Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà un peu plus d’un an, nous avions débattu d’une proposition de loi déposée par le groupe Les Républicains, relative à la représentation politique des Français vivant à l’étranger.
Depuis lors, malheureusement, rien ne s’est passé, aucune inscription n’a été faite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Rien de nouveau dans la loi, donc, sauf ce qui a été repris dans la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. Or nous n’avons pu en discuter ici, la commission des lois du Sénat ayant invoqué l’irrecevabilité au titre de l’article 45 de la Constitution.
Le risque est grand qu’il en soit de même cette fois-ci. Je salue toutefois avec satisfaction l’occasion qui nous est offerte d’échanger, en ce moment particulièrement grave. Je me réjouis également qu’un certain nombre d’amendements que nous avions défendus, en particulier lors de l’examen de la proposition de loi que je viens d’évoquer, soient d’ores et déjà intégrés dans le texte de la commission.
Je me réjouis, enfin, que la majorité sénatoriale ait modifié au travers de la présente proposition de loi ses positions traditionnelles sur la réforme de la retenue à la source ou sur l’assujettissement à la contribution sociale généralisée, la CSG, et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, des revenus immobiliers des non-résidents. C’est heureux, et j’espère que cela perdurera lors de l’examen des prochaines lois de finances et des futures commissions mixtes paritaires.
Le groupe socialiste et républicain, je dois le confesser, a également évolué au sein sur ce sujet. Je souhaite que nous puissions désormais faire route commune.
Même si la probabilité de l’inscription de ces dispositions dans la loi est mince, nous sommes déterminés à profiter de cette occasion pour évoquer en séance un certain nombre de sujets sensibles pour les Français vivant hors de France, en ce moment de crise très aiguë et particulièrement grave pour eux.
J’évoquerai tout d’abord la question fiscale. La réforme de la retenue à la source, dont le caractère est libératoire, fut adoptée à la fin de 2018 par l’Assemblée nationale. Jusqu’à présent, la majorité sénatoriale n’a fait que reporter cette réforme, sans vouloir l’annuler, dans une démarche assez proche de celle des députés à l’automne 2019.
Rappelons que, à revenu de référence égal, un non-résident est davantage taxé qu’un résident, ce qui pose un problème d’égalité devant l’impôt. Paradoxalement, et alors qu’était souvent visée l’imposition sur le revenu des pensions, la réforme de la retenue à la source a eu pour conséquence de multiplier, parfois par plus de cinq, le montant de l’impôt dû.
La présente proposition de loi prévoit l’annulation de ladite réforme. Très bien ! Mais pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, ce que le rapport du Gouvernement, prévu par la loi de finances de 2020, dira sur ce sujet ?
La crise sanitaire actuelle est mondiale. Elle touche les 3 millions de Français installés à l’étranger, souvent dans des pays qui ne connaissent pas nos amortisseurs sociaux. Une perte de revenus, une perte d’emploi, et c’est parfois la perte de l’assurance maladie, voire du droit au séjour.
Vous avez annoncé des dispositifs d’accompagnement, mais leur mise en œuvre laisse dubitatif. Faut-il attendre d’être à la rue, au sens littéral du terme, pour pouvoir faire appel aux services sociaux des consulats ?
Pouvez-vous nous dire aussi, compte tenu de la croissance de l’épidémie dans certains pays, si la suppression, décidée en mars dernier, du délai de carence pour la protection universelle maladie (PUMa) jusqu’au 1er juin sera, ou non, prolongée ?
Les Français vivant à l’étranger constituent la trame de notre réseau d’influence et de notre présence à l’international. Alors que tout le monde parle de souveraineté, rappelons qu’il n’y a pas de réelle souveraineté sans rayonnement à l’international. Il faut donc préserver nos réseaux et soutenir ceux qui les animent : nos Alliances françaises, les chambres de commerce, les entreprises créées par des Français, vectrices d’emplois en France et aujourd’hui fragilisées. Nous avons formulé de nombreuses propositions sur ces sujets. Que fait le Gouvernement à cet égard ?
