M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, c’est la première fois que je participe aux débats sur un PLF, en particulier sur la mission « Gestion des finances publiques ». Le sujet étant assez vaste, je centrerai mon propos sur trois points.
Premièrement, la réforme des retraites est-elle, ou non, une priorité ? De fait, elle était déjà très mal embarquée en début d’année. Puis, la crise sanitaire est arrivée, avec un premier confinement, suivi d’un deuxième… Dans les mois qui viennent, la priorité sera donnée, au premier semestre, à la politique de vaccination dans le pays, puis à la relance économique. Ensuite, nous serons à quelques mois de l’élection présidentielle. Autant dire que la réforme des retraites n’aura pas lieu avant 2022 ! Elle fera donc partie du débat de la prochaine élection présidentielle.
D’ailleurs, c’est un sujet essentiel. Cela renvoie à la vision que l’on peut avoir de la société, de la justice et de la solidarité. Le débat doit donc avoir lieu. Je souhaite que les candidats ne fassent pas l’impasse sur les retraites, comme cela a été le cas en 2007 et en 2017, et je ne parle même pas de 2012 ! Qu’ils donnent leur vision ! Le futur gouvernement, les parlementaires et les syndicats pourront ensuite affiner les choses pour qu’un texte soit voté et que nous trouvions, enfin, une solution sur ce dossier.
Deuxièmement, sur les effectifs de la fonction publique, nous sommes loin des engagements qui avaient été pris par le Président de la République. Cessons d’avoir une approche comptable, et interrogeons-nous sur le rôle de l’État demain. Il y a évidemment des missions régaliennes : la justice, la sécurité, la santé. Et il y a tout le reste. Pour pouvoir réduire les effectifs de l’État, il faut commencer par restreindre le périmètre de ses missions.
Cela nous amène naturellement à la question des règles et des normes. Je ferai preuve d’humilité sur la simplification ; on en parle depuis tellement de temps… Mais peut-être faudrait-il avoir le courage de repartir de la page blanche. Certes, c’est facile à dire, alors que cela représente beaucoup de travail. Mais en cherchant à adapter en permanence les règles et les normes existantes, nous risquons de ne jamais nous en sortir.
Troisièmement, sur les parcours professionnels dans la fonction publique, si beaucoup a été fait par les divers gouvernements sur les dernières années pour permettre aux uns et aux autres de s’épanouir et de passer d’une administration à l’autre, nous ne sommes pas encore allés assez loin. Il reste du travail à faire.
Le groupe INDEP votera ces crédits budgétaires. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la mission « Crédits non répartis », sorte de voiture-balai dans le PLF, contient le programme 551, « Provision relative aux rémunérations publiques », qui agrège les crédits à hauteur de près de 200 millions d’euros de financement des mesures « dont la répartition ne peut être déterminée au moment du vote des crédits ». Cela ne facilite pas, là non plus, la lecture de la politique financière du Gouvernement.
Deux points ont toutefois attiré mon attention.
Le premier concerne le financement du forfait mobilités durables, qui est une aide versée par l’employeur pour financer des trajets domicile-travail moins polluants.
Pour rappel, le secteur des transports représente 30 % des émissions de CO2 en France. La Convention citoyenne pour le climat avait d’ailleurs proposé de « généraliser » et d’« améliorer » ce forfait.
Malheureusement, celui-ci est aujourd’hui toujours facultatif. L’effectivité des mesures prises par le Gouvernement et sa volonté de reprendre sans filtre les conclusions de la Convention citoyenne pour le climat pour les soumettre à un vote montrent encore une fois leurs limites.
Si le forfait mis en place est augmenté, le plafonnement à 500 euros par an du remboursement par l’employeur rend son utilisation parfois inopérante. Par exemple, en Île-de-France, comme le remboursement de la moitié de l’abonnement Navigo dépasse déjà les 400 euros par an, la mesure ne profite pas aux salariés qui prennent un abonnement pour les transports en commun.
