M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution vise à résoudre une question difficile à plus d’un titre : difficile, car elle touche aux droits des enfants, en l’occurrence des enfants issus de couples franco-japonais qui, à la suite d’un divorce ou d’une séparation, se retrouvent privés de tout contact avec leur parent français ; difficile également, car elle relève de la souveraineté d’un État aux traditions juridiques et culturelles bien différentes de celles que nous connaissons dans nos sociétés occidentales.
En effet, j’ai pu le mesurer lors de mes déplacements au Japon et au cours de mes échanges avec des parlementaires japonais, le gouffre culturel d’abord, judiciaire ensuite, qui nous sépare dans le traitement de ces affaires familiales est réel et profond. J’ai souvent été très surprise de constater que ces situations étaient tout à fait normales pour de nombreux Japonais, qui ne parvenaient pas à mesurer notre incompréhension devant ce qui représente pour nous une injustice flagrante.
C’est un point que j’estime important : ces séparations douloureuses ne concernent pas seulement les couples binationaux ; elles sont au contraire profondément inscrites dans la société japonaise et touchent en premier lieu les familles japonaises, dont les séparations, lorsqu’elles ont lieu, sont, de notre point de vue, aussi violentes.
Cette différence culturelle qui nous oblige à la prudence pour ne pas heurter la sensibilité de la partie japonaise, ne doit cependant pas nous empêcher de défendre avec force le droit de nos ressortissants. Je tiens à rendre hommage aux associations comme Sauvons nos enfants Japon, dont l’engagement continu auprès des parents français doit être salué.
Le Sénat a toujours été sensible à cette question ; en 2011 déjà, nous avions adopté à l’unanimité une proposition de résolution destinée à appeler l’attention des autorités nippones sur la nécessité de reconnaître aux enfants franco-japonais au centre d’un conflit parental le droit de conserver des liens avec chacun de leurs parents.
Notre diplomatie joue également un rôle important. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a multiplié les interventions, tout comme notre poste diplomatique au Japon, dont l’action auprès de nos ressortissants et de la partie japonaise est plus que précieuse.
Néanmoins, il serait important qu’à l’avenir les visites consulaires soient rendues réellement effectives. En effet, actuellement, lorsqu’un enfant français est retenu au Japon, l’ambassade française peut uniquement solliciter une visite auprès du parent japonais, qui est libre de la refuser, ce qui, malheureusement, se produit dans la majorité des cas.
D’autres États sont touchés et tentent, eux aussi, de sensibiliser le Japon à cette question. Je pense notamment aux États-Unis, dont la Chambre des représentants a adopté une résolution en 2010 et dont le département d’État a, en 2018, choisi de classer le Japon parmi les pays qui ne se conforment pas aux obligations qui leur incombent en vertu de la convention de La Haye.
L’Organisation des Nations unies, par l’intermédiaire de son comité des droits de l’enfant, s’est également penchée sur les manquements du Japon à ses obligations conventionnelles et a fait récemment, le 1er février 2019, des recommandations aux autorités japonaises.
Toutes ces démarches ne sont pas restées vaines, et le Japon a dernièrement pris des mesures qui, si elles ne sont pas spectaculaires, vont au moins dans le bon sens. Nous devons donc continuer ce combat, et je souscris pleinement à la demande exprimée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères de rétablir le comité consultatif franco-japonais relatif à l’enfant au centre d’un conflit parental, qui avait été institué en 2009 et qui avait cessé ses travaux au mois de décembre 2014 à la suite de l’adhésion du Japon à la convention de La Haye.
L’instauration de ce comité, tout comme la création d’un poste de magistrat de liaison à l’ambassade de France au Japon, serait un pas important. En effet, pour prendre l’exemple d’un autre pays que je connais bien, je sais combien la mise en place d’un magistrat de liaison français en Allemagne, sur l’initiative d’Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, avait permis une meilleure compréhension du point de vue français en Allemagne. Cette mesure avait considérablement amélioré le traitement de la garde des enfants lors du divorce de couples franco-allemands.
Ce dialogue constant entre les deux parties et les mesures récentes prises par le Japon sont positifs et résultent peut-être aussi d’un changement de la société japonaise au sein de laquelle l’équilibre familial semble connaître une évolution, avec une plus grande implication des pères dans l’éducation de leurs enfants. Pour preuve, le ministre de l’environnement japonais, Shinjiro Koizumi, a annoncé mercredi 15 janvier son intention de prendre un congé de paternité, une décision symbolique qui va à l’encontre des conventions du monde du travail au Japon, mais dont il espère qu’elle donnera l’exemple à tous les pères de l’archipel.
