Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « pour les représentants, il n’y a rien de plus facile que de voter une dépense, et rien de plus difficile que de voter une recette. » Avec le temps, ce mot de Frédéric Bastiat n’a rien perdu de sa justesse.
Et pour cause : lorsqu’on vote une dépense, on croit faire des gagnants ; lorsqu’on vote une recette, on pense faire des perdants. Ce raisonnement peut valoir au cas par cas, mais ne tient ni à l’échelle d’une nation ni sur le long terme.
Alors que notre taux d’endettement a bondi de 20 points de PIB en un an, nous devons faire preuve de lucidité face à ce mauvais penchant. La crise sanitaire risque de se prolonger, et il nous faut, dès maintenant, préparer un nouveau modèle de développement pour rembourser notre dette.
Cette crise globale est trop profonde pour que nous cherchions à la régler par plus de dépenses et moins de recettes. Le défi est immense. Il consiste à préparer le terrain pour une croissance d’avenir, en semant les germes de l’innovation et de la réparation tout en neutralisant les ferments de colère sociale.
Cette première partie du projet de loi de finances pour 2021 nous a permis de confronter, de façon concrète, différentes visions de ces nouvelles perspectives de croissance.
Le groupe Les Indépendants s’est attaché à défendre les mesures qui renforceront, demain, la compétitivité de la France et l’attractivité de nos territoires. Je pense, en particulier, à la baisse des impôts de production. Je suis certaine que nous en verrons très rapidement les bénéfices pour nos petites et moyennes entreprises (PME) et nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui investiront et recruteront davantage dans nos territoires.
Je me réjouis que cette mesure ait reçu un accueil très favorable du Sénat. Nous sommes nombreux, sur ces travées, à vouloir la réindustrialisation de notre économie et la relocalisation de nos productions en phase avec la transition écologique. Voilà qui devrait y contribuer efficacement.
La partie n’était pourtant pas gagnée d’avance, puisque cette baisse d’impôts s’effectuera aux dépens des collectivités locales, dont nous souhaitons tous préserver l’autonomie financière. Mais sur ce point, je crois que les amendements présentés par la commission des finances ont renforcé les gages que le Gouvernement avait donnés. L’État compensera bien ces pertes de recettes, et les collectivités n’auront plus à choisir entre équilibre de leurs finances et compétitivité de leur territoire.
Pour nous sortir de la crise dans laquelle le virus nous a plongés, nous devrons innover et produire en France, sur l’ensemble du territoire. C’est pourquoi notre stratégie doit consister à alléger la pression fiscale qui pèse sur le capital et le travail, quitte à augmenter la fiscalité sur la consommation.
En matière de politique fiscale, nous assumons le pari de la compétitivité de nos territoires. C’est dans la même logique que nous avons reversé au débat notre proposition de TVA sociale, dont l’objet est de taxer davantage la consommation pour mieux rémunérer le travail.
L’intérêt de cette mesure est double. D’une part, à l’heure du « consommer moins, mais mieux », faire basculer nos prélèvements obligatoires depuis le travail et le capital vers la consommation revient à renforcer notre compétitivité-coût. Cela permet d’avantager les produits français face aux produits étrangers et d’améliorer notre balance commerciale qui en a bien besoin.
D’autre part, alors qu’un consensus politique s’est formé autour de la nécessité de laisser filer nos déficits pour financer la lutte contre l’épidémie, peu de propositions ont surgi pour rééquilibrer sérieusement nos finances publiques.
Disons-le : nous ne pourrons pas nous contenter de voter des dépenses supplémentaires. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants assume également son soutien à certaines hausses d’impôts et à la suppression de certaines baisses.
En voici deux exemples emblématiques : la suppression de la majoration d’impôt pour les entrepreneurs n’adhérant pas à des organismes de gestion agréés (OGA). Nous sommes favorables à la baisse d’impôts pour les indépendants, mais pas au risque d’entamer la fiabilité des comptes.
Plus emblématiques encore sont les deux contributions exceptionnelles que nous avons votées sur les assurances et les ventes en ligne.
Bien sûr, l’impôt n’est pas une baguette magique qui, d’un coup, pourrait changer la réalité. Néanmoins, les Français attendent des entreprises qui ont tiré profit de la crise aux dépens des autres et au gré des circonstances, qu’elles fassent un effort de solidarité. Je doute que l’Assemblée nationale conserve ces contributions exceptionnelles de solidarité, mais nous avons souhaité envoyer un message fort, et nous espérons qu’il sera entendu par les grandes entreprises.
