M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. Jean-Pierre Sueur. Le groupe socialiste s’abstiendra.
M. le président. Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je rappelle, en outre, que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme Christine Herzog. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de la crise sanitaire, les élus locaux, les maires et les parlementaires se sont engagés pour appliquer localement la stratégie décidée par le Gouvernement. Nous avons fait preuve de bonne volonté et de bienveillance, car cette crise exige de notre part une implication totale et constructive.
Le projet de loi qui nous est présenté devrait constituer une étape décisive dans le processus de déconfinement, mais il pose plus de questions qu’il n’en résout. Nous en avons tous conscience, le déconfinement est une étape complexe. Les acteurs de terrain, notamment les maires et les chefs d’entreprise, qui seront confrontés à de nombreux défis, sont en première ligne. Pourtant, ce texte ne dit rien sur leurs missions précises et les moyens qui leur seront donnés pour agir. La question de leur responsabilité juridique, qui aurait dû être abordée rapidement, ne trouve toujours pas de réponse. C’est pourtant la base avant leur implication dans une stratégie qui reste floue à bien des égards.
Aujourd’hui, la date du déconfinement est encore suspendue à des indicateurs qui sont biaisés, car le confinement seul ne suffit pas. Pour être efficace, il fallait avoir une stratégie globale reposant sur des protections en nombre, des tests de dépistage et une phase d’isolement des personnes contaminées. C’est ce qui a été fait dans plusieurs pays, et ce depuis plusieurs semaines.
Dans ce projet de loi, de nombreux sujets sont renvoyés à des ordonnances et à des décrets ultérieurs. Ainsi, l’article 3 évoque les plans d’accompagnement, mais ne précise pas le rôle des maires dans l’action des brigades chargées de tracer les contacts des personnes infectées. Rien n’est dit non plus sur l’étape cruciale consistant à isoler ou à héberger les malades dans leur commune.
Quant à l’article 6, relatif à l’organisation des systèmes d’information et à la surveillance locale des cas détectés, il ne donne pas non plus les garanties nécessaires ni le cadre légal indispensable sur un sujet aussi sensible.
Enfin, la reprise économique constitue un pilier majeur dans le dispositif du déconfinement. Les chefs d’entreprise sont eux aussi en première ligne. Ils ne doivent pas être tenus responsables des risques sanitaires dus au Covid-19. Comme pour les maires, leur faire porter une responsabilité juridique, éventuellement pénale, sans l’avoir définie au préalable est inacceptable.
Ces lacunes constitueraient un frein au redémarrage économique du pays, sur lequel repose notre avenir.
En conclusion, je tiens à dire que, si je ne m’oppose pas à l’adoption de cette loi, de nombreuses questions restent en suspens. Elles appellent des réponses claires de l’État, afin que chacun puisse remplir son rôle et prendre ses responsabilités. (M. Philippe Adnot applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a six semaines, nous débattions de la mise en œuvre d’un état d’urgence sanitaire spécifiquement créé pour lutter contre le Covid-19. Notre groupe avait alors émis de nombreux doutes sur ce régime d’exception. Nous avions mis en garde sur l’effacement du contrôle parlementaire et, plus généralement, sur les garanties démocratiques données aux Français et à leurs élus.
Aujourd’hui, le déconfinement progressif du pays est envisagé pour le 11 mai dans une grande confusion. D’ailleurs, le Sénat vient d’émettre un avis défavorable sur le plan de déconfinement du Gouvernement. Le même jour, monsieur le ministre, vous nous demandez de prolonger l’état d’urgence de deux mois et d’en étendre les dispositions, comme si la méthode actuelle ne devait pas être réévaluée et modifiée.
Cette loi d’urgence a habilité le Premier ministre, mais aussi les préfets, à prendre des mesures qui touchent en de nombreux domaines à la restriction des droits et libertés individuelles et collectives. Si personne ne réfute l’urgence sanitaire, une telle situation nécessite une grande concertation, laquelle a largement fait défaut, comme on peut le constater pour l’école.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme, après avoir mis en place son propre observatoire de l’état d’urgence, s’interroge dans son avis du 28 avril sur la pertinence de la création d’un état d’urgence sanitaire au regard des textes existants, ainsi que sur son impact sur le fonctionnement des institutions et de la vie démocratique.