En ce qui concerne les bourses scolaires et l’AEFE, des annonces ont été faites. Nous restons dubitatifs quant à la démarche relative à l’Agence, car il ne s’agit que d’une autorisation d’endettement de celle-ci, si l’on se réfère aux documents proposés au conseil d’administration de l’AEFE. Il faudra en effet que les établissements scolaires, donc les familles, remboursent les avances consenties aujourd’hui.
Enfin, même si nous avons connaissance des annonces, nous ne sommes pas directement destinataires des décisions finales. Nous les apprenons « par la bande », et elles sont appliquées de manière très hétérogène par les postes.
Du fait de notre rôle de contrôle de l’action du Gouvernement, mais aussi parce que les conseillers consulaires ont besoin de ces informations pour remplir correctement leur mission, nous souhaitons obtenir directement ces informations.
En cet instant, je veux saluer le travail de nos consulats à l’étranger en matière de rapatriement des Français, en particulier de ceux qui étaient de passage à l’étranger. Des points de difficulté subsistent au Maghreb, principalement au Maroc, en Argentine, en Roumanie, et je ne suis pas exhaustif. Pourtant, plus que jamais, les consulats ont perçu les conséquences des restrictions drastiques de personnels prévues dans le programme Action publique 2022. Monsieur le secrétaire d’État, en tirerez-vous les conséquences ?
Nous ne croyons pas que cette proposition de loi puisse prospérer. Elle ne joue, selon nous, qu’un rôle de communiqué de presse dans la perspective des prochaines élections consulaires. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous présenterons cependant des amendements, afin d’engager un dialogue avec la majorité sénatoriale et le Gouvernement sur les sujets importants qui nous préoccupent.
Vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, la question des élections consulaires. Nous y reviendrons en présentant un amendement. Nous devons apporter de la clarté aux conseillers consulaires, aux candidats qui font vivre la démocratie à l’étranger et qui sont aujourd’hui mobilisés jour et nuit pour répondre aux urgences. Nombre de nos compatriotes perdent en effet leur emploi et leurs revenus à l’étranger.
Le vote de notre groupe sur ce texte sera sans doute plutôt favorable : nous partageons globalement les revendications et les solutions contenues dans cette proposition de loi, mais nous attendons de voir le sort qui sera réservé à nos amendements pour nous décider définitivement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos compatriotes, au-delà de leurs motivations personnelles à l’expatriation, participent au rayonnement et à la renommée de la France à l’étranger. Partout dans le monde, ils sont l’image de notre pays, en particulier de sa culture, de sa langue et de son savoir-faire économique.
Aussi, nous devons nous employer, d’une part, à faciliter le quotidien des Français de l’étranger, et, d’autre part, à assurer le maintien de leur lien civique avec l’Hexagone.
Cette nécessité d’accompagner nos concitoyens de l’étranger dans leurs démarches nous apparaît encore plus impérieuse à la lumière de la crise épidémique. La fermeture des frontières et des établissements scolaires a posé des difficultés à certains d’entre eux. Les ambassades se sont mobilisées autant qu’elles le pouvaient pour faire face, dans un contexte inédit.
Cet épisode me conduit à rappeler l’importance de maintenir un réseau diplomatique dense, disposant des moyens à la hauteur des missions qu’on lui assigne.
Comme vous le savez, mes chers collègues, dans le cadre du programme Action publique 2022, le réseau de l’État à l’étranger se réforme, avec une trajectoire de réduction de sa masse salariale. Si un objectif de rationalisation peut être fixé pour nos services publics à l’étranger, il faut que ceux-ci soient toujours en mesure de faire preuve de réactivité en cas de crise.
En attendant, la proposition de loi s’attelle – avec une certaine ambition, il faut le dire – à permettre aux Français expatriés de « vivre mieux », selon les mots de son auteur. Mon groupe souscrit bien entendu à ce principe, pour les raisons que je viens d’évoquer.
