PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la stratégie vaccinale contre la covid-19 est un sujet qui soulève de nombreuses interrogations : comment, en effet, mettre en œuvre cette vaccination au regard des règles actuelles et des besoins de la population ?
La Haute Autorité de Santé a fondé ses recommandations sur une diminution de la morbi-mortalité liée à la covid-19, en se focalisant sur l’âge, puis sur la présence de facteurs de santé à risque.
Dans la phase initiale, durant laquelle un nombre limité de doses sera disponible, deux populations apparaissent prioritaires, en raison de leur vulnérabilité et de leur exposition accrue au virus. Il s’agit des résidents d’établissements accueillant des personnes âgées et des personnels exerçant dans ces mêmes établissements.
L’autorisation de mise sur le marché devrait être rendue par l’Agence européenne des médicaments le 21 décembre prochain. Le Gouvernement envisage de commencer à vacciner dans les Ehpad dès la fin du mois de décembre. Il s’agit donc d’une mise en œuvre extrêmement rapide.
Je m’interroge cependant, monsieur le ministre, sur les modalités pratiques de mise en œuvre de la vaccination contre le covid-19, qui appellent de ma part un certain nombre d’observations.
Premièrement, qu’en est-il du consentement libre et éclairé des personnes qui se feront vacciner ? Je rappelle que les conditions du consentement sont prévues à l’article L. 1111-2 du code de la santé publique, l’information étant délivrée au cours d’un entretien individuel. Le consentement libre et éclairé à la vaccination contre le covid-19 suppose donc que les patients soient informés au préalable, par leur médecin traitant, de l’efficience du vaccin, de ses éventuels effets indésirables et des contre-indications.
Or comment s’assurer, monsieur le ministre, du consentement libre et éclairé des patients, notamment pour ceux qui présentent des troubles cognitifs ? Leur entourage familial ou la personne de confiance seront-ils interrogés ? Le recueil du consentement sera-t-il oral ou écrit ? Avez-vous envisagé l’utilisation de l’application Stop Covid pour déclarer le consentement ?
Mme Chantal Deseyne. Avez-vous prévu que la phase de recueil du consentement et la vaccination se fassent de façon distincte, conformément à ce que prévoit l’article L. 1111-2 du code de la santé publique ? Le cas échéant, un début de vaccination contre le covid-19 dès la fin du mois sera-t-il compatible avec la législation actuelle ?
Deuxièmement, en ce qui concerne la première phase de vaccination dans les Ehpad, 30 % des établissements ne disposent pas de médecin coordinateur et, dans beaucoup d’autres, le médecin ne passe dans l’établissement qu’une fois par semaine, ce qui risque de compliquer l’organisation de la vaccination. Par conséquent, allez-vous vous appuyer sur les médecins libéraux ?
L’entrée de la deuxième phase de vaccination marquera le début de la massification, en ouvrant progressivement le vaccin à la population générale. Plusieurs raisons plaident en faveur d’une vaccination s’appuyant sur les médecins généralistes, qui ont la confiance de leurs patients, ainsi que sur les infirmiers libéraux et les pharmaciens.
Comment envisagez-vous de construire l’organisation de la vaccination de masse ? Y aura-t-il des régions ou des départements prioritaires ? Quel sera le rôle des préfets et des élus locaux ? Quelle est la composition du comité d’élus locaux que vous envisagez de réunir tous les quinze jours, et quel sera son rôle ?
Enfin, j’appelle l’attention du Gouvernement sur la situation des 3,8 millions de Français qui vivent dans des territoires sous-dotés en médecins généralistes, soit 6 % de la population. Il ne serait pas acceptable que les Français habitant dans les déserts médicaux pâtissent, durant cette campagne de vaccination, du faible nombre de professionnels de santé.
M. le président. Il vous faut conclure, ma chère collègue.
Mme Chantal Deseyne. Comment l’État va-t-il pouvoir répondre à la pénurie de médecins pour vacciner dans les territoires sous-denses ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Belin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’histoire a fait de la France un grand pays de la vaccination.