Je considère donc que le Sénat a apporté, de manière responsable, d’importantes améliorations à ce budget. C’est dans ce même esprit de responsabilité que notre groupe souhaite en aborder la seconde partie.
Nous voterons donc en faveur de cette première partie qui pose les premiers jalons d’une fiscalité adaptée aux défis de la sortie de crise et de l’après-crise. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes au cœur de la crise et, à l’issue de ces longues heures de débats, les nombreuses difficultés que nous avions initialement soulignées ne sont malheureusement pas résolues.
Nous avons apporté, il est vrai, un certain nombre d’améliorations à ce projet de loi. Nous avons eu des points d’accord avec la majorité sénatoriale sur les questions du logement, de la participation des assurances au paiement de la crise, de la vente en ligne, ainsi que sur l’amélioration des conditions financières permettant aux collectivités d’assurer cette crise tout en gardant leur autonomie.
Force est toutefois de constater que, sur bien des points qui nous semblent absolument fondamentaux, comme l’ampleur de la crise sociale et écologique, nous ne trouvons nulle trace de la refondation évoquée par le Président de la République le 13 avril dernier. Je pense aux baisses non ciblées et non conditionnées des impôts sur les entreprises, qui viendront grever le budget de l’État de 10 milliards d’euros par an et augmenter les déficits et la dette. Cette même dette « covid » que le ministre Bruno Le Maire appelait encore, ce matin, à rembourser en vingt ans grâce à des réformes structurelles, comme celle des retraites.
Nous savons que le souhait du Gouvernement est de faire payer cette crise, demain, par les salariés, les Français et les territoires, avec la réduction des services publics ; surtout pas par la participation des plus hauts revenus !
Nous avons pourtant été inventifs en soumettant toutes sortes de propositions pour que les plus fortunés mettent la main à la poche. Et ce d’autant plus que, durant cette période, les deux derniers déciles des Français ont accumulé une épargne « forcée ».
Quelle obstination, de la part de ce Gouvernement et de la majorité sénatoriale, à ne pas regarder en face la réalité des inégalités qui se creusent et la forte demande de justice sociale ! Nous n’avons pas été en mesure de répondre à ces réalités.
Quelle obstination à refuser les propositions visant à prendre en considération la crise environnementale majeure qui se trouve juste devant nous !
Quelle obstination à refuser, sur le fond comme sur la forme, les propositions de la Convention citoyenne pour le climat ! Nous regrettons le mépris dont a fait l’objet cette convention pour laquelle des citoyens se sont mobilisés et ont travaillé avec des experts. Je le répète, les propositions formulées par ses membres – nous les avons relayées à de nombreuses occasions –, ont bien souvent été accueillies par le mépris. Je regrette beaucoup cette attitude à l’encontre d’un désir de regain de démocratie sous des formes nouvelles.
Nous avons connu des moments difficiles, aussi bien pour nos propositions aux dimensions les plus importantes en termes de basculement que pour celles touchant à des aspects plus modestes. Lorsque nous avons proposé de supprimer l’exonération de TICP pour les croisières – on sait qu’elles sont de véritables désastres écologiques –, nous nous sommes vus répondre que ce n’était pas possible !
Et quand nous avons proposé d’exonérer les bateaux des organisations non gouvernementales qui repêchent des migrants dans la mer Méditerranée, nous avons essuyé une fin de non-recevoir. Je dois vous faire part de notre grande incompréhension et de notre vrai malaise par rapport aux décisions prises dans cet hémicycle.
Alors que nous sommes dans une situation de crise profonde, le Gouvernement isole, dans ce plan de relance, un certain nombre de dispositifs pour aider l’économie, tout en oubliant les pauvres, en renonçant à toute justice fiscale et en ne conditionnant aucunement les aides aux entreprises. Or nous savons que ces dernières seront aussi inefficaces que l’ont été le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et toutes les autres aides de ces dernières années au regard de l’emploi.
Nous ne pourrons, bien évidemment, pas voter les recettes de ce projet de loi de finances, mais vous nous trouverez résolument présents dans cet hémicycle pour l’examen de la seconde partie. Nous ferons des propositions pour faire avancer cette écologie qui constitue à la fois notre projet et, selon nous, la boussole de l’égalité et de la justice fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Martine Filleul et M. Rémi Féraud applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons eu des débats comme toujours intéressants, courtois, sereins et pondérés. Nous avons retrouvé les éléments traditionnels et les passages obligés que nous nous connaissons bien en loi en finances.