L’expérience de l’état d’urgence prévu par la loi du 3 avril 1955, maintes fois prorogé à la suite des attentats de 2015, a montré que le risque de contamination du droit commun par des dispositifs d’exception est réel. La prolongation de deux mois qui nous est demandée, sans qu’une durée finale soit prévue, renforce incontestablement ce danger.
À cet égard, permettez-moi de rappeler l’avis du Syndicat de la magistrature, qui attire l’attention sur le « risque de voir ce régime d’exception devenir un laboratoire de dispositifs acceptés en raison de la peur engendrée par le risque sanitaire dont la normalisation par l’effet du temps et de l’accoutumance va masquer leur caractère intrinsèquement attentatoire aux droits fondamentaux ». Malheureusement, les articles de ce projet de loi en témoignent. Ainsi, les articles 2 et 5 ne sont pas présentés comme des dérogations : ils semblent amender, sans durée limitée, les dispositions du code de la santé publique.
D’autres mesures coercitives nouvelles posent problème. Dans les transports, alors que vous ne répondez ni aux alertes des opérateurs de transport public sur le déconfinement ni à l’appel à un soutien public massif à la SNCF, vous proposez l’extension des pouvoirs de police visant à verbaliser les usagers des transports à tous les agents des transports publics, ce que ne demandent ni les entreprises concernées ni leurs salariés. Les pouvoirs de police doivent rester du domaine des forces de police, la confusion ne pouvant que nuire à la réussite du déconfinement.
De la même manière, les modalités de mise en quarantaine et d’isolement des personnes posent problème. Sur le dispositif restant en discussion, la Cour européenne des droits de l’homme considère que la mise en quarantaine doit constituer le moyen de dernier recours pour empêcher la prolongation d’une maladie. Par conséquent, d’autres mesures moins sévères doivent, selon la Cour européenne, avoir déjà été envisagées et jugées insuffisantes. Or, sur ce point, le projet de loi est flou.
Il y a donc un risque à envisager de nouvelles mesures coercitives de cette nature, dans le cadre d’un contrôle parlementaire et juridictionnel aussi réduit et mis en œuvre dans des temps trop limités.
J’ajoute que, en matière d’accompagnement économique et social, la prolongation demandée n’envisage aucune correction du dispositif voté en mars. C’est la raison pour laquelle nous avons redéposé des amendements visant à mieux protéger les salariés : gratuité des masques dans les transports et prolongation de l’interdiction des expulsions locatives.
Enfin, dernière mesure phare proposée par le Gouvernement, la mise en place d’un large système d’information doit contribuer à identifier les chaînes de contamination. Si le texte législatif évoque ce point, c’est parce que le dispositif proposé oblige notamment – malgré vos explications, monsieur le ministre – à lever le secret médical, en autorisant l’accès à des données médicales par des personnes non médecins.
Les commissions des lois et des affaires sociales ont souhaité apporter plusieurs garanties, ce qui est une bonne chose. Néanmoins, selon nous, cela reste insuffisant. La notion de recueil volontaire des données ne figure pas dans le projet de loi et l’anonymat n’est pas garanti. Plus globalement, sur cet article 6, il ne nous paraît pas acceptable de proposer au législateur d’adopter un dispositif aussi important et aussi flou, en laissant aux décrets d’application toute latitude quant au champ précis du système et à sa mise en œuvre.
Je veux ajouter un mot sur la responsabilité juridique. Les apports de la commission des lois s’agissant de la responsabilité des maires vont dans le bon sens, nous y reviendrons sans doute abondamment au cours de l’examen des articles. En revanche, la déresponsabilisation des chefs d’entreprise, que certains veulent mettre en parallèle, n’est pas acceptable. Toute entreprise se doit de mettre en œuvre les conditions suffisantes pour assurer la sécurité de ses employés. Après les entorses et les dérogations déjà apportées au droit du travail par l’état d’urgence, de telles mesures ouvriraient la porte à tous les abus, pour pousser au retour au travail dans n’importe quelles conditions.
Voilà pourquoi c’est en toute responsabilité que nous voterons contre ce projet de loi. La nécessité d’agir ne doit en aucun cas affaiblir notre regard exigeant de législateur, surtout pas en ces temps d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la pandémie du coronavirus a bouleversé le monde. Elle a atteint nombre de nos concitoyens et mis notre pays à l’arrêt. Cette situation sanitaire inédite constitue un défi majeur, en nous imposant de modifier nos comportements au nom de l’intérêt général. Le civisme est une arme primordiale dans le combat qui est engagé.