Le deuxième point est relatif au financement de la prime de fidélisation destinée aux fonctionnaires de la Seine-Saint-Denis. Alors que celle-ci avait été annoncée par Édouard Philippe, à l’époque Premier ministre, à la fin du mois d’octobre 2019, elle n’a été mise en place qu’une année plus tard, le 24 octobre 2020.
Je note, cette fois avec enthousiasme, que l’exécutif sait parfois s’adapter à la réalité du terrain, puisqu’il a été décidé de ne pas intégrer les personnels hospitaliers parmi les bénéficiaires de la prime…
J’évoquerai maintenant la mission « Transformation et fonction publiques », qui regroupe les crédits dédiés à la formation des fonctionnaires.
Le programme 348 concerne la rénovation des cités administratives. Depuis 2018, un grand plan a été mis en place. Je salue et encourage l’investissement dans la rénovation ou la reconstruction de trente-neuf cités administratives sur l’ensemble du territoire. Cela permettra de réduire la consommation en énergie des bâtiments. Notre groupe a déposé un amendement tendant à abonder ce fonds de 7 millions d’euros, pour améliorer la performance énergétique.
Le programme 352, « Innovation et transformation numériques », est tout à fait révélateur de la « start-up nation », dont nous avons souvent entendu parler : commando UX ; « accélération » et « transformation » des politiques publiques et des méthodes de travail dans les administrations « grâce aux usages et aux technologies numériques », etc.
Cette volonté de développer le numérique est louable, voire nécessaire pour améliorer et rationaliser l’action de notre administration. Mais il ne faudrait pas oublier la vocation de celle-ci : être au service des administrés et assurer le lien avec eux.
Or cet oubli se remarque encore dans la mission « Gestion des finances publiques ».
La volonté du Gouvernement de s’entêter dans une politique de dématérialisation et de concentration des centres d’impôts dans les zones urbaines est aussi un signe de cet éloignement grandissant.
Notre collègue Paulu Santu Parigi vous rappellera que dix des douze perceptions de Corse ont fermé. Souvenons-nous de la disparition progressive, mal vécue, du réseau des bureaux de poste, malgré l’investissement humain et parfois financier d’un certain nombre de mairies.
L’accès physique au service public pour les collectivités comme pour les particuliers disparaît petit à petit. Dans le même temps, le déploiement et le fonctionnement du réseau numérique sont très variables. Cela pénalise les zones rurales, qui sont les premières à voir le service public s’éloigner des citoyens.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne votera pas les crédits de ces missions. Chers ministres, écoutez les représentants des territoires et l’expérience qu’ils ont du terrain ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous terminons ce matin l’examen des missions de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2021. La conférence des présidents ayant décidé que plusieurs d’entre elles seraient examinées conjointement, je les évoquerai successivement.
Tout d’abord, les missions « Gestion des finances publiques » et « Transformation et fonction publiques » regroupent les crédits qui participent activement à la transformation de l’action publique, s’inscrivant en cela dans la dynamique engagée voilà trois ans.
En 2021, la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) devront poursuivre leurs efforts pour combler leur retard technologique et numérique et repenser leurs métiers comme leurs procédures.
La baisse des crédits constatée en 2021 s’explique dès lors presque exclusivement par la baisse des dépenses de personnel.
La mission « Transformation et fonction publiques » retrace les crédits interministériels destinés à soutenir directement la transformation publique.
Les programmes de cette mission, dont les crédits augmentent de 10,7 % par rapport à 2020, constituent la traduction opérationnelle et budgétaire d’Action Publique 2022.
Nous nous réjouissons ainsi de voir les crédits du programme 148, consacré à la formation des fonctionnaires, à l’action sociale interministérielle et à l’appui et à l’innovation des ressources humaines, augmenter de 3,5 %.
Je souhaite également mentionner la hausse des dépenses informatiques, du montant des allocations pour la diversité dans la fonction publique et la bonne mise en œuvre du protocole relatif aux parcours professionnels, aux carrières et aux rémunérations.
Lors de l’examen de la mission à l’Assemblée nationale, l’adoption d’un amendement du Gouvernement a permis d’augmenter de 1 000 le nombre de places en classes préparatoires intégrées. Avec le doublement de l’allocation diversité, c’est un geste de plus en faveur du renforcement de l’égalité des chances dans l’accès à la fonction publique.
Les crédits de paiement de cette mission se caractérisent néanmoins par une sous-consommation importante, notamment s’agissant de la rénovation des cités administratives. Nous attendons que le ministre lève les inquiétudes qui ne manqueront pas de s’exprimer sur nos travées.
Les recettes prévisionnelles du compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État » diminuent légèrement, de 2,63 %, en raison des mauvaises perspectives économiques. Notons cependant que le volet immobilier du plan de relance prévoit une allocation sans précédent de 3,7 milliards d’euros pour la rénovation thermique des bâtiments de l’État.
Le programme 551 de la mission « Crédits non répartis » fait l’objet d’une demande de crédits, pour la quatrième année consécutive. Elle s’élève cette année à 198,5 millions d’euros, contre seulement 16 millions d’euros en 2020. Elle permettra de financer le forfait mobilités durables, la prime de fidélisation en Seine-Saint-Denis et diverses mesures annoncées dans le cadre du rendez-vous salarial du mois de juillet 2020.
La mission « Régimes sociaux et de retraite » voit ses crédits diminuer de 1,9 % cette année, pour atteindre 6,15 milliards d’euros. Toutefois, si l’on considère les besoins de financement observés en 2020, on constate que les montants proposés pour les régimes de retraite de la SNCF et de la RATP sont en hausse.
Notons pour terminer que les dépenses du compte d’affectation spéciale « Pensions » enregistreront en 2021 une hausse de 1,03 % par rapport à 2020. Si le solde cumulé continue d’augmenter dans le PLF pour 2021, l’excédent dégagé connaît une diminution de 46,37 %, en raison notamment du gel du point d’indice et du vieillissement de la population.
Le groupe RDPI vous invite à adopter les crédits de ces différentes missions, qui, à mon avis, font l’objet d’un large consensus au sein de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je regrette de devoir encore une fois évoquer en quelques minutes les enjeux de quatre missions et de deux comptes spéciaux. J’irai donc droit au but, comme on dit à Marseille ! (Sourires.)
Pour commencer, je m’attarderai particulièrement sur la mission « Gestion des finances publiques », qui constitue la principale mission du pôle économique et financier de l’État. L’administration fiscale et les douanes représentent 91 % des crédits de cette dernière. Je salue la simplification de l’intitulé de cette mission. Les remarques que nous avions formulées l’an dernier semblent avoir été entendues sur ce point. Gageons que l’amélioration de la lisibilité et de l’intelligibilité continuera.
Je me félicite également de ce que la crise sanitaire n’ait pas affecté les processus de transformation de la DGFiP et des douanes. Il convient désormais de les poursuivre et, surtout, de les achever.
Je salue ainsi l’ambition du Gouvernement de déconcentrer et de « démétropoliser » ces administrations, qui ont trop d’effectifs en administration centrale, et pas assez sur le terrain, à proximité des usagers, des élus locaux et, bien trop souvent, des problèmes qu’elles ont à traiter. Cela va dans le bon sens, d’autant que la crise sanitaire nous rappelle la nécessité d’accélérer la déconcentration des services centraux pour mieux répondre aux besoins des populations.
Pour autant, ne tombons pas dans le piège d’une décentralisation en trompe-l’œil : ces réorganisations territoriales doivent se faire au minimum en concertation avec les acteurs de l’échelon local, afin de mieux répondre aux enjeux spécifiques de chaque territoire. Nous ne devons pas condamner inutilement des antennes locales de l’administration fiscale. Par ailleurs, nous restons sensibles au devenir de l’administration des douanes, qui connaît d’importantes remises en question de ses missions. Dans tous les cas, nous attendons beaucoup du futur projet de loi « 3D » pour rationaliser et optimiser la décision publique locale, entre État et collectivités.
