Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Vous posez plusieurs questions, madame la sénatrice Artigalas. La plus essentielle, me semble-t-il, est celle que vous avez soulevée en dernier, celle des saisonniers, d’une manière générale, et des saisonniers du secteur du tourisme, en particulier.
Comme je l’indiquais dans ma réponse au sénateur Pellevat, nous avons fait en sorte que les dispositifs transitoires prévus pour les travailleurs saisonniers liés à des conventions collectives, comme celle des remontées mécaniques, puissent s’appliquer de manière indifférenciée, indépendamment de questions de statut. Car c’était aussi un problème… Les territoires sont plus ou moins riches, plus ou moins pauvres, et l’on s’est retrouvé face à des cas absolument dramatiques, comme celui des stations qui sont en régie sans autonomie juridique et qui, de ce fait, n’ont pas d’existence légale. Nous avons donc mis en place des dispositifs provisoires tirés de la loi Montagne, que nous avons renouvelés par ordonnance au fur et à mesure de la crise du covid. Mais il est vrai que nous devrons trouver des équilibres avec le Conseil d’État, pour assurer une certaine pérennité à ces mesures.
Nous nous sommes également battus – cela vous intéressera, vu le département d’où vous venez – pour que les régies en charge des thermes, également sans personnalité juridique, puissent être prises en compte. Cela a été très difficile, et je vous prie de croire, mesdames, messieurs les sénateurs, que mon cabinet a énormément travaillé sur le sujet. Il nous semblait indispensable que les collectivités portant des établissements thermaux, qui sont souvent fragiles, puissent être indemnisées, et nous sommes parvenus à nos fins !
Votre intervention, madame la sénatrice Artigalas, s’est également élargie à la question globale de la réforme de l’assurance chômage.
Je n’ai bien évidemment pas de réponse précise à vous apporter sur ce point. Mais sachez une chose : dans la crise que nous traversons – et je répète, que ce soit bien clair, que cette fermeture des remontées mécaniques est pour moi un crève-cœur –, nous sommes aujourd’hui en mesure d’apporter des réponses à certains travailleurs saisonniers qui n’étaient plus du tout protégés par les textes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Je sais bien quels ont été les efforts réalisés en faveur des saisonniers, monsieur le secrétaire d’État, mais ce n’est pas suffisant. Cette crise montre bien que la réforme de l’assurance chômage n’est pas la bonne voie à suivre, et je vous demande de le faire savoir au ministre chargé du dossier.
Le Conseil d’État a su prendre la mesure des effets négatifs de cette réforme. Il a mis en avant une atteinte au « principe d’égalité » entre demandeurs d’emploi en emploi continu et demandeurs d’emploi en emploi discontinu. Ce fait reste inchangé ; il a juste été aggravé par la crise.
Je vous demande donc d’aider, aussi, au développement du « tourisme 4 saisons » afin de fidéliser et conserver des compétences sur nos territoires de montagne, en revalorisant et pérennisant ces emplois. Or cette réforme de l’assurance chômage, conjuguée à la crise, met à mal de nombreux professionnels de la montagne, et ce pour longtemps. Vous, comme votre collègue ministre du travail, devez prendre la mesure de cette situation.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ma question porte sur la modification des règles d’urbanisme et de construction pour les communes situées en zone de montagne.
Si les deux lois Montagne ont permis d’élaborer des mesures spécifiques à ces communes, afin de leur permettre une différenciation avec les zones rurales du reste du territoire, il existe actuellement des problèmes en matière de constructibilité, qui nuisent au bénéfice initial établi par le législateur. Le rapport d’évaluation de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur les lois Montagne évoque même une « asphyxie des possibilités de construction en montagne ». Certaines communes ne se voient ainsi délivrer qu’un unique permis de construire par mandat municipal, face à une administration toujours plus tatillonne, alors que des aménagements nécessaires à la vie quotidienne et au développement économique sont attendus.