Louis Pasteur, mais aussi Albert Calmette et Camille Guérin ont jalonné l’histoire de notre pays, montrant tous les bienfaits de la vaccination, que nous attendons tant face à la covid-19.
Oui, il faut vacciner, oui, il faut inciter à vacciner ; c’est certain. D’ailleurs, parmi les débats que nous pourrions avoir, certains pourraient porter sur la prise en charge gratuite de tous les vaccins et sur la suppression de la TVA sur les vaccins, qui serait la meilleure façon d’inciter à la vaccination.
S’agissant de notre débat de ce matin, je vous rejoins sur un point, monsieur le ministre : ne créons pas de vaccinodromes, car ce serait anxiogène ! Tout acte médical doit être solennel. Il faut saisir toute occasion, s’appuyer sur la proximité et sur la confiance envers les médecins généralistes et les pharmaciens. Ces derniers ont bien montré leur efficacité avec la vaccination antigrippale en officine, à l’occasion de laquelle ils ont su capter une patientèle qui ne serait pas forcément allée se faire vacciner.
Évidemment, si l’on veut être partout, la question de la logistique et des stocks sera essentielle : des guerres se sont perdues pour des questions d’intendance… Vous avez évoqué le mécanisme de l’ARN messager, mais je voudrais aussi que l’on puisse parler du messager qui va porter, partout en France, un stock suffisant de vaccins, pour que les territoires ruraux les plus isolés et les territoires ultramarins puissent en bénéficier.
N’allons-nous pas nous retrouver, là encore, face à une pénurie ? L’impréparation de la campagne vaccinale antigrippale 2020-2021 est l’illustration des questions que nous pouvons nous poser, ici, dans la cinquième puissance mondiale, alors que nous devons contingenter. D’ailleurs, nous avons encore aujourd’hui des listes d’attente pour délivrer les vaccins contre la grippe…
Je souhaiterais que l’on y voie clair, en attendant votre réponse, monsieur le ministre, sur les stocks réellement disponibles aujourd’hui dans le pays. On a entendu parler de 200 millions de doses, alors que c’est peut-être en réalité cinquante fois moins : c’est là qu’il va falloir que nous soyons très clairs sur le calendrier.
Par ailleurs, qui vacciner ? Il y a tout de même, sur ce point, monsieur le ministre, deux ou trois choses qui me choquent. Vous avez employé un terme qui a créé beaucoup de confusion depuis le 27 octobre dernier : « essentiel ». Il y aurait des individus « essentiels » et « non essentiels » – cela me rappelle quelque chose –, mais pour moi toute vie est essentielle !
S’il n’y a pas de problème de stocks, alors il n’y a pas de problème de priorité ! (M. le ministre lève les yeux au ciel.) Tenons-nous en à assurer la distribution partout, et laissons la responsabilité à chacun d’aller se faire vacciner, comme pour tout acte médical au quotidien.
La priorité ne doit pas être déterminée par classe d’âge. Je prends acte, bien évidemment, de la situation des Ehpad, monsieur la ministre : il y a un mort sur deux dans ces établissements.
Ayant été, jusqu’à quelques jours à peine, président de département, je pourrais vous parler du fonctionnement des Ehpad et des points faibles qui existent à ce niveau.
Quoi qu’il en soit, au-delà des questions d’âge, les médecins généralistes et spécialistes – n’opposons pas ces deux catégories – jouent un rôle essentiel : eux-mêmes doivent pouvoir définir le niveau de priorité, parce que la question des comorbidités – asthme, insuffisance cardiaque, diabète avec surcharge pondérale, etc. –, que vous n’avez pas encore évoquée, est déterminante. Il s’agit là, non pas de questions d’âge, mais bien de problèmes médicaux, qui doivent relever de la discrétion du médecin.
J’espère que nous réussirons ce défi, monsieur le ministre ; en tout cas je le souhaite, car il y va de l’intérêt de tous. Dans deux cents jours, en juillet 2021, nous fêterons le centième anniversaire de la première vaccination contre la tuberculose, par Albert Calmette et Camille Guérin. J’espère que nous connaîtrons le même succès qu’eux, dont les travaux ont fait progresser l’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis de longs mois, l’épidémie de covid-19 mobilise sans discontinuer nos professionnels de santé, met à terre notre économie et démoralise notre nation. La perspective d’un vaccin est donc un fantastique espoir, qui semblait hors de portée il y a quelques mois encore. La recherche a été rapide et constitue un élément de satisfaction, dans une période qui en compte peu.
