Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Nous avons ce débat chaque fois que nous discutons de la forêt, monsieur le sénateur.
Nous avons une petite divergence : je pense que les personnes qui exercent le beau métier de forestier placent par essence la durabilité au cœur même de leur approche. Si vous ne croyez pas à la force du temps long, si vous n’avez pas la foi de planter des arbres dont certains arriveront à maturité après votre mort, vous n’exercez pas ce métier. C’est par cette foi dans la durabilité que le métier de forestier acquiert ses lettres de noblesse. Si je crois tant à l’intelligence de celles et ceux qui gèrent les forêts, même si tout n’est évidemment pas parfait partout, c’est parce que je pense que la durabilité fait partie de leur ADN.
J’en viens à la question de la conditionnalité des aides. Pour que les aides soient les plus efficientes, il faut bien sûr que des objectifs soient fixés. Cela étant, lorsqu’une parcelle est scolytée, la question n’est pas de savoir si elle est gérée de manière durable. Ce qu’il faut, c’est éradiquer les scolytes et repeupler la parcelle.
Il faut donc trouver le juste milieu entre conditionnalités des aides et efficacité du plan de relance, afin de permettre un repeuplement dès à présent. Il faut veiller à ce que trop de conditionnalités ne tuent pas l’efficacité. C’est là parfois un mal français, pour vous dire le fond de ma pensée.
C’est pourquoi je suis plutôt favorable à une action rapide en faveur de cette filière, qui – je le répète – place la durabilité au cœur de son approche.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour la réplique.
M. Christian Redon-Sarrazy. Je ne peux me satisfaire de votre réponse, monsieur le ministre.
J’estime pour ma part que qui peut le plus peut le moins : si la durabilité est au cœur des préoccupations des propriétaires, on peut sans doute s’organiser pour qu’ils respectent un certain nombre de critères, sachant en outre que nos concitoyens sont aujourd’hui sensibles à cette cause.
De plus, un certain nombre de subventions sont attribuées, notamment aux collectivités, sur des critères de durabilité. Je doute que les élus comprennent qu’on leur impose de tels critères pour la construction, mais que tel ne soit pas le cas pour la filière bois en amont.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Malet. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Viviane Malet. Monsieur le ministre, ce débat intervient à un moment particulier pour La Réunion, alors que, depuis environ dix jours, un incendie ravage un écosystème unique au cœur du parc national, plus de 175 hectares ayant été détruits. M. le ministre des outre-mer s’est rendu sur place, accompagné d’un renfort de sapeurs-pompiers hexagonaux.
Cette tragédie vient rappeler l’importance de la forêt pour cette île tropicale montagneuse de l’océan Indien. La Réunion est en effet l’un des trente-cinq hotspots de biodiversité terrestre mondiale. Sa richesse patrimoniale et ses taux d’endémisme records sont reconnus à l’échelon planétaire. Depuis 2010, l’inscription des pitons, cirques et remparts au patrimoine mondial de l’Unesco est pour nous une fierté.
La préservation de cette distinction ne pourra se faire sans le concours de l’Office national des forêts, qui gère plus de 90 % du domaine forestier de l’île.
Monsieur le ministre, l’action de l’ONF sur notre territoire est reconnue de tous, notamment en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes, de prévention des risques naturels, mais aussi d’entretien des 850 kilomètres de sentiers, des 365 aires d’accueil du public en forêt, des 609 kilomètres de routes et de pistes forestières, des 276 kilomètres de pistes de VTT et des 158 kilomètres de pistes équestres, qui sont dégradés après chaque saison cyclonique et représentent des enjeux importants pour le tourisme.
Le faible niveau de production forestière à l’échelon local, le surcoût lié à l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco et les autres activités hors du régime forestier, qu’elles soient financées partiellement ou non financées, expliquent le déficit structurel de l’ONF de La Réunion.
Or la réduction des moyens humains et financiers de l’ONF sur l’île semble engagée. Le projet de contrat État-ONF pour la période 2021-2025 nous inquiète fortement, car il ne fait pas mention de La Réunion.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer en nous annonçant que les moyens alloués à l’ONF ne seront pas réduits à La Réunion, ou, mieux encore, que ses plafonds d’embauche et d’engagement budgétaire seront revus à la hausse ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, permettez-moi de m’associer à l’hommage que vous avez rendu aux forces publiques, notamment aux pompiers qui ont lutté contre ces incendies, et d’assurer de mon soutien les femmes et les hommes de cette belle île, qui ont été extrêmement meurtris par ces incendies.