Je voudrais aussi vous saisir, monsieur le secrétaire d’État, de la problématique concernant les territoires de montagne frappés par des catastrophes naturelles, comme l’ont été les vallées de la Roya, de la Vésubie et de la Tinée dans les Alpes-Maritimes – et j’associe à ces propos mes collègues de ce département présents dans l’hémicycle.
L’exigence de reconstruction à l’identique doit pouvoir être assouplie à l’avenir, en acceptant, par exemple, que la nouvelle construction soit un peu différente de celle qui a été détruite, à travers une surélévation ou encore un déplacement sur la même parcelle pour une situation plus en hauteur.
Ces modifications et assouplissements, allez-vous vraiment les faire vôtres au travers du projet de loi 4D ? C’est là, vous le savez, une forte attente des élus et habitants des communes de montagne, qui veulent pouvoir continuer à les développer. Cela passe par plus de facilités dans les règles de construction et d’urbanisme.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Comme vous l’indiquez, madame la sénatrice Estrosi Sassone, les lois Montagne I et II ont créé un cadre législatif de gestion intégrée et transversale des territoires, en trouvant un équilibre entre développement, protection de la montagne et nécessité de maîtriser l’urbanisation dans ces zones. Ce cadre législatif est fait pour prendre en compte, autant que possible, des contextes et besoins spécifiques à chaque territoire ; en un mot, pour faire de la différenciation. Or la différenciation, c’est un des « D » du projet de loi 4D. C’est le cas pour le principe de base, selon lequel il n’est possible de construire que dans l’urbanisation existante ou en continuité de cette dernière.
La loi définit, par ordre de taille décroissant, trois formes d’urbanisation : les bourgs et villages, les hameaux et les groupes de constructions traditionnelles et d’habitations existants.
Par ailleurs, la loi prévoit tout de même pas mal d’exceptions à ce principe, en particulier s’agissant des unités touristiques nouvelles (UTN), c’est-à-dire de constructions et d’aménagements d’installations liées au tourisme. L’étude de discontinuité, qui est une étude ad hoc incorporée dans le document d’urbanisme, permet de construire ponctuellement en dehors de l’urbanisation existante.
Ces dispositions apportent une première réponse.
Pour les communes soumises aux seules règles du RNU, les marges de manœuvre sont plus limitées, et l’appréciation de la construction en continuité devient alors tout à fait centrale. Je sais votre grande mobilisation sur ce sujet, madame la sénatrice, comme en témoigne la récente proposition de loi que vous avez déposée.
À ce stade, voici les éléments que je peux vous apporter.
À la suite de la circulaire de Jacques Mézard, qui visait précisément à harmoniser cette appréciation, un réseau de correspondants « Montagne et urbanisme » a été constitué. Il se réunit tous les ans, et il convient de le faire vivre et de garantir son efficacité – je m’y engage, d’autant que nous avons un conseiller à l’urbanisme commun avec Jacqueline Gourault.
Se posent en outre un certain nombre de problématiques, notamment celle que vous mentionnez à propos du régime actuel de la reconstruction à l’identique. Dès lors que l’on ne peut pas procéder à une reconstruction à l’identique, dans une zone où les risques sont importants, on est en droit de s’interroger sur l’opportunité de faire jouer le droit à la reconstruction. Ainsi, la jurisprudence refuse toujours la reconstruction à l’identique dans les zones à risque.
Je conviens donc avec vous qu’il faudra travailler plus avant, dans le cadre du groupe de travail précité, pour trouver des solutions pragmatiques et « cousues main » à ce type de situations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je vous prends au mot, monsieur le secrétaire d’État : j’accepte de participer à un nouveau groupe de travail. Reste que les élus sont lassés de ces groupes de travail. Ils veulent maintenant de véritables outils qui leur permettent – et eux savent quels sont les besoins – de trouver cet équilibre pour leurs habitants entre développement économique, afin d’éviter la désertification du territoire, et protection de l’environnement naturel.
La loi ÉLAN a permis d’assouplir la loi Littoral. Il faut faire de même pour la loi Montagne. Il faut permettre un assouplissement, par exemple en offrant des possibilités de combler les dents creuses, en autorisant les constructions sur des parcelles vides situées entre des bâtiments existants.