Une partie du texte vise à améliorer la représentation démocratique des Français établis hors de France. Cela a été dit, les dispositions proposées s’inspirent de la proposition de loi de notre collègue Christophe-André Frassa, que le Sénat avait adoptée le 22 janvier 2019.
Soucieux d’encourager, au-delà de nos frontières, l’assise démocratique et républicaine des représentants des Français de l’étranger, le RDSE avait approuvé ce texte. Nous avions également soutenu plusieurs dispositions de la loi « Engagement et proximité », relatives à la représentation des Français de l’étranger. Dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, nous en retrouvons certaines, parfois satisfaites par la loi du 27 décembre 2019.
Par conséquent, en toute logique, mon groupe soutient l’économie générale du titre Ier, qui pourrait améliorer utilement l’exercice du droit de vote, d’un côté, et l’exercice des mandats, de l’autre.
Il s’agirait aussi de favoriser le taux de participation aux élections qui, on le sait, est peu élevé et se trouve même bien en deçà du taux constaté sur le territoire national. C’est une vraie difficulté, pour ne pas dire une fracture démocratique, comme l’avait qualifiée le Président de la République en 2017.
Le texte prévoit également des mesures destinées à faciliter la vie quotidienne des citoyens expatriés, notamment en matière de protection sociale et de démarches d’état civil, mesures bien souvent de bon sens.
Je souligne ainsi l’intérêt de l’article visant à pallier les conséquences de l’extinction de la compétence notariale des ambassades et consulats. Si la Cour des comptes a réclamé cette évolution, on ne peut pas laisser nos concitoyens sans solution, de surcroît dans les pays qui ne reconnaissent pas l’institution notariale.
Le quotidien à l’étranger, c’est aussi celui des enfants des familles expatriées. La question de la capacité des parents à garantir l’accès de leurs enfants au réseau des écoles et lycées français à l’étranger se pose parfois. Je salue à cet égard l’article 19, qui crée une nouvelle catégorie de bourses pour la scolarisation à l’étranger des enfants en situation de handicap.
Comme je le soulignais au début de mon propos, la crise sanitaire a affecté l’enseignement, s’agissant notamment de la continuité pédagogique dont certaines familles ont été privées. Le Gouvernement a pris la mesure des difficultés en prévoyant un plan de trésorerie et de revalorisation des aides à la scolarité. Est-ce suffisant à cet instant, monsieur le secrétaire d’État, au vu du nouveau cahier des charges sanitaires pour la réouverture des écoles ? Je ne doute pas que vous saurez nous apporter un éclairage sur la situation de l’AEFE et de ses actions.
Enfin, nos collègues auteurs de la proposition de loi proposent un volet très important sur la fiscalité, le titre V. Je n’énumérerai pas toutes les mesures que nous avons examinées en commission des finances. Notre collègue rapporteur les a détaillées, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu ou des mesures permettant d’assimiler à une résidence principale la résidence unique en France des Français de l’étranger.
Je rappellerai simplement quelques principes. Tout d’abord, on ne doit pas considérer les expatriés comme un ensemble de nantis. Il faut s’extraire d’un tel préjugé puisque les situations sont diverses, allant du modeste retraité au riche trader. Les propositions doivent répondre à cette hétérogénéité, et c’est ce que la commission des finances a tenté de faire en cherchant des compromis avec les dispositifs initiaux, qui auraient pu favoriser des catégories n’en ayant pas besoin.
Pour autant, alors que la France a élaboré l’un des réseaux conventionnels les plus étendus au monde, nous nous retrouvons à réformer la fiscalité des Français de l’étranger, ce véritable « maquis fiscal », pour reprendre l’expression consacrée. Compte tenu de l’ampleur de la tâche et des incertitudes quant à l’impact sur le budget de l’État de ces bouleversements, je m’interroge sur cette nécessité.
Quoi qu’il en soit, il me semble important que des garanties soient apportées sur le respect de l’équité fiscale entre les contribuables français vivant à l’étranger, mais également par rapport aux contribuables hexagonaux.
