Sommaire
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
Secrétaires :
Mmes Catherine Deroche, Patricia Schillinger.
2. Débat sur la situation du logement et du bâtiment. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains
M. Philippe Dallier ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Philippe Dallier.
Mme Annie Guillemot ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; Mme Annie Guillemot.
M. Joël Labbé ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Joël Labbé.
Mme Patricia Schillinger ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; Mme Patricia Schillinger.
Mme Marie-Noëlle Lienemann ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
M. Franck Menonville ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Franck Menonville.
Mme Françoise Férat ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; Mme Françoise Férat.
Mme Marta de Cidrac ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; Mme Marta de Cidrac.
Mme Viviane Artigalas ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; Mme Viviane Artigalas.
M. Pierre Louault ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
M. Stéphane Piednoir ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Stéphane Piednoir.
M. Jean-Claude Tissot ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
M. Philippe Pemezec ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
M. Jean-Marc Boyer ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Jean-Marc Boyer.
M. Jérôme Bascher ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Jérôme Bascher.
M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Débat sur le bilan de l’application des lois
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Éric Bocquet, vice-président de la commission des finances ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Pierre Sueur ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Josiane Costes ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Alain Richard ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Pierre Decool ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Éliane Assassi ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-François Longeot ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Anne-Marie Bertrand ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement
4. Souhaits de bienvenue à un nouveau sénateur
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
5. Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020
M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
compte rendu intégral
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Débat sur la situation du logement et du bâtiment
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la situation du logement et du bâtiment.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour le respect des règles sanitaires, il vous est demandé de n’occuper qu’un siège sur deux ou, à défaut, de porter un masque.
Je rappelle que l’hémicycle fait l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection avant et après chaque séance, et que les micros seront désinfectés après chaque intervention. J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité.
Je rappelle également que les sorties devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la fin de 2020, la France devrait avoir construit 100 000 logements de moins qu’en 2019, soit une réduction d’environ 25 % de la production annuelle.
Après la crise sanitaire, dont nous ne sommes peut-être pas sortis, c’est une crise aiguë du logement qui s’annonce. Ce chiffre, avancé par la Fédération des promoteurs immobiliers de France et certains observateurs, s’explique par l’arrêt du secteur de la construction pendant presque un trimestre. Nous espérons bien sûr que cette prévision ne se réalisera pas, monsieur le ministre, mais elle souligne en tout cas la gravité de la situation et l’urgence d’y apporter des remèdes appropriés.
Si nous sommes bien dans l’urgence, prenons pourtant le temps de porter le bon diagnostic sur la maladie. Le secteur immobilier s’inscrit dans le temps long, les logements neufs et réhabilités ne représentant, chaque année, guère plus de 2 % des logements existants. Plus que dans d’autres domaines, les décisions d’aujourd’hui auront un impact sur les décennies à venir. Il nous faut donc tirer les bonnes leçons de la crise.
Le logement y est apparu comme un bien de première nécessité. Sans toit pour sa famille, il est impossible de se protéger de l’adversité et de se projeter dans l’avenir. À cet égard, le confinement a mis en évidence une grande inégalité entre les Français. Selon une récente étude de l’Insee, 5 millions de personnes vivent dans un logement suroccupé. Nos concitoyens ont d’autant plus mal vécu cette épreuve qu’ils sont mal logés. Or cette situation va s’aggraver dans les prochains mois, nous mettant au défi de rattraper le temps perdu et de construire plus.
La crise du logement sera d’autant plus dure que la crise sanitaire a laissé la place à une crise sociale et économique. La Banque de France a indiqué qu’il y aurait vraisemblablement plus d’un million de chômeurs de plus début 2021 qu’il y en avait fin 2019. Cela va se traduire par plus de précarité, plus d’impayés de loyers, plus de demande d’aides personnalisées au logement (APL), et par des besoins de logements sociaux. Il faudra donc construire plus abordable et protéger le logement.
Par ailleurs, en raison du développement massif du télétravail, le marché de l’immobilier professionnel pourrait connaître un tournant, ouvrant la voie à une reconversion de nombreux bureaux en logements.
De même, les investisseurs institutionnels pourraient revenir sur le marché du logement résidentiel. C’est une opportunité qu’il nous faut en tout cas saisir.
Construire plus, plus abordable, mais aussi construire mieux et plus durable. En effet, la crise sanitaire ne doit pas masquer les enjeux climatiques et environnementaux, qui rendent impérieuses la rénovation thermique des bâtiments et une réelle sobriété foncière.
Construire mieux, c’est également prendre en compte que, à l’instar du choléra et de la tuberculose, qui ont façonné la ville haussmannienne du XIXe siècle, le Covid-19 va modifier la ville de demain. Compte tenu de l’objectif de zéro artificialisation nette, c’est moins une « ville jardin » qu’une ville compacte qualitative, où proximité rime avec solidarité et espaces partagés, que nous devrons proposer.
Enfin, il ne sera pas possible d’atteindre ces objectifs sans tenir compte d’un tissu économique durement éprouvé par la crise. Beaucoup d’entreprises sont menacées de faillite ; or, dans la chaîne du logement, chaque maillon est solidaire. Pour qu’il n’y ait pas de rupture aujourd’hui, il nous faut mettre en œuvre une chaîne de loyauté économique, pour prendre en charge les surcoûts et les retards. Pour que cette chaîne soit plus résiliente demain, nous devrons faire confiance aux acteurs économiques et libérer les énergies.
Une fois le diagnostic posé, il s’agit de savoir quels remèdes nous entendons proposer.
Le premier défi est de construire plus et plus abordable. Pour ce faire, j’ai la conviction qu’il faut nous appuyer sur trois acteurs : les bailleurs sociaux, Action Logement et les investisseurs institutionnels.
Les bailleurs sociaux sont prêts à jouer leur rôle de filets de sécurité, mais nous devons pour cela leur redonner les moyens d’agir, de construire, de rénover, c’est-à-dire revenir sur la réduction de loyer de solidarité (RLS), a minima via un moratoire, car le dispositif pèse aujourd’hui pour 1,3 milliard d’euros chaque année. C’est aussi baisser la TVA sur le logement social : une TVA à 5,5 %, c’est 5 000 euros de moins par logement, ce qui est déterminant quand on parle de 130 000 constructions neuves et de 150 000 rénovations par an.
Action Logement, ensuite, doit être replacée au centre du dispositif. Le groupe paritaire est actuellement contesté dans son existence, dans ses objectifs, et il doit se recentrer sur sa mission première, qui est de loger les salariés, car ils en ont absolument besoin.
Enfin, il faut faire revenir les investisseurs institutionnels dans le logement. C’est sans doute là que doit porter l’effort pour réussir à construire plusieurs dizaines de milliers de logements en plus chaque année. Pour les accompagner, il est nécessaire de faciliter la conversion des bureaux en logements, soit en jouant sur les délais, soit en sécurisant le taux réduit de TVA. Il est également impératif de considérer l’investissement dans le logement comme un investissement productif économiquement et socialement.
J’ai la conviction qu’il faut libérer les énergies. Fixons-nous l’objectif d’une division par deux des délais des procédures et des recours, car le logement souffre de la complexité excessive du droit de l’urbanisme. Il faut aujourd’hui plus d’un mandat de maire pour réviser un plan local d’urbanisme (PLU), ce qui est beaucoup trop long. Cependant, j’ai conscience qu’il n’y aura pas de choc de simplification venu d’en haut ; cela ne marche pas. C’est pourquoi je vous propose, monsieur le ministre, de réunir autour de vous, dès cet été, un « Ségur de la simplification du droit de l’urbanisme » pour aboutir à des propositions partagées et juridiquement sûres, qui permettront de réussir durablement la relance de la construction. (Mmes Sophie Primas et Marie-Noëlle Lienemann ainsi que M. Jean-Claude Tissot applaudissent.)
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Le deuxième défi est de construire mieux et plus durable. Pour cela, nous devons réussir la massification de la rénovation énergétique. À cet égard, je ne comprends pas pourquoi l’on incite les Français à acheter avec une prime, sans condition de ressources, des voitures, qu’elles soient principales ou secondaires, et qui sont souvent fabriquées à l’étranger, alors que l’on refuse de faire de même pour la rénovation énergétique des bâtiments. Soyons pragmatiques : en cette période de crise économique et de chômage, incitons ceux qui en ont les moyens à vider leur « bas de laine » pour leur logement. Monsieur le ministre, proposez « MaPrimeRénov’ » sans condition de ressources, ou, à tout le moins, élargissez-la pour qu’elle permette d’amorcer cette massification. Ce sont des travaux, des emplois non délocalisables qui irrigueront ainsi tous nos territoires.
Le troisième défi sera de préserver l’accès et le maintien dans le logement.
Le maintien dans le logement, c’est la prévention des impayés. Encore une fois, je veux vous alerter, monsieur le ministre, sur la grande disparité des situations selon les départements et les métropoles. L’État doit se réinvestir dans le Fonds de solidarité pour le logement (FSL). Je crois que la proposition de la Fondation Abbé Pierre d’une enveloppe de 200 millions d’euros pour l’aide à la quittance doit en tout cas être étudiée pour pouvoir agir dès que nécessaire.
Accéder au logement, c’est aussi maintenir la possibilité d’une accession sociale, malgré la crise et malgré la hausse des prix du foncier. L’APL accession et le prêt à taux zéro (PTZ) sont des outils qui manquent, même s’il faut les adapter aux exigences de sobriété foncière.
Enfin, nous devons aussi développer deux autres dispositifs qui ont fait leurs preuves, à savoir les organismes de foncier solidaire et les « chartes promoteurs », en les sécurisant et en les élargissant.
Monsieur le ministre, j’espère que ces quelques propositions permettront de faire prendre un nouveau départ au secteur du logement et du bâtiment. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais remercier Mme Dominique Estrosi Sassone, ainsi que tout le groupe Les Républicains du Sénat, d’avoir été à l’initiative de ce débat.
Je voudrais aussi remercier Mme la présidente de la commission des affaires économiques du rapport fait par cette commission, que j’ai lu avec beaucoup d’attention. Je remercie enfin M. Jean-Marie Bockel, qui a également produit un rapport sur le sujet, remis en mai 2020.
J’ai lu tous ces documents avec beaucoup d’intérêt et je crois qu’il y a là matière à beaucoup de discussions.
Avant de revenir sur la situation actuelle et de répondre aux différentes questions que vous avez abordées, permettez-moi tout d’abord de poser un diagnostic, qui est, je le sais, partagé sur les travées de cet hémicycle, sur les effets de la crise sanitaire.
Cette crise sanitaire a d’abord mis en exergue les nombreuses inégalités : inégalités sociales, inégalités territoriales. On les connaissait, mais elles ont été une fois de plus mises très fortement en évidence, certains ménages, qui en avaient la possibilité, quittant les métropoles pour aller dans leurs résidences secondaires, d’autres vivant le confinement dans des endroits beaucoup plus exigus et, parfois, dans le mal-logement.
Le confinement et le télétravail ont aussi montré les difficultés de certains ménages face non seulement à la mauvaise qualité de leur logement, mais aussi, parfois, à leur mauvaise connexion. Le télétravail n’était pas une réalité pour tous nos concitoyens. Le facteur numérique, qui, nous l’avons souvent dit, était là pour résoudre les inégalités territoriales, bien souvent, trop souvent, et encore aujourd’hui, n’a fait que les accroître.
Quelles sont les conséquences que nous devons tirer de cette période ? Je voudrais axer mon propos sur quatre principaux points, répondant ainsi à un certain nombre de vos questions.
Le premier axe, c’est d’aller le plus loin possible sur la rénovation du bâtiment. Le rapport de la commission des affaires économiques met bien cet objectif en avant, soulignant que les Français sont inégaux face au logement ; dans cette inégalité, il y a la question de la rénovation des logements. Ce souhait ne vous étonnera pas venant de ma part, moi qui me suis présenté depuis trois ans autant comme le ministre de la rénovation que comme le ministre de la construction.
À cet égard, je me félicite des travaux très constructifs que nous avons menés dans cet hémicycle. Je pense à la lutte contre les marchands de sommeil. Quand je vois les décisions de justice qui sont en train d’être rendues sur Pierrefitte-sur-Seine, je me dis que ce qui a été voté commence à produire des effets. J’en veux aussi pour preuve toutes les discussions que nous avons menées et les décisions que nous avons prises sur la lutte contre l’habitat indigne, par exemple à Marseille.
Beaucoup a déjà été fait sur le plan législatif ; beaucoup a aussi été fait dans les actes. Il faut savoir que l’action de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), agence qui dépend de mon ministère, a été multipliée par deux en deux ans. Dans le milieu des start-up, on dirait qu’il s’agit d’une « licorne ».
Je pense à l’ensemble des rénovations, et pas seulement aux rénovations énergétiques, même si, aujourd’hui, comme l’indique également le rapport que je mentionnais, la crise sanitaire ne doit en rien occulter la crise climatique qui est devant nous. Priorité doit donc être donnée à la rénovation énergétique des bâtiments. À cet égard, je suis convaincu que MaPrimeRénov’, en activité depuis le 1er janvier, permet de répondre à un certain nombre de ces besoins. D’abord, parce qu’elle est très simple d’accès. Ensuite, parce que c’est une prime qui est sociale : sur les 50 000 dossiers déposés depuis le mois de mai, 67 % concernent les 20 % de ménages les plus modestes, alors que plus de la moitié du crédit d’impôt pour la transition énergétique concernait les 80 % les moins modestes.
Cette prime est donc beaucoup plus sociale, et elle marche, mais il faut aller plus loin. On va déjà élargir le nombre de personnes éligibles, puisque dès 2021 y seront éligibles les déciles de revenus 5 à 8, ce qui va dans le sens de votre proposition, même si je sais, pour en avoir discuté avec vous, madame la sénatrice, que vous souhaiteriez aller plus loin.
En tout cas, je note que la Convention citoyenne pour le climat a mis en avant que ce chemin était le bon, mentionnant MaPrimeRénov’, mais qu’il fallait amplifier l’effort. Faut-il aller plus loin avec cet instrument ? Inutile de vous dire que c’est ma préférence, et je suis sûr que nous aurons de beaux débats sur le sujet lors des prochains textes financiers.
Le deuxième axe, c’est de soutenir le secteur de la construction. La priorité du Gouvernement en ce moment, comme vous le savez, c’est la question de l’emploi. Or le secteur de la construction, c’est plus de 2 millions d’emplois. L’objectif est clair : il faut poursuivre la construction de logements abordables. Pour ce faire, nous avons besoin de deux choses.
D’abord, et vous l’avez très justement dit, madame la sénatrice, il faut absolument soutenir les entreprises du bâtiment, sachant que le secteur du logement est un chaînon dont tous les maillons sont dépendants les uns des autres.
Ensuite, il faut éviter le trou d’air à l’automne. C’est ma préoccupation du moment. À cette fin, il importe d’inciter la commande sur les territoires. Le fait d’abonder à hauteur de 1 milliard d’euros la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) dans le prochain texte financier va dans ce sens, mais il nous faut aller plus loin. J’ai demandé, par exemple, à toutes les agences dont j’ai la responsabilité de mettre en œuvre les projets d’ores et déjà décidés et de ne rien décaler. J’ai demandé également à l’ensemble de mes équipes d’être des facilitateurs. On sait, encore aujourd’hui, que ce qui relève de l’instruction des services de l’État met parfois trop de temps. Il faut donc être plus rapide.
L’envie, la dynamique de reprise sont là ! J’en veux pour preuve le dernier chiffre que j’ai annoncé : 93 % des chantiers ont d’ores et déjà repris sur l’ensemble de notre territoire.
Le troisième axe, c’est de prendre en compte le constat que le Covid va forcément modifier notre aménagement du territoire, et plusieurs d’entre vous l’ont souligné dans les différents documents que j’ai évoqués. Pour ma part, je pense que c’est très bien ainsi. À mon sens, la crise sanitaire intense que nous avons vécue ces derniers mois, et que nous vivons encore, a mis en évidence le rôle très important à l’avenir de ce que j’appelle les « villes de France », c’est-à-dire les villes de taille moyenne. Cela ne vous étonnera pas, ici, au Sénat. Nous avions fortement poussé ces villes avec l’opération « Action cœur de ville », et je crois qu’il faut aller encore plus loin.
Permettez-moi d’insister notamment sur un dispositif fiscal, qui s’appelle le « Denormandie dans l’ancien » et qui vise à rénover les logements dans ces villes moyennes. Aujourd’hui, près de 250 villes sont éligibles ; 400 autres en ont fait la demande. Avec ces opérations de revitalisation du territoire, je crois que nous avons créé une dynamique qu’il faut soutenir et pousser.
Je n’oublie pas non plus la réhabilitation des bureaux en logements ou la lutte contre les logements vacants.
Tels sont les trois axes, a minima, que j’ai fixés comme priorité d’action à mes équipes au lendemain de la crise sanitaire s’agissant des modifications de l’aménagement du territoire.
Enfin, puisque que le temps m’est compté, j’aborde un quatrième objectif : la réponse à la crise doit être évidemment sanitaire, d’abord, économique, ensuite, pour préserver les emplois, mais il s’agit aussi d’éviter une crise sociale. À ce titre, le logement a une part fondamentale dans tout ce que nous allons faire.
Nous allons d’abord accompagner les ménages qui en ont besoin pour payer leurs loyers. On pourra reparler du FSL, mais j’attire votre attention sur la décision des partenaires sociaux de créer une aide spécifique d’Action Logement, avec qui j’ai plaisir à travailler tous les jours, d’un montant de 150 euros par mois pendant deux mois pour les familles qui voient leur reste à charge profondément augmenter, s’agissant de leur loyer, soit parce que leurs revenus ont diminué, soit parce que leurs dépenses ont augmenté.
Il s’agit également d’accompagner la production de logements sociaux. Je n’entre pas dans le détail des mesures, qui portent sur la TVA ou d’autres aspects, mais nous aurons aussi ce débat lors des prochains textes financiers.
Soutenir la construction, c’est aussi mettre en œuvre les plus de 10 milliards d’euros déjà conventionnés de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Près de 200 appels d’offres ont déjà été passés ; les chantiers ont déjà commencé ; plusieurs centaines d’autres appels d’offres sont en cours. Bref, les grues reviennent aujourd’hui dans nos quartiers.
Il faut également, et la commission des affaires économiques du Sénat l’a très bien dit dans son rapport, permettre la fluidité dans le logement, que ce soit dans le logement social, le logement intermédiaire ou le parcours dit résidentiel.
Par ailleurs, il importe de lutter contre la hausse des prix du foncier : ce sont les baux réels solidaires, les organismes de foncier solidaire (OFS), chers à beaucoup d’entre vous, mais j’ai une pensée particulière pour vous, madame Lienemann, puisque nous avons inauguré le premier OFS à Espelette voilà quelque temps.
Enfin, je pense aux personnes en très grande difficulté. Nous agissons là avec deux principaux objectifs : mettre à l’abri, j’y insiste, et favoriser, pour les personnes mises à l’abri, la sortie vers le logement grâce à la politique dite du « Logement d’abord ». Deux chiffres permettent de caractériser l’ampleur de ce que nous faisons. Hier soir, ce sont 178 000 personnes que l’État, les collectivités, les associations ont mises à l’abri. Ensuite, grâce à la politique du « Logement d’abord », en deux ans, 2018 et 2019, ce sont 150 000 personnes que nous avons sorties d’un logement très insalubre ou de la rue pour leur donner un vrai « chez-soi ».
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre. Vous avez très largement dépassé votre temps de parole.
M. Julien Denormandie, ministre. En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai que c’est évidemment avec grand plaisir que je travaillerai avec vous sur la simplification. N’oubliez pas que nous sommes même en en train de réécrire le code de la construction pour passer d’une simplification à une réforme totale, puisque nous ne mettrons que les objectifs, sans donner les chemins à parcourir. Je vous remercie une nouvelle fois d’avoir mis ce débat à l’ordre du jour. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et UC.)
Mme la présidente. Nous avons une quinzaine de questions, monsieur le ministre ; donc vous aurez l’occasion de vous exprimer de nouveau.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé. Si vous souhaitez répliquer, je vous incite à garder les yeux sur l’horloge.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question concerne l’impact de la crise sur les bailleurs sociaux, leur capacité à produire, mais aussi sur les communes, leur capacité à accompagner cette production en la finançant, en accueillant les nouvelles populations. Je pense notamment aux communes qui sont soumises à l’article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU.
Les préfets de région auraient dû réunir au printemps les commissions appelées à statuer sur le sort des communes qui n’ont pas atteint leurs objectifs ; on sait que, la marche devenant de plus en plus haute, elles devraient être plus nombreuses. Ces commissions ne se sont finalement pas réunies, mais elles devraient le faire prochainement.
Je voudrais savoir, monsieur le ministre, si vous allez donner des instructions pour que les préfets de région prennent en compte les situations dans lesquelles ces communes vont se trouver avec la baisse de recettes qu’elles vont subir en 2020, et peut-être ultérieurement.
Et puis, il y a la période triennale à venir, soit 2020, 2021 2022. Pour 2020, tout le monde l’a dit, on va avoir, si ce n’est une année blanche, en tout cas une année fortement impactée Qu’en sera-t-il les années suivantes ? Capacité des bailleurs à produire ; augmentation des coûts de la construction ; difficultés des locataires.
S’agissant des communes, comment leurs recettes évolueront-elles ? Quid de l’impact de la taxe d’habitation ? Il n’y aura alors plus que la taxe foncière comme levier fiscal, et, monsieur le ministre, les bailleurs ne le payant pas, vous allez vous trouver face à des communes auxquelles, je l’ai déjà dit de nombreuses fois ici, vous demandez de construire encore plus de logements, qui seront dans des situations extrêmement compliquées.
Monsieur le ministre, je ne vous parle pas des quelques communes qui « ont les moyens » de ne pas faire, parce qu’elles ne veulent pas faire ; je vous parle de toutes les autres. Nous savons tous ici que l’objectif de 2025 était déjà inatteignable pour beaucoup. Avec la nouvelle situation, cela va devenir mission impossible. Ne serait-il pas temps de remettre tout cela à plat et de voir comment, contractuellement, on pourrait accompagner toutes ces communes soumises à l’article 55 qui vont avoir beaucoup de difficultés à faire ce que la République leur demande de faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Dallier, avant de parler des communes, vous avez évoqué l’accompagnement des bailleurs sociaux. Nous avons beaucoup de discussions avec eux. Je vais d’ailleurs les réunir une énième fois ce vendredi pour mettre à plat l’évolution de leurs données financières. J’attire votre attention sur un dispositif dont on a beaucoup parlé ici, à savoir les titres participatifs, que Mme la sénatrice Estrosi Sassone a beaucoup défendus. Ils marchent incroyablement bien et ont été certainement l’un des instruments les plus pertinents qui soient dans la période récente, puisqu’ils ont permis de soutenir fortement les bailleurs sociaux, notamment en fonds propres, et non pas en trésorerie, comme vous le savez.
Sur la question de la loi SRU, je vous confirme effectivement que je n’avais volontairement pas donné instruction aux préfets de réunir des exécutifs locaux avant que les élections municipales ne soient terminées. J’ai signé la circulaire voilà tout juste quelques jours pour fixer un calendrier de réunion de ces commissions à partir du 30 juin. Effectivement, les délais vont être plus serrés que d’habitude, mais je pense que vous auriez fait la même chose à ma place : il n’était pas concevable de commencer à faire ses consultations avant les élections municipales.
Évidemment, dans cet échange contradictoire, j’ai demandé aux préfets de prendre en compte de manière pragmatique les situations locales. De manière plus générale, cela renvoie à la question suivante : faut-il ou non rouvrir les débats de la loi SRU, dont nous avons déjà beaucoup discuté ici ? Je me souviens notamment de l’illustre amendement Daubresse sur la question, qui a fait beaucoup débat, et qui a permis de faire une première évolution. Je pense également à ce que nous avions fait dans les communes d’Île-de-France.
Monsieur le sénateur, vous connaissez ma position. À mon sens, dès que l’on ouvre trop la loi SRU, on envoie un signal qui est souvent contre-productif. Il faut trouver un équilibre.
La question est la suivante : faut-il ouvrir le débat maintenant, sachant qu’il faudra de toute façon l’ouvrir un jour, car il y a 2025 en ligne de mire ? En ce qui me concerne, je préfère être pragmatique dans les instructions que je donne aux préfets sur le terrain. Il me semble que l’ouverture du chantier législatif tout de suite serait un mauvais coup porté à cet édifice. En effet, cela reviendrait à envoyer un signal négatif à beaucoup de communes où on a pourtant encore un énorme besoin en logements sociaux.
Monsieur le sénateur, je sais que cette réponse ne vous satisfait pas, mais je préfère aller en ce sens : pragmatisme du terrain, d’abord, et la loi, plus tard.
Mme Sophie Primas. Bonus à ceux qui font plus !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.
M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, effectivement, les préfets de région devront prendre en compte la situation des communes, dont beaucoup vont voir leur autofinancement chuter de manière dramatique. Comment construire et accueillir les nouvelles populations ? Il y a là une vraie question.
Depuis toujours, je plaide ici pour la contractualisation, et non pas pour exonérer ceux qui ne veulent pas faire et qui le revendiquent. Nous le savons tous, il s’ouvre une période de cinq ou six ans qui va être un fiasco. Nous serons tous obligés de constater que nous n’avons pas pu faire. Cherchons plutôt à voir comment accompagner les communes et les bailleurs sociaux plutôt que de les mettre dans un corner, parce que cela va décourager certains, qui avaient peut-être envie de faire et qui se diront : « Après tout, ce n’est plus la peine… » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot.
Mme Annie Guillemot. Effectivement, il faut un plan de relance « logement-bâtiment » ambitieux et soutenir aussi nos concitoyens pour leur permettre de conserver leur logement, tant dans le parc privé que dans le parc public, d’ailleurs. Dominique Estrosi Sassone vient d’exposer les grandes lignes de notre rapport commun à la commission des affaires économiques, et je l’en remercie vivement.
Monsieur le ministre, il faut également réinterroger les politiques publiques à l’œuvre, comme sur l’hébergement et les structures collectives, la rénovation énergétique, l’ambition d’une politique de société pour la politique de la ville, l’augmentation de la production de l’offre. Si le logement est au cœur de notre quotidien, il est aussi au cœur des inégalités, parce que c’est le logement qui plombe le pouvoir d’achat. Les dépenses de logement ne cessent d’augmenter, et davantage pour les plus pauvres, avec 30 % à 40 % de charges mensuelles.
La question du logement est donc au cœur des inégalités et votre politique interroge. Une politique du logement, c’est d’abord du sens, porter des convictions et, en premier lieu, celle de la réduction des écarts. Pour moi, elle doit s’appuyer sur deux piliers : la mixité et la diversité ; la mixité sociale et la diversité des produits au sein d’un même territoire.
À ce sujet, le Défenseur des droits recommande, dans son rapport sur les discriminations présenté lundi 22 juin, d’affirmer dans la loi la primauté du droit au logement sur la mixité sociale. L’Union sociale pour l’habitat (USH) pointe là un risque de ghettoïsation, estimant que le droit au logement doit être mis en œuvre, bien sûr sans discrimination, mais aussi sans renoncer à la mixité sociale. Le logement d’abord, tout le monde peut être d’accord, monsieur le ministre, mais attention, en même temps, aux questions sociales, spatiales, de plus en plus nombreuses.
Je m’interroge sur votre politique de la ville : les quartiers ne peuvent être coincés entre accès au logement et paupérisation. Quelle mixité, quelle solidarité, sachant que les quartiers ont été les plus impactés par la pandémie, comme vous l’avez dit ? Monsieur le ministre, dans ce combat contre les inégalités par le logement, aggravées par la pandémie, quelles sont vos propositions pour la mixité sociale et quelles mesures envisagez-vous de prendre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Je profite de cette occasion, madame la sénatrice, pour vous féliciter du rapport que vous avez élaboré, avec Mme Estrosi Sassone, au nom de votre commission des affaires économiques.
Je partage en tous points la question que vous me posez. C’est d’ailleurs l’une des vertus de la réunion dans un même ministère des politiques du logement et de la ville. Je ne tournerai pas autour du pot : depuis des années, on peut constater un échec collectif, dans la mesure où les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont parmi les derniers territoires où il y a un véritable ascenseur social. L’immense difficulté est que, chaque fois que quelqu’un sort d’un tel quartier, on y remet une personne en situation de précarité.
L’État se trouve parfois, en la matière, dans une situation schizophrénique, car les injonctions données aux préfets sont contradictoires : d’un côté, on leur demande de fournir des logements sociaux à certains publics au titre de telle ou telle politique ; de l’autre, la répartition des différentes populations en quartiles et déciles organisée dans la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté est si compliquée – je suis tenté de mettre quiconque au défi d’expliquer le fonctionnement de ce dispositif – qu’elle ne peut pas vraiment être appliquée.
Face à cette situation, j’ai trois propositions à faire. La première fait écho à ma réponse à M. Dallier : il faut être extrêmement exigeant quant à l’application de la loi SRU dans toutes les communes où il n’y a pas suffisamment de logements sociaux.
Deuxièmement, il faut faire en sorte que, dans le cadre des mises à l’abri, on cesse d’installer ces personnes toujours dans les mêmes territoires. Ainsi, les personnes évacuées d’un campement de la porte de la Chapelle sont toujours relogées en Seine-Saint-Denis : ce n’est plus possible !
M. Philippe Dallier. Absolument !
M. Julien Denormandie, ministre. Je me bats tous les jours à ce sujet. Quand on fait des mises à l’abri dans les Yvelines, ces personnes se retrouvent toujours aux Mureaux, jamais à Versailles !
Mme Sophie Primas. Pas toujours…
M. Julien Denormandie, ministre. Quand même beaucoup, madame la sénatrice ! Je donne des instructions très claires pour qu’on arrête de faire toujours la même chose concernant ces mises à l’abri, ce qui contribue à alimenter ce cercle infernal.
Ma troisième proposition concerne la politique du peuplement dans les attributions de logements. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN, a déjà permis des avancées, mais il faut aller encore plus loin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour la réplique.
Mme Annie Guillemot. Je partage tout à fait votre avis concernant la loi SRU, monsieur le ministre, mais l’augmentation de l’offre de logements ne suffira pas : il faut encore que cette offre soit abordable et que son attribution soit réformée. On voit bien – le Défenseur des droits le relève d’ailleurs – que beaucoup de communes s’exonèrent des obligations de l’article 55 de la loi SRU en installant dans ces logements leur propre population. À Bron, par exemple, on a des foyers d’hébergement, dont certains destinés aux migrants, un grand ensemble et des copropriétés privés.
Tant dans le secteur public que dans le secteur privé, on doit bien sûr lutter contre les discriminations, comme le rappelle le Défenseur des droits, mais le droit au logement ne saurait s’appliquer seulement dans les quartiers en difficulté ! Sinon, les communes déjà les plus pauvres seront seules à accueillir les publics les plus pauvres, ce qui ne fera qu’aggraver leur situation. Comme le chante Francis Cabrel, « ça continue encore et encore » ! (L’oratrice fredonne ce refrain. – On apprécie sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, le week-end dernier, la Convention citoyenne pour le climat a adopté ses propositions, désormais rendues publiques. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. On est sauvé !
M. Joël Labbé. Certaines d’entre elles, comme vous le savez, concernent la rénovation thermique des bâtiments.
Il s’agit d’une thématique essentielle, puisqu’elle permet d’associer économie, emploi, justice sociale, objectifs climatiques et réduction de la dépendance énergétique de notre pays. Il est important de rappeler dans cet hémicycle que le bâtiment compte pour plus d’un quart de nos émissions de gaz à effet de serre. Alors que nous entrons dans une crise économique et sociale majeure, la rénovation thermique est aussi une question de lutte contre les inégalités, après que la crise sanitaire a amené des millions de ménages à se confiner dans un habitat indigne.
Face à ces enjeux, la Convention citoyenne pour le climat propose notamment une interdiction de location des passoires énergétiques étiquetées F et G à partir de 2028. Cette proposition est assortie d’une obligation de rénovation globale permettant d’atteindre une performance énergétique A ou B. Son non-respect serait sanctionné par un malus sur la taxe foncière et elle s’accompagnerait d’un renforcement et d’une simplification des aides à la rénovation, notamment pour les propriétaires modestes.
Ces propositions sont donc bien plus ambitieuses que celles de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, ou loi Énergie-climat, qui s’est révélée sur ce sujet à la fois trop peu contraignante et dotée de moyens insuffisants.
Alors que nous nous apprêtons à voter plusieurs textes budgétaires, le Gouvernement a multiplié les annonces quant à un renforcement des moyens alloués à la rénovation énergétique, afin d’allier relance et écologie. Si cette ambition budgétaire est louable, il faut non seulement qu’elle soit à la hauteur de l’enjeu mais aussi qu’elle s’accompagne de mesures contraignantes : la seule incitation n’a jusqu’à présent pas suffi.
Alors que se multiplient les appels à construire un « monde d’après » juste et solidaire, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, comment votre ministère accueille ces propositions fortes, issues des citoyens, et quelle place il souhaite leur donner dans les débats à venir ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Joël Labbé votre question me donne l’occasion, d’abord, de saluer le travail de la Convention citoyenne pour le climat. Vous l’avez salué, je voudrais le faire à mon tour, car il s’agit à mon sens, objectivement, d’un travail démocratique absolument inédit.
Mme Patricia Schillinger. C’est vrai !
M. Julien Denormandie, ministre. Pour avoir examiné dans le détail les travaux de cette convention, je trouve l’équilibre qu’y ont trouvé et que nous offrent nos concitoyens extrêmement pertinent. Ils reprennent en effet l’approche consistant, d’abord, à mettre en place des dispositifs incitatifs, mais également, si jamais ceux-ci se révélaient insuffisants, à adopter une approche coercitive. Pour ma part, je crois qu’il est bon d’avancer ainsi de manière générale, entre incitation et coercition. C’était d’ailleurs le sens de la loi Énergie-climat.
Concernant le volet incitatif, comme je l’ai déjà rappelé dans ma réponse à Mme Estrosi Sassone, et comme l’a très bien dit la Convention citoyenne, la question fondamentale est la suivante : si le chemin dans lequel on s’est engagé avec « MaPrimeRénov’ » et « Habiter mieux sérénité », dispositifs que vous connaissez bien, est le bon, son ampleur est-elle suffisante ? Ces dispositifs sont-ils suffisamment maillés ? J’ai la conviction qu’il faut renforcer ces dispositifs. Ainsi, nous avons prévu d’élargir, dès le 1er janvier 2021, le nombre de déciles de revenus éligibles à MaPrimeRénov’.
Quant au volet coercitif, la loi Énergie-climat prévoit déjà que les pires passoires énergétiques ne pourront plus être louées à partir du 1er janvier 2023. Vous vous souvenez des débats à ce sujet : nous avons intégré ces passoires dans ce qu’on appelle le « décret de décence ». La Convention citoyenne pour le climat dit qu’il faut aller plus vite et plus loin. J’estime qu’il s’agit d’un exercice profondément démocratique : cette décision très démocratique aurait un impact extrêmement fort sur le logement et son accessibilité, mais il est important d’écouter nos concitoyens sur ce sujet.
Je laisserai évidemment le Président de la République annoncer quels chemins seront empruntés pour reprendre les propositions de cette convention, mais je suis en tout cas très à l’aise avec le choix d’un axe combinant incitation et coercition, et je le défends pleinement.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. Merci, monsieur le ministre, de votre réponse claire et engagée. Il est en effet essentiel que le Gouvernement prenne ses responsabilités face aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Quoi qu’on en pense, ce mode de gouvernance inédit a permis de porter dans le débat public des propositions fortes et ambitieuses, à la fois exigeantes quant aux objectifs climatiques et soucieuses de justice sociale. C’est bien le type de mesures dont nous avons besoin pour affronter l’urgence environnementale à laquelle nous sommes confrontés, mais aussi pour réconcilier nos concitoyens avec le monde politique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Primas. Vous me direz où est la justice sociale, mon cher collègue !