Pour endiguer le virus, des mesures de confinement ont été prises : il a fallu réduire les contacts et les déplacements au minimum. Je tiens tout particulièrement à saluer policiers et gendarmes, qui ont veillé et continuent de veiller au bon respect des mesures de confinement. À cet égard, il est incompréhensible qu’ils ne disposent pas toujours de protection. Je veux saluer aussi les maires, les élus locaux et l’ensemble des collectivités locales, qui se sont montrés à la hauteur de la situation.
Le projet de loi que nous allons examiner doit proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au mois de juillet. Ce texte traite de la mise en quarantaine, de l’isolement des personnes infectées et de la collecte des données médicales pour remonter et casser les chaînes de transmission du virus.
À titre personnel, je serai vigilant s’agissant de la configuration du dispositif de traçage numérique envisagé par le Gouvernement et visant à informer l’utilisateur de son exposition à un risque particulier de contamination, du fait des personnes rencontrées. Je serai également attentif aux moyens humains déployés qui composeront les brigades d’enquêteurs au niveau territorial.
Avant de conclure, je souhaite exprimer ma reconnaissance à celles et ceux qui donnent toute leur énergie pour assurer les soins médicaux et la continuité des activités essentielles. Je veux aussi faire part de ma compassion à tous ceux qui ont perdu un être cher et n’ont pas pu l’accompagner dans leurs derniers instants.
Monsieur le ministre, nous devons réussir ensemble le déconfinement. La confiance est l’une des conditions essentielles et majeures pour réussir cette sortie de crise. Il faut arrêter la prorogation des délais de procédure, qui bloque la remise en marche de notre pays. Pour l’heure, l’administration n’est pas au rendez-vous, ne serait-ce que pour ce qui concerne les DIA, les déclarations d’intention d’aliéner. Ces ressources des départements sont déjà dans le rouge. Il faut aussi redonner au maire le pouvoir de signer des permis de construire. L’administration devra retrouver son plein niveau afin de combler les nombreux retards qui se sont accumulés. Elle devra être aux côtés de nos concitoyens dans la reprise qui s’amorcera lundi prochain.
Le groupe Les Indépendants soutient les orientations de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les élus du groupe centriste abordent ce texte dans une logique d’efficacité au regard de la santé publique, tout en restant fidèles à leur tradition de préservation des libertés publiques et individuelles.
À nos yeux, ce projet de loi contient trois points particulièrement importants.
Le premier point, c’est la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, qui figure à l’article 1er et qui a donné son titre au présent texte. Il est normal que le Parlement donne à l’exécutif les moyens de faire face à une situation de crise extrêmement lourde. C’est la raison pour laquelle cette autorisation a été accordée par la loi du 23 mars dernier ; nous comprenons qu’elle soit prorogée, même si nous apprécions la limitation proposée par la commission des lois.
En approuvant cet article, nous souhaitons mettre en exergue l’idée que, dans la lutte contre le virus, l’engagement du monde soignant est essentiel. Toutefois, n’oublions pas le soubassement institutionnel. Dans cette crise, comme dans la crise des « gilets jaunes », la Constitution reste l’arme la plus solide dont dispose notre pays : elle nous permet d’apporter les réponses institutionnelles adéquates.
Le deuxième point, c’est la question de la responsabilité. Nous sommes favorables à l’évolution du régime de responsabilité proposée par la commission des lois. Nous connaissons les difficultés de l’exercice et les subtilités de la loi Fauchon – l’équilibre défini à l’époque n’a pas été atteint sans mal.
Cela étant, une attente s’exprime. Nous n’entendons pas revenir à l’obligation, pour tous les décideurs, de respecter les lois, règlements et autres directives. Néanmoins, la définition de la faute dite « caractérisée », que connaissent bien ceux qui s’intéressent au droit pénal, pose un problème spécifique. Le plan de déconfinement va exiger un certain nombre de mesures de la part des décideurs ; or nous savons qu’une partie d’entre elles n’ont pas recueilli l’accord du comité de scientifiques. Dans quelques mois, cette situation contradictoire pourrait entraîner des difficultés.
Un assouplissement de la définition de la faute caractérisée, limité dans le temps et dans son spectre, nous semble donc bienvenu, en respectant les principes constitutionnels d’obligation de poursuites et d’égalité.
Le troisième et dernier point, c’est l’article 6.