Je salue également la politique de gestion des risques menée par l’ONF. Comme vous l’avez souligné, l’ONF ne se borne pas à gérer ou à cultiver de l’espace. Il mène aussi des actions très ciblées, notamment en termes de gestion des risques, ces actions ayant permis de réelles évolutions dans les territoires.
La Réunion a connu des incendies au début des années 2010. Une période d’accalmie s’en est suivie, en partie grâce aux actions en matière de gestion du risque de l’ONF.
Pour répondre à votre question, nous allons finaliser avec l’ONF le contrat d’objectifs et de performance. Je vous confirme que La Réunion sera bien incluse dans ce document, et je prends bonne note de votre demande. Madame la sénatrice, soyez assurée que nous sommes conscients que nos territoires ultramarins doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou.
M. Serge Mérillou. Monsieur le ministre, permettez-moi, pour illustrer l’importance de la forêt en France, de citer quelques chiffres relatifs à la Nouvelle-Aquitaine : la forêt occupe 3 millions d’hectares, soit plus de 30 % de l’espace aquitain. En Dordogne, elle s’étend sur plus de 400 000 hectares, ce qui représente plus de 40 % de la surface du département.
La forêt est certes un poids lourd économique, mais c’est un colosse aux pieds d’argile parce que c’est une activité de temps long alors que l’économie et la finance sont à l’immédiateté, mais aussi parce que de grands domaines forestiers côtoient une multitude de petits propriétaires.
La forêt est en souffrance, du fait notamment des évolutions climatiques, de la sécheresse, des grandes tempêtes comme la tempête Klaus, mais aussi de son morcellement extrême au gré des successions.
Elle est pourtant un gisement de matières premières quasi inépuisable, mais parfois inadaptée au marché. Elle a une fonction économique irremplaçable, mais aussi une fonction environnementale pour le maintien de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique – elle est un formidable piège à carbone. Enfin, elle a une fonction de protection contre les risques naturels, notamment l’érosion.
Mes questions sont les suivantes, monsieur le ministre : comment les petits propriétaires forestiers pourront-ils accéder de façon simple aux aides prévues dans le plan de relance ? Par ailleurs, dans notre région, les études prospectives sur l’évolution de la forêt au cours des cinquante prochaines années prédisent une trajectoire de forêt méditerranéenne. Quelles conclusions convient-il d’en tirer en matière de peuplement et de développement des défenses des forêts contre les incendies, les DFCI, notamment dans les secteurs où forêt et habitat sont étroitement imbriqués ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je ne reviens pas sur le constat que vous avez fait, que je partage en tout point, monsieur le sénateur. Les forêts d’Aquitaine ont des spécificités, qui font toute leur beauté. Certaines sont très anciennes, d’autres un peu moins, et comprennent des essences très différentes. Elles ont contribué à l’aménagement du territoire aquitain et participent de son identité.
Comment faire en sorte que le plan de relance profite à tous ? Premièrement, de manière très pratique, en l’ouvrant à tous – c’est chose faite –, deuxièmement, en travaillant avec les représentants de la filière. J’ai par exemple réuni les représentants de Fransylva au Centre national de la propriété forestière (CNPF) en fin de semaine dernière pour leur présenter les critères du plan de relance et m’assurer de leur caractère opérationnel afin que l’ensemble de leurs membres puissent y accéder.
Je m’efforce d’avancer de manière très pragmatique, avec beaucoup de bon sens. Je n’invente pas un dispositif dans mon bureau avant de l’imposer aux autres. Nous travaillons ensemble, et nous testons les dispositifs avec les personnes concernées afin d’être sûrs qu’ils fonctionnent avant de lancer les appels à manifestation d’intérêt. Si nous constations qu’un dispositif n’est pas suffisamment agile, je n’hésiterais pas à en modifier les critères d’accès.
Vous m’avez également interrogé sur l’aménagement du territoire forestier à long terme. Sur ce sujet également, il faut adopter une approche très complète.