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, notre pays connaît une crise sanitaire, économique et sociale inédite ; elle frappe durement 6 à 7 millions d’actifs, locataires ou accédant à la propriété, ainsi qu’une grande partie des étudiants et des plus démunis.
Face à cette crise, le Gouvernement a réagi, en mettant en place un dispositif de chômage partiel, en accordant des aides exceptionnelles aux entreprises et aux autoentrepreneurs, en versant une aide exceptionnelle de solidarité, mais aussi, ce qui a un lien direct avec notre débat, en allongeant de plus de trois mois, jusqu’au 10 juillet prochain, la trêve hivernale.
Cependant, l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL) recense depuis le début d’avril une forte hausse des appels vers la ligne dédiée « SOS impayés ». Ces appels, en moyenne deux fois plus fréquents qu’à l’ordinaire, concerneraient surtout, d’une part, les salariés du privé et les personnes qui, n’étant ni retraitées ni fonctionnaires, auront été particulièrement exposées aux effets économiques du confinement, et, d’autre part, des locataires du parc privé, dans la mesure où les propriétaires n’ont pas pris en compte la situation économique des ménages impactés par les propriétaires, tandis que les bailleurs sociaux ont renforcé leur accompagnement social et ont même, pour certains, proposé des reports de loyer.
Depuis la fin avril, le nombre d’appels reflue vers son niveau moyen. Si ce début de retour à la normale ne présage pas des évolutions à venir, qui dépendront de la conjoncture, il témoigne en tout cas de l’effet qu’ont eu les mesures du Gouvernement pour amortir les effets de la crise.
Pour poursuivre ces efforts, des acteurs tels que la Fondation Abbé Pierre demandent des mesures, en particulier un moratoire des loyers, et des moyens supplémentaires sous la forme d’un fonds national d’urgence d’aide à la quittance ou de cellules d’urgence au sein des fonds de solidarité logement des départements.
Aussi, monsieur le ministre, qu’envisagez-vous pour répondre aux grandes difficultés des locataires et des ménages accédant à la propriété, ainsi qu’aux inquiétudes des bailleurs privés et sociaux face aux risques d’impayés ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Schillinger, je tiens à vous remercier vivement de votre question. Un aspect de ce que vous avez évoqué en introduction de votre propos est absolument essentiel : il faut que l’accompagnement des personnes rencontrant des difficultés dans le paiement de leur loyer soit inclus dans l’ensemble bien plus vaste des mesures d’aide. Il ne faut pas oublier que, souvent, les ménages font d’autres sacrifices pour pouvoir payer leur loyer.
C’est pourquoi le bénéfice de l’aide exceptionnelle, fixée à 100 euros par enfant, mais aussi à 150 euros pour chaque personne bénéficiaire du RSA (revenu de solidarité active) ou de l’ASS (allocation de solidarité spécifique), a été étendu aux bénéficiaires de l’APL (aide personnalisée au logement) : cela était très important pour toucher plus de 4 millions de familles.
Cela dit, l’accompagnement doit être individualisé, car plusieurs cas de figure se posent.
Concernant les bailleurs sociaux, qui ont déjà l’habitude d’offrir un tel accompagnement, on doit leur donner les moyens de proposer des moratoires ou des échelonnements ; c’est de ma responsabilité. C’est pourquoi, outre le recours aux titres participatifs, on a ouvert une ligne de trésorerie de plusieurs milliards d’euros au bénéfice des bailleurs sociaux.
Quant au parc privé, grâce à l’ANIL, qui fait un travail formidable, on a créé la plateforme téléphonique « SOS Loyers impayés », au 0805 16 00 75, gérée par des professionnels territorialisés : ils accompagnent les locataires et leur donnent les voies et moyens de recevoir les différentes aides. Parmi celles-ci, on trouve les fameux fonds de solidarité pour le logement départementaux. Tout le monde me dit qu’il faut les abonder, mais je tiens à souligner que l’enjeu principal de ces fonds, aujourd’hui, est leur utilisation. Tous les élus locaux et vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, savez très que la doctrine d’emploi de ces fonds varie d’un département à l’autre : dans la majeure partie des cas, il faut avoir deux ou trois mois de loyer impayé pour y être éligible. Ce n’est pas de ma responsabilité ! Si l’on ne modifie pas les règles d’éligibilité au FSL, bien des locataires n’y auront pas accès. Face à ce problème, j’ai décidé, avec Action Logement et les partenaires sociaux, de créer une nouvelle aide de 150 euros par mois pendant deux mois de manière à accompagner un grand nombre de personnes rencontrant ces difficultés.
Voilà, madame la sénatrice, l’ensemble des dispositifs que nous avons mis en œuvre en la matière. Merci de votre engagement sur ce sujet !
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.
Mme Patricia Schillinger. Il faudra faire un bilan de ces dispositifs dans quelques mois. J’espère que nous en disposerons rapidement et, surtout, qu’il sera fait à l’échelle de chaque département. On a bien remarqué, en effet, que les départements réagissaient différemment à la crise du Covid-19. En tout cas, monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je voudrais d’abord remercier nos collègues du groupe Les Républicains pour ce débat et saluer le travail accompli par la commission des affaires économiques, dont la plupart des propositions constituent à mes yeux une base commune très largement partagée sur nos travées.
Je souhaite mettre l’accent sur les professionnels que nous avons jugé si indispensables au cours de la crise sanitaire : les métiers essentiels, ces personnes souvent mal rémunérées, mais qui rencontrent aussi souvent de graves difficultés pour se loger. Elles doivent souvent habiter loin de leur lieu de travail.
Parmi les pistes de réflexion qu’il convient sans doute d’ouvrir, il y en a une qui rejoint la question de la mixité sociale : il faut déterminer comment on pourrait réintroduire dans les critères d’accès aux logements sociaux des attributions privilégiées pour ces salariés jugés essentiels – les infirmières, par exemple – à proximité de leur lieu de travail. Cela pourrait contribuer à une meilleure mixité : le système actuel de gestion en flux ne fait qu’accroître la ségrégation sociale sur les territoires. Je partage par ailleurs l’avis de Mme Guillemot sur l’avertissement que nous adresse le Défenseur des droits : il faut être très vigilant sur cette mixité sociale.
Par ailleurs, certains de ces salariés modestes voudraient accéder à la propriété, en particulier dans les territoires ruraux, semi-ruraux et périphériques. Sans grignoter pour autant le territoire, il faut soutenir cette démarche d’accession sociale à la propriété. Or les surcoûts de chantiers ont un impact sur bien des opérations et ne peuvent pas être remis dans le plan de financement des acquéreurs. Une des propositions que nous faisons, avec Action Logement, est d’offrir 15 000 euros à chaque personne devant faire face à des surcoûts de chantier et gagnant moins de 2,5 ou 3 SMIC. De telles primes existaient par le passé et seraient de nature à faire passer le cap difficile des surcoûts de chantier, à rouvrir la possibilité de l’accession sociale à la propriété et à soutenir le secteur du bâtiment dans des territoires à l’écart des métropoles où les PME souffrent beaucoup.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Lienemann, vous abordez beaucoup de sujets dans votre question ; il me faudra, au vu du temps qui m’est imparti, me concentrer sur certains d’entre eux.
Vous suggérez d’étudier la manière dont on pourrait, dans les attributions de logements sociaux, faire en sorte que certains travailleurs soient assurés de recevoir un tel logement. Dans le prolongement de mon échange avec Mme Guillemot, je rappellerai d’abord que l’État dispose toujours d’un contingent de 5 % de ces attributions ; il n’est pas toujours respecté, mais je veille à ce qu’il le soit : les infirmiers et infirmières que vous évoquez font partie de ce contingent.
Je tiens ensuite à attirer l’attention de tous sur l’une des mesures de la loi ÉLAN, qui porte sur le contingent d’Action Logement, dédié aux salariés. Ce contingent, souvent, ne trouvait pas preneur lors de la réunion de la commission d’attribution qui étudiait les dossiers ; il retombait alors dans les mains du préfet, qui attribuait le logement, le plus souvent, à une personne en situation de très grande précarité. Nous avons voulu modifier ce dispositif, dans la loi ÉLAN, de telle manière que ce contingent soit alors confié, non plus au préfet, mais au maire. Ainsi, celui-ci pourra décider, soit d’attendre qu’un salarié éligible se trouve, soit de l’octroyer à une autre personne dans l’objectif de mixité sociale que nous évoquions.
En revanche, madame Lienemann, je ne partage pas votre diagnostic sur la gestion en flux. À mes yeux, elle est plutôt favorable à la mixité sociale, même s’il faut sans doute aller plus loin.
Concernant l’accès à la priorité, je suis mille fois d’accord avec vous : comme en témoignent les OFS et différents dispositifs pour lesquels nous avons mené des combats en commun, j’estime que l’accès doit être non pas réservé à quelques-uns, mais accessible à tous. J’observe avec une attention particulière dans la période actuelle le comportement des banques en la matière.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le ministre, la France est en retard, depuis de nombreuses années, sur la rénovation énergétique. Ce constat frappant doit nous interpeller, car nous sommes loin de remplir les objectifs fixés lors du Grenelle de l’environnement, à savoir 500 000 logements rénovés par an, soit 7 millions de logements à l’horizon 2025. Nous dépassons difficilement aujourd’hui la moitié de cet objectif, avec 288 000 rénovations chaque année.
Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat font de la rénovation énergétique des logements un sujet de premier plan. Les logements que l’on appelle communément des « passoires énergétiques » constituent un problème qui n’est pas seulement écologique.
En effet, la rénovation énergétique efficace de nos bâtiments a aussi des bénéfices en termes sociaux, économiques et sanitaires. C’est un levier de relance inéluctable pour nos entreprises, notre artisanat et nos territoires, mais aussi un levier pour le pouvoir d’achat des Français et pour la création d’emplois ainsi qu’une impulsion nouvelle pour l’Europe, qui voit dans la rénovation énergétique un sujet majeur.
Beaucoup d’engagements ont été pris depuis le Grenelle de l’environnement, mais nous avons aujourd’hui besoin d’une vraie accélération dans ce domaine pour combler notre retard.
Pour cela il nous faut simplifier et compléter nos dispositifs pour les rendre plus lisibles et plus efficaces. Cela nous permettra d’avoir une approche tant performante que rapide. Monsieur le ministre, quelles sont vos ambitions en la matière ? Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser la place que prendraient les bailleurs sociaux dans un tel dispositif ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je peux offrir deux grands axes de réponse à votre question.
En premier lieu, il faut s’appuyer sur nos acquis. Qu’avons-nous accompli depuis trois ans sur le sujet ?
D’abord, nous avons doublé l’activité de l’ANAH en deux ans : cela reste insuffisant, mais ce n’est pas rien, cela démontre la possibilité d’une action.
Ensuite, concernant l’ANRU, nous avions pris des engagements à hauteur de 10 milliards d’euros dans le cadre du nouveau programme de rénovation urbaine. Au moment où je vous parle, ces 10 milliards d’euros sont engagés : les marchés sont en train d’être passés, les grues sont en train de revenir dans l’ensemble des quartiers.
Troisièmement, concernant les copropriétés dégradées, comme l’a mentionné votre collègue Jean-Marie Bockel dans son récent rapport d’information, nous avons lancé un plan très important, intitulé « Initiative Copropriétés ». Je l’avais présenté à Marseille, quelques semaines avant le drame de la rue d’Aubagne. Ce plan engage 3 milliards d’euros pour la rénovation des grandes copropriétés dégradées. Il faut continuer dans cette voie, qui marche très bien.
Quatrièmement, au titre du dispositif MaPrimeRénov’, que j’évoquais, 50 000 dossiers ont été examinés entre le 1er janvier et le 31 mai, en dépit du confinement : je salue le travail accompli par l’ANAH en la matière. Là encore, ce n’est pas suffisant, mais la dynamique fonctionne ; il faut simplement aller plus loin.
Enfin, pour le parc social, dans le cadre d’un accord signé en avril 2019 avec les bailleurs sociaux, nous nous sommes engagés à augmenter de 25 % le nombre de rénovations dans ce parc.
En second lieu, il faut aller sur certains sujets plus loin que ces acquis, dans la lignée des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.
D’abord, il faut étendre MaPrimeRénov’ à d’autres déciles de la population. Ensuite, il existe un sujet important, qui constitue depuis de nombreuses années un trou dans notre raquette : la question des propriétaires bailleurs. Il faut que nos instruments les accompagnent mieux ; c’est notamment, à mon sens, la vocation de MaPrimeRénov’. Enfin, concernant les dispositifs fiscaux, je profite de cette occasion pour appeler tous les acteurs qui veulent faire profiter les territoires qu’ils aiment de la défiscalisation à utiliser le dispositif dit « Denormandie dans l’ancien » : ils pourront utiliser les sommes gagnées pour rénover l’habitat et redynamiser ces territoires ; c’est à mon sens bien mieux que de défiscaliser de façon tout à fait impersonnelle dans des territoires qu’on ne connaît pas et pour d’autres types de construction.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, pour la réplique.
M. Franck Menonville. Nous avons là une occasion assez unique d’allier l’économie et l’environnement, deux enjeux qu’on oppose parfois. Cela dit, j’estime qu’il faut vraiment en rester à l’incitation plutôt que d’avoir recours à la coercition et à des taxes supplémentaires.
Permettez-moi aussi de vous dire, monsieur le ministre, que ces mesures sont sûrement plus porteuses que d’autres propositions de la Convention citoyenne, notamment la limitation de la vitesse sur autoroute à 110 kilomètres par heure,…
M. Jean-Marc Boyer. Bravo !
M. Franck Menonville. … mais aussi tout ce qui a trait à la viande et au lait. Très honnêtement, il faudra dans ce débat s’attaquer aux vrais enjeux et avoir des projets qui constitueront de véritables leviers pour l’écologie plutôt que de dresser les uns contre les autres. (M. Pierre Louault applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le ministre, le bon sens populaire le rappelle, « quand le bâtiment va, tout va ». Aussi, le plan de relance doit passer en priorité par la construction et la rénovation énergétique efficace des bâtiments, vecteur important d’activité économique.
Notons que le secteur du bâtiment, qui représente plus d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre en France, a dépassé de plus de 22 % en 2017 la trajectoire de la stratégie bas carbone.
Le rapport de l’enquête sur les travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles (Trémi) réalisée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) montre que 75 % des travaux en maisons individuelles n’ont pas permis à ces logements de changer de classe dans le diagnostic de performance énergétique (DPE). Pour ne citer qu’un exemple criant, la mise en œuvre de l’isolation à un euro par des entreprises parfois peu scrupuleuses a terni l’utilité de ces travaux.
Monsieur le ministre, combien ce dispositif a-t-il coûté aux finances publiques pour un résultat aux trois quarts inefficace ?
Il faut faire évoluer les procédures et les contrôles pour que ces moyens financiers écologiques soient correctement utilisés.
Pour que les Français rénovent et investissent, il faut de la confiance. Ils doivent s’assurer que l’investissement dégagera un gain financier à moyen ou long terme.
Les plateformes de rénovation énergétique et les conseillers des espaces info énergie sont des outils fiables. Il faut que l’État soutienne plus fortement et plus durablement ces dispositifs : vous connaissez, monsieur le ministre, le temps nécessaire pour mettre en place la structure, recruter les conseillers et recouvrer la confiance des habitants.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous avez utilisé le mot clé : « confiance ». Aujourd’hui, on observe que le lien de confiance est parfois perdu dans la rénovation des bâtiments. Ainsi, il arrive à des retraités de recevoir dans une seule semaine neuf ou dix appels téléphoniques visant à leur vendre une isolation à un euro : il est normal qu’ils se demandent qui a raison dans tout cela. Quand vous faites des travaux et que le contrôle qui suit est mauvais, un gros problème de confiance se pose !
C’est d’autant plus dommageable que nos artisans font un boulot formidable. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour rappeler que, dans le plan de relance que nous mettons en place, dans la reprise des chantiers que j’évoquais, il faut absolument refaire travailler nos artisans. Nous avons établi avec eux des protocoles sanitaires ; il est important de dire sur tous les territoires : « Faites confiance à nos artisans ! »
Cela dit, la confiance n’exclut pas le contrôle. Pour ce faire, il convient de mettre en place des mesures parfaitement objectivables et comprises par chacun d’entre nous. Il existe dans le secteur de la rénovation le label « Reconnu garant de l’environnement » (RGE) : figurez-vous que les entreprises chargées de labelliser ses potentiels bénéficiaires demandent à ceux-ci de leur indiquer les chantiers à inspecter : ça ne peut pas marcher ! Quand on demande à la personne que l’on contrôle de choisir les chantiers à inspecter, on peut être sûr que tout le monde aura le label et que nos concitoyens n’auront pas confiance en lui.
C’est pourquoi, juste avant le confinement, avec Emmanuelle Wargon et Agnès Pannier-Runacher, j’ai annoncé un plan d’amélioration de ce contrôle. Je le redis, la confiance n’exclut pas le contrôle. Au titre de ce plan, les caractéristiques du label RGE seront revues. Par ailleurs, il sera mis fin au démarchage téléphonique abusif dans le domaine de la rénovation énergétique : vous avez tout récemment adopté une proposition de loi à cette fin, ce que je salue. Enfin, on fera en sorte que la labellisation soit encore renforcée. C’est une ambition que nous portons avec les artisans eux-mêmes, dont l’immense majorité fait un très beau travail : il faut faire travailler les artisans de notre pays, surtout dans la période actuelle.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat, pour la réplique.
Mme Françoise Férat. Nous sommes d’accord quant au constat, monsieur le ministre. Quant à moi, pour accomplir cette relance économique conjuguée à une réelle transition écologique, je vois quatre mots clés : le conseil, qui nous ramène à vos propos sur le harcèlement téléphonique de nos concitoyens ; l’accompagnement, souvent nécessaire ; le contrôle, au sujet duquel nous sommes d’accord ; enfin, la qualité, plutôt que la quantité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Le secteur de la construction, auquel le secteur du logement est intimement lié, représente plus de 6 % de l’emploi et subit de plein fouet les conséquences de la crise que nous traversons. Il représente également 20 % des émissions de gaz à effet de serre. À travers ces deux chiffres, il est facile de comprendre les perspectives offertes par ce secteur, qu’il convient de soutenir pour relancer l’économie tout en y inscrivant des solutions environnementales fortes.
Je souhaite aussi rappeler que différents textes législatifs ont défini le logement décent et ont introduit des exigences d’isolation thermique et de performance énergétique.
L’Ademe estime d’ailleurs que les travaux d’isolation permettraient de réaliser jusqu’à 25 % d’économie sur la facture énergétique annuelle des ménages.
Je crois que nous pouvons tous convenir que la rénovation des logements est partie prenante de tout plan de transition écologique. Il faut aussi s’assurer, a minima, que les exigences existantes seront appliquées.
S’agissant des surfaces, rappelons qu’un logement en location est défini comme devant disposer, au moins, d’une pièce principale de 9 mètres carrés, avec une hauteur sous plafond de 2,20 mètres. Vous conviendrez, monsieur le ministre, que ce type de logement ressemble plus à un dortoir qu’à un logement digne de la France du XXIe siècle !
D’ailleurs, la crise sanitaire a aussi révélé l’importance que revêtent les critères de qualité d’un logement souvent transformé en bureau par le télétravail.
Je plaide donc pour une incitation forte à la réhabilitation et à la rénovation énergétique des bâtiments, mais j’ai aussi la conviction que nous devons nous atteler à la « reconception » du parc immobilier, dès lors que des travaux sont engagés, car la rénovation doit non pas se résumer à son volet énergétique, mais être plus globale.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’il faille, d’une part, redéfinir ce qu’est un logement décent, en France, en 2020, et, d’autre part, accompagner les propriétaires et instaurer, peut-être, une obligation de rénovation énergétique du logement, comme celle qui existe déjà pour les bâtiments tertiaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, la loi Énergie-climat a élargi la définition de la décence, en y incorporant le volet thermique. Y sont incluses les très grosses passoires thermiques, c’est-à-dire celles qui sont les plus mal classées au sein de la classe G du diagnostic de performance énergétique. Cela représente tout de même 400 000 logements dans notre pays, logements qui seront interdits à la location à partir du 1er janvier 2023.
Pour la Convention citoyenne sur le climat, cela va dans le bon sens, mais ce n’est pas assez rapide. C’est pourquoi le volet coercitif doit être renforcé par rapport au volet incitatif : il faut toujours marcher sur ses deux jambes. Élargir la notion de décence, comme vous le soutenez, est une très bonne mesure, mais il faut aller plus loin que ce que prévoit la loi Énergie-climat. Il s’agit là d’un débat très légitime que nous aurons.
J’en viens à la rénovation, qui était votre seconde question, madame la sénatrice. Là aussi, il faut absolument aller plus loin, et ce dans tous les domaines. Le problème majeur auquel on se heurte aujourd’hui en matière de rénovation, au-delà des définitions, ce sont les trous dans la raquette. Je pense aux propriétaires bailleurs pour lesquels les dispositifs incitatifs ne sont pas efficients. Ne faut-il pas alors passer directement à des mesures coercitives ? Cela étant, et je me réfère à ce que j’ai répondu à Joël Labbé, jusqu’où aller dans le coercitif quand l’incitatif ne fonctionne pas ?
Il faut bien mesurer d’où l’on part : aujourd’hui, dans le parc locatif privé, un logement sur deux est une passoire thermique. Il faut arriver à trouver le bon équilibre entre l’incitatif et le coercitif. Encore une fois, la Convention citoyenne sur le climat nous exhorte à aller plus vite que ce que nous avions prévu de faire. C’est cela qu’il nous faut retenir et mettre en œuvre à la suite de ses travaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le ministre, de mon point de vue, il ne s’agit pas de trancher entre coercition ou incitation. Nous sommes tous conscients du problème.
Aujourd’hui, il nous faut nous intéresser à l’accompagnement des classes moyennes. En effet, toutes les aides existantes sont fléchées vers les classes les plus modestes. C’est très bien, mais, souvent, ce ne sont pas elles qui entreprennent des travaux. N’oublions pas les classes moyennes. Tous les Français ont besoin de ce dispositif : les études réalisées à l’issue de la crise sanitaire révèlent toutes qu’ils envisagent d’améliorer leur logement. Ce qui est apparu, c’est bien l’inégalité d’hébergement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, la crise de la Covid-19 a montré l’importance de la qualité des logements pour télétravailler, étudier ou tout simplement vivre en période de confinement. Cette qualité dépend directement des bailleurs sociaux, qui sont des acteurs majeurs de la construction et de la rénovation de logements. Or, en touchant le secteur du bâtiment, la crise a provoqué un retard de trois mois dans leurs travaux : aujourd’hui, seuls 69 % des chantiers affichent un niveau d’activité pleine.
Les bailleurs sociaux sont pourtant des moteurs de la relance économique, en vertu de leur relation avec les territoires. Bien avant la crise, leur situation financière avait été fragilisée par les décisions du Gouvernement prises depuis deux ans. Pour rappel, la réduction de loyer de solidarité (RSL), décidée à la suite de la baisse des APL, a fortement affecté leurs ressources et les a obligés à puiser dans leurs fonds propres. Cela représente un prélèvement d’environ 1,5 million d’euros par an pour l’office public de l’habitat des Hautes-Pyrénées, ce qui limite sa capacité d’investissement. En outre, la plupart des dispositifs de compensation sont nettement insuffisants et concernent très largement les zones tendues.
Cette accumulation de difficultés risque d’empêcher nombre de bailleurs sociaux de participer à la relance de la commande publique. C’est tout un écosystème qui attend que l’État redevienne un acteur du financement du logement social et le garant de la solidarité nationale.
Il est donc plus que nécessaire de revenir sur les réformes qui ont mis les bailleurs sociaux en difficulté : reconnaître le logement social comme un bien d’utilité publique avec une TVA à 5,5 %, revaloriser les APL, bloquer la RLS a minima à son niveau actuel et, par conséquent, abandonner le palier d’augmentation prévu pour 2022.
Monsieur le ministre, quelles réponses pouvez-vous apporter à ces légitimes demandes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Artigalas, nous partageons le même objectif : faire en sorte que le logement social, qui est un bien dans notre nation que beaucoup d’autres pays nous envient, ait les moyens de participer en tant que donneur d’ordre à la relance de l’activité, d’autant que le nombre de logements sociaux nécessaire dans notre pays est extrêmement important.
Quels sont les appuis pour ce faire ? On me parle très souvent de la RLS, mais beaucoup moins souvent de toutes les lignes de soutien que l’on met en place. Songez que, cette année, les titres participatifs que j’ai déjà évoqués oscilleront entre 900 millions d’euros et 1 milliard d’euros : c’est du quasi-fonds propres pour les offices, qui, par définition, n’ont pas de fonds propres. Je ne trahirai pas un secret en révélant que le président d’une grande fédération des offices publics de l’habitat – c’est d’ailleurs la seule ! (Sourires) – a affirmé que nous n’aurions pu trouver meilleur outil pour soutenir les bailleurs sociaux dans la crise que celui que nous avions déjà inventé.
Je le dis d’autant plus sereinement que cela ne vient pas de moi : Mme Estrosi Sassone a milité depuis le premier jour avec le président des OPH en faveur des titres participatifs. Le fait est qu’ils sont particulièrement utiles dans cette période : je le répète, nous finirons l’année avec 900 millions d’euros, voire 1 milliard d’euros, alors que nous avions prévu au mieux 400 millions d’euros.
Dans le même temps, nous avons ouvert une ligne de trésorerie de 2 milliards d’euros pour les bailleurs sociaux. L’ensemble des dispositifs de la Banque des territoires au bénéfice de ces acteurs représente plusieurs milliards d’euros. Il en est de même pour Action Logement.
Je rappelle qu’il a fallu neuf mois de travaux pour parvenir à deux accords. L’un d’entre eux prévoyait plus de 25 % de rénovation, je l’ai dit, mais surtout 110 000 agréments par an. L’année dernière, 109 000 agréments ont été accordés. L’objectif est donc atteint. Nous devons continuer de trouver chaque fois des solutions pragmatiques. Soyez sûre que je le ferai avec la même volonté, car je partage le même objectif que vous, madame la sénatrice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, je sais que vous agissez et j’entends ce que vous dites, mais je vous répète que l’État doit redevenir financeur en abondant le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) en lieu et place d’Action Logement – il ne peut pas se décharger sur d’autres organismes de ses responsabilités – et les fonds de solidarité pour le logement.
L’État doit également être un garant de la solidarité nationale en sécurisant l’accès des particuliers au logement, en rétablissant l’APL accession et le prêt à taux zéro dans les zones détendues.
Monsieur le ministre, on vous l’a déjà dit, vous devez revoir votre politique du logement. Pour cela, appuyez-vous sur l’excellent rapport d’information de nos collègues Annie Guillemot et Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Je remercie tout d’abord celles et ceux qui sont à l’origine de ce débat, mais je ne voudrais pas que celui-ci s’achève sans que soit évoqué le devenir de 80 % de notre territoire, même s’il ne représente plus que 20 % de la population. Je souhaite aborder le bâti rural et le logement dans ces mêmes territoires, qui sont en permanence oubliés, quand ils ne sont pas tout simplement condamnés par la loi.
Monsieur le ministre, aujourd’hui, l’empilement des règles et des dispositions du code de l’urbanisme, par leur inadaptation aux territoires ruraux, interdisent tout simplement la plupart du temps la construction…
M. Jean-Marc Boyer. Exactement !
M. Pierre Louault. … tout comme la réhabilitation de l’habitat ancien. Les paysans ont peur des néo-ruraux, lesquels, il faut bien le reconnaître, ignorent tout de la vie des territoires ruraux et de la vie de l’agriculture. (Murmures sur les travées des groupes LaREM et SOCR) Si nous voulons soutenir l’habitat, il faudra protéger les activités naturelles des espaces ruraux.
Oui, mesdames et messieurs les gens de la ville, si vous voulez que les territoires ruraux vous accueillent après le déconfinement,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ces territoires appartiennent à tout le monde ! Nous sommes tous des citoyens de la République !
M. Pierre Louault. … il faut respecter le travail qui y est accompli au quotidien. Dans le même temps, la loi doit permettre de développer l’urbanisme dans les territoires ruraux en supprimant un certain nombre de règles et en adaptant le code de l’urbanisme. Certes, il faut que les constructions neuves se fassent en continuité du bâti existant, mais il faut donner aux communes la possibilité d’acquérir ces terrains pour de nouvelles constructions.
Monsieur le ministre, allons-nous enfin donner une chance à ces territoires en adaptant le code de l’urbanisme, en y protégeant mieux les activités agricoles, nécessaires à l’entretien de l’espace rural pour construire et réhabiliter le bâti existant ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Louault, les politiques du logement et les politiques agricoles sont-elles compatibles ? Il se trouve qu’en plus d’être ministre du logement je suis ingénieur agronome.
M. Pierre Louault. Cela tombe bien !
M. Julien Denormandie, ministre. Comme quoi, la vie est bien faite ! (Sourires.)
La question fondamentale que vous posez est celle des politiques d’aménagement du territoire. On pourrait parler de manière très spécifique : dans les bourgs, les questions qui se posent provoquent des débats très endiablés, par exemple sur ce que l’on appelle les « dents creuses ». Je ne voudrais surtout pas, en prononçant ces mots, rouvrir un débat qui nous a déjà occupés des heures et des heures, mais qui est extrêmement important !
Je fais partie de ceux qui considèrent que faire de l’aménagement du territoire ne signifie pas figer le territoire à un moment donné. Il ne s’agit pas de se dire que, parce que tel territoire a telle configuration, toute action ne devrait viser qu’à en amplifier la cartographie, telle qu’elle est aujourd’hui. Non, il faut donner leur opportunité à tous les territoires.
Depuis trois ans, je me bats, d’abord avec Jacques Mézard, ensuite avec Jacqueline Gourault, pour revitaliser les villes moyennes. Si Jacqueline Gourault est aujourd’hui en train de présenter un plan sur les villes de demain, c’est-à-dire les villes de très petite taille, c’est précisément pour cela. Certes, il faut adapter nos législations, tenir compte de la spécificité de chaque territoire, régler des problèmes comme ceux des dents creuses, mais il faut surtout réussir à concilier deux impératifs : l’impératif d’aménagement du territoire et l’impératif écologique. Il faut réussir à rénover plutôt qu’à artificialiser les sols. La grande difficulté, c’est que rénover coûte souvent plus cher.
Les politiques fiscales ont toujours concouru à faire de l’artificialisation des sols, parce qu’elles privilégiaient la création de zones pavillonnaires à la rénovation des centres-villes. En tant que ministre du logement, mon rôle consiste à favoriser la rénovation des centres-villes. Ce faisant, je ne porte aucun jugement de valeur sur les pavillons : je considère qu’une politique d’aménagement du territoire se pilote aussi de cette manière.
Telle est mon action depuis trois ans. La route est encore longue, mais nous devons avancer dans ce sens.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le ministre, nous connaissons et mesurons tous les obstacles autant financiers qu’opérationnels qui se dressent sur le chemin menant aux multiples objectifs environnementaux, tous plus ambitieux les uns que les autres, que nous inscrivons régulièrement dans le marbre des textes législatifs.
Nous nous accordons aussi globalement sur l’urgence de la situation. Par conséquent, de toutes les démarches utiles, il me semble que nous devrions privilégier les plus efficientes.
Or nous savons que le secteur du logement et du bâtiment constitue un axe primordial dans la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Si le logement individuel ou collectif concentre généralement l’essentiel de l’attention des pouvoirs publics, nous devrions aussi regarder du côté du patrimoine de l’État, des collectivités et, plus globalement, des structures publiques.
Dans le cadre du groupe de travail « Enseignement supérieur » que j’ai piloté au nom de la commission de la culture, mes collègues et moi-même avons recommandé un plan de rénovation des bâtiments universitaires, facteur à la fois de relance économique sur le plan local et de démarche écologique, en écho aux propos qu’a tenus le Président de la République le 14 juin dernier.
Avec ses 18,6 millions de mètres carrés, dont un tiers est classé passoire énergétique, le parc immobilier universitaire est un gros consommateur d’énergie. Les simulations d’ores et déjà effectuées à partir d’un échantillon d’universités expérimentales démontrent que la rénovation des campus induit une réduction de charges très importante.
Là où la rénovation globale des logements est encore difficile à mettre en place, celle des bâtiments publics peut et doit être un levier d’action. Les universités sont prêtes à s’engager dans de tels investissements, qui permettent de créer des emplois, de soutenir le secteur du BTP et de limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Monsieur le ministre, votre gouvernement est-il prêt à élaborer des contrats de plan État-université pour la rénovation des bâtiments universitaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir m’excuser de n’avoir pas pris connaissance de votre document, ce que je ferai avec grand plaisir : je n’ai donc pas en tête le détail des propositions que vous formulez et je ne voudrais pas m’engager par une réponse très précise sur l’une de vos propositions qui, j’en suis sûr, est très pertinente.
Évidemment, de manière générale, je partage le constat que vous dressez. Là encore, il s’agit d’un débat compliqué. Oui, la rénovation des universités est une nécessité impérieuse. C’est d’ailleurs tout aussi vrai pour les écoles et le ministre Jean-Michel Blanquer a lancé un plan important de rénovation des écoles. J’y prends ma part de manière significative, au titre de la politique de la ville, puisque l’ANRU rénovera plusieurs centaines d’écoles.
Pour le bâti universitaire, il nous faut trouver les bons moyens. Nous savons que la valorisation du foncier des universités permettrait de réaliser plusieurs innovations : là aussi, le débat est plus complexe qu’il n’y paraît et c’est pour cela que je suis prudent dans ma réponse. Pas plus tard qu’hier, des intervenants sont venus me voir avec l’idée qu’il faudrait coupler les deux aspects, c’est-à-dire engager une valorisation pour financer la rénovation.
Élaborer un projet global, c’est faisable : des acteurs de la rénovation sont prêts à le faire. Peut-être est-ce là une piste qui va dans le sens des recommandations que vous avez formulées. J’en parlerai avec ma collègue Frédérique Vidal, parce que le sujet que vous évoquez est très important et il faut trouver les bonnes réponses.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. Pour apporter un peu d’eau à ce moulin, je précise que, si l’une des préconisations vise à renouveler l’ensemble des bâtis, on peut imaginer une période expérimentale de deux à trois mois avec une dizaine d’universités qui représenteraient par exemple 500 000 mètres carrés sur les 18 millions que j’ai cités : cela permettrait de mesurer l’efficacité d’un tel plan de rénovation des campus – je parle des bâtiments dans leur ensemble, c’est-à-dire aussi des logements étudiants – avant d’en envisager la généralisation sur l’ensemble des campus.
Il s’agit là, me semble-t-il, de solutions pragmatiques et réalistes, assez loin des incantations idéologiques qu’on a pu entendre récemment et qui ont peut-être pour vocation unique de braquer les acteurs et, in fine, de maintenir le statu quo.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, je souhaite aborder le sujet de la rénovation énergétique des logements, car il répond à trois enjeux forts.
Il répond d’abord à un enjeu environnemental, puisque le secteur du bâtiment représente 43 % de la consommation d’énergie finale en France et compte pour près du quart des émissions de gaz à effet de serre.
Il répond ensuite à un enjeu social, puisque 12 millions de nos concitoyens sont en situation de précarité énergétique. Le médiateur national de l’énergie a d’ailleurs signalé une hausse significative des interventions pour impayés de factures d’énergie en 2019.
Il répond enfin à un enjeu économique. On recense ainsi en France 7,5 millions de passoires énergétiques : autant de chantiers non délocalisables en perspective pour lancer fortement ce secteur fondamental dans notre économie, celui du bâtiment et des travaux publics.
Le Président de la République a annoncé le 14 juin dernier un plan de modernisation du pays, notamment autour de la rénovation thermique des bâtiments. Cette ambition nécessite une implication forte de l’État à une tout autre échelle que les politiques menées ces dernières années. Nous savons tous que le Green Deal de la rénovation n’a pas eu lieu : on peut même dire que la France piétine sur ce chantier pourtant majeur.