Ces discussions ont abouti, in fine, à dégrader le déficit de 15 milliards d’euros – c’est le chiffre du ministre. Même s’il y a toujours des débats sur son évaluation, ce déficit se situe entre 12 et 15 milliards d’euros.
Notre groupe, de ce fait, s’interroge sur le vote d’un texte modifié dégradant davantage le déficit public de 15 milliards d’euros. Le suspense ne sera pas très long : nous allons le voter, parce que c’est un ensemble de mesures qui aboutit à cette dégradation.
Cinq, six ou sept des amendements adoptés sur ces travées correspondent à l’essentiel de ces 15 milliards d’euros. Toutefois, l’équilibre du texte voté par l’Assemblée nationale n’est pas modifié. Le Sénat, en somme, valide le texte proposé par le Gouvernement et amendé par les députés.
Notre assemblée n’est pas revenue sur cet élément important que constitue la bienheureuse diminution des impôts de production. Nous assumons d’aider les entreprises et, en même temps, de dépenser pour les plus précaires et les plus jeunes ; nous le verrons dans l’examen de sa seconde partie, ce budget comporte de nombreuses dépenses sociales.
La trajectoire n’est pas remise en cause concernant la taxe d’habitation qui n’a pas fait l’objet d’amendements de suppression. L’armature principale de ce texte, à savoir l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu, la suppression de niches fiscales inefficientes ou les mesures relative à l’amortissement, n’a pas été bouleversée par le Sénat.
Dès lors, il n’y a pas, de notre part, de justification à le rejeter parce qu’il ne s’agit pas d’un contre-budget, mais de mesures sectorielles parfois bienvenues. Nous en avons d’ailleurs proposé certaines en faveur de secteurs qui souffrent, comme la culture ou les collectivités locales.
Nous sommes d’autant plus enclins à voter ce texte que les amendements importants de notre groupe ont été retenus, notamment au sujet de l’outre-mer, de la blockchain ou des sociétés publiques locales (SPL) à caractère culturel. Je tiens à remercier, à cet égard, M. le rapporteur général et nos collègues qui les ont votés.
Je crois, en outre, que cette période inédite justifie un vote favorable. On pourrait, effectivement, s’interroger sur l’importance de la dégradation du déficit résultant des votes émis par le Sénat. On peut d’autant plus s’interroger lorsqu’il est le fait de personnes qui s’inquiètent du remboursement de la dette covid par les générations futures, du montant des déficits, mais qui ajoutent 15 milliards d’euros de dette supplémentaire…
Les Français attendent de nous que nous soyons à la hauteur des exigences. Vu la façon dont s’est déroulé le débat, nous avons d’autant moins de légitimité à rejeter ce budget que des propositions de hausses d’impôts provenant d’autres travées de cet hémicycle ont été repoussées. Nous pensons, en effet, que dans cette crise conjoncturelle de réduction de l’activité économique, il ne faut pas augmenter les impôts. Je ne doute pas que ce débat viendra et certains feront certainement des propositions en ce sens lors des échéances électorales à venir. Mais comme le disait Keynes, une période de récession ne constitue pas le moment propice pour baisser la dépense publique – nous l’augmentons – ni pour augmenter les impôts – nous les réduisons.
À partir du moment où les hausses d’impôts proposées n’ont pas été retenues, nous ne pouvons que voter cette première partie, tout en espérant que les échanges avec l’Assemblée nationale soient à la hauteur des événements et permettent d’intégrer certains des apports du Sénat. Nous espérons ainsi que la commission mixte paritaire et la suite des échanges seront conformes au caractère qu’ont, jusqu’ici, revêtu les débats : sereins, parfois avec des différences de vues, mais sans volonté de remettre en cause ce que propose le Gouvernement. Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons la première partie de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour rappeler les propos des orateurs précédents, l’examen de cette première partie de PLF aura, plus que jamais, fait figure de marathon : endurance, moments d’effort supplémentaire, mais aussi moments de régime de croisière…
Le protocole sanitaire n’est pas toujours sans conséquence sur nos conditions de travail, nous obligeant à suivre certaines règles qui n’avaient pas cours habituellement, et rendant la période budgétaire encore plus austère qu’elle peut parfois l’être.