Aujourd’hui, nous devons par exemple relever le défi de la diversification des essences au sein de certains massifs forestiers – cette belle question se pose notamment dans la région Nouvelle-Aquitaine. Seul le travail avec la filière nous permettra de prendre un certain nombre de décisions qui ne sont pas évidentes et d’avancer tous ensemble.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.
M. Serge Mérillou. Je vous remercie d’abord de ces réponses, monsieur le ministre.
Permettez-moi ensuite d’attirer votre attention sur un autre problème : le morcellement. Alors que nos forêts privées sont très morcelées, il faut favoriser la restructuration parcellaire, car la forêt n’est transmissible que si elle est regroupée. Le volet du plan de relance relatif à la forêt permettra-t-il d’aider à une telle restructuration ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bacci.
M. Jean Bacci. Monsieur le ministre, la forêt méditerranéenne s’étend sur tout le sud de la France, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’Occitanie, de la Drôme à la Corse. Elle représente un tiers de la forêt française.
Longtemps prisé par les constructeurs, le pin d’Alep a été abandonné au XXe siècle au profit d’alliages de nouveaux métaux, et toute l’économie sylvicole l’entourant a pratiquement disparu.
L’industrie revenant vers des matériaux naturels, ce résineux résistant présente de nouveaux atouts. Pourtant, sa production est considérablement freinée, d’une part parce que sa normalisation comme bois d’œuvre n’est intervenue que très récemment, d’autre part parce que la relance d’une économie dédiée requiert des investissements importants sur le moyen terme.
Les acteurs publics locaux sont prêts à investir pour soutenir des partenaires publics et privés, mais la limite européenne des 40 % d’aides publiques à l’investissement bloque les projets de relance, car la forêt méditerranéenne est peu productive comparée à d’autres forêts nationales.
L’actuelle renégociation de la politique agricole commune (PAC) est le moment opportun pour défendre la spécificité de cette forêt et le bien-fondé d’une action publique soutenue.
Dans le Sud, 35 % des émissions de carbone émises dans le territoire sont stockées par la forêt, et nous travaillons à augmenter ce taux, notamment par la plantation d’un million d’arbres. C’est un engagement environnemental fort pour les générations futures.
La production de bois d’œuvre est la seule solution pour capter du carbone de façon permanente. Se contenter de couper la forêt pour produire de la biomasse ne ferait que décaler le relâchement des émissions de CO2 d’un demi-siècle.
Indépendamment de l’argument écologique, l’investissement dans la forêt méditerranéenne est une stratégie ambitieuse pour développer l’économie locale, créer des emplois et des richesses dans des territoires ruraux.
Avec la crise du scolyte, l’État semble enfin avoir pris la mesure de la nécessité de faire évoluer l’encadrement des aides publiques à l’investissement en forêt. C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de ne pas oublier la forêt méditerranéenne et de lui permettre de bénéficier d’une hausse des taux d’aide publique à l’investissement forestier.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Non, monsieur le sénateur, je n’oublierai pas la forêt méditerranéenne ! Celle-ci est très importante à plusieurs titres – nous en revenons à la multifonctionnalité de la forêt –, notamment parce que sa gestion et son usage supposent que soient pris en compte des risques auxquels d’autres régions sont moins confrontées – je pense évidemment aux risques d’incendie.
Le pin d’Alep illustre bien le défi auquel nous sommes confrontés. L’usage que l’on a pu en faire ne répond plus aux besoins d’aujourd’hui. Les usages définis à un moment donné peuvent évoluer. L’amont peut ensuite considérer que l’aval doit s’adapter à la forêt, quand l’aval, lui, estime qu’il doit s’adapter à la demande du consommateur et aux besoins du moment. C’est pourquoi il est nécessaire de réconcilier l’amont et l’aval, même si c’est difficile, car l’échelle de temps est très longue.
Cela étant, nous avons de plus en plus de certitudes. Nous savons ainsi qu’il nous faudra demain du bois résilient face aux changements climatiques et utilisable pour la construction. Je pense qu’on ne se trompe pas en anticipant de tels besoins d’ici à quarante à cinquante ans. Si nous ne le faisions pas, nous raterions une marche, à la fois sociétale et environnementale, ce dont nous serions responsables.