À l’heure où cet espoir se fait jour et où d’autres pays s’emploient déjà à le matérialiser, j’observe que le débat se focalise sur la supposée réticence des Français à se faire vacciner.
Prenons garde que, à faire tourner en boucle cette défiance, elle ne finisse par s’auto-entretenir. La couverture vaccinale des Français n’est pas très bonne, il est vrai, mais celle des enfants l’est, et le passage à onze vaccinations obligatoires n’a pas soulevé la levée de boucliers annoncée.
Pour réussir la stratégie vaccinale, il faut relever de nombreux défis, qui sont avant tout logistiques : la mise à disposition de vaccins en nombre suffisant – c’est là la vraie question –, conservés dans de bonnes conditions et administrés aux bonnes personnes et par les personnels les plus appropriés.
Souvenons-nous de l’échec de la campagne de vaccination contre la grippe A. Notre collègue Alain Milon, rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale de l’époque, déplorait « l’incompréhension face à une campagne de santé publique à laquelle n’étaient pas associés les médecins ».
Il pointait là une condition majeure du succès d’une stratégie vaccinale : le médecin traitant est central pour la prise en charge de ses patients. Les généralistes, les pédiatres, les sages-femmes, les infirmiers et, d’une façon générale, l’ensemble du premier recours, doivent être placés au cœur de la stratégie vaccinale, au stade de son élaboration comme de sa mise en œuvre.
En avez-vous tenu compte, monsieur le ministre, dans les instances que vous avez mises en place ? Prenons l’exemple du comité scientifique sur les vaccins covid-19, créé au premier semestre 2020 : il ne comportait alors aucun médecin généraliste et, de façon tout aussi surprenante, il ne comprenait aucun représentant des usagers du système de santé !
Qu’en est-il du nouveau Conseil d’orientation sur la stratégie vaccinale, que vous avez créé au début du mois de décembre ? Comprend-il des médecins généralistes et des représentants d’usagers ? Sa composition demeure introuvable sur internet…
Cela m’amène, monsieur le ministre, à interroger, conformément aux observations de la commission d’enquête, la démarche de votre gouvernement dans la mobilisation de l’expertise scientifique. Les Français, au premier chef les professionnels de santé, sont en effet dans l’attente d’une stratégie simple et lisible, fondée sur un rationnel scientifique puissant.
La HAS a déjà produit deux avis sur une stratégie vaccinale contre le covid-19, en juillet et en octobre 2020 ; notre commission a entendu sa présidente hier. Le conseil scientifique, le comité analyse recherche et expertise, le CARE, ont eux-mêmes publié un avis commun sur la question en juillet dernier.
Or, non content de ce paysage encombré de l’expertise scientifique, vous venez d’y ajouter un Conseil d’orientation sur la stratégie vaccinale, dont on saisit mal l’articulation avec les agences sanitaires et les instances ad hoc déjà mises en place, même si je tiens à saluer la clarté de l’intervention du professeur Fischer, hier, devant la commission des affaires sociales. Devant cette profusion d’avis, quelle instance scientifique allez-vous finalement écouter pour arrêter votre stratégie ?
Je terminerai par la sécurité : c’est en rassurant nos concitoyens sur cet enjeu que nous gagnerons leur confiance. Leurs interrogations sont légitimes face à des techniques vaccinales nouvelles.
À cet égard, notre système de pharmacovigilance, pour assurer une veille permanente des moindres incidents, sera déterminant. Quels moyens comptez-vous y consacrer ? Plutôt que de laisser les théories complotistes les plus fantaisistes empoisonner le débat public, nous devons les combattre avec détermination, science à l’appui. Dans cet exercice, notre meilleur allié, une fois encore, est toute la communauté de professionnels en santé, qui a la confiance des Français. C’est en garantissant leur adhésion à la stratégie que nous pourrons les convaincre.
