M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste.
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, je voudrais commencer mon propos en remerciant l’ensemble de celles et ceux qui font vivre notre pays au quotidien, que ce soient, bien sûr, les soignants et ceux qui concourent aux soins et qui sont en première ligne, ou ceux qui travaillent pour veiller à notre approvisionnement, à l’évacuation de nos déchets, à notre vie quotidienne. Ils méritent notre reconnaissance et je veux les saluer.
Vous, monsieur le Premier ministre, vous concourez aussi quotidiennement à l’action, à faire tourner notre pays.
Dans mon groupe et sur bien des travées de cette assemblée, nombreux sont celles et ceux qui considèrent que, pour le dire un peu trivialement, vous faites le job avec les ministres qui vous entourent, que ce soient ceux qui sont chargés de l’économie à Bercy, celui de l’éducation nationale, ceux qui sont chargés des relations avec les territoires ou avec le Parlement. Je le redis : vous êtes aux avant-postes et vous faites le job.
Bien entendu, cette sympathie et cette compréhension n’emportent pas systématiquement adhésion à toute l’action qui est menée et c’est le rôle du Parlement, justement, que de se montrer critique, de contrôler l’action du Gouvernement et d’examiner les textes qui lui sont soumis. Au demeurant, il travaille lui aussi dans des conditions extrêmement difficiles et contraintes.
Pour autant, vous entendez ici celles et ceux qui expriment les préoccupations des élus qu’ils représentent ou tout simplement de nos concitoyens.
L’un des faits majeurs de cette crise – et cela a été répété à l’envi – restera le problème des masques et des tests. On peut tourner la question dans tous les sens, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, quoi qu’on pense, une très large majorité de Français ne comprend pas pourquoi nous disposions de si peu de masques et pourquoi il est toujours difficile d’en trouver.
S’agissant des tests, la problématique est la même.
Cette semaine, les annonces faites par les grandes chaînes de distribution n’ont rien arrangé à l’affaire. Là encore, vous avez apporté des explications, mais l’opinion publique, au moment où il est encore difficile – y compris pour certains soignants – de trouver des masques dans certains endroits, ne comprend pas que la grande distribution, qui, contrairement à certains élus, n’a pas été réquisitionnée, puisse faire de la publicité pour indiquer qu’elle pourra en vendre prochainement en nombre dans ses magasins.
Le second sujet de préoccupation demeure bien sûr, pour de nombreux élus, celui de l’école. C’est un problème majeur pour beaucoup de collectivités, qui, pour la plupart d’entre elles, sont de taille modeste. Ainsi, 98 % d’entre elles comptent moins de 9 000 habitants et 52 % moins de 500 habitants. C’est dire la complexité de l’action qu’elles doivent mener.
Beaucoup vont essayer de répondre à l’attente des familles, parce qu’il faut bien rouvrir ces écoles. Mais à partir du moment où il a été annoncé qu’elles rouvriraient le 11 mai sur la base du volontariat, on a implicitement reconnu un droit de retrait aux familles et, partant, l’existence d’un risque. Dès lors, beaucoup de familles s’interrogent, surtout au moment où toutes les chaînes de radio et de télévision évoquent la possible émergence d’autres maladies, même si l’on ignore, à ce jour, s’il existe véritablement une corrélation entre celles-ci et le coronavirus. L’inquiétude est donc grande.
Je pourrais également évoquer, monsieur le Premier ministre, les coûts pour les collectivités, source de difficultés très fortes.
Enfin, vous avez abordé la question de la responsabilité, sujet de préoccupation que nous avions été nombreux à faire remonter. Les chefs d’entreprise, les élus, comme beaucoup de responsables associatifs, s’engagent pleinement comme vous le faites vous-même. Pour autant, ils sont inquiets, parce qu’ils savent que leur responsabilité est susceptible d’être engagée.