Ce qu’on a fait, dans la loi ÉLAN, pour la loi Littoral, il faut le faire, dans la loi 4D, pour la loi Montagne ! En tout cas, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez compter sur le groupe Les Républicains pour travailler en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Élu de Haute-Garonne, territoire sur lequel nous avons la chance de compter de superbes stations de ski – comme dans les Hautes-Pyrénées –, je veux de nouveau alerter sur la situation particulière de mon département, où la crise actuelle s’ajoute à une saison passée déjà calamiteuse.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, l’activité des stations de ski est source de nombreux emplois saisonniers, dans l’hôtellerie, la restauration ou les commerces. C’est toute une économie et toute une vie pour de nombreuses communes.
La situation est grave. Nous avons besoin de concertation entre les niveaux local et national, de visibilité sur l’ouverture des remontées mécaniques et de solutions dans un futur très proche.
Les territoires de montagne sont sous tension, alors qu’ils sont déjà soumis à des problèmes chroniques d’ampleur.
Nous faisons face à une désertification multiple, notamment médicale. L’accès aux soins ne doit pas être un luxe, surtout dans la situation actuelle.
Nous avons des problématiques liées aux réseaux, qu’ils soient de transports ou de télécommunications.
Nous vivons une autre désertification, moins médiatique, certes, mais aux conséquences importantes sur l’écosystème des territoires de montagne : en matière d’agropastoralisme, nos jeunes ont du mal à s’installer et nos agriculteurs actuels peinent à résister. Nous observons une véritable perte de vocation de berger. C’est un savoir-faire, une filière et des traditions qui risquent de disparaître.
Nous allons vers une crise économique, humaine et écologique. Au cours des vingt dernières années, nous avons perdu 50 % de nos surfaces d’estives et de pâturages. Leur remplacement par des taillis ne fera qu’accroître les risques d’incendie.
Le pastoralisme est un équilibre fragile entre l’homme, l’animal et le milieu ambiant. Quelles mesures incitatives comptez-vous mettre en œuvre, afin de préserver les bienfaits économiques, écologiques et sociaux de ces activités dans nos montagnes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur un certain nombre de sujets, mais vous insistez plus particulièrement sur la question du pastoralisme. Je crois que la revalorisation de cette activité, tant dans sa dimension agricole, qui est paysagère et environnementale, que dans sa dimension économique ou culturelle, constitue un véritable enjeu. C’est parce qu’elle a ce double aspect que cette activité est vitale pour les territoires de montagne.
Les politiques publiques dans ce domaine sont extrêmement nombreuses, qu’elles relèvent de l’État, de l’Europe, des régions, ou parfois des départements et du bloc communal.
Les situations sont très diverses dans des départements dont les caractéristiques sont pourtant similaires. Je me rendrai d’ailleurs dans deux jours dans l’Aveyron, département qui détient le record du plus grand nombre d’installations de jeunes agriculteurs, lesquels n’en sont souvent pas originaires.
Je voudrais également voir comment on pourrait faire en sorte de reproduire certaines expérimentations menées dans ce département dans le cadre de programmes nationaux, puisque telle est l’idée générale. Réinventer l’eau chaude, alors qu’elle est déjà en production, me semble toujours délicat. C’est la raison pour laquelle je cite l’Aveyron : il me semble que l’on peut réinventer les choses à partir d’excellents exemples comme celui-ci.
Au-delà du dispositif existant, les projets alimentaires territoriaux ont grandement contribué, non seulement à ce que nombre d’agriculteurs puissent s’installer et rester sur des territoires, mais aussi à ce que l’on mette fin à ce que l’on a appelé à tort ou à raison l’agribashing. Dans des régions très urbaines, la proximité d’un espace pastoral et agricole est en effet un plus considérable pour la société.