Telle est ma vision, et sans doute peut-elle être critiquée, mais sans vision nous ne pourrons pas avancer. C’est ainsi que nous pourrons adapter nos politiques, notamment de repeuplement, en fonction des territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Monsieur le ministre, notre collègue députée du Nord Anne-Laure Cattelot a remis en juillet dernier un excellent rapport sur la forêt et la filière bois, dont je vous invite à vous inspirer. Elle y préconise notamment la création d’un fonds pour permettre les reboisements.
Au cours de la dernière décennie, les forestiers ont repéré divers signes avant-coureurs du réchauffement climatique. Depuis 2018, ils ne repèrent plus seulement des signes, ils constatent des faits : succession d’étés caniculaires, nette augmentation du bois dépérissant, engorgement du marché du bois et chute des prix. Nos repères s’écroulent, et tous les indices confirment qu’un scénario de crise se met inexorablement en place.
L’heure est venue de réinventer la forêt, de donner l’envie, mais aussi les moyens aux propriétaires forestiers de reboiser leurs forêts sinistrées. Aujourd’hui, l’intérêt financier d’un boisement est difficile à démontrer. Or il est indispensable de maintenir notre patrimoine forestier.
Parmi les pistes proposées dans le rapport Cattelot figurent la plantation d’essences nouvelles susceptibles de supporter le réchauffement climatique et la création d’un fonds pour l’avenir des forêts doté annuellement de 200 à 300 millions d’euros.
Actuellement, l’attribution des aides forestière nécessite de constituer des dossiers complexes. Si cette procédure est bien adaptée aux boisements importants, elle ne l’est pas pour les petites plantations.
Dans le contexte du réchauffement climatique, il est intéressant de constituer des îlots d’avenir et des enrichissements de régénération naturelle.
Jadis, dans le cadre du Fonds forestier national, il était possible d’obtenir des bons de subvention pour de petits reboisements. Par le biais d’un formulaire simple, le propriétaire adressait sa demande à l’administration, et il pouvait retirer ses plans gratuitement auprès d’une pépinière agréée. Le département du Haut-Rhin subventionne d’ailleurs sur ce modèle la fourniture d’arbres fruitiers…
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Sabine Drexler. … pour reconstituer ses vergers.
Mme la présidente. J’insiste !
Mme Sabine Drexler. Dans le cadre du fonds pour l’avenir des forêts, ne pourrait-on pas mettre en place un tel système ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, vous en appelez à un système à la fois simple et inclusif, y compris pour les petites parcelles.
Je ne reviens pas sur les efforts déployés pour concevoir un système simple, notamment le travail avec la filière. Mais élaborer un tel plan de repeuplement est une nouveauté, et on apprend aussi en marchant : peut-être nous faudra-t-il ajuster les critères au fur et à mesure. Je suis d’ailleurs convaincu que si le système dont nous sommes convenus était trop complexe, vos critiques constructives et celles de vos collègues ne se feraient pas attendre.
Pour vous donner un exemple, nous financerons le plan de relance sur la base de forfaits. Lorsqu’un arbre est protégé des cervidés par un grillage, il est évident qu’il a été planté. Il ne paraît pas nécessaire, dans ce cas, de produire quantité de factures pour le prouver !
De manière générale, j’estime que nous pouvons recourir davantage à la forfaitisation, ce système simplifiant grandement les démarches, notamment pour les plus petites structures. J’ai demandé à mes équipes d’en tenir compte dans le cadre du plan de relance forestier.
Par ailleurs, des mesures fiscales existent déjà. Le fameux dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement, ou DEFI, permet de favoriser le repeuplement, en particulier de petites parcelles. J’ai souhaité prolonger ce dispositif pour deux années supplémentaires afin de donner de la visibilité aux acteurs. Nous y reviendrons lors de l’examen du projet de loi de finances.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le ministre, sénateur du Doubs, je représente un département où la forêt revêt une place très importante puisqu’elle recouvre 43 % de son territoire. Plus de la moitié de ces surfaces forestières appartiennent aux communes.
Monsieur le ministre, à la fin de ce débat, je souhaite vous redire combien les maires sont inquiets devant l’état catastrophique de leurs forêts. Depuis deux ans, deux phénomènes se conjuguent : la sécheresse et l’attaque des scolytes.