Mes chers collègues, malgré quelques réserves de prudence sur la question fiscale, le groupe du RDSE soutiendra ce texte, car il est un signal positif envoyé à ceux qui, bien qu’ils soient éloignés géographiquement, appartiennent à la communauté nationale. (M. Christophe-André Frassa applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée.
C’est une façon de reprendre et de poursuivre un long débat, qui a commencé en 1982,…
M. Richard Yung. … avec l’élection au suffrage universel du Conseil supérieur des Français de l’étranger (CSFE), et qui rebondit d’année en année. Nous retrouvons d’ailleurs dans ce texte nombre d’idées que nous avons défendues, les uns et les autres, pendant de nombreuses années.
Je veux aussi remercier le président Retailleau de ses paroles aimables et fortes adressées aux Français vivant à l’étranger. Parfois, nous nous sentons mal aimés, peut-être à tort ; ces mots nous vont donc droit au cœur.
Les Français de l’étranger, à l’instar de tous nos compatriotes et des habitants de tous les pays, doivent faire face à cette pandémie, et le Gouvernement a agi assez rapidement.
Il a tout d’abord fallu rapatrier plusieurs dizaines de milliers de Français de l’étranger. Je remercie le Gouvernement d’y avoir consacré les crédits et l’énergie nécessaires. Puis, un plan de soutien de 220 millions d’euros a été mis en place. Comme dit le chef de l’État, la France protège tous ses enfants.
En ce qui concerne le plan des institutions et des élections, le week-end dernier, les personnes inscrites sur les listes électorales consulaires auraient dû élire leurs élus locaux. Nous ne connaissons pas les nouvelles dates du scrutin, qui seront fixées lorsque le conseil scientifique aura remis son rapport au Gouvernement. Il existe plusieurs scénarios possibles pour la tenue de ces élections : à la rentrée, en décembre ou janvier prochain, ou encore dans un an, en mai 2021.
Une seule chose est certaine : les futurs conseillers des Français de l’étranger bénéficieront des avancées prévues par la loi dite « Engagement et proximité ». Grâce à la revalorisation de leur rôle, ils pourront continuer à s’engager et à donner à notre République un visage concret et accessible. Cela concerne tout autant la présidence des conseils consulaires que l’administration, l’ambassadeur ou le chef de poste devenant rapporteur.
Il convient aussi de rappeler que la loi prévoit l’obligation de motiver les décisions de refus prises contre l’avis des élus, ainsi que l’instauration d’un droit à la formation. Ces points sont importants, car, trop souvent, les propositions votées par les élus sont balayées par l’administration.
Enfin, la commission des lois a tiré les conséquences de l’adoption de la loi « Engagement et proximité » en supprimant de la proposition de loi initiale les dispositions dont l’objet est déjà satisfait.
Parmi les dispositions d’ordre social, celle qui prévoit l’exonération de CSG et de CRDS sur les revenus du patrimoine emporte ma pleine adhésion. La solution retenue reprend ce que nous avions proposé à plusieurs reprises depuis 2012. Depuis plus de huit ans, en effet, nous demandons que justice soit faite et que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui s’applique à l’intérieur de l’Union, soit également applicable aux Français qui habitent au Ghana ou à Singapour.
Cette solution est plus acceptable que celle, défendue par certains membres de la majorité sénatoriale, qui consistait à exonérer de prélèvements sociaux tous les non-résidents, y compris ceux qui sont à la charge d’un régime obligatoire de sécurité sociale français.
S’agissant des certificats d’existence, aussi appelés certificats de vie, il est important de faire vivre les réformes mises en œuvre. Ces justificatifs doivent ainsi pouvoir être dématérialisés, c’est-à-dire téléchargés, signés, scannés, puis renvoyés à la France. Par ailleurs, une seule demande de certificat de vie est nécessaire, et non plus une multitude selon les régimes de protection sociale. Il n’est pas bon de modifier en permanence la loi ou les décrets qui viennent d’être pris.