Les projets alimentaires territoriaux, en plus des mesures que nous mettons en œuvre au niveau des cantines scolaires, nous conduisent, Julien Denormandie et moi-même, à proposer un packaging global, qui, à mon avis, sera très positif et contribuera à la reconquête, si je puis dire, des milieux urbains par l’agriculture. Nous voulons faire en sorte que le pastoralisme ne soit pas considéré négativement : c’est un discours que j’ai également tenu dans le département de Mme Estrosi Sassone à des éleveurs qui avaient été victimes d’un certain nombre de prédations.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour la réplique.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le secrétaire d’État, vous citez un exemple très intéressant, celui de l’Aveyron, département dans lequel j’ai beaucoup d’amis parlementaires. Les élus de l’Aveyron ont mené des politiques très adroites à une époque, puisqu’ils sont parvenus à faire classer tout le département en zone de montagne : ils bénéficient donc des avantages, mais pas de tous les inconvénients de ce zonage. Ce département marche fort : l’élevage ovin profite d’un débouché national grâce au roquefort, ce qui constitue une garantie assez forte en termes de volume de lait de brebis produit.
Pour les zones de montagne dont l’accès est plus difficile, je crois qu’une synergie entre l’échelon national et l’échelon local sera nécessaire pour que cela soit davantage incitatif. J’ai pu observer des photos aériennes : je vous garantis que la perte d’estives, de pâturages nous mènera à une catastrophe écologique – j’insiste sur ce point. Je le redis, certains villages sont déjà entourés par les ronces : il est urgent de se pencher vraiment au chevet du malade.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Vous le savez, la montagne est à l’arrêt ; la montagne souffre ; la montagne meurt, et je pèse mes mots. Il y a d’abord eu – on l’a déjà dit longuement – la fermeture des remontées mécaniques. Je regrette l’annonce de sa prolongation par le Premier ministre le 7 janvier dernier. Cette fermeture, compensée par de très maigres dérogations, pénalise tous les acteurs de la montagne.
Dans mon département des Hautes-Alpes, que Joël Giraud connaît bien, l’annonce de la fermeture administrative des remontées mécaniques s’est traduite par une diminution des réservations de près de 71 % par rapport à l’année dernière. Cette situation devient intenable pour les domaines skiables bien sûr, mais aussi pour les commerçants, les hébergeurs, les saisonniers, les entrepreneurs de l’événementiel, pour lesquels les mesures de restriction de l’activité sont extrêmement handicapantes.
Or, nous le savons – et l’ensemble des professionnels de la montagne ont travaillé dans ce sens –, les mesures sanitaires peuvent et doivent être adaptées. Et nous devons continuer à vivre : oui, nous devons apprendre à vivre avec le virus ! Les acteurs de la montagne veulent travailler : laissez-les donc travailler !
Cette volonté est tellement forte qu’une petite station des Hautes-Alpes, Saint-Léger-les-Mélèzes, a décidé de pallier la fermeture des remontées mécaniques en utilisant un cheval de trait, afin d’enseigner le ski de piste aux plus jeunes. Que dire de plus ?
Aussi, je dénonce de nouveau le manque total de visibilité, en particulier en ce qui concerne les vacances de février, période incontournable qui correspond à 40 % à 50 % du chiffre d’affaires pour nos stations et pour le tourisme hivernal.
Le Premier ministre vient à l’instant de déclarer : « Je suis optimiste, mais cela demande confirmation. Je salue le comportement des Français pendant les fêtes. » Alors, monsieur le secrétaire d’État, quel est le calendrier gouvernemental pour les vacances de février ? À ce jour, en effet, vous ne nous avez toujours rien dit à ce sujet, malgré les multiples interrogations à cette tribune ou ailleurs.
Le Gouvernement a pris conscience des périls économiques et sociaux auxquels font face les territoires de montagne, mais certains acteurs restent inéligibles à ces aides. Je pense plus particulièrement aux hébergeurs de montagne ou aux régies publiques de remontées mécaniques, généralement adossées à de petites communes, qui ne semblent pas, à ce jour, éligibles aux mesures de soutien.
Je demande au Gouvernement d’accroître les aides financières en faveur de la montagne et d’élargir les critères d’éligibilité. Joël Giraud nous a annoncé, et je l’en remercie, une « logique valléenne » pour l’accompagnement territorial, mais j’ai aussi entendu que les acteurs de la communauté d’agglomération Gap-Tallard-Durance, par exemple, ne seraient pas éligibles aux aides et seraient donc affectés par la baisse de l’activité.
