Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les raisons de se satisfaire des crédits alloués à l’agriculture existent. L’une d’entre elles, que nos collègues Françoise Férat, Laurent Duplomb et Jean-Claude Tissot, que je remercie de leur travail, ont à juste titre soulignée dans leur rapport pour avis, est l’inclusion dans le plan de relance d’un volet agricole à hauteur de 1,2 milliard d’euros.
Cette enveloppe répond à l’ambition de réduire le coût des investissements innovants qui permettent d’améliorer le bien-être animal, d’investir dans les abattoirs, de diminuer l’exposition aux aléas climatiques et de réduire l’usage d’intrants.
Sur ces 1,2 milliard d’euros, 250 millions d’euros sont consacrés à la modernisation des élevages et des abattoirs. Est-ce suffisant pour sauver des secteurs qui souffrent d’une crise de vocations sans précédent, laquelle s’explique à la fois par un manque de rentabilité patent, par des conditions de travail d’une violence inouïe et par un discrédit affligeant, ce que personne ne peut raisonnablement supporter pour moins de 1 000 euros, voire moins de 500 euros par mois ?
Parce qu’elle est plus vulnérable que jamais, je concentrerai mon propos sur la filière viande bovine et ses professionnels, outrageusement caricaturés et présentés comme des criminels par des blasés de tout, sauf d’eux-mêmes. Plus 1,8 % : c’est la hausse de la consommation de viande bovine française depuis le début de l’année par rapport à 2019. C’est bien la preuve que les Français semblent résister à l’utopie ou à la dystopie – à vous de choisir selon votre sensibilité ! (Sourires.) – d’une vie sans steak. Pourtant, les cours sont au plus bas. Deux mille : c’est le nombre d’éleveurs bovins, calomniés et harassés, que la France perd chaque année.
Si la crise sanitaire secoue bien évidemment la filière, ses difficultés structurelles la mettent au tapis. L’excellent rapport d’information de notre collègue Jean Bizet présenté au mois de juillet dernier détaillait ses problèmes de compétitivité et d’organisation. Son diagnostic était sévère et il prescrivait comme remède l’intervention de la puissance publique.
Le Gouvernement propose, quant à lui, 250 millions d’euros pour redresser la barre. Monsieur le ministre, suffiront-ils à diversifier l’industrie de l’abattage et de la transformation ? Suffiront-ils à lutter contre la concentration des centrales d’achat de la grande distribution ? Suffiront-ils à pallier l’échec prévisible du mirage Égalim, qui n’a pas renversé le rapport de force défavorable aux éleveurs bovins ? Suffiront-ils à mettre au diapason l’offre et la demande de viande de bœuf sur le marché français ? Suffiront-ils à déployer une véritable stratégie de développement pérenne à l’exportation ? Selon moi, à toutes ces questions, la réponse est « non » !
J’admets, monsieur le ministre, que votre ambition n’était pas forcément de résoudre l’ensemble de ces difficultés. Je conçois même qu’elle se bornait à répondre aux cris d’orfraie de quelques militants antispécistes. Reste que, même si nous devions être plus modestes et nous contenter de résoudre l’épineuse question des abattoirs, ces quelques millions d’euros seraient toujours insuffisants.
Nous arriverons peut-être à améliorer les conditions de travail épouvantables des employés des abattoirs, à faire encore davantage évoluer les pratiques et à moderniser momentanément les équipements. En tout état de cause, cette courte rallonge budgétaire ne suffira pas à sauver la filière.
Alors même que ses produits bénéficient d’une réputation de haute qualité, la France doit faire valoir ses atouts sur les marchés extérieurs. Elle doit aussi arrêter de subir un flux croissant d’importations. Entre 10 % et 25 % de ce qui arrive sur nos marchés n’est pas produit dans le respect des normes que l’on impose à l’agriculture française, qui, elle, ne cesse pourtant de faire évoluer ses métiers et d’investir, sans le soutien de l’État, afin de protéger l’environnement, la santé, le bien-être animal, pour zéro centime de plus sur les cours de vente ces dernières décennies.