Monsieur le ministre, nous ne vous le cachons pas : au sein du groupe centriste, cet article nous inspire beaucoup d’interrogations. Autant, je le répète, nous admettons les exigences de l’exécutif vis-à-vis du législatif pour répondre à la crise, autant nous entendons que le Parlement exerce un contrôle exigeant sur l’exécutif. Or cette exigence porte tout particulièrement sur l’article 6.
Le Premier ministre nous a dit précédemment qu’il comptait sur l’adhésion plus que sur la contrainte. Dans l’article 6, je ne vois pas très bien quelles sont les parcelles d’adhésion… En revanche, je vois assez bien où sont les éléments de contrainte. En d’autres termes, il nous faut revenir aux logiques d’équilibre, aux checks and balances.
Une interrogation demeure – notre collègue présidente de la commission de la culture travaille depuis longtemps sur ces sujets – quant aux risques de dérapage. La collecte de données massive – c’est bien le cas en l’occurrence – et centralisée ne laisse pas de nous inquiéter. Nous ne contestons pas votre bonne volonté, mais, si ces outils technologiques nous préoccupent, c’est précisément parce qu’ils peuvent tomber dans de mauvaises mains. Avec de tels dispositifs, nous risquons d’entrer dans un engrenage.
Nous éprouvons également une incompréhension quant au niveau du recueil de données qui existe d’ores et déjà. Vous venez nous demander une habilitation pour la mise en place d’un système dit « d’information ». Or, au Journal officiel du 22 avril dernier, figurait un arrêté autorisant le Health Data Hub et la CNAM à collecter un large éventail de données. Je vous l’avoue, nous avons un peu de mal à comprendre comment se combinent les différents systèmes d’information. Bien sûr, si ces derniers se révèlent trop nombreux, la difficulté ne fait qu’augmenter.
Pour conclure au sujet de cet article 6, je dirai que l’identification des données pose, selon nous, problème. Nous aurions préféré, et de loin, une anonymisation. À tout le moins, lorsque les personnes ont été prévenues, qu’elles ont été soignées et que leurs contacts ont été identifiés, elles doivent redevenir anonymes.
En résumé, oui au partage d’information au stade de l’enquête épidémiologique de terrain, mais non à cette identification dans des serveurs centraux (Mme Marie-Pierre de la Gontrie applaudit.), qui – je le dis sans aucune discourtoisie à votre égard : c’est le principe qui est en cause – sont à la main du ministère de la santé et, plus largement, de l’exécutif.
L’absence de consentement de l’individu nous inquiète, ainsi que tout ce qui pourrait conduire à développer, en complément de ce système d’information, une application apparentée au dispositif StopCovid, même si ce projet semble mal né.
Vous nous présentez quatre finalités. Mais, pour ce qui concerne la première, qui va saisir les résultats dans le système ? Au sujet de la deuxième, comment allez-vous garantir l’anonymat des personnes atteintes par le virus lorsque la chaîne des contacts sera remontée et que les gens seront interrogés ? Au titre de la troisième finalité, on nous parle de suivi médical : s’agira-t-il d’un contrôle ? Que signifie « vers des prescriptions médicales d’isolement prophylactique » ? Enfin, la quatrième finalité, à savoir la surveillance épidémiologique et la recherche menée en la matière, ne peut être envisagée que dans un cadre garantissant l’anonymat.
Nous écouterons vos explications avec beaucoup d’attention au cours des débats. Nous ne contestons pas la pertinence du travail accompli par la commission des lois ; mais, même avec ces garanties, nous restons extrêmement dubitatifs quant aux conséquences du système que vous nous proposez de mettre en place à travers l’article 6. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Maryse Carrère et Marie-Pierre de la Gontrie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en premier lieu, il nous paraît essentiel de bien clarifier les choses quant à la responsabilité des élus locaux. Sans cette clarification, qui nous est demandée dans tous les départements, on ne peut que douter de la mise en œuvre des mesures relatives à l’école comme à d’autres domaines.
À cet égard, nous avons bien noté l’amendement de M. Bas, dont les dispositions présentent un caractère extrêmement général. Nous ne méconnaissons pas les questions de responsabilité qui se posent pour d’autres personnes, mais nous considérons – c’est pourquoi nous allons déposer un nouvel amendement ce soir – que les élus locaux méritent des mesures spécifiques.