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le sénateur !
M. Jean-Michel Arnaud. Ce sont des mesures à court terme qu’il nous faut face à l’urgence. J’attends donc des réponses concrètes aux différentes questions posées aujourd’hui.
Mme la présidente. J’observe une véritable propension des élus des Hautes-Alpes, tant du sénateur que du secrétaire d’État, à dépasser leur temps de parole…
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Si j’étais dans un hémicycle transalpin, je dirais : non capisco il francese. (Sourires.) C’est mon côté frontalier…
Monsieur le sénateur – j’ai failli dire « Monsieur mon sénateur », puisque vous êtes le sénateur de mon département –, vous m’interrogez sur un certain nombre de sujets importants.
D’abord, je ne reviendrai pas sur la date de réouverture des remontées mécaniques, car je ne suis pas là pour faire une annonce sur ce point. Le Premier ministre s’est déjà clairement exprimé à ce sujet. Le 20 janvier, une annonce interviendra : j’espère qu’elle sera positive, et je ferai tout pour qu’elle le soit, parce que je sais ce qu’est un territoire de montagne.
Je sais aussi, pour citer un cas qui me semble intéressant, celui des médecins de montagne, ce que représente l’absence de clientèle touristique pour les zones de montagne, d’autant que le secteur médical n’est pas forcément aidé à l’heure actuelle. J’ai déjà demandé à Bercy si l’on ne pourrait pas envisager un certain nombre de mesures destinées à ces médecins. J’ai bien conscience du risque que ferait courir une diminution du nombre des médecins dans les cabinets médicaux, qui serait tout simplement causée par la baisse de solvabilité liée au tourisme.
M. Loïc Hervé. Eh oui ! CQFD !
M. Joël Giraud, secrétaire d’État. Je connais parfaitement le sujet pour l’avoir de nouveau abordé lors de mon déplacement en Savoie, où j’ai rencontré les médecins de montagne. Cela fait partie des problèmes qui incitent à répondre positivement aux demandes de réouverture des remontées mécaniques ou à prévoir un système indemnitaire.
S’agissant des stations, il est faux d’affirmer que l’on fait une différence selon le statut des régies de remontées mécaniques. Comme je le disais précédemment, l’affaire est parfaitement réglée en ce qui concerne la problématique du chômage partiel. Concernant les aides, les choses sont très claires dans mon esprit : celles-ci ont fait l’objet d’une notification à la Commission européenne au titre des aides d’État dans les conditions que j’indiquais dans mon propos liminaire. Ces aides sont donc indépendantes du statut de la station.
À l’heure actuelle, dans la mesure où nous n’avons pas encore de retour de la Commission européenne à ce sujet, je ne peux pas vous répondre que les aides seront précisées dans un décret. Celui-ci ne peut pas être publié tant que la notification de Bruxelles ne nous est pas parvenue. Sachez cependant que vous pouvez compter sur ma totale vigilance pour que, de la même façon que pour le chômage partiel, nous disposions de tous les moyens juridiques pour que les stations de sports d’hiver puissent bénéficier d’aides économiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.
M. Jean-Jacques Michau. L’importance de la préservation du pastoralisme en France n’est plus à démontrer. Ce mode d’élevage joue un rôle essentiel, au niveau tant économique que du maintien des populations rurales, de la biodiversité, des paysages, de l’aménagement du territoire et, bien entendu, du développement de l’économie touristique. Le maintien de montagnes vivantes passe inévitablement par le développement de l’activité économique.
Or, dans certains territoires, notamment dans les Pyrénées, et particulièrement en Ariège, les éleveurs doivent faire face à la présence de prédateurs qui se livrent très régulièrement à des attaques de troupeaux. Ces attaques répétées des ours affectent dramatiquement le quotidien des éleveurs. Cette situation a pour conséquence directe de faire régresser le pastoralisme, souvent par découragement. Les éleveurs transhumants aspirent à pouvoir exercer leur travail dans de bonnes conditions, sans pression extérieure d’un prédateur peu maîtrisé.