Monsieur le ministre, c’est à vous et à votre gouvernement qu’il appartient de remédier à ces défaillances économiques, politiques, sociales et sociétales. Vous l’avez perçu au cours des auditions en commission, le Sénat vous est plutôt favorable. Comme l’aurait dit, je pense, ma grand-mère, agricultrice toute sa vie, si elle vous avait rencontré : « Je crois que c’est un bon gars, il ne fait pas partie de ceux, bien trop nombreux, qui parlent comme des livres et raisonnent comme des tambours. » (Sourires.)
Monsieur le ministre, ne nous décevez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Kristina Pluchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Kristina Pluchet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est à la forêt que je consacrerai mon intervention.
La forêt est un bien précieux. Elle représente, derrière les océans, le deuxième plus grand puits de carbone. Elle favorise la biodiversité, protège la ressource en eau, fixe et stocke le carbone. Si elle souffre durement du réchauffement climatique, elle demeure cependant une excellente alliée pour y faire face.
Hélas, la vitesse de ce changement s’accélère et favorise le développement de maladies et du parasitisme sur les arbres de nos territoires.
Dans l’Eure, la forêt domaniale de Lyons, qui compte 10 700 hectares, est l’une des plus belles hêtraies d’Europe. L’été dernier, j’ai constaté sur le terrain que la cime de nos hêtres brûle. Cette essence est l’une des premières victimes du changement climatique, des épisodes caniculaires et du déficit pluviométrique de ces dernières années.
Face à cette menace, il faut une vision à long terme. Il importe d’adapter la gestion forestière, d’évaluer la résistance des espèces et de se tourner vers de nouvelles essences. Toute la forêt française doit faire face à des enjeux similaires.
Pour reboiser, il faut des moyens techniques, financiers, humains, à la hauteur des défis qui se présentent. Ces moyens devront être consolidés par des décisions politiques fortes.
J’ai pu mesurer l’attention que vous portez à nos forêts, monsieur le ministre. Ce sont quelque 150 millions d’euros du plan de relance que vous souhaitez réserver aux repeuplements forestiers sur les 200 millions d’euros dédiés à la forêt, qu’elle soit domaniale, communale ou privée.
Voilà des mesures que nous saluons et soutenons, mais elles sont nécessairement limitées dans le temps, alors que nos forêts exigent de la durée, de la régularité et de la visibilité.
Or le budget que nous examinons n’apporte pas assez de souffle face aux besoins de nos territoires forestiers. Par comparaison, nos voisins allemands prévoient 800 millions d’euros entre 2020 et 2023 pour soutenir le reboisement.
La politique forestière nécessite des moyens humains et de l’expertise. Or le projet que vous présentiez prévoyait de réduire encore les effectifs de l’ONF. L’Assemblée nationale a rétabli des conditions budgétaires permettant d’annuler cette diminution. Je soutiens cette décision.
Monsieur le ministre, le maintien des effectifs de l’ONF est une nécessité, tout comme le maintien de ceux du Centre national de la propriété forestière, cet établissement public de conseil et d’accompagnement des propriétaires privés, qui exploitent 74 % de la surface forestière. Il me semble essentiel, dans un contexte où la filière bois-forêt est menacée écologiquement et économiquement, de stabiliser les moyens humains dédiés à la forêt.
Je conclus en insistant sur la nécessité de pérenniser les dispositifs existants. Je pense au dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement forestier, le « Defi forestier », et au fonds stratégique de la forêt et du bois. Ils devront être améliorés pour assurer l’attractivité, la simplicité et l’efficacité du dispositif. Je pense, en particulier, à l’une de ses composantes, le « Defi acquisition », qui doit être assoupli dans ses modalités pour assurer un meilleur regroupement des petites parcelles et faciliter leur exploitation.
J’en appelle avec insistance à la pérennisation d’un outil dédié au reboisement, doté de financements à la hauteur des besoins, pour répondre aux enjeux écologiques et développer la filière industrielle du bois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bacci. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bacci. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt représente 31 % de la superficie du territoire. Elle est un atout considérable pour notre pays dans la lutte contre le réchauffement climatique et pour la réussite de la transition écologique et économique.