Je partage également la volonté de nos collègues du groupe Les Républicains de permettre aux retraités ayant cotisé moins de quinze ans de bénéficier d’une prise en charge de santé lors de leur séjour en France. Cela dit, il conviendrait de maintenir une durée minimale d’assurance. J’avais proposé lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 que cette durée soit de cinq ans.
Pour ce qui concerne les mesures fiscales, je constate que la commission des finances a, dans une certaine mesure, tempéré les ardeurs des auteurs de la proposition de loi.
Plusieurs dispositions prévues dans le texte initial, difficilement compatibles avec notre Constitution, ont été remplacées par des mesures que nous avions eu l’occasion de proposer lors de précédents débats. Il s’agit de l’extension aux non-résidents du dégrèvement de majoration de taxe d’habitation sur les résidences secondaires et de l’instauration d’une règle de minimis excluant de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) les participations des non-résidents inférieures à 1 %.
Je suis en désaccord, en revanche, avec la volonté de la majorité sénatoriale d’abroger purement et simplement la réforme de la retenue à la source spécifique aux revenus salariaux.
Le dispositif prévu par la loi de finances initiale est loin d’être parfait, et nous avons été nombreux à dire au Gouvernement qu’il s’agissait d’une mauvaise réforme, aboutissant, en particulier, à augmenter de façon très sensible la pression fiscale. Nous avions demandé, et obtenu, un moratoire d’un an. (M. le secrétaire d’État le confirme.) Nous attendons désormais que le rapport du Gouvernement, qui tarde quelque peu, nous soit communiqué. Une bonne manière de faire serait de se saisir de ce rapport, d’en discuter et de l’enrichir.
Il est difficile d’être défavorable à la suppression du taux minimum d’imposition de 30 %, mais il aurait été plus judicieux de proposer l’application automatique du taux moyen d’imposition.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au vu des éléments que je viens de développer devant vous, mon groupe s’abstiendra sur cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le nombre de nos compatriotes établis à l’étranger est aujourd’hui estimé à près de 3 millions. Je parle bien d’estimation, car nous touchons ici une première difficulté, celle de l’inscription sur le registre des Français établis hors de France. La crise mondiale du Covid-19 a montré, une nouvelle fois, l’importance de cette inscription facultative pour le suivi et l’accompagnement de nos compatriotes par des services consulaires qui n’ont pas ménagé leurs efforts ces derniers mois.
Nos compatriotes établis à l’étranger ont d’autres problèmes spécifiques.
De nombreux expatriés, toujours attachés à la France, ont besoin que l’État français reste présent, notamment dans le cadre démocratique. Je rejoins ici le constat d’une démocratie française à l’étranger en grande difficulté, avec des taux d’abstention record.
S’il faut saluer l’opération impressionnante de rapatriement des Français présents à l’étranger, menée par le ministère et les services consulaires depuis le début de la crise du Covid-19, cette action ne doit pas cacher les profondes difficultés que connaissent les services.
L’année dernière, plus de 150 demandes de missions de renfort n’ont pu être satisfaites, alors même que le ministère s’appuie de plus en plus sur des recrutés locaux et des contractuels. Il est donc urgent de revenir sur les objectifs fixés par le comité Action publique 2022, qui prévoyait la suppression de nombreux postes.
L’annonce d’un nouveau calcul pour limiter les dégâts est un premier pas, qui doit en entraîner d’autres. En attendant, 187 postes devraient être supprimés en 2020, dont 81 relèvent de l’action extérieure de l’État.
J’aborderai ensuite le sujet de l’éducation. Emmanuel Macron avait commencé son mandat en annonçant un objectif ambitieux : doubler le nombre d’élèves français et étrangers accueillis dans les établissements du réseau de l’AEFE. Atteindre cet objectif implique une mobilisation totale de l’État. Or la situation actuelle va à l’encontre de cette dynamique annoncée.