J’ai bien compris l’étalement en différentes phases, qui semble lié, pour partie, à l’impossibilité de garantir des vaccins en nombre suffisant. Mais alors que beaucoup de Français sont impatients, il est particulièrement anxiogène, notamment pour les personnes âgées à domicile, de les laisser attendre plusieurs mois. Transparence, indépendance et vigilance : voilà, à mon sens, les maîtres mots d’une campagne vaccinale efficace. J’attends de ce débat que vous nous montriez comment vous entendez en tenir compte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Mme Florence Lassarade, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il me revient de conclure ce débat, au nom de l’Opecst ; je me réjouis que sa voix puisse être tendue dans cette discussion.
Structure commune au Sénat et à l’Assemblée nationale, sous la double présidence de Gérard Longuet et de Cédric Villani, l’Opecst « a pour mission d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique, afin d’éclairer ses décisions. »
Depuis le début de la crise du covid-19, l’Opecst s’est réuni très régulièrement ; un grand nombre d’experts a été interrogé, et une dizaine de notes de veille sur la pandémie, toutes disponibles sur le site internet du Sénat, ont été publiées. La question des vaccins et la stratégie vaccinale n’est pas nouvelle pour l’Office : nous avons publié en 2019 la note scientifique La Politique vaccinale en France, ainsi que le rapport L’Hésitation vaccinale, dont j’avais eu l’honneur d’être la rapporteure avec deux collègues députés, Cédric Villani et Jean-François Eliaou.
Pour alimenter le débat d’aujourd’hui, l’Opecst a désigné quatre rapporteurs : deux sénatrices – Sonia de La Provôté et moi-même – et deux députés. Nous avons travaillé de façon très approfondie au cours des deux dernières semaines et mené, parfois jusqu’à tard le soir, un grand nombre d’auditions afin d’établir des recommandations sur la stratégie vaccinale face au covid-19. L’Opecst a adopté avant-hier ce rapport, qui comporte vingt-trois recommandations. Je ne vais pas toutes les exposer, mais je tiens à vous présenter quatre des plus importantes d’entre elles.
Premièrement, ce vaccin constitue une avancée scientifique majeure. Le SARS-CoV-2 provoque des réactions très hétérogènes selon les personnes. Nous savons aussi qu’il tue, l’âge étant le principal facteur de risque. Dans l’urgence, le vaccin protège les plus fragiles et évite la survenue de la maladie.
Nous pensons que le vaccin Pfizer-BioNTech, qui sera le premier disponible, présente une balance bénéfices-risques favorable, pour protéger notamment les personnes âgées en leur évitant de développer une forme grave de la maladie. Il est donc intéressant de leur proposer l’administration de ce vaccin en priorité, dans l’attente des autres produits qui arriveront plus tard et qui pourront ralentir davantage l’épidémie, voire la supprimer.
Je le répète, nous ignorons toujours quelle sera la durée de protection liée au vaccin et si celui-ci empêchera la transmission de la maladie. En résumé, si l’intérêt individuel du vaccin est d’ores et déjà certain, l’intérêt collectif, quant à lui, l’est moins. (M. le ministre acquiesce.)
Deuxièmement, afin d’assurer le succès de cette protection vaccinale, la définition d’une stratégie adaptée, de même que la qualité de la logistique sont essentielles. Le défi est immense, surtout du fait des contraintes particulières liées au vaccin Pfizer-BioNTech : stockage à –80 degrés Celsius, durée de transport maximale de douze heures, délais d’exécution de quatre jours et demi, etc.
Nos recommandations sont simples, et il est impératif que la première phase de la vaccination soit réussie pour favoriser l’adhésion de la population, ce qui suppose de ne pas se précipiter. Nous pensons aussi que les professionnels de santé qui le souhaitent et les personnes au contact de publics fragiles devront pouvoir être vaccinés rapidement, si ce n’est prioritairement.
Il conviendra surtout de s’appuyer, en confiance, sur les professionnels de santé de ville, en les informant largement de tous les aspects de la stratégie de vaccination et en prenant rapidement l’arrêté qui permettra l’intervention de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’Oniam, afin que soit garantie l’indemnisation des incidents de vaccination qui pourraient survenir.