Monsieur le secrétaire d’État, nous savons tous que l’ours est une espèce strictement protégée au titre de la convention de Berne et de la directive européenne Habitats-faune-flore. Mais cette convention date de 1979 : à cette époque, l’Europe comptait neuf membres et les ours slovènes étaient en voie de disparition. Aujourd’hui, l’Europe se compose de vingt-huit membres, et alors que la France s’escrime à introduire des ours slovènes à grands frais au risque de voir se réduire l’activité pastorale, la Slovénie abat de son côté plusieurs dizaines d’ours par an. Si vous avez quelques milliers d’euros à dépenser, vous pouvez aller tuer un ours en Slovénie quand, dans les Pyrénées, on s’évertue à grand renfort d’argent à maintenir cette même population slovène délocalisée.
Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, depuis 1979, les choses ont bien changé. Ne pensez-vous pas qu’il serait opportun de demander aux instances européennes de rediscuter de cette directive et d’envisager la sauvegarde des espèces à l’échelon européen avec un budget dédié ? (M. Jean-Marc Boyer applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, je connais bien votre département pour avoir été membre, il y a fort longtemps, d’une mission d’information sur les prédateurs, dont le champ concernait l’ensemble des massifs. Je me souviens de m’y être rendu à l’époque avec une députée des Hautes-Alpes, Mme Henriette Martinez. En présence du président du conseil général de l’époque, Augustin Bonrepaux, nous avions alors vu in situ ce qui se passait réellement là-bas.
En matière de prédation, deux ministères sont compétents : le ministère de l’agriculture, d’une part, le ministère de l’environnement, d’autre part. Personnellement, je suis plutôt de ceux qui ont toujours suivi la position du ministère de l’agriculture sur ces questions, même si je suis davantage confronté aux problèmes liés au loup qu’à ceux qui sont causés par les ours.
Le nombre des prédations est en augmentation ces dernières années, malgré une stabilisation en 2020. Dans le massif des Pyrénées, si l’on prend les derniers chiffres consolidés sur une année complète, à savoir l’année 2019, ce sont 362 dossiers représentant 1 173 animaux qui ont fait l’objet d’une indemnisation au titre d’une responsabilité non écartée de l’ours – puisque c’est la terminologie qui convient. Et c’est votre département, monsieur le sénateur, qui paie chaque année le plus lourd tribut, avec 80 % du total pour l’ensemble du massif.
Pour répondre à l’inquiétude très forte, j’irai même jusqu’à dire « la colère » des éleveurs de l’Ariège, les ministres de l’écologie et de l’agriculture ont lancé une mission d’audit conjointe entre le Conseil général de l’environnement et du développement durable et l’Inspection générale de l’agriculture pour évaluer la situation sur le terrain et formuler un certain nombre de recommandations, qui se sont traduites par une feuille de route adoptée en juin 2019 et actualisée en juin 2020. Celle-ci intègre désormais les orientations du Président de la République, qui visent une réduction de la prédation des ours sur les troupeaux, une rénovation de la gouvernance locale, avec un certain nombre de mesures que je ne rappellerai pas, parce que je pense que vous en êtes parfaitement informé.
Je ne méconnais donc pas le problème, mais je suis attaché à la mise en œuvre concrète de ce plan et de la feuille de route « pastoralisme et ours », en lien avec les ministres de la transition écologique et de l’agriculture. Nous souhaitons concilier la protection de cette espèce emblématique des Pyrénées et le développement de l’économie locale, notamment du pastoralisme, qui me semble plus qu’indispensable pour votre département.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Michau. Je suis bien conscient que la perception de nos concitoyens dépend du lieu dans lequel ils résident. En effet, plus on s’éloigne de la montagne, plus l’ours ressemble à la peluche de notre enfance… Pourtant, l’ours est une bête dangereuse : faudra-t-il attendre des drames humains pour que des décisions énergiques et de bon sens soient prises ?