En deuxième lieu, nous pensons qu’il faut toujours veiller aux droits du Parlement : tel est le sens de notre amendement tendant à limiter à un mois la prolongation de l’état d’urgence. Nous devons disposer de toute l’information quant aux décisions prises par le Gouvernement et les préfets. De plus – Patrick Kanner l’a déjà dit –, nous voulons savoir quand le Parlement procédera à la ratification des dizaines d’ordonnances adoptées.
En troisième lieu, la crédibilité de ce texte dépend des capacités de fourniture, dans un contexte cohérent, à différents niveaux.
Mes chers collègues, qu’il s’agisse des masques ou d’autres dispositifs, nous avons vu régner une véritable loi de la jungle. Face à de telles réalités, l’État doit jouer tout son rôle. Le pouvoir régalien est, finalement, un pouvoir très républicain.
En quatrième lieu, ce qui nous préoccupe, c’est en partie ce qui se trouve dans ce texte et, surtout, ce qui n’y est pas. Ce projet de loi traduit une conception de l’article 45 de la Constitution que nous avons toujours jugée restrictive. Dès lors que nous prolongeons les dispositions d’une loi – celle du 23 mars dernier –, nous devons pouvoir l’amender dans son ensemble. Or nous ne pourrons pas discuter de toutes les questions sociales, qu’abordera ma collègue Laurence Rossignol, ainsi que de nombreux sujets comme le logement, les centres de rétention, les établissements pénitentiaires, la justice, etc. Nous le regrettons : à nos yeux, ces débats seront trop restrictifs au regard des problèmes que nous connaissons.
Au sujet de l’article 6, il est tout à fait clair qu’une tension se fait jour. Nous ne voulons pas de simplification abusive. La santé publique impose des choix ; la protection des libertés et de la vie privée en impose d’autres. M. Bonnecarrère vient de décrire exactement la tension au cœur de laquelle nous sommes.
À ce titre, nous avons décidé de suivre des propositions de Philippe Bas, lesquelles reprennent d’ailleurs certains de nos amendements. Toute nouvelle ordonnance traitant de cette question doit être retirée de ce texte. En outre, il est hors de question que, par ce nouveau fichier, on fasse réapparaître subrepticement, sans nouveau vote du Parlement, l’application StopCovid. De surcroît, il faut veiller particulièrement au droit d’information, d’opposition et de rectification dont doivent disposer les personnes concernées.
Il faut également disposer d’une instance de contrôle comprenant des parlementaires. De même – cette disposition devrait donner lieu à un accord –, nous proposons que l’avis de la CNIL s’impose lors de la rédaction du futur décret.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Ces garanties sont nécessaires, mais elles ne sont sans doute pas suffisantes.
Au sein de nos groupes respectifs, des points de vue différents se font clairement jour. Cette tension est naturelle. Il faut veiller à la santé publique : c’est une nécessité absolue, et M. le ministre le répète assez souvent. Cela étant, les élus de notre groupe défendront également – je dirai presque coûte que coûte –, avec toute la force de leur conviction, les libertés publiques et le respect de la vie privée, qui sont des impératifs de notre Constitution et de notre République.
Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai pas besoin de rappeler les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous réunissons aujourd’hui, ni de mentionner le nombre de victimes du Covid-19 en France et dans le monde. Mes toutes premières pensées s’adressent à elles et à leurs familles. Elles vont ensuite à toutes les personnes qui, au sein du corps médical et au-delà, dans ce qu’on appelle désormais les services essentiels, ou encore par un mouvement de solidarité spontanée, ont fait et font tenir notre pays aujourd’hui. J’y reviendrai.
L’épidémie de Covid-19 est toujours active. Pourtant, nous sommes réunis aujourd’hui, selon des modalités adaptées, pour remplir notre mission constitutionnelle, à savoir légiférer. À cet égard, je tiens à saluer la mobilisation qui s’est manifestée sur toutes les travées, pour faire vivre le débat parlementaire malgré les délais particulièrement courts qui nous sont imposés et, en amont, permettre le suivi des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Le président de notre groupe, Jean-Claude Requier, l’a déjà indiqué, les membres du RDSE soutiennent la volonté du Gouvernement d’engager la phase de déconfinement. Cependant, nous aurions souhaité que la prorogation de l’état d’urgence comporte des prémices législatives d’adaptation structurelle de notre pays à ces risques pandémiques, dont les chercheurs disent qu’ils vont probablement se multiplier dans les années à venir. Ces engagements sont essentiels pour que nos concitoyens acceptent la prolongation des restrictions de libertés qui leur est demandée, laquelle affecte leur vie familiale, sociale et professionnelle. Je pense bien sûr à l’adaptation de notre système de santé.