Le Gouvernement se félicite d’un plan de relance dédié de 200 millions d’euros. On pourrait croire cette enveloppe généreuse. J’avoue être, pour ma part, beaucoup moins enthousiaste.
D’une part, la réduction du nombre de postes d’agents de l’ONF et du CNPF a été unanimement dénoncée par l’ensemble des acteurs du secteur forêt. Je regrette, bien que nos collègues députés aient pu rétablir les effectifs de l’ONF, que ceux du CNPF soient toujours rabotés dans le texte qui nous est présenté, alors même que cet établissement gère, je le rappelle, plus de 70 % de la forêt française. J’espère que vous entendrez raison à ce sujet, monsieur le ministre, et émettrez un avis favorable sur les amendements proposés.
D’autre part, en tant qu’élu local et régional présidant le réseau des communes forestières du Var et pilotant la politique « Forêt » de la région Sud, je sais que la forêt a été sous-dotée – ô combien ! – ces dernières décennies et que le retard à rattraper en termes d’investissement est considérable. Quand je lis, en outre, que nos collègues allemands ont débloqué 800 millions d’euros en faveur de la forêt, je suis inquiet sur notre capacité à exploiter résolument cet « or vert ».
Ne serait-ce que sur la forme, monsieur le ministre, faites-nous plaisir et modifiez la nomenclature budgétaire ! La forêt mérite un programme dédié, et non une simple action.
Loin toutefois de moi l’idée de voir le verre à moitié vide : 200 millions d’euros d’investissement en plus du budget initial, voilà qui représente un premier bon signal pour amorcer la pompe des investissements, qui représentent des recettes pour les communes, des emplois pour nos concitoyens et de l’espoir pour les générations futures.
Cela représente des recettes pour nos communes, car de plus en plus de localités rurales se lancent véritablement dans l’économie forestière. La culture de bois d’œuvre est un investissement stratégique de long terme, dont les retombées économiques constituent des recettes essentielles pour le fonctionnement des petites communes rurales.
Cela représente des emplois pour nos concitoyens, parce que l’économie sylvicole n’est pas délocalisable. L’économie forestière est une réelle perspective de revitalisation de nos territoires ruraux.
D’ailleurs, monsieur le ministre, je vous invite à réfléchir à la création d’un nouveau label, à côté du label bas-carbone, en vue d’encourager les investissements privés dans la forêt, afin qu’ils complètent les aides publiques. Le fait de chiffrer les bénéfices tels que la filtration des eaux et de l’air, le maintien des sols et de la bioversité, ainsi que le rôle social dans le cadre d’un nouveau label, permettrait de toucher d’autres types de politiques RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et des entreprises qui n’ont pas de communication sur le carbone.
Enfin, ces crédits représentent de l’espoir pour les générations futures, car la forêt est le principal levier d’action pour lutter contre le changement climatique. En région Sud par exemple, ce sont 35 % des émissions de CO2 sur le territoire qui sont captées par la forêt et nous visons 50 % d’ici à 2030.
L’Accord de Paris nous engage à la neutralité carbone en 2050. La forêt et ses dérivés sont, de loin, notre principal atout pour atteindre cet objectif.
Vous le voyez, monsieur le ministre, les attentes sont grandes, les possibilités infinies et votre responsabilité est importante. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je me présente devant vous, cet après-midi, dans un contexte singulier et particulier, marqué par la pandémie.
Ce contexte nous oblige à rendre hommage à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui travaillent sans relâche, très tôt le matin jusque très tard le soir, qui ont permis au pays de tenir lors du premier confinement et qui continuent de le faire pendant le deuxième confinement : les agriculteurs, les éleveurs, toutes celles et tous ceux qui travaillent sur la chaîne alimentaire. J’ai la faiblesse de croire que les Français savent ce qu’ils leur doivent et que, dans l’hommage rendu par la Nation à la « première ligne », une part leur était dédiée.
Je tenais à commencer ce propos en leur rendant hommage à mon tour et en les remerciant de manière républicaine pour tout ce qu’ils font.