Mme la garde des sceaux a répondu en expliquant que, en l’état actuel du droit, ils pouvaient être tranquilles. Nous en doutons. Au-delà du droit, il y a la confiance, et préciser les choses, poser des affirmations, accompagner tous ceux qui s’engagent est de nature à redonner de la confiance. C’est tout simplement ce que nous souhaitons faire au travers des amendements qui ne manqueront pas d’être adoptés tout à l’heure.
Monsieur le Premier ministre, vous avez abordé beaucoup de sujets, vous avez apporté beaucoup de précisions et répondu à des demandes déjà anciennes. Je vous en remercie. Pour autant, ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est peut-être davantage de territorialisation. C’est le mot que vous avez employé, mais je n’ai pas entendu dans votre explication comment elle serait déclinée.
Les Français sont confrontés à de nombreux paradoxes : à la télévision, ils voient, d’un côté, des Airbus bondés à bord desquels les gens ne portent pas de masque et, d’un autre côté, des promeneurs se faire verbaliser pour avoir fréquenté une plage. Cette communication est désastreuse pour beaucoup d’entre eux.
Davantage – et vous leur avez en partie répondu – s’inquiètent en disant : « On fait confiance aux commerçants pour rouvrir, mais on ne fait pas confiance aux officiants des cultes pour ouvrir de petites églises, de petits temples, de petites mosquées ou de petites synagogues, ici ou là dans nos provinces. » Vous avez répondu en partie à cette question, mais nombre de nos concitoyens s’interrogent durablement.
Mon groupe souhaiterait que l’on s’oriente davantage vers cette déclinaison territoriale. En faisant confiance à ce que l’on appelle le couple maire-préfet, que vous avez déjà mis en avant, on peut aller beaucoup plus loin et nos concitoyens sont nombreux à demander de la visibilité.
On leur dit qu’il faut attendre le 7 mai pour obtenir certaines précisions, qu’il faudra peut-être attendre le 2 juin pour en obtenir d’autres. Les vacances se profilent sans qu’ils sachent très bien ce qu’ils pourront faire et où ils pourront aller. Pourront-ils aller au-delà des 100 kilomètres dont il est question aujourd’hui ? Je le répète, ils ont besoin d’une plus grande visibilité.
De même, sans une plus grande déclinaison territoriale, à quoi bon avoir des départements en vert et en rouge ?
Beaucoup de nos territoires littoraux ou centraux demandent que les plages ou les forêts soient de nouveau accessibles. De même, on ne comprend pas bien pourquoi des villages qui disposent d’un petit commerce, d’un bar-tabac, ne peuvent pas le rouvrir rapidement alors que les commerces parisiens ou des grandes villes mériteraient d’attendre et d’être mieux organisés.
C’est là une demande très forte et, là encore, nous avons besoin de visibilité.
Nous avons également besoin de visibilité sur différents sujets que vous avez abordés, notamment la culture. Le secteur culturel représente 3 % de notre PIB et il est important, pour tous ceux qui se reconnaissent dans le théâtre, dans le cinéma, dans les musées, qu’ils puissent de nouveau rapidement avoir accès à ces éléments de culture.
Il n’y a pas que les grands musées des grandes villes ; il y a de petits musées, de petites salles, de petits festivals et toutes sortes d’événements qui mériteraient de pouvoir de nouveau fonctionner, sur décision des préfets en lien avec les élus.
Au demeurant, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, que préside Jean-Marie Bockel, a formulé des propositions en faveur d’une territorialisation de ces décisions.
Pareillement, beaucoup de collectivités dépendantes du tourisme attendent avec impatience de connaître les conditions dans lesquelles ces activités vont pouvoir reprendre.
Évidemment, vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, demain ne sera plus comme avant. Nous connaîtrons des difficultés sociales très fortes à la rentrée, le chômage partiel, ainsi que le ministre de l’économie l’a annoncé, ne pourra pas se poursuivre et, malheureusement, le nombre de chômeurs va continuer de croître. C’est la raison pour laquelle la politique sociale devra être prééminente et tenir compte de ce qui s’est passé, car les Français n’accepteront plus, dans leur grande majorité, qu’on donne beaucoup d’argent aux grandes entreprises sans qu’ils puissent bénéficier d’un retour.