Cette évolution lente des mentalités, tout comme notre action, permettra, je l’espère, à l’avenir de mettre un terme à ces drames humains qui brisent les familles. Récemment encore, nous avons pu mesurer, avec deux cas très médiatisés, l’ampleur de ces drames.
Les orateurs précédents l’ont évoqué, Louis, âgé de 4 ans, né d’un père japonais et d’une mère française, a quitté Salles-d’Aude le 26 décembre dernier sur décision de justice pour vivre au Japon avec son père. Sa mère a refusé jusqu’au bout de le laisser partir – mes collègues Roland Courteau et Gisèle Jourda connaissent bien ce drame, qui s’est produit dans leur département.
Scott McIntyre, un journaliste australien, vient, lui, de passer quarante-cinq jours en détention pour avoir seulement tenté d’apercevoir sa fille et son fils.
On peut mesurer les conséquences de ces séparations sur la santé d’un jeune enfant et le traumatisme qu’elles peuvent entraîner à court et à moyen terme. Bien souvent, elles s’accompagnent d’un bannissement total de l’autre culture, de l’autre langue, et coupent l’enfant de ses racines culturelles.
C’est pour tenter de mettre fin à ces drames que le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de résolution, dont je salue l’équilibre et la justesse. Enfin, je tiens à remercier mon collègue Richard Yung de son travail de longue date sur cette délicate question. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, neuf ans après l’adoption par le Sénat d’une proposition de résolution sur la situation des enfants franco-japonais privés de l’un de leurs parents à la suite d’un divorce ou d’une séparation, force est de constater que ce dossier demeure toujours très sensible.
L’actualité se fait régulièrement l’écho de la détresse de ressortissants français privés de leur enfant consécutive à un enlèvement ou à la non-exécution d’une décision de justice. Des cas de déchirement familial conduisent parfois au pire, certains parents ne trouvant pas d’autre issue que celle du suicide. D’autres risquent la prison en essayant de renouer le lien avec leur enfant, comme ce fut le cas d’un journaliste australien incarcéré après avoir tenté d’apercevoir ses enfants qu’il n’avait pas vus depuis plusieurs mois. Selon l’association Sauvons nos enfants Japon, près d’une centaine d’enfants seraient privés de contact avec leur parent français.
Aussi, certains collègues représentant les Français établis hors de France sont très actifs sur cette problématique – à cet égard, je remercie Richard Yung d’avoir déposé une nouvelle proposition de résolution. Je salue leurs initiatives pour faire avancer la coopération franco-japonaise sur les droits de ces enfants et de ces parents emportés dans un profond désarroi.
En 2011 déjà, lors du débat en séance publique sur la proposition de résolution précitée, j’avais souligné à quel point la combinaison de la culture japonaise et des standards judiciaires de l’archipel pouvait offrir un cadre favorable au parent japonais. Sur le plan culturel, si la France et le Japon ont en commun le respect des valeurs de liberté et de démocratie, ils n’ont cependant pas la même conception de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Au Japon, la maison est vue comme entité de la famille et considérée comme un pôle de stabilité sanctuarisé, un point d’ancrage important pour l’enfant, qui doit donc y demeurer coûte que coûte. La justice nipponne s’inscrit dans cette tradition de continuité, héritée de l’ère Meiji qui prévoit, en cas de séparation, que l’un des parents sorte de la famille, donc de la maison.
Nos concitoyens concernés par une séparation avec un ressortissant japonais en mesurent concrètement les conséquences. La proposition de résolution le rappelle : le droit nippon de la famille « ne reconnaît ni le partage de l’autorité parentale, ni la garde alternée ».
En France, l’équilibre d’un enfant passe par le lien continu avec ses deux parents, le maintien du contact affectif et relationnel étant considéré comme un facteur du bien-être psychique et moral de l’enfant. Nos juges tentent de le permettre du mieux possible.
Ces deux réalités pourraient paraître irréconciliables, d’autant plus que nous sommes tenus de respecter la souveraineté du Japon.
Cependant, le Japon a montré des signes d’ouverture. Dans la résolution du 25 janvier 2011, nous appelions Tokyo à adhérer à la convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. C’est chose faite depuis 2014. Cette adhésion est censée apporter des garanties en matière de droit de garde et de droit de visite.
Comme cela a été rappelé par certains collègues, un espoir se fonde sur la loi relative à l’exécution des décisions en matière civile, adoptée par le Parlement japonais le 10 mai 2019 et qui pourrait améliorer aussi les conditions de la remise de l’enfant au parent détenteur de l’autorité parentale.