Aussi les parlementaires socialistes proposent-ils d’engager une approche nouvelle de la rénovation thermique des bâtiments en créant immédiatement une prime unique pour le climat. Cette prime universelle aurait pour objectif d’accompagner l’ensemble des propriétaires du parc privé dans la réalisation de travaux améliorant significativement la performance énergétique du logement. Elle permettrait de préfinancer jusqu’à 100 % des coûts de rénovation thermique en fonction des ressources des ménages.
Ce dispositif aurait l’avantage de lever les trois principaux freins à la rénovation. Premier frein, le manque d’accompagnement des ménages dans leur projet de rénovation. C’est pourquoi le dispositif prévoit un accompagnement renforcé des ménages par l’ANAH. Deuxième frein, le reste à charge, qui est souvent trop élevé. Troisième frein, la multiplicité des aides à la rénovation. C’est pourquoi la prime pour le climat prévoit aussi de fusionner les différents dispositifs existants afin de les rendre plus lisibles et accessibles.
Monsieur le ministre, nous vous proposons ce dispositif, construit avec les apports des principaux acteurs du logement au travers de nombreuses auditions, pour un véritable changement d’échelle de la rénovation énergétique dans notre pays. Vous en saisirez-vous pour accompagner concrètement le plan de modernisation annoncé par le Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Tissot, votre approche est tout à fait conforme à ce que j’essaie de mettre en place depuis le premier jour. Pour faire de la rénovation, il y a deux éléments clés : d’une part, l’accompagnement par les collectivités locales, le tissu associatif – par exemple, la fédération Soliha (Solidaires pour l’habitat), qui accomplit un très beau travail –, les agences de l’État comme l’ANAH ; d’autre part, la diminution du reste à charge. Plusieurs d’entre vous ont rappelé que l’accompagnement était nécessaire.
Si j’étais taquin, je dirais qu’entendre le groupe socialiste prôner la prime et non pas le crédit d’impôt me fait sourire, surtout si je me réfère aux propos de l’ancienne ministre de l’écologie Ségolène Royal, qui, après que nous avions créé MaPrimeRénov’, criait au scandale, jugeant horrible que le Gouvernement détricote le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) pour mettre en place une prime.
Or c’est une prime que vous êtes en train de préconiser et vous avez raison de le faire. Lorsque nous avons créé MaPrimeRénov’ pour remplacer le CITE, c’est précisément pour permettre, comme vous le souhaitez, le préfinancement des travaux. Le CITE soulevait de grosses difficultés pour les ménages modestes, qui devaient attendre un an, voire un an et demi, avant d’obtenir ce crédit d’impôt pour des travaux coûtant parfois jusqu’à 10 000 ou 12 000 euros. Comment faire l’avance de trésorerie dans ces conditions ?
La prime présente, elle, l’avantage d’être versée tout de suite, je vous rejoins sur ce point ; c’est bien le cas de MaPrimeRénov’. Cela permet de diminuer le reste à charge en évitant les problèmes de trésorerie. Je suis d’accord avec vous sur les enjeux de la prime.
Monsieur le sénateur, vous appelez aussi à plus de simplicité. Vous avez raison, c’est l’un des sujets sur lesquels il nous faut travailler à coup sûr. Ce chemin partagé est le bon.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Pemezec.
M. Philippe Pemezec. Monsieur le ministre, devenir propriétaire de son logement est un excellent moyen de se prémunir contre les aléas de la vie. Cela permet aussi de se constituer un patrimoine et, si on le souhaite, de laisser un héritage à ses enfants.
La faculté donnée aux organismes sociaux de pouvoir vendre une partie de leur patrimoine me paraît un excellent dispositif, d’autant que cela facilite le parcours résidentiel. Pour l’avoir mis en pratique dans ma ville – on a pu vendre plus de 10 % du patrimoine social, il est vrai qu’il y en avait beaucoup puisque l’on est passé de 73 % de logements sociaux à 38 % aujourd’hui –, j’en suis convaincu. En outre, cela crée de la mixité dans le patrimoine social.
Malheureusement, monsieur le ministre, la loi ÉLAN est une véritable usine à gaz ! Tout d’abord, il aura fallu attendre plus d’un an les décrets d’application. Les bailleurs sociaux n’ont donc pas pu vendre et ont perdu beaucoup d’argent – pour l’office des Hauts-de-Seine, cela représente 27 millions d’euros. Par ailleurs, cela a provoqué l’incompréhension des accédants à la propriété.
Au lieu de simplifier le système, on l’a complexifié ; je pense en particulier à la publicité et à la procédure de vente des logements sociaux. Aujourd’hui, pour se porter acquéreur, il faut être le plus rapide et le premier à répondre à une annonce publiée sur une plateforme internet, sans examen préalable des dossiers ni analyse des situations ou de leur degré d’urgence : c’est la règle du premier arrivé premier servi qui prévaut. Voilà qui n’est pas très juste, surtout quand il s’agit de logements sociaux : on enlève un peu d’humanité à cette mise en vente et tout semble se faire sans considération des dossiers, ce qui est assez curieux.
Monsieur le ministre, avez-vous l’intention de simplifier le système qui doit entrer en application au 1er juillet prochain, c’est-à-dire très prochainement ? Il est dommageable que l’administration d’État ait toujours à cœur de complexifier les choses. Par ailleurs, comptez-vous remettre le maire au cœur du dispositif décisionnaire ? Le maire est celui qui connaît le mieux son territoire et sa population, et qui est donc le plus à même de participer à la décision concernant le choix des accédants. Cela permettrait de rendre le système plus juste, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je suis tout à fait prêt à tout regarder pour simplifier les procédures. Il s’agit d’un dispositif que j’ai soutenu, parfois contre vents et marées, il faut bien le dire. Autant la vente n’est pas pertinente dans tous les territoires, autant elle peut l’être dans certains territoires et ce que vous avez accompli en est un très bon exemple.
L’objectif de la loi est de rendre le processus plus simple pour les gestionnaires et plus accessible pour les bénéficiaires. Si l’on identifie d’ores et déjà les étapes à modifier pour aller dans ce sens, je suis mille fois preneur de vos suggestions en vue d’apporter des améliorations.
S’il a fallu du temps pour que le décret d’application soit publié, c’est parce qu’il était extrêmement compliqué. Il fallait en effet permettre au bailleur social de vendre, tout en lui laissant la gestion de la copropriété, ce qui revenait à accorder une possibilité nouvelle dans le cadre d’une vente. Dans les faits, l’acquéreur devient propriétaire de son chez-soi, mais, pendant un certain nombre d’années, laisse la gestion de la copropriété au bailleur social, notamment pour l’accompagner dans l’appropriation de l’acte de propriété et, surtout, pour éviter que n’apparaissent des copropriétés dégradées. C’est cette disposition qui a pris le plus de temps. Le reste, y compris l’outil financier qu’est l’Opérateur national des ventes, mis en œuvre par Action Logement dans le cadre d’un accord-cadre signé voilà un an afin de permettre à tous les bailleurs sociaux qui le souhaitaient qu’Action Logement soit le porteur et le financeur du projet, a été mis en place vraiment rapidement.
Pour ce qui concerne la simplification, je suis tout à fait favorable à ce que nous discutions pour, si nécessaire, apporter des modifications.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le ministre, comme vous le savez, les mêmes mots résonnent sans cesse pour le secteur du bâtiment depuis le début de la crise sanitaire : perte d’activité, perte de productivité, surcoûts importants et persistants, bouleversement des chantiers, décalage des plannings, survie. Le BTP est en effet l’un des secteurs qui a vu son activité se réduire le plus fortement : –88 % au début du mois d’avril dernier, soit le même taux que l’hôtellerie-restauration, alors même qu’il n’a pas fait l’objet d’une fermeture administrative.
La reprise est là, mais progressive et fragile. Des chantiers du bâtiment ont redémarré au cours du mois de mai dernier. Néanmoins, l’activité des entreprises n’a pas encore retrouvé son rythme normal : une entreprise sur trois n’a pas retrouvé un niveau d’activité habituel. Certes, votre gouvernement a pris des mesures de soutien en faveur du bâtiment, telles que les prêts garantis par l’État, l’activité partielle et un fonds de solidarité, mais il n’en reste pas moins que nos entreprises du bâtiment attendent des actes suffisants dans le soutien à l’investissement local et dans la réactivité, dans un contexte où l’instruction des permis de construire s’est arrêtée.
Aussi, les exonérations de charges prévues dans le PLFR 3 doivent être étendues pour que nombre d’entreprises n’ayant pas subi de chute d’activité supérieure à 50 % au cours de la période allant du 1er février au 31 mai soient éligibles. Si ce n’est pas le cas, cette mesure sera d’effet très limité. L’accroissement de la dotation de soutien à l’investissement local est insuffisant : le milliard d’euros fléchés sur l’investissement local dans la transition écologique ne compensera pas les 9 milliards d’euros de baisse de recettes fiscales locales, attendues avant la fin de l’année. En outre, les mesures d’incitation à l’investissement local sont absentes. Enfin, une valorisation du Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) est primordiale, afin d’inciter à l’investissement local.
Monsieur le ministre, les entreprises du bâtiment et de l’artisanat ont besoin de confiance dans leur relance. Quelles mesures supplémentaires proposez-vous pour susciter cette confiance ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, la priorité, c’est l’emploi : l’emploi, l’emploi, l’emploi ! Pour le préserver, le premier objectif, je l’ai dit, est de protéger les entreprises qui rencontrent actuellement des difficultés. Je n’entre pas dans le détail, vous avez vous-même évoqué plusieurs mesures.
Nous avons déposé trois textes juridiques sur le logement durant la période d’urgence sanitaire. Nous avons également rédigé plusieurs guides sanitaires. Enfin, nous nous sommes beaucoup occupés des questions de surcoût – elles continuent d’ailleurs de nous occuper – dans les commandes publiques et privées.
Le deuxième objectif est d’éviter un trou d’air à l’automne. Pour cela, je ne cesserai de le répéter, il faut favoriser les commandes. Tel est le but de l’augmentation d’un milliard d’euros de la DSIL, par exemple. Les instructions que je donne à mes équipes vont dans ce sens.
À cet égard, les services de l’État ou de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) jouent un rôle de facilitateurs partout sur les territoires. Il ne faut absolument pas remettre à demain les projets qui peuvent se faire aujourd’hui, surtout que l’année 2020 aura été plus que singulière pour le secteur du bâtiment. Ce dernier aura en effet connu le premier tour des élections municipales, puis la période d’urgence sanitaire, le second tour des municipales, la reprise et la relance. Force est d’admettre que l’année a été assez compliquée.
Le troisième objectif, c’est la relance. Un certain nombre de mesures devront être décidées. Je pense à la rénovation énergétique des bâtiments, au soutien à la construction, dans une perspective d’aménagement du territoire, comme cela a été dit.
Ces trois objectifs sont indissociables, ils constituent les éléments d’une même chaîne. Il est très important de réussir chacune de ces étapes.
Autrement dit, si on passe directement du soutien, de la protection, à la relance, sans faire en sorte d’éviter un trou d’air à l’automne en favorisant dès aujourd’hui la commande, de multiples PME et ETI courent à la catastrophe dans de nombreux territoires ruraux. Les entreprises comptant quelques dizaines de salariés n’ont pas un carnet de commandes rempli pour les deux prochaines années.
Ces trois objectifs guident notre action depuis le premier jour. Nous allons continuer dans ce sens.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour la réplique.
M. Jean-Marc Boyer. Pour éviter le trou d’air, monsieur le ministre, et pour contrebalancer les effets de cette crise sanitaire, il convient d’annuler les charges sociales patronales, comme le demandent de très nombreuses entreprises du BTP. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Si la filière peut supporter un quart du surcoût, des annulations de charges doivent être étalées sur huit mois pour le bâtiment et dix mois pour les travaux publics. De telles mesures me paraissent essentielles et doivent être prises de façon urgente pour les entreprises de ces secteurs.
Enfin, je pense qu’une lecture intelligente et souple doit être faite des normes lors de l’instruction des permis de construire. Les attentes sont réelles à cet égard.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, la relance dans le bâtiment, on l’a dit, est effectivement une urgence pour notre économie. Pour aller plus vite, il faut réduire les délais d’instruction. C’est là un sujet majeur.
Aujourd’hui – hélas ! –, que ce soit dans le secteur du logement social, du logement individuel, mais aussi pour les entreprises, les temps d’instruction se font en séquentiel, ce qui constitue autant d’opportunités pour les grincheux d’intenter des recours et d’allonger les délais de réalisation des projets.
Dans certaines régions de France, que je ne citerai pas, certains en font même un métier : ils menacent d’intenter des recours pour toucher un peu d’argent s’ils y renoncent. C’est bien connu, et des bailleurs et des promoteurs s’en plaignent.
Pourrait-on réduire ces temps pour aller plus vite ?
Aujourd’hui, de nombreux propriétaires sont prêts à rénover énergétiquement leur maison individuelle. Tout le monde est dans l’attente. Les commerciaux ont leurs carnets de commandes pleins, les ouvriers attendent l’arme au pied. De nouveaux dispositifs sont attendus dans le projet de loi de finances pour 2021. Or la relance, c’est maintenant ! Il faut indiquer une direction, prendre de véritables mesures.
Les publicités que l’on voit fleurir partout vantant le dispositif de rénovation à zéro euro sont mensongères. Les entreprises nous le disent, il y a un reste à charge, vous en avez d’ailleurs parlé, monsieur le ministre. Il faut trouver une solution. Le coût n’est pas le même partout en France. Peut-être faudrait-il décentraliser certaines aides au lieu de tout décider à Paris ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Jérôme Bascher, vous avez tout d’abord évoqué le problème des recours. J’aimerais, si vous m’y autorisez, prendre à témoin l’ancien ministre Marc-Philippe Daubresse sur cette question.
Souvenez-vous, nous avons beaucoup discuté de cette question lors de l’examen de la loi ÉLAN.
M. Marc-Philippe Daubresse. C’est vrai !
M. Julien Denormandie, ministre. Un décret a été pris permettant de cristalliser les moyens, de passer directement à une autre juridiction.
Je m’engage à faire tout ce qui peut être fait pour lutter contre les recours abusifs. Pour l’instant, toutes les propositions qui m’ont été faites ont été inscrites dans la loi ÉLAN ou dans ce décret. Si nous pouvons faire d’autres choses, je suis prêt à en discuter avec vous.
Ce que je constate en revanche, c’est que ce fameux décret n’est pas suffisamment connu des acteurs de l’immobilier sur le terrain. Je pense que nous devons communiquer sur ce sujet.
J’en viens à votre seconde question. La préemption des nouvelles aides pose problème. Pour ma part, je suis très attaché, c’est peut-être très « ancien monde »… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Tout arrive, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Julien Denormandie, ministre. Oui, tout arrive ! (Nouveaux sourires.)
Je suis très attaché à la stabilité, notamment à la stabilité fiscale. À cet égard, j’ai pris l’engagement il y a trois ans de gréer le dispositif Pinel et le prêt à taux zéro. Nous avons d’ores et déjà annoncé MaPrimeRénov’. Je l’ai dit, il faut rester campé sur ses appuis et capitaliser sur l’existant. MaPrimeRénov’, aujourd’hui, c’est notre marqueur. C’est elle qu’il faut renforcer. Beaucoup de ménages savent qu’elle existe, nous avons fait en sorte qu’elle fonctionne pendant le confinement. Je le dis donc très clairement : utilisez massivement MaPrimeRénov’. La Convention citoyenne pour le climat a d’ailleurs salué sa création.
Pour finir, j’évoquerai la décentralisation. La contractualisation territoriale sur le logement est pour moi un véritable chantier, très complexe, on le sait. Plus les dispositifs sont adaptés aux territoires, mieux c’est. Le Denormandie dans l’ancien est l’un des premiers dispositifs fiscaux qui part du projet territorial et qui n’est pas zoné. C’est ce qu’il faut faire. C’est d’ailleurs ce à quoi s’attelle la ministre Jacqueline Gourault dans son projet de loi.
Puisque cette question est la dernière à laquelle j’ai à répondre, j’en profite pour tous vous remercier du beau débat que nous avons eu cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.
M. Jérôme Bascher. Permettez-moi d’aborder un dernier point, monsieur le ministre, et de vous faire une proposition.
Certaines entreprises de rénovation proposent aux particuliers de leur fournir une ingénierie financière avec des montages compliqués qui sont souvent des arnaques. Il faudrait que la Banque publique d’investissement (Bpifrance) et la Banque des territoires puissent faire des avances de trésorerie aux entreprises sérieuses, celles qui ne font pas de montages, afin que ces dernières puissent être effectivement payées. Les aides d’État, qu’il s’agisse d’une prime ou d’un crédit d’impôt, pourraient ensuite être versées directement à ces banques.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe auteur de la demande.
M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi à mon tour de saluer la qualité de ce débat.
Pour avoir, comme vous, monsieur le ministre, participé à de nombreux débats sur le logement dans de multiples enceintes, je puis vous assurer que les débats du Sénat, hier et aujourd’hui, sont de la meilleure qualité. C’est ici, sur nos travées, que les propositions sont les plus riches. Je le dis non pas parce que je siège dans cette assemblée, mais, je le répète, parce que j’ai participé ailleurs à de nombreux débats. Il est important qu’un ministre écoute les propositions des uns et des autres.
M. Marc-Philippe Daubresse. La situation du secteur de l’immobilier, chacun l’a dit ici, est d’une gravité extrême. Les chiffres dont nous disposons, monsieur le ministre, proviennent du secteur privé, non de votre ministère. Ils portent sur les trois mois impactés par la crise.
Les crédits immobiliers sont en recul de 40 %, les achats de logements anciens réalisés par les particuliers sont en chute de 62 %, les ventes des constructeurs de maisons individuelles sont en repli de 51 %. J’en passe et des meilleures…
Ces chiffres, vous ne les avez pas eus à temps, monsieur le ministre. Je le dis parce que Marie-Noëlle Lienemann, moi et d’autres avons connu cette situation. Il est très difficile pour un ministre d’infléchir la barre d’un bateau ayant une très grande inertie s’il ne dispose pas des chiffres à temps, en tout cas suffisamment tôt.
Rappelons-nous que, trois mois après le déclenchement de la crise des subprimes, un plan de relance de la primo-accession à la propriété dans le neuf avait été engagé sous l’impulsion de François Fillon et de Nicolas Sarkozy, après son discours de Toulon. Ont alors été décidés la vente de logements HLM en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement), le dispositif Scellier, la relance de l’accession sociale à la propriété et du logement social. Tout cela avait alors pris quatre mois.
J’ai vérifié les décrets : alors que j’avais été sollicité sur ces sujets en septembre de l’année 2008, les décrets ont été signés en décembre de cette même année. Une série de mesures ont été prises et ont constitué un véritable plan de relance du secteur du logement. De même, des mesures ont été prises pour le bâtiment, je pense aux dispositifs Devedjian.
Cette fois-ci, quatre mois après le début de la crise, on commence seulement à se préoccuper d’un plan pour le bâtiment ! J’espère que l’administration des finances – je ne vous en fais pas grief à vous, monsieur le ministre –, qui, de fait, pilote la récession du secteur du logement depuis deux ans et prend des mesures insoutenables, notamment pour le logement social, ne viendra pas raboter toutes les propositions que vous ferez.
Le problème dans notre État hypercentralisé est que Bercy est à la manœuvre dans presque tous les domaines. En ajoutant de la crise à la crise, l’inertie actuelle conduira à une situation ingérable.
Le débat de cet après-midi l’a montré, notre commission des affaires économiques, par la voix de Dominique Estrosi Sassone, l’a justement rappelé : un plan de relance est incontournable pour construire plus, plus durable et plus abordable.
Un tel plan doit être fondé sur quatre piliers.
Il s’agit, premièrement, de la rapidité d’exécution : le temps, c’est de l’argent, cela a été dit.
Il s’agit, deuxièmement, de la solvabilisation des ménages : on parle de la relance par l’offre, mais le sujet majeur aujourd’hui, c’est la solvabilisation des ménages, asphyxiés par la crise du Covid-19.
Il s’agit, troisièmement, de l’accès au confort des logements dans tous les territoires, pas seulement dans les plus grandes métropoles urbaines ; le secteur du bâtiment, qui représente 2 millions d’emplois et 500 000 entreprises, est non délocalisable.
Il s’agit, quatrièmement, Dominique Estrosi Sassone l’a dit, de faire revenir les investisseurs institutionnels dans le secteur du logement, notamment en accélérant les délais et les conversions de bureaux en logements.
Vous avez dit à plusieurs reprises, monsieur le ministre, que, si rien ne repart, c’est parce que les banques ne font pas preuve de bonne volonté. (M. le ministre fait un geste de dénégation.) C’est un peu facile ! N’est-ce pas le ministre de l’économie et des finances qui a décidé en décembre 2019 de limiter le financement par les banques des projets immobiliers des ménages, notamment de nombreux jeunes ménages ? Aucun argument solide n’a pu être présenté à l’appui de cette décision.
Chacun, ici, peut citer le cas de jeunes ménages dans son département qui souhaitent accéder à la propriété, dont les dossiers sont conformes à toutes les règles, mais à qui les banques refusent un prêt.
Sophie Primas, Dominique Estrosi Sassone et Annie Guillemot l’ont dit : il faut organiser un « Ségur du logement ». C’est une bonne proposition. Nous ne pourrons pas éternellement nous contenter de rafistoler les dispositifs existants.
Nous proposons donc tout d’abord que les fameuses recommandations du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) soient mises en sommeil, au moins le temps de la reprise complète de l’économie, en particulier dans le secteur du logement.
Nous proposons ensuite de nous engager dans la voie de la numérisation – c’est un impératif – afin d’accélérer la relance. Il faut repenser les modes de travail et non pas simplement numériser les procédures. Il faut passer d’un système de contrôle bureaucratique a priori à des systèmes de contrôle a posteriori.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est juste !
M. Marc-Philippe Daubresse. De nombreux bailleurs sociaux m’ont dit être toujours soumis à des règles tatillonnes pour l’obtention des agréments pour leurs logements sociaux. Ces règles entraînent un allongement des délais. Ces bailleurs ayant pignon sur rue, un contrôle a posteriori serait pourtant suffisant et préférable à ces mesures bureaucratiques centralisatrices qui empêchent d’aller vite ! (Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Annie Guillemot applaudissent.)
Cette proposition vaut pour les agréments, mais aussi pour les autorisations d’urbanisme, la signature des conventions APL, etc. Vous connaissez l’ingénierie…
Nous demandons par ailleurs, comme je l’avais déjà proposé dans la loi ÉLAN, un véritable moratoire de cinq ans sur l’inflation normative, afin d’alléger les contraintes et les PLU superfétatoires pour la réalisation de logements sociaux, en accession sociale ou en location-accession notamment.
La réduction d’un mois des délais de livraison de 100 000 logements sociaux neufs permet aux bailleurs de réaliser un gain de 50 millions d’euros. C’est autant de pouvoir d’achat supplémentaire, voire plus, pour les locataires. Il faut y penser !
La crise actuelle nécessite de prendre des mesures d’assouplissement de la commande publique, vous le savez aussi.
On pourrait reprendre aujourd’hui le dispositif, appelé CQFD – pour coûts, qualité, fiabilité, délais –,…
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.
M. Marc-Philippe Daubresse. … que j’avais mis au point à une époque.
Enfin, notre groupe propose quatre pistes d’action pour faire face spécifiquement à la crise.
Pour l’accession sociale, nous proposons d’élargir la garantie de l’État sur les prêts immobiliers et de créer un nouveau produit de propriété à mensualités modérées, qui tire les leçons du Covid-19.
Pour les villes moyennes, nous proposons d’aller beaucoup plus loin dans l’opération Action cœur de ville. L’ANAH pourrait mobiliser un nouveau grand emprunt. Elle l’a fait lorsque j’en étais le président, du temps d’Alain Juppé et de Michel Rocard.
Enfin, nous proposons de favoriser les logements performants par une fiscalité verte – Dominique Estrosi Sassone en a parlé –, notamment en dopant l’investissement locatif privé.
Nous avons beaucoup parlé des logements. Plus largement, dans le secteur du bâtiment, on pourrait reprendre les dispositifs Devedjian, qui avaient fonctionné : 1 000 chantiers, 20 000 collectivités avaient été labellisés par le préfet, par le maire, et non pas par des niveaux plus hauts, à hauteur de 50 milliards d’euros. C’est la jauge, monsieur le ministre.
Mme Annie Guillemot. Tout à fait !
M. Marc-Philippe Daubresse. Bien sûr, des remboursements anticipés du FCTVA doivent être prévus.
Mme la présidente. Vous avez très largement dépassé votre temps de parole !
M. Marc-Philippe Daubresse. Je finis, madame la présidente.
Monsieur le ministre, voilà ce que serait pour moi un véritable plan de relance du logement. Vous l’avez compris, nous sommes tous à votre disposition, sur toutes nos travées, pour y contribuer. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la situation du logement et du bâtiment.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Débat sur le bilan de l’application des lois
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l’application des lois (rapport d’information n° 523).
Monsieur le ministre, madame la présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, chère Valérie Létard, mesdames, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, nous voici réunis pour notre rendez-vous annuel consacré au bilan de l’application des lois. Je salue Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, qui répondra au nom du Gouvernement aux questions du Sénat.
Cela fait maintenant près d’un demi-siècle que le Sénat fait du contrôle de l’application des lois votées une priorité dans son contrôle de l’action du Gouvernement.
Chaque année, le Sénat affine le périmètre de son contrôle. Les commissions suivent attentivement la parution des décrets d’application et celle des rapports au Parlement, mais d’autres problématiques entrent désormais dans le champ de notre contrôle.
Nous vous avions notamment interpellé l’année dernière, monsieur le ministre, au sujet des ordonnances.
La crise sanitaire que nous avons traversée a remis cette question au cœur de l’actualité. Nous avons voté dans les mois passés des dizaines d’habilitations, dont toutes n’étaient peut-être pas dictées par des nécessités d’urgence ou d’ordre technique rendant difficile un examen selon la procédure législative normale. Très récemment, la suppression de nombreuses habilitations du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire et leur inscription directe dans notre droit en vigueur l’ont d’ailleurs illustré. Le Parlement peut légiférer rapidement et efficacement.
Cette tentation de la facilité est donc difficilement acceptable. La présidente Valérie Létard l’avait relevé l’an dernier : les délais dans lesquels interviennent les ordonnances sont généralement supérieurs au délai moyen d’adoption d’une loi.
L’argument de la célérité n’est pas toujours confirmé par les faits, et nous pouvons également le vérifier en comparant les délais imposés au Parlement pour l’examen de certaines lois et ceux dans lesquels interviennent leurs mesures d’application.
Au vu du contexte actuel, ce contrôle de l’application des lois me semble donc aujourd’hui plus que jamais nécessaire.
Sans plus attendre, je donne la parole pour dix minutes à Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, pour nous présenter le bilan de l’année parlementaire 2018-2019 et des 49 lois votées lors cette session.
Je la remercie une nouvelle fois pour la qualité de son rapport d’information sur le bilan de l’application des lois au 31 mars 2020.
Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’expertise du Sénat en matière d’application des lois, fruit du travail de suivi mené depuis près de cinquante ans, comme vous venez de le rappeler, monsieur le président, est reconnue.
Le bilan de l’application des lois constitue un temps fort du contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement. Il permet de s’assurer que les textes d’application sont pris en temps et en heure et qu’ils respectent la volonté du législateur.
Les commissions permanentes sont au fondement de ce dispositif. Tout au long de l’année, elles mènent un travail approfondi de veille réglementaire pour les textes d’application relevant de leur compétence. Ce suivi a dû cette année être effectué dans des conditions délicates du fait de la crise sanitaire. Je remercie donc vivement les commissions, qui se sont mobilisées pour continuer à assurer le suivi de l’application des lois.
Cette année aura vu la mise en œuvre de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l’application et de l’évaluation des lois, déclarée conforme par le Conseil constitutionnel le 6 juin 2019. Cette réforme accentue le rôle des commissions, en confiant au rapporteur d’un projet ou d’une proposition de loi la responsabilité du suivi de son application. Il est encore trop tôt pour tirer les conséquences de cette évolution, qui doit permettre d’améliorer le contrôle de la publication des mesures réglementaires.
L’efficacité du bilan de l’application des lois découle également d’un dialogue nourri avec les différentes administrations, ainsi qu’avec le secrétariat général du Gouvernement. Cet échange a fait la preuve de son efficacité, comme en témoigne l’accroissement notable du nombre de décrets publiés quelques jours à peine après les différentes communications des commissions sur le sujet.
Le bilan que je vous présente aujourd’hui analyse la mise en application des lois adoptées lors de la session parlementaire 2018-2019, c’est-à-dire entre le 1er octobre 2018 et le 30 septembre 2019. Durant cette période, 49 lois ont été votées, dont 22 étaient d’application directe. Fait notable, la proportion de lois résultant d’une initiative parlementaire est particulièrement élevée cette année : près de la moitié des lois de la session sont ainsi issues de propositions de loi.
Le taux global d’application des lois est de 72 %, soit un taux légèrement inférieur à celui de la session précédente, où il était de 78 %. Sur les 918 mesures réglementaires attendues, seules 660 ont été publiées. Je regrette d’autant plus ce recul que, si la prise des mesures d’application a été perturbée par la crise sanitaire, elle ne concerne en réalité que peu les textes prévus par les lois adoptées au cours de la dernière session. En effet, le Gouvernement s’engage depuis 2008 à prendre les décrets d’application six mois au plus tard après la parution des lois. Ce délai était déjà écoulé au début de la crise sanitaire.
Il y a un an, je me félicitais de la réduction du délai nécessaire à la prise des mesures d’application. Ce constat ne peut malheureusement être réitéré cette année.
En moyenne, les textes réglementaires ont été publiés cinq mois et douze jours après la promulgation de la loi, soit près d’un mois de plus qu’au cours de la précédente session. Les raisons de ce retard sont parfois liées à des difficultés juridiques apparues notamment lors des consultations obligatoires, de la notification à la Commission européenne, ou éventuellement du passage en Conseil d’État. L’objectif de ce bilan annuel est précisément de permettre au Gouvernement d’expliciter les raisons qui conduisent à l’absence de mise en application de certaines lois.
Cependant, le recours à la procédure accélérée est toujours généralisé et concernait 31 lois sur la session 2018-2019. Par conséquent, il est essentiel que la mise en application complète des lois soit à la hauteur de la rapidité exigée du législateur.
Les principaux points de vigilance demeurent ceux qui avaient été soulevés en 2019. Le rendu des rapports est notamment chroniquement insuffisant : comme les années précédentes, le taux de dépôt des rapports sur la session est très bas. Il se situe à 12 % à peine, contre 35 % l’année passée. Il n’est de plus que de 27 % sur la législature.
La faiblesse du taux de remise des rapports est encore moins compréhensible s’agissant des rapports demandés par le Gouvernement lui-même : seuls 8 % des rapports prévus par un amendement gouvernemental ont été remis depuis 2017. À croire que ce type de disposition avait pour seule vocation de donner une satisfaction de principe à une demande, sans réelle volonté d’aboutir.
Le Sénat a de son côté effectué d’importants efforts pour limiter les demandes de rapports aux seuls cas où ceux-ci sont indispensables à l’information du Parlement. Mes collègues reviendront sans doute sur ce point pour les rapports relevant de la compétence de leur commission.
Les raisons pour lesquelles certains décrets ne sont pas publiés sont parfois confuses. À titre d’exemple, alors que ce sujet avait déjà été évoqué il y a un an, deux textes essentiels pour la gouvernance d’Action Logement et figurant dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi ÉLAN », manquent encore. Sophie Primas, la présidente de la commission des affaires économiques, y reviendra certainement.
De même, l’arrêté nécessaire à la mise en place du comité des partenaires réunissant élus et opérateurs du logement social, prévu par un décret de mai 2019, n’est pas paru.
Pouvez-vous nous expliciter les raisons de l’absence de publication de ces deux textes, qui limitent grandement la réforme de la gouvernance de cet organisme ? Pour ma part, compte tenu de l’allongement du délai nécessaire à leur parution, j’ai peine à croire que celui-ci soit dû à de simples raisons techniques.
Cet exemple illustre également les différences d’interprétation dans nos méthodes de décompte des textes d’application. Il en est de la gouvernance d’Action Logement comme de l’ensemble des rapports dits « de l’article 67 » : le véritable bilan ne peut être dressé qu’en prenant en compte les arrêtés. Les dispositions d’un décret, s’il n’est pas suivi de l’arrêté correspondant, sont inopérantes.
J’en viens maintenant à la question des ordonnances, que nous avions déjà largement évoquée lors du précédent bilan. Le sujet est plus que jamais d’actualité, pour deux raisons de nature différente.
Tout d’abord, plus d’une cinquantaine d’ordonnances ont été prises pendant la crise sanitaire. Il y a un an, vous nous aviez indiqué, monsieur le ministre, qu’au cours des six dernières années le nombre d’habilitations à légiférer par ordonnance était supérieur au nombre de lois adoptées par le Parlement.
Pour autant, je réitère le constat effectué lors de ce débat : l’argument de rapidité avancé pour justifier l’utilisation d’ordonnances ne tient pas. En effet, le délai moyen entre la promulgation de la loi d’habilitation et la publication des ordonnances est de près d’un an, soit un délai supérieur au temps moyen d’adoption de la loi.
De nombreuses habilitations sont encore non utilisées. Je n’en citerai qu’un exemple : l’article 17 de la loi pour un État au service d’une société de confiance habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures pour renforcer la sécurité juridique des entreprises soumises à des impôts commerciaux. Cette ordonnance devait être publiée avant avril 2019, mais le Gouvernement a depuis indiqué y avoir renoncé.
Par ailleurs, la ratification des ordonnances n’est pas toujours effective, faute d’inscription des projets de loi de ratification à l’ordre du jour des assemblées. Depuis de longues années, cela prive le Parlement d’un débat sur la conformité de l’ordonnance à la volonté du législateur.
La décision du Conseil constitutionnel du 28 mai dernier, dite « Force 5 », a donné une nouvelle dimension à cette préoccupation sur la portée du débat parlementaire, en indiquant qu’une ordonnance non ratifiée acquiert une valeur législative à compter de la fin du délai d’habilitation dès lors qu’elle intervient dans le domaine de la loi.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un scandale !
Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. En résumé, sur le plan quantitatif, la loi, c’est de plus en plus l’ordonnance ; avec cette décision, une nouvelle étape est franchie : désormais, l’ordonnance, c’est la loi.
Les conséquences de cette décision sont doubles. Il est plus nécessaire que jamais pour le Parlement de veiller en amont à la définition précise du périmètre de l’habilitation consentie au Gouvernement. Et quelle sera désormais la portée exacte de la ratification parlementaire ?
Si nous souhaitons éviter que le Parlement ne perde la main sur l’élaboration de la loi, il me semble que l’examen des lois de ratification doit être pleinement intégré dans un agenda parlementaire déjà extrêmement dense. À l’heure actuelle, les projets de loi de ratification une fois déposés ne sont que rarement examinés, faute d’inscription à l’ordre du jour.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous organiser l’inscription à l’ordre du jour des projets de loi de ratification, indispensables à la poursuite du débat parlementaire et au plein exercice de la fonction de contrôle ? En application de l’article 38 de la Constitution, les ordonnances deviennent caduques si un projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation.
Toutefois, si le dépôt du projet de loi de ratification est quasi systématique, rien ne contraint le Gouvernement à inscrire son projet à l’ordre du jour des assemblées. Un réexamen de cette règle ne s’impose-t-il pas ?
Le Gouvernement compte-t-il désormais indiquer dès la demande d’habilitation à quelle date il entend inscrire le projet de loi de ratification à l’ordre du jour ? Prévoit-il ce véritable échéancier, comme c’est le cas pour les mesures d’application des textes adoptés ? Cela éviterait de courir un risque supplémentaire de se voir refuser une demande de légiférer par ordonnances.