Nos forêts sont singulièrement concernées par cette invasion qui fait des ravages. Or il n’existe pas de remède contre les scolytes. Les communes forestières vont donc être contraintes de revoir totalement le modèle de développement de leur forêt. Le réchauffement climatique entraîne une surpopulation de ces insectes, de plus en plus d’arbres résineux sont touchés.
Parallèlement, la sécheresse sévit dans les plantations de feuillus, provoquant leur dépérissement. Alors que la récolte annuelle moyenne en forêt publique dans le Doubs est de 600 000 mètres cubes, elle est évaluée en 2020 à 720 000 mètres cubes, dont 60 % de produits subis. Il en résulte un effondrement du cours du bois et un important manque à gagner pour les communes.
La vente de bois représentant une part importante de leurs recettes de fonctionnement – 20 % en moyenne, et jusqu’à 40 % pour certaines de ces communes – elles connaissent une crise durable.
En concertation avec l’ONF, les communes tentent de réguler le marché et demandent de diminuer le volume de bois vert en 2021 pour lutter contre cet effondrement des cours.
Les agents de l’ONF ayant établi pour 2021 un état d’assiette en diminution de 70 % pour les coupes de résineux et de 40 % pour les coupes de feuillus, il est difficile pour les communes de s’organiser.
Monsieur le ministre, il est urgent d’agir dans deux directions : premièrement, en augmentant la dotation de solidarité rurale pour les communes forestières afin de compenser le manque à gagner de ces trois années ; deuxièmement, en aidant de manière significative les communes à repeupler leurs forêts et à y réinvestir.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, nous allons confier à l’Inspection générale de l’alimentation (IGA) et au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) une mission – un véritable travail de dentelle – afin d’identifier les pertes.
Une dotation de compensation a été accordée aux collectivités dans le cadre du PLFR 3, pour prendre en compte leur situation financière dans la période de crise actuelle.
Par ailleurs, il est important de rappeler que l’épidémie de scolytes n’est pas une fatalité. Elle nécessite qu’on s’adapte à la situation et qu’on lutte contre sa propagation.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler, en répondant notamment à M. Longuet, nous avons mis en place, il y a un an, un dispositif qui favorise le transport de bois afin de soutenir les marchés locaux et de rééquilibrer la situation entre les zones scolytées et les zones non scolytées. Nous le prolongerons aussi longtemps que cela sera nécessaire.
Quant à la lutte contre la propagation de l’épidémie, elle consiste à abattre les arbres dès que l’on constate qu’une parcelle est scolytée et à la repeupler aussitôt. C’est l’objectif du plan de relance. Le taux de subvention devrait être de 60 % pour une parcelle de repeuplement et de 80 % dès lors que le repeuplement est lié à un problème de scolytes.
Ces taux sont tout à fait significatifs de l’effort massif que nous voulons fournir, même s’il reste à les affiner et à vérifier leur compatibilité avec le dispositif européen. De telles aides sont nécessaires sur les territoires aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. La mission que vous envisagez de mettre en place est intéressante, tout comme le plan de relance. Cependant, le temps de la forêt n’est pas le temps du plan de relance, et c’est là toute la difficulté.
Je vous rappelle également que les recettes des communes forestières sont prises en compte dans le calcul de la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques (CRFP), qui est imputée sur la dotation globale de fonctionnement (DGF). Alors que la CRFP est gelée depuis 2018, elle continue d’intégrer les recettes forestières après 2018, ce qui a un double effet négatif pour les communes.
Il est donc souhaitable d’envisager une aide à l’investissement sur une durée plus longue, portée à cinq ans, car les communes forestières sont au bord de l’asphyxie écologique, sociale, mais surtout économique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade.
Mme Florence Lassarade. La filière forêt-bois représente, en France, 60 milliards d’euros et 440 000 emplois. Par les fonctions qu’elle exerce, la forêt est au cœur des solutions pour atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément à l’engagement inscrit dans l’accord de Paris. Essentielle pour lutter contre le réchauffement climatique, elle favorise la séquestration du carbone, la préservation de la qualité de l’eau, la fourniture d’énergie en substitution à des procédés plus intensifs, et la régulation des risques naturels.
Ces enjeux environnementaux représentent une opportunité dont il faut nous saisir.
La forêt française est privée à 74 %. Encourager fiscalement la gestion de la forêt privée aura un effet direct sur l’atteinte des objectifs environnementaux. Le coût d’un tel dispositif d’encouragement sera dérisoire par rapport aux bénéfices globaux en matière de changement climatique.
La loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 a créé le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt, le DEFI Forêt, qui arrivera à échéance au 31 décembre 2020. Ce dispositif, très simple, est également très opérationnel pour accompagner l’investissement forestier. Toutefois, son manque de lisibilité et ses modifications successives ont rendu son utilisation complexe.
Au regard des enjeux climatiques et économiques pour la forêt française, il est nécessaire que l’État favorise l’investissement et la gestion durable des forêts privées, non seulement en reconduisant la mesure, mais en l’améliorant fortement.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a accepté de prolonger de deux ans ce dispositif d’encouragement fiscal. Or, dans son rapport d’avril 2020, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux formule un certain nombre de propositions pour le rendre plus lisible et plus stable. L’enjeu est important, car les questions forestières ne peuvent se traiter que dans le temps long.
Monsieur le ministre, que proposez-vous pour améliorer la lisibilité et la stabilité du DEFI Forêt sur le long terme ? Que retiendrez-vous des recommandations qui figurent dans le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Comme je l’ai déjà dit, la politique forestière est un tout. Le programme 149 du budget de l’État, qui lui est consacré et dont nous aurons l’occasion de parler prochainement, est en augmentation cette année. Elle dépend également du plan de relance et de la politique européenne. Avant-hier encore, la question de la stratégie forestière européenne était à l’ordre du jour de la réunion des ministres européens de l’agriculture au cours de laquelle je suis intervenu.
Enfin, il existe aussi des dispositifs fiscaux comme le DEFI Forêt, qui est un crédit d’impôt. En la matière, des améliorations restent possibles, et j’en suis parfaitement conscient. Dans son rapport d’avril 2020, le CGAAER propose des pistes en ce sens. Cependant, pour le dire clairement, l’enjeu n’est pas tant de modifier le dispositif que de le positionner dans la durée. En effet, ce serait un euphémisme de dire que les crédits d’impôt n’ont pas le vent en poupe dans le débat budgétaire.
Je suis donc très satisfait d’avoir pu obtenir la prolongation du DEFI Forêt pour deux ans. Cela donnera plus de visibilité à l’ensemble des acteurs. Certes, le dispositif pourrait être aménagé, conformément aux recommandations du CGAAER. Cependant, la priorité reste de l’inscrire dans la durée, ce que nous faisons.
Enfin, madame la présidente, je tiens à remercier M. Menonville d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce sujet passionnant pour gens passionnés. La forêt est l’un des plus grands actifs de la Nation. Que la forêt avance, que le bois cesse de reculer, et que la forêt et le bois avancent en même temps et plus rapidement : tel est le vœu que je forme en conclusion de ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe auteur de la demande.
M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. La qualité des échanges que nous venons d’avoir démontre non seulement l’intérêt que chacun d’entre nous porte à la forêt, mais aussi l’importance d’organiser une politique forestière cohérente et sur le long terme. Nous partageons tous le constat que l’inaction serait dévastatrice pour notre environnement, notre économie et notre société.
Un tiers de notre territoire métropolitain est occupé par la forêt. Outre-mer, celle-ci peut s’étendre sur plus de 95 % du territoire, comme en Guyane. Depuis 1945, la superficie forestière a progressé d’environ 40 %.
La forêt française est un trésor de diversité d’essences. Elle permet la sauvegarde de notre biodiversité et de nos ressources naturelles. Nous devons la protéger, l’aider à s’adapter et à se régénérer pour faire face aux défis auxquels elle est confrontée.
Pour atteindre nos objectifs, l’effort doit porter sur la gestion forestière. Il faut inciter les gens à modifier leurs comportements et mettre en œuvre une gestion plus durable.
En effet, les trois quarts de la forêt sont détenus par 3,5 millions de propriétaires privés, dont une grande majorité possède des domaines de moins de 3 hectares. Confier la gestion de ces espaces forestiers à des professionnels contribuerait à mutualiser les efforts, et cette meilleure organisation résoudrait une partie des problèmes de la forêt française.
Les efforts doivent aussi porter sur la filière bois. Le débat a permis de rappeler les difficultés économiques auxquelles elle est confrontée. Je m’attarderai sur le secteur du bâtiment.