Il faudra aussi que le traçage des vaccinations opérées soit efficace, ne serait-ce que pour réaliser la seconde injection, indispensable pour assurer l’efficacité du premier vaccin, au moins. Le carnet de vaccination électronique est un outil intéressant, qui pourrait être mis en œuvre dans la stratégie vaccinale.
Troisièmement, la rapidité avec laquelle les sociétés américaines ont pu mettre au point un vaccin innovant doit nous interroger sur notre capacité à soutenir la recherche et l’innovation dans le domaine médical.
S’il est tout à fait positif que les pays européens aient choisi de négocier collectivement l’achat de vaccins avec les grands laboratoires, il est aussi manifeste que nous ne disposons pas des outils permettant d’investir massivement dans le développement des médicaments stratégiques ou innovants. La Biomedical Advanced Research and Development Authority, ou Barda, américaine, qui a investi 10 milliards de dollars, sous la forme de partenariats public-privé, pour la mise au point de vaccins, permet aujourd’hui aux États-Unis de bénéficier de livraisons prioritaires et de conditions de prix plus favorables. L’Europe devra s’en inspirer.
Quatrièmement, et surtout, il nous faut gagner la confiance de nos concitoyens.
Cette confiance est possible : quelque 15 millions de vaccins contre la grippe ont été administrés dans notre pays en un temps record, à savoir moins de six semaines ! Il faudra répondre aux craintes qui s’expriment dans ce contexte de crise avec un nouveau virus, en explicitant l’analyse bénéfices-risques dans la concertation, la publication des travaux devant aussi contribuer au climat de confiance. Cette dernière ne sera possible que grâce à une totale transparence dans la mise en œuvre de la stratégie de vaccination.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Florence Lassarade, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. J’ai terminé, monsieur le président !
Cela signifie en particulier que la vaccinovigilance devrait être active et renforcée. Elle nécessitera une communication claire et adaptée.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
Mme Florence Lassarade, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Pour réussir, cette vaccination devra s’appuyer sur les compétences et l’engagement des professionnels de santé, des élus locaux et du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions, qui traduisent votre confiance dans la vaccination et notre capacité collective à faire de cette campagne vaccinale un succès, au service de l’intérêt général et de la santé de nos concitoyens, ce dont je me réjouis.
J’évoquerai tout d’abord une question de fond, sur laquelle je ne me suis pas attardé dans mon intervention liminaire, à savoir la pharmacovigilance, ou vaccinovigilance, et la manière dont elle sera organisée.
Nous nous appuyons sur des réseaux et des circuits existants, que nous renforçons : l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, et ses réseaux spécifiques en charge de la pharmacovigilance, la Haute Autorité de santé, Santé publique France et ses réseaux territoriaux, enfin l’Inserm, qui conduira des études scientifiques, afin que l’on puisse procéder à une étude populationnelle de phase 4 et vérifier que tout fonctionne bien.
Tous les effets indésirables, qu’ils soient mineurs ou éventuellement majeurs, seront évidemment déclarés de façon simple, colligés et publiés en toute transparence.
De la même manière, madame Lassarade – j’en profite pour remercier l’Opecst de ses travaux importants –, l’indemnisation par l’Oniam en cas d’aléa thérapeutique, c’est-à-dire de responsabilité sans faute, est bien sûr garantie. Je signerai l’arrêté sans aucune difficulté.
Il existe en fait deux niveaux de responsabilité : les laboratoires doivent garantir que le produit qu’ils commercialisent est de bonne qualité et qu’il ne présente pas de défaut ; et en cas d’effets indésirables liés à une vaccination, comme c’est d’ailleurs le cas pour tous les traitements et pour toutes les prises en charge thérapeutiques, c’est l’Oniam qui entre en jeu.
Il me semble avoir évoqué de façon assez détaillée le rôle des collectivités et leurs différents niveaux d’intervention. Pour vous rassurer davantage, madame de La Provôté, je vous renvoie au communiqué et au tweet qu’a publié Jean Rottner, le président de région Grand Est, dans lesquels il se disait satisfait de constater que les choses avançaient bien, en concertation.