D’une part, l’objectif poursuivi est de s’appuyer toujours davantage sur les établissements conventionnés et partenaires, ce qui explique en partie le poids toujours plus important des familles dans le financement de l’AEFE. Par comparaison, les familles doivent débourser 1,5 milliard d’euros par an, tandis que la subvention d’État est presque trois fois plus faible.
D’autre part, le nombre de postes diminue sans cesse, passant de 6 235 en 2014 à 5 676 aujourd’hui, soit une baisse d’environ 500 équivalents temps plein, ainsi que l’indiquait le directeur de l’AEFE devant la commission des affaires étrangères du Sénat.
Monsieur le secrétaire d’État, le plan d’aide que vous avez annoncé le 30 avril était nécessaire pour permettre aux établissements de survivre. Toutefois, sera-t-il suffisant ? J’en doute fortement, dans la mesure où les deux tiers du plan prévoient non pas un investissement, mais une avance du Trésor. Et puisqu’il s’agit d’une avance, cette somme sera remboursable. Dans quels délais ? Les règles ne sont pas encore précisées, à ma connaissance ; nous aimerions les connaître.
Les 50 millions d’euros consacrés aux bourses, s’ils sont plus que nécessaires, s’avèrent d’ores et déjà insuffisants dans un contexte de pertes de revenus des parents. J’en veux pour preuve que les droits de scolarité représentent pour de nombreux foyers une somme considérable. Ce sont 1 500 demandes de recours gracieux qui ont d’ores et déjà été déposées pour le troisième trimestre, selon les chiffres du directeur de l’Agence. Pourquoi ne pas envisager un gel de ces droits ?
Le départ de familles du réseau AEFE serait une épine dans le pied du plan de développement de l’enseignement français à l’étranger, mais aussi une perte financière importante pour l’Agence. Nous espérons que le prochain projet de loi de finances rectificative donnera une autre direction aux relations financières entre l’État et l’AEFE, en prévoyant notamment une hausse significative du budget.
J’en viens à la question fiscale et sociale, dont nous débattrons plus longuement lors de l’examen du texte.
La réforme des impôts, qui prévoit la réduction du nombre de tranches pour les revenus nationaux, fait peser une charge extrêmement importante, et souvent inassumable, sur nos concitoyens les moins favorisés qui vivent à l’étranger. Tout le monde n’a pas les moyens de payer une scolarité annuelle coûtant de 5 000 à 10 000 euros dans un lycée français…
En parallèle, ne devrions-nous pas repenser la relation entre les Français de l’étranger, la Caisse des Français de l’étranger, la CFE, et la caisse primaire d’assurance maladie, afin de nous assurer que la France protège l’ensemble de ses concitoyens ? Pouvons-nous envisager, à terme, un élargissement de l’accès à la CFE ?
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous le voyez, ces questions sont très importantes. Nous sommes en désaccord avec le volet fiscal de la proposition de loi, qui ne répond ni à nos attentes ni à celles de nombreux Français. Mon groupe votera donc contre ce texte.
M. Albéric de Montgolfier. Quel dommage ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est une déception…
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’étranger, ils portent les couleurs de la France ; à leur retour, ils nous rapportent leur dynamisme et une expérience enrichissante et unique : les « expats » participent au rayonnement de notre pays sur le plan économique, culturel, ou linguistique. Nos 206 postes consulaires, chargés de les accompagner dans leurs démarches, font du réseau consulaire français l’un des premiers au monde.
Toutefois, nos compatriotes expatriés doivent faire face à des difficultés grandissantes dans leur vie quotidienne.
Leur première source d’inquiétude concerne l’éducation et l’accès à l’enseignement du français, malgré le travail de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.
En outre, les Français établis hors de France subissent, en raison de leur éloignement géographique, une forme de fracture démocratique, bien qu’ils désirent maintenir des liens avec la communauté nationale.
Quant aux démarches administratives, elles sont pour eux d’une grande complexité : je pense notamment aux certificats de vie et aux actes notariaux.