Ce contexte est particulier aussi parce qu’il nous impose de prendre des mesures de soutien exceptionnelles face aux conséquences de la crise de la covid, car un certain nombre de filières ont été touchées. J’entends ici ou là – M. le sénateur Duplomb en a fait état – que ces aides n’arrivent pas assez rapidement. Où en est-on aujourd’hui ?
À ce jour, toutes les mesures que nous nous étions engagés à prendre sont mises en place, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ces aides concernent les secteurs vitivinicole, de la volaille, de l’horticulture, de la pomme de terre, de la bière, du cidre, c’est-à-dire tous ceux pour lesquels mes équipes et les professionnels concernés ont dû accomplir un travail de dentelle, en vue d’élaborer ce plan de soutien.
Au moment où je vous parle, pour les seuls secteurs que j’ai cités, ces mesures représentent plus de 300 millions d’euros, dont 150 millions ont déjà été déboursés. On peut toujours dire que ces financements proviennent de telle ou telle tuyauterie… À la fin des fins, l’important est que l’argent arrive sur les comptes bancaires.
Toutes celles et tous ceux avec qui je travaille au quotidien savent à quel point mon impatience est grande et ma détermination forte pour accélérer les choses. Toutefois, je vous accorde ce point : ce n’est pas toujours évident, surtout lorsqu’il est nécessaire d’obtenir l’accord de Bruxelles ou du Conseil des ministres pour un certain nombre de dispositifs, car certains relèvent des aides d’État, vous le savez.
Reste que, depuis plusieurs mois, nous avons réussi à déplacer des murs et, en tout état de cause, à mettre toutes ces mesures de soutien sur la table. Je remercie à cet égard M. Pla d’avoir évoqué une partie de ces aides.
À ce moment exceptionnel doit répondre un budget exceptionnel. Les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » dont nous discutons viennent s’ajouter aux financements européens, qui s’élèvent à 9 milliards d’euros par an, et aux 7 milliards d’euros par an de financement fiscal et social. Le budget de la grande maison agricole et agroalimentaire est donc, en réalité, d’à peu près 20 milliards d’euros annuels.
Je le confirme, monsieur le rapporteur spécial Vincent Segouin – je l’ai d’ailleurs toujours dit, y compris lorsque j’étais ministre du précédent gouvernement –, c’est la politique qui guide le budget et non le budget qui guide la politique. Vous dites que vous ne voyez pas quelle vision je veux donner à ce ministère. Je croyais pourtant avoir été clair, mais c’est avec un grand plaisir que je réitère ce que j’ai déjà dit à cet égard, et je vous demande de bien vouloir en prendre note.
On peut me reprocher beaucoup, mais certainement pas de faire preuve d’incohérence dans les propos que je tiens. La question essentielle est la souveraineté, laquelle représente un défi immense pour le secteur de l’agroalimentaire. La crise a montré la résilience de notre système et, en même temps, a agi comme un révélateur dans ce domaine.
La souveraineté, cela signifie sortir des dépendances. Or la première dépendance dont nous souffrons est liée aux importations, par exemple de protéines sud-américaines ou de soja brésilien.
Ce matin même, conformément aux engagements que j’avais pris, l’ensemble de la filière et moi-même avons détaillé sur tous les points la mise en œuvre d’un plan Protéines végétales de 100 millions d’euros. Ce plan est souhaité par le Président de la République lui-même, afin d’augmenter de 40 % en trois ans la surface agricole des légumineuses dans notre pays.
La deuxième dépendance est liée à la question de l’eau. L’agriculture est indissociable de l’eau, tout comme le dispositif assurantiel. Vous avez voté le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) justement pour que les procédures soient plus rapides. Le week-end dernier, je notifiais aux départements qu’ils recevraient 20 millions d’euros pour financer les 20 projets les plus importants à soutenir, selon la remontée du terrain.
Avec l’eau, il s’agit, le plus souvent, non d’une question d’argent, mais bien d’une question de courage politique : il faut monter les dossiers, les faire émerger et ne jamais politiser les problèmes.