Je pense fondamentalement que le dialogue avec les collectivités est de bonne qualité et je suis à l’entière disposition des élus dans les territoires, quels qu’ils soient. Nous sommes amenés à nous parler plusieurs fois par semaine ; c’est important, j’ai expliqué pour quelles raisons précédemment.
Vous m’avez interrogé sur l’accès aux soins sur tout le territoire, notamment en outre-mer. Une centaine de points de stockage et de distribution sont répartis sur tout le territoire national, ainsi que des congélateurs spécifiques. De mémoire, sept congélateurs de ce type sont prévus pour les territoires ultramarins, qui seront desservis en même temps que l’ensemble du territoire métropolitain. C’est une évidence et une exigence.
Dans certains territoires ruraux et quartiers relevant de la politique de la ville, où l’accès aux soins peut être difficile, nous aurons davantage besoin de l’aide des collectivités pour renforcer les équipes, mettre en place des équipes mobiles d’intervention à domicile des personnes ou les aider dans les transports.
Le choix des cibles vaccinales suscite un véritable débat, que vous ne trancherez pas en tant que sénateurs et que je ne trancherai pas comme ministre. C’est la Haute Autorité de santé, qui calcule les risques et établit une balance entre les bénéfices et les risques, qui nous dira quelles personnes devront être vaccinées en priorité.
Je comprends parfaitement la demande que soient vaccinées les personnes seules et isolées ou les gens qui travaillent dans le champ du handicap.
Personne ne dit que la vaccination n’est pas justifiée dans leur cas. Ce que nous disons, c’est que les publics prioritaires seront décidés par la Haute Autorité de santé, au fur et à mesure que les doses de vaccins arriveront, par ordre décroissant de risques collectifs, puis individuels. C’est ainsi que les choses doivent fonctionner.
Plusieurs d’entre vous ont abordé la question de la résistance et de la confiance ; je n’y reviens pas. Je dirai simplement que je ne porte pas un regard critique sur ceux de nos concitoyens qui ne se sentent pas à ce stade à l’aise concernant le vaccin. D’ailleurs, le Président de la République a annoncé lui-même que la vaccination ne serait pas obligatoire.
Il ne s’agit pas de forcer les gens à accepter le vaccin ou de considérer que ceux qui ont peur, qui s’inquiètent ou qui s’interrogent auraient tort de le faire. Nous sommes un peuple doté d’un esprit critique, et c’est aussi ce qui fait de nous un grand peuple scientifique. Saint Thomas disait : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ».
Il est probable que le niveau de confiance augmentera dans la population à mesure que la campagne de vaccination progressera, mais je ne reproche jamais à quelqu’un d’avoir peur d’un traitement que l’on veut lui prescrire. Je ne lui reproche jamais de s’interroger, de poser des questions. Toute notre tâche, qui est un travail de conviction, c’est d’arriver à faire comprendre à cette personne que ce qu’on lui propose présente pour elle beaucoup plus de bénéfices que de risques.
Pour autant, nous ne nions pas qu’il puisse y avoir des risques, mais c’est également le cas avec le paracétamol, qui peut provoquer des effets indésirables, comme des réactions hépatiques ou allergiques !
Évidemment, on peut s’attendre à ce que de grands magazines ou des quotidiens mettent en une le cas de telle ou telle personne qui aura plus ou moins bien réagi à la vaccination. Peut-être que cela n’aura aucun lien avec la vaccination, mais comme cette personne aura été vaccinée auparavant, on en établira un.
Parmi les 183 pays de l’Organisation mondiale de la santé ayant organisé une campagne de vaccination contre l’hépatite B, nous sommes le seul à l’avoir suspendue pendant des années au motif qu’un neurologue avait identifié des cas de sclérose en plaques déclenchés chez des gens qui avaient été vaccinés dans l’année auparavant. Or c’était un aléa statistique.