J’ai souhaité mettre l’accent cette année sur le suivi de l’application des expérimentations, qui sont de plus en plus fréquemment utilisées dans la construction de la loi. Plus d’une centaine d’expérimentations ont été mises en œuvre au cours de ces deux dernières années. Elles peuvent être de formidables outils, en garantissant plus de souplesse et une meilleure adaptation aux circonstances locales, à condition que leur suivi soit effectif.
Je regrette toutefois des défauts récurrents dans le suivi et la généralisation des expérimentations. Ainsi, plus du quart d’entre elles est abandonné en cours de mise en œuvre.
De même, des généralisations précoces d’expérimentation, parfois sans même attendre les premières évaluations, sont encore trop nombreuses. C’est par exemple le cas de l’expérimentation sur le relèvement du seuil de revente à perte prévue par la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi Égalim ». Initialement d’une durée de deux ans, elle a été prolongée à peine quelques mois après sa mise en œuvre par le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, ou ASAP.
Le suivi de la publication des textes d’application et de la remise des rapports d’évaluation est particulièrement indispensable s’agissant des expérimentations.
Monsieur le ministre, nous vous remercions des éclaircissements que vous pourrez nous apporter, et nous veillerons à l’application des engagements que vous pourriez prendre aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Josiane Costes applaudit également).
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier Mme Valérie Létard, l’ensemble des présidents de commission, ainsi que les services du Sénat de leur travail toujours minutieux, sur la base duquel nous allons échanger cet après-midi.
Alors que, l’an passé, le rapport soulignait que le taux d’application résultant des calculs du Sénat était « proche de celui du Gouvernement », cette année, ce sont plutôt nos divergences méthodologiques qui sont mises en exergue, avec des taux qui, en première analyse, peuvent paraître très divergents : 82 % pour le Gouvernement, contre 72 % pour le Sénat.
Nous avons de longue date une méthodologie différente ; vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la sénatrice. Premièrement, le Gouvernement ne retient que les mesures immédiatement applicables, quand le Sénat y ajoute les mesures différées, ce qui conduit à un différentiel d’environ 150 mesures. Deuxièmement, le taux que nous vous présentons ne prend pas en compte les arrêtés.
Le Premier ministre est le titulaire du pouvoir réglementaire. Il est donc naturel qu’il assure un suivi général de l’application des lois et que nous venions en débattre chaque année avec vous. Cela permet d’avoir une vision « panoramique » des quelque 1 600 décrets qui sortent chaque année.
Par comparaison, le nombre d’arrêtés réglementaires pris chaque année est d’environ 8 000. Par définition, les arrêtés sont signés par chaque ministre compétent, mais rarement par le Premier ministre.
Outre la difficulté qu’il y aurait pour le secrétariat général du Gouvernement (SGG) à suivre entre deux et quatre dizaines d’arrêtés chaque jour, il s’agit là de la responsabilité de chaque ministre. Un ministre est par nature responsable pour suivre en continu les arrêtés qu’il doit prendre. La modification du règlement du Sénat du 6 juin 2019, qui confie au rapporteur d’un texte le suivi de son application, doit de notre point de vue permettre le suivi fin de ces arrêtés.
Je constate avec vous un léger tassement du taux d’application de la loi, qui était au 31 mars 2020 de 82 %, contre 85 % un an plus tôt. Il convient toutefois de souligner que le nombre de mesures à prendre a significativement augmenté, d’environ 55 % ! Nous sommes passés de 461 mesures pour 2017-2018 à 715 pour 2018-2019 ! Je rappelle que le taux était de 73 % pour le bilan annuel de 2018, avec un nombre de mesures bien inférieur, de l’ordre de 525.
Vous avez mentionné le recours à la procédure accélérée. Sur longue période, il n’y a pas de véritable rupture entre cette législature et la précédente. En revanche, pour être honnête intellectuellement, on constate un recours plus systématique sous cette législature et la précédente que sous la XIIIe législature.
Cela n’est sans doute pas sans lien avec la révision de la Constitution de 2008, qui a profondément modifié les règles de fixation de l’ordre du jour : à défaut de procédure accélérée, un texte déposé depuis moins de six semaines ne peut être inscrit à l’ordre du jour, ce qui, à un ou deux jours près, peut conduire à retarder son examen d’un bon mois.
Les conditions d’examen exceptionnelles que nous avons connues au cours des trois derniers mois ne sont pas représentatives, je le crois, de la manière dont l’examen des textes s’est déroulé depuis 2017. Et même si le Gouvernement demande généralement la réunion d’une commission mixte paritaire à l’issue des premières lectures, comme le recours à la procédure accélérée l’y autorise, il s’est la plupart du temps efforcé de ménager des conditions d’examen raisonnables ; mais il s’agit, je le sais, un point de vigilance particulier de votre Haute Assemblée, et à juste titre.
Distinguons les rapports prévus à l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit de ceux qui sont demandés spécifiquement par le Parlement. Cet article avait été introduit dans un contexte de très faible application de la loi. Votre Haute Assemblée avait même envisagé à l’époque que cette obligation doive intervenir dès lors que le taux d’application d’une loi était inférieur à 30 % ; c’est dire ce qu’étaient la situation au début des années 2000 et le chemin qui a été parcouru par l’ensemble des gouvernements depuis lors !
La situation a désormais radicalement changé ; entre 80 % et 90 % des mesures sont prises dans un délai de six mois. Dans les faits, le Parlement sera prochainement destinataire, dans le délai de six mois, de 100 % des tableaux faisant le point sur cette application. Nombre d’administrations peuvent ainsi avoir le sentiment que les tableaux qu’elles remplissent et qui sont transmis au Parlement répondent à l’objet de l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004. La transmission de ces tableaux vaut-elle transmission du « rapport » au sens de cet article ? C’est en effet la question que pose l’évolution de la situation.
Par ailleurs, il est nécessaire de le rappeler, certaines lois présentent des mécanismes complexes à mettre en œuvre et peuvent prévoir à cette fin une date différée d’entrée en vigueur, qui peut retarder la remise des rapports.
Je regrette comme vous la situation s’agissant des rapports demandés spécifiquement par le Parlement, qui n’est pas satisfaisante. Je ne manquerai pas d’attirer de nouveau l’attention de mes collègues à ce sujet.
Je partage votre souci de mieux suivre les expérimentations, pour mieux les évaluer et ensuite envisager une pérennisation.
Il est parfois tentant de bouleverser ce séquençage. J’ai souvenir des débats que nous avions encore récemment lors de l’examen de la loi portant diverses dispositions urgentes au sujet de l’expérimentation de relèvement du seuil de revente à perte et de l’encadrement des promotions. La solution qui a été retenue par la commission mixte paritaire et définitivement adoptée par le Parlement me paraît de ce point de vue conforme à l’objectif d’approfondissement des évaluations que vous appelez de vos vœux.
Vous m’interrogez en outre sur les ordonnances. Leur nombre varie de manière très importante d’une année sur l’autre. Ainsi, 59 ont été prises en 2019, contre 27 en 2018 et 81 au cours de la session parlementaire 2016-2017. Depuis 2007, la moyenne annuelle s’établit à 43 ; cette année sera particulière.
Pour parler franchement, le constat d’une forme de « banalisation », pour reprendre le mot de Jean-Marc Sauvé lors d’un colloque de 2014 sur la législation déléguée, me semble difficile à contester. Je ne crois pas qu’il faille y voir une forme de facilité à laquelle céderaient les gouvernements, quels qu’ils soient, et celui-ci plus qu’un autre. J’en veux pour preuve le récent projet de loi portant diverses mesures urgentes, pour lequel j’étais ici même : toutes les habilitations superflues ont été transformées « en dur », comme on dit.
Je manque du temps et sans doute du recul nécessaires pour me livrer à une analyse juridique des causes de ce phénomène. Mais je partage de manière empirique l’analyse de l’ancien vice-président du Conseil d’État : « L’inflation législative […] a trouvé dans la législation déléguée un exutoire durable, d’abord, pour répondre à l’urgence de certaines réformes ou pour décharger le Parlement de l’adoption de textes techniques […], ensuite, pour investir très largement le domaine devenu très extensif de la loi ».
Vous avez évoqué la décision que le Conseil constitutionnel a rendue consacrant le caractère législatif d’une ordonnance non ratifiée après l’expiration du délai d’habilitation. Vous comprendrez que j’observe une certaine réserve et que je ne la commente pas.
Il me semble en tout cas très prématuré d’en tirer des enseignements définitifs sur la manière dont sont susceptibles d’évoluer – c’est en effet un changement inédit – les usages qui ont jusqu’ici prévalu dans le recours à l’article 38, notamment dans la ratification des ordonnances. Vous savez combien le calendrier parlementaire est contraint et ne peut accueillir l’examen d’une quarantaine de projets de loi supplémentaires chaque année, sauf à considérer cette ratification comme une simple formalité.
Enfin, le Gouvernement envisage une évolution de la gouvernance d’Action logement, pour faire suite à une série de dysfonctionnements. Dans ce cadre, il a demandé un rapport à l’inspection générale des finances, afin de vérifier que les règles de gouvernance sont respectées, de faire des recommandations pour les améliorer, de détailler les implications que l’absence de mise en œuvre de ces règles peut avoir.
L’adoption de nouvelles dispositions réglementaires relatives à la gouvernance du groupe a donc été suspendue. Dans l’intervalle, des réunions informelles entre les élus et les opérateurs du logement social peuvent naturellement être organisées, dans l’attente d’une refonte globale du cadre réglementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif. Je rappelle que chaque orateur peut intervenir pour deux minutes maximum et que le Gouvernement peut, s’il le souhaite, répondre à chaque orateur pour une durée équivalente.
Je vais tout d’abord donner la parole aux représentants des commissions.
Dans le débat interactif, la parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la date de la rédaction du rapport sur l’application des lois, la fameuse loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite « loi OTSS », tant attendue par les professionnels de santé, n’était applicable qu’à hauteur de 30 %.
Aucune des onze ordonnances prévues dans le texte, sur des sujets aussi lourds d’enjeux que les autorisations sanitaires ou l’organisation des hôpitaux de proximité, n’avait été publiée.
La crise sanitaire explique peut-être pour partie cette situation, mais la commission des affaires sociales considère qu’elle n’en est pas la seule cause. Il faut selon nous que le Gouvernement cesse de solliciter du Parlement des habilitations à légiférer par ordonnance sur des projets de réforme à l’état d’ébauche, qui n’ont été ni muris ni concertés ni élaborés plus avant.
En tout état de cause, nous souhaitons que le Gouvernement présente au Parlement un nouvel échéancier des mesures d’application de ce texte et indique s’il y a lieu les dispositions dont la pertinence lui paraît remise en cause par la crise actuelle.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, vous avez raison de nous alerter sur une telle question.
L’application réglementaire de la loi OTSS n’a pu se faire dans les délais qui étaient initialement prévus. En effet, l’activité de l’administration du ministère de la solidarité et de la santé a été réorientée – c’est une grande partie de l’explication, mais ce n’est pas la seule cause, pour être tout à fait honnête – vers la gestion de la crise sanitaire. Plusieurs décrets sont en cours d’examen par le Conseil d’État.
C’est d’ailleurs toute l’utilité de nos exercices communs d’application de la loi : permettre d’inciter les ministères à accélérer un certain nombre de processus.
Pour autant, un certain nombre de textes seront publiés avec retard. La loi du 23 mars 2020 a d’ailleurs reporté de quatre mois le terme de toutes les habitations en cours prévues par la loi OTSS. Le récent projet de loi portant diverses dispositions urgentes prévoit également le report de la réforme du deuxième cycle des études médicales, ainsi que d’autres habilitations : certifications périodiques des médecins, emploi médical hospitalier.
Le Ségur de la santé doit tirer les conséquences de la crise sanitaire. Vous avez d’ailleurs vous-même posé la question des réglementations à adopter.
Il faudra transformer les métiers, revaloriser ceux qui soignent, définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins, simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes et fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers. Hormis les textes à caractère technique, le Ségur de la santé va nécessairement impliquer que les projets de textes à prendre en application de la loi OTSS soient revus à cette aune. C’est d’ailleurs un peu ce à quoi vous nous invitez.
Il en va ainsi des ordonnances et des décrets relatifs aux groupements hospitaliers de territoire, à l’emploi médical hospitalier, aux hôpitaux de proximité, à la réforme des autorisations ou à la question du télésoin. Néanmoins, les décisions qui résulteront des discussions de Ségur de la santé seront mises en œuvre sans attendre. Les textes d’application de la loi OTSS devraient pouvoir en tirer les conséquences dès la rentrée.
Tels sont les éléments de calendrier que je peux vous communiquer. Mais, compte tenu de l’actualité du secteur de la santé, je ne puis vous transmettre d’échéancier plus précis à ce stade.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais interroger le Gouvernement sur deux points précis.
Premièrement, six mois après sa promulgation, la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, ou loi Énergie-climat, connaît un début d’application extrêmement difficile, avec, à la date du bilan établi par la commission, une dizaine de mesures réglementaires publiées sur environ 70 décrets ou arrêtés prévus, une ordonnance prise sur cinq articles et 15 habilitations, aucun rapport formellement remis au Parlement sur les six attendus du Gouvernement.
Un quart des ordonnances aurait déjà dû être publié, la ministre de la transition écologique et solidaire ayant indiqué devant notre commission faire usage de la prolongation de quatre mois des délais permise par la loi d’urgence sanitaire.
Toutefois, monsieur le ministre, il y a pire que le retard. Pour ce qui concerne la programmation pluriannuelle de l’énergie, certains objectifs sur le biogaz, l’hydrogène ou l’éolien en mer ne sont pas ceux qui avaient été adoptés par le législateur. Cela constitue un dévoiement inacceptable de l’esprit de la loi.
Ce constat est regrettable compte tenu des objectifs énergétiques et climatiques ambitieux visés dans cette loi, et encore davantage aujourd’hui, alors que se termine la Convention citoyenne. Je note au passage que la lenteur dans l’application de la loi contraste avec les délais particulièrement contraints que le Gouvernement nous avait imposés à l’été dernier.
À quelle échéance paraîtront les ordonnances, notamment celles qui sont déjà en retard ? Je comprends évidemment que la crise est passée. Qu’en est-il des principaux décrets prévus ?
Deuxièmement, à l’instar de notre collègue Valérie Létard, je souhaite aborder la gouvernance d’Action logement. Derrière cette question technique, c’est la pérennité de la mission et du groupe paritaire qui est en jeu. Notre pays fait face à une crise économique majeure. Il faut donner les moyens à Action logement de fonctionner normalement. J’ai bien compris qu’une inspection était en cours, mais c’est aussi faire œuvre de résistance face à la volonté du Parlement.
Nous attendons donc que le Gouvernement agisse rapidement pour lever ce blocage.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente de la commission des affaires économiques, j’ai effectivement un souvenir assez précis des conditions de délai de l’été dernier.
Vous m’interrogez sur la loi énergie-climat. En effet, vingt-six mesures sont à prendre pour appliquer ce texte. Au 19 juin 2020, six ont été publiées, soit un taux de 23 %, ce qui est effectivement faible. Comme vous l’avez vous-même souligné, la crise sanitaire explique une partie de ces retards dans la publication des mesures d’application.
La majorité des textes à prendre dans le délai de six mois sont des décrets en Conseil d’État, avec une phase de consultation obligatoire au cours des mois de février et mars, notamment en Commission de régulation de l’énergie ou encore le Conseil supérieur de l’énergie, et la saisine du Conseil d’État au cours des mois de mars et avril, pour une publication au plus tard au mois de mai 2020.
La période de confinement de deux mois a donc conduit à décaler le calendrier. Toutefois, je peux d’ores et déjà vous indiquer que le décret relatif à l’autorité environnementale a été examiné par la section des travaux publics du Conseil d’État le 16 juin 2020 et devrait être publié prochainement et que le décret relatif aux aides pour l’électrification rurale est en cours de transmission au Conseil d’État.
Les travaux se poursuivent par ailleurs. Les textes concernant les garanties d’origine du biogaz représentant six mesures d’application sont en cours de consultation, avec une perspective de saisine du Conseil d’État en juillet. Les mesures sur la fin des tarifs réglementés de vente de gaz et les fournisseurs de dernier recours, qui concernent sept mesures, ont été mis dans le circuit des consultations.
Sur les 16 ordonnances prévues par cette loi, 4 ont été prises, les autres ont vu le terme de leur habitation prorogé de quatre mois par la loi du 23 mars dernier. Six habilitations feront l’objet d’ordonnances qui devraient être examinées en conseil des ministres au mois de juillet prochain. Elles portent sur l’adaptation du droit de l’Union européenne dans le domaine de l’énergie et du climat, sur les procédures du comité de règlement des différends de la Commission de régulation de l’énergie et sur la fermeture des centrales à charbon.
Enfin, comme je l’ai indiqué, le Gouvernement envisage une évolution de la gouvernance d’Action logement pour faire suite à des dysfonctionnements. Dans l’attente d’une telle évolution, l’adoption de nouvelles dispositions réglementaires relatives à la gouvernance du groupe a été effectivement suspendue.
Il est vrai que le délai est long et que la volonté du Gouvernement est désormais d’aller assez vite. Je ne peux pas vous donner une date, mais je relayerai vos préoccupations auprès de Julien Denormandie.
À propos du comité des partenaires du logement social, rien n’interdit à Action logement de réunir les élus et les opérateurs du logement de façon informelle.
Vous avez également abordé la suppression de certaines incompatibilités de fonctions dans les conseils d’administration du groupe Action logement ; les dispositions de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN, autorisent certaines évolutions des statuts, mais ne les imposent pas.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le bilan est globalement satisfaisant pour la commission des affaires étrangères et de la défense. Cette année, nous avons adopté dix-neuf conventions internationales, et nous avons poursuivi la mise en application des lois des sessions antérieures.
Bien entendu, ce que nous suivons avec le plus d’attention, c’est la mise en œuvre de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025. Nous pouvons donner acte au Gouvernement que l’ensemble des décrets et ordonnances ont été publiés. À ce jour, le taux d’application est de 92 %, ce qui, deux ans après, peut être considéré comme satisfaisant. Il manque deux arrêtés, mais qui sont d’importance mineure.
Le Gouvernement pourrait améliorer ces statistiques, puisque nous restons bloqués à 83 % d’application. Mais il y a toujours ce fameux décret de la loi de juillet 2010 sur l’allocation au conjoint d’un agent au service étranger qui manque à l’appel ; j’imagine que ce sont plus des questions juridiques et financières qui bloquent ce dispositif. Nous le rappelons chaque année.
Autre élément de satisfaction, on constate un net progrès dans la transmission des rapports, notamment pour tout ce qui relève des opérations extérieures et intérieures. Pour la première fois, cela a été transmis. Nous vous en remercions.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, je vous remercie de ces mots, qui nous encouragent à faire mieux encore ; sur un bulletin scolaire, vous auriez inscrit : « peut mieux faire » ! (Sourires.) Mais je prends acte de vos encouragements.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Nous essayons d’être bienveillants !
M. Marc Fesneau, ministre. Vous m’avez interrogé sur l’allocation au conjoint d’un agent civil de l’État à l’étranger. Certes, il s’agit d’une loi votée en 2010…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Vous n’êtes pas coupable !
M. François Bonhomme. C’était un autre gouvernement !
M. Marc Fesneau, ministre. Dix ans ont passé. La loi du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État prévoit, en son article 21, la mise en place d’une « allocation au conjoint versée au conjoint ou au partenaire lié par un pacte civil de solidarité de l’agent civil de l’État en service à l’étranger qui n’exerce pas d’activité professionnelle ou qui exerce une activité professionnelle pour laquelle il perçoit une rémunération brute totale annuelle inférieure ou égale à un montant fixé par voie réglementaire ».
Ce dispositif avait pour vocation de remplacer l’actuel supplément familial versé directement à l’agent expatrié lorsque son conjoint se trouve dans une situation similaire à celle qui est prévue dans le texte de 2010.
La mise en œuvre de cette nouvelle allocation s’est toutefois heurtée à deux principales difficultés ; vous en avez d’ailleurs évoqué au moins une.
D’une part, sur le plan technique, il n’est pas possible d’indemniser sur le titre II une personne pour laquelle il n’existe aucun lien juridique avec l’État.
D’autre part, la direction générale des finances publiques et la direction de la sécurité sociale ont une interprétation différente – c’est le sujet juridique que nous avons devant nous – du régime social appliqué à cette nouvelle allocation. Ce projet reste donc à ce jour suspendu, mais je relayerai là aussi auprès des ministres concernés la nécessité d’avancer plus vite.
Il n’y a aucune raison que la crise remette en cause la trajectoire financière de la loi de programmation militaire ; cela a d’ailleurs été rappelé par la ministre des armées. Comme l’a indiqué Mme Parly, auditionnée par la commission de la défense le 4 juin dernier, nous avons une feuille de route claire : la loi de programmation militaire reste la référence absolue.
L’engagement sans faille du service de santé des armées pendant la crise sanitaire, le poids important de la commande publique militaire dans notre tissu industriel et la nécessité de nous préparer correctement aux crises de tous ordres que nous voyons émerger dans le monde et qui pourraient encore survenir sont autant d’éléments qui nous conduisent à rester fidèles à nos engagements pris collectivement pour nos armées en 2018.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de la session écoulée, cinq textes ont été promulgués dans le secteur de compétence de notre commission.
Seule la loi pour une école de la confiance nécessitait un nombre important de mesures réglementaires. Au 31 mars 2020, le taux d’application était acceptable, de l’ordre de 60 %. Nous avons eu l’occasion d’échanger par écrit sur le calendrier des contenus des mesures restant à prendre avec le Secrétaire général du Gouvernement, ainsi qu’avec Jean-Michel Blanquer. Je n’y reviendrai donc pas.
Sur les quatre autres textes, je constate que la mise en œuvre des deux lois d’initiative parlementaire se révèle particulièrement difficile. La loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information n’a à ce jour démontré ni son efficacité ni sa pertinence. Le Sénat s’était d’ailleurs fermement opposé à son adoption, tout comme à celle plus récemment, de l’article 1er de la loi Avia contre la haine en ligne, justement censuré jeudi dernier par le Conseil constitutionnel.
La loi relative à la rémunération des journalistes et éditeurs sur les plateformes en ligne au titre des droits voisins se trouve, quant à elle, privée de son applicabilité par le refus des plateformes de se conformer à la loi. On ne peut que le déplorer.
Ces textes montrent les limites de l’action législative nationale face au secteur de l’internet. Pour en sortir, nous suggérons de s’appuyer enfin sur les travaux sénatoriaux et les propositions de résolution européenne pour demander officiellement la réouverture de la directive e-commerce, consacrant aujourd’hui – hélas ! – l’irresponsabilité des plateformes.
La loi du 29 juillet 2019 pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris est désormais applicable dans son intégralité. Je souhaiterais néanmoins savoir à quelle date le rapport annuel faisant état du montant des fonds recueillis pour cette reconstruction, de leur provenance, de leur affectation et de leur consommation sera transmis au Parlement. Quel est le calendrier retenu pour la parution des ordonnances permettant de déroger au droit commun dans le cadre des travaux de restauration ? Le délai d’habilitation prévue par la loi expire en effet le 29 juillet 2020.
Enfin, l’application complète de la loi du 1er août 2019 relative à la création de l’Agence nationale du sport, l’ANS, et à diverses dispositions relatives à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 dépend, quant à elle, de trois mesures d’application, relatives au délégué territorial de l’ANS, à la conférence régionale du sport et à la conférence des financeurs du sport.
Mme la ministre des sports nous avait assuré une parution à l’été 2020. Nous y sommes. Où en est la publication de ces dispositions ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente de la commission de la culture, je ne reviens pas sur les deux textes que vous avez évoqués en indiquant que le périmètre européen serait sans doute un périmètre plus approprié pour rendre l’applicabilité des lois plus conforme.
L’article 6 de la loi du 29 juillet 2019 dispose que le rapport dressant un bilan des fonds obtenus pour la reconstruction de Notre-Dame doit être remis par le Gouvernement au Parlement avant le 30 septembre 2020. Ce délai sera respecté. De plus, l’article 8 de cette même loi prévoit que l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale publie chaque année un rapport ayant le même objet. Ce rapport sera publié avant la fin de l’année 2020.
Le délai d’habilitation des ordonnances que vous avez évoquées a été prolongé de quatre mois par la loi du 23 mars, ce qui porte la date du terme de l’habilitation au 29 novembre 2020. Un projet d’ordonnance a été examiné lors d’une réunion interministérielle le 10 mars dernier.
L’opportunité de déroger aux dispositions applicables dans certains domaines, aux travaux de restauration de la cathédrale et d’aménagement de son environnement immédiat est toujours en discussion, afin de bien identifier les dispositions effectivement applicables au chantier auxquelles les dérogations seront réellement nécessaires.
Une deuxième réunion interministérielle en date du 15 juin a permis d’envisager le calendrier suivant : la rédaction du texte pour début juillet 2020, la concertation avec la mairie de Paris courant juillet, la saisine du Conseil d’État fin août 2020, enfin la présentation en conseil des ministres à la mi-octobre de la même année.
Le premier décret d’application manquant de la loi relative à la création de l’Agence nationale du sport, qui est relatif aux conférences régionales du sport et aux conférences des financeurs du sport, a été transmis au Conseil d’État le 22 juin 2020. Le second, qui concerne le délégué territorial de l’Agence nationale du sport, devrait également être transmis au Conseil d’État au cours de cette semaine. Une publication de ces deux textes pourrait ainsi intervenir avant la fin du mois de juillet 2020.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes questions portent sur l’application de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire.
Nous avions consenti à examiner ce texte dans l’urgence et à maintenir des habilitations à légiférer par ordonnance sur des sujets majeurs, à condition que les choix retenus par le Gouvernement soient ensuite discutés. Or aucune des quatre ordonnances prises sur le fondement de cette loi n’a été ratifiée par le Parlement, et l’examen des projets de loi de ratification n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée. Le contenu de ces ordonnances aurait pourtant largement mérité un débat sur le fond, d’autant que certaines des dispositions de celles-ci nous semblent contraires à la volonté du législateur.
Ainsi notamment, nous pouvons dire que nous avons été mis devant le fait accompli pour ce qui concerne l’ordonnance relative à la gouvernance de la SNCF, la nouvelle gouvernance étant entrée en vigueur le 1er janvier 2020. L’engagement selon lequel les parlementaires seraient présents au sein du conseil d’administration de SNCF Réseau n’a pas été tenu. Par ailleurs, un certain nombre de réserves importantes ont été formulées par le régulateur sur cette ordonnance.
À cela s’ajoutent des incertitudes, puisque le cadre juridique de l’ouverture à la concurrence n’est toujours pas finalisé. Ce manque de visibilité pour les nouveaux entrants, les salariés et les régions est de nature à nuire à l’ouverture à la concurrence.
Et le Gouvernement n’a toujours pas pris l’ordonnance visant à tirer les conséquences de l’absence de conclusion d’accord collectif.
À la suite de l’échec des négociations relatives à l’accord sur les classifications et les rémunérations en février dernier, le secrétaire d’État Jean-Baptiste Djebbari nous avait indiqué que l’État tiendrait parole et prendrait l’ordonnance prévue. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, dans quels délais vous envisagez de prendre cette ordonnance ?
Par ailleurs, certaines dispositions du décret du 26 décembre 2018 relatif au transfert des salariés ont été annulées par le Conseil d’État au mois de mars dernier, sans qu’aucun décret rectificatif ait été pris depuis. Pourquoi ce délai ? Quand ce décret sera-t-il publié ?
Enfin, qu’en est-il de la publication du décret relatif aux modalités de transfert de certaines petites lignes aux régions ? Même si ce transfert est prévu par la loi d’orientation des mobilités, et non par le nouveau pacte ferroviaire, il est essentiel dans le cadre de l’ouverture à la concurrence.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Maurey, s’agissant des quatre ordonnances prises sur le fondement de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, il n’est à ce stade pas prévu d’inscrire à l’ordre du jour du Parlement l’examen des projets de loi de ratification.
Pour ce qui est des décrets manquants de cette loi, le premier porte sur la composition et les moyens de fonctionnement d’une instance commune. Il était subordonné à la signature d’un accord relatif aux conditions d’exercice social entre les entreprises issues du groupe public ferroviaire, ce qui a été fait par l’employeur et l’ensemble des organisations syndicales représentatives à la fin de l’année 2019. Le projet de décret a été finalisé et doit maintenant être examiné par le Conseil d’État.
Le deuxième décret concerne la portabilité de la garantie d’affiliation au régime général de retraite de la SNCF en cas de changement d’employeur. Le projet de décret reste en attente des orientations en matière de réforme globale des retraites.
Il est à noter que le décret relatif aux modalités d’attribution directe des contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs a été publié le 17 juin dernier.
Pour les autres textes ferroviaires prévus par la loi d’orientation des mobilités et manquants à ce stade, je signale tout d’abord que le délai d’adoption de l’ordonnance relative à la négociation collective au sein de la branche ferroviaire, prévue à l’article 167 de la loi d’orientation des mobilités, est décalé de quatre mois en vertu de la loi du 23 mars dernier, ce qui le fait courir jusqu’au 23 janvier 2021.
À la suite de l’échec de la négociation collective sur les classifications et rémunérations, le Gouvernement a décidé qu’il pourrait utiliser cette ordonnance afin d’établir un cadre commun en la matière pour les salariés de la branche ferroviaire. Des analyses juridiques sont en cours, afin de déterminer la manière optimale d’intervenir via l’ordonnance, et le calendrier de publication n’est pas encore arrêté.
Le décret dit « de petites lignes », prévu à l’article 172 de la loi d’orientation des mobilités, est en cours de rédaction. Une saisine du Conseil d’État est envisagée aux environs du mois d’octobre prochain, ce qui conduirait à une publication du texte en fin d’année.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des finances.
M. Éric Bocquet, vice-président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la session écoulée, la commission des finances constate un taux d’application des lois en progrès, mais elle regrette l’allongement des délais de publication.
Moins du tiers des textes réglementaires ont été publiés dans les six mois. La raison de ce retard réside notamment dans les délais de réponse aux demandes introduites auprès de la Commission européenne en matière d’aides d’État. Pas moins de sept mesures d’application de la loi de finances initiale pour 2019 sont ainsi en attente.
Monsieur le ministre, le Gouvernement pourrait-il à l’avenir présenter dans son rapport d’application des lois un état des lieux précis des demandes introduites auprès de la Commission européenne concernant des aides d’État ?
Cela dit, le président de la commission des finances avait largement évoqué l’an passé les retards dans l’application de la loi relative à la lutte contre la fraude. Les textes réglementaires sont désormais pris, mais nous en surveillerons très précisément la mise en œuvre concrète.
Il reste cependant les articles 14 et 15, qui octroient aux agents des douanes et de l’administration des impôts un droit de communication des données de connexion pour les enquêtes portant sur les délits douaniers et fiscaux les plus graves. Une question préjudicielle posée par l’Estonie est pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne. Compte tenu de l’importance d’accorder des moyens supplémentaires à la lutte contre la fraude, pouvez-vous nous confirmer que les décrets sont prêts à être publiés dès que la décision de la Cour sera connue, c’est-à-dire à l’été, nous dit-on ? Et nous y sommes !
Autre sujet plus ponctuel : l’article 134 de la loi de finances pour 2012 relatif au régime de licence de vente du tabac dans les départements d’outre-mer. L’entrée en vigueur de cette disposition a été repoussée au gré des lois de finances jusqu’au 30 juin 2019, sans pour autant que la mesure entre en application. Qu’en est-il aujourd’hui ? Ne faut-il pas reconnaître que ce dispositif n’est pas applicable ? Comptez-vous au contraire le mettre en œuvre rapidement ?
Enfin, le Sénat a adopté le 21 avril dernier un taux réduit de TVA pour les tenues de protection, sujet cher à notre rapporteur général. Lors de son audition devant la commission des finances, le 11 juin, le ministre Bruno Le Maire répondait en ces termes : « Le taux réduit de TVA, qui a été voulu par le Président de la République, doit être mis en œuvre rapidement. Un arrêté est en cours de signature. » Pourquoi cet arrêté n’est-il toujours pas pris ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. J’ai saisi mes collègues de Bercy, afin d’étudier la faisabilité d’un état des lieux précis des demandes introduites auprès de la Commission européenne en matière d’aides d’État dans le rapport d’application des lois de finances. Je ne manquerai pas de vous tenir informés dans les meilleurs délais, mesdames, messieurs les sénateurs, de la réponse qui sera formulée.
S’agissant de l’application des articles 14 et 15 de la loi relative à la lutte contre la fraude, les projets de textes ont été retirés de l’examen du Conseil d’État le 28 mars 2019 à la suite d’une question préjudicielle estonienne en cours d’instruction à la Cour de justice de l’Union européenne. L’audience de plaidoiries s’est tenue le 15 octobre 2019. Les conclusions de l’avocat général ont été présentées le 21 janvier 2020. On peut donc raisonnablement envisager qu’un arrêt soit rendu d’ici à l’été, comme vous l’avez vous-même souligné, monsieur le sénateur. Le Gouvernement est prêt et le ministère s’engage à prendre les mesures d’application une fois cet arrêt rendu.
S’agissant de l’application de l’article 134 de la loi de finances pour 2012, je rappelle que la mise en place d’un dispositif d’encadrement de la vente au détail du tabac manufacturé dans les départements et régions d’outre-mer par l’attribution de licences de vente a été plusieurs fois reportée. L’avis très défavorable émis par les assemblées délibérantes de ces collectivités, qui estiment ne pas pouvoir mettre en œuvre cette réforme, en est la principale raison. Cette opposition s’explique par la difficulté à disposer des moyens humains et financiers nécessaires à l’attribution des licences et par la crainte d’une forte incidence sur le tissu économique, notamment pour les petits commerces, qui occupent outre-mer une place importante dans le réseau de distribution du tabac manufacturé.
Si l’objectif de santé publique est indiscutable, ces réserves nécessitent de poursuivre une réflexion partagée avec les collectivités concernées sur les moyens engagés pour lutter contre le tabagisme. Ces territoires ne doivent naturellement pas figurer en retrait de la lutte contre le tabagisme. À ce stade, la réflexion s’oriente vers un assouplissement des modalités d’application de la mesure prévue, en lien avec ces collectivités.
S’agissant enfin de l’arrêté relatif au taux réduit de TVA pour les tenues de protection – j’ai été sollicité, à raison et à plusieurs reprises, par le rapporteur général sur ce sujet –, je vous indique qu’il est à la signature des ministres – je m’en suis moi-même enquis ce week-end – et qu’il paraîtra donc cette semaine. (Marques de satisfaction.)
Mme Sophie Primas. C’est une bonne nouvelle !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, on constate cette année un relâchement – les années passées avaient été bien meilleures.
Nous avons examiné plus de 40 % des textes soumis au Sénat, hors conventions internationales, mais seule la moitié des mesures d’application ont été prises en l’espace d’un an.
J’ai bien compris que l’on discute de méthodologie – vous confirmez ainsi les propos tenus par le secrétaire général du Gouvernement le 12 mai dernier. Je vous le signale néanmoins, nous avions obtenu les résultats positifs des années précédentes avec la même méthodologie. Et il me semble normal que nous examinions les arrêtés ministériels dont dépend l’application des lois, comme l’a indiqué Valérie Létard.
Je souligne aussi que deux mesures d’application de la loi relative à la fonction publique qui tardaient à être prises plus de neuf mois après la promulgation de ce texte l’ont été dans les jours qui ont précédé l’audition du secrétaire général du Gouvernement. Lorsque le moment du contrôle parlementaire approche, des consignes sont-elles données aux administrations pour hâter la sortie des décrets ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est fort possible !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Si tel est le cas, nous devrons certainement multiplier ce type de réunion pour obtenir des résultats efficaces. Étaient visés les apprentis en situation de handicap et le télétravail, dont nous avons eu grand besoin ces derniers mois. La parution de ces textes a beaucoup trop tardé.