J’ai un exemple en tête. Des opposants politiques se sont rendus dans les Deux-Sèvres pour s’opposer à l’installation de bassines, alors que le projet donnait satisfaction en tout point, uniquement pour faire de la politique sur place et pour électriser les débats. Le courage politique, en face, c’est d’assumer les décisions ; c’est ce que je fais.
La troisième dépendance concerne les intrants. Il convient donc d’investir dans le domaine des agroéquipements permettant de réduire leur nombre.
Quel gouvernement, y compris du bord politique que vous représentez, monsieur le rapporteur spécial, a consacré 135 millions d’euros pour moderniser les agroéquipements, avec des taux de subvention de 40 % à 60 % – c’est de « l’argent de subvention » –, et 100 millions d’euros pour subventionner les mesures destinées à lutter contre le changement climatique, lequel entraîne d’ailleurs la quatrième dépendance ?
Nous avons aussi fait preuve d’innovation administrative – j’espère que l’histoire m’en rendra justice – en sortant de la procédure des appels à projets pour passer à celle du catalogue.
Je me souviens que Mme la présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, Sophie Primas, avait évoqué la portée de 9,20 mètres d’un pulvérisateur… Figurez-vous que, dans le domaine des agroéquipements par exemple, nous allons sortir de l’appel à projets et retenir le système du catalogue, lequel a été défini avec la profession. Il y a aujourd’hui 600 références dans ce catalogue et il suffira de cocher les cases pour obtenir rapidement ce que l’on veut. C’est très concret. Pourtant, ce n’est pas ce que vos propos reflétaient.
Vous avez indiqué, monsieur le rapporteur spécial Patrice Joly, que l’absence d’étude d’impact du plan de relance posait problème. Je vous laisserai annoncer aux agriculteurs que l’on ne déboursera pas les crédits de 1,2 milliard d’euros prévus dans ce plan, parce que cette analyse d’impact manque…
L’autre grand axe de la souveraineté se situe à l’échelon, européen.
Je suis désolé de vous dire, monsieur Segouin, que je n’ai jamais tenu les propos que vous m’avez prêtés. Peut-être avez-vous dit cela parce que vous n’êtes pas macroniste – je vous le concède – et que vous ne croyez pas dans le « en même temps »…
Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais dit qu’il ne fallait pas faire d’agroécologie. Au contraire, il faut l’encourager ! Reste qu’il y a une aberration dans notre système : on incite nos agriculteurs à se lancer dans l’agroécologie, alors que la France est intégrée dans un marché commun au sein duquel les autres pays ne respectent pas les mêmes règles.
La création de valeur consiste à pratiquer l’agroécologie et, en même temps, à inciter nos partenaires à respecter nos règles. C’est la grande nouveauté de l’eco-scheme : on promeut les règles écologiques, on crée de la valeur, on va dans le sens de l’histoire et, dans le même temps, on demande aux États membres de faire en sorte que ces eco-schemes soient obligatoires. Il s’agit bien là d’un « en même temps » républicain, non partisan, que tout le monde peut entendre et approuver.
Monsieur Janssens, j’entends vos critiques sur la politique européenne et ses budgets insuffisants. N’oublions jamais les référentiels, c’est-à-dire d’où l’on part !
Quel était le référentiel pour la politique agricole commune ? Quelle était la proposition de la Commission européenne ?
Nous faisons partie d’une construction européenne constituée de vingt-sept États. Au mois d’octobre 2018, la Commission européenne a proposé pour la PAC un montant de crédits de 365 milliards d’euros. La France a alors littéralement renversé la table en signifiant que cette proposition était inacceptable.
Il se disait, y compris au sein de la profession, que si l’on obtenait 375 milliards d’euros pour la PAC, on sabrerait le champagne… Or, grâce à l’action du Gouvernement et du Président de la République, on a obtenu 386 milliards d’euros ! (Mme Patricia Schillinger et M. François Patriat applaudissent.) Si l’on ne part pas du référentiel, cela ne fait pas sens !