La vaccination provoque des réactions immunitaires, qui sont recherchées, mais elles ne provoquent pas de maladies auto-immunes chez les patients. Simplement, la réaction immunitaire – c’est aussi le cas de la grippe – peut déclencher une maladie qui était sous-jacente, que l’on appelle quiescente, et qui ne demandait qu’à apparaître. Tout cela est éminemment compliqué à expliquer.
Je le répète, il n’est pas question de nier que le vaccin puisse présenter des risques ou avoir des effets indésirables. Ce qui est sûr, c’est que le covid, quand on l’attrape, a lui des effets désastreux dans un grand nombre de cas.
Le problème et l’avantage de la vaccination, c’est qu’elle est tellement efficace que l’on en a oublié de quoi elle nous préservait.
En France, il a fallu rendre la vaccination contre la rougeole obligatoire, parce que la couverture vaccinale avait tellement baissé que des enfants développaient de nouveau des encéphalites extrêmement graves, pouvant provoquer des handicaps à vie ou un décès.
La France est un pays où l’on est systématiquement obligé, dès qu’un patient arrive aux urgences pour une coupure, de vérifier qu’il est à jour de sa vaccination antitétanique. Pourtant, qui a déjà vu un malade atteint du tétanos en position d’opisthotonos dans son lit en attendant la mort ne peut qu’être favorable à la vaccination, car elle nous protège.
À cet égard, qui, parmi nous, est vraiment sûr d’être parfaitement à jour de sa vaccination ? (Plusieurs sénateurs lèvent la main en disant : « Moi ! ») Il y a manifestement beaucoup de soignants au Sénat ! (Sourires.)
Monsieur le sénateur Jomier, nous n’avons pas, hélas, éradiqué la poliomyélite, mais nous l’avons fait fortement reculer. En revanche, nous avons éradiqué la variole. Voltaire rapporte que 60 % de la population attrapaient la variole et que 20 % en mouraient… Ceux qui survivaient conservaient des cicatrices très profondes à vie. La variole a décimé des continents entiers pendant des années. Il n’y avait rien à faire pour s’en protéger, même pas la distanciation sociale.
C’est l’Anglais Edward Jenner qui a développé le premier concept de vaccination à partir de la vaccine, la variole des vaches. On a oublié ce que c’était. La variole a été éradiquée dans les années 1990. L’OMS propose, je crois, un million de dollars à quiconque identifierait un cas de variole. Ne subsistent aujourd’hui, pense-t-on, que des souches sous le permafrost et quelques exemplaires dans des laboratoires P4, afin de pouvoir développer des vaccins. On a oublié que la vaccination a sauvé l’humanité à de nombreuses reprises.
Vous m’avez posé ensuite des questions d’ordre pratique sur les livraisons de vaccins. Aujourd’hui, 1,2 million de doses sont attendues pour la fin du mois de décembre, 0,7 million de doses complémentaires seront livrées au début de janvier et 1,6 million de doses de Pfizer-BioNTech au mois de février.
À présent, je vous prie de bien vouloir m’excuser, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je vais être un peu piquant ; ne le prenez pas mal ! (Exclamations amusées sur diverses travées.) Je préfère prévenir. Le principe est le même que celui de la vaccination : mieux vaut prévenir que guérir… (Sourires.)
Il m’a semblé que certains d’entre vous considèrent que nous manquerions de doses et que la responsabilité en incomberait au Gouvernement. J’imagine que j’ai mal compris ces interventions, parce que chacun sait pertinemment ici, surtout ceux qui, parmi vous, sont pharmaciens ou médecins, que l’on dispose des vaccins à mesure que ceux-ci sont produits. Nous sommes bien d’accord : ce n’est ni le Gouvernement ni le ministre qui les fabrique, et il faut satisfaire la demande à l’échelle mondiale !
Agnès Pannier-Runacher, Clément Beaune et moi avons fait en sorte que tous les pays d’Europe soient servis au prorata de leur population. À la demande du Président de la République, nous avons fait inscrire que nous garantissions l’accès au vaccin aux pays n’ayant pas les moyens de passer de contrats avec les laboratoires, afin de protéger aussi leurs populations.
