M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Maryse Carrère, le réseau Canopé est un opérateur extrêmement important du ministère de l’éducation nationale. J’ai exprimé à plusieurs reprises mon ambition pour Canopée, ainsi que pour la ville de Poitiers. La semaine dernière, dans une interview donnée à La Nouvelle République, j’ai explicité la stratégie en employant l’expression « Poitiers, capitale de l’éducation ». Cela vaut à la fois pour Canopé, le CNED – qui est dans l’actualité aujourd’hui –, l’IH2EF ainsi que pour l’ensemble des acteurs qui peuvent contribuer à la stratégie numérique éducative de la France.
Un important travail a été accompli dans le cadre de la mise en œuvre du schéma directeur de la formation continue. Le ministère souhaite affirmer l’identité du réseau Canopé autour de missions pérennes et lui confier un rôle central dans la stratégie ministérielle de renforcement de la formation des personnels en s’appuyant sur une offre de services de haute qualité en matière de formation à distance et de numérique éducatif.
Cette ambition renouvelée quant à la participation du réseau Canopé à la mise en œuvre des priorités ministérielles nous a conduits à ouvrir, dès le mois de janvier 2020, une concertation avec les représentants syndicaux de l’établissement portant sur le recentrage des missions du réseau Canopé et sur l’organisation territoriale de la formation continue.
Le premier axe de la concertation permet d’expertiser avec les représentants de l’opérateur les implications d’un repositionnement de Canopé comme opérateur national de la formation continue à distance des personnels.
Sa première mission serait de produire des parcours de formation d’excellence pour tous les personnels, plus particulièrement pour les professeurs, les formateurs et les contractuels. Le numérique éducatif constituera une dimension essentielle de l’offre ainsi produite.
La deuxième mission du réseau Canopé serait d’assurer la maîtrise d’œuvre de la production de services et de ressources numériques pour la formation, en veillant à diversifier les formats et à se mettre au standard des meilleures formations en ligne.
Sa troisième mission serait le développement et l’animation d’une plateforme de ressources pédagogiques de haute qualité produite par les enseignants eux-mêmes et validée par un processus de démarche qualité.
La quatrième mission du réseau Canopé serait le renforcement des coopérations avec les académies afin de diffuser le numérique éducatif et l’innovation via la formation continue en ligne et les services d’ingénierie de formation.
Enfin, le réseau serait chargé d’animer un réseau social professionnel des professeurs via un outil numérique. Il s’agit pour le réseau Canopé d’aider les enseignants à s’approprier un environnement professionnel profondément transformé par le numérique. Les missions liées au service public du numérique éducatif doivent être renforcées, principalement à travers l’objectif de formation de tous les professeurs au numérique et par le numérique.
Le recentrage envisagé n’exclut pas l’exercice d’autres missions, mais il vise à donner à l’opérateur une identité très forte autour de missions claires. J’ai ainsi annoncé le lancement, dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, d’un projet de plateforme de formation initiale en ligne de professeurs doté de 10 millions d’euros – c’est dire l’ambition que nous avons.
Le deuxième axe de la concertation vise à optimiser l’articulation territoriale de la formation continue et aboutira très prochainement.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. La nomination d’une nouvelle directrice de Canopé spécialiste du numérique indique que nous sommes dans une perspective d’ambition et non de régression.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour la réplique.
Mme Maryse Carrère. Je vous remercie, monsieur le ministre. J’espère que ce recentrage ne pénalisera pas les réseaux, notamment dans les départements ruraux, car ils y jouent un rôle éducatif très important, en permettant notamment de prévenir l’isolement que pourraient connaître les enseignants des petites écoles des communes rurales.
initiation à la santé au lycée
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, auteur de la question n° 809, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Michel Canevet. Monsieur le ministre, ma question n’est pas liée à l’actualité sanitaire, mais elle tombe fort à propos. Je souhaite vous saisir des préoccupations de santé qui doivent animer les jeunes.
L’interaction de l’ensemble des acteurs du système de santé étant plus que jamais requise, il me paraît nécessaire que les jeunes soient sensibilisés aux questions de santé le plus tôt possible. Le dossier médical numérique, les actions de prévention qui ne cessent de se développer et la sensibilité de plus en plus forte aux questions de santé et de bien-être dans notre société rendent nécessaire que les jeunes soient initiés à l’ensemble de ces questions. Dès le lycée, ces jeunes pourraient suivre une initiation qui leur permettrait d’acquérir un minimum de connaissances, afin qu’ils puissent devenir acteurs de leur santé en tant qu’usagers des systèmes de santé.
Avez-vous l’intention d’intégrer ces questions dans les programmes du lycée, voire du collège ou, à défaut de généraliser une telle initiation d’emblée, envisagez-vous de permettre des expérimentations en ce sens ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Vous avez raison, monsieur le sénateur Michel Canevet, cette question est extrêmement importante. L’école a pour mission de participer à l’apprentissage des droits, des devoirs et des responsabilités qui incombent à chacun en matière de santé. Elle est effectivement une institution propice pour accompagner les élèves dans leur compréhension du système de santé et de ses évolutions.
C’est pourquoi, en la matière, l’école a évolué : alors qu’elle n’était qu’un simple vecteur d’information sanitaire, elle est aujourd’hui un acteur à part entière de la promotion de la santé dans toutes ses dimensions : biologique, environnementale, sociale, psychologique. L’éducation nationale assume ce rôle depuis longtemps, car l’école a la responsabilité, en liaison étroite avec les familles, de veiller à la santé et au bien-être des jeunes.
En milieu scolaire, la promotion de la santé, inscrite à l’article L. 121-4-1 du code de l’éducation, est assurée en particulier par l’éducation à la santé. Cette dernière est mise en œuvre de la maternelle à la classe de terminale au travers d’enseignements transversaux tels que l’éducation à l’alimentation ou encore l’éducation à la sexualité.
En référence à la mission émancipatrice de l’école, l’éducation à la santé a pour objectif de contribuer au développement chez les élèves d’attitudes favorables à leur santé et à celle d’autrui et d’approfondir leurs connaissances à l’égard des services de santé et aux évolutions du système de santé. Elle poursuit également l’objectif de renforcer les compétences psychosociales des élèves ; compétences qui favorisent la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne.
Par ailleurs, afin d’inscrire la promotion de la santé dans une approche globale, l’éducation nationale déploie cette année la démarche « école promotrice de santé » – une des mesures concrètes de la stratégie nationale de santé. Cette démarche dynamique et positive inscrit la promotion de la santé au cœur des projets d’école et d’établissement. Elle repose sur l’ensemble des personnels et des partenariats territoriaux et place encore davantage l’élève au centre.
En effet, l’école promotrice de la santé renforce l’implication des élèves et l’éducation par les pairs en mettant en place des ambassadeurs santé à partir de la rentrée prochaine. Ces élèves ambassadeurs santé sont des élèves volontaires – deux à quatre élèves par niveau de classe –, qui pourront s’impliquer dans le projet d’école ou d’établissement et transmettre à leurs camarades des messages de prévention par un processus de communication interpersonnelle.
En outre, l’éducation nationale veillera à développer chez les élèves un apprentissage de la citoyenneté numérique. Vous l’avez observé, monsieur le sénateur, la gestion des données personnelles sur les plateformes numériques de santé constitue un défi majeur de notre époque. L’école participe à relever ce défi par l’éducation aux médias et à l’information dès l’école élémentaire.
Enfin, l’école ne peut faire tout cela sans l’expertise des partenaires de santé. Ainsi, j’ai demandé au rectorat de se rapprocher des ARS pour déterminer les objectifs de santé publique prioritaires à mettre en œuvre dans des actions de prévention auprès des jeunes en milieu scolaire. Votre question est donc effectivement d’actualité.
M. le président. Merci de votre présence, monsieur le ministre.
La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.
M. Michel Canevet. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces précisions, qui sont utiles pour appréhender ce qui a déjà été fait. Il me semble toutefois que les modules liés à la santé devraient être un peu mieux identifiés par les élèves, car c’est un gage de réussite et de sensibilisation accrue. Si l’ensemble des dispositifs sont utiles, il me semble que nous devons être particulièrement attentifs sur ce point. De fait, la situation sanitaire actuelle nous conduit à être encore plus vigilants. Sans doute les établissements prendront-ils en compte ces questions de façon plus prégnante.
augmentation alarmante des noyades
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, auteur de la question n° 1138, transmise à Mme la ministre des sports.
M. Gilbert-Luc Devinaz. En France, 600 noyades sont à déplorer en 2019. Un tiers des personnes concernées ne savaient pas nager.
Il est difficilement acceptable, pour ne pas dire inacceptable, de voir nos élèves quitter l’école élémentaire sans avoir acquis l’apprentissage de la natation. Certes, il manque des bassins d’apprentissage en France, mais ma question porte sur la formation des maîtres-nageurs sauveteurs (MNS).
En France, on constate une diminution constante du nombre de professionnels formés. Or cette formation exige au minimum une année scolaire à temps plein et coûte 6 000 euros, ce qui explique que, chaque année, les collectivités et les établissements privés ont des difficultés à recruter.
Une concertation de dix mois a été menée pour faire ressortir la lourdeur de cette formation des MNS. Pourtant, la solution retenue consiste à allonger la formation de deux à quatre ans.
Vous proposez, madame la ministre, de permettre aux candidats de surveiller les baignades et d’enseigner la natation au cours de leur formation. Ces stagiaires seront donc en situation d’enseignement sans qu’un encadrant breveté soit tenu de contrôler et de sécuriser ces cours.
Un brevet moins long et moins cher pourrait permettre de lever les difficultés rencontrées et ainsi prévenir de nouveaux drames. Pourquoi ne pas étudier la création d’un brevet de MNS, qui pourrait être préparé pendant les vacances scolaires ou/et en cours du soir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, je partage votre conviction que le métier de maître-nageur sauveteur est un élément clé dans la lutte contre les noyades. Vous l’avez dit, en 2019, nous déplorons 600 noyades mortelles et 2 000 personnes accidentées, dont une grande partie d’entre elles, notamment des enfants et des personnes âgées, souffrent d’incapacité physique.
C’est pourquoi les enseignants de natation, mais aussi les professeurs des écoles, qui ont aujourd’hui la prérogative d’enseigner, sont nos principaux partenaires métier pour déployer le plan Aisance aquatique national de lutte contre les noyades. Par une nouvelle démarche pédagogique concentrée sur quinze jours de mise en situation répétée avec le milieu aquatique, ce plan vise à former nos enfants à être à l’aise dans l’eau dès l’âge de 3 ans.
J’ai choisi de faire travailler mon administration et le comité de pilotage du plan national, qui regroupe tous les syndicats et toutes les organisations professionnelles de maîtres-nageurs, sur l’accès aux qualifications que vous avez évoquées : le BNSSA, qui est délivré par le ministère de l’intérieur, permet de surveiller et le BPJEPS AAN, ancien diplôme de maître-nageur sauveteur, permet d’enseigner.
Les objectifs sont d’agrandir le vivier des personnes intéressées par ces métiers et prêtes à suivre ces formations, mais aussi de permettre à de nombreux professionnels d’enseigner, sous réserve qu’ils en aient la compétence et qu’ils détiennent le diplôme nécessaire, plutôt que d’être cantonnés à la seule surveillance.
Tels sont les éléments concrets de la réforme que j’ai engagée par voie réglementaire. Les personnels titulaires du BNSSA pourront désormais assurer en autonomie la surveillance des baignades d’accès payant durant 50 % du temps d’ouverture de l’équipement, alors que ce n’était le cas que pour un petit nombre de mois puisque, pour le reste de l’année, ils devaient être accompagnés par un MNS. Il nous paraît essentiel que ces professionnels puissent assurer une surveillance sur une plus grande partie de l’année, aussi bien sur les plages que dans nos piscines.
Aujourd’hui, 14 500 maîtres-nageurs sauveteurs sont en situation d’exercice et, depuis cinq ans, 900 nouveaux MNS sont formés chaque année. Je suis toutefois consciente du manque de MNS. C’est pourquoi le principal diplôme pourvoyeur, le BPJEPS AAN, est en cours de rénovation. Les prérequis d’accès au diplôme sont revus, tout comme les prérogatives des stagiaires, qui pourront surveiller une baignade. En effet, la majorité des stagiaires qui rentrent en formation BPJEPS sont déjà titulaires du BNSSA, diplôme qui leur permet de surveiller. Or, aujourd’hui, lorsque ces jeunes titulaires du BNSSA entrent en formation BPJEPS, on leur interdit de surveiller tout seuls. C’est une incongruité à laquelle nous allons remédier.
M. le président. Merci !
Mme Roxana Maracineanu, ministre. Par ailleurs, soyez assuré que la formation ne sera ni plus chère ni plus longue.
Enfin, sachez que les organismes de formation peuvent déjà mettre en place des formations pendant les vacances scolaires, comme vous l’avez suggéré. Plus les candidats seront nombreux, plus nombreux seront les dispositifs que les organismes de formation pourront mettre en place.
M. le président. Merci de votre présence, madame la ministre.
La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, j’entends votre réponse, et je partage vos inquiétudes. Toutefois, la Fédération des maîtres-nageurs sauveteurs formule un certain nombre de propositions pour accélérer la formation et la rendre moins coûteuse – elle coûte actuellement 6 000 euros. Il me semble que vous devriez non seulement écouter, mais entendre les propositions de ces professionnels.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Hommage à Alain Bertrand, sénateur de la Lozère
M. le président. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris ce matin le décès de notre collègue Alain Bertrand. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux se lèvent.)
Il luttait avec courage, depuis plusieurs mois – nous le savions –, contre une grave maladie. Il s’est éteint ce matin à l’hôpital de sa ville de Mende.
Il était sénateur de la Lozère depuis 2011.
Je prononcerai ultérieurement son éloge funèbre, mais je tiens d’ores et déjà à saluer sa mémoire.
Élu conseiller régional du Languedoc-Roussillon en 1998, il devient vice-président du conseil régional en 2004 et le reste jusqu’en 2011. Il est élu maire de Mende en 2008, puis sénateur du département de la Lozère en 2011.
Au sein de notre assemblée, il fut un défenseur acharné des territoires ruraux, et même des territoires « hyper-ruraux » – je reprends sa formule ; ce concept, il l’avait développé dans un rapport remis au Gouvernement en 2014. Considérant qu’« il ne peut y avoir de sous-territoire, de même qu’il ne peut y avoir de sous-citoyen et de minorité sacrifiée et interdite d’avenir », il appelait dans ce rapport les habitants et les acteurs de l’hyper-ruralité à « ne pas baisser les bras, à se mobiliser, individuellement ou collectivement », pour s’opposer à cette « fatalité qui n’en est pas une » et faire de ces territoires trop souvent oubliés un atout pour notre pays.
Ceux qui l’ont côtoyé se rappellent un homme affable, chaleureux, plein d’humour.
Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à sa famille, à ses proches, ainsi qu’au président et aux membres de son groupe, le RDSE.
Je vous propose d’observer un instant de recueillement en sa mémoire. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux observent un moment de recueillement.)
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Hommage à Michel Charasse, ancien sénateur
M. le président. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues – pardonnez-moi : c’est le jour des mauvaises nouvelles –, c’est avec émotion et tristesse que nous avons appris la disparition de notre ancien collègue Michel Charasse, qui nous a quittés le 21 février dernier à l’issue d’un combat très courageux contre une cruelle maladie. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux se lèvent.)
Nous nous étions revus récemment encore, en janvier de cette année, lorsque le Président de la République lui avait remis les insignes d’officier dans l’ordre de la Légion d’honneur, ordre dans lequel je l’avais moi-même reçu en 2011 – je l’avais décrit alors comme un « républicain absolu ».
J’étais présent, avec vous, madame la garde des sceaux, et avec nos collègues du département du Puy-de-Dôme, à la cérémonie d’adieu organisée mercredi dernier à Puy-Guillaume, à laquelle ont assisté de nombreuses personnalités.
Figure de notre vie politique, Michel Charasse était un serviteur passionné de la République, qui constituait pour lui la référence essentielle et dont il prônait inlassablement les valeurs. C’est autour de ses indéfectibles convictions républicaines que se sont articulés tous les grands engagements de sa vie publique, comme élu local, comme conseiller du Président de la République François Mitterrand, comme ministre, comme sénateur ou comme juge constitutionnel.
Profondément attaché à la liberté individuelle, et tout particulièrement à la liberté de conscience, c’était un défenseur intransigeant de la laïcité. Les règles républicaines devaient selon lui s’appliquer d’une manière égale à tous, sans distinction d’origine, de croyances, d’intérêts ou de communautés, uniformément sur le territoire de la République, une et indivisible.
La fraternité s’incarnait chez lui par une grande fidélité en amitié et une générosité qui s’illustra notamment par son soutien constant aux Restos du cœur.
Sa forte personnalité, parfois atypique, souvent truculente, sa passion pour la chasse et les moments de convivialité attablés, son indépendance d’esprit, sa liberté de parole, sa cohérence et sa détermination dans l’expression de ses opinions, son humour parfois provocateur ont laissé un souvenir marquant et durable dans notre assemblée, où il siégea pendant nombre d’années.
C’était aussi un travailleur acharné, qui fit bénéficier le Sénat de ses compétences de fin juriste et de son expérience du monde parlementaire.
Il était né le 8 juillet 1941 à Chamalières, dans le département du Puy-de-Dôme, auquel il restera toujours fidèle, d’une mère corse et d’un père auvergnat, tous deux salariés de la Banque de France et militants syndicaux.
Titulaire d’une licence en droit et d’un diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris, il commença sa carrière au service de l’État comme attaché d’administration centrale au ministère de l’économie et des finances.
Engagé en politique dès l’âge de 21 ans, par son adhésion à la SFIO, il s’immergea très vite dans le monde parlementaire en travaillant à l’Assemblée nationale comme assistant de plusieurs députés, puis comme secrétaire général adjoint du groupe socialiste, où il devint un expert du droit constitutionnel, de la procédure parlementaire et des finances publiques.
Après un premier et bref mandat électoral en Corse, Michel Charasse fut élu maire de Puy-Guillaume, dans le Puy-de-Dôme, en 1977. Constamment réélu par la suite, il conservera ce mandat pendant trente-trois ans. Profondément enraciné dans son territoire auvergnat, il fut aussi conseiller régional pendant huit ans et conseiller général, vingt-deux ans durant, du canton de Châteldon.
En 1981, Michel Charasse fit son entrée au Sénat ; il remplaçait Roger Quilliot, devenu ministre. Réélu sénateur en 1992 et en 2001, il ne quittera plus notre assemblée jusqu’à sa nomination au Conseil constitutionnel en 2010, hormis, bien sûr, les quatre années où il exerça des fonctions ministérielles, entre 1988 et 1992.
De 1981 à 1995, parallèlement à ses fonctions de sénateur, il fut aussi et surtout un très proche et confiant conseiller du Président de la République. Alors installé à l’Élysée, où il passait la majeure partie de son temps, il fit preuve jusqu’au bout d’une fidélité et d’un dévouement sans faille envers le Président Mitterrand.
Ministre chargé du budget de 1988 à 1992, Michel Charasse fut l’un des titulaires les plus endurants de ce poste exposé. Son passage y fut notamment marqué par le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, le rétablissement de l’impôt sur la fortune, la normalisation de l’imposition des élus ou encore la modernisation de la fiscalité locale.
Au Sénat comme au ministère de l’économie et des finances, l’action de Michel Charasse fut caractérisée par son souci du respect des règles d’utilisation des deniers publics.
Il fut un membre éminent, assidu et écouté, de notre commission des finances, où il s’illustra tout particulièrement comme rapporteur spécial des crédits de l’aide au développement. Il conféra toute sa portée aux prérogatives de contrôle « sur pièces et sur place », en effectuant un certain nombre de missions à l’étranger, notamment en Afrique, dont il était devenu un grand connaisseur.
Après avoir été secrétaire du Sénat de 1995 à 1998, puis membre de la commission spéciale chargée de vérifier et d’apurer les comptes, Michel Charasse exerça, de 2001 à 2004, l’importante responsabilité de questeur du Sénat ; dans ce cadre, il se montra un gardien très attentif de l’autonomie de notre assemblée.
En 1999, il joua par ailleurs un rôle marquant au sein de la commission d’enquête sénatoriale sur la conduite de la politique de sécurité menée par l’État en Corse.
Au long de ses mandats sénatoriaux, il se distingua en outre par ses prises de position affirmées sur les questions concernant la justice et les relations avec les juges, en se prononçant notamment en faveur du maintien des liens entre la Chancellerie et le parquet, ou en faisant valoir l’immunité parlementaire pour refuser de déférer à des convocations adressées par des juges – nous en avons quelques souvenirs.
Attaché au bicamérisme, Michel Charasse se plaisait à souligner l’excellence du travail législatif du Sénat, considérant que « Les textes qui sortent de cette maison sont imprégnés de bon sens et de [la] pratique du terrain ».
En 2010, Michel Charasse, reconnu depuis longtemps comme un grand spécialiste du droit constitutionnel, fut nommé membre du Conseil constitutionnel par le Président de la République Nicolas Sarkozy. Il déclarait alors, dans un entretien au Monde : « Je suis un homme libre et indépendant, qui sert la République, qui sert ses institutions et veut les préserver dans ce qu’elles ont de plus fondamental pour l’équilibre de la France. » Nul doute qu’il aura été fidèle à cet engagement ; je me souviens d’ailleurs – j’étais présent – qu’il rappela ces principes à son départ du Conseil constitutionnel.
Au nom du Sénat, je souhaite rendre aujourd’hui un hommage solennel à un grand serviteur de l’État, à un grand républicain, à une figure marquante de notre vie politique et parlementaire.
À son épouse Danièle, à ceux qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire la part que le Sénat prend à leur deuil.
Michel Charasse était une figure qui restera présente dans cet hémicycle. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux observent un moment de recueillement.)