compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Françoise Gatel,

M. Michel Raison.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 8 avril 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’anciens sénateurs

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Marcel Rainaud, qui fut sénateur de l’Aude de 2006 à 2014. J’ai le souvenir du fauteuil qu’il occupait, après avoir succédé à Raymond Courrière.

J’ai aussi le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Christian Bonnet, qui fut sénateur du Morbihan de 1983 à 2001. J’évoquerai sa mémoire dans quelque temps.

3

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du mardi 21 avril, après-midi et soir, sous réserve de son dépôt et de sa transmission, du projet de loi de finances rectificative pour 2020 et, à l’ordre du jour du jeudi 23 avril, matin, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2020 ou l’examen en nouvelle lecture de ce projet de loi.

Acte est donné de ces demandes.

Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance en première lecture serait fixé au mardi 21 avril à l’ouverture de la discussion générale.

La durée de la discussion générale pour l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire ou la nouvelle lecture pourrait être fixée à quarante-cinq minutes.

En cas de nouvelle lecture, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance serait fixé au jeudi 23 avril à l’ouverture de la discussion générale.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

4

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement sous le format adapté et restreint déjà mis en place.

Monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

moyens alloués aux collectivités territoriales pour soutenir la reprise

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Mme Nathalie Delattre. Lors de sa dernière allocution télévisée, le Président de la République a salué, à plusieurs reprises et à juste titre, le rôle primordial assumé par nos maires et nos élus locaux face à la crise.

Comme à l’habitude, nos collectivités sont au rendez-vous. Elles produisent un effort inédit, serein, mais déterminé, rigoureux et résolument tourné vers le quotidien de nos concitoyens les plus fragiles et les plus démunis. Elles se préoccupent aussi grandement du tissu économique de leur bassin de vie. Car, si la lutte sanitaire est la priorité, la reprise de l’activité économique est le second pilier qui doit guider la reconstruction.

Notre économie devra tirer toutes les leçons de nos échecs passés et des impensés d’une mondialisation béate, pour devenir enfin plus respectueuse de notre environnement et résiliente. Ce mot résonne pour moi particulièrement dans cet hémicycle aujourd’hui, puisque mon groupe a soutenu ici même, voilà quelques semaines, une proposition de résolution sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale.

Chômage partiel, mesures d’exonérations, pression sur les assurances : l’État est là, et devra continuer à l’être. Fonds de soutien métropolitain d’urgence aux entreprises et à l’emploi, comme à Bordeaux, exonération du paiement de la redevance d’occupation du domaine public ou de loyers communaux dans des centaines de mairies, fonds de la région Occitanie et de tant d’autres : les collectivités se surpassent face à la crise, car, sans leurs interventions, c’est l’entièreté de notre écosystème qui sombrera.

Les élus locaux savent mieux que quiconque quelle politique publique mener en proximité, dans cette République des territoires si chère aux radicaux et au président Gérard Larcher, qui a évoqué si justement ces « petites Républiques dans la grande ».

Alors, aux fins de donner durablement corps aux annonces du Président de la République, ainsi qu’à l’esprit du projet de loi 3D – décentralisation, différenciation et déconcentration –, qu’il envisageait de présenter avant l’état d’urgence, quels moyens et quelles compétences le Gouvernement entend-il donner à la France des collectivités ? Ces dernières bénéficieront-elles du nouveau muscle budgétaire et de la confiance qui leur fait tant défaut pour faire encore plus ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui me donne l’occasion de saluer les efforts accomplis par l’ensemble des élus locaux pour répondre aux besoins de leur population et pour soutenir le tissu économique local.

Le Gouvernement a également pris des mesures concrètes en ce sens. Vous le savez, nous avons d’abord permis aux collectivités d’exécuter leur budget dans des conditions beaucoup plus souples qu’habituellement, comme l’avait d’ailleurs demandé le Sénat lors de l’examen du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Pour mémoire, je citerai la possibilité d’exécuter des dépenses de fonctionnement comme d’investissement avant le vote du budget, reporté, comme vous le savez, à la fin du mois de juillet ; le pouvoir confié directement à l’exécutif local de souscrire des lignes de trésorerie ou d’attribuer des subventions aux associations, qui jouent aussi sur le terrain un rôle très important ; et le pouvoir donné aux présidents de région d’attribuer directement des aides aux entreprises.

Par ailleurs, le Gouvernement a immédiatement pris la décision de suspendre les contrats dits de Cahors de maîtrise de la dépense publique, conscient de la pression qui risque d’être exercée sur les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales.