Sur le fond, après plus de mille amendements examinés, nous pouvons retenir plusieurs points. La majorité sénatoriale a proposé, comme chaque année, le rehaussement du plafond du quotient familial. Constants dans nos propositions, nous avons redéposé, malheureusement avec moins de succès, l’« amendement Caillaux » sur l’impôt universel. Cette année, il comportait une nouveauté : la déductibilité de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), contributions qui n’existaient évidemment pas à l’époque de notre illustre prédécesseur.
Instructifs ont été les débats sur la TVA, impôt toujours très amendé – je regrette d’ailleurs que nos nombreuses propositions à ce sujet n’aient pas rencontré le succès escompté. Remarquons qu’il existe un véritable débat sur la capacité de la France à fixer plus librement ses propres taux, presque à l’instar des collectivités pour les impositions locales. On critique souvent le manque d’harmonisation fiscale au niveau européen, mais la TVA, dont le produit est majeur pour les finances de l’État, est encadrée par la directive de 2006 qui interdit, en particulier, des taux trop bas. Souvent, la liste de produits et services pouvant bénéficier de taux réduits ou super-réduits se heurte aux priorités du moment, comme aujourd’hui en période de crise sanitaire. Il y a là des motifs d’interrogation légitimes, et notre commission des finances pourrait pousser plus loin la réflexion alors que l’Union européenne cristallise parfois un opprobre non mérité.
La baisse des impôts de production est la grande mesure fiscale de ce budget. Annoncée l’an dernier, dès avant la pandémie, elle est, aujourd’hui, centrale dans la politique fiscale du Gouvernement, qui souhaite améliorer notre compétitivité en cette fin de quinquennat. Il est vrai que les comparaisons avec certains de nos voisins européens ne sont pas toujours à notre avantage. Le Sénat a adopté cette réforme tout en veillant à en limiter les effets négatifs, en particulier pour les finances locales.
Parmi les mesures soutenant la population face à la crise, je tiens à souligner l’extension du crédit d’impôt famille aux indépendants. La contribution exceptionnelle sur les contrats d’assurance, sujet défendu en début d’année par notre ancien collègue Jean-Marc Gabouty, apparaît comme une mesure de solidarité nationale, alors que l’on constate une baisse de la sinistralité. Enfin, nombre d’articles ont, d’ores et déjà, été adoptés conformes, à l’instar de la prorogation du soutien à la presse écrite, des soutiens exceptionnels au spectacle vivant ou des exonérations relatives à la construction de logements sociaux.
La fiscalité énergétique est, comme chaque année, un important dossier. Une majorité originale du Sénat, qui va du centre à la gauche de la gauche, a voté le rejet de l’article 13 relatif au recouvrement des taxes sur l’électricité, en particulier la mise en place d’un taux maximum unique. Il est vrai que cette mesure pose la question de l’autonomie financière des collectivités locales, en particulier des communes et des départements. Ce vote ne doit pas être pris pour un simple mouvement d’humeur.
Je me félicite que certaines de nos propositions, notamment sur les seuils d’imposition d’incorporation de biocarburants d’origine agricole, ou encore sur le lissage de la hausse de la taxe sur l’essence des avions de loisirs, cher à notre collègue Nathalie Delattre, aient été adoptées.
Nous avons également obtenu la suppression de l’article 22 bis, qui pose problème dans la mesure où l’évolution de la TVA en 2020 aura forcément un impact négatif sur la fraction reversée aux collectivités. Une telle mesure mérite, à tout le moins, davantage de concertation avec les élus locaux. Je salue également l’adoption d’un amendement portant sur la fraction de TVA attribuée aux départements, qui font face à de réelles difficultés de financement entre la hausse des dépenses de minima sociaux et la baisse de recettes habituelles comme les droits de mutation.
Enfin, l’avancement du versement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) en 2021, proposé par mon collègue Christian Bilhac, permettra aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de faire face aux dépenses de l’an prochain tout en limitant la baisse de l’investissement public.
En conclusion, et afin de permettre la suite de l’examen de ce PLF, les membres du groupe du RDSE se prononceront pour l’adoption de cette première partie, sauf quatre abstentions.
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de cette crise sanitaire, on entend la petite musique de l’exception : tout serait inédit.