On peut toujours espérer davantage, mais, encore une fois, il s’agit d’une politique à vingt-sept ! La ligne rouge de la France était ce budget de la PAC. Je le répète, le montant de l’enveloppe globale de cette politique est passé de 365 milliards d’euros à 386 milliards d’euros. Oui, c’est une avancée majeure ! Comme le soulignait M. Franck Menonville, c’est une politique qui doit se mener sur le temps long.
J’en viens au troisième axe de mon action. Là encore, monsieur le rapporteur spécial, vous avez dit ne pas comprendre mes propos… J’y reviens donc : l’enjeu essentiel de notre politique agricole, au-delà de la vision politique liée à la souveraineté, est une action de court terme en faveur de la création de valeur.
Le domaine agricole a souffert depuis vingt ans de ne pas savoir comment créer de la valeur. On n’a cessé d’imposer des contraintes… Or les agriculteurs sont des entrepreneurs et le monde agricole est un monde d’entrepreneuriat. La seule question qui vaille porte donc sur la création de la valeur !
Ma seule boussole dans le cadre de cette vision politique de la souveraineté, c’est la création de valeur afin que nos agriculteurs puissent vivre de leur métier. (M. Bruno Sido acquiesce.) Plus on créera de valeur, plus rapidement on procédera aux transitions. C’est le maître-mot dans le monde agricole !
Comment créer de la valeur ? En économie, deux possibilités existent : la compétitivité coût et la compétitivité hors coût.
La première question liée à la compétitivité est le temps de travail. Qui peut sérieusement demander à un agriculteur de passer de 70 heures à 75 heures de travail par semaine ?
La seconde question est celle des charges sociales patronales. Certes, le Gouvernement les a plutôt réduites, mais, pas de chance, le monde agricole compte peu d’employés. Les mesures prises ont donc eu un faible impact de ce point de vue.
La troisième question est la fiscalité locale, sur laquelle le Gouvernement a beaucoup agi. Là encore, une difficulté se pose : les agriculteurs ne paient pas les impôts de production. Ils s’acquittent seulement de taxes locales, comme la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB), qui donne d’ailleurs lieu à dégrèvement en cas de grande sécheresse durant l’été. D’ailleurs, on a recours à ce dispositif, qui est du reste très compliqué parce qu’il arrive parfois que l’agriculteur ne soit même pas propriétaire de ses terres ; c’est en effet la seule façon d’augmenter la compétitivité coût d’une exploitation agricole, à l’aune de son compte de résultat.
La raison pour laquelle je vous propose, dans ce budget, de pérenniser le dispositif TO-DE et de créer un crédit d’impôt pour accompagner les exploitations visant la certification « haute valeur environnementale » (HVE), c’est la compétitivité coût ! Au-delà de l’analyse à l’échelle du compte de résultat, que nous encourageons en vue de la répartition de la création de valeur, c’est en effet la seule manière d’aller à l’encontre de cette limite de la compétitivité coût.
La compétitivité hors coût – M. Buis l’a évoqué – revient simplement à accepter de payer ses aliments au juste prix.
Je le dis très clairement, il faut acheter frais et local, mais il faut aussi rémunérer au juste prix. Un concombre frais local produit en France dans le respect de l’environnement n’a de facto pas le même prix qu’un concombre importé, qui est de moindre qualité et produit avec d’autres substances.
J’en appelle donc à tous ceux qui ont les moyens d’acheter ces produits frais locaux – jamais je ne ferai de leçon de morale à qui que ce soit – et leur demande de réfléchir en tant que citoyen au moment de l’acte de consommation et de prendre conscience que, derrière chaque aliment, il y a une femme ou un homme qui travaille avec passion et dont le travail doit être rémunéré à sa juste valeur. Il est essentiel, quand on en a la possibilité, de faire preuve de ce patriotisme citoyen et agricole.
Il faut aller plus loin : l’État et les collectivités doivent accompagner la compétitivité hors coût en créant les chaînes de valeur à l’échelle des territoires. C’est la raison pour laquelle nous consacrons 80 millions d’euros sur deux ans aux projets alimentaires territoriaux (PAT), au lieu de 6 millions d’euros sur quatre ans jusqu’à présent. On va vingt-cinq fois plus vite !