S’agissant de la gouvernance mondiale, puisque vous avez évoqué ce point au début de votre propos, cette pandémie est mondiale et l’on a vu la faillite des grandes institutions de l’après-guerre : l’ONU, l’Europe, le G7, le G20. Nous n’avons pas été en mesure d’apporter des réponses collectives. À l’évidence, il faudra repenser rapidement notre participation aux instances mondiales.
Monsieur le Premier ministre, je conclurai en vous remerciant et en vous indiquant que mon groupe se partagera sur le vote puisqu’une partie de mes collègues votera favorablement alors que l’autre s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Claude Malhuret applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, depuis le début de cette crise, mon groupe s’est donné une ligne et s’y est toujours tenu : exigence et bienveillance. L’exigence, d’abord, c’est celle que nous devons aux Français ; c’est l’exigence démocratique. En ces temps de crise, la démocratie n’est pas une gêne ou un obstacle : c’est une ressource. La bienveillance, ensuite : nous avons voté, ici, au Sénat, tous les textes que vous avez présentés. Même quand nous avions un certain nombre de réserves, nous les avons adoptés. Notre bienveillance, donc, vous l’avez. Mais la confiance que vous nous demandez cet après-midi, nous ne pouvons pas vous l’accorder aussi facilement, pour plusieurs raisons.
La première est que nous ne pouvons plus vous croire sur parole, parce que cette parole a donné lieu à trop de contradictions, à trop de contre-vérités, parfois, aussi, sur ce qui constitue d’ailleurs la clé même, le cœur même, de la lutte contre cette pandémie : la prévention, avec les masques, et le dépistage, avec les tests.
Sur les masques, il y aurait tant à dire ! Vous avez commencé par les proclamer inutiles ; un ministre a pu dire, ensuite, que les Français ne savaient pas les mettre. Et, désormais, les Français seront susceptibles de payer des amendes, parce que les masques, évidemment, seront obligatoires, dans les transports publics notamment.
Vous auriez dû dire dès le départ qu’il y avait un problème de pénurie. Les Français ne sont pas des sots : ils s’en sont rendu compte. Et c’est ce qui a écorné la confiance que vous estimiez, il y a quelques instants, absolument nécessaire en vue du déconfinement. Vous vous êtes abrité derrière les palinodies des scientifiques. Franchement, faut-il être membre de l’Académie de médecine pour constater qu’un masque, cela protège ?
M. Bruno Retailleau. Les scientifiques qui prétendaient l’inverse étaient des Diafoirus. Et personne ne peut dire, au moment où je vous parle, si vous aurez suffisamment de masques, la semaine prochaine, pour protéger tous les Français. Ce doute, nous l’avons.
Autre objet de doute : les tests. En la matière, vous n’avez pas pu vous abriter derrière les changements de pied des scientifiques, puisque, dès le 16 mars dernier, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) alertait très solennellement tous les pays du monde : « Testez, testez, testez ! » Pendant des semaines, la France a été à la traîne, au soixantième ou soixante-dixième rang mondial pour le nombre de tests effectués par million d’habitants. Nous avons, au mois d’avril, testé trois fois moins, mes chers collègues, que la moyenne des grands pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) ! Et vous nous dites que vous seriez en mesure d’atteindre, dès la semaine prochaine, le chiffre de 700 000 tests par semaine ? Que de doutes, là encore : il y a dix jours, nous en étions à 270 000. Il va vous falloir très vite plus que doubler ce chiffre pour arriver aux 700 000 tests.
J’observe d’ailleurs que vous avez dit, à l’Assemblée nationale, que vous alliez massifier les tests, fixant l’objectif à 700 000, mais qu’en même temps le troisième critère auquel devront répondre les départements, déterminant s’ils virent ou non au rouge, est justement la capacité de dépistage. N’y a-t-il pas là une contradiction ?