Ce n’est pas faux, mais le politique est convoqué à ses responsabilités : il y a le virus et ses conséquences, ainsi que les mesures financières envisagées en soutien de l’économie.
Il est vrai que nous sommes bien servis, dans ce débat, en termes d’inédit. Ils doivent être toutefois priorisés.
Inédit est l’accroissement du nombre des allocataires du revenu de solidarité active (RSA) qui entraîne une hausse des dépenses des départements, alors que les salaires n’augmentent pas.
Inédite, également, est l’explosion de la pauvreté : le président des Restos du cœur s’est dit choqué que des livreurs de repas pour le compte de plateformes n’aient pas de quoi manger.
Inédite est la détresse encore plus massive des étudiants, toujours plus isolés dans la précarité. On refuse d’étendre à leur profit le RSA et d’imaginer une allocation d’autonomie. Cette insécurité sociale inhumaine prend une ampleur tellement inédite qu’elle nous paraît devenir extrêmement dangereuse.
Inédit, également, est l’avis du Haut Conseil des finances publiques quant à la politique du « en même temps », ne pouvant « pas pleinement éclairer le débat démocratique sur les finances publiques ».
À l’inverse, la réponse apportée par ce budget aux plus démunis n’a rien d’inédit. Là, tout est normal ! On retrouve la même méthode que d’habitude : un déficit plus lourd et un recours à la dette plus important.
J’ai beaucoup apprécié l’article 2 qui concerne l’impôt sur le revenu. Il est le même en 2017, en 2018, en 2019 et, comme tout change et qu’on est dans l’inédit, le même en 2020 : les plus fortunés sont protégés !
J’ai entendu, comme une rengaine, le refus d’augmenter les taxes et les impôts. Cela signifie l’absence de nouvelles ressources supplémentaires prélevées sur les riches ou sur les grandes entreprises.
Nous ne tomberons pas dans le piège, entretenu dans nos débats, de la confusion entre entreprise et capital. Il n’y a pas de confusion : « entreprise » n’est pas le même vocable que « capital ».
De la même manière, je regrette l’usage de ce que je qualifierai de « non-lieu politique », par exemple en matière de TVA. On invoque l’irrecevabilité liée, évidemment, à l’harmonisation fiscale européenne, permettant d’évacuer le problème des dividendes et des marchés financiers.
En revanche, nous avons voté ce moindre mal, pour le budget des collectivités, que sont les mesures de soutien et les dotations qui permettent d’atténuer ce que j’ai qualifié de « surdité politique » du Gouvernement lors de la discussion générale. Le ministre l’a d’ailleurs avoué à demi-mot : les collectivités subiront l’augmentation des dépenses de l’État due à la crise sanitaire.
Notre groupe est convaincu que les collectivités ne doivent pas constituer une simple variable d’ajustement, parce que c’est sur elles que reposent l’implantation et le cadre de vie des petites entreprises. À titre d’exemple, 98,5 % du tissu économique de mon département du Val-de-Marne, qui compte 1,4 million d’habitants, est constitué de TPE. Continuons à être vigilants et ne faisons plus d’économies sur la démocratie locale !
Je note également un fossé entre la réalité de la situation et l’efficacité des réponses que cette loi de finances apporte. Cette situation inédite, que vous avez pourtant diagnostiquée, a malheureusement fait l’objet de réponses des plus habituelles.
Nous avons essayé, avec détermination, mais humilité, de faire valoir nos analyses, nos idées et nos amendements. Nous avons tenté de défendre le rôle irremplaçable du Parlement qui est de faire bouger l’impôt, contrôler l’action du Gouvernement et faire des propositions. Mais celles-ci ne sont jamais mises en œuvre par ce gouvernement – cela est également vrai pour les gouvernements précédents.
Néanmoins, nous ne boudons pas les soutiens quand certaines de nos alertes sont prises en considération, par exemple sur la garantie du maintien du fonds postal dans les territoires ruraux à son niveau de 2020.
Nous avons alerté et sans cesse martelé notre opposition à la disparition programmée de l’autonomie fiscale de nos collectivités. Nous avons réussi à obtenir la suppression de l’unification de la taxation de l’électricité qui aurait abouti à faire perdre aux collectivités territoriales 2,3 milliards d’euros. Je rappelle qu’elles ont déjà perdu 10 milliards d’euros du fait de la suppression des impôts de production pour l’année 2021 et 10 milliards pour l’année d’après. Heureusement que notre proposition a été retenue !