La mission « Transformation et fonction publiques » voit son périmètre modifié par l’intégration du programme 148, « Fonction publique ». Je constate une annulation de 75 % des crédits de paiement en raison des retards accumulés sur la contractualisation des projets financés par les fonds de cette mission. À l’instar des rapporteurs, je regrette que le Parlement ne dispose pas d’indicateurs plus efficaces permettant de suivre l’évolution des projets, alors qu’une de nos principales missions est le contrôle et le suivi de la mise en œuvre de la loi… quand nous en avons le temps !
Je note ensuite une hausse marquée des « crédits non répartis », répondant ainsi aux dépenses imprévisibles liées à la crise sanitaire. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles !
La hausse du budget des pensions des agents publics devrait continuer de ralentir. J’attire votre attention sur le fait que la programmation de ces crédits se fonde sur des hypothèses dont la concrétisation échappe en partie au pilotage des gestionnaires, la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques n’ayant pas été actualisée. Je ne puis que m’interroger sur l’ampleur de l’écart entre la prévision et la réalisation de ce budget, qui apparaît ainsi assez incertain.
Je terminerai en évoquant le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ». Il me semble plus que nécessaire de lancer une réflexion commune sur le devenir du parc immobilier de l’État. Au-delà des problématiques habituelles, comme le manque de politique unifiée, la maîtrise des coûts ou la rénovation énergétique, la crise sanitaire a largement modifié nos pratiques en généralisant le recours au télétravail. La rationalisation du parc de l’État me semble être un axe de réflexion qui ne doit pas être négligé à l’avenir.
Le groupe RDSE votera les crédits de ces quatre missions et de ces comptes spéciaux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, sommes-nous bien en train d’examiner la mission « Gestion des finances publiques » et non la mission « Suppression des finances publiques » ? (Murmures amusés sur plusieurs travées.) La question mérite d’être posée au vu du nombre effarant de suppressions d’emplois et de la part principale que cela prend dans ce budget.
La prévision de suppression de postes en 2021 est conforme aux annonces de 2020. Ce sont ainsi 4 900 postes qui disparaîtront d’ici à la fin du quinquennat. Les rapporteurs spéciaux notent également que la DGFiP contribuerait pour un tiers à l’objectif révisé de 15 000 suppressions de postes dans la fonction publique d’État fixé par le Gouvernement. Cette administration est donc de loin celle qui contribue le plus à la « rationalisation » de la masse salariale publique.
Lors de leurs auditions, les rapporteurs spéciaux ont demandé aux responsables des trois programmes de la mission jusqu’à quand et à quel niveau ils estimaient que ces réductions d’effectifs pouvaient se poursuivre. Selon eux, il arrivera en effet un « palier où les gains de productivité ne suffiront plus à compenser la réduction des effectifs ».
Ce processus continu de réduction des effectifs trouve toujours une justification différente. C’est tantôt au nom d’une rationalisation de la présence territoriale, tantôt au nom de la modernisation des outils, quand ce n’est pas au nom de la dématérialisation des procédures fiscales et du recours à l’intelligence artificielle.
Mais enfin, mes chers collègues, comment tolérer une baisse de 1,56 % du budget du programme chargé du recouvrement de l’impôt d’État et du secteur public local ? Cela représente une diminution de 123 millions d’euros de dépenses de personnel ! Nous savons pourtant bien que les grandes entreprises utilisent des montages toujours plus complexes pour échapper à leurs obligations fiscales, que les géants du numérique, mis en cause ces temps-ci, refusent de s’acquitter de leur impôt, préférant le contentieux, puis un arrangement avec l’administration, et que les niches fiscales rendent toujours plus difficile de définir le juste montant. Pour rappel, une dépense fiscale sur deux a fait l’objet d’un chiffrage sur la base d’un « ordre de grandeur » ou, pire encore, n’a pas été chiffrée du tout !
Nous ne pouvons nous satisfaire que plusieurs milliards d’euros de recettes fiscales de l’État comme des collectivités locales soient in fine perdus au sein de la mission « Remboursements et dégrèvements », faute d’avoir pu engager les voies et moyens nécessaires à leur recouvrement.