Par ailleurs, nous nous étonnons de l’absence de parution d’un décret de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui fait suite d’ailleurs à une disposition législative de 2016 sur la République numérique, qui concerne l’open data des décisions de justice. Pourriez-vous, s’il vous plaît, vous retrouver dans le labyrinthe administratif pour saisir ceux qui devraient prendre ce décret le plus rapidement possible ? Nous en avons besoin !
Nous constatons enfin une tendance de plus en plus forte à recourir aux ordonnances. La décision récente du Conseil constitutionnel nous inquiète. Monsieur le ministre, allez-vous continuer à inscrire à l’ordre du jour prioritaire les projets de loi ratifiant les ordonnances, maintenant que le Conseil constitutionnel a donné à ces dernières le statut législatif avant que nous votions ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Bas, votre première question porte sur le taux d’application des lois, en particulier des lois dont vous avez assuré le suivi.
Je ne sais pas si c’est un relâchement, mais, en effet, quelle que soit la méthodologie utilisée, nous enregistrons un taux d’application des lois moins satisfaisant que les années précédentes. Au 31 mars 2020, le Gouvernement a comptabilisé 106 mesures prises sur les 156 à prendre, soit un taux d’application de 68 %. Au 23 juin, ce taux s’élève à 82 %, puisque 25 nouvelles mesures ont été appliquées depuis le 31 mars.
La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique appelle 94 mesures actives, dont 77 sont appliquées à ce jour, ce qui porte le taux d’application de la loi à 82 %. Ce taux était de 57 % au 31 mars. Parmi les 17 mesures actives restant à appliquer, il est envisagé une publication dans les prochains jours de 8 d’entre elles, ce qui permettra d’atteindre un taux de 90 %.
La parution tardive des deux mesures d’application de l’article 91 et de l’article 49 de la loi est en partie liée aux effets de la crise sanitaire.
S’agissant du décret d’application de l’article 91 relatif à la titularisation des apprentis en situation de handicap, le projet de texte a été transmis au Conseil d’État au début du mois de février, après les consultations obligatoires – Conseil supérieur de la fonction publique, Conseil national consultatif des personnes handicapées, Conseil national d’évaluation des normes. Ce dernier étant toutefois prioritairement sollicité pour l’examen des textes liés à la crise sanitaire, l’examen du projet de décret susmentionné a été différé au mois d’avril. Le décret a ensuite été publié au Journal officiel le 7 mai dernier.
S’agissant du décret d’application de l’article 49, le Conseil d’État a été saisi du projet de décret en février, après que celui-ci a été validé lors d’une réunion interministérielle à la fin du mois de décembre 2019 et que toutes les consultations obligatoires ont été réalisées en janvier. L’examen en section, initialement programmé le 24 mars, a dû être reporté en raison des mesures de confinement. Il s’est tenu en avril. Dans le cadre d’une visioconférence, le décret a ensuite été publié le 6 mai.
Enfin, pour ce qui concerne le décret relatif à la mise à disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives du 19 mars 2020, il a été décidé de suspendre sa publication, qui n’apparaissait pas opportune dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, compte tenu de l’ampleur des conséquences sur le fonctionnement des juridictions. Cette suspension de publication a été dernièrement levée, de telle sorte que le projet de décret qui est en cours de contreseing devrait être publié d’ici à la fin du mois de juin ou le début du mois de juillet.
Quant au statut des ordonnances non ratifiées, le Conseil constitutionnel a en effet récemment jugé que leurs dispositions acquéraient valeur législative dès l’expiration du délai d’habilitation. C’est une décision inédite, pour reprendre le terme de son commentaire, puisque seule la ratification parlementaire permettait jusqu’alors de donner valeur législative à une ordonnance.
Je ne m’aventurerai pas au-delà de ces quelques considérations, et je ne peux que vous inviter à lire le commentaire de la décision, qui en éclaire la portée, mais aussi à faire preuve de prudence dans l’anticipation des conséquences que cette même décision pourrait produire. En tout état de cause, je rappelle que jamais les ordonnances n’ont fait l’objet d’une ratification systématique. Pour ne citer que cet exemple, entre 1960 et 1990, sur les 158 ordonnances prises, une trentaine seulement ont été ratifiées.
En 2008, lors de la dernière révision constitutionnelle, certains avaient proposé d’instaurer une ratification obligatoire, mais cette mesure n’avait pas été adoptée par la majorité.
En tout état de cause, vous savez combien le calendrier parlementaire est contraint. Il ne peut accueillir qu’une quarantaine de projets de loi, et c’est bien toute la difficulté à laquelle nous sommes confrontés.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les résolutions européennes dont la commission des affaires européennes est à l’initiative sur le fondement de l’article 88-4 de la Constitution donnent au Gouvernement des orientations pour les négociations avec les vingt-six autres États membres et les institutions européennes.
Le rapport que j’ai présenté au mois de février dernier démontre la réelle influence de la Haute Assemblée à Bruxelles. En effet, dans 87 % des cas, nos résolutions européennes ont été prises en compte au cours des négociations. Elles influent donc directement sur le contenu des directives et des règlements finalement adoptés, et par conséquent sur la législation française.
Le contrôle parlementaire de l’action gouvernementale en matière européenne passe également par un dialogue étroit et fructueux avec la secrétaire d’État chargée des affaires européennes, avec qui notre commission débat de façon interactive sur le suivi de nos résolutions, et avec le secrétariat général aux affaires européennes, qui nous fournit des informations très complètes, même si je les souhaiterais plus régulières tout au long de l’année.
Au-delà du contrôle sur les négociations que mène le Gouvernement à Bruxelles, la mission de la commission des affaires européennes a été étendue l’an dernier. Précisément, la commission s’est vue confier à titre expérimental en février 2018 une mission d’alerte pour appeler l’attention du Sénat sur les surtranspositions de nos obligations européennes. Je tiens d’ailleurs à vous remercier, monsieur le président, car vous avez joué en la matière un rôle déterminant.
Cette mission est désormais consacrée dans le règlement du Sénat depuis le mois de juin 2019. En mai dernier, le secrétaire général du Gouvernement m’avait assuré de l’engagement de l’exécutif à lutter de manière générale contre les surtranspositions, ajoutant qu’il était à notre « disposition pour tenter de trouver un moyen de mieux remédier aux surtranspositions dans les ordonnances, qui est un point important de l’action normative du Gouvernement ».
Je voudrais donc connaître l’état de la réflexion du Gouvernement pour progresser dans cette voie. Un calendrier a-t-il d’ores et déjà été arrêté pour définir une méthode de travail associant la commission des affaires européennes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Toute surtransposition n’est pas forcément nuisible ; elle peut résulter d’un choix assumé par le Gouvernement ou le Parlement de ne pas s’aligner sur le standard européen minimal, eu égard à nos priorités dans les domaines de l’environnement, du social ou de la santé. Le paquet neutre de cigarettes et la durée du congé maternité constituent des exemples de surtranspositions assumées pour de telles raisons, même si je reconnais que cette catégorie n’est pas majoritaire.
Pour le Gouvernement, les surtranspositions à proscrire sont donc seulement celles qui induisent des contraintes plus importantes et non justifiées pour les entreprises et les citoyens. C’est d’ailleurs bien sur ce sujet que vous nous alertez, monsieur le président.
Afin de lutter contre ces surtranspositions, le Premier ministre a publié dès le 26 juillet 2017 une circulaire qui proscrit par principe toute mesure allant au-delà des exigences minimales de la directive, sauf à ce qu’elle fasse l’objet d’un choix assumé et confirmé par le Premier ministre. Le principe de cette circulaire est applicable dans le cadre de la préparation des décrets, des projets de loi et des projets d’ordonnance. Parallèlement à ces règles visant à prévenir de nouvelles surtranspositions, la circulaire précitée entendait réduire le stock en s’appuyant sur un travail d’inventaire confié à une mission d’inspection. Sur la base de cet inventaire, le Gouvernement a initialement présenté un projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français. L’examen de ce texte n’a toutefois pas été conduit jusqu’à son terme, et je me souviens que « désurtransposer » est finalement un exercice assez difficile. Le mieux est encore de ne pas surtransposer.
Le Gouvernement a cependant veillé à ce que les mesures contenues dans ce projet de loi soient reprises dans le cadre d’autres vecteurs législatifs. La loi d’orientation des mobilités supprime ainsi les surtranspositions de la directive 2012/34 établissant un espace ferroviaire européen, un objectif initialement contenu dans les articles 19 à 22 du projet de loi.
Enfin, pour les mesures qui n’ont pu être reprises à ce stade dans un projet de loi thématique, la suppression de la surtransposition interviendra dès qu’un vecteur législatif approprié sera disponible, notamment dans le cadre de futurs travaux de transposition qui permettront de supprimer d’anciennes surtranspositions. Ce sera par exemple le cas de la suppression de l’obligation de déclaration des nouveaux opérateurs à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), qui sera intégrée dans les textes qui transposeront les dispositions du code des communications électroniques européen. Nous pouvons également travailler sur d’autres cas.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je vais revenir sur la question des ordonnances. Après les déclarations du président Larcher, de Mme Létard et de M. Bas, vous ne pouvez pas ignorer qu’il y a un profond malaise sur cette question. Vos explications confuses et embarrassées n’apportent pas de réponse et ne sauraient convenir.
Considérez-vous finalement la ratification d’une ordonnance comme une étape superfétatoire dont le Gouvernement pourrait se dispenser ? Si vous pensez le contraire, vous engagez-vous à lancer un véritable débat sur la justice des mineurs ? On nous a dit que c’était le nec plus ultra de prendre une ordonnance sur ce sujet pourtant très important, mais on nous a promis un vaste débat de ratification. Mme Belloubet nous l’a indiqué au moins quatre fois. Quand ce débat aura-t-il lieu ?
Votre position est-elle que les ordonnances découlant de la loi du 23 mars dernier et des lois subséquentes ne donneront pas lieu à ratification faute de place dans l’agenda parlementaire ?
Si tel est le cas, ne prenez pas ces ordonnances ! Mme Létard a montré que 539 jours s’écoulaient en moyenne entre l’habilitation et l’effectivité de l’ordonnance. Quelque chose ne va pas !
Monsieur le ministre, nous devons obtenir une réponse claire du Gouvernement sur ce sujet. Vous ne pouvez pas vous défausser sur une question aussi importante pour les droits du Parlement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Sueur, il n’est pas question de se défausser ou d’être embarrassé. Reprenons les faits, si vous le voulez bien.
La question de la ratification des ordonnances ne se pose pas seulement pour ce gouvernement. Cette étape n’est pas superfétatoire pour l’un, obligatoire pour l’autre.
J’ai rappelé que, dans l’histoire de l’utilisation des ordonnances, une majorité n’avait pas été ratifiée par le Parlement. J’entends bien la question que vous nous posez, mais ce n’est pas une nouveauté.
Les précisions apportées par le Conseil constitutionnel sont assez récentes et nous devons essayer d’en tirer des conclusions.
Enfin, je suis désolé, mais il y a aussi un problème de calendrier parlementaire. Je rejoins Mme Létard, nous devons être d’autant plus vigilants sur le recours aux ordonnances. Le Gouvernement s’y est engagé et essaye de le faire, même si ce n’est sans doute pas parfait.
Quant aux dispositions sur la justice des mineurs, la garde des sceaux s’est engagée à ce qu’il y ait un débat au Parlement sur certaines ordonnances spécifiques. Et c’est d’ailleurs pourquoi elle a demandé un peu de temps. Je prends une nouvelle fois l’engagement devant vous. Quant au calendrier, je ne pourrai pas vous le communiquer à ce stade. Je le redis toutefois : c’est un engagement ferme et définitif du Gouvernement ; il y aura bien un débat au Parlement, suivi d’un vote.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le ministre, l’école occupe une place singulière au sein des institutions de notre pays. Elle conditionne la promesse républicaine. Notre histoire nous l’enseigne ; le présent nous le rappelle.
Si la réforme de l’école figurait déjà au cœur de l’action du Gouvernement, elle apparaît désormais aussi comme l’un des points névralgiques de la gestion de la crise inédite que traverse notre pays.
C’est pourquoi je souhaite vous interroger au sujet de l’application de la loi pour une école de la confiance en général, et de ses dispositions relatives à l’inclusion des enfants handicapés, en particulier.
En premier lieu, les répercussions de cette épidémie sur l’enseignement ont-elles modifié certains aspects de l’application de cette loi et, plus largement, de votre approche de notre système éducatif ?
En second lieu, pouvez-vous nous garantir que les diverses dispositions réglementaires qui concernent les élèves en situation de handicap et ceux qui souffrent de trouble du langage ou de difficultés psychologiques seront prises d’ici à la rentrée 2020 – nous espérons que celle-ci se déroule dans de meilleures conditions ? Je pense notamment aux articles 13, 30 et 31 de ladite loi, qui traitent respectivement du dépistage des troubles du langage et des apprentissages chez les enfants de moins de six ans, de la coopération entre établissements médicosociaux et scolaires pour la prise en charge des élèves en situation de handicap et de l’accompagnement des jeunes qui présentent des difficultés psychologiques.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, plusieurs textes d’application relatifs à la scolarisation des élèves en situation de handicap restent à prendre dans le cadre du projet de loi pour une école de la confiance, comme vous l’avez rappelé.
S’agissant du décret mentionné à l’article 30 de cette loi relatif à la coopération des acteurs scolaires et médico-sociaux, un groupe de travail composé de toutes les parties prenantes a été constitué. Ses travaux, interrompus par la crise sanitaire, vont reprendre dans les prochains jours avec l’objectif de produire le projet de décret en octobre. Deux consultations sont à prévoir : celle, obligatoire, du Comité national de l’organisation sanitaire et sociale et celle, facultative, mais au fond incontournable, du Conseil national consultatif des personnes handicapées.
Concernant le décret d’application de l’article 31 de la loi relatif au fonctionnement en dispositif intégré des établissements scolaires et médicosociaux pour les jeunes en situation de handicap, un groupe de travail a également été constitué. Il va reprendre ses travaux, avec un objectif de publication du décret là aussi en octobre.
Quant aux textes à prendre relatifs aux accompagnants d’élèves en situation de handicap, ils seront présentés lors du comité technique ministériel du 8 juillet, et, sous réserve du délai de nouvelle convocation en cas de vote unanime défavorable, soumis ensuite au contreseing.
Enfin, pour ce qui est de l’arrêté prévu à l’article 46 de la loi relatif au cahier des charges des contenus de la formation initiale spécifique concernant la scolarisation des enfants en situation de handicap, le groupe de travail créé poursuit ses travaux. Une quatrième réunion est prévue ce jeudi 25 juin pour valider le cahier des charges. Trente heures de formation seraient notamment dédiées à la scolarisation des enfants en situation de handicap. Un arrêté sera ensuite publié en septembre 2020, de telle sorte que les prochaines formations répondront bien au cahier des charges.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Je souhaite de nouveau évoquer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai. Le Conseil n’a fait que lire la Constitution, dont les termes en l’occurrence sont les mêmes depuis le 4 octobre 1958. Une fois franchi le délai de dépôt du texte de ratification, l’ordonnance ne peut être modifiée que par la loi. Le Conseil se borne donc à constater que, dès ce moment, elle a acquis une valeur législative. C’est la Constitution !
Nous regrettons tous que les projets de loi de ratification déposés ne soient pas débattus. Mais, disons-le, c’est le résultat d’une coproduction… Je n’ai pas vu beaucoup de rapports indiquant que les conférences des présidents des deux assemblées s’étaient émues de ne pas voir inscrites à l’ordre du jour des ratifications d’ordonnances.
Je me permets d’appeler l’attention du président Bas un instant, en lui faisant observer que la décision du Conseil constitutionnel vise deux choses.
Premièrement, le Conseil lui-même peut se prononcer, à l’occasion de l’examen de questions prioritaires de constitutionnalité, sur la bonne application par ces ordonnances des droits et libertés garantis par la Constitution.
Deuxièmement, dès le lendemain du dépôt du projet de ratification, le Parlement peut sur son initiative modifier l’ordonnance ainsi pérennisée. Or nous ne le faisons jamais.
Et parmi le flux assez varié des propositions de loi déposées par les deux assemblées, aucune ne revient jamais sur le contenu des ordonnances, alors que les opportunités seraient multiples.
On peut aussi procéder par voie d’amendement. Le président Bas et moi-même l’avons fait tout récemment lorsqu’une ordonnance malencontreuse prise pendant l’état d’urgence a réduit artificiellement le quorum déjà abaissé des assemblées locales. Nous avons rectifié cette erreur par un amendement du président Bas déposé sur le texte suivant.
Quand nous voulons corriger une ordonnance qui nous déplaît, nous avons donc tous les moyens. Nous devons nous interroger sur le fait que nous ne le fassions jamais.
Quoi qu’il en soit, il faut parler des débats de ratification. Je suggère, monsieur le ministre, qu’un bilan soit fait des projets en retard en conférence des présidents. Face au risque d’encombrement, pourquoi ne pas les soumettre à la procédure de législation en commission ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez, au fond, dit le droit et rappelé la portée de la décision du Conseil constitutionnel. Sous le contrôle des éminents juristes qui sont présents dans cet hémicycle, à commencer par le président Bas, j’ai du mal à vous répondre ; je dois dire, même s’il me faut être particulièrement modeste en la matière, que vos propos correspondent à la lecture qu’en fait, en première approche, le Gouvernement. Vous avez souligné la nécessité de pondérer la portée de cette décision et vous avez rappelé la capacité pour le Parlement de se saisir des questions traitées par une ordonnance.
En ce qui concerne la question de la ratification, il existe réellement un problème de calendrier, même si je comprends que cette réponse ne soit pas pleinement satisfaisante. Il appartiendra peut-être aux conférences des présidents des deux assemblées de se saisir de ce sujet. Le développement des ordonnances n’est pas propre à cette législature et la manière dont on recourt à cet outil peut, au-delà de la récente décision du Conseil constitutionnel, faire l’objet d’un débat.
Je le répète, il ne me semble pas qu’il faille surestimer à ce stade la portée de la décision du Conseil constitutionnel qui a rappelé un certain nombre d’éléments de droit. Comme je le disais au sénateur Sueur, nous devrons tirer les conséquences de cette décision et continuer de nous interroger sur la manière de légiférer par ordonnance et sur la procédure de ratification.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la publication rapide des mesures d’application d’une loi est d’autant plus nécessaire pour une expérimentation qu’elles sont indispensables à sa mise en œuvre. Depuis 2008, les décrets d’application doivent être pris au plus tard six mois après la parution des lois.
La loi du 3 août 2018 relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique, texte à l’initiative duquel j’ai eu l’honneur d’être, a étendu à titre expérimental pour une durée de trois ans l’usage des caméras mobiles par les sapeurs-pompiers et les surveillants pénitentiaires. Utilisées depuis 2013 par les forces de police et de gendarmerie, les caméras mobiles ont pour finalité de sécuriser les interventions de ces agents publics confrontés dans l’exercice de leurs missions à une agressivité croissante. Les événements récents témoignent, si besoin en est, de la pertinence de ce dispositif. La loi du 3 août 2018 pérennise également l’utilisation des caméras mobiles par les agents des polices municipales.
La loi renvoyait la définition des modalités d’utilisation des caméras mobiles et des enregistrements visuels collectés à trois décrets en Conseil d’État pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Tous ces décrets ont été pris au-delà des six mois. Le premier, pour les agents de police municipale, a été publié le 27 février 2019. Le deuxième, pour les sapeurs-pompiers, a, quant à lui, été pris le 17 juillet 2019. La publication du troisième, pour les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire, date du 23 décembre 2019.
Il aura donc fallu attendre seize mois après la promulgation de la loi pour que puisse commencer une expérimentation amenée à durer trois ans, alors que nous partageons tous l’intérêt d’un tel dispositif.
Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que l’amélioration de la rapidité de l’application des lois constitue l’un des moyens pour restaurer la confiance et l’intérêt des Français pour la chose publique ? En ce qui concerne les caméras mobiles, avons-nous l’assurance de leur utilisation ? Posséder les outils ne suffit pas, il faut les utiliser – en l’espèce, cela pourrait éviter bien des débats actuels.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je veux d’abord revenir sur le fond du dispositif que vous évoquez et dont vous êtes à l’origine. Tous les professionnels nous le disent, la présence de la caméra incite certaines personnes à davantage maîtriser leurs actes et leurs propos ; elle renforce donc la sécurité de nos policiers, de nos gendarmes, de nos sapeurs-pompiers et de nos surveillants pénitentiaires. Les enregistrements effectués facilitent l’identification et la poursuite des auteurs d’agressions verbales ou physiques ; ce sont des preuves utiles pour la justice. Depuis 2013, cet équipement utilisé par les forces de l’ordre a su démontrer son efficacité.
Pour sécuriser le cadre juridique, nous avons procédé à d’importants échanges, notamment avec le Conseil d’État et la CNIL. Nous touchons en effet des points sensibles en termes de vie privée, comme le traitement et la conservation des vidéos collectées ou la liste des personnes habilitées à procéder à l’extraction de ces données.
Aujourd’hui, l’ensemble des retours est prometteur : entre 2016 et 2018, les caméras-piétons ont fait l’objet d’une expérimentation auprès de différentes polices municipales, et le bilan est très positif.
En ce qui concerne le délai de publication des décrets d’application, il est vrai qu’il a été long. Cela s’explique par l’entrée en vigueur concomitante du règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la directive dite police-justice. Compte tenu des nombreuses évolutions du droit applicable, ces décrets ont nécessité une importante réflexion préalable et ont fait l’objet de nombreux échanges avec le Conseil d’État et la CNIL sur la base d’une volumineuse analyse d’impact relative à la protection des données. C’est cette concomitance qui explique les délais, il est vrai, importants – on peut le regretter – qui ont été nécessaires pour adopter les décrets d’application de la loi dont vous êtes l’auteur.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, je veux tout d’abord remercier la présidente Valérie Létard de la qualité de son rapport qui nous éclaire, une nouvelle fois, sur le déséquilibre qui existe entre le pouvoir législatif et l’exécutif – le Parlement n’est souvent qu’une simple chambre d’enregistrement !
Trop de textes sont examinés en urgence, puisque cette procédure touche plus des deux tiers des projets et propositions de loi. Nous déplorons nous aussi le recours trop important aux habilitations : comme le relève le rapport de Valérie Létard, le nombre d’ordonnances publiées dépasse, sur la période 2012-2018, celui des lois adoptées en procédure ordinaire.
Par ailleurs, nous sommes très inquiets de la récente décision du Conseil constitutionnel qui permet de donner une force législative à une ordonnance prise sur la base d’une habilitation, mais non ratifiée par le Parlement dans les temps – cela mérite un véritable débat. Ce glissement toujours plus fort vers un renforcement du pouvoir exécutif, notamment présidentiel, pose des questions importantes.
Concernant la remise des rapports du Gouvernement au Parlement, le taux est très faible, puisque seuls 12 % des rapports prévus lors de cette session ont été remis. En outre, seuls 11 % des rapports dont le Sénat est à l’initiative ont été déposés contre 69 % pour ceux qu’a demandés l’Assemblée nationale.
Ma question est relativement simple : alors que le Sénat a obtenu, sur notre initiative, un rapport sur la relance des trains de nuit dans le cadre de la discussion de la loi d’orientation des mobilités et alors que ce rapport doit être remis avant le 30 juin, quand pourrons-nous, monsieur le ministre, en disposer ? Comment les parlementaires seront-ils associés à la mise en œuvre de la relance du ferroviaire, alors que les enjeux écologiques sont encore plus prégnants qu’auparavant ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente Assassi, je retiens de votre intervention trois questions.
Tout d’abord, vous avez raison de dire que ce débat est utile. Il permet au Gouvernement de rendre des comptes au Sénat sur le degré d’application des lois. C’est un moment important et une exigence tant pour votre assemblée, qui n’est pas seulement chargée de voter la loi, que pour nous.
Ensuite, j’ai bien noté la différence qui existe dans le taux de remise des rapports entre ceux dont l’initiative revient au Sénat et ceux dont l’initiative revient à l’Assemblée nationale. Je ne manquerai pas de regarder ce sujet attentivement avec mes collègues du Gouvernement pour que le processus de transmission de ces rapports soit amélioré.
Enfin, en ce qui concerne votre question relative à l’étude sur les trains de nuit prévue par la loi d’orientation des mobilités, il est en effet mentionné dans le rapport annexé à cette loi que « l’État étudie le développement de nouvelles lignes […], en veillant à son articulation avec le programme de régénération et de modernisation du réseau ferroviaire et en précisant, en particulier, les conditions d’une amélioration de l’offre des trains de nuit au regard de leur intérêt pour répondre aux besoins de désenclavement des territoires les plus éloignés des grands axes de circulation ainsi que de liaisons nationales et intraeuropéennes et pour réduire l’empreinte écologique. » Cette étude doit en effet être transmise au Parlement avant le 30 juin prochain.
Conformément aux orientations de cette loi, le ministère de la transition écologique et solidaire étudie jusqu’au 30 juin le développement des nouvelles lignes de trains d’équilibre des territoires. Cette étude concerne aussi bien le jour que la nuit.
Concernant la nuit, la première phase de l’étude a consisté à réaliser une comparaison avec les autres réseaux européens qui sont dans une logique de redéveloppement des trains de nuit – Autriche, Suède, Norvège. Un échange approfondi a notamment eu lieu avec les chemins de fer autrichiens qui sont à la pointe dans ce domaine. Des échanges se sont également déroulés avec différents constructeurs, le matériel roulant constituant un élément clé pour l’exploitation de telles lignes.
Quatre segments de marché ont été identifiés pour établir des liaisons de nuit potentielles : relations intérieures ou internationales entre grandes agglomérations, relations entre chapelets de villes, dessertes touristiques saisonnières et dessertes d’aménagement du territoire.
Le rapport de cette étude technique devrait être disponible dans les prochains jours. Il intégrera des préconisations, ainsi que des propositions de suite à donner à l’étude. Je pense à des auditions qui n’ont pu être réalisées au printemps en raison de la crise sanitaire. Il était notamment prévu d’entendre les exécutifs régionaux qui sont des opérateurs centraux sur ces questions, ainsi que des associations. Ces auditions sont nécessaires pour valider les résultats de l’étude technique. Il est proposé de les organiser au début de l’automne selon des modalités à définir et de transmettre par la suite l’ensemble de ces éléments au Parlement.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le montre l’excellent rapport de Valérie Létard, le taux d’application des lois est dans l’ensemble satisfaisant, bien qu’en léger retrait par rapport à la session précédente. Cependant, il est décevant pour certains textes pourtant jugés clés par le Gouvernement, tels que la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé ou les articles relatifs à la privatisation d’ADP contenus dans la loi dite Pacte.
Depuis le début de la crise du Covid-19, le Parlement s’est attelé à adopter des textes prioritaires dans les plus brefs délais. Il est temps que l’État en fasse de même, afin d’apporter de la visibilité aux différents acteurs, parfois mis à rude épreuve – je pense notamment à la loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Cela pose encore une fois la question du rôle du Parlement, ce qui m’amène aux deux principaux sujets de ma question.
Tout d’abord, l’accroissement du recours aux ordonnances soulève un véritable problème démocratique, surtout lorsqu’aucune urgence ne le justifie, car le délai entre la demande d’habilitation et la prise de l’ordonnance est supérieur au délai moyen de vote d’une loi.
Ensuite, le taux de remise des rapports demandés par le Parlement au Gouvernement est très faible. Pis encore, il a chuté par rapport à la session précédente : alors qu’il était de 35 % l’an passé, il atteint désormais 12 %. Encore plus problématique, on constate une forme de discrimination entre les deux chambres, puisque, sous la présente législature, seuls 11 % des rapports demandés sur l’initiative du Sénat ont été déposés contre 69 % pour ceux qui l’ont été sur l’initiative de l’Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, pour redonner au Parlement sa place dans le débat, pouvez-vous nous préciser la ligne du Gouvernement concernant le recours aux ordonnances et le retard pris quant à la remise des rapports demandés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je ne vais pas revenir en détail sur la question des ordonnances, nous l’avons évoquée à plusieurs reprises et vous connaissez la position du Gouvernement sur l’utilisation de cet outil comme les interrogations qui existent sur la récente décision du Conseil constitutionnel.
En ce qui concerne les rapports demandés par le Parlement et pour faire écho à la question posée par la présidente Assassi, il y a deux cas de figure.
Il peut d’abord s’agir de rapports, dont la remise est expressément prévue par la loi. Le taux de dépôt de ce type de rapport est effectivement très bas, à peine 12 %. Cette situation n’est évidemment pas acceptable et une vigilance particulière des ministères doit être recherchée. Comme je le disais, je m’engage à alerter mes collègues du Gouvernement sur chaque retard constaté. Les rapporteurs des projets de loi en question peuvent également interpeller les ministères dans le cadre de leur mission de contrôle.
Il peut aussi s’agir de rapports remis en application de la loi du 9 décembre 2004. Ces rapports remis dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur d’une loi mentionnent les textes réglementaires et les circulaires publiés pour la mise en œuvre de ladite loi. Au 31 mars 2020, 5 rapports sur 23 ont été remis, soit un taux de 23 %. Au cours de la session parlementaire 2018-2019, 23 lois appelant des mesures actives ont été promulguées. Vous avez raison de souligner, monsieur le sénateur, que le taux de remise de ces rapports est en baisse.
Vous avez également raison de souligner la distorsion entre les deux assemblées. C’est un point de vigilance pour nous.
Enfin, de manière plus générale, je rappelle que les assemblées seront désormais systématiquement destinataires de l’échéancier d’application et des tableaux de suivi. Même si le Sénat estime que cela ne suffit pas à satisfaire entièrement l’obligation de la loi de 2004, c’est une avancée qui permettra, me semble-t-il, d’assurer un meilleur suivi. Encore une fois, je crois que le travail bilatéral entre les rapporteurs et les ministères pourra fournir des compléments qualitatifs utiles à ces tableaux de suivi.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand.
Mme Anne-Marie Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rédiger un texte de loi est gratifiant et, disons-le, réserver certains points techniques, parfois hasardeux, au pouvoir réglementaire peut être confortable. Face à ce constat, nous avons chacun une part de responsabilité.
Néanmoins, la difficulté de l’État à prendre en temps et en heure les mesures réglementaires nécessaires à l’application des lois contraste avec des délais toujours plus courts imposés au Parlement. La procédure accélérée semble être devenue la norme et les ordonnances se multiplient.
En faisant ce constat, comme beaucoup, je m’interroge. Sous couvert d’un environnement économique et juridique toujours plus pointu, le Gouvernement ne joue-t-il pas la montre, afin de pouvoir censurer la représentation nationale et de l’anesthésier ?
Je veux le réaffirmer, un texte de loi n’est pas un simple vœu que l’on émet. Il doit être applicable et appliqué ! Rien n’est pire pour nuire à la confiance dans l’action publique qu’un texte sans portée. Rien n’est pire pour la démocratie que lorsqu’elle ressemble à un bavardage. D’ailleurs, ne dit-on pas que, lorsque la loi bavarde, le citoyen ne lui prête qu’une oreille distraite ?
Ce bilan n’est pas technico-juridique ; c’est celui du fonctionnement de notre démocratie. Sachons le regarder tel qu’il est et souvenons-nous de ces milliers de gilets jaunes qui ne croyaient plus en rien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je partage au moins deux points de votre intervention. Tout d’abord, la question de l’application de la loi n’est pas un sujet technique ; c’est une question politique ! Ensuite, nous devons effectivement être vigilants à ce que les lois ne soient pas trop bavardes – d’ailleurs, je sais que le Sénat est très attentif sur ce point.
S’agissant des délais pour prendre des mesures réglementaires, le taux d’application des lois est de 82 % selon la méthodologie gouvernementale. Il est vrai que ce taux a légèrement baissé par rapport à l’année précédente, mais je rappelle que le nombre des mesures a parallèlement augmenté de manière très importante. J’ajoute que, si les administrations ont été très sollicitées par la gestion opérationnelle de la crise, leurs efforts en matière d’application des lois ne se sont pas relâchés, puisque le taux que je viens d’évoquer a augmenté depuis le 31 mars.
Les délais nécessaires à la prise d’un décret ont plusieurs explications. Un certain nombre de consultations doit être mené, parfois à la demande du législateur, puis divers organismes doivent être saisis avant l’intervention du Conseil d’État. Ces consultations et les délais qui en découlent sont la contrepartie de la qualité et de la stabilité des textes réglementaires. Je précise également qu’il devient de plus en plus difficile d’anticiper en amont les actes réglementaires qui devront être pris ; à titre d’exemple, lors de la session 2018-2019, le nombre d’articles des textes de loi a augmenté de près de 135 % durant la navette parlementaire.
Pour autant, le taux d’application des propositions de loi n’est pas fondamentalement différent, à 2 % près, de celui des textes d’initiative gouvernementale.
Pour ce qui concerne le caractère éminemment technique des textes publiés, je ne peux que le regretter, y compris pour la lisibilité vis-à-vis des citoyens, mais je constate que le monde est devenu d’une incroyable complexité, et notre droit n’en est finalement que le reflet. Gardons-nous de penser que la simplification du droit est la solution à tout, même s’il doit rester intelligible. Nous pouvons sans doute faire plus simple, mais nous risquons alors une incompétence négative. Aurions-nous réglé toutes les situations particulières qui appellent une réponse législative ? Je n’en suis pas certain de prime abord.
Enfin, pour ce qui est de la « censure » du Parlement, je ne suis évidemment pas d’accord avec vous. L’application de la loi peut faire l’objet d’un contrôle par le juge administratif, lequel peut même engager la responsabilité de l’État pour absence de prise d’actes réglementaires d’application d’une loi. De plus, le Gouvernement est pleinement responsable devant le Parlement ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis avec vous, cette année encore, pour débattre de l’application des lois.
Conclusion du débat
M. le président. Monsieur le ministre, mesdames, mes chers collègues, je voudrais remercier Valérie Létard de son rapport très important qui s’attache à une analyse quantitative et qualitative de l’application des lois.
Deux sujets d’actualité ont particulièrement animé nos débats – les ordonnances et les expérimentations – et diverses interrogations ont été soulevées. J’ai d’ailleurs prévu d’écrire au président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, pour qu’il nous aide à répondre à certaines d’entre elles.
Il me semble que nos débats ont permis d’éclairer ces sujets et de les faire avancer. La conférence des présidents y sera naturellement attentive, même si, chacun le sait, elle a déjà débattu de ces mêmes questions à plusieurs reprises. En tout état de cause, Valérie Létard continuera de suivre ces sujets, au nom du bureau.
La parole est à Mme la présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire.
Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. Je ne vais pas allonger les débats, mais je veux simplement remercier l’ensemble des présidents de commission et les équipes du Sénat – chacun sait le travail extrêmement lourd et fouillé que ce rapport représente. Je veux aussi remercier les équipes du secrétariat général du Gouvernement (SGG).
Nous avons entamé ce travail le 12 mai dernier par un premier échange entre les équipes du SGG et les présidents de commission qui ont ainsi pu signaler l’ensemble des dispositions réglementaires qui leur tenaient à cœur. Entre le 12 mai et aujourd’hui, plus d’un tiers des demandes alors formulées ont obtenu satisfaction.
C’est un travail titanesque qui permet au Sénat de jouer pleinement son rôle d’aiguillon, d’accélérateur, de vigie au service de nos concitoyens et dans l’intérêt général. Il me semble qu’année après année cet exercice permet d’améliorer le travail législatif tant pour le Parlement que pour le Gouvernement. C’est pour cette raison que je souhaitais remercier l’ensemble des équipes qui ont travaillé avec moi sur ce rapport. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Je veux remercier la présidente Valérie Létard de ce travail particulièrement exigeant qui sert en effet d’aiguillon pour le Gouvernement. Ce rendez-vous est utile pour réfléchir ensemble à l’application des lois.