Relayant la détresse des élus locaux, nous avons, en outre, obtenu la majorité, et nous vous en remercions, pour la suppression d’un article scélérat de compensation de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous considérons que ce budget est un échec politique et nous regrettons, à cet égard, une certaine complaisance et une certaine complicité de la part de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul et M. Rémi Féraud applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons commencé l’examen de ce projet de loi de finances pour 2021 dans un contexte exceptionnel : une crise économique et financière considérable, telle que nous n’en avons pas connu depuis l’après-guerre.
Vous venez, en outre, monsieur le ministre délégué, d’actualiser vos prévisions avec un solde négatif de 8,1 % du PIB pour 2021 et une croissance de 6 % au lieu de 8 %. Encore cette prévision vient-elle après plusieurs lois de finances rectificatives contenant elles-mêmes des mesures de soutien.
Ce PLF très exceptionnel se caractérise aussi par un plan de relance dont nous débattrons dans le détail demain, lors de l’examen des crédits de la mission qui lui est consacrée.
Les discussions de la première partie de ce projet de loi de finances se sont focalisées sur la baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production proposée par le Gouvernement. Je veux d’abord indiquer, au nom du groupe Union Centriste, que nous approuvons cette réforme qui permet de réduire la pression fiscale pesant sur les entreprises, en particulier les petites et les moyennes, ainsi que celles du secteur industriel.
Cette pression fiscale trop élevée est l’un des maux de notre pays, cette baisse de 10 milliards d’euros va donc dans le bon sens. Toutefois, des inquiétudes subsistent au Sénat, et parmi les membres du groupe Union Centriste, sur le montant et sur la pérennité des compensations dont bénéficieront les collectivités locales. Sur l’initiative de son rapporteur général, le Sénat a nettement amélioré ce dispositif en adoptant un mécanisme de compensation des pertes de CVAE.
Nous discuterons demain de l’autre aspect du plan de relance, avec la mission du même nom, au sein de laquelle sont détaillés l’ensemble des dispositifs sectoriels de relance de notre économie. Ce sera l’occasion, pour le groupe Union Centriste, d’affirmer globalement son soutien à ce plan, qui lui paraît indispensable pour relancer notre économie et l’adapter au monde de demain.
L’examen de la première partie du projet de loi de finances a permis à notre groupe de faire adopter un certain nombre d’amendements et de dispositifs d’incitation fiscale en faveur des indépendants et des autoentrepreneurs, qui sont souvent les oubliés des plans de soutien, et des mesures générales. J’ai d’abord à l’esprit les amendements de mes collègues, Sylvie Vermeillet et Bernard Delcros, ou encore celui que j’avais moi-même déposé.
Une autre satisfaction pour nous a été de voir adoptées des propositions de notre groupe visant à mettre à contribution les secteurs ayant bénéficié, certes involontairement, de la crise sanitaire. Il s’agit, bien sûr, de la contribution exceptionnelle temporaire sur les primes d’assurance, issue d’un amendement de la commission des finances sous-amendé par notre collègue Vincent Delahaye, mais aussi de la contribution exceptionnelle de 1 % sur le chiffre d’affaires réalisé par les grandes entreprises de vente à distance. Ces mesures apportent, à mon sens, un peu d’équité.
À ce titre, nous nous félicitons également de l’adoption de l’amendement de notre collègue Olivier Henno visant à faciliter les investissements des commerces physiques durement affectés par la concurrence du e-commerce.
Un troisième motif de satisfaction pour notre groupe est l’adoption, dans cette première partie du PLF, d’amendements en faveur des collectivités territoriales que nous avions déposés à l’occasion du PLFR 4 et qui avaient été rejetés au motif que ce texte n’était pas le bon véhicule législatif.
Ainsi, nous nous réjouissons de l’adoption de plusieurs mesures de compensation aux collectivités territoriales, en particulier la compensation pour les pertes des régies municipales, qui ne sont pas éligibles aux mêmes aides que les sous-traitants privés, proposée par Bernard Delcros et Sylvie Vermeillet.
De même, l’adoption de l’amendement de notre groupe, défendu par Michel Canevet et Bernard Delcros, tendant à avancer d’une année le versement du FCTVA est une mesure de soutien budgétaire bienvenue pour les collectivités territoriales et l’investissement public local.