L’administration fiscale, par manque de moyens, s’incline devant l’ingénierie des fraudeurs et la malice des tricheurs. Elle renonce parfois, de guerre lasse. J’en veux pour preuve deux indicateurs.
D’une part, seuls 12 % des dossiers répressifs ont été transmis au parquet en 2020. C’est la part des dossiers transmis à l’autorité judicaire sur la base de la lutte contre la fraude fiscale et l’escroquerie. C’est, bien entendu, largement insuffisant. Il est probable que ces signalements seraient plus nombreux si les moyens d’investigation étaient accrus.
D’autre part, 67 % des créances issues du contrôle fiscal externe ou sur pièces sont réellement encaissées, à l’exclusion des créances sur lesquelles les comptables ne peuvent pas agir. Un tiers des contrôles fiscaux font donc l’objet d’une mesure de recouvrement qui n’aura jamais lieu : l’impuissance de l’administration fiscale, toujours l’impuissance…
Cette impuissance se manifeste également lorsque la France se contente d’un « règlement d’ensemble » de 523 millions d’euros avec Google, renonçant ainsi au moins au double du montant qu’espérait la DGFiP. À son bon vouloir, Google a décidé de « transiger » avec la justice et l’administration fiscale. Cette perte de ressources entérine également une convention fiscale dérogatoire dont nous ne connaissons pas les termes. Qu’est-ce qui a été négocié ? Cette affaire avait été qualifiée d’« hors norme » par un représentant du parquet national financier. Il est impératif que, en face, les moyens consacrés à la lutte contre à la fraude et l’évasion fiscale soient également « hors norme » ou, au moins, à la hauteur.
Le coût de collecte des recettes douanières et fiscales n’est que de 73 centimes pour 100 euros.
Au sein du groupe CRCE, nous ne pourrons évidemment pas voter les crédits de ces différentes missions. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je vais lever d’emblée le suspense : le groupe Les Républicains votera ces crédits.
Cependant, le 29 octobre dernier, la ministre du travail déclarait que le télétravail était, non pas « une option », mais bien une « obligation » qui serait « inscrite dans le nouveau protocole national en entreprise » et que « le temps de travail effectué en télétravail » était « porté à 100 % pour les salariés qui peuvent effectuer leurs tâches à distance ». Heureusement qu’elle n’a pas tenu ces propos lors du premier confinement ! Je doute que la fonction publique aurait alors été en mesure d’appliquer une telle injonction.
En effet, le déclenchement des plans de continuité d’activité ministériels a mis en lumière la forte dépendance des modes de travail actuels aux technologies numériques. Les investissements contraints des années antérieures ont eu de fortes conséquences sur un taux d’équipement limité des agents en matériel de bureautique portable ou sur la fluidité des accès à distance.
Ainsi, au ministère de la transition écologique – je suis rapporteur spécial des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » –, à la fin de l’année 2019, seuls 39 % des agents en administration centrale étaient équipés en ordinateur portable ; ils seront 75 % à la fin de l’année 2020. On comprend bien que le télétravail était compliqué…
Dans un autre ministère, alors que le télétravail était interdit au mois de septembre, c’est-à-dire avant le début du deuxième confinement, il est devenu complètement obligatoire du jour au lendemain sans qu’il soit possible de télétravailler hors de son lieu de résidence administrative. Cela me semble contrevenir au décret du 5 mai 2020, qui est venu actualiser le décret de 2016 sur le télétravail dans la fonction publique. Dans ce même ministère, dont je tairai le nom, les services support refusent catégoriquement d’installer du matériel personnel, par exemple une imprimante, sur l’ordinateur portable de l’agent en télétravail : « Absurdistan » !
Au-delà de l’équipement, ce sont aussi les procédures qui doivent être dématérialisées et simplifiées. Certains ici se rappelleront peut-être comme moi avec nostalgie du parapheur qui monte et qui redescend entre les échelons hiérarchiques pour changer une virgule ou un mot. Je me souviens aussi de la complexité de la gestion des courriers parlementaires, avec l’absence d’un fichier partagé entre le cabinet du ministre et l’administration centrale.