M. Bruno Retailleau. Devant 36 millions de Français, le Président de la République avait reconnu des ratés, des lenteurs, des lourdeurs. À l’Assemblée nationale, vous avez plaidé l’humilité ;…
M. Bruno Retailleau. … c’est un mot que vous n’avez pas prononcé aujourd’hui…
M. Bruno Retailleau. … et un sentiment auquel, en tout cas, ni le Président de la République ni votre majorité ne nous avaient habitués.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Oh !
M. Bruno Retailleau. Bien sûr, la situation dans laquelle nous nous trouvons est radicalement nouvelle. Mais, justement, cette humilité ne peut être le paravent d’une forme de retard à l’allumage. Tous les pays du monde, en effet, connaissent le même virus ; ils n’obtiennent pourtant pas les mêmes résultats.
Comment expliquer qu’en France il y ait eu des blocages ? Ces blocages ont été idéologiques et bureaucratiques. Idéologiques : comment comprendre autrement le blocage sur la fermeture des frontières ? Le Président de la République, le 10 mars, morigénait le Chancelier autrichien qui venait de fermer sa frontière avec l’Italie ; comment le comprendre ? Comment comprendre, d’ailleurs, que dans le texte que nous nous apprêtons à étudier, les ressortissants de l’espace Schengen fassent l’objet d’un traitement à part, alors que c’est dans l’espace Schengen que le virus circule beaucoup et très vite ?
Comment comprendre, par ailleurs, les difficultés que vous avez eues à mettre dans le coup le secteur privé – cliniques, médecins généralistes, laboratoires –, sinon par le jeu de l’idéologie et de la bureaucratie ?
Pendant que les Français étaient confinés, une petite France semblait, elle, résister encore et toujours au confinement : celle de la bureaucratie, à laquelle se heurtent les laboratoires départementaux. Tant de blocages ! Je citerai aussi les 54 pages du protocole sanitaire prévu pour les écoles, qui sont autant de défausses de l’administration parisienne vis-à-vis des élus.
M. Bruno Retailleau. Sans doute faut-il un certain nombre de précautions, mais, franchement, n’y a-t-il pas là la marque d’une véritable bureaucratie ?
Si nous ne pouvons pas voter le plan que vous nous présentez aujourd’hui, c’est donc parce que nous ne pouvons plus vous croire sur parole : nous attendons les faits.
Mais il y a une autre raison, qui me semble encore beaucoup plus importante, et sur laquelle je vous ai alerté depuis des semaines, ici même, au Sénat. Oui, il faut déconfiner. Oui, nous sommes favorables au déconfinement, parce que les inconvénients du confinement sont désormais, y compris en termes sanitaires, supérieurs à ses bénéfices. Mais ce plan de déconfinement ne saurait être un pari à quitte ou double !
Je vous ai entendu, à l’Assemblée nationale, prononcer une phrase clé qui résume peut-être votre climat intérieur, en tout cas la tonalité de l’ensemble de votre discours – je vous cite, mot à mot : « Si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas. » Mais les indicateurs, monsieur le Premier ministre, ne sont pas affaire de météorologie ! La question est, en d’autres termes : avons-nous ou non créé les conditions pour que les indicateurs soient au vert ?
J’ai dit à plusieurs reprises, au Sénat, que le confinement était une juste décision. Cette stratégie défensive, qui consiste à mettre la France sous cloche, aurait nécessairement dû – ce fut le cas dans certaines grandes démocraties asiatiques et européennes – être assortie d’une stratégie parallèle beaucoup plus offensive de protection, de dépistage, de traçage et d’isolement des personnes susceptibles d’être contaminées.
Tout cela, vous auriez pu le faire avant ! Partout en France, des milliers d’hôtels totalement vides étaient disponibles : nous aurions pu isoler des personnes qui avaient été en contact avec des malades. Même chose pour l’application numérique que nous n’aurons pas : nous aurions pu y travailler avant. Elle n’est pas prête, et si nous devons y avoir recours, sans doute devrons-nous passer sous les fourches caudines des Gafam. Quant aux brigades, derechef, nous aurions pu les former avant ! Il n’y avait pas besoin pour cela d’un fondement législatif ; il n’y avait pas besoin d’attendre le dernier moment.