Nous vaccinerons évidemment au fur et à mesure que les vaccins arriveront. La priorisation sera en très grande partie liée au fait que nous ne disposerons pas de vaccins en quantité suffisante pour pouvoir vacciner tout le monde, mais il ne s’agit pas là d’un manque d’anticipation ou de préparation, ni d’un manque de volonté politique. Nous sommes tous dans la même situation : nous attendons que les vaccins soient produits.
Une fois on nous dit que le vaccin a été produit trop vite, une autre fois que l’on n’en a pas assez et pas suffisamment vite… Je vous en conjure, n’engageons pas une telle polémique, car elle ne contribuerait pas à créer un mouvement général de confiance.
En ce qui concerne le consentement, écrit ou oral, la question n’est pas complètement tranchée. J’ai saisi la direction générale de la santé pour m’éclairer, sachant, je le rappelle, que le code de déontologie et le code de santé publique reconnaissent l’inversion de la charge de la preuve.
En tant que médecin, vous pouvez avoir fait signer un consentement à votre patient, mais cela ne vaut rien : il vous faudra de toute façon démontrer que vous lui avez apporté une information claire, loyale et appropriée. La responsabilité est la même, que le consentement soit oral ou écrit. Ce qu’il faut, c’est montrer que l’on a pris le temps et que l’on s’est assuré que le consentement était recueilli. Ce point n’est donc pas crucial, dans la mesure où il n’emporte pas de conséquence juridique.
Madame la sénatrice Deroche, vous m’avez interrogé sur les instances scientifiques. Pour ma part, je juge l’organisation cohérente.
En premier lieu, le conseil scientifique compte depuis le premier jour parmi ses membres un médecin généraliste, M. Pierre-Louis Druais. En second lieu, le rôle du conseil scientifique est de nous éclairer sur la gestion et sur le pilotage de la crise.
Comme je l’ai déjà indiqué au Sénat, j’ai souhaité, lorsque j’ai été nommé ministre, que les responsables scientifiques qui font de la prédiction, de la mise en œuvre opérationnelle, de l’évaluation et du contrôle ne soient pas les mêmes, car ce n’est jamais sain. Je me suis donc entouré d’une équipe d’experts pour m’éclairer et me permettre de prendre des décisions et de les modifier lorsque c’est nécessaire.
S’agissant de la vaccination, c’est la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation qui a souhaité, et elle a eu raison, qu’un comité scientifique soit constitué en amont, afin d’identifier les recherches prometteuses en matière de vaccins, ne serait-ce que pour guider les décisions politiques de signature de contrats avec les laboratoires.
Toutefois, nous ne voulons pas que ce soit le même comité, après avoir déterminé en amont quelles étaient les pistes les plus intéressantes, qui accompagne la mise en œuvre et l’évaluation de la vaccination. L’indépendance s’obtient en fractionnant et en diffusant les responsabilités, non pas pour s’en défaire, mais parce qu’il ne faut pas être à la fois celui qui met en œuvre, celui qui évalue et celui qui contrôle.
Un très grand expert, vous l’avez reconnu – merci pour lui –, le professeur Alain Fischer, va bientôt publier, madame la sénatrice, la liste des experts avec qui il est amené à travailler. Par ailleurs, une task force, pour employer un très vilain anglicisme dont j’ai horreur – mieux vaut parler de force de travail collective –, a été mise en place sur les questions de logistique pure. Elle ne s’intéresse pas aux questions scientifiques.
Ainsi, nous avons réussi à séparer les structures et les instances, lesquelles se parlent évidemment, mais n’interviennent jamais sur le terrain de l’autre.
Enfin, madame la sénatrice Cohen, je suis toujours ennuyé, alors que vous êtes membre d’un parti politique qui défend les travailleurs, lorsque je vous entends parler comme vous le faites de l’industrie pharmaceutique, en faisant preuve d’une suspicion quasi permanente à son égard.
C’est pourtant l’effort de la recherche, publique et privée, qui va permettre à l’humanité de sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve depuis près d’un an à cause de ce virus. Quant aux 150 000 salariés qui travaillent en France en lien avec l’industrie pharmaceutique, ils n’ont pas la boule au ventre le matin : ils savent qu’ils sont au service de l’intérêt général et de la santé dans notre pays.