De façon plus prospective, se posera également la question de l’indépendance alimentaire, que nous avions d’ailleurs soulevée avec la proposition de résolution de Françoise Laborde, de l’indépendance pharmaceutique, au moins au niveau européen, ou encore de l’adaptation de l’aménagement du territoire : cette crise a montré à la fois les limites d’une économie dominée par des métropoles extrêmement denses et les vertus de la proximité.
Il me semble que nous sommes tous d’accord pour considérer qu’à long terme la paralysie saisonnière du pays ne peut plus être une option.
Beaucoup d’entre nous considèrent que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire aurait mérité des échanges plus longs, éclairés par les travaux de nos différentes commissions, d’autant que la première phase de l’état d’urgence court jusqu’au 23 mai – il s’agissait déjà d’un délai dérogatoire par rapport au régime de droit commun. Où était l’urgence ? Comment évaluer l’impact des mesures proposées sur les personnes chargées de les appliquer sans disposer du temps nécessaire pour les auditionner ?
À l’instar de M. le rapporteur, la majorité des membres du groupe du RDSE n’est pas favorable au fait d’étendre le délai de prorogation au-delà de deux mois, compte tenu des mesures liberticides prévues par ce régime exceptionnel destiné à affronter l’urgence. Mon collègue Joël Labbé a déposé un amendement tendant à ce que ce délai soit réduit à deux mois à compter du vote du présent texte. Il courrait ainsi jusqu’au 8 juillet prochain. Cela étant, sur ce sujet, nous nous rallierons à la proposition de la commission.
Ce matin encore, après une analyse de quelques jours, ou plutôt de quelques heures, ce texte faisait naître plus de questions qu’il n’apportait de réponses, même si nos échanges en commission des lois ont permis de lever quelques incompréhensions.
En premier lieu, ce projet de loi ne prévoit pas de mesures contraignantes, qu’il s’agisse des gestes barrières ou du matériel de protection. Il ne contient donc que de simples recommandations, de nature à semer la zizanie après le 11 mai. On l’a constaté, notamment dans le département dont je suis l’élue : lorsque des maires prennent l’initiative de rendre ces règles obligatoires, ils se heurtent à l’opposition de l’État, à la demande du ministère de l’intérieur.
En deuxième lieu, comme l’a indiqué notre collègue Véronique Guillotin, la question des brigades médicales est au centre de nos préoccupations. Or, sur ce sujet, le texte reste flou : quelles seront les personnes habilitées à recueillir les données médicales dont il s’agit ? à quelle fin ? au moyen de quel support électronique ? au moyen d’un énième système d’information, comme le prévoit l’article 6 ? N’oublions pas que ces personnes manipuleront, principalement, des données personnelles et médicales.
En troisième et dernier lieu, les dispositions des articles 2 et 3 soulèvent également de grandes inquiétudes. Leur mise en œuvre pourrait conduire à des placements en quarantaine ou à l’isolement par simple présomption, par exemple pour les personnes arrivant de l’étranger. Nous craignons que nos ressortissants des outre-mer passant par des zones de transit y soient soumis ; en résulterait une rupture de la continuité territoriale. Dans certains cas, ces zones de transit sont un passage obligé – je ne citerai que l’exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon, que nous a rappelé notre collègue Stéphane Artano.
Pour le moment, le virus n’a pas disparu, mais nous apprenons à vivre avec lui. Cela implique de retisser le lien de confiance entre nos concitoyens, que les distanciations sociales fragilisent immanquablement. À cette fin, nous disposons de deux ressorts efficaces.
Le premier, c’est l’exemple des gestes de solidarité que nous avons observés dans les moments les plus durs du confinement : une grande solidarité s’est manifestée en faveur des travailleurs essentiels, par des actions individuelles ou collectives, notamment associatives, par des actions symboliques ou concrètes.
Le second, c’est l’espoir de développer des solutions médicales pour lutter contre le Covid-19 à tous les stades de la maladie : les tests, les vaccins ou encore les traitements destinés à limiter les symptômes.
Appuyons-nous sur ces deux forces pour sortir de l’état d’urgence sanitaire.
Telles sont, en quelques mots, les réserves que les élus du RDSE souhaiteraient voir lever au cours de l’examen de ce texte. C’est en ce sens que nous défendrons nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)