Oui, il y a eu un temps de retard ! Oui, les doutes sont trop nombreux, monsieur le Premier ministre. J’ai conscience, comme mes collègues ici présents, qu’il s’agit sans doute, de toutes les décisions que vous avez prises, de la plus difficile et de la plus grave. Je ne dis pas qu’elle est simple ; je dis seulement que nous aurions pu, à l’instar d’autres pays, avoir une autre stratégie, qui aurait complété celle du confinement.
La France a été mise sous cloche ; nous nous apprêtons à soulever cette cloche, sans savoir ce que nous allons trouver.
Vous pouvez compter sur notre bienveillance. Mais nous avons des doutes. C’est la raison pour laquelle nous allons très majoritairement, massivement même, nous abstenir. Vous pouvez compter sur nous pour améliorer le texte que vous allez nous soumettre dans quelques heures. Il y a énormément de choses à faire en matière de responsabilité, ce qui ne veut pas dire – vous avez raison, monsieur le Premier ministre – exonérer les responsables de leurs responsabilités. Il nous faut être clairs envers celles et ceux qui doivent concourir à l’application des décisions de l’État.
En tout cas, comme je l’ai dit, nous restons disponibles pour améliorer ce texte. Sans méconnaître la difficulté de votre situation – vous n’avez pas choisi la date du 11 mai –, je pense qu’il faut impérativement, désormais, faire en sorte que la France puisse retrouver le peloton de tête des pays qui, dans le monde entier, ont su combattre efficacement cette pandémie, en essayant de casser les chaînes de contamination, ce que jusqu’à présent nous n’avons pas fait. Nous avons freiné l’épidémie, mais nous ne lui avons pas cassé les reins. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains. – Mme Sophie Joissains et M. Hervé Maurey applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mes premiers mots, comme ceux de beaucoup de mes collègues, iront, bien sûr, à nos concitoyens, soignants, travailleurs, qui, depuis plusieurs semaines, tiennent, risquant leur santé, perdant leur vie pour certains – je veux leur rendre hommage –, ainsi qu’aux millions de Français qui sont chez eux, confinés. Le pays tout entier est mobilisé pour faire face, et chacun doit assumer sa responsabilité.
La vôtre, monsieur le Premier ministre, est de veiller à ce que les Français soient protégés face à un virus mortel, une « vacherie », disait le professeur Delfraissy ; à ce qu’ils soient protégés des conséquences d’une maladie qui mine nos habitudes, nos manières de vivre et de travailler, mais qui ne doit pas provoquer un effondrement économique. La grande faucheuse sanitaire ne doit pas se muer en une grande faucheuse sociale.
Certes, les incertitudes sont encore nombreuses. Bien qu’elle ait envahi nos vies, cette maladie est encore très mal connue : pas de vaccin, ni de traitement, ni non plus, peut-être, d’immunité. Les horizons sont bien tristes ; ils sont en tout cas, concernant le vaccin, très lointains. Cela nous incite à l’humilité et à la remise en question.
La seule certitude que nous avons aujourd’hui est que nous allons devoir vivre de longs mois avec ce virus. Ce constat étant fait, le défi du déconfinement est une étape cruciale. Nous savons qu’un déconfinement raté serait le prélude à un reconfinement assuré. Une deuxième vague réduirait à néant les efforts fournis jusqu’à présent et viendrait heurter de plein fouet un système de santé déjà très affaibli par la première vague.
Le déconfinement est un pari à haut risque, monsieur le Premier ministre. La date du 11 mai a été fixée, mais cette annonce avait-elle été vraiment préparée par un travail de fond de votre gouvernement, dans une logique de rétroplanning ? Permettez-moi, sur ce point, de m’interroger. Il faut évidemment déconfiner dès que possible ; mais « dès que possible » veut dire : dès que nous avons les garanties nécessaires. On ne doit pas faire de pari sur la santé ou les libertés des Français. Pour ne pas faire du 11 mai une chimère, il faut de la clarté et des moyens.