Enfin, les questions sociales et fiscales demeurent un enjeu majeur, bien que la France ait signé plus de 120 conventions fiscales afin de réduire les risques de double imposition.
Pour répondre aux besoins spécifiques des Français établis hors de France, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui établit un plan transversal couvrant cinq domaines d’action : la représentation politique, les actes notariés, le réseau éducatif, la protection sociale et le régime fiscal.
Ce texte apporte des réponses concrètes à leurs difficultés pratiques et revêt donc une grande importance pour tous les Français de l’étranger. J’en aborderai ici les trois premiers aspects.
Tout d’abord, concernant la représentation des Français établis hors de France, la présente proposition de loi vise à améliorer le régime électoral des conseils consulaires et de l’Assemblée des Français de l’étranger. Elle s’inspire de l’excellente proposition de loi de notre collègue Christophe-André Frassa, que nous avons examinée et adoptée le 22 janvier 2019.
Le présent texte sécurise ainsi l’enregistrement des candidatures et l’organisation de la propagande électorale. Il améliore les conditions d’exercice des mandats de conseiller des Français de l’étranger et de membre de l’Assemblée des Français de l’étranger, notamment en ce qui concerne la prise en charge de leurs frais de mandat et leur place dans l’ordre protocolaire.
À cet égard, je me réjouis que la commission des lois ait complété le texte, en permettant la prise en compte de l’exercice de ces mandats dans la validation des acquis de l’expérience pour la délivrance des diplômes universitaires, ou encore en favorisant l’accès au télétravail pour les élus travaillant dans une entreprise ou une administration française.
Ensuite, cette proposition de loi tend à simplifier les démarches administratives des Français à l’étranger. Elle facilite ainsi la rédaction des actes authentiques, évitant de la sorte aux expatriés d’avoir à revenir en France pour se rendre chez un notaire. Ce dispositif a été sécurisé en commission. À titre expérimental, les personnes qui résident hors de France pourraient recourir à des systèmes de visioconférence, l’acte authentique étant établi à distance par un notaire français.
Les conditions de délivrance des certificats de vie seraient également simplifiées. Les retraités qui résident hors de France se présenteraient directement à l’ambassade, au consulat ou dans une mairie française.
Enfin, concernant la scolarisation des élèves en situation de handicap, rappelons que les établissements de l’AEFE accueillent plus de 1 700 élèves en situation de handicap : 1 295 dans le premier degré et 442 dans le second. Toutefois, certaines familles sont contraintes de scolariser leurs enfants dans des établissements spécialisés extérieurs à l’AEFE et risquent de perdre leurs droits à bourse.
Pour répondre à cette difficulté, cette proposition de loi crée une nouvelle catégorie de bourses dédiées au financement des dispositifs de compensation du handicap. Ce dispositif concernerait les établissements de l’AEFE, mais également des établissements tiers, lorsque l’enfant n’aurait pu être accueilli dans le réseau de l’agence.
Voilà les principaux éléments qui font que cette proposition de loi illustre l’engagement de notre assemblée en faveur de nos compatriotes expatriés. Je me réjouis que les travaux en commission aient permis de sécuriser le texte initial et de compléter son dispositif. Ce texte compile une grande partie des attentes des Français de l’étranger, même s’il reste encore, à l’évidence, des problèmes à analyser.
À cet égard, je voudrais exprimer un regret : ce texte n’apporte pas de réponse aux difficultés que rencontrent nos compatriotes expatriés à joindre les services publics français depuis leur pays de résidence, malgré l’existence d’un annuaire téléphonique des autorités publiques sur internet : certains numéros demeurent payants et inaccessibles depuis l’étranger. J’avais posé à ce sujet une question écrite au Gouvernement à laquelle je n’ai toujours pas reçu de réponse ; le sujet nécessite manifestement d’être creusé un peu plus.
Pour autant, l’ensemble des membres du groupe Les Indépendants soutiendra les orientations de cette excellente proposition de loi, qui demeure ambitieuse et attendue par les Français établis hors de France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)