En outre, des mesures ont été prises dans le champ des aides aux entreprises. Vous le savez, un fonds national de solidarité a été créé, financé principalement par l’État à hauteur de 5,5 milliards d’euros, mais aussi par les régions, pour un montant de 500 millions d’euros. Une dérogation ponctuelle et exceptionnelle à la répartition des compétences des collectivités en matière d’aide aux entreprises permet aux communes, aux EPCI et aux départements de participer au fonds par convention avec l’État.

Enfin, État et collectivités doivent s’organiser pour que les entreprises disposent d’interlocuteurs bien identifiés, dans une logique de guichet unique. Je veillerai bien sûr à l’avenir à ce que les collectivités qui participent soient dûment associées aux procédures et informées des aides accordées sur leur territoire.

En effet, ce n’est que dans une logique partenariale très forte qu’État et collectivités trouveront les solutions les plus adaptées pour préparer l’avenir de nos territoires. Le Gouvernement veut ainsi répondre à la crise qui nous touche, pour nous préparer à l’après-épidémie.

conditions de mise en œuvre du déconfinement des établissements scolaires le 11 mai 2020

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, depuis le début de l’épidémie, les décisions du Gouvernement s’appuient sur l’expertise de scientifiques. Pouvez-vous nous communiquer l’avis scientifique indiquant la pertinence d’une réouverture des établissements scolaires le 11 mai prochain ?

Pouvez-vous nous dire quels seront les enfants prioritairement invités à aller à l’école, puisque vous avez indiqué que cette reprise ne serait ni simultanée ni obligatoire ?

Pouvez-vous nous dire quels matériels et quelle quantité de matériels seront mis à disposition des personnels de l’éducation nationale comme des agents territoriaux ? Les soignants manquent encore de tout aujourd’hui, ce qui est très inquiétant.

Quelles consignes et quels moyens seront donnés aux collectivités pour assurer l’entretien ou la désinfection régulière des locaux ? Devront-elles assurer la restauration ou le transport scolaire ?

Quelle stratégie est prévue en matière de test ? Il semble que les enfants et les jeunes soient porteurs asymptomatiques du Covid-19. Si l’on veut enrayer l’épidémie, il paraît donc indispensable de les dépister, tout comme le personnel enseignant.

Tout semble indiquer, monsieur le ministre, que la date du 11 mai a été annoncée sans que ces questions aient été examinées. Ce sont pourtant ces réponses que les Français attendent.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, toutes les questions que vous avez posées sont importantes. Nous les traitons actuellement tout en préparant le déconfinement. Vous seriez la première à vous étonner si nous le faisions verticalement, sans concertation. Nous avançons en consultant les autorités de santé, mais aussi en discutant avec les organisations syndicales, les représentants des associations d’élus – Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, Assemblée des départements de France, Association des régions de France –, ainsi que les fédérations de parents d’élèves et les représentants des lycéens, bref toutes les parties prenantes du sujet scolaire.

Bien sûr, notre vision doit aussi être internationale et, surtout, européenne. Nous observons ce qui se passe chez nos voisins : plusieurs pays ont déjà commencé à décider le déconfinement. Nous examinons avec beaucoup d’attention leur stratégie.

Le mot clé a été prononcé par le Président de la République : c’est le terme « progressivité ». Cela signifie que, le 11 mai, les écoles, les collèges et les lycées ne retrouveront pas un fonctionnement normal, comme si de rien n’était. C’est tout le contraire, nous avons été très clairs depuis le début.

La progressivité, cela signifie que tous les élèves ne retourneront pas dans leur établissement immédiatement. Cela signifie que nous agirons à la lumière des principes affichés par le Président de la République, et plus particulièrement du principe social, ce qui ne devrait pas être de nature à vous choquer. Si nous avons pris une telle décision, c’est pour des raisons sociales. En effet, si le confinement ne s’achevait pas suffisamment tôt, nous serions confrontés à des désastres sociaux pour les élèves les plus éloignés de l’école. Vous devriez être sensible à ce point.

Bien entendu, nous veillerons à la sécurité sanitaire de tous – c’est notre premier principe d’action –, aussi bien des professeurs que des élèves. Pour ce faire, nous répondrons aux différentes questions que vous avez posées, ainsi qu’à quelques autres. Ainsi, nous examinerons comment travailler avec les collectivités locales concernant les équipements, le nettoyage avant l’arrivée des élèves ou l’éventuel port du masque.

Nous travaillons, et vous aurez toutes les réponses à vos questions dans moins de deux semaines, au moment où le Premier ministre exposera notre plan général.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, pourquoi la concertation ne s’engage-t-elle qu’après l’annonce de la date du déconfinement ?

Par ailleurs, les Français ne sont pas dupes des valeurs que vous usurpez. C’est vrai, le confinement aggrave les inégalités sociales ; je fais partie de ceux qui, dès le début, ont alerté sur ce point. Si on veut faire face à ce problème, il faut annuler, comme je vous l’ai proposé, les fermetures de classes dans les zones d’éducation prioritaire à la prochaine rentrée. Il faut doter nos collèges et lycées de postes supplémentaires, alors que certains sont supprimés. Voilà comment on résoudra les inégalités sociales dans l’école !

Je crains que les Français qui pensent aujourd’hui qu’on veut instaurer un système de garde d’enfants pour que les parents salariés retournent plus vite à la production ne voient leur point de vue renforcé par la manière dont vous concevez ce déconfinement progressif, très partial et très inégalitaire.

situation des invisibles

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour le groupe socialiste et républicain

Mme Martine Filleul. La crise que nous traversons exacerbe les inégalités ; comme toutes les crises, en effet, elle frappe d’abord et surtout les plus fragiles, les moins protégés. Des femmes et des hommes sont aujourd’hui abandonnés à leur sort.

Je pense aux sans domicile fixe, aux migrants, aux populations roms, qui vivent dehors, dans des squats, des bidonvilles ou des campements de fortune, mais aussi dans des centres de rétention. Alors que le confinement et la distanciation sociale sont nos principales armes contre l’épidémie, ces mesures sont inapplicables dans ces endroits, où les conditions de vie et d’hygiène sont désastreuses.

Une centaine d’associations et d’ONG (organisations non gouvernementales) a saisi les Nations unies pour demander au gouvernement français de mieux inclure ces personnes dans la gestion du coronavirus.

Je pense aussi à ces autres invisibles que sont les familles monoparentales, les étudiants et les jeunes, qui ne bénéficient pas du RSA (revenu de solidarité active), ou les personnes en fin de droits et précaires, souvent exclues du numérique. Les maires et les associations font un travail exceptionnel pour répondre à ces problématiques, mais les moyens sont insuffisants.

Dix-neuf présidents socialistes de département ont réclamé l’instauration d’un revenu de base universel pour lutter contre l’exclusion et la pauvreté et amortir le choc social prévisible.

Le Gouvernement a mis beaucoup d’argent sur la table pour éviter le naufrage économique, alors même que les actionnaires continuent de percevoir des dividendes. Mais il doit aussi éviter le naufrage social.

Déjà un mois de confinement, et les invisibles que j’ai évoqués n’ont eu droit qu’à bien peu d’égards. Vous venez juste de décider une aide exceptionnelle qui ne peut rien résoudre dans la durée et ne concerne que les familles avec enfants. Pourtant, une société se grandit quand elle prend soin des plus fragiles. Que comptez-vous faire pour protéger ceux-ci durablement ? Comptez-vous expérimenter la proposition de revenu de base ?

Comme l’a dit le Président de la République, des décisions de rupture sont nécessaires. Nous les attendons, et les populations que j’ai évoquées les attendent.

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous évoquez l’accompagnement que nous mettons en œuvre auprès des plus fragiles, notamment les sans domicile fixe ou les personnes vivant dans des bidonvilles. Je voudrais être très clair sur ce point, avec Olivier Véran et sous le contrôle du Premier ministre : nous avons toujours dit que la réponse à la crise sanitaire que nous traversons est évidemment sanitaire, d’abord, économique, ensuite, mais également sociale. La solidarité ne doit pas être une victime du Covid-19, et ce volet social – j’y insiste – est extrêmement important.

Les premières dispositions que nous avons prises en direction des plus précaires, de ceux qui, malheureusement, vivent dans la rue, ont consisté à réquisitionner des chambres d’hôtel, pour les mettre à l’abri, justement. Au moment où je vous parle, depuis le début du confinement, ce sont près de 10 000 – je dis bien 10 000 – places d’hôtel que nous avons réquisitionnées. Hier soir, 174 000 personnes ont été accueillies et mises à l’abri dans les centres d’hébergement d’urgence. Pour celles et ceux qui sont atteints du Covid-19 mais qui n’ont pas besoin d’être hospitalisés, nous avons créé, avec les associations, que je salue, plus de 80 sites partout sur le territoire, en métropole et dans les outre-mer.

Le deuxième volet que vous évoquez est celui de la politique sociale de solidarité que nous mettons en œuvre en faveur des plus précaires, qui font face, aujourd’hui, à l’augmentation de certaines dépenses – je pense aux enfants qui perdent le bénéfice de la cantine.

Olivier Véran, le Premier ministre et moi-même venons d’annoncer, aujourd’hui, une aide exceptionnelle d’urgence sociale de 150 euros à destination de toutes les familles bénéficiaires du RSA ou de l’ASS (allocation de solidarité spécifique), à laquelle s’ajouteront 100 euros par enfant, ainsi qu’une aide de 100 euros par enfant pour toutes les familles qui perçoivent l’APL (aide personnalisée au logement).

Au moment où je vous parle, ce sont 4 millions de foyers – je dis bien 4 millions – qui vont pouvoir bénéficier de cette aide exceptionnelle à compter du 15 mai, de façon très rapide et sans aucune démarche à effectuer.

Cette mesure témoigne de notre action en faveur de la nécessaire solidarité. Je l’ai dit : la réponse que nous apportons à la situation que nous vivons est sanitaire, économique, mais aussi sociale – vous avez tout à fait raison, madame la sénatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

instruction et délivrance des permis de construire à la suite des mesures d’urgence

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Dany Wattebled. Dans son adresse aux Français, le Président de la République a tracé, lundi, un horizon pour le déconfinement. Cet horizon est encore lointain, mais il a le mérite d’exister.

Beaucoup de Français veulent déjà être prêts pour l’après. Qu’ils soient en première, en deuxième ou en troisième ligne, la pandémie n’a pas entamé leur volonté de construire le futur. Je salue ici leurs efforts et leur discipline. Nous leur devons un langage de clarté.

Cela vaut notamment pour le bâtiment. Le secteur est particulièrement affecté par la crise qui paralyse notre économie. Pour de très nombreuses entreprises, le coup d’arrêt est brutal. Même si les chantiers reprennent au cas par cas, lorsque les conditions sanitaires sont réunies, de nombreux patrons craignent pour leurs employés et pour la survie de leur entreprise.

Outre ces difficultés actuelles, des préoccupations surgissent déjà concernant l’avenir et la reprise future des activités. En effet, à la suite de la neutralisation des délais administratifs, de nombreuses collectivités territoriales ont suspendu l’instruction des dossiers de permis de construire.

Sachant que les délais de recours demeureront incompressibles, les retards qui s’accumulent aujourd’hui devront être purgés le moment venu. En outre, la prorogation d’un mois des délais d’autorisation après la fin de l’état d’urgence sanitaire risque d’aggraver la donne.

Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour éviter un faux départ au moment du déconfinement ? La situation est trop grave pour que nous nous permettions d’ajouter aux difficultés actuelles des difficultés futures.

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison : l’activité du bâtiment et de la construction relève d’une impérieuse nécessité là où il s’agit d’assurer la maintenance des logements, mais aussi de préparer l’après. Il nous faut donc soutenir les entreprises du secteur.

La première décision que nous avons prise, avec le ministre de l’économie et la ministre du travail, a consisté à sécuriser, autant que faire se peut, l’ensemble des travailleurs du secteur du bâtiment. Avec l’ensemble des fédérations, nous sommes convenus d’un guide sanitaire pour permettre, là où c’est possible, la reprise d’un certain nombre de chantiers, dans une totale sécurité pour les travailleurs, alors même que nous observions qu’à peu près neuf chantiers sur dix étaient à l’arrêt.

Vous avez raison de pointer du doigt l’ordonnance que nous avions prise le 25 mars dernier, rallongeant un certain nombre de délais relevant du droit de l’urbanisme, les délais de recours, les délais de prescription, les délais de préemption. Monsieur le sénateur, vous aviez raison, ainsi que MM. les présidents Patriat et Retailleau, de mettre en avant ce sujet des délais.

À la suite de ces remontées de terrain, près de trois semaines après la publication de cette ordonnance, nous l’avons d’ores et déjà modifiée. J’ai eu l’honneur de présenter ce matin, aux côtés de la garde des sceaux, un nouveau texte en conseil des ministres. Ce fameux délai tampon d’un mois que vous évoquiez, applicable aux permis de construire et aux autorisations d’urbanisme, nous y avons mis fin ce matin.

S’agissant des délais de recours échus pendant l’état d’urgence sanitaire, jusqu’à présent, l’ordonnance du 25 mars disposait qu’ils recommenceraient à courir à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de cette période, et, de surcroît, pour leur durée initiale, en repartant à zéro. Ce n’était pas possible !

Sur ce point aussi, nous avons modifié l’ordonnance : là où le délai de recours courait encore pour dix jours à l’entrée dans la période d’état d’urgence sanitaire, il courra encore pour dix jours à compter de la fin de cette période.

Nous avons donc entendu ces remontées de terrain, pour lesquelles nous vous remercions. Nous avons d’ores et déjà corrigé ces dispositions, et il va nous falloir continuer à soutenir ce secteur ô combien important, tant aujourd’hui que, surtout, demain. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.

M. Dany Wattebled. Merci beaucoup de ces précisions, monsieur le ministre. Certaines entreprises souffrent aujourd’hui d’un manque complet de masques. Je compte sur le Gouvernement pour que les entreprises aient suffisamment de masques, le jour du déconfinement, pour qu’il soit possible de retourner au travail.

sortie du confinement

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains.

M. Bruno Retailleau. Ainsi, monsieur le Premier ministre, le déconfinement aura lieu, normalement, le 11 mai prochain, puisque c’est cette date que, lundi soir dernier, le Président de la République a annoncée devant des millions de Français.

Par conséquent, au moins jusqu’à cette date, le remède sera le confinement, puis, seulement à partir de cette date, on procédera à la généralisation du port du masque et à une extension du dépistage. Mais pourquoi, sur ces deux points, attendre encore ? Je m’interroge et je vous interroge, monsieur le Premier ministre, sur la stratégie française qui consiste à tout miser sur le confinement.

Entendez-moi bien ; la stratégie du confinement est indispensable, notamment pour soulager nos hôpitaux, mais elle a d’énormes effets collatéraux. Sans doute permet-elle, dans un premier temps, d’endiguer, de freiner l’épidémie, mais elle ne permet pas de l’arrêter. Face au virus, il n’y a pas que des incertitudes ni des échecs ; des pays, dans le monde – en Asie, en Europe –, ont connu des succès. Chaque fois, leur stratégie est massive, offensive et mêle détection et protection.

La détection est nécessaire parce que, pour combattre cet ennemi, il faut connaître le virus, l’épidémie. Il convient donc de dépister massivement, afin de mesurer l’évolution de la maladie, de la détecter, de diagnostiquer, de soigner, de localiser, de tracer et d’isoler, y compris, peut-être, dans des hôtels. Il faut le faire maintenant et généraliser tout de suite les mesures barrières, notamment les masques.

Je sais que la tâche est difficile, monsieur le Premier ministre, mais, depuis le début, cela ne va pas assez vite. Il y a des lenteurs, des lourdeurs, des ratés ; le président de la République l’a d’ailleurs reconnu. Il faut donc absolument que vous bousculiez ces pesanteurs.

Aussi, je vous le demande : à partir de quand notre pays, la France, pourra-t-il enfin combiner une stratégie défensive avec une stratégie offensive ? C’est ce que font les pays qui ont eu du succès.

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous l’avez dit, monsieur le président Retailleau, la stratégie française a consisté à mettre en œuvre le confinement, afin d’éviter que l’afflux de cas sévères dans les hôpitaux français ne soit si important que nos capacités globales d’accueil en service de réanimation soient dépassées.

Néanmoins, je ne crois pas – je le dis sans esprit de polémique – que toute la stratégie française se soit résumée au confinement.

Certes, cela a été un instrument extrêmement important pour éviter le dépassement de notre capacité hospitalière, phénomène constaté dans d’autres pays. De ce point de vue – je le dis avec une immense modestie et beaucoup de prudence –, nous avons réussi : les capacités françaises d’accueil hospitalier n’ont pas été dépassées, le système a tenu, au prix, certes, d’une pression considérable et d’efforts absolument admirables, mais il a tenu.

Cela dit, nous ne nous sommes pas cantonnés à organiser le confinement et à attendre, ensuite, que les choses se passent, vous l’imaginez bien. Nous avons ainsi veillé, dans le même temps, à ce que notre appareil productif soit développé et, à bien des égards, réorganisé, afin qu’il puisse nous fournir les instruments nécessaires et sûrs pour sortir progressivement de ce confinement et nous protéger contre le virus.

C’est pour cela que les capacités françaises de production de masques chirurgicaux et de masques FFP2 ont été accrues, et nous avons fait très tôt en sorte d’accroître cet effort productif.

Je le reconnais volontiers, monsieur le président Retailleau – vous-même le savez bien, ainsi, au fond, que tous ceux qui sont de bonne foi –, obtenir après explications d’une entreprise qui a de telles capacités de production qu’elle multiplie celles-ci par deux ou trois ne se fait pas en un instant, en claquant des doigts. Elle doit investir dans des machines, sécuriser ses circuits de distribution, acheter de la matière première, former ses salariés ; bref, cela prend du temps.

L’augmentation des capacités productives nationales en matière de masques chirurgicaux et de masques FFP2 a donc pris du temps, mais ces capacités se sont considérablement accrues. L’objectif, rappelé par le ministre des solidarités et de la santé et par le Président de la République, est d’arriver, dans les plus brefs délais, à une forme d’autonomie nationale en matière de production de masques FFP2.

Autre élément de réponse : nous avons également développé la normalisation et la certification des masques dits « grand public », qui permettront à l’ensemble de nos concitoyens de s’équiper en masques anti-projections, un facteur supplémentaire de protection.

Je veux dire un mot à ce sujet. Vous avez raison, monsieur le président Retailleau, nous devons toujours apprendre de nos voisins ou de nos partenaires, lorsque ceux-ci réussissent mieux que nous ; c’est un principe d’humilité, mais aussi d’intelligence : lorsque quelque chose fonctionne ailleurs, il faut évidemment s’en inspirer, mais considérons alors réellement tout ce qui se passe ailleurs. Constatons notamment que, dans des pays où l’on a beaucoup recouru aux tests et aux masques, on en arrive parfois au confinement, parce que cela ne suffit pas.

Considérez ainsi ce qu’il est en train de se passer au Japon ou à Singapour. Ces pays sont, on peut le dire, très différents du nôtre et ils ont adopté une politique présentée pendant quelques semaines, voire quelques mois, comme exemplaire ; mais la vérité, c’est que, eux aussi, en viennent au confinement. Cela prouve que nous devons aborder ces sujets avec, je le répète, humilité ; ce qui paraît, à un moment ou à un endroit, évident l’est parfois un peu moins lorsque l’on observe l’effet dans la durée.

Notre objectif n’est pas de faire en sorte que, le 11 mai prochain, on revienne à la situation prévalant jusqu’au confinement ; cela ne se passera pas ainsi.

Il fallait fixer un objectif – c’est ce qu’a fait le Président de la République – et dire que cette période de confinement ne pouvait évidemment pas durer indéfiniment ; il faut se donner les moyens de tenir cet objectif, en respectant scrupuleusement les trois principes, évoqués par le Président de la République, de sécurité sanitaire, de préservation de la santé des Français et de continuité de la vie de la Nation.

Cela passera – le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse l’a souligné – par une reprise progressive de l’école, progressive parce que, on le conçoit aisément, dans bien des endroits du territoire, on commencera par telle ou telle classe, on réorganisera la journée selon des rythmes un peu différents de ceux qui prévalaient auparavant ou on essaiera d’utiliser les locaux scolaires de façon différente de ce que l’on faisait jusqu’alors.

Cela nous conduira donc forcément, et heureusement, d’ailleurs, à travailler avec les maires et les élus locaux ; nous ne pouvons pas « réussir » ce déconfinement seuls. Je l’ai indiqué plusieurs fois, presque avec humour, jamais personne n’a fait ce que nous allons collectivement effectuer. Un déconfinement aussi massif, avec le risque sanitaire et les difficultés que nous connaissons, est un territoire inexploré, n’a pas de précédent. Par conséquent, abordons-le avec humilité, avec prudence et selon une logique expérimentale, si j’ose dire ; essayons de tester les choses.

J’en terminerai avec ceci. Vous nous encouragez à une vision offensive et nous allons évidemment développer les tests et les masques pour faire en sorte que chacun puisse en obtenir, mais il nous faudra sans doute accepter l’idée de tester certaines méthodes dans certains endroits. Cela posera mille questions et, je le sais, mille personnes viendront nous voir en nous demandant pourquoi nous essayons ceci ici et non là, en nous disant que, si nous essayons telle procédure, cela veut dire que nous n’en sommes pas sûrs. Nous aurons l’humidité d’expliquer qu’il nous paraît utile et intelligent d’expérimenter cette méthode pour pouvoir, ensuite, la développer. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

conditions de la réouverture des écoles