En effet, le bois a des qualités et une performance thermique dont nous aurions tort de nous passer. Il peut être utilisé dans la rénovation, mais aussi dans le neuf. La construction d’une maison en bois réduit de 55 % les émissions de CO2, ce qui est un atout dans un secteur qui représente 40 % des émissions mondiales.
Revaloriser le bois passe aussi par le développement de l’économie circulaire, qu’il s’agisse du recyclage ou de la valorisation énergétique. La filière dégage des millions de tonnes de déchets, ce qui offre un débouché complémentaire pour une meilleure valorisation de l’exploitation forestière : il serait dommage de gaspiller des déchets aussi précieux.
Quant à la filière bois-énergie, elle représente environ 40 000 emplois directs et indirects.
De manière plus générale, l’ensemble de la filière forêt-bois crée beaucoup d’emplois dans tous les territoires, y compris dans les départements ruraux. Nous devons la soutenir et lui permettre de s’adapter.
La compétitivité de notre filière bois est essentielle. C’est pourquoi je ne suis pas favorable à la limitation des coupes rases. J’entends les arguments, légitimes, de ceux qui la défendent, que leurs raisons soient d’ordre visuel, ou qu’elles concernent l’érosion en montagne. Cependant, il faut aussi tenir compte de la compétition entre les pays et du respect de la maturité des arbres. Il faut enfin rendre les replantations obligatoires.
En matière de commercialisation du bois, la compétition économique peut s’exercer depuis l’étape du reboisement jusqu’à celle de la transformation. Si nous n’investissons pas suffisamment dans la filière bois, d’autres pays où l’exploitation est plus efficace viendront s’imposer sur notre propre marché.
Rien n’empêche pour autant de développer la forêt comme lieu de loisir, comme le suggère Pierre-Jean Verzelen. Tous les acteurs doivent être associés à la réflexion sur ce sujet.
Quand il s’agit de construire une stratégie équilibrée, le dialogue entre les acteurs et l’instauration d’un climat de confiance sont la clé de la réussite. Nous devons être capables d’expliquer à nos concitoyens les contraintes liées à l’exploitation de la forêt, ou bien les ravages causés par les attaques de nuisibles ; nous devons aussi pouvoir leur démontrer les bénéfices de la filière pour l’emploi et le climat.
L’écologie et l’économie sont les deux faces d’une même stratégie, celle de la préservation de notre forêt. L’État tient une place centrale dans sa mise en œuvre, mais les territoires ont aussi un rôle à jouer. À cet égard, je soutiens l’intervention de mon collègue Franck Menonville, en particulier lorsqu’il identifie la région comme l’échelon le plus pertinent pour agir. J’ajouterai celui du département, parce que les régions sont grandes et parce qu’il est nécessaire d’adapter la stratégie aux besoins locaux.
Pour conclure, je remercie M. le ministre, ainsi que tous les sénateurs qui ont participé à ce débat et qui ont présenté des propositions constructives.
Trois points majeurs se dégagent à l’issue de nos discussions.
Le premier concerne l’ONF, dont la réforme nécessite des moyens renforcés. L’Office est indispensable pour faire le lien avec les territoires. C’est un acteur parfait d’activation et d’animation d’une stratégie forestière efficace. Il a aussi pour rôle d’instruire les dossiers qui permettront aux communes forestières sinistrées de bénéficier d’aides financières, comme l’a rappelé M. Grosperrin.
Le deuxième point concerne le plan de relance, qui va dans le bon sens, à la fois en ce qui concerne le Fonds forêt, le soutien de Bpifrance aux entreprises, et le développement d’une couverture par télédétection. Ce plan doit marquer le début d’une politique plus ambitieuse pour la forêt.
Le troisième point porte sur la nécessité d’une réflexion sur la défiscalisation des travaux en forêt. Une telle mesure aurait des conséquences positives sur la création d’emplois et la valorisation de la filière. Cependant, il faut surtout inciter les propriétaires à se restructurer, comme l’ont suggéré plusieurs de mes collègues.
Monsieur le ministre, un travail important reste à mener pour répondre aux besoins de la forêt. Vous le savez, nous souhaitons la réussite d’une politique cohérente et de long terme. Il y va de l’avenir du pays, de l’emploi, de la société et des générations futures. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)