Heureusement, au ministère de la transition écologique, la modernisation est « en marche » ! En 2021 sont prévus des travaux relatifs à la mise en cohérence des dispositifs de gestion du courrier, la mise en place du parapheur électronique, la préparation du recours au vote électronique pour les élections professionnelles de 2022 ou encore le développement des libres-services agents et la dématérialisation des actes administratifs dans la gestion des ressources humaines, le déploiement d’un système d’information (SI) d’archivage électronique ou l’interconnexion des premiers SI. Les collectivités territoriales sont vraiment bien en avance !
Cette mutation de la fonction publique soulève des questions sur le calendrier du plan de relance et les 4 milliards d’euros inscrits pour la rénovation thermique des bâtiments publics.
Certes, les appels à projets lancés le 7 septembre ont rencontré un grand succès, avec 4 000 projets présentés, pour un montant de près de 8 milliards d’euros. Mais le délai de réponse était tout de même très court, un mois, puisqu’il fallait renvoyer les dossiers pour le 9 octobre. N’a-t-on pas retenu des dossiers déjà prêts qui étaient sur les étagères et qui ont ainsi bénéficié d’un effet d’aubaine ?
L’immobilier de l’État va nécessairement devoir évoluer sous l’effet de la généralisation du télétravail, de la transformation numérique, de la transition écologique et de la modernisation des services publics. Nous en avons débattu jeudi lors de l’examen des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
L’immobilier doit s’inscrire dans un temps long. Il peut être un levier de la transformation publique.
L’État est aujourd’hui face à un double défi : gérer son parc dans le temps long tout en répondant à l’impératif du dispositif Éco-énergie tertiaire, introduit par la loi ÉLAN (loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Les objectifs sont ambitieux : il va falloir réaliser 40 % d’économie d’énergie en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050.
Pourtant, comme l’a souligné le rapporteur spécial, la direction de l’immobilier de l’État n’est même pas vraiment en capacité aujourd’hui de donner les volumes du parc qui sont soumis à ce décret, et il n’y a pas encore partout un logiciel de gestion des fluides. Je rejoins donc Albéric de Montgolfier sur l’absence de politique immobilière aujourd’hui. Je la constate en tant que membre du Conseil de l’immobilier de l’État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la mission avec laquelle nous fermons le banc comporte un programme que, vous le savez, j’affectionne particulièrement : la lutte contre la fraude fiscale.
Je remercie d’abord le ministère et ses services de l’excellence du document transversal sur le sujet, qui est d’une aide extrêmement précieuse.
Ouvrir les vannes de la dépense publique suppose – nous l’avons vu avec les différents plans de relance – d’être d’autant plus vigilants face à la fraude. Par sa complexité, l’appareil fiscal français appelle la fraude : plus le système est complexe, plus les fraudeurs peuvent agir facilement.
La simplification de notre système fiscal, notamment au regard du nombre de dispositifs dérogatoires, les fameuses « niches fiscales », serait le meilleur moyen de limiter les coûts, d’améliorer l’efficience et de redéployer les agents de la DGFiP vers le contrôle fiscal.
Je pourrais évoquer nombre de rapports et de missions de la Cour des comptes et d’autres institutions. L’excellent rapport de suivi de l’Assemblée nationale sur la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude est plein d’enseignements, de même que le dernier rapport de la Cour des comptes.
Les résultats de la lutte contre la fraude fiscale sont en trompe-l’œil. Cela a déjà été souligné, la stratégie n’est pas très claire et les moyens ne sont pas en adéquation.
Le PLFR 4 prévoyait déjà une réduction de 500 000 euros du budget de la mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf), créée le 15 juillet dernier en lieu et place de la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF). Le Gouvernement a finalement accepté un amendement tendant à rétablir ces crédits. Mais « pas vu, pas pris » : je ne sais pas comment aurait fait la Micaf pour travailler avec 500 000 euros de moins alors qu’elle vient d’être instituée. Elle doit devenir un acteur essentiel de la lutte contre la fraude, qu’elle soit sociale ou fiscale. Il faut un pôle de la lutte contre la fraude aux finances publiques, qu’il s’agisse de la fraude aux prestations, aux cotisations ou aux impôts, beaucoup plus important que ce qui existe aujourd’hui.
La direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) manque d’expertise, notamment en amont des conventions fiscales internationales. Nous avons eu ici un débat voilà déjà bien longtemps sur l’efficacité de ces dernières. Mais il faut de plus en plus exiger la validation des schémas d’optimisation fiscale. J’ai déposé un certain nombre d’amendements, évidemment retoqués à des titres divers, dans ce PLF pour attirer l’attention sur le sujet. J’espère qu’il y en aura tout de même un ou deux qui passeront entre les différentes fourches caudines.
Nous avons eu cette année des exemples de choses absolument extravagantes. Je pense ainsi à un énorme groupe d’Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), au sein duquel participent à la fois la Caisse des dépôts et consignations et le fonds émirien Mubadala : des fonds publics finissent par de l’évasion fiscale à Jersey et au Luxembourg. Il y a tout de même des problèmes sur ces schémas d’optimisation fiscale ! Je sais que le nombre de contrôles et de validations a été augmenté. Mais j’ai tendance à penser que l’inopposabilité de ce type de schémas s’ils n’ont pas fait l’objet d’un accord des services permettrait de manier un peu la carotte et beaucoup le bâton ! Pour ma part, je plaide pour que l’on utilise plus le bâton que la carotte en la matière…
En ce qui concerne les problèmes de conventions internationales, le réseau conventionnel est extrêmement important.
Les enjeux budgétaires sont extrêmement élevés. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les pertes de recettes au titre de l’impôt sur les sociétés imputables à des pratiques liées aux conventions représenteraient entre 4 % et 10 % des recettes de l’impôt. C’est pourquoi nous souhaitons, et le Sénat dans son ensemble, avoir une définition française de l’« établissement stable ». C’est très important pour les entreprises que nous avons évoquées, notamment celles du numérique. Cela ne marchera peut-être pas à tous les coups. Mais avoir une définition comme celle que nous avons adoptée à deux reprises au Sénat inciterait peut-être nos collègues européens à en retenir une.
L’OCDE a développé un programme de révision des conventions fiscales internationales. Je le répète pour la énième fois, je pense qu’il est grand temps de revoir la convention qui nous lie au Qatar et celle qui nous lie au Luxembourg. Dans un cas, notre pays apparaît comme un paradis fiscal ; dans l’autre, comme une passoire. Dans les deux cas, ces conventions sont absolument inacceptables. Il faut en revoir les fondements.
Quant à la fraude à la TVA, la Cour des comptes est très claire, monsieur le ministre : le compte n’y est pas, ni dans les modalités de contrôle ni dans la récupération des fonds.
La moitié des pays européens utilisent le même logiciel de détection précoce. Pour une raison que j’ignore, le ministère de l’économie et des finances s’appuie sur un logiciel maison, mais je ne suis pas sûre qu’il soit meilleur que les autres…
Alors que de nombreuses fraudes à la TVA sont liées au chômage partiel et au plan de relance, c’est vraiment le moment de faire la chasse à cette fraude, qui représente quand même 15 milliards d’euros par an. Dans la période actuelle, il n’est pas question de laisser de l’argent dehors.
Je termine avec la cerise sur le gâteau, la perle absolue, monsieur le ministre : Tracfin. Je suis absolument fan de ce service, qui plus est présidé par une femme, Maryvonne Le Brignonen.
J’encourage notamment vos services à étudier les recommandations de Tracfin sur les cagnottes en ligne – j’ai déposé des amendements, mais ils ont été retoqués. Au fur et à mesure que le système se développe, les fraudeurs sont de plus en plus malins. Or un fraudeur satisfait est un fraudeur qui revient… Monsieur le ministre, faites en sorte qu’ils ne reviennent pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)