Je profite de cette occasion pour remercier à mon tour les services du secrétariat général du Gouvernement, sans lesquels j’aurais eu bien du mal à vous répondre… Le SGG contribue aussi tout au long de l’année à la qualité de l’application des lois.
Chacun l’a dit, il n’est pas suffisant de voter la loi. Encore faut-il l’appliquer ! Ce débat doit nous servir à avancer sur ce second aspect qui n’est pas le moindre… (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Le Parlement a aussi une mission de contrôle qui est tout à fait essentielle au fonctionnement de notre démocratie et nous continuerons de la renforcer. Ce type de débat peut sembler plus aride que d’autres, mais ce rendez-vous annuel, je le redis, est particulièrement important et je remercie chacune et chacun de sa participation à nos travaux. La conférence des présidents pourra naturellement décider, en tant que de besoin, d’organiser un débat en cours d’année sur une question liée à l’application des lois.
Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan de l’application des lois.
4
Souhaits de bienvenue à un nouveau sénateur
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer notre nouveau collègue, Stéphane Cardenes, sénateur du Gard, qui remplace Pascal Bories. Qu’il soit le bienvenu ! (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020.
Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation qui me permet de faire un point d’étape sur les discussions concernant notamment le plan de relance, ainsi que le prochain budget européen 2021-2027 et de répondre à vos questions à l’issue du débat.
Permettez-moi de saluer l’engagement du Sénat depuis le début de la crise pour promouvoir une réponse européenne ambitieuse et susceptible de répondre aux défis qui sont les nôtres aujourd’hui.
Ce débat intervient à un moment très important – peut-être crucial – pour l’Europe et pour notre pays, car si l’épidémie n’a pas disparu, ses conséquences économiques et sociales apparaissent.
La réunion des chefs d’État et de gouvernement de vendredi dernier a marqué le démarrage d’une négociation à l’échelon du Conseil européen sur le plan de relance et le prochain budget de l’Union pour la période 2021-2027.
Elle a été l’occasion de constater combien nous avions avancé ensemble en quelques semaines. Plus personne ne remet en cause aujourd’hui le principe d’un plan de relance européen ambitieux. Chacun a également pris conscience que personne ne pouvait sortir seul de ce qui s’annonce comme la plus grave crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale. Personne ne conteste non plus l’utilité de répartir dans le temps long les coûts de la crise ni la nécessité d’un emprunt commun pour investir et relancer ensemble nos économies. Tel est le chemin qui a été parcouru en si peu de semaines.
Cette première réunion était une étape nécessaire. Elle a permis de comprendre les positions, les attentes et les sujets de préoccupation de chacun. Pour parvenir à un accord, une réunion « en présentiel » s’impose. Charles Michel en a fixé la date aux 17 et 18 juillet prochain. Si une réunion supplémentaire est nécessaire, nous l’organiserons, mais l’objectif du Président et de la Chancelière est d’arriver à un accord en juillet.
Il y a en effet urgence. Cela a été rappelé tant par le Président de la République que par la Chancelière devant le Bundestag la semaine dernière, alors que l’Allemagne prendra dans quelques jours – le 1er juillet – la présidence du Conseil de l’Union européenne jusqu’au mois de décembre.
Si nous n’agissons pas vite et si nous n’agissons pas ensemble, nous irons vers une récession durable. Or nul ne peut se satisfaire d’une telle situation. Elle entraînerait l’aggravation des inégalités entre États et contribuerait à fragmenter le marché intérieur ; elle pourrait alimenter un déclassement économique durable de l’Europe et, surtout, elle pourrait mettre en péril des millions d’emplois et aggraver une situation sociale déjà difficile.
Avant d’aborder en détail les lignes politiques que nous défendons avec le chef de l’État auprès des vingt-six autres États membres, je souhaite revenir quelques instants sur la méthode qui a été celle du Président de la République ces dernières semaines, car en diplomatie la méthode compte peut-être parfois plus que le contenu.
La France et l’Allemagne ont proposé dès le 28 mai un outil de relance fondé sur la solidarité et sur un objectif bien compris et pleinement partagé de souveraineté européenne. Cet accord est l’aboutissement d’un très long travail de conviction mené par le Président de la République avec la Chancelière. Sans la main tendue par le Président à l’Allemagne depuis 2017, que ce soit au travers du discours de la Sorbonne, des rencontres à Meseberg, ou encore très récemment lors du conseil des ministres franco-allemand de Toulouse, nous n’aurions pas pu arriver à cette compréhension commune des moyens et de la nécessité de rendre l’Europe plus forte et plus souveraine.
Je suis donc convaincue que s’il y a une victoire aujourd’hui, c’est celle de notre persévérance et de la persévérance du Président de la République à faire avancer le sujet d’une souveraineté européenne pleinement assumée et pleinement comprise au cours des dernières années.
Suivant cette dynamique franco-allemande favorable, la Commission a proposé un cadre budgétaire complet le 27 mai. Nous pensons que cette proposition est à la hauteur de l’enjeu historique et qu’elle démontre une réelle ambition politique. Ursula von der Leyen a compris l’enjeu existentiel auquel l’Europe est confrontée.
Notre responsabilité est maintenant de créer les conditions d’un accord dans les prochaines semaines en prenant en compte les besoins que chacun a exprimés. Ces besoins sont légitimes, car ils sont le reflet des situations politiques intérieures. Nous devons pleinement les apprécier.
À cet égard, la France détient une responsabilité particulière, car, d’une certaine manière, cette proposition franco-allemande nous oblige. Il est essentiel que l’accord que nous trouverons en respecte l’esprit de compromis.
C’est pourquoi nous multiplions les échanges avec nos partenaires. Le Président se trouve ce soir à La Haye pour un échange approfondi avec Mark Rutte. J’étais moi-même il y a dix jours en Autriche et, la semaine dernière, aux Pays-Bas. J’échange très régulièrement avec les pays du groupe de Visegrád et je me rendrai la semaine prochaine en Suède et dans les pays baltes.
Cet accord me paraît conditionné à deux points que nous devrons garder à l’esprit lors des négociations.
Premièrement, il nous faut sortir d’une logique de blocs. Trop souvent, par facilité ou par confort, nous décrivons l’Europe en opposant le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, les pays frugaux et les pays de la cohésion. Mais ces blocs n’existent pas réellement. On observe des nuances très fortes et tout à fait perceptibles entre les membres de ces fameux blocs dès lors que l’on se rend sur place et que l’on approfondit les échanges avec les entreprises et les syndicats. La réalité politique de l’Autriche n’est pas celle de la Suède. Les réalités économiques et sociales et l’expérience de la crise propres à chaque pays entraînent des besoins et des attentes différents.
La méthode que nous mettons en œuvre depuis trois ans avec le Président de la République repose sur la conviction qu’il n’y a pas de grands et de petits pays. Chacun doit pouvoir lever le bras pour finalement trouver un accord à l’unanimité qui respecte pleinement les intérêts de tous les États, de tous les pays, de toutes les situations.
Deuxièmement, nous sommes au début d’une crise économique historique inédite. Il nous semble essentiel de garder à l’esprit que les premières personnes concernées sont les salariés, les travailleurs, les entrepreneurs, les personnes sans emploi ou celles qui pourraient perdre leur emploi. C’est pour cela que je veille lors de chacun de mes déplacements à rencontrer les partenaires sociaux, les syndicats, les représentants d’entreprises, qui jugent unanimement ce plan de relance plus que jamais nécessaire.
Aucun pays ne dispose de clients et de fournisseurs uniquement sur son sol national. Le marché intérieur, qui a fondé notre prospérité, nous a rendus interdépendants. Nous devons aujourd’hui en tirer les conséquences.
Les partenaires sociaux mènent parfois le combat en avance de leur gouvernement pour faire comprendre que c’est dans leur propre intérêt comme dans celui des salariés et des entreprises que nous devons agir.
Nous devons garder à l’esprit que nous agissons d’abord et avant tout pour les salariés, pour les familles, pour ceux qui voient l’économie de même que leur avenir personnel se fragiliser.
Il est de notre responsabilité de convaincre. C’est pourquoi je tiens à partager avec vous les cinq messages que je fais inlassablement passer à nos partenaires.
Le premier concerne l’urgence. Nous avons une obligation de résultat pour les travailleurs, pour les entreprises. Ce plan de relance doit être opérationnel au 1er janvier 2021. S’il n’est pas prêt pour la relance, autant vous dire qu’il ne servira à rien.
Le deuxième vise la crédibilité. Le plan de relance doit inclure une part significative de dotations budgétaires, car c’est ainsi que nous avons créé l’Europe : chacun contribue en fonction de ses moyens et reçoit selon ses besoins. Nous estimons que ces dotations budgétaires doivent s’élever à 500 milliards d’euros, pas moins – tel est le compromis que nous avons trouvé avec l’Allemagne. Ce chiffre ne sort pas de nulle part : il correspond aux besoins en investissements tels que calculés par la Commission européenne secteur par secteur pour réussir à protéger l’emploi, mais également pour atteindre les objectifs que nous nous étions fixés avant la crise en matière de transition écologique et numérique.
Le troisième message a trait à la solidarité. Si nous réduisons la relance à un système de prêts, nous ne ferions qu’alourdir la charge pesant sur les pays les plus touchés et nous aggraverions davantage encore les distorsions au sein du marché intérieur. Je tiens à le dire très fortement : il est question non pas de mutualiser les dettes du passé, mais d’investir ensemble dans les régions, dans les filières économiques les plus touchées, et cela au bénéfice de tous les États membres.
Le quatrième message vise l’efficacité. Pour être efficace, ce fonds de relance doit être cohérent avec les politiques économiques nationales, qu’il s’agisse de réformes ou de plans de relance nationaux. Je parle bien non pas de conditionnalité, mais de cohérence, afin d’articuler pleinement ce plan de relance et le semestre européen avec les recommandations spécifiques par pays et les recommandations pour la zone euro : c’est un critère essentiel pour créer de la convergence économique et de la synchronisation dans nos réformes plutôt que de la compétition.
Nous devons à tout prix éviter de tomber dans un fonctionnement de type « troïka » qui ne serait pas adapté à la situation actuelle. L’efficacité de notre action collective et notre confiance mutuelle dépendront du respect de la souveraineté des États qui seront ensuite amenés à présenter leur stratégie.
Si nous voulons être efficaces, il faut aussi que nous soyons capables de dépenser rapidement les fonds qui vont être mis à disposition, en particulier quand ils passent par les programmes existants, comme en matière de cohésion. Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais votre intérêt – et vous le mien – pour la simplification de l’accès aux fonds européens. Ce point sera essentiel. Nous souhaitons que ce plan de relance soit un plan condensé et non pas dilué. C’est pourquoi Bruno Le Maire a rappelé hier à Berlin que nous voulions que les fonds soient consommés en deux ans, en 2021 et en 2022.
Si nous voulons être efficaces, il faudra aussi nous assurer de la bonne articulation du fonds avec le plan de relance national, afin d’identifier les secteurs et les projets qui pourront en bénéficier et de ne pas nous disperser.
Tous les acteurs devront se mobiliser, y compris les collectivités locales. Je sais votre connaissance fine des besoins de chacun de vos territoires. Il faudra nous pencher ensemble très rapidement sur la meilleure manière de nous assurer d’une consommation rapide des fonds mis à disposition. L’intérêt stratégique de la mission de simplification que nous menons avec les régions à la demande du Premier ministre n’en sera que plus fort.
Le dernier message que je porte est celui de la cohérence. Ce plan de relance et le budget européen 2021-2027 doivent être des leviers d’investissement pour une Europe plus forte, plus solidaire et plus souveraine.
La transition écologique et numérique, mais également la protection de la santé, l’autonomie en matière sanitaire, industrielle et agricole, doivent être au cœur de ce que nous aurons à financer. Pendant cette crise, la souveraineté agricole a été une chance pour chacun de nos pays.
C’est donc ainsi qu’il faut envisager ce paquet global. Nous ne devons pas opposer reconstruire et investir. Le budget européen et le cadre financier pluriannuel, ou CFP, doivent être à la hauteur des ambitions de long terme. Je pense en particulier à des enveloppes qui contribuent à notre souveraineté, telles que celle de la politique agricole commune dont le premier pilier permet de soutenir le revenu des agriculteurs et de les aider à réussir la transition écologique et environnementale. Je pense aussi au Fonds européen de la défense et aux programmes spatiaux, dont les montants doivent être rehaussés.
Cette cohérence doit aussi s’appliquer au financement de l’Union. Nous devons réformer notre système de ressources propres pour le rendre plus lisible, réduire dans le temps le coût du remboursement de l’emprunt commun et mettre notre financement en cohérence avec nos objectifs, notamment environnementaux.
C’est pourquoi nous demandons la fin du système des rabais, et la création, dès 2021, d’une contribution sur la ressource dite ETS, sur les permis d’émissions de CO2, et sur le plastique. Nous souhaitons également travailler dès les prochaines semaines et les prochains mois à la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières au cours de la période 2021-2027. Pour avoir participé au débat sur votre proposition de résolution européenne dans cet hémicycle, je sais combien ce sujet vous est cher, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous voulons également continuer d’explorer d’autres ressources, comme la taxe sur le numérique, mais également la taxe sur les transactions financières. Ces ressources propres sont au cœur de l’accord final, car elles nous permettront d’investir ensemble sans augmenter le coût des contributions nationales.
Pour conclure, je tiens à vous rassurer sur un point. Ce plan n’est pas fait en catimini. Il n’est pas antidémocratique, au contraire. Il vous reviendra, d’ici à la fin de l’année, de ratifier le système de ressources propres. Le Parlement européen aura aussi un rôle crucial à jouer dans l’élaboration du plan de relance national pour nos entreprises, nos territoires et nos citoyens. Vous pouvez compter sur mon engagement et sur celui de l’ensemble des membres du Gouvernement pour conduire avec vous cette mission.
Il me faut rapidement ajouter que la réunion de vendredi dernier a également permis aux chefs d’État et de gouvernement d’aborder la poursuite des négociations avec le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit, ainsi que le renouvellement des sanctions de l’Union européenne imposées à la Russie.
Vous le constatez, l’Europe avance, non pas pour elle-même, mais pour les Français. Je sais qu’en la matière je peux compter sur votre soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie des clarifications que vous venez d’apporter. Je tiens en préambule à vous rendre hommage pour votre opiniâtreté à honorer les responsabilités ministérielles qui vous sont confiées dans un contexte particulièrement complexe.
En vérité, comme nous pouvions nous y attendre, le Conseil européen qui s’est tenu vendredi dernier n’a pas vraiment permis d’aboutir à un accord. Nous adhérons bien évidemment au concept défendu par le Président de la République d’une Europe plus forte et plus souveraine, mais il y a encore loin des mots à la réalité.
Vous avez décrit le risque d’absence d’un accord. Or le constat est terrible : une fois de plus, l’Europe a fait étalage de ses divisions, alors que les modalités de réponse à la crise sont en débat depuis mars dernier. Une décision rapide était pourtant absolument nécessaire. On évoque aujourd’hui un possible compromis en juillet, voire à la fin de l’été, mais vous l’avez dit vous-même, le temps presse.
Après les annonces du mois dernier, qui laissaient espérer qu’une enveloppe de 750 milliards d’euros serait allouée au plan de relance, la déception serait bien grande si les États se révélaient incapables d’aboutir.
L’enjeu est économique, bien sûr, mais il est aussi politique, et il aura des conséquences sur la perception que nos concitoyens auront du rôle de l’Europe. La crédibilité de l’Europe est en cause. Si nous ne sommes pas capables de nous mettre d’accord aujourd’hui face à une crise d’une telle ampleur, quand serons-nous véritablement capables de faire avancer l’Europe ?
Y a-t-il eu des avancées lors de la réunion du Conseil de la part des pays dits « frugaux » ? Le Président de la République – vous l’avez dit – est en ce moment même aux Pays-Bas pour tenter de convaincre l’un de ces pays les plus réticents. Vous nous redirez peut-être au cours de la discussion quel est votre véritable sentiment sur les chances d’aboutir lors du prochain Conseil européen qui se réunira en présentiel dès le mois de juillet.
Par ailleurs, des travaux ont enfin démarré pour donner une boussole stratégique à l’Union européenne. Quelle belle priorité ! S’il s’agit d’une forme de revue stratégique, cette initiative est bienvenue. Mais sans moyens ambitieux, quelle sera la crédibilité de cette boussole ?
Avec 9,5 milliards d’euros, dont 8 milliards d’euros pour le Fonds européen de la défense, la défense européenne ne bénéficie pas de la relance. Quel contresens stratégique ! Nous avions pourtant la possibilité d’accompagner cette relance ô combien nécessaire.
Où sont les 17 milliards d’euros qui étaient proposés il y a seulement deux ans par la Commission pour le Fonds européen de la défense et pour la mobilité militaire ? Vous nous direz si le dernier Conseil européen permet d’espérer des avancées sur cette question.
J’évoquerai enfin la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Sous l’autorité de mon collègue Jean Bizet, je participe à un groupe de suivi qui entendra Michel Barnier jeudi prochain. Nous sommes très intéressés par cette audition, mais en vérité, nous sommes inquiets.
Les négociations avec la Grande-Bretagne sont dans l’impasse. La conférence de haut niveau entre les dirigeants européens et le Premier ministre Boris Johnson va-t-elle faire naître un espoir ? Rien n’est moins sûr !
Nous fêterons les dix ans des accords bilatéraux de défense de Lancaster House. Au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, j’appelle le Gouvernement à prendre une initiative forte de relance de la coopération franco-britannique dans le domaine de la défense. En effet, le Royaume-Uni est le seul partenaire qui fixe à la défense les mêmes objectifs et lui alloue les mêmes moyens que notre pays.
Le Sénat va s’y employer sur le plan parlementaire, car beaucoup de choses resteront à reconstruire avec le Royaume-Uni. Cette coopération doit rester au cours des prochaines années l’un des moteurs de la construction d’une défense européenne, à laquelle le Royaume-Uni a naturellement vocation à participer.
Madame la secrétaire d’État, tout en rendant encore une fois hommage à votre détermination, comprenez que nous doutions de cette volonté d’aboutir de la part d’un certain nombre de nos partenaires, même si nous espérons encore. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances.
M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en dépit des attentes élevées à l’égard du Conseil européen de vendredi dernier, les États membres n’ont pas réussi à progresser ni sur la détermination du prochain cadre financier pluriannuel ni sur la mise en œuvre d’un fonds de relance pour surmonter la crise actuelle.
Cet ordre du jour ambitieux s’inscrit au cœur des compétences de la commission des finances. En effet, celle-ci a examiné la semaine dernière, sur mon rapport, une proposition de résolution européenne sur ce sujet, devenue hier résolution du Sénat, présentée par le président Jean Bizet et Simon Sutour, au nom de la commission des affaires européennes.
Les débats au sein de la commission des finances ont souligné le caractère novateur de la proposition de la Commission européenne. Cette proposition, qui repose sur un couple formé par un CFP socle et un fonds de relance, présente deux avantages indéniables.
Premièrement, elle permet d’augmenter significativement la puissance de feu du budget européen sans peser à court terme sur les contributions nationales.
Deuxièmement, elle a le mérite de tenter de réconcilier plusieurs visions de cet attelage que constituent le CFP et le fonds de relance, en proposant que ce dernier intervienne majoritairement sous forme de subventions à hauteur de 500 milliards d’euros, mais pas uniquement, puisque 250 milliards d’euros de prêts pourront être octroyés. C’est donc une première forme de solidarité européenne qu’il est proposé de mettre en place pour traverser la crise que nous vivons, ce dont chacun se réjouit.
Toutefois, la commission des finances n’a pas donné de satisfecit tant les incertitudes et les points d’inquiétude demeurent nombreux.
Le premier d’entre eux concerne le calendrier des négociations. Alors que le Conseil européen de la semaine dernière a surtout permis de constater des désaccords déjà bien connus, le temps presse pour mettre la prochaine programmation financière sur les rails. Les négociations se sont ouvertes en 2018, avec l’objectif d’éviter des retards importants pour la mise en œuvre des programmes opérationnels en début de CFP tels que nous en avions connu en 2014.
Madame la secrétaire d’État, un accord entre les États membres en juillet vous semble-t-il à portée de main ? Dans le cas inverse, quelles mesures seraient alors prises pour assurer la continuité du budget européen ?
J’en viens au deuxième point d’inquiétude. La Commission relève que l’articulation du budget européen augmenté du fonds de relance et des plans de relance nationaux est cruciale pour assurer la reprise économique.
S’agissant des subventions prévues par la « facilité pour la reprise et la résilience », le calendrier de décaissement des crédits de paiement ne nous paraît pas adéquat. Le financement de la reprise doit intervenir dès le début du CFP. À cet égard, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter des précisions – vous venez de le faire en partie – sur les projets d’investissement et les secteurs de notre économie qui pourront bénéficier en priorité du fonds de relance européen ?
Notre commission s’est également inquiétée des modalités de remboursement de l’emprunt réalisé par la Commission européenne. À partir de 2028, deux pistes sont possibles : soit le remboursement est permis par la mise en œuvre de nouvelles ressources propres de l’Union, soit il repose quasiment exclusivement sur une hausse significative des montants des contributions nationales des États membres.
En la matière, rien n’est donc acquis. Or, en l’absence de certitude sur le remboursement dont devra s’acquitter la France, nous ne pouvons pas déterminer le taux de retour dont elle bénéficiera au titre du fonds de relance ni l’ampleur de la hausse à venir de sa participation au budget européen.
La Commission européenne semble placer beaucoup d’espoir dans l’introduction d’un panier de nouvelles ressources propres. S’il est évident que cette solution offre une porte de sortie à un débat politiquement sensible, je crois qu’il est nécessaire d’aborder la question avec lucidité : malgré votre bonne volonté, l’Union européenne sera-t-elle en mesure de se doter de nouvelles ressources propres d’ici à 2028 eu égard aux réticences historiques des États membres en la matière ?
Ces réticences portent notamment sur la proposition de création d’une ressource nouvelle reposant sur une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, ou encore sur celle de création d’une taxe sur le numérique. La Commission européenne a également proposé une taxe sur les grandes entreprises qui risquerait de peser sur le tissu économique européen.
De plus, les recettes de plusieurs des ressources proposées ont vocation par nature à diminuer à mesure que les pratiques de consommation et de production évoluent, telles que les recettes de la taxe sur les déchets plastiques, ou encore les recettes issues de quotas d’émissions de carbone.
La dernière inquiétude réside dans la progression du montant de notre contribution nationale à compter de 2021, et plus encore à compter de 2028. Dans un contexte de négociation marqué par le Brexit, les propositions initiales de la Commission européenne se seraient traduites par un ressaut de 6,9 milliards d’euros en moyenne par an. Cette hausse initiale n’incluant pas le remboursement du fonds de relance apparaît considérable compte tenu de la situation de nos finances publiques, encore plus dégradées à l’heure actuelle.
Madame la secrétaire d’État, en cas d’impasse sur le volet des ressources propres, quelle sera la part de remboursement annuel du fonds de relance assumée par la France à compter de 2028 ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen du 19 juin ouvre la voie à un tournant fondateur dans l’histoire de l’Union.
Si aucun accord n’en a malheureusement expressément résulté, il n’a donné lieu à aucune remise en cause fondamentale de l’architecture générale de la proposition de la Commission européenne qui articule un projet révisé de cadre financier pluriannuel et un instrument de relance temporaire financé par un emprunt de la Commission, au nom de l’Union. Le premier serait doté de 1 100 milliards d’euros et le second de 750 milliards d’euros.
Nous vivons ainsi un moment critique où se confrontent l’urgence de la crise entraînée par la pandémie de Covid-19 et le temps long de la construction européenne. Les Vingt-Sept s’accordent sur la nécessité d’apporter maintenant une réponse au choc économique provoqué par le confinement qui vient de prendre fin – ou quasiment –, et c’est heureux.
Or l’ampleur du choc et donc de la réponse à élaborer est telle qu’elle oblige à bousculer le cadre existant et conduit à échafauder un nouvel étage à l’édifice européen qui se construit dans la durée.
La dénomination du nouvel instrument de relance telle que proposée par la Commission illustre ce paradoxe : c’est un plan de relance pour aujourd’hui, mais il se nomme « Union européenne de nouvelle génération » car il engage l’Union sur trente ans. C’est en effet à cet horizon qu’est envisagé le remboursement de l’emprunt proposé.
On conçoit donc l’extrême défi auquel étaient confrontés vendredi dernier les chefs d’État et de gouvernement encore réunis en visioconférence. Dans ce contexte difficile, on peut se féliciter que le principe d’un endettement commun ait fait l’objet d’un consensus.
Sans doute ce moment n’est-il pas « hamiltonien » à proprement parler, puisqu’il n’est pas question que l’Union européenne reprenne les dettes des États membres dans un grand saut fédéral, mais il est certainement historique dans la mesure où les Ving-Sept envisagent de s’endetter ensemble pour le bien de l’Union. Ils reconnaissent ainsi leur attachement à la construction européenne et leur responsabilité commune envers l’avenir. C’est le fruit inattendu et « savoureux » de la crise profonde dans laquelle le virus a plongé notre continent. Il appartiendra ensuite aux Parlements nationaux, qui détiennent la souveraineté budgétaire, d’y consentir ou non.
Avant d’en arriver là, beaucoup de sujets restent à régler. Car, au-delà de l’architecture globale du projet, l’essentiel est semble-t-il d’optimiser cet effort financier pour qu’il fortifie réellement l’Union européenne et lui garantisse une autonomie stratégique sur la scène mondiale.
Concrètement, cela implique des arbitrages précis. Je pense d’abord à des arbitrages au service de la souveraineté alimentaire, qui repose sur nos agriculteurs. Ces derniers ont besoin de garder le soutien qu’ils reçoivent du premier pilier de la politique agricole commune et d’être accompagnés dans les sauts technologiques contribuant au verdissement des pratiques agricoles.
Ensuite, les arbitrages doivent servir la souveraineté industrielle, qui passe bien sûr par la relocalisation de chaînes de production stratégiques, comme en matière sanitaire, mais aussi par le déploiement des réseaux mobiles 5G dans des conditions de sécurité satisfaisantes, et par une protection suffisante de nos entreprises stratégiques contre les investissements directs étrangers.
Les efforts doivent également être orientés en faveur de la souveraineté spatiale : il faut consentir, pour la politique spatiale de l’Union, un effort budgétaire cohérent avec l’élan donné par l’Agence spatiale européenne – Jean-François Rapin suit cette question avec beaucoup d’attention.
La priorité doit aussi aller à notre souveraineté énergétique, dans le respect de nos ambitions climatiques, en donnant au projet ITER les moyens appropriés.
Enfin, il faut des arbitrages au service de notre souveraineté aux frontières, en donnant à l’agence Frontex les moyens de surveiller les frontières extérieures de l’Union, et au service de notre souveraineté en matière de défense, comme le rappelait le président Cambon : je sais que l’abondement adéquat du Fonds européen de la défense est une préoccupation que partage non seulement la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mais aussi l’ensemble du Sénat.
Tous ces éléments figurent dans la résolution européenne adoptée par le Sénat sur l’initiative de la commission des affaires européennes. Ce texte insiste aussi pour que l’effort budgétaire considérable qui est envisagé bénéficie bien à l’Union, ce qui suppose qu’il s’accompagne d’une modernisation de la politique de la concurrence, ainsi que d’une optimisation et d’une réactivité accrue de nos outils de défense commerciale.
Je sais que c’est « en marche », si je puis dire. En revanche, j’insiste sur la section 232, qui permet aux États-Unis d’être extrêmement réactifs. J’aimerais bien que l’Union européenne se dote du même outil.
Il reste aussi à s’accorder sur les modalités de mise en œuvre du plan de relance. Certes, le principe d’un emprunt de la Commission au nom de tous semble acquis, mais les modalités de mise à disposition des États membres des fonds ainsi levés, par le biais de prêts ou de subventions, demeurent un sujet de discorde. Il en est de même des modalités de remboursement de cet emprunt, qui impliquent la création de ressources propres.
Comment s’accorder sur un budget sans savoir comment il sera financé ? De ce point de vue, on peut comprendre la frilosité des États dits « frugaux », même si des considérations de politique intérieure expliquent en partie leurs postures, notamment en ce qui concerne les Pays-Bas.
Lors du débat préalable au Conseil européen, madame la secrétaire d’État, vous nous aviez annoncé vous rendre en Autriche et aux Pays-Bas : pouvez-vous nous indiquer si vos rencontres vous ont rendue optimiste sur la possibilité de vaincre les réticences de ces pays ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants, LaREM et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’épidémie de Covid-19 conduisant l’Europe, comme le reste du monde, au confinement de sa population affecte durement l’économie du continent : une récession attendue autour d’au moins 8,7 % pour la zone euro en 2020, une baisse des exportations de l’Union européenne estimée entre 9 % et 15 %, plusieurs millions d’emplois menacés. Selon les experts, nous serions face à la pire des crises connues en temps de paix. Aussi, nous sommes dans une situation d’urgence économique – c’est peu de le dire.
Cette situation exige plus que jamais l’exercice concret de la solidarité entre pays, un principe théoriquement gravé dans le marbre. Doit-on en effet rappeler aux pays dits « frugaux » l’article 3 du traité sur l’Union européenne, qui dispose que l’Europe « promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres » ?
Certes, les propositions de la Commission européenne concernant l’instrument de relance sont ambitieuses et, à ce titre, on peut comprendre qu’elles suscitent des crispations. Prévoir 750 milliards d’euros sous la forme de subventions et de prêts aux États membres les plus touchés par la crise sur le fondement d’un emprunt communautaire : osons le dire sans tabou, nous sommes sur la voie d’une dette européenne mutualisée.
Le RDSE salue cette avancée qui nous semble indispensable pour garantir la cohésion de la zone euro. L’heure n’est plus aux tergiversations. Comme l’a rappelé la semaine dernière la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), « plus vite le paquet sera adopté, mieux ce sera pour l’économie de l’Union ».
Même si l’on peut saluer l’esprit d’ouverture des Pays-Bas, de la Suède, du Danemark et de l’Autriche, nous savons que la répartition entre subventions et prêts les préoccupe. Pourtant, c’est bien à l’aune du niveau des subventions que sera jugée la capacité de l’Europe à garantir enfin un véritable soutien mutuel entre États membres.
Il faut donc s’en tenir à la proposition franco-allemande de 500 milliards d’euros sous la forme privilégiée de subventions. Déjà 540 milliards d’euros de prêts sont engagés au titre des premières mesures de soutien. Ajouter des prêts aux prêts n’aurait pas la même portée économique, car cela surendetterait les pays les plus exposés à la crise.
Madame la secrétaire d’État, nous savons bien ce que les « frugaux » vont mettre dans la balance : la conditionnalité des aides et le maintien des rabais. Si c’est le prix à payer pour obtenir un accord rapide et, surtout, le maintien d’un instrument reposant principalement sur des subventions, nous devrons nous y résoudre.
Cette fameuse question des rabais me conduit à revenir sur le prochain cadre financier pluriannuel auquel est adossé l’instrument de relance. Les mêmes pays ont demandé une révision à la baisse de son montant global. Sur ce point, madame la secrétaire d’État, quelle marge de manœuvre avons-nous ? La proposition de CFP du 27 mai est déjà assise sur un compromis. Raboter les 1 100 milliards d’euros sur la table ne permettrait pas de concilier les politiques traditionnelles et les nouvelles priorités.
Il a déjà fallu consentir des sacrifices dans certains domaines par rapport à ce que l’on aurait pu faire avec la proposition de la Commission européenne de mai 2018, laquelle – je le rappelle – prévoyait une enveloppe de 1 279 milliards d’euros.
Je pense en particulier aux moyens consacrés à la PAC et au développement rural. Certes, la dernière proposition de CFP renforce ce volet en prévoyant une enveloppe de 20 milliards d’euros, si l’on intègre le bonus tiré de l’instrument de relance, mais nous restons au-dessous du niveau du CFP en cours, alors que des filières agricoles, comme la viticulture ou l’horticulture, connaissent des difficultés considérables dans plusieurs États membres.
Avec 8 milliards d’euros, le Fonds européen de la défense est également sacrifié sur l’autel des économies, dans un contexte stratégique pourtant très sensible.
Par ailleurs, l’épidémie de Covid-19 impose une nouvelle priorité qu’il faudra doter de moyens : l’ébauche d’une Europe de la santé. Si l’organisation des systèmes de soins est une compétence exclusive des États, les traités ont toujours préconisé d’encourager un niveau élevé de protection de la santé des Européens. Nous voilà aujourd’hui face à cette nécessité. Je salue donc les efforts engagés en faveur du programme de l’Union européenne pour la santé dans le prochain cadre financier pluriannuel et au titre de l’instrument de relance, soit 9,4 milliards d’euros au total.
J’espère, en outre, que la politique européenne de la santé permettra de répondre à la question de la dépendance européenne à l’égard de l’Asie pour des biens aussi fondamentaux que le matériel médical et les médicaments. Le chantier est en tout cas ouvert ; on peut s’en réjouir.
Tous ces engagements, avec pour toile de fond la transition verte, à laquelle mon groupe souscrit naturellement, supposent un réel effort financier dans la durée. S’agissant de l’instrument de relance, si le remboursement du capital n’intervenait qu’à partir de 2028 pour trente ans, il faudrait néanmoins envisager rapidement de nouvelles recettes pour ne pas alourdir les contributions nationales dans un contexte qui conjugue récession, départ du Royaume-Uni et probable maintien des rabais.
Dans ces conditions, il faut aboutir rapidement à un accord sur un panier de nouvelles ressources propres. Lundi dernier, la commission des budgets du Parlement européen a une nouvelle fois demandé au Conseil de les mettre en œuvre.
Le dossier de la taxe sur le numérique semble faire son chemin. C’est une bonne chose, et mon groupe y est favorable, mais cette taxe ne rapporterait que 5 milliards d’euros, tout comme la taxe sur les déchets plastiques. Un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union européenne est aussi attendu.
Enfin, madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur la question du filtrage des investissements. L’Europe s’apprête à déverser beaucoup d’argent pour sauver son économie, dont une majeure partie sera orientée vers les entreprises. Dans cette perspective, il est fondamental de mettre en place un instrument pour protéger les marchés européens. Le mécanisme de filtrage émergera-t-il avant la fin de l’année ?
Mon groupe attend aussi beaucoup de la mise en œuvre de la stratégie de l’Union face à la Chine, qui a été publiée en 2019, mais qui peine à se concrétiser, comme l’ont constaté les dirigeants européens réunis sur ce sujet le 22 juin dernier.
Mes chers collègues, pour conclure, je rappellerai cette fameuse citation de Robert Schuman donnant le coup d’envoi à la Communauté européenne : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. » À l’aube de la plus grave crise économique qu’elle a connue, l’Union européenne a plus que jamais besoin d’unité et de solidarité. Mon groupe espère que tous les États membres seront au rendez-vous de ces deux principes fondateurs du pacte européen. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la vie en « distanciel » n’est pas la vie en « présentiel ». Et en politique, comme ailleurs, nous en faisons tous quotidiennement la délicate expérience.
Difficile, en effet, de faire une campagne de proximité en distanciel à l’occasion du second tour des élections municipales, qui aura lieu ce dimanche. Difficile également de mener une réunion de commission en visioconférence un tant soit peu dynamique, de garder toute son attention lors de marathons virtuels, qui nous conduisent parfois à participer à quatre ou cinq téléconférences dans la même journée.
En dehors des interférences dues à certains micros que l’on oublie de couper, finis la spontanéité des échanges, les petites pauses et les apartés informels, deux à deux, qui permettent souvent d’esquisser un début de compromis ou de rapprochement.
Dans le mot « distanciel » – cela ne vous aura pas échappé –, il y a le terme « distance ». Et s’il est vrai que la communication en distanciel permet bel et bien aux différents points de vue de s’exprimer, ce « cadre particulier de l’expérience », pour reprendre une expression chère au sociologue Erving Goffman, ne permet guère en revanche de construire une relation véritablement interactionnelle et authentiquement dialogique.