C’est parce qu’il existe une inégalité alimentaire dans notre pays que l’on prévoit 50 millions d’euros pour les cantines : il s’agit d’aider les collectivités locales à investir dans des circuits courts et à passer, par exemple, par des légumeries. Voilà pourquoi nous encourageons la valorisation des produits frais.
En matière de compétitivité hors coût, il faut également citer la modernisation et l’investissement dans les outils de production.
Monsieur le rapporteur spécial Patrice Joly, les abattoirs sont à l’agonie, selon vous. Ce n’est pas exactement la vision que j’en ai. Là où je vous rejoins, en revanche, c’est qu’il faut investir massivement dans ces structures. J’entends que ce qui est prévu n’est pas suffisant. De mémoire de sénateur, à quand remonte un plan de modernisation des abattoirs doté de 130 millions d’euros ? A-t-il même jamais existé ? Je ne crois pas que vous ayez déjà débattu d’un tel plan !
Je suis prêt à entendre toutes les critiques du monde, mais il faut parfois mettre de l’eau dans son vin en reconnaissant les véritables avancées.
Je souhaite, à ce moment du débat, rendre hommage à la grand-mère du sénateur Olivier Rietmann, dont les propos m’ont touché. Je ne sais pas si je suis un « bon gars » (Sourires.), mais j’espère avancer avec ce bon sens paysan auquel je crois. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)
Monsieur Rietmann, la loi Égalim est au cœur de notre projet. Pour avancer sur ce sujet, il faut à un moment admettre la réalité : nous ne sommes pas dans une économie administrée, nous sommes dans une économie où, fort heureusement, l’entente est permise. Si l’on veut faire bouger les acteurs concernés, il faut passer de la guerre des prix à la transparence des marges.
La relation commerciale est un rapport de force. Il faut sortir de la guerre des prix, rendre les marges transparentes et impulser ainsi un mouvement collectif. Telle est la mission que j’ai confiée à Serge Papin.
Dans le temps de parole qui me reste, je répondrai à quelques-unes des questions qui m’ont été posées.
Pour ce qui concerne la recherche, j’ai entendu les débats sur le Casdar. Là encore, quel était le référentiel de départ ? La question posée est la suivante et elle a été débattue cent fois : doit-on rebudgétiser le Casdar ? Nombre d’entre vous se sont battus contre des comptes d’affectation spéciale…
Il s’agissait d’abord de préserver le Casdar, car, comme vous, j’y crois. Son enveloppe est passée de 135 millions d’euros à 125 millions d’euros,
Dans les faits, le Casdar est prélevé sur la création de valeur des exploitations durant l’année précédente. Par conséquent, on n’atteindra probablement pas cette année les 125 millions d’euros. L’année suivante, si l’on dépassait ce montant et qu’il fallait rehausser le plafond, cela reviendrait à une nouvelle dépense d’un point de vue budgétaire.
La seule vraie question se posera donc l’année prochaine : faudra-t-il ou non rehausser le niveau du Casdar ? Cette année, j’ai surtout eu comme priorité de ne pas rebudgétiser ce compte d’affectation spéciale.
Au-delà du Casdar, on consacre 11 milliards d’euros au quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA 4), avec un volet agricole très important. J’ai annoncé ce matin que, dans le cadre du plan Protéines végétales, 5 millions d’euros seraient dédiés à la recherche sur les semences et qu’une aide de 20 millions d’euros serait consacrée à la recherche sur les protéines.
M. le rapporteur pour avis Laurent Duplomb m’a interrogé sur les néonicotinoïdes : 5 millions d’euros seront consacrés à la recherche dans ce secteur dans le cadre du plan de relance et 2 millions d’euros dans le cadre du Casdar.
J’en viens aux 7 millions d’euros consacrés à la recherche sur les alternatives au glyphosate. Deux possibilités s’offrent à nous : soit l’on utilise les recettes non affectées du Casdar, soit l’on procède par redéploiement, ce que nous avons la capacité de faire. Sur le volet recherche, il convient donc de considérer la globalité des montants.
