements, nous devons être en mesure de déployer des outils dans tous les champs, y compris les champs nouveaux, comme ceux de l’information et du cyber. Sinon, nous laissons la place à un modèle alternatif à celui de l’État : une justice fondée sur la charia, une éducation fondée sur les principes religieux de l’islam radical.
Nous développons donc de nouveaux modes d’action, en considérant qu’il existe une sorte de continuité entre la lutte contre le terrorisme qui s’exerce dans cette région et ce que nous pouvons connaître sur le territoire national. Il faut ne pas être naïf et bien comprendre les armes de l’adversaire pour pouvoir apporter notre riposte.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Merci, madame la ministre, pour ces précisions.
Oui, la guerre asymétrique, le développement des technologies nivelantes et l’extension de la confrontation dans le champ informationnel mettent nos démocraties en difficulté dans leurs opérations. L’actualisation stratégique 2021 souligne bien « la généralisation du recours aux stratégies hybrides et multiformes ». Attirer au sol, sur leur terrain, des forces occidentales régulières est une vraie stratégie des groupes armés terroristes.
Les armées françaises ont su faire évoluer leurs tactiques et leurs outils. Faisons, nous, évoluer notre doctrine d’information : expliquons, comme vous le faites, que notre présence au Sahel n’est pas éternelle,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Allizard. … mais qu’elle durera jusqu’à ce que la situation puisse être prise en charge totalement par les forces locales. Est-ce un horizon soutenable pour les Français ? C’est, en tout cas, le discours qu’il est souhaitable de tenir.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. À supposer qu’on se soit interrogé sur l’utilité de ce débat, je crois que nos échanges de cet après-midi ont clairement répondu, compte tenu du nombre de nos collègues qui y ont assisté jusqu’au bout, malgré les conditions sanitaires, et de la qualité des questions posées comme de la richesse des réponses apportées, malgré le temps contraint – je ne m’aventurerai pas à vouloir les résumer.
Je remercie une nouvelle fois le président du Sénat et les membres de notre commission, dont le travail préparatoire, programme par programme, a ouvert la voie à ce débat.
Je remercie également tous nos collègues présents. J’ose croire que les échos de notre débat, fussent-ils lointains, parviendront à nos militaires. Ils percevront, à travers votre présence et la richesse des questions que vous avez posées, votre attachement personnel et politique à chacune et chacun d’entre eux, exposés quotidiennement aux dangers de la mission.
Madame, monsieur les ministres, je vous remercie pour la qualité de vos interventions, s’agissant notamment des quatre piliers, dont certains nous interrogeaient particulièrement. Vous avez senti à travers les différentes interventions une volonté d’orienter encore mieux l’aide au développement. Il ne s’agit pas de nier ce qui est déjà fait, mais, comme vous l’avez très bien souligné, monsieur le ministre, il y a autant de politiques de développement que de pays qui interviennent. Si l’on faisait l’addition des sommes engouffrées depuis tant d’années dans le bassin du fleuve Niger pour les résultats que nous voyons, c’est-à-dire pas grand-chose, on serait surpris…
N’Djamena doit être le sommet des sursauts, comme vous l’avez dit. Il n’y a pas de sursaut particulier à attendre des forces françaises et de nos alliés, qui accomplissent un travail extraordinaire, avec un courage inouï. Mais la mobilisation des forces armées locales doit être une priorité. Comme la ministre et plusieurs d’entre vous l’ont fait observer, des résultats assez importants ont été obtenus ces dernières semaines, notamment avec Éclipse. On sent que les choses bougent : nous devons encourager et aider les forces locales !
Sur le plan de la gouvernance, il faut aller vers la réconciliation, et la France doit peser de tout son poids pour que celle-ci s’organise, avec celles et ceux qui veulent construire l’avenir du Mali et non le faire disparaître.
S’agissant de l’aide au développement, je crois que nous pensons tous qu’il faut aller plus loin.
Je relève qu’un consensus s’est dégagé sur toutes les travées de notre honorable assemblée en ce qui concerne la présence française au Sahel. La presse qui m’attend dehors n’a qu’une seule question à me poser : le Sénat s’est-il prononcé pour le départ des troupes françaises ? Bien évidemment, notre réponse est unanime. Au reste, ce serait un singulier affront à nos militaires que de leur dire, après les avoir envoyés dans cette région, qu’ils doivent revenir maintenant, comme si rien ne s’était passé… Leur mission n’est pas terminée.
Lorsque les conditions que les ministres ont décrites seront réunies, nous pourrons commencer, morceaux par morceaux, à alléger nos effectifs.
L’important, c’est que la mission exercée par la France au Mali soit soutenue par l’opinion française. Souvenez-vous de l’Afghanistan : après Uzbin, quand l’opinion française a commencé à ne plus croire à cette opération, il était déjà inscrit dans les faits que nous allions partir. Mes chers collègues, c’est aussi notre travail, dans nos territoires, de contribuer à cet effort de communication supplémentaire.
Madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, notre débat a été de très haute tenue. Je forme le vœu que nous n’attendions pas huit ans pour renouveler l’exercice… Il serait bon que, régulièrement, les ministres puissent nous informer, comme ils l’ont fait cet après-midi ! (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan et les perspectives de l’opération Barkhane.