Répondre au besoin de clarté de la population doit être la première préoccupation de votre gouvernement : il faut en finir avec les injonctions contradictoires que nous connaissons depuis plusieurs mois. J’ai en mémoire vos propos rassurants, le 27 février, quand vous aviez réuni à Matignon les présidents de groupes et les patrons de partis. Nous étions sortis de cette réunion, sinon rassurés, en tout cas rassérénés.
Les injonctions contradictoires, les ordres et les contre-ordres ajoutent de l’anxiété à une période qui n’en manque pas. Mais, par-dessus tout, cela fait courir un risque sanitaire. Il faut que les règles édictées soient comprises et partagées, afin d’éviter une deuxième vague.
J’en donne une illustration, cela a déjà été dit : le manque de garanties concernant l’accessibilité des masques aux Français, et l’absence de prise de position du Gouvernement sur la gratuité. Avec le temps qui passe, les Français se sont rendu compte que, contrairement à ce qui était avancé, les masques ne sont pas inutiles s’ils deviennent une protection collective et massive. Nous avons donc du mal à comprendre pourquoi les masques seraient obligatoires à l’école et dans les transports alors qu’il n’existe aucune obligation de les porter au travail ou dans les lieux publics. Nous souhaitons avoir des éclaircissements sur ce point.
Si la limite à cette mesure est le manque de masques disponibles, il est incompréhensible de voir les grands distributeurs faire les annonces qu’ils font aujourd’hui, à coups d’arrivages par millions. Le commerce, dans le contexte actuel, n’a pas de sens. L’État doit prendre ses responsabilités et ne pas craindre de poursuivre ses réquisitions pour permettre à l’ensemble des Français d’être correctement protégés dès qu’ils entrent dans l’espace public.
Quant aux tests, nous demandons des points d’étape réguliers sur leur nombre et les garanties entourant leur disponibilité. Je ne vous rappellerai pas, monsieur le Premier ministre, qu’il y a encore à peine un mois nous étions à 5 000 tests par jour ! Vous nous annoncez 100 000 tests par jour le 11 mai ? Tant mieux ! Mais nous serons là pour vérifier que cet engagement sera bien respecté.
La prise en charge de l’isolement des personnes malades doit également être assumée par l’État lorsque celles-ci ne disposent pas d’un lieu où s’isoler.
La question de la restriction des libertés publiques proportionnée à l’urgence doit elle aussi être traitée avec le plus de clairvoyance possible. S’il faut donner les moyens aux brigades sanitaires de faire leur travail, il convient de repousser les dispositifs inefficaces et dangereux pour la liberté des Français, comme l’application StopCovid. La ligne de crête est étroite, mais la République doit veiller à ne pas céder à la panique et continuer à garantir les libertés fondamentales. Vous sembliez douter, à l’Assemblée nationale, de la pertinence de ce dispositif. Mais, à en croire les propos tenus il y a quarante-huit heures par votre porte-parole, il semblerait que ce chantier, loin d’être abandonné, puisse être opérationnel dès le début du mois de juin. Monsieur le Premier ministre, cette idée de traçage anonyme est un dangereux oxymore.
S’il n’est pas possible, le 11 mai, de déconfiner tout en respectant la sécurité des Français, il faut remettre en question cette date. Vous répétez que vous y êtes prêt – nous l’avons entendu –, mais nous espérons que cette échéance ne sera pas un totem au motif qu’elle aurait été annoncée par le Président de la République. En toute hypothèse, nous ne vous donnerons pas – cette chambre, en tout cas, ne vous la donnera pas, manifestement – d’habilitation à prendre une nouvelle ordonnance sur un sujet, celui des libertés individuelles, qui relève expressément de l’autorité du Parlement.
M. Philippe Bas. Très bien ! (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Le conseil scientifique a fixé des prérequis sanitaires pour le déconfinement. Si ce conseil est consultatif, il ne doit pas devenir décoratif. (Sourires.) Pour ne pas avoir suivi ses recommandations concernant les écoles, vous finissez par créer un doute dans l’esprit des Français. L’école ne doit pas devenir le symbole de l’échec du déconfinement. Or la reprise progressive de l’école sur une base volontaire traduit l’incertitude relative aux conditions de sécurité sanitaire. Le risque que fait courir une reprise anticipée aux enseignants et aux élèves est trop grand ; il est urgent d’attendre pour que l’école ne devienne pas le creuset d’une nouvelle catastrophe sanitaire.
De nombreux maires s’inquiètent de la faisabilité de cette reprise. Plusieurs centaines d’entre eux vous ont écrit et ont demandé au Président de la République, hier, de repousser la réouverture des écoles. Quelle réponse leur apporterez-vous ? L’État ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en faisant peser la décision de la rescolarisation sur les parents et la décision de la réouverture sur les maires seuls. L’école à la carte, à pile ou face ou sur un coup de dé n’est pas conforme au principe républicain d’égalité. Vous n’avez pas anticipé le désarroi des parents, des enseignants, des élus.
Dans ce contexte très particulier, il conviendra de clarifier les conditions dans lesquelles la responsabilité des maires peut être engagée. Vous avez commencé, monsieur le Premier ministre, à répondre à cette question de la protection des élus locaux, ces hussards de la République qui, au plus près de leurs concitoyens, ne disposent pas toujours des moyens de protection nécessaires à l’ouverture des lieux recevant du public – nous y reviendrons au cours du débat sur le projet de loi que nous nous apprêtons à examiner.
Vous avez pris par ailleurs, monsieur le Premier ministre, des mesures d’assistance en faveur des plus démunis. Nous les saluons – je pense notamment à celles que vous avez annoncées pour les jeunes les plus en difficulté. Mais le projet de loi d’urgence que nous sommes sur le point de discuter n’anticipe pas une menace qui va certainement se concrétiser. L’augmentation du chômage est certes amortie par le chômage partiel, qui touche aujourd’hui un salarié du privé sur deux dans notre pays. J’en profite pour rappeler que le chômage partiel n’est pas une faveur. (Mme Sophie Primas s’exclame.) Vous évoquez souvent la notion de générosité, mais ces salariés n’ont rien demandé : ils subissent la crise de plein fouet. Cette augmentation du chômage définitif, donc, méritera sûrement un ensemble complet de réponses de la part votre gouvernement.
Des mesures doivent être prises ! Il faut empêcher que de nombreux Français ne tombent dans la précarité. Vous semblez redécouvrir ce choix de société qu’est l’État-providence et les « jours heureux » afférents, ceux du Conseil national de la résistance. Allons-y ! Prolongeons le chômage partiel ; arrêtons de précariser les chômeurs et abrogeons définitivement votre réforme injuste de l’assurance chômage ; engageons des négociations salariales ; créons le revenu de base ; abandonnons votre projet mortifère de réforme des retraites ! (M. François Patriat s’exclame.) Ces mesures prioritaires avaient selon nous leur place dans le projet de loi examiné ce soir. Ce texte aurait dû être un projet de loi d’urgence sanitaire et sociale. Malheureusement, il n’en est rien.
Vous le voyez, nos craintes sont nombreuses. Le temps qui m’est imparti ne me permet pas de développer bien d’autres sujets que nous évoquerons à l’occasion de questions complémentaires. En particulier, l’équilibre fragile entre la sécurité sanitaire des Français et la protection de leurs libertés individuelles sera au cœur de notre débat.
Monsieur le Premier ministre, vous nous trouverez toujours à vos côtés pour accompagner les Français. Nous avons d’ailleurs adopté les deux projets de loi de finances rectificative. Mais l’exercice, aujourd’hui, est différent, face à la crise. Aujourd’hui, vous nous demandez de vous accorder notre soutien. Mais le soutien se construit dans la confiance : confiance dans la gestion passée, confiance dans les choix à venir, confiance dans les moyens développés et déployés.
J’ai le regret de vous annoncer qu’aux yeux du groupe socialiste et républicain, le compte n’y est pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)