Je vous garantis que je tiendrai les engagements que je prends, j’y mets un point d’honneur.
Monsieur Joly, vous avez critiqué notre politique forestière. Or le programme 149, « Forêt », augmente. Encore une fois, j’en appelle à votre mémoire de sénateurs, mesdames, messieurs : quand un plan pour la forêt doté de 200 millions d’euros a-t-il été présenté dans cet hémicycle ! (M. François Patriat acquiesce.)
M. Gremillet a fort justement relevé que les Allemands y consacraient sept fois plus d’argent que nous. Or la France compte 40 000 hectares de forêts en proie aux scolytes, quand l’Allemagne en dénombre 280 000. Je pense d’ailleurs que, du point de vue forestier, nous sommes beaucoup plus performants que les Allemands, ce dont je me réjouis.
Madame Pluchet, je suis totalement en phase avec vos propos sur la belle hêtraie de la forêt domaniale de Lyons. La question qu’il faut se poser est la suivante : quelle politique forestière souhaitons-nous ? Nous avons eu un riche débat dans cet hémicycle sur ce sujet.
Vous connaissez ma position. Selon moi, une forêt se protège et se cultive ; elle a un rôle non seulement environnemental, mais aussi économique et sociétal. Aussi, nous devons nous retrouver sur la façon de définir les essences de repeuplement et de reboisement, au regard des usages forestiers dans quarante à cinquante ans. À cet égard, l’un de ces usages est à mes yeux très important : la construction bois.
Monsieur Bacci, la question du carbone dans la forêt est absolument essentielle. Je suis prêt à y retravailler avec vous.
La question des outre-mer a été peu évoquée, sauf par M. Buis. Je salue l’accord que nous avons obtenu grâce aux parlementaires européens sur le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Posei). Nous avons réussi à obtenir en ce début de semaine le maintien du budget de ce programme, ce qui était très attendu.
Monsieur Labbé, sur le bio, nous avons fait un certain nombre de choix. Je pense à la pérennisation de l’aide à l’installation – je vous remercie des propos que vous avez tenus à cet égard –, à l’augmentation du Fonds Avenir Bio, sur l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques (ITAB) – questions que nous traitons ensemble de manière constructive – et à la pérennisation du crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique.
Monsieur Cabanel, vous avez évoqué le sujet très important de l’assurance et du volet assurantiel.
Selon moi, la première des assurances, c’est l’eau et la lutte contre les effets du changement climatique. Par ailleurs, met-on en place un système assurantiel privé ? C’est une première option. La seule manière d’y parvenir est alors d’avoir une base de mutualisation la plus élargie possible.
Aujourd’hui, dans la grande culture, seuls 30 % des agriculteurs sont assurés. Cela limite la base assurantielle et renchérit de facto la prime d’assurance.
La première option consiste à élargir la base. Or vous savez comme moi que rendre le dispositif obligatoire ne fait pas forcément consensus au sein même de la profession.
La seconde option revient à utiliser les outils de la PAC, que la France n’a pas utilisés jusqu’à présent, à savoir le règlement omnibus. C’est un beau débat, que nous devrons avoir tranché d’ici à l’été dans le cadre du plan stratégique national.
Je rebondis sur les propos de M. Gay sur l’aide nutritionnelle pour remercier tous les bénévoles « gilets orange » qui, ce week-end encore, ont énormément travaillé.
Lorsque j’étais ministre chargé de la ville, j’ai édité des bons alimentaires et j’ai, tous les jours, été confronté à la réalité de l’inégalité alimentaire. Cela explique ma persévérance à sauvegarder les aides européennes alimentaires gérées par mon ministère. Des dispositifs ont également été mis en place par le Gouvernement. Vendredi dernier, une aide exceptionnelle d’urgence a été versée à plus de 4 millions de foyers. Par ailleurs, l’accès à une alimentation de qualité dans les cantines est un moyen de lutter contre l’inégalité alimentaire.
Tels sont les éléments de réponse que je tenais à vous apporter, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)