Que signifie, en effet, un silence dans un échange distanciel et médiatisé par les nouvelles technologies de l’information ? Approbation, désapprobation, réflexion, inattention ou, tout simplement, problème de transmission ou de réception ?
Cette délicate expérience du distanciel est celle que les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement, ainsi que les principaux dirigeants de l’Union ont pu vivre à l’occasion du sommet virtuel qui s’est tenu vendredi dernier. Mais cessons de geindre et de laisser croire que les maigres résultats qui ont résulté de cette réunion seraient le seul fait de la technologie employée.
Certes, la délicate question du prochain cadre financier pluriannuel et du plan de relance européen aurait peut-être pu connaître quelques avancées supplémentaires si ce Conseil avait eu lieu en présentiel. Mais rappelons quand même que les discussions autour du cadre budgétaire 2021-2027 durent depuis plus de deux ans et que, pour l’essentiel, elles se sont déroulées en présentiel, sans que le résultat final soit aujourd’hui clair, et ce à six mois à peine de la mise en œuvre effective de ce cadre.
Tout le monde le dit depuis deux semaines : ce Conseil européen ne pouvait être qu’un tour de chauffe, un round d’observation durant lequel les dirigeants des vingt-sept États membres ne feraient qu’exprimer leur avis sur cet audacieux projet de paquet budgétaire qui n’a – il faut le souligner – qu’un tout petit mois d’existence.
En dépit de cet étrange sommet « pour voir », il faut dire aussi que nos diplomaties respectives n’ont, en amont et en aval de celui-ci, pas chômé pour faire avancer les positions des uns et des autres. Parties à deux le 18 mai dernier, la France et l’Allemagne ont vite été appuyées par la Commission et suivies par une large majorité des États membres. Dans ces délais inaccoutumés à l’échelon de l’Europe, c’est déjà en soi un petit miracle…
Par ailleurs, et même s’ils formulent certaines réserves, c’est sans doute la première fois depuis plusieurs années que les pays du groupe dit de Visegrád ne sont pas au cœur de l’opposition à un procès d’approfondissement et de renforcement de l’Union européenne. Bel exploit !
Autre point positif, c’est l’Allemagne – elle prendra la présidence du Conseil le 1er juillet prochain – qui sera à la manœuvre lors des négociations finales sur ce grand paquet budgétaire. En outre, Mme la secrétaire d’État confirmera ou infirmera le fait que la présidence allemande devrait annoncer la tenue d’une seule grande réunion du Conseil en présentiel dans le courant du mois de juillet plutôt que de deux ou trois, comme on l’avait envisagé un temps : cela limitera probablement les risques d’une procrastination délétère de la part de certains États membres.
Ceux qui connaissent bien l’histoire de la construction européenne savent que les accords européens les plus importants ont toujours été conclus, par le passé, sous les auspices de la présidence d’un des grands pays membres de l’Union.
Au-delà des belles raisons d’espérer que je viens d’énoncer, on ne peut cependant pas occulter les actuels points de tension qui se font jour entre États membres, au premier rang desquels figurent les fortes réticences exprimées par les fameux pays dits « frugaux ». Peu ou prou, ces derniers contestent le recours à l’emprunt européen pour financer ce plan ou, tout au moins, la répartition entre subventions et prêts, qui penche actuellement nettement en faveur des premières.
Bénéficiaires de rabais sur leurs contributions nationales, ils refusent leur suppression en dépit du départ du Royaume-Uni. Ils insistent sur l’instauration de conditions contraignantes pour les pays qui devraient principalement bénéficier de ce plan de relance : un semestre européen plus exigeant et l’engagement d’importantes réformes structurelles par les pays bénéficiaires.
La question des ressources propres est centrale et même la clé de voûte d’un accord. Sans nouvelles ressources propres, le remboursement de la dette européenne risque, à terme, d’échoir principalement aux pays contributeurs nets au budget de l’Union. Et comme les décisions concernant les ressources sont adoptées tous les sept ans, à la fin de chaque cadre financier pluriannuel, un changement en profondeur dans ce domaine doit, selon les règles européennes, passer par la procédure législative spéciale, qui requiert l’unanimité du Conseil, la ratification du Parlement européen et celle des parlements nationaux.
Au sein du club des quatre « frugaux », les positions ne sont heureusement pas toutes aussi fermes qu’il y paraît à première vue.
La Suède et le Danemark pourraient être plus conciliants que l’Autriche et, surtout, les Pays-Bas.
Concernant l’Autriche, l’histoire des vingt-cinq dernières années, depuis son adhésion en 1995 à l’Union, montre qu’elle a souvent tendance à rallier au dernier moment son puissant voisin, l’Allemagne. De plus, cette dernière présidera l’Union à ce moment-là : elle pourrait trouver les mots justes pour la convaincre.
Le cas des Pays-Bas est plus délicat, car l’euroscepticisme est puissant dans l’opinion. Le Premier ministre, Mark Rutte, est actuellement à la tête d’une coalition assez hétérogène, qui ne dispose que d’un siège de majorité à la seconde chambre des États généraux.
Pour autant, les nouvelles du jour semblent laisser quelques espérances, si j’en crois un article paru cet après-midi dans un grand quotidien du soir. Le déplacement du Président de la République ce soir à La Haye pour rencontrer Mark Rutte n’est sans doute pas étranger à cette soudaine évolution. Bien sûr, et comme toujours dans une négociation européenne, il y aura certainement des concessions réciproques pour parvenir à un accord.
Madame la secrétaire d’État, vous êtes indubitablement combative, mais êtes-vous indubitablement optimiste quant à l’obtention d’un accord au sein du Conseil européen avant la fin du mois prochain ? Plus précisément, quelles sont les concessions acceptables qui vous semblent pouvoir être faites pour y arriver ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Claude Kern applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen était chargé d’adopter d’un même mouvement la nouvelle proposition de cadre financier pluriannuel et le plan de relance annoncé par Angela Merkel et Emmanuel Macron.
Ses résultats sont loin de correspondre aux élans d’enthousiasme vus ici ou là pour saluer l’étape historique que serait en train de franchir l’Union européenne face à la crise du Covid-19.
Certes, l’ampleur de la crise oblige les États membres, le Conseil et la Banque centrale européenne à réagir de manière inédite, faisant d’ailleurs voler en éclats des tabous budgétaires et monétaires qu’on nous disait indépassables il y a quelques mois encore.
Mais empêtrée dans son modèle compétitif et concurrentiel, arcboutée contre l’augmentation des dépenses sociales et publiques, sans lesquelles pourtant le désastre sanitaire aurait été plus grave encore, l’Union européenne affiche toujours les mêmes divisions, les mêmes concurrences et, surtout, la même incapacité à se projeter résolument dans un nouveau modèle solidaire, tourné vers l’avenir, le développement de la sécurité humaine et de la protection de la planète.
Un constat s’impose : aucun accord définitif n’a été trouvé au Conseil européen. On entre manifestement dans un marathon de négociations qui va durer tout l’été, et dont il faudra suivre les compromis successifs pour se faire une idée finale.
Première remarque : l’addition du CFP et du plan de relance masque les évolutions structurelles du cadre financier pluriannuel, globalement en recul, au détriment notamment de la PAC et des fonds de cohésion. On nous explique que le plan de relance fait davantage que compenser. Mais le maquis de l’accès aux nouvelles lignes budgétaires va encore se compliquer – et non se simplifier, madame la secrétaire d’État ! –, et les destinataires ne seront plus forcément les mêmes. Les inquiétudes persistent donc.
Deuxième remarque : même enrobé de déclarations ronflantes sur le caractère historique du plan de relance, le montant global de celui-ci reste très en deçà des besoins estimés. Ainsi, lors de sa dernière allocution télévisée, le président Macron a parlé de 500 milliards d’euros déjà engagés pour faire face à la crise rien que pour la France. Or on parle de 750 milliards d’euros pour toute l’Europe : on voit le gap, surtout quand on connaît les énormes besoins de notre pays et de ses voisins en termes de relance.
Troisième remarque : alors qu’une autre utilisation de la création monétaire serait nécessaire, une très grande majorité des mécanismes annoncés continue de recourir à l’endettement des États sur les marchés. Le problème du remboursement de cette dette restera plus que jamais devant nous et les plus fragiles seront tôt ou tard étranglés par la situation.
Si elle a accepté une part d’endettement mutualisée, Angela Merkel est loin d’avoir cédé sur les exigences imposées en retour aux pays créanciers. L’intégralité du plan de relance – on le dit peu – est soumise aux règles du semestre européen, dont on sait qu’il a joué un rôle important pour imposer aux États membres les politiques d’austérité si durement payées pendant la crise. Je pense notamment aux systèmes de santé publique ou au secteur de la recherche.
Il faudra inévitablement relancer – même si ce n’est pas l’objet de nos échanges d’aujourd’hui – le débat sur l’effacement progressif d’une grande partie de cette dette et, plus encore, sur une révision drastique de la politique monétaire de la BCE, si nous voulons donner réellement aux États membres les moyens d’investir massivement pour un changement de système et un futur modèle économique plus social, plus écologique, plus solidaire en Europe.
Quatrième remarque : qui maîtrisera vraiment les critères de distribution de ces énormes masses d’argent ? Aurons-nous un vrai débat, transparent, sur la gestion de ces fonds ou nous imposera-t-on une répartition dictée par les mécanismes budgétaires européens d’avant-crise ?
Par exemple, pour la santé et la recherche, qui devraient être des priorités absolues après ce que nous venons de vivre, les sommes restent modestes : le fonds Santé est doté de 9,4 milliards d’euros pour toute l’Union européenne, alors que les besoins excèdent cette somme sur la période pour notre seul pays.
La France ne doit-elle pas tenter de flécher avec plus de rigueur cet argent, afin de financer prioritairement le développement d’investissements publics dans la transition écologique des secteurs de l’énergie, des transports, notamment ferroviaires, de l’habitat, comme le propose la Convention citoyenne pour le climat, ou pour permettre aux TPE et aux PME, aux caisses de sécurité sociale et aux hôpitaux d’accéder à un crédit à taux zéro ?
Enfin, sur quels critères reposera le versement de l’argent distribué aux entreprises ? On voit déjà les limites d’un financement motivé par la seule prétendue course à la compétitivité.
Le dernier exemple en date est particulièrement scandaleux, madame la secrétaire d’État : c’est celui de Nokia. Présenté comme une solution européenne aux défis de la 5G, voilà un groupe auquel nous avons vendu Alcatel, qui est gavé depuis des années de subventions publiques et d’exonérations fiscales et sociales, et qui annonce la suppression de plus de 1 000 emplois dans le secteur de la recherche et du développement.
Madame la secrétaire d’État, l’entreprise Nokia bénéficiera-t-elle du plan de relance européen ? Qui va décider ? Sur le fondement de quels critères ? Où est l’ambition de souveraineté industrielle tant clamée ces derniers temps si un groupe continue de toucher de l’argent, alors qu’il annonce des suppressions d’emplois ?
En vérité, il faut revoir en profondeur tous les critères pour en finir avec un système de conditionnalité draconien pour les dépenses sociales et publiques et d’inconditionnalité pour les grands groupes, qui mangent aux deux râteliers : les subventions publiques, d’un côté, le dumping social et l’évasion fiscale, de l’autre.
Pour réussir la relance, il ne suffira pas de brandir des chiffres, aussi nécessaires soient-ils. L’enjeu est de savoir quel sera le modèle sur lequel s’appuiera le fonds de relance : le modèle compétitif du monde d’avant ou un nouveau modèle solidaire, dont la crise a révélé l’urgente nécessité. Nous avons malheureusement l’impression que tout cela est très mal parti. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Rémi Féraud applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai fait le rêve que, aujourd’hui, je prononçais ces mots : « Enfin, enfin, nous arrivons à une solution au sein de l’Union européenne ! C’est une véritable victoire pour nos peuples et notre destin commun. Nous venons de faire un pas important en faisant le choix de sortir vite et ensemble de cette crise. Nous ne pouvons que nous en réjouir et être fiers de nos accomplissements que l’histoire, j’en suis sûre, jugera à la hauteur de ce que nous venons de réaliser.
« Faire le choix de mutualiser notre dette, financée en partie par des ressources propres, bien construites, vertes, sociales et rétablissant l’équilibre recherché. Se mettre d’accord sur un budget européen puissant, donnant à l’Union les moyens de ses ambitions est un signe que cet espoir européen si nécessaire s’est réalisé. Les politiques historiques, tout comme les nouvelles priorités, seront financées de manière équilibrée.
« Ensemble, elles permettront aux citoyens européens d’avoir accès à une alimentation de qualité, de développer des projets dans nos territoires, de créer et de produire ensemble dans un tissu industriel innovant, d’agir pour notre protection commune, d’avoir accès à un numérique sain et encadré et, enfin, de vivre dans une Europe où l’impact sur la planète est mesuré, permettant aux générations futures d’entrevoir un avenir, qu’il y a quelque temps encore elles pensaient si sombre. L’Europe tient finalement le rôle de phare qu’elle se dessine depuis de nombreuses années.
« Enfin, nos relations futures avec les Britanniques seront claires et apaisées pour que nous contribuions ensemble à la progression du continent européen, à la construction et au respect de nos valeurs communes. »
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme j’aurais aimé pouvoir tenir ce discours ce soir ! Bien sûr, nous savions tous qu’il n’y aurait pas d’accord vendredi dernier. Le Conseil européen nous laisse tout de même espérer une issue favorable, tout en nous mettant en garde sur les difficultés qu’il reste à surmonter. Mais n’est-ce pas la définition même de l’Europe ?
Ce soir, cependant, l’Européenne convaincue que je suis souhaite tout de même murmurer ce rêve d’Europe, ce rêve qui est à réaliser demain. Demain, c’est désormais le sommet de la mi-juillet.
Une énième fois, mon discours reste le même : au nom de mon groupe, Les Indépendants, je soutiens un plan de relance juste et solidaire, qui permettra d’allouer subventions et prêts dans l’intérêt de tous. Je suis également en faveur de ressources propres, issues notamment d’une taxation du numérique, du plastique et du carbone, afin de financer cette relance, mais aussi le budget pluriannuel.
Concernant ce budget, nous sommes toujours en faveur d’un budget fort et équilibré entre les nouvelles orientations politiques de la Commission européenne et les politiques historiques : les unes ne peuvent aller sans les autres et la réciproque est vraie. Je veux rappeler que le temps presse si l’on veut qu’un accord soit effectif et que le budget soit opérationnel dès le début de l’année prochaine.
Comme nous l’avons tous fait, j’ai bien noté les difficultés auxquelles nous devons encore faire face. Des questions se posent en matière de mutualisation de la dette, de subventions, de répartition, d’ampleur du budget, ou encore de maintien des rabais, pour ne citer que ces sujets, et, je veux le dire, ces interrogations sont légitimes.
Nous comprenons les volontés, les enthousiasmes, les peurs, les résistances… et les calendriers aussi ! Mais il faut, pour certains, les dépasser, afin de trouver une solution équilibrée et positive pour tous les Européens. Personne ne peut être laissé derrière et personne ne pourra, seul, sortir grandi !
Dans un monde où les tensions s’accentuent, nous avons besoin d’une Europe forte. Nous devons retrouver une Europe sereine, juste et prospère, pour que les Européens, en plus de tirer fierté de leur modèle, puissent continuer à créer et vivre ensemble.
Je connais votre engagement européen, madame la secrétaire d’État, ainsi que celui du Gouvernement. C’est pourquoi je ne peux que vous assurer, ce soir, de notre soutien dans les négociations qui se profilent et souhaiter une réussite européenne.
Le président du Conseil européen, Charles Michel, pourrait proposer un plan de relance amendé lors de la prochaine rencontre, prévue dans le courant du mois de juillet. Quelles sont les lignes rouges pour la France ?
Les représentants des Pays-Bas et de la Suède ont déjà affirmé qu’un accord avant la pause estivale n’était ni probable ni forcément souhaitable. Quelle est la position de la France, compte tenu de la longueur du processus décisionnel en Europe, notamment de la nécessité de ratification par les États membres ?
Enfin, j’évoquerai simplement – s’il est possible de faire simple sur ce dossier – la question du Brexit.
Nous avons pris acte de la volonté du Premier ministre Boris Johnson d’évacuer ce sujet pour la fin de l’année. Je souhaite saluer le travail considérable du négociateur européen en chef, Michel Barnier, et de ses équipes.
Là encore, un accord a minima n’est pas envisageable. Un no deal, que nous voyons de nouveau se profiler, ne l’est pas davantage, même si nous devons nous préparer à cette éventualité.
Le dossier du secteur de la pêche est important, tout comme l’est la nécessité d’un accord global et de règles justes et équilibrées de libre concurrence entre les deux acteurs. La situation des citoyens européens et britanniques l’est tout autant, comme celle des entreprises.
Mais ne soyons pas naïfs non plus ! Nous devons faire de cette séparation un levier de coopération et de lutte conjointe pour la préservation de nos valeurs communes. Le Royaume-Uni reste notre allié et notre ami. Faisons en sorte que notre future relation repose sur des bases claires et nous permette de tisser de nouveaux liens dans le respect, à la fois, de l’Union européenne et du Royaume-Uni.
Madame la secrétaire d’État, les relations futures avec ce pays sont essentielles. Nous savons que la France se prépare à cette échéance, comme nous l’avons vu lors des discussions sur le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Quelles autres actions sont engagées et envisagées, dans les prochains mois, pour parer à toute éventualité concernant ce dossier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen de la semaine dernière avait pour principal objet la relance de l’économie européenne, en particulier l’examen de la proposition de la Commission européenne relative à un instrument budgétaire commun.
Certes, mais cela était attendu, le Conseil n’a pas abouti à un accord sur le plan de relance. Cependant, cette rencontre a montré que le dialogue est possible, malgré les différentes lignes de fracture traversant le continent.
Le maintien d’un dialogue constructif entre les dirigeants des Vingt-Sept est bien sûr essentiel sur le fond, mais également crucial sur la forme.
En effet, comme l’a rappelé le Président de la République, il serait dangereux de présenter à nos opinions publiques l’image d’une Union européenne désunie, en proie aux conflits ouverts, alors que l’Europe traverse des heures sombres et que les citoyens exigent des mesures fortes, rapides et claires.
Parmi les fractures européennes, la plus nette en l’espèce est évidemment celle qui partage l’Union européenne entre le Nord et le Sud.
Depuis plusieurs mois, nous voyons que les pays du Nord, pays « frugaux » en tête, campent sur leur position, en défendant un cadre financier pluriannuel limité à 1 % du PIB de l’Union européenne et la nécessité de coupler les aides économiques à des réformes structurelles.
En face, ceux du Sud, en particulier l’Italie et la France, plaident pour une véritable solidarité européenne, qui bénéficierait à l’ensemble du continent.
Le fait que Berlin s’entende avec Paris pour défendre une position alignée sur les souhaits de Rome, ou encore de Madrid, est en soi un événement. Il permet, en outre, de faire véritablement bouger les lignes entre Européens, ouvrant la voie à un accord.
Pour l’Alsacien et l’Européen que je suis, retrouver un couple franco-allemand ambitieux et force de proposition ne peut que constituer une excellente nouvelle, surtout après ce que nous avons vécu pendant le confinement ! Maintenant que la Commission européenne a fait globalement sienne la proposition commune de Paris et Berlin, il nous appartient de convaincre les plus réticents parmi nos vingt-cinq partenaires du bien-fondé de cette dernière.
Le cadre financier pluriannuel en discussion doit être adapté pour permettre à l’Union européenne de faire face aux conséquences de la crise que nous traversons. Nous espérons donc que l’accord sera conclu rapidement, dans l’intérêt de nos entreprises et de nos territoires.
Toutefois, au-delà du plan de relance et de ses modalités, nous serons attentifs à ce que ce cadre financier pluriannuel ne délaisse pas pour autant les politiques traditionnelles de l’Union européenne, en particulier la politique agricole commune.
Les agriculteurs ont fait la preuve de leur résilience durant la crise et surtout, s’il en était besoin, de leur rôle absolument essentiel pour notre société. Si l’Europe n’a pas connu de pénurie, malgré le confinement pratiquement généralisé du continent, c’est grâce à eux ! Je souhaite, à ce titre, les saluer.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! Doter l’Europe des moyens de sortir de cette crise plus forte qu’elle n’y est entrée : voilà l’enjeu des discussions qui doivent se poursuivre cet été ! Les propositions de la France sont à la hauteur de son histoire et à la hauteur du moment. Gageons qu’elles sauront être entendues à Bruxelles ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Si l’on en croit les propos des uns et des autres, pour certains, tout est merveilleux ; pour d’autres, rien n’a changé ! Je fais partie de ceux qui pensent que l’Europe n’est pas une construction manichéenne et, lorsqu’à l’occasion des élections européennes on m’interrogeait pour savoir si j’étais une euro-optimiste ou une euro-pessimiste, je répondais tout simplement : une euro-réaliste.
Si vous le permettez, madame la secrétaire d’État, je voudrais donc en toute modestie, au nom de mon groupe, évoqué ce qui, à nos yeux, montre que les lignes ont bougé et ce qui, posant plus de problèmes, nous apparaît comme des points de vigilance que nous souhaiterions vous soumettre.
Oui, nous saluons la proposition formulée par la Commission européenne, dans la prolongation de l’initiative franco-allemande. Même si nous considérons que le plan de relance reste en deçà de la gravité de la crise et des menaces pesant sur l’économie européenne, il n’empêche qu’il innove, dans sa conception comme dans ses modalités.
Ainsi, on y trouve des subventions, et non simplement des prêts, et ce dans une proportion atteignant tout de même les deux tiers. Il s’agirait d’une première expérience significative de mutualisation des dettes à l’échelle européenne, ce qui est totalement nouveau.
En outre, lorsque, au-delà d’une certaine date, on en viendra à parler des remboursements, il pourrait ouvrir la voie à l’instauration de nouvelles ressources propres, un sujet trop souvent négligé dans les négociations budgétaires européennes.
Ce plan a donc le mérite de marquer un pas qualitatif dans l’approche budgétaire européenne. Pour nous, il a deux vertus.
La première vertu, c’est que la proposition entérine le principe de solidarité financière européenne. Johannes Hahn, le commissaire européen chargé des questions budgétaires, l’a bien précisé lorsqu’il a évoqué le fait de se donner « la force de solidarité nécessaire pour soutenir les États membres et l’économie. »
La seconde vertu, c’est que le plan de relance entérine la nécessité d’une cohésion sociale et d’une lutte contre les inégalités. La crise sanitaire a révélé des inégalités croissantes, des déficits dans le tissu social et des difficultés rencontrées par les États dans leur rôle de cohésion sociale, du fait des contraintes imposées par le cadre économique et budgétaire. La relance européenne, qui, comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, entend s’appuyer sur le pacte vert et les stratégies du numérique, doit nécessairement s’accompagner d’un projet social et inclusif, capable de créer les nouveaux emplois indispensables pour retrouver un équilibre.
Cela étant, le plan comprend trois éléments qui, s’ils présentent un intérêt, doivent à nos yeux être renforcés. Il s’agit du régime européen de réassurance chômage, le fameux SURE, qui propose un soutien à court terme – c’est relativement nouveau, aussi, dans le référentiel européen ; des ambitions affichées en matière d’équité des salaires minimaux et de contraintes de transparence salariale ; de l’intensification de la lutte contre l’évasion fiscale, qui aidera les États à créer des recettes.
J’en viens maintenant aux aspects qui, pour nous, doivent appeler à une certaine vigilance.
Premier point de vigilance, qu’en est-il réellement de la capacité du Conseil européen à jouer la solidarité européenne ?
Nous avons pu observer votre pugnacité – je la dirais éclairée, et pas béate – dans le cadre d’une négociation européenne qui, effectivement, n’est jamais manichéenne et doit se travailler à long terme. Nous voyons bien que certains États contributeurs nets, que l’on nomme les « frugaux », peuvent consentir à ce que la Commission européenne emprunte, mais ont beaucoup de mal à accepter que cet emprunt soit fléché, non pas vers des États, mais vers une communauté. On sent que cette évolution n’est pas acquise, même si, comme le gouvernement néerlandais l’a rappelé, c’est une base de négociation.
Se pose aussi la question de la conditionnalité de l’accès aux fonds, avec, toujours, ce référentiel européen qui revient depuis le traité de Maastricht. On peut voir, sur cette question, une ou des injonctions paradoxales : certaines approches privilégient la mutualisation, comme vecteur de la solidarité européenne et de l’interdépendance entre les États, quand d’autres l’enchaînent au dogme de la dette, alors même que le pacte de stabilité a été suspendu.
Deuxième point de vigilance, la revendication d’une reconquête d’une souveraineté économique industrielle, nationale et européenne, ne risque-t-elle pas de tomber, très vite, dans le registre incantatoire ?
Je voudrais citer plusieurs exemples.
Premier exemple, la politique commerciale commune. Nous souscrivons à la révision de cette politique. Mais que signifie « défendre une autonomie stratégique ouverte » ? Il y a là, aussi, une injonction paradoxale, avec une problématique d’articulation entre la politique commerciale – pour faire plaisir à notre président de la commission des affaires européennes, j’évoquerai la section 232, pour laquelle il a une véritable obsession – et la politique de concurrence.
Autre exemple, la question de la souveraineté technologique, qui a fait irruption dans le débat politique à la suite de la crise sanitaire. La pandémie, effectivement, a fait voler en éclats la démarcation traditionnelle entre secteurs public et privé dans la gestion des réseaux et des plateformes numériques. Elle accélère, d’une certaine manière, le changement de mains de pans entiers de l’économie, comme on a pu le constater sur le dossier du tracking – le chemin emprunté par la France pour cette technologie est devenu bien solitaire…
Autre exemple, encore, la souveraineté alimentaire et l’affirmation d’un nouveau modèle agricole. Certes, le plan européen induit notamment un renforcement du Fonds européen agricole pour le développement rural, le Feader, dont on sait qu’il est essentiellement destiné à la transition écologique et aux mutations structurelles du secteur rural. Mais le cadre financier pluriannuel ne propose pas vraiment de soutien clair et visible à ces mutations.
Dernier exemple, la nécessaire refondation d’une politique de recherche industrielle et de contrôle des investissements étrangers, ces derniers induisant des mutations dans la politique de concurrence. La commission des affaires européennes ayant récemment auditionné la commissaire européenne chargée de la concurrence, nous nous sommes bien rendu compte d’une certaine ambiguïté dans ce domaine, entre l’évolution vers un nouveau modèle et la tentation d’un retour à une politique des années 1950 – on connaît le cadre dans lequel elle a été inventée et on sait à quel point elle ne correspond plus aux réalités d’aujourd’hui. D’ailleurs, la commissaire n’a pas su répondre à la question de savoir si un patient était un consommateur…
Troisième et dernier point de vigilance – vous l’avez abordé dans vos propos, madame la secrétaire d’État ; assez logiquement, on ne le retrouve pas dans le plan, mais c’est un point important –, qu’en est-il de la territorialisation de cette politique industrielle et de cette relance économique ?
Je reste convaincue, comme d’autres, que l’innovation provient des territoires et, donc, qu’il faut d’une certaine manière articuler la dimension territoriale et la dimension de la solidarité européenne.
En conclusion, qui connaît un peu l’histoire européenne sait que toutes les crises ont fait avancer l’Europe. Si, aujourd’hui, nous disposons d’une politique régionale et de fonds structurels, nous le devons aux Britanniques, qui avaient marchandé, au début des années 1970, l’acceptation de la politique agricole commune contre une politique industrielle venant en soutien à certaines régions désindustrialisées. Si, aujourd’hui, nous avons l’ébauche d’une Europe sociale, nous le devons aux pays nordiques, tout comme nous leur devons de savoir ce qu’est une politique des consommateurs en Europe.
Chaque crise a donc apporté des progrès en matière européenne, mais, là, nous faisons face à une crise beaucoup plus systémique et fondamentale, atteignant l’économie réelle comme jamais. C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, nous vous demandons de faire des points de vigilance que j’ai tenté d’exposer de véritables axes prioritaires. Gardez cette pugnacité éclairée, mais essayez de mettre un peu d’humanité dans la position française ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire a pris l’Europe de court. Sur un continent déjà en proie au doute, après l’effondrement de la Grèce, la crise migratoire, la vague de terrorisme, le Brexit, les tensions au voisinage immédiat – Ukraine, Syrie, Libye et Méditerranée orientale –, il faut probablement retenir de cette pandémie un certain nombre de leçons, faute de quoi ce plan de relance espéré ne ferait que prolonger artificiellement la vie du « malade européen » au prix d’un endettement lourd.
Cette pandémie, c’est d’abord, je crois, la fin d’une illusion. L’Union européenne n’est pas une bulle prospère, protégée du monde par la seule vertu du droit et des valeurs. On peut le regretter, mais c’est ainsi. Elle est interdépendante, au contact d’un monde en crise et en compétition. Ce n’est pas un monde de « Bisounours », pour reprendre le terme récent d’Hubert Védrine.
La question de la sécurité des frontières reste primordiale. Les Européens ne devront plus tergiverser pour les fermer en cas de besoin. À ce titre, la reprise de l’épidémie en Chine appelle à la prudence. Soyons réalistes et mesurons l’accroissement des risques sanitaires, environnementaux ou géopolitiques !
La probabilité de récurrence d’événements graves devrait s’accroître et aujourd’hui, à tort ou à raison, là aussi, aucun citoyen ne répond spontanément que l’Europe protège. Or, dans le monde de demain, il faudra peser.
Même si on peut le déplorer, il nous faut intégrer le durcissement des relations internationales, qu’elles soient politiques ou économiques, y compris dans nos rapports avec certains de nos alliés extracommunautaires et, en retour, très probablement, durcir notre posture.
La relance massive de l’économie européenne ne servira à rien si elle ne s’accompagne pas d’un changement d’état d’esprit. Partout ailleurs, lorsque les intérêts sont menacés, les États n’hésitent pas à préserver leurs filières et leurs entreprises : préférences, mesures douanières, extraterritorialité du droit, etc.
Dans ce contexte, l’Union européenne continue à présenter l’ouverture de son marché sous un seul jour bénéfique. Pourtant, le partenariat transatlantique, le Mercosur, les accords avec le Canada, la Nouvelle-Zélande ou l’Australie ont fini par susciter de vives inquiétudes, notamment en France, tant des consommateurs que des filières agricoles. L’Union européenne poursuit néanmoins sur cette voie, avec un accord commercial avec le Mexique, au moment où chacun aurait pu penser que la crise sanitaire amènerait à envisager la mondialisation autrement.
Dans les domaines sanitaire ou militaire, notamment, l’approbation par la France de l’axe franco-allemand ne doit pas emporter pour seule conséquence le renforcement des groupes industriels allemands. Il faut créer les conditions en France d’une réindustrialisation et mieux protéger les entreprises des prédations étrangères, en particulier extraeuropéennes, afin que le concept d’autonomie stratégique ne reste pas un vain mot.
Sur le plan environnemental, l’engagement de l’Union européenne en faveur du climat et des énergies renouvelables ne doit pas conduire à s’enfermer dans un choix entre les éoliennes chinoises ou allemandes.
Les actions en vue d’améliorer la résilience des systèmes de santé, d’accroître la promotion de l’innovation dans le secteur de la santé en Europe sont bienvenues, mais pourront-elles faire pièce aux moyens considérables des routes de la soie de la santé chinoises et limiter notre dépendance à la Chine pour certaines molécules ou certains équipements sanitaires ?
La somme des événements récents doit aussi amener un tournant pour l’Europe de la défense. Aux États-Unis, l’industrie de défense ne s’est pas arrêtée pendant l’épidémie et elle bénéficie d’un plan colossal de soutien, quand le budget du Fonds européen de la défense donne lieu, lui, à d’inquiétants atermoiements. En réalité, il sert de variable d’ajustement !
MM. Jean Bizet et Christian Cambon, président de la commission des affaires européennes et président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Pascal Allizard. Une chose est sûre, les crises et dysfonctionnements des dernières années ont conduit – je le déplore – à une défiance à l’égard de l’Union européenne.
Compte tenu, d’une part, de la réaffirmation des grandes puissances et des acteurs régionaux, d’autre part, du montant des dettes engagées pour surmonter la crise sanitaire en Europe, nous ne pouvons pas, madame la secrétaire d’État, nous payer le luxe d’échouer. Ce serait à la fois déplorable et dangereux.
L’Europe, c’est vrai, n’est pas parfaite ; elle doit être adaptée à ces nouveaux paradigmes. C’est, je crois, non pas aux hauts fonctionnaires européens de le faire, mais bien aux États qui la composent d’en être les moteurs. Si cette crise doit amener un progrès, c’est peut-être celui-là ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sommet qui s’est tenu vendredi dernier a donné lieu à des réactions ambivalentes. Il a été qualifié de première étape importante par certains, d’échec par d’autres. Une fois encore, la vérité se trouve sans doute entre les deux positions.
En effet, ce sommet entérine un changement de lignes sur notre continent.
Tout d’abord, il témoigne du retour d’un couple franco-allemand à l’initiative, donnant une impulsion politique nécessaire face à la menace existentielle de lignes de fracture irréconciliables qui s’étaient esquissées, en mars, entre le nord et le sud de l’Europe.
Ensuite, si le plan de relance, post-crise sanitaire, mais pré-crise économique, a été discuté pour la première fois et s’il est encore loin de faire l’unanimité, il marque un tournant majeur dans l’intégration du continent : celui de l’emprunt commun. Face à une crise imputable à personne, mais affectant tout le monde, la logique d’une dette mutualisée permet de casser la logique de blocs qui empoisonne les discussions européennes, tout en traduisant une souveraineté commune, sur laquelle je reviendrai.
S’agissant du cadre financier pluriannuel, je partage pleinement la position du Parlement européen : de nouvelles ressources fiscales propres à l’Union européenne permettant d’alléger les contributions des États membres sont indispensables.
Plusieurs pistes sont à l’étude, et ce depuis de nombreuses années déjà. Il reviendra aux chefs d’État de trancher afin d’avancer. Je défends, pour ma part, la position, adoptée par le Sénat le 14 janvier dernier, d’une taxe carbone aux frontières, mais je suis également favorable à un élargissement des recettes collectées sur le marché du carbone européen, ou encore à une taxe sur les transactions financières, mesure également défendue par le Sénat depuis 2013.
Madame la secrétaire d’État, concernant ce cadre financier et face aux nombreux sujets de désaccord, le maintien des rabais sera-t-il une des solutions pour, finalement, aboutir à un accord avant la fin de l’année ?
Enfin, plus généralement, face à la crise sanitaire, l’Union européenne a choisi de se mettre en retrait, qu’il s’agisse de la suspension des règles budgétaires et du droit de la concurrence, du rétablissement des frontières, ou encore de la suspension des principales libertés publiques. Les États-nations ont dès lors recouvré leur souveraineté pour répondre à l’urgence de la crise.
Mais face à la crise économique, il nous faut désormais investir à l’échelon européen une souveraineté nouvelle : commerciale, en filtrant les investissements dans les secteurs stratégiques ; industrielle, en développant des projets importants d’intérêt européen commun ; stratégique, en s’affirmant comme un pôle d’équilibre entre les États-Unis et la Chine.
À ce titre, madame la secrétaire d’État, alors que l’Europe et la Chine affichent l’ambition partagée d’un accord bilatéral sur la protection des investissements, quels sont les points d’attention de la France concernant un tel accord ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les chefs d’État et de gouvernement européens étaient réunis ce vendredi pour discuter du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, censé aider le vieux continent à sortir d’une récession historique.
Comme il fallait s’y attendre, ce Conseil européen a une nouvelle fois mis au jour les profondes divergences entre les Vingt-Sept sur ce sujet. Les discussions achoppent toujours sur les modalités concrètes d’application de ce plan, que ce soit son volume total, la répartition des sommes, ou encore la nature des aides.