Malgré ces avancées, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies l’a reconnu, le Japon ne répond pas encore à ses obligations conventionnelles, en particulier en ce qui concerne les déplacements et les non-retours illicites d’enfants, ou encore les cas de déplacement d’enfants à l’intérieur du territoire japonais sans dimension d’extranéité. À cet égard, la présente proposition de résolution évoque à juste titre le défaut d’exécution d’ordonnances de retour en application de la convention de la Haye.
Dans l’intérêt de ces enfants, il convient donc d’amplifier les démarches en direction du Japon. La mobilisation du Président de la République sur ce dossier lors de sa visite officielle au Japon, en juin dernier, mérite d’être soulignée. Elle pourrait bien encourager le rétablissement du comité consultatif franco-japonais relatif à l’enfant au centre d’un conflit parental ; ainsi, tous les cas qui ne sont pas couverts par le droit international actuel pourraient être traités. Nous savons que le Gouvernement œuvre à la réactivation de cette instance qui a, hélas, cessé de fonctionner en 2014.
Enfin, je rappellerai la nécessité de mutualiser les actions diplomatiques avec les pays concernés par la question des enfants binationaux privés de tout lien avec leur parent non japonais. La France n’est pas seule. Le Sénat a adopté, le 18 décembre dernier, une proposition de résolution européenne, dont ma collègue Véronique Guillotin était rapporteure, qui va dans ce sens en appelant l’Union européenne à accentuer sa politique de protection des enfants qui se trouvent au centre d’un conflit parental. Mon groupe avait bien entendu soutenu ce texte.
Aujourd’hui, animés par le même souci de contribuer à la protection de l’intérêt des enfants binationaux, tous les membres du RDSE approuveront la proposition de résolution qui nous est soumise. Dans un monde de plus en plus cosmopolite où se multiplient les couples binationaux, le droit international et la coopération judiciaire doivent se mettre à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM. – Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier Richard Yung de nous sensibiliser, au travers de cette proposition de résolution, au drame humain que constitue l’enlèvement d’enfants franco-japonais et de tenter de le résoudre.
Chaque année, des milliers d’enfants sont victimes soit d’un enlèvement international commis par leur parent japonais, soit d’un enlèvement parental à l’intérieur du Japon. Il y a donc urgence à agir, malgré des difficultés certaines.
Depuis l’adoption par notre chambre, en 2011, d’une proposition de résolution visant à permettre aux parents français d’enfants franco-japonais de maintenir le lien familial en cas de séparation ou de divorce, il faut reconnaître que le Japon a fait quelques petites avancées. Je pense notamment à l’autorisation de la remise de l’enfant en l’absence du parent ayant perdu l’autorité parentale. Cette loi entrerait en vigueur en avril prochain.
Restent toutefois de nombreux obstacles à franchir. Il paraît en effet difficile de concilier correctement les obligations énumérées dans la convention de La Haye sur la protection de l’enfant et certaines dispositions propres à la législation japonaise en la matière.
Les parents qui subissent cette situation de rupture familiale – cela a déjà été évoqué – se heurtent à la double impossibilité de la garde alternée et du partage de l’autorité parentale. Ils sont également confrontés au principe de continuité, qui n’est pas inscrit dans la loi, mais qui a pour conséquence que les juges attribuent la garde de l’enfant presque exclusivement au parent ravisseur. Voilà trois principes propres au Japon qui nous posent des difficultés, mais sur lesquels le Japon n’entend a priori pas revenir.
À mon sens, cette situation révèle que le Japon, comme beaucoup de pays encore, est un régime patriarcal où les traditions sont parfois plus fortes que la loi. Les lois sont d’ailleurs rarement en faveur des femmes et, dans le cas présent, des mères de famille : ce n’est que mon avis personnel.
La seule solution légale, mentionnée très justement dans la proposition de résolution, est la meilleure information des magistrats français. Cela est certes nécessaire et évident à nos yeux, mais paraît bien dérisoire.
De plus, il importe de réactiver des outils diplomatiques tels que le comité consultatif franco-japonais mis en veille depuis décembre 2014. Cet organe permettait de manière effective à des parents, pour des enlèvements perpétrés avant 2014, de retrouver leur enfant et de maintenir un dialogue constant avec les autorités japonaises. Cette mesure s’inscrirait dans la suite de l’installation d’un magistrat de liaison à l’ambassade du Japon en France.
Reste donc la voie diplomatique. C’est logiquement dans cette optique que se situe cette proposition de résolution. Il s’agit de tenter de résoudre ces situations extrêmement dramatiques au cas par cas.
Qu’il me soit permis, mes chers collègues, de faire un lien entre cette proposition de résolution et l’une des propositions de mon groupe : l’examen de ce texte démontre une nouvelle fois toute la nécessité d’une délégation parlementaire aux droits des enfants. On parle des traités internationaux et des lois nationales, mais une telle délégation, au Sénat ou à l’Assemblée nationale, me semble de plus en plus nécessaire. Je regrette que la Haute Assemblée ne se soit pas saisie de notre proposition de créer une telle instance.
Cela dit, nous voterons cette proposition de résolution équilibrée, très utile, et propre à améliorer la situation de ces parents et de leurs enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et LaREM. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne déposée par notre collègue Richard Yung a été cosignée par de très nombreux sénateurs de tous bords, comme il l’a souligné lui-même. C’est parce qu’elle fait écho à des situations humaines aussi injustes que dramatiques face auxquelles, quelle que soit notre appartenance politique, nous ne pouvons rester insensibles.
Geoffroy Didier, député européen, vient de saisir Josep Borrell, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, sur l’affaire des enfants binationaux européano-japonais se retrouvant au centre d’un conflit familial au Japon.
Il n’est en effet plus possible de se taire lorsque les citoyens européens, qu’ils soient Français ou ressortissants d’un autre État membre de l’Union, subissent au Japon des atteintes graves à leurs droits, en particulier quand il est question des droits primordiaux des enfants.
Le cas des enfants de parents européen et japonais est un triste exemple : nombre d’entre eux sont maintenus de force au Japon et privés de leur lien avec leur parent européen à la suite d’un enlèvement par leur parent japonais.
Certains parents européens se retrouvent en garde à vue, alors qu’ils souhaitaient simplement revoir leur enfant. L’actualité récente a mis en lumière les conditions de détention dans ce pays !
Le Japon ne respecte pas l’accord de partenariat stratégique qu’il a pourtant signé avec l’Union européenne en 2018. Cet accord visait notamment à promouvoir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les libertés fondamentales.
La loi japonaise prévoit, dans le meilleur des cas, un droit de visite de deux heures par mois. Comment peut-on maintenir un lien affectif réel avec son enfant dans ces conditions ?
Par ailleurs, la loi ne prévoit le partage ni de la garde ni de l’autorité parentale, interrompant de facto le lien juridique de l’enfant avec l’un de ses deux parents, et ce au mépris de la convention de La Haye et de la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, traités que ce pays a pourtant ratifiés.
Les ambassadeurs européens ont maintes et maintes fois interpellé les autorités japonaises, le Premier ministre Abe comme le ministre de la justice, sans résultat.
La situation est tellement scandaleuse que l’association Sauvons nos enfants Japon a lancé une pétition auprès du Parlement européen, laquelle sera d’ailleurs examinée par les députés européens le 19 février.
D’autres initiatives fleurissent de toutes parts pour dénoncer ces situations aussi douloureuses que scandaleuses. Précisons que certains Japonais eux-mêmes ont assigné leur propre gouvernement en justice.
En sept ou huit ans, plus de 300 parents français et plus de 2 000 parents européens, vivant pour la plupart au Japon, ont fait la douloureuse expérience d’un enlèvement parental dans ce pays.
Cela étant, la France a permis à un parent japonais d’exercer ses droits en rapatriant le jeune Louis au Japon contre l’avis de son parent français, alors que l’inverse ne s’est jamais produit lorsque le parent japonais s’y oppose.
Je soutiens donc évidemment la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui et dont je suis cosignataire.
Elle fait partie des nombreuses initiatives de députés et sénateurs relatives aux enfants franco-japonais victimes d’un enlèvement parental.
Notre conseiller consulaire au Japon, M. Thierry Consigny, qui est aussi président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée des Français de l’étranger, attire régulièrement notre attention sur ces drames familiaux.
Je m’associe à la détresse des parents et demande qu’un terme soit mis à l’injustice que subissent nos ressortissants français et européens, comme des centaines de milliers de Japonais.
Je voterai donc cette proposition de résolution, en espérant un vote unanime de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le 25 janvier 2011, le Sénat a adopté deux propositions de résolution traitant des enfants franco-japonais.
Malheureusement, tragiquement pour nos compatriotes adultes et enfants, la situation n’a pas encore connu d’avancées véritablement significatives.
Le sujet est difficile, douloureux et diplomatiquement délicat, puisque nous sommes défavorables à toute proposition renfermant une quelconque injonction vis-à-vis d’un pays tiers.
Néanmoins, il nous paraît indispensable que la diplomatie française poursuive ses actions chaque fois que cela est possible, comme cela fut le cas en mai et en octobre dernