M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, madame la rapporteure Élisabeth Doineau, madame la rapporteure pour avis Catherine Di Folco, mesdames, messieurs les sénateurs, « la pire des prisons, c’est la mort de son enfant ; celle-là, on n’en sort jamais »…
Ces dernières semaines nous ont confirmé, chacun dans notre intimité la plus profonde, lors de nos débats et plus encore lors des échanges que nous avons eus avec des parents, que la question du deuil d’un enfant n’exigeait rien d’autre qu’écoute et humilité.
Avec la ministre du travail Muriel Pénicaud, en amont de la présentation de ce texte, nous avons réuni les associations à plusieurs reprises, nous avons écouté les familles. Nous voulons les saluer, chacune, et les remercier pour le travail qu’elles effectuent depuis de nombreuses années auprès des parents endeuillés : Le Sourire de Lucie, Grandir sans cancer, Naître et vivre, Eva pour la vie, Aidons Marina, l’association Léa, SOS Préma, Apprivoiser l’absence, Mieux traverser le deuil, Empreintes, Jonathan pierres vivantes, Le Point rose ou encore France victimes.
D’aucuns auraient pu redouter les échanges avec ces parents, qui ont vécu l’indicible, l’inconcevable, et craindre la douleur, la dureté de ces vies ainsi exposée, cette réalité ainsi bouleversée. Ce fut en réalité tout le contraire : tout n’aura été que dignité et placidité, doublées, évidemment, d’une extrême sensibilité à l’égard de ce qui s’est joué, de ce qui a été exprimé.
S’il a été une insoutenable dureté lors de ces échanges avec les parents, c’est bien celle qui a consisté à toucher du doigt l’incapacité des pouvoirs publics jusqu’à présent à accompagner, autant que faire se peut, cette absence, sans ajouter à une souffrance déjà omniprésente.
Ainsi, avec, je le répète, beaucoup d’humilité, nous avons tâché d’assumer notre responsabilité de Nation solidaire, d’agir avec l’unique objectif d’aider au mieux les parents, bref, d’imaginer un accompagnement qui soit, tout simplement, digne, c’est-à-dire à la hauteur de la dignité des parents eux-mêmes.
Il était important, tout d’abord, d’allonger la période de répit dont peuvent disposer les parents après le décès de leur enfant. Ainsi, comme la commission en a décidé au travers de l’adoption d’un amendement de Mme la rapporteure, cette période sera désormais portée à quinze jours : sept pris en charge par l’employeur – Muriel Pénicaud l’a rappelé – et huit pris en charge par la solidarité nationale, via la branche famille de la sécurité sociale.
Nous saluons cette évolution, qui permet à la Nation tout entière, aux côtés des entreprises, d’être solidaire avec les parents endeuillés. Cet allongement du congé touchera tous les parents, que ceux-ci soient salariés, agents de la fonction publique, travailleurs indépendants ou non-salariés agricoles. Quant aux demandeurs d’emploi, ils seront, pendant cette période, dispensés de recherche mais continueront de percevoir leurs allocations.
Chacun de nos enfants est différent ; chaque histoire que nous avons nouée avec eux est différente ; chaque douleur est différente ; toutefois, tous les parents endeuillés doivent pouvoir disposer des mêmes garanties de répit, afin de commencer, tout doucement, à faire face à une telle perte.
Cela dit, les échanges que nous avons eus avec les associations ont démontré qu’un autre enjeu existait, qu’il fallait saisir cette occasion pour poursuivre notre réflexion et nos travaux sans nous limiter à la seule question du congé de répit. Il s’agit bien de concevoir un accompagnement global des familles, pour aider celles-ci à faire face, autant que cela est possible, aux questions et aux difficultés nouvelles qui vont s’ouvrir à elles sur le plan administratif, financier et psychologique, mais aussi dans le regard que ceux qui les entourent, que la société portent sur elles.
Ainsi, il fallait également que ce congé de répit s’inscrive dans un cadre élargi prévoyant le prolongement, pendant trois mois, du versement des prestations : les allocations familiales, le complément familial, la prestation partagée d’éducation de l’enfant, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ou encore l’allocation de soutien familial. En effet, l’arrêt, du jour au lendemain, du versement de ces prestations ajoutait une forme de violence supplémentaire à une situation déjà douloureuse.
De la même façon, un amendement du sénateur Lévrier tend à prévoir que l’enfant continue, pendant un an, d’être automatiquement pris en compte dans le calcul du RSA et de la prime d’activité.
Ce texte permettra également aux parents qui ne peuvent pas reprendre le travail après un deuil de ne pas subir le délai de carence attaché au congé maladie ; Mme la ministre du travail l’a indiqué.
Le choc induit par le deuil ne doit pas effacer les problèmes financiers auxquels se trouvent confrontées certaines familles pour prendre en charge les frais de funérailles de leur enfant. Des témoignages poignants nous ont permis de réaliser ce que c’était parfois le cas et que seul le soutien des associations permettait de sortir de ces difficultés.
Néanmoins, ce n’est pas le rôle de ces associations ; il revient, là aussi, à la solidarité nationale d’être aux côtés des parents endeuillés ; ainsi, une prestation forfaitaire et universelle sera versée en cas de décès de l’enfant afin de couvrir, notamment, les frais d’obsèques. Le versement de cette prestation sera automatique pour les allocataires des caisses et sera très facile d’accès – sur simple demande – pour les autres. Le montant de cette prestation sera défini dans un décret que nous soumettrons à la concertation.
Les caisses d’allocations familiales (CAF) sont d’ores et déjà pleinement mobilisées pour accompagner les parents, dans le cadre du parcours deuil qu’elles ont mis en place ; elles le resteront évidemment et elles veilleront à alléger autant que possible les démarches administratives qui doivent être accomplies en un tel cas. Je m’y engage personnellement et je sais pouvoir compter sur Vincent Mazauric, le directeur de la Caisse nationale d’allocations familiales, pour mettre tout en œuvre à cet effet, en s’appuyant tant sur le personnel des caisses et les travailleurs sociaux que sur le tissu associatif, dont nous connaissons le rôle indispensable.
Enfin, nous devons également assurer un accompagnement psychologique aux familles touchées par le deuil d’un des leurs.
Le deuil est le drame d’une vie ; il touche non seulement les parents mais aussi l’ensemble de la famille, notamment les frères et les sœurs. Chaque membre de la famille doit pouvoir trouver un soutien approprié. Ainsi, un accompagnement psychologique de plein droit sera proposé, afin que les familles qui le souhaitent puissent bénéficier de l’aide et de l’écoute de professionnels, en fonction de leurs besoins.
Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à ce texte, grâce au travail sans relâche des associations et grâce aux nouvelles propositions des députés et des sénateurs, nous avons aujourd’hui la possibilité de faire de la France un pays en pointe, dont pourraient s’inspirer certains de nos voisins européens, à commencer par la Belgique, qui débat de ce sujet en ce moment même.
Le député Guy Bricout l’a très bien dit, « il faut du temps pour se reconstruire. […] Cette épreuve est la plus difficile que puisse rencontrer un parent au cours d’une vie. La perte d’un enfant crée un vide, un grand vide. Il faut du temps pour l’apprivoiser, accepter que l’enfant que l’on a aimé ne reviendra plus et réapprendre à vivre ».
Je tiens à remercier sincèrement, une nouvelle fois, les associations de leurs actions primordiales en faveur de tous les parents endeuillés, de leur temps et de leurs propositions, qui inspirent le texte débattu aujourd’hui. Je veux aussi remercier les parlementaires ; tous ensemble, essayons d’apporter le soutien de la Nation à ces familles.
Au-delà, tâchons de sortir ce sujet de l’ombre, car c’est aussi de cela qu’il s’agit, mesdames, messieurs les sénateurs ; par nos échanges, nous contribuons à faire tomber un tabou, celui de la mort d’un enfant ; c’est ce que les familles appelaient de leurs vœux depuis longtemps. Par nos échanges, nous faisons sortir de l’ombre non seulement la question de la mort d’un enfant, mais encore des milliers de familles qui, désormais, peuvent espérer être mieux comprises par ceux qui les entourent.
En effet, nous devons garder toujours en tête quelque chose que nous n’avions peut-être pas perçu, que la société tout entière n’a probablement pas compris : quand on est parent, on l’est pour la vie, par-delà la mort. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC, Les Républicains et SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants et Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer, moi aussi, toutes les associations travaillant au-delà de ces murs, qui ont défendu cette proposition de loi à leur manière.
Rien n’est pire pour des parents que de perdre un enfant. La proposition de loi de notre collègue député Guy Bricout, qui est présent dans nos tribunes et que je salue, faisait écho à l’histoire de Pascaline, une maman à jamais marquée par un tel drame.
Notre collègue pensait – on peut le comprendre – que sa proposition de loi tendant à porter de cinq à douze jours le congé prévu par le code du travail en cas de décès d’un enfant mineur ferait l’unanimité à l’Assemblée nationale. Cela n’a pas été le cas, ce qui a provoqué une indignation légitime des parents concernés et de l’opinion en général.
Dès lors, chacun a reconnu ses responsabilités. Les ministères concernés ont lancé de nouvelles auditions afin de construire une réponse satisfaisante et l’on a rendu possible l’inscription du texte à l’ordre du jour du Sénat, dans un délai très court ; notons une célérité inhabituelle pour un texte qui n’émane pas des rangs de la majorité ! Néanmoins, réjouissons-nous, ce sujet méritait une ambition commune, transpartisane et unanime.
Permettez-moi de le souligner : cet épisode constitue une nouvelle illustration de l’importance du bicamérisme et de l’utilité du Sénat. La commission des affaires sociales de la Haute Assemblée a ainsi abouti, avec l’accord du Gouvernement, à un texte permettant non seulement d’instituer de nouveaux droits en cas de décès d’un enfant, mais encore d’améliorer l’accompagnement des familles endeuillées.
Je l’ai indiqué, le texte initial de notre collègue député Guy Bricout consistait en une proposition simple ; contrairement à ce que j’ai pu entendre ou lire, celle-ci n’était pas mal ficelée, elle était limitée par l’article 40 de la Constitution.
Le texte transmis par l’Assemblée nationale au terme de ses travaux comportait deux articles.
Plutôt que d’allonger la durée du congé pour décès d’un enfant, l’article 1er proposait d’autoriser le salarié à prendre, à la suite du décès d’un enfant, le solde de ses congés annuels et de ses jours de réduction du temps de travail (RTT), sans que son employeur puisse s’y opposer, à la condition qu’un accord de branche ou d’entreprise le prévoie.
Une telle disposition n’avait qu’une portée indicative, puisqu’un tel accord collectif peut actuellement être conclu sans qu’une habilitation législative soit nécessaire. En outre, cette proposition posait des difficultés juridiques non négligeables, par exemple dans les entreprises dans lesquelles les congés annuels sont imposés. J’ajoute que cette disposition aurait été sans effet pour les salariés perdant un enfant et ayant déjà pris tous leurs congés annuels.
L’article 2 étendait, aux parents endeuillés, le dispositif, instauré par la loi du 9 mai 2014 permettant le don de jours de repos à un parent d’un enfant gravement malade, dite loi Mathys, de don de jours de congé entre salariés d’une entreprise en faveur des parents d’un enfant malade ou handicapé. Si l’intention était louable, un dispositif de don de jours peut difficilement être mobilisé immédiatement après le décès d’un enfant et il exige une démarche, au succès incertain, de la part du salarié concerné. Surtout, un tel dispositif ne peut bénéficier de la même manière à tous les salariés, selon la taille de leur entreprise.
Le texte qu’il nous était donné d’examiner ne répondait donc que très marginalement aux besoins des familles et, malgré un dispositif juridique plus complexe, il était en deçà de l’ambition initiale de la proposition de loi.
Je dois ici faire justice au Gouvernement en reconnaissant qu’il a bien pris conscience de cette insuffisance et que la ministre du travail comme le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance ont souhaité contribuer utilement au travail de la commission des affaires sociales, afin de sortir par le haut de la polémique née à l’Assemblée nationale.
Le texte issu des travaux de la commission, complété par ceux de la commission des lois, dont je salue le rapporteur pour avis, Catherine Di Folco, comprend désormais neuf articles, issus d’initiatives de sénateurs de différents groupes, en coopération avec le Gouvernement, lequel a pu lever l’irrecevabilité financière.
Au travers de l’article 1er, la commission est revenue à l’esprit initial du texte, tout en allant plus loin. Tout travailleur, salarié ou indépendant, qui perd un enfant âgé de moins de 25 ans aurait ainsi droit à quinze jours de congé. Pour les salariés, les sept premiers jours ouvrés – les cinq jours actuellement prévus par le code du travail augmentés de deux – seraient rémunérés par l’employeur ; les huit jours suivants pourraient être pris dans l’année suivant le décès, de manière fractionnée, et ils feraient l’objet d’une indemnité journalière de la sécurité sociale, complétée par l’employeur à hauteur du salaire. Seul le nom de « congé de répit » n’a pas fait l’unanimité au sein de la commission ; d’autres appellations vous seront proposées au cours du débat. Les travailleurs indépendants auraient, quant à eux, droit à des indemnités journalières pendant quinze jours.
Ce droit serait ouvert pour le décès d’un enfant du travailleur concerné jusqu’à 25 ans. Certains auraient préféré inclure les enfants à charge sans lien de filiation, afin de tenir compte des familles recomposées, mais le Gouvernement en a arbitré différemment.
L’article 1er bis, issu d’un amendement de la commission des lois, instaure un dispositif équivalent pour les fonctionnaires ; je laisserai le rapporteur pour avis de celle-ci le présenter.
À l’article 2, nous avons précisé le dispositif de don de jours de congé, afin notamment de définir la période pendant laquelle il peut être mobilisé : une année. Un amendement de la commission des lois a prévu son extension aux fonctionnaires.
L’article 3 est issu de travaux menés par notre collègue Catherine Deroche. Il propose de maintenir plusieurs prestations familiales pendant une période déterminée par décret. Il est évident que les dépenses à la charge des parents ne se réduisent pas brusquement avec le décès d’un enfant. Ce maintien, pendant une période qui devrait être de trois mois, doit permettre de ne pas ajouter des difficultés financières à la douleur considérable des parents.
L’article 4, proposé également par Catherine Deroche, crée une allocation forfaitaire versée automatiquement et destinée à aider au paiement des frais d’obsèques. Le montant de cette allocation, fixé par décret, sera modulé en fonction du revenu du foyer et pourra être complété par les caisses au titre de leur action sociale. Je laisserai le Gouvernement préciser son intention, les associations étant un peu déçues.
L’article 5, issu d’un amendement de notre collègue Martin Lévrier, propose une mesure similaire pour ce qui concerne le revenu de solidarité active et la prime d’activité.
L’article 6, que nous avons également adopté sur proposition de Martin Lévrier, prévoit une expérimentation portant sur la prise en charge de la souffrance psychique de la famille d’un enfant décédé. Il me semble que cette mesure est de nature à répondre à la demande forte d’accompagnement médico-social et psychologique formulée par les associations de parents.
De mon côté, j’ai souhaité compléter la proposition de loi afin de tenir compte des demandes exprimées par les associations que j’ai rencontrées. L’article 7 introduit ainsi une protection contre le licenciement des salariés ayant perdu un enfant, pendant une durée de treize semaines, à l’instar de ce dont bénéficient les jeunes mères. Les organisations patronales ne sont pas opposées à cette mesure.
Enfin, l’article 8 supprime le délai de carence pour le premier arrêt maladie qui suit le décès d’un enfant, et ce pour la même durée de treize semaines. Le choc représenté par la perte d’un enfant peut rendre la reprise du travail impossible, même après une période de congé. De nombreux salariés sont alors mis en arrêt de travail par leur médecin. Imposer des jours de carence avant le versement d’indemnités journalières en pareil cas paraît inhumain.
Outre trois amendements rédactionnels ou de coordination, je ne vous proposerai aujourd’hui qu’un amendement, tendant à modifier l’intitulé de cette loi, qui sera peut-être connue sous le nom de « loi Bricout », afin de le mettre en cohérence avec son contenu.
Il convient de rester modeste : la loi ne peut pas tout. Les associations que nous avons, les uns et les autres, rencontrées avancent la nécessité de mettre en place un réel parcours de deuil pour accompagner les familles. Ce parcours doit être personnalisé, car chacun ne vit pas la douleur de la même manière. Il pourrait être mis en œuvre de manière partenariale par les CAF, les unions départementales des associations familiales (UDAF) et le tissu associatif.
Les associations ont aussi insisté sur la nécessité de former les communautés éducatives, les collègues de travail, les entreprises ou encore les professionnels de santé. Il reviendra aux deux ministères de lancer concrètement ces actions.
En guise de conclusion, je veux l’indiquer, je me réjouis que, d’une polémique, naisse l’opportunité d’avancer de manière concertée et consensuelle sur un sujet difficile et – M. le secrétaire d’État le disait – souvent tabou ; je forme le vœu que nos débats de cet après-midi soient empreints de l’esprit de concorde qui a animé la commission des affaires sociales.
Je veux aussi vous faire un clin d’œil, car Guy Bricout avait terminé la défense de sa proposition de loi en commission en citant le poème « Demain, dès l’aube », de Victor Hugo. Or il se trouve que Victor Hugo siégeait au Sénat et que sa voix résonne encore dans cet hémicycle… (Applaudissements.)
Mme Brigitte Lherbier. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des lois a souhaité se saisir pour avis de la proposition de loi déposée par notre collègue député Guy Bricout, afin de permettre aux agents publics de bénéficier des mêmes garanties que celles qui sont prévues pour les salariés de droit privé, dans une situation particulièrement douloureuse.
Quelles sont les différences entre le secteur public et le secteur privé ?
Lorsqu’ils perdent un membre de leur famille, les agents publics peuvent bénéficier d’autorisations spéciales d’absence (ASA). La durée de celles-ci varie toutefois d’une fonction publique à l’autre.
Dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale, la durée des ASA est laissée à la libre appréciation des employeurs ; chaque collectivité territoriale délibère sur sa propre doctrine.
Quant aux agents de l’État, ils peuvent s’absenter, en cas de décès de leur enfant, pendant trois jours ouvrables, majorés de deux jours afin de tenir compte des délais de transport nécessaires pour se rendre aux obsèques. Toutefois, ces autorisations constituent non pas un droit, mais une simple « mesure de bienveillance » de la part de l’administration, que les chefs de service peuvent accorder à titre facultatif, contrairement à ce qui se passe dans le secteur privé. Cette durée de trois jours est donc inférieure au congé de deuil dans le secteur privé.
Dans le secteur public, les autorisations spéciales d’absence sont assimilées à un temps de travail effectif mais ne produisent aucun droit à congé payé, contrairement à ce qu’il se passe dans le secteur privé ; en outre, les agents peuvent perdre certaines de leurs primes.
La proposition de loi de notre collègue Bricout a été malmenée à l’Assemblée nationale. Le texte issu de la première lecture constitue une occasion manquée à un double titre : avec l’accord du Gouvernement, les députés ont supprimé l’allongement du congé de deuil dans le secteur privé et ils ne se sont pas préoccupés des 5,33 millions d’agents publics, qui représentent pourtant 21 % de la population active.
Nous souhaitons donc, à la faveur de l’examen du texte par la Haute Assemblée, corriger ces deux lacunes afin de mieux accompagner les parents endeuillés. Du reste, les employeurs publics que j’ai auditionnés semblent tout à fait favorables à cette manifestation de solidarité.
La commission des lois a adopté deux amendements visant à offrir les mêmes garanties aux agents publics – fonctionnaires ou contractuels – qu’aux salariés de droit privé.
Le premier amendement avait pour objet de recourir aux ASA sans qu’il soit besoin de créer de nouveaux congés. Ce choix, plus simple du point de vue juridique, permet d’appliquer la mesure à l’ensemble des catégories d’agents publics, y compris lorsqu’ils sont contractuels.
Il était prévu une première autorisation spéciale d’absence de cinq jours ouvrés, quel que soit l’âge de l’enfant, au moment du décès, sans possibilité de fractionnement, et une seconde, de dix jours ouvrables, lorsque l’enfant est âgé de moins de 25 ans ou à charge. Cette seconde ASA pouvait être fractionnée, dans un délai de six mois à compter du décès, les jours non consommés ne pouvant être reportés ni figurer dans un compte épargne-temps.
Ces autorisations spéciales d’absence étaient accordées de droit et étaient assimilées à un temps de travail effectif, les agents conservant leur traitement indiciaire ainsi que leurs droits à formation et à la retraite. Par cohérence avec le secteur privé, elles entraient également en compte pour le calcul des congés payés.
Les dispositions adoptées par la commission des lois ont été amendées par la commission des affaires sociales pour les mettre en conformité avec celles qui s’appliquent au secteur privé.
Ainsi, la première ASA serait de cinq jours ouvrables lorsque l’enfant a au moins 25 ans, et elle serait portée à sept jours ouvrés si l’enfant a moins de 25 ans ; la seconde ASA serait de huit jours fractionnables, à prendre dans un délai d’un an. Je m’en remets à la décision de la commission des affaires sociales.
Le Gouvernement a prévu de prendre en charge une partie des autorisations d’absence, dans des conditions définies par décret. Pour que les choses soient plus claires, pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, préciser le dispositif envisagé pour la fonction publique ?
Nous avons une divergence avec la commission des affaires sociales à propos de la notion d’« enfant à charge », retirée sur la suggestion du Gouvernement. Ce critère, qui était présent dans la version initiale de la proposition de loi, permet pourtant d’inclure dans le dispositif les enfants qui, sans avoir de filiation directe avec les salariés, sont à la charge de ces derniers. Il est conséquent pour les familles recomposées, de plus en plus nombreuses, car il couvre les enfants du conjoint, du partenaire de PACS ou du concubin.
Certains de mes amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. Toutefois, le Gouvernement a finalement déposé des amendements visant à inclure les enfants à charge dans l’ensemble des dispositifs ; je me réjouis que mes arguments aient été entendus et je vous remercie, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État.
Le second amendement de la commission des lois visait à autoriser les agents civils et militaires à donner des jours de repos ; il a été intégré au texte de la commission, je vous en remercie, madame la rapporteure.
Néanmoins, il serait utile de simplifier les procédures, afin d’encourager les agents publics à donner des jours de repos. Certaines règles semblent, en effet, superfétatoires, comme la nécessité d’obtenir l’accord de son chef de service. Une simple obligation d’information pourrait suffire, sans que cela remette en cause le bon fonctionnement du service. C’est ce que je vous proposerai au cours de l’examen du texte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des moments de grâce que l’on ne saurait bouder, de grands moments où l’humanité et l’empathie l’emportent sur toute autre considération, au-delà des différences de sensibilité. Dès qu’a été connu le rejet de la proposition de Guy Bricout, nos concitoyens, quel que soit leur statut social ou professionnel, quelle que soit leur appartenance politique ou syndicale, ont exprimé leur incompréhension et leur générosité, une générosité qui se manifeste toujours dans les grands moments et dont il ne faut jamais désespérer.
Ils se sont exprimés par milliers pour dire, avec leur cœur, que la Nation doit apporter à ceux qui sont dans la détresse, à ceux qui souffrent de la plus tragique des séparations, sa sympathie et son soutien, par des actes qui soulagent, qui accompagnent, et qu’elle doit – avec toute la délicatesse nécessaire – prendre en charge tout ce qui, en de tels moments, complique douloureusement le quotidien.
Le passé récent illustre parfaitement combien la Haute Assemblée a souhaité l’adoption d’une législation d’exception pour faire face à des événements qui brisent inexorablement la vie des parents. Je pense à l’adoption, par le Sénat, d’une proposition de loi de Michèle Delaunay, rapportée ici par Jérôme Durain et traduite dans la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours, dite loi El Khomri, par l’instauration d’un congé supplémentaire porté à cinq jours. Je pense également à la proposition de loi de Catherine Deroche, déposée l’année dernière, tendant à prendre en compte les conséquences sociales et économiques, pour une famille, du décès d’un enfant.
Le défi qu’avaient à relever, cette fois, la commission et, plus particulièrement, sa rapporteure n’était pas, tant s’en faut, des plus simples.
Pas simple de donner une suite décente et globale à la proposition de loi transmise sous une forme si édulcorée par l’Assemblée nationale et d’élaborer un texte à la hauteur des attentes !
Pas simple de formuler des propositions issues d’une appréciation globale des situations de détresse, d’élaborer des propositions embrassant la totalité des besoins exprimés ou implicites, tout en évitant deux écueils, celui de la surenchère – particulièrement inopportune et indigne – et celui des bonnes intentions parfois toxiques, qui peuvent être intrusives quand elles viennent bouleverser plus encore une famille désemparée !
Pas simple non plus de prévoir des moyens jugés indispensables en n’ayant aucune latitude pour en assurer le financement et donc en s’exposant à la convocation des articles 40 ou 45 de la Constitution, ces deux enfants d’Anastasie, si souvent opposés à nos propositions et qui donnent parfois la mesure de notre impuissance à changer en profondeur les choses !
Ainsi s’explique l’irrecevabilité au titre de l’article 40 de notre amendement tendant à l’indexation de l’allocation forfaitaire sur l’évolution du salaire moyen et non sur l’inflation afin d’en préserver la valeur.
La commission des affaires sociales partait du vide installé en lieu et place de la proposition d’origine. En effet, le texte, aseptisé, de l’Assemblée nationale illustrait la volonté de la majorité de mettre un point final à cette ambition, en dénaturant le texte jusqu’à le rendre inopérant. Ne restait, pour les salariés désemparés, que le droit opposable à l’employeur, de prélever une partie des congés ou des RTT.
Ainsi, faute de disposer du pouvoir de créer des recettes, le Sénat risquait de voir repousser toutes ses initiatives. C’est donc tout à l’honneur de la rapporteure que d’avoir négocié avec persévérance et d’avoir obtenu que le Gouvernement garantisse, au travers d’amendements identiques, le financement nécessaire.
C’est dans ce contexte, assurément surréaliste, qu’ont pu sortir du néant des moyens cohérents avec nos ambitions et plus humains, lesquels recueillent notre adhésion pleine et entière. Engagés dans cette volonté commune d’apporter réconfort, soulagement et accompagnement, nous avions déposé des amendements qui, victimes de leur redondance, sont bien entendu devenus sans objet ; du reste, cette redondance illustre parfaitement notre communauté de pensée.
Le texte qui nous est proposé aujourd’hui est approuvé – j’en suis témoin – par tous les interlocuteurs, chefs d’entreprise et associations, invités et entendus par Élisabeth Doineau et par moi-même.
Le congé serait porté à douze jours ouvrés sur trois semaines, sécables en fonction du souhait des salariés.
La prise en charge des frais d’obsèques serait assurée selon un forfait de portée nationale ; ce forfait doit comprendre, selon nous, les frais engagés pour le recours éventuel à des aides à domicile, si la famille en éprouve le besoin.
C’est aussi un geste tout en délicatesse et réaliste que cette disposition de versement prolongé, au-delà du décès, des prestations familiales, disposition destinée à éviter que la rupture soit aggravée par une violence supplémentaire et que l’administration soit conduite à envoyer des courriers intempestifs et brutaux sitôt le décès connu.
On conviendra, par ailleurs, que l’extension de l’ensemble des dispositions proposées jusqu’à l’âge de 25 ans est parfaitement justifiée par le nombre de décès sur la tranche d’âge de 13 à 24 ans, qui représentent 45 % du total.
Mon intention n’est évidemment pas de détailler les propositions de la commission ; cela a été excellemment fait et le document qui nous a été remis est suffisamment explicite et détaillé.
Hélas, la prise en charge de l’accompagnement psychologique a été oubliée par le Gouvernement, malgré ses belles déclarations ! Oubli ou volonté malvenue de réaliser quelques économies ? En tout cas, un amendement judicieux est venu contourner la difficulté du financement par le biais du recours à une expérimentation. Ainsi, puisqu’il faut en passer par un artifice pour combler une lacune, acceptons-en la rédaction.
Sans doute la loi ne peut-elle tout dire, notamment sur l’environnement humain au travail, sur l’intérêt qu’il y a ou non à changer de poste ou à imaginer une reprise modulée. Les accords d’entreprise ou de branche devraient, nous l’espérons, y pourvoir ; les partenaires sociaux sont invités à le faire par l’exemple donné ici.
Il n’est sans doute pas inutile de tirer, de l’incident survenu à propos de ce texte et d’autres, quelques leçons sur notre relation avec le Gouvernement. Il n’est pas sain pour l’équilibre de nos institutions que le Gouvernement veuille s’approprier le monopole des réformes quitte à s’opposer aux propositions du Parlement, au détriment de ceux à qui ces réformes devraient profiter.
Ainsi en est-il allé du vote unanime, réduit à néant par la manœuvre du vote bloqué, de la proposition du groupe CRCE tendant à instaurer une retraite minimale des agriculteurs, fixée à 85 % du SMIC. Trois ou quatre ans ont été perdus et des milliers de retraités ont été écartés du bénéfice d’un tel mécanisme, puisque ce minimum contributif de 1 000 euros est très utilisé pour prétendre que le système à points est juste et solidaire. Or – cela pourrait être risible – c’est l’un des seuls cas où le système actuel est préservé et où, justement, le système à points ne s’applique pas.
L’aide aux aidants de notre collègue Jocelyne Guidez avait été votée à l’unanimité par notre assemblée et repoussée au motif que le Gouvernement allait proposer mieux. Il l’a proposée, mais avec une importante économie de moyens…
Notre pays est au bord de l’explosion. Il n’en peut plus des déclarations grandiloquentes aux effets dérisoires. Il n’en peut plus de l’accroissement des inégalités. Il n’en peut plus de ce mépris affiché à l’égard du Parlement, auquel on présente un projet de réforme du système de retraites plein de trous, sans en révéler le coût monstrueux et les profondes injustices potentielles, et dont on interrompt les débats par un 49-3 brutal, alors qu’il suffisait de se donner le temps. (Exclamations sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)