Les discussions n’ont pas non plus beaucoup progressé concernant le prochain cadre financier pluriannuel pour la période couvrant les années 2021 à 2027.
Quand les pays dits « frugaux » souhaitent une baisse importante du budget des politiques traditionnelles et s’accrochent à leurs rabais, les autres pays, dits « amis de la cohésion », plaident au contraire pour un budget ambitieux et doté de ressources propres pour éviter les coupes envisagées dans le budget de la cohésion et de la politique agricole commune.
À propos de cette dernière, saluons la majoration de 4 milliards d’euros sur le premier pilier et de 5 milliards d’euros sur le second, auxquels devrait s’ajouter un abondement de 15 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance.
Cet effort sera toutefois loin de compenser la baisse de 8 % à 10 % du budget de la politique agricole commune en euros constants. Les Européens ne semblent toujours pas avoir pris conscience de l’importance stratégique de leur agriculture, alors même que celle-ci a démontré toute sa capacité à assurer l’approvisionnement alimentaire de 500 millions de consommateurs au plus fort de la crise !
À l’heure où l’on parle de relocalisation et de souveraineté retrouvée, n’oublions pas que le secteur agricole est l’un des rares domaines dans lesquels notre pays a gardé une réelle capacité à produire !
N’affaiblissons pas notre souveraineté alimentaire par des décisions hasardeuses, comme la proposition incompréhensible de la Commission européenne de baisser de 10 % la superficie des terres cultivables en Europe et, donc, en France.
Pour revenir à l’instrument de relance au centre des discussions des Vingt-Sept, plusieurs propositions doivent être saluées, comme la création d’un nouveau programme de santé, EU4health, doté de 7,5 milliards d’euros et destiné à renforcer la sécurité sanitaire et à anticiper les futures crises.
La concentration des engagements de dépenses sur une période courte – 2021-2024 – est également un choix bienvenu ; elle soulève néanmoins des enjeux importants en termes de capacité de mise en œuvre, d’ingénierie et d’absorption des fonds.
Ne reproduisons pas la technicité de la politique de cohésion, qui aboutit souvent à une sous-consommation des fonds européens.
Enfin, la question des ressources propres de l’Union est un sujet majeur. La Commission souhaite les développer pour soulager les budgets nationaux et rendre le budget européen moins dépendant des contributions des États membres. Mais elle doit encore clarifier ses propositions et, surtout, veiller à maîtriser l’imposition globale pesant sur les ménages et les entreprises.
N’ajoutons pas encore à l’overdose fiscale qui touche beaucoup de pays européens, à commencer par la France.
L’Europe doit s’atteler rapidement au projet de barrière écologique aux frontières de l’Union européenne, comme l’a réclamé le Sénat dans une récente résolution soutenue par nos collègues Jean-François Husson et Bruno Retailleau.
En taxant les produits provenant de pays qui s’affranchissent de toute réglementation environnementale, nous renforcerons la compétitivité de nos entreprises et de nos agriculteurs, soumis à des normes beaucoup plus exigeantes que leurs partenaires commerciaux.
Pour conclure, mes chers collègues, je veux dire que les chefs d’État et de gouvernement se retrouveront en juillet pour tenter de débloquer la situation. Il y a urgence, et vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État. Un échec des négociations serait désastreux : politiquement, il alimenterait les tendances nationalistes ; économiquement, il aggraverait encore la récession et la hausse du chômage. Les Européens sont donc condamnés à réussir, sous peine de discréditer définitivement le projet européen.
Car l’Europe traverse depuis dix ans une succession de crises qui ont montré ses fragilités et ont accru la défiance des opinions publiques envers la construction européenne : crise économique et financière, crise sécuritaire avec la résurgence des attentats terroristes, crise migratoire, crise sanitaire.
Nos pays étant interdépendants, chacun doit prendre conscience que la bonne santé économique de tous est dans l’intérêt de chacun !
Le prochain Conseil européen de juillet devra donc incarner cette indispensable solidarité européenne et montrer à nos concitoyens que l’Europe est capable de les protéger, enfin. Pour cela, elle doit réussir à dépasser ses divisions pour se hisser à la hauteur des enjeux auxquels notre continent doit aujourd’hui faire face. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà près de soixante-dix ans que l’intégration européenne se poursuit et que les divers pays du continent européen collaborent, coopèrent et créent des liens toujours plus étroits.
La construction européenne n’a cependant pas toujours été aisée et a connu son lot de complications.
L’Union a traversé plusieurs crises, et nous ressentons encore aujourd’hui les effets de certaines d’entre elles. Mais, même s’il n’a pas toujours été facile de trouver des solutions satisfaisantes pour tous, l’Union européenne a jusqu’à présent réussi à les dépasser.
Avec l’arrivée de la pandémie sur le territoire européen, nous sommes de nouveau confrontés à une crise majeure, risquant d’ébranler le modèle européen. Et si nous voulons nous en relever, une réponse forte et coordonnée est nécessaire.
Cette collaboration a permis de faire aujourd’hui de l’Union européenne la deuxième puissance économique mondiale, et il faut tout mettre en œuvre pour la maintenir à ce niveau, pour le bien de l’Union comme de la France.
Mais si l’économie est une part essentielle de sa construction, l’Union européenne représente aussi le partage de valeurs et de principes démocratiques, d’entraide et de solidarité.
Le respect de ces valeurs sera essentiel pour maintenir ce qui a été construit jusqu’à présent. Il n’est pas possible, au regard de l’ampleur de la crise, de s’en sortir sans pouvoir compter sur nos partenaires européens, mais également sans qu’ils puissent compter sur notre soutien.
Ainsi, la proposition de la Commission européenne d’adosser au cadre financier pluriannuel un instrument de relance, outil de redistribution et de solidarité, composé de 500 milliards d’euros de subventions et de garanties qui ne devront pas être remboursés, ainsi que de 250 milliards d’euros distribués sous forme de prêts, est une solution forte et satisfaisante, qui reflète ces principes sur lesquels l’Union européenne s’est bâtie.
Des divergences entre les États membres se font pourtant sentir, et pour certains, dits « frugaux », l’absence de remboursement n’est pas envisageable. Ils estiment l’émission de prêts plus adaptée ou souhaitent voir ces subventions assorties de conditions, tel que cela avait été mis en place pour les pays en difficulté lors de la crise des dettes souveraines.
Émettre uniquement des prêts ne me semble cependant pas envisageable, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État.
Assortir la distribution des subventions de conditions relatives au respect des priorités de la Commission – numérique, écologie, amélioration de la compétitivité économique – rappelle cependant de mauvais souvenirs aux pays ayant dû par le passé se plier à de nombreuses exigences, afin d’obtenir des prêts.
En outre, la facilité pour la reprise et la résilience s’intégrera dans le cadre du semestre européen, ce qui impliquera en tout état de cause un dialogue exigeant entre les États membres et l’Union.
Nous le savons, aucune proposition ne pourra pleinement satisfaire tous les États membres. Mais il est urgent de trouver une solution si nous souhaitons conserver la confiance des marchés financiers et éviter d’attiser un rejet massif du modèle européen par nos concitoyens, doutant de l’efficacité de l’Union.
Par ailleurs, il est important de rappeler que les États-Unis prévoient un plan de relance trois fois plus important que le nôtre. Si nous ne parvenons pas rapidement à un accord, de grands groupes américains pourraient alors en profiter pour acquérir de larges parts de marché en Europe.
Il devient donc de plus en plus impératif de trouver un compromis. Mais il faut aussi apprendre des erreurs du passé, et ne pas les reproduire.
Ainsi, des conditions trop strictes ne me semblent pas envisageables. Il serait toutefois intéressant, afin de parvenir le plus rapidement possible à un accord, de consentir à poser certaines conditions, sans qu’elles soient trop lourdes pour les États, comme cela a pu être le cas par le passé. Ainsi, madame la secrétaire d’État, j’aurais aimé connaître votre position au sujet de cette conditionnalité des subventions.
Par ailleurs, j’évoquerai le sujet de la défense.
La semaine dernière, l’Union européenne a sélectionné seize projets pour soutenir le développement des capacités de la défense et trois projets consacrés aux technologies de rupture qui seront menés à l’échelle paneuropéenne. Ceux-ci bénéficieront ainsi d’un financement à hauteur de 205 millions d’euros. C’est un pas important, et l’on peut s’en réjouir. Pourtant, dans les discussions sur le cadre financier pluriannuel, le Fonds européen de la défense apparaît toujours comme une variable d’ajustement.
En février dernier, Gisèle Jourda et moi-même avions présenté une proposition de résolution européenne qui soulignait la nécessité, si l’on veut réellement assurer l’autonomie stratégique de l’Union et renforcer sa base industrielle et technologique de défense, de doter ce fonds à la hauteur initialement prévue. La nouvelle proposition de CFP présentée par la Commission est, à cet égard, décevante. À l’issue de ce Conseil européen, madame la secrétaire d’État, pensez-vous encore possible de relever de manière significative les crédits consacrés au Fonds européen de la défense et, si oui, quelle est votre cible ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Avant de répondre à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous faire part d’un sentiment. Au fond, ce débat a quelque chose d’un peu d’étrange : à droite comme à gauche, vous avez les uns et les autres oscillé entre une bonne dose de déception, considérant que les choses auraient pu aller plus vite, et une forme de pessimisme, considérant que nous n’y arriverions pas.
Plusieurs d’entre vous ont souligné que nous étions pugnaces et déterminés. C’est en effet le cas, et il faut vraiment beaucoup de détermination, de persévérance et de courage pour, comme l’a fait depuis maintenant trois ans le Président de la République, convaincre successivement la Chancelière, la Commission, une majorité d’États membres et le Parlement européen et parvenir à mettre sur la table ce plan de relance solidaire, ambitieux, qui répond à nos besoins.
Nous avons parcouru un long chemin. Voilà quelques semaines, nous nous demandions encore si un plan européen verrait le jour, si une réponse solidaire allait être apportée. L’idée d’un endettement commun, qui est désormais reconnue par tous comme possible, n’était même pas sur la table ! Force est de reconnaître que le déblocage de 500 milliards d’euros de subventions budgétaires est déjà en soi une réussite.
Faire adopter un tel plan de relance en quelques jours, ce n’est pas crédible. Le confinement est entré en vigueur en France le 16 mars et nous sommes aujourd’hui le 23 juin, trois mois après le début d’une crise inédite : l’Europe n’a jamais avancé aussi vite. Le rythme est peut-être encore trop lent, mais il faut rester lucide.
Je veux maintenant aborder une question non pas rhétorique, mais hautement politique. Les uns et les autres, vous avez dit que les Français exprimaient de la défiance à l’égard de ce projet européen. Pour moi, la clarté est la seule manière de combattre cette défiance, et chacun doit donc marquer très clairement son soutien politique ou son opposition à ce plan de relance.
Je le dis avec un peu de passion parce que j’ai entendu, à droite, François-Xavier Bellamy, président de la délégation française au sein du groupe PPE, ou Geoffroy Didier, auditionné tout à l’heure par l’Assemblée nationale, exprimer très explicitement leurs doutes, leurs suspicions permanentes sur ce que nous faisons, parlant même de fédéralisme au sujet de ces ressources propres.
Il ne faut pas mentir aux Français, il ne faut pas agiter les épouvantails habituels ; il faut être très clair : oui ou non la délégation française au sein du groupe PPE du Parlement européen soutient-elle ce plan de relance ? Nous avons besoin de clarté, parce que la crédibilité de la parole française dépend de moi, de vous aussi, mais également des votes qui seront exprimés au Parlement européen.
Dans cet hémicycle, vous devrez vous prononcer sur la décision de doter l’Union de ressources propres. Soit vous voterez pour, soit vous voterez contre, soit vous vous abstiendrez – sans qu’on sache vraiment ce que ce dernier choix signifierait. Oui ou non acceptera-t-on de contracter des dettes communes au profit de l’Italie ou de l’Espagne ?
À gauche, vous dites que ce plan ne doit bénéficier qu’à certaines entreprises, qu’aux secteurs les plus touchés. Je suis incapable, à ce jour, de fixer cette ligne de partage des eaux sachant que, derrière, ce sont des familles et des emplois qui sont en jeu, qu’il nous faut bien sûr engager la transition énergétique et la transition numérique. Le but, c’est de sauver l’emploi en Europe, et personne n’a envie que l’argent de l’Europe serve à créer des emplois ailleurs. Mais adhérez-vous à cette logique et estimez-vous que c’est là une bonne mesure ? Ce ne serait pas suffisant ; mais êtes-vous d’accord pour considérer que, avec 500 milliards d’euros, nous franchissons déjà une sacrée étape ?
Je répondrai précisément aux différentes questions qui ont été soulevées, mais, auparavant, je tiens à dire avec beaucoup de force, que, sans soutien – un soutien qui ne soit pas du bout des lèvres, un soutien qui n’aille pas de pair avec le regret que les choses n’aillent pas assez vite –, je ne pourrai pas, dans le sillage du Président de la République, mener le travail que je conduis partout en Europe.
Je ne vise personne ici en particulier, et, pour beaucoup d’entre vous, votre engagement est sincère et entier. Pour autant, la clarté s’impose au sein de vos familles politiques.
Je le constate également à l’occasion de mes déplacements : le débat sur le fonds de relance européen est hautement politique en Autriche et aux Pays-Bas ; il n’est question que de cela au sein des coalitions gouvernementales qui y sont au pouvoir et ce sujet y est matière à débat bien plus que d’autres questions politiques nationales. C’est là un enjeu existentiel, qui marque une ligne de partage entre la vision qu’a chacun de la souveraineté nationale et de la manière dont celle-ci doit s’appuyer ou non sur une souveraineté européenne.
Certains estiment qu’il convient de s’appuyer sur une Europe beaucoup plus forte pour s’en sortir, tandis que d’autres pensent le contraire.
Des questions se poseront dans les semaines qui viennent. Nous avons pris notre bâton de pèlerin et faisons notre part du travail. Mais, je le répète, les uns et les autres devront clarifier leur position, indiquer le sens de leur vote sur les ressources propres au Parlement européen et, à l’automne, à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Le Président de la République, le Gouvernement et moi-même, avec toute notre énergie, menons la bataille et sommes à la manœuvre. Maintenant, j’ai besoin de vous et j’ai besoin que vous nous aidiez à aider non pas l’Europe pour elle-même, mais les Français, parce que ce sont eux qui sont concernés par ce plan.
J’en viens maintenant à vos questions.
M. Rapin m’a interrogée sur le calendrier. Des discussions bilatérales sont menées par Charles Michel pour préparer la rencontre des 17 et 18 juillet. En parallèle, les États membres, en particulier l’Italie, la France et l’Allemagne, tentent ensemble d’identifier leurs besoins mutuels, ce qu’il faudra inclure dans le futur accord, notamment de manière à s’assurer, à l’automne, une majorité dans chacun des parlements nationaux sur cette question des ressources propres.
L’Allemagne prenant la présidence de l’Union à partir du 1er juillet, la Chancelière jouera bien sûr un rôle d’entraînement majeur pour parvenir, si, comme nous, elle le souhaite, à un accord avant la fin du mois de juillet.
Comme tous les parlements nationaux, le parlement français se prononcera à l’automne sur cette décision relative aux ressources propres, ce qui nous permettra d’engager le 1er janvier 2021 le plan de relance et le budget 2021-2027.
Y aura-t-il un plan de contingence, à défaut d’accord ? Nous ne travaillons pas dans l’optique d’un tel scénario. À l’échelon européen, plus personne n’a dans l’idée que nous pourrions nous offrir le luxe d’un budget transitoire ou d’un budget de contingence. Nous espérons donc que, au mois d’octobre au plus tard, quand le plan de relance européen sera connu, les plans de relance nationaux pourront être lancés, le dialogue politique engagé avec la Commission pour que, au 1er janvier 2021, l’ensemble de la machine se mette concrètement en marche.
Que se passera-t-il dans le cas où les ressources propres seraient insuffisantes, nécessitant que les remboursements soient assurés par les contributions nationales ?
Entre 2021 et 2027, dans le cadre du budget européen, nous paierons les intérêts, à savoir 20 milliards d’euros pour 500 milliards d’euros d’emprunts. En ce moment, l’argent ne coûte pas très cher. Pour la période postérieure à 2028, nous rembourserons le principal.
Les paramètres sont nombreux : les ressources propres, le volume des rabais – certains d’entre vous aimeraient bien qu’on en finisse avec cette dynamique de rabais et de juste retour, qui n’est pas cohérente avec la nature du marché intérieur –, les frais de collecte, la ressource liée à la TVA. Autant de paramètres dont la moindre variation a une incidence très forte sur notre propre équation, sachant que notre pays est contributeur net et ne bénéficie d’aucun rabais.
Monsieur le président Cambon, vous m’avez interrogée, comme d’autres, sur le Fonds européen de la défense. Doté initialement de 13 milliards d’euros, son montant a oscillé par la suite entre 6 et 7 milliards d’euros, pour atteindre aujourd’hui 9 milliards d’euros. Ces variations sont le signe que certains sont à la manœuvre… Paradoxalement, le fait que la présence des troupes américaines dans certains pays soit un sujet de questionnement remet le sujet d’une défense européenne sur le devant de la scène et montre qu’un engagement européen en faveur de notre propre sécurité est plus que jamais légitime.
Avec Thierry Breton, nous sommes à la manœuvre pour doter davantage ce fonds. De fait, je suis d’accord avec vous : la défense ne peut pas être une variable d’ajustement. Puisque nous avons vécu une crise de sécurité sanitaire, nous devons être conscients aussi des risques de sécurité à proprement parler.
Comme vous le savez, le Président de la République était à Londres le 18 juin pour montrer que, indépendamment du Brexit, notre relation bilatérale devait se développer et prospérer dans d’autres domaines. L’objectif est que se tienne un sommet bilatéral soit à la fin de l’année, soit au début de 2021 au plus tard, afin de mettre à jour les accords de Lancaster House pour, concernant les aspects de la défense et de la sécurité, faire face aux nouveaux défis et aux nouvelles menaces, qui sont une réalité géopolitique, et – c’est également le souhait de Boris Johnson – relancer de grands projets communs.
Monsieur le président Bizet, vous m’avez demandé ce que je retenais de mes déplacements en Autriche et aux Pays-Bas.
Comme je l’ai dit, j’ai mesuré à quel point ce plan de relance européen était un sujet hautement politique et pu constater qu’il était le sujet principal de débat entre les forces composant les différentes coalitions et les oppositions. C’est en soi une information intéressante. Dans ces deux pays, les syndicats de salariés et les représentants des entreprises sont très favorables à ce plan ; la population tout entière ne s’y oppose pas. De fait, on note un décalage assez fort entre la société civile, les salariés, les entreprises et leurs représentants politiques.
J’indique aussi qu’ils ne sont pas dans une logique de juste retour, dans une logique de type « si je mets un, je veux recevoir un ». Ils veulent plutôt être certains que leurs contributions nationales ne vont pas augmenter de façon vertigineuse ou exponentielle. Ainsi, l’Autriche, qui avait pris le leadership sur la taxe numérique pendant sa présidence de l’Union en 2018, se demande si la décision de doter l’Europe de ressources propres fonctionnera cette fois-ci et si l’on peut y croire.
Les Pays-Bas, quant à eux, sont potentiellement intéressés par le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières et se demandent comment celui-ci pourrait fonctionner, combien il pourrait rapporter et comment il pourrait favorablement affecter leurs contributions.
Vous connaissez les chiffres : l’excédent commercial annuel des Pays-Bas avec l’Italie s’élève à 12 milliards d’euros. C’est beaucoup plus que ce que serait la part des Pays-Bas dans le pot commun au titre des garanties en cas d’éventuelles difficultés de remboursement de l’Italie.
Mme Jouve, notamment, m’a interrogée sur les outils de protection face à la concurrence.
S’agissant de la protection des actifs stratégiques, une étape très importante a été franchie la semaine dernière avec la présentation par Thierry Breton et Margrethe Vestager de leur Livre blanc, dans lequel ils proposent, dans trois domaines – la protection des marchés publics, la protection des prises de participations, notamment dans les entreprises, y compris d’ailleurs de grosses PME, et le contrôle des subventions étrangères –, une capacité accrue d’intervention de la Commission en appliquant notre régime relatif à la concurrence non pas seulement à nous-mêmes, mais à tous les acteurs économiques qui opèrent sur le marché européen, qui, eux, ne sont pas soumis à une telle vigilance – je pense notamment aux aides d’État qu’ils peuvent percevoir.
Par exemple, les industries chinoises hautement subventionnées peuvent pratiquer des prix moins élevés que leurs concurrentes, lesquelles, ne percevant pas de telles aides, ne peuvent pas faire jeu égal.
Autre pilier de la relance, l’outil destiné à faciliter les investissements stratégiques notamment pour renforcer le capital d’entreprises qui, fragilisées par la crise, pourraient être victimes de prises de participation hostiles.
La France est pleinement déterminée à avancer et cette crise nous ouvre les yeux sur la fragilité d’un certain nombre de secteurs.
Mme Jouve m’a également interrogée au sujet du plan Santé européen. Sa finalité est-elle de lutter contre notre dépendance à l’Asie ? Assurément oui : qu’il s’agisse de la recherche, des équipements médicaux ou des traitements, l’idée est de déployer des subventions et des actions de contrôle où elles sont nécessaires tout en constituant des stocks stratégiques.
Nous devons mettre en commun notre capacité d’anticipation pour être plus réactifs face aux crises à venir, en faisant à l’échelon européen ce qu’il est utile de faire à ce niveau. Je le dis souvent : on ne va pas gérer les hôpitaux depuis Bruxelles. La valeur ajoutée serait nulle. L’Europe, c’est aussi la subsidiarité et – j’y insiste – nous ne sommes pas des forcenés de la mise en commun à Bruxelles.
Monsieur Gattolin, vous me demandez quelles concessions nous faisons. Pour ma part, je ne me dis pas : que faut-il retrancher ? Je me demande : que faut-il ajouter ?
Quelles garanties donner aux parlementaires néerlandais ? Comme l’a dit le Premier ministre italien, nous devons prouver que cet argent n’est pas un pactole offert à qui que ce soit, mais un investissement. Bien sûr, à lui seul, il ne suffira pas face aux défis que chaque pays doit affronter, du fait de cette crise ou à cause de fragilités antérieures. La réussite du plan de relance européen suppose une responsabilité nationale.
Ainsi, au sujet des ressources propres, nous avons apporté de la clarté : que veut-on, quand et avec quels types de rendements ? Vous le voyez bien : ma logique n’est pas d’amoindrir le plan élaboré dans l’espoir de le rendre acceptable, mais d’y ajouter des garanties. En particulier, il faut préserver les 500 milliards d’euros de subventions.
Monsieur Laurent, vous avez évoqué la conditionnalité – c’est le point de votre intervention qui m’a le plus marquée. Nous ne sommes pas là pour recréer des troïkas ou des mises sous tutelle, pour instituer des diktats.
La Commission travaille à une architecture financière en vertu de laquelle chaque État, de manière souveraine, regarde comment articuler son plan de relance national, avec les moyens budgétaires dont il dispose, les priorités de son programme de réformes – en France, l’investissement hospitalier pourra bénéficier de l’argent européen ; du moins, c’est une option – et la relance européenne.
Certains pays nous diront peut-être qu’ils veulent financer les infrastructures de mobilité électrique ; d’autres qu’ils entendent soutenir le secteur du tourisme, lequel est particulièrement touché ; d’autres encore qu’ils souhaitent investir dans la formation. Ce qui importe, c’est que, suivant les principes édictés par la Commission, chaque État puisse choisir les secteurs où la valeur ajoutée européenne est, pour lui, la plus utile.
À mon sens, cette logique politique est tout à fait pertinente : ce n’est pas de Bruxelles que l’on va décider, ligne à ligne, comment seront répartis ces crédits dans chacune des régions de France…
M. Pierre Laurent. Et le semestre européen ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, le semestre européen n’implique aucune injonction : ce n’est pas une troïka. Il relève simplement que, pour accroître la compétitivité et la croissance de la zone euro, chaque État membre peut mener un certain nombre de réformes et, ainsi, mieux converger avec ses partenaires de l’Union.
Cela étant, comme je le dis souvent, nous faisons les réformes pour nous-mêmes : on n’a jamais vu un représentant de Bruxelles se rendre dans les parlements nationaux pour s’assurer que les États ont adopté la bonne ou la mauvaise réforme, le bon ou le mauvais amendement. Nous faisons les réformes pour nos concitoyens, mais il est intéressant de réfléchir à un cadre commun pour avancer.
Madame Mélot, vous abordez les conséquences du Brexit sur la pêche, sujet ô combien stratégique. Nous ne recherchons pas, comme vous le redoutez, un accord a minima ; nous ne construisons pas ce vaste plan de relance pour sacrifier, en catimini, un secteur économique pourvoyeur de dizaines de milliers d’emplois. Dans certains territoires, c’est même plus de la moitié de l’emploi qui dépend de la pêche et des filières de transformation du poisson.
En la matière, nous avons trois objectifs : premièrement, la stabilité relative de l’accès – il s’agit de conserver les droits de pêche coutumiers ; deuxièmement, la protection de la ressource – s’il n’y a pas de poisson, il n’y a pas de pêcheurs : nous devons bien sûr gérer cette ressource conjointement avec les Britanniques, car le poisson ne sait pas où se trouve la frontière ; et, troisièmement, la prévisibilité. On ne peut pas entrer dans un système en vertu duquel les droits de pêche seraient remis en cause tous les six mois.
Nous nous efforçons d’avancer sur ces trois dossiers. De plus, nous consacrons une étude d’impact extrêmement précise à ce que les Britanniques nomment l’« attachement zonal ». Ce dispositif semble intéressant, mais nous voulons savoir très précisément ce qu’il implique pour nos capacités de pêche.
Si blocage il devait y avoir, nous gardons à l’esprit que 70 % du poisson pêché dans les eaux britanniques est consommé au sein du marché intérieur européen. Si un bras de fer doit s’engager, si nos voisins nous refusent l’accès à leurs eaux territoriales, nous pourrons décréter que nous ne sommes plus en mesure de recevoir leur poisson. À ce petit jeu, les perdants ne seraient pas forcément ceux que l’on pense…
Bien sûr, comme par le passé, nous accorderons un soutien plein et entier à la filière en cas de cessation d’activité transitoire ; cette ligne a toujours été extrêmement claire. Il ne doit y avoir aucun doute sur ce point, même si ce n’est pas le scénario sur lequel nous travaillons. Le but n’est pas que les salariés du secteur soient contraints à l’activité partielle, mais qu’ils continuent à travailler selon les trois principes que j’ai énoncés.
M. Jean-François Rapin. Et le Feamp ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche est tout à fait approprié : il comprend à la fois un budget de base, à échéance normale, et des fonds de contingence dans l’hypothèse où les uns et les autres ne pourraient plus exercer leur métier.
Monsieur Kern, vous l’avez vu : dans le cadre du plan d’urgence, nous avons rehaussé de 4 milliards d’euros le budget de la PAC et de 15 milliards d’euros le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Ces mesures confirment ce que j’ai déjà eu l’occasion de vous dire dans cet hémicycle : la PAC n’est pas has been. Il s’agit au contraire d’un dispositif stratégique. La décision des instances européennes confirme qu’il s’agit d’un enjeu de souveraineté, et il faut s’en féliciter.
Madame Harribey, j’en suis intimement persuadée : nous n’avons pas oublié l’humanité. Je l’ai dit en préambule, nous agissons non pas pour l’Europe, mais pour des familles, des salariés et des entreprises. D’ailleurs, si ce plan est baptisé « nouvelle génération », c’est parce que nous mesurons ce que le choc sanitaire et économique représente pour la jeunesse, laquelle arrive sur le marché du travail, alors que – on le sait – le taux de chômage va augmenter dans tous les pays.
En la matière, notre vision est à la fois très humaine et très concrète ; nous nous efforçons de concevoir des actions ciblées et pragmatiques. Vous insistez sur le besoin de territorialisation. Les actions doivent bel et bien s’incarner. Il faut à tout prix éviter les comités Théodule ne débouchant sur rien : le but est de créer des emplois et de les préserver.
J’entends bien cette remarque ainsi que vos différentes questions. Peut-être devons-nous expliciter un certain nombre de concepts. Ce soir, il est un peu tard pour se lancer dans un débat relatif à « l’autonomie stratégique ouverte », mais nous devrons poursuivre cette discussion.
Monsieur Allizard, je l’ai déjà indiqué, la défiance se combat par la clarté. Je ne suis pas certaine d’avoir bien saisi votre propos, mais je doute que la fermeture des frontières ait été une bonne expérience pour nos concitoyens. Dans cet hémicycle, beaucoup de vos collègues, élus de régions frontalières, ont très mal vécu cette période ; ils mesurent de manière très concrète la richesse que dégagent les bassins de vie transfrontaliers…
M. Pascal Allizard. Je parlais des frontières extérieures de l’Union !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Je comprends mieux votre propos ; car, sans nous exposer à la menace d’une libre circulation effrénée, l’ouverture des frontières intérieures est un acquis et une richesse, permettant le transit des marchandises et la mobilité des travailleurs. D’ailleurs, nous pouvons remercier l’Allemagne d’avoir accueilli des patients français, alors même que la frontière entre nos deux pays était presque totalement fermée.
Enfin, monsieur Longeot, vous avez évoqué les relations avec la Chine. Le sommet entre l’Union européenne et la Chine qui devait se tenir à Leipzig en septembre prochain a été reporté. Toutefois, d’ici à la fin de cette année, nous souhaitons avancer sur quelques sujets en particulier. Nous voulons enclencher une véritable dynamique de réciprocité et conduire la Chine à prendre un certain nombre d’engagements dans trois domaines qui nous semblent clés.
Le premier, c’est l’environnement et la biodiversité. Vous le savez, la Chine va accueillir la conférence des parties (COP) dédiée à la biodiversité. À ce titre, nous devons fixer des objectifs ambitieux. De son côté, la Chine semble vouloir jouer le jeu, mais nous devons obtenir des engagements précis.
Le deuxième, c’est la santé. Dans ce domaine, il faut encourager la Chine à mener une action résolument multilatérale : c’est un impératif pour traiter les conséquences de la pandémie. En particulier, elle doit fournir une contribution plus substantielle aux fonds verticaux multilatéraux pour la santé.
Le troisième, ce sont les droits de l’homme. Nous exprimons régulièrement notre préoccupation à cet égard – je le fais une nouvelle fois, ce soir, devant le Sénat –, en particulier au sujet de la situation au Xinjiang. À ce titre, l’Union européenne promeut une politique active et je m’en réjouis : il est important que nous poursuivions ce dialogue sur ces différentes questions. Il y va de nos engagements réciproques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir couvert la majorité des sujets abordés au cours de ce débat, dont je vous remercie. Nous avons plusieurs combats à mener ; la classe politique tout entière n’a pas vocation à soutenir le Gouvernement, mais les uns et les autres doivent nous dire clairement où ils se situent. À l’instar des Français, tous nos partenaires de l’Union européenne bénéficieront de ce débat clarifié ! (M. le président de la commission des affaires européennes et M. André Gattolin applaudissent.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à vous remercier de la qualité de ces échanges.
Madame la secrétaire d’État, vous avez pris le temps de répondre à l’ensemble des orateurs, et je fais mien le prisme au travers duquel vous nous invitez à regarder les progrès accomplis au cours des derniers mois.
Comme la France, l’Union européenne a hâte de franchir le cap de cette pandémie, de passer à l’après-Covid-19 ; au-delà de la crise économique, nous redoutons tous une crise sociale.
L’élan décisif a été donné par l’initiative franco-allemande du 18 mai dernier, laquelle a largement inspiré le projet présenté dix jours plus tard par la Commission européenne.
Je dois l’avouer : il y a quelques mois, nous commencions à douter de l’avenir du couple franco-allemand ; mais ce dernier a prouvé toute sa pertinence. L’Allemagne a fait le courageux pari de la solidarité avec les États les plus vulnérables, faisant oublier son intransigeance dans la crise financière grecque – c’était il y a seulement cinq ans. Aujourd’hui, elle s’emploie à convaincre les États d’Europe du Nord d’accepter la création d’un nouvel instrument de relance. Ce faisant, elle quitte le front des États frugaux, rassemblant naturellement les pays qui bénéficient d’un rabais sur la correction britannique.
L’Allemagne est donc particulièrement courageuse : alors qu’elle pourrait tirer profit de ces rabais, elle abandonne ses revendications à cet égard, lesquelles semblent, il est vrai, devenues anachroniques avec le départ de nos amis britanniques.
Cet engagement doit beaucoup à Angela Merkel, qui, devant le Bundestag, a dénoncé sans hésitation le coup de force du tribunal constitutionnel allemand. Je vous le rappelle : par son jugement du 5 mai dernier, la cour de Karlsruhe a remis en cause à la fois la primauté du droit de l’Union et la légalité de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne, menaçant ainsi la survie de l’euro.
Dans dix jours, l’Allemagne prendra la présidence du Conseil de l’Union. Elle entend porter à son crédit un accord relatif au cadre financier pluriannuel et à l’instrument de relance. La part de fongibilité entre ces deux dispositifs, qui représente 190 milliards d’euros, me laisse admiratif.
L’ambition allemande a sans doute un double fondement : d’une part, l’esprit de responsabilité à l’égard de la construction européenne, dont elle a eu l’initiative en se réconciliant avec la France ; de l’autre, son intérêt bien compris. Madame la secrétaire d’État, vous l’avez souligné en évoquant les pays d’Europe du Nord : la santé économique de l’Allemagne dépend de celle de ses clients et de ses fournisseurs.
Cela étant, on ne peut manquer de s’inquiéter de la pérennité de l’engagement européen de notre plus proche voisin, au regard des tensions qu’il provoque, et dont le tribunal constitutionnel de Karlsruhe donne un puissant écho. À quinze mois des élections législatives allemandes – ce scrutin est prévu pour l’automne 2021 –, aucun successeur évident ne s’impose pour la Chancelière. Même si cette échéance est un peu lointaine, l’avenir du couple franco-allemand continue d’inspirer quelque inquiétude.
L’impasse des négociations engagées entre l’Union européenne et le Royaume-Uni est un autre sujet de préoccupation. La rencontre, la semaine dernière, entre Boris Johnson et les présidents du Conseil européen et de la Commission n’a pas porté les fruits espérés.
Londres refuse d’étendre la période de transition : dont acte. Les pourparlers avec les Britanniques butent encore et toujours sur ces quatre sujets : les conditions d’une concurrence équitable – le fameux level playing field –, l’accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques, la gouvernance future de l’accord et la coopération judiciaire et policière.
Enfin – M. Cambon l’a dit –, dans quelques jours, nous recevrons Michel Barnier, dont je salue une nouvelle fois l’engagement et la ténacité. Il faut l’admettre : nous constatons une certaine lassitude de sa part. Espérons que, dans la dernière ligne droite, nos amis britanniques abandonneront leurs postures. Sinon, il faudra se résoudre à appliquer les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En d’autres termes, il faudra établir des barrières tarifaires, si nos partenaires optent pour des contingentements non tarifaires ne correspondant pas aux exigences que nous suivons depuis la création du marché unique en 1993.
Madame la secrétaire d’État, je tiens à vous remercier de nouveau. Comme l’a dit Laurence Harribey, votre « pugnacité éclairée » est appréciée ici, au Sénat. Au-delà des différences de sensibilités représentées dans cette maison, nous saurons appuyer la politique européenne du Gouvernement !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020.
6
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 24 juin 2020 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à encourager le développement de l’assurance récolte, présentée par MM. Yvon Collin, Henri Cabanel, Mme Nathalie Delattre et plusieurs de leurs collègues (n° 708, 2018-2019) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au droit des victimes de présenter une demande d’indemnité au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (texte de la commission n° 520, 2019-2020).
Le soir
Débat sur le thème : « Quelle réponse de la France au projet d’annexion de la vallée du Jourdain par l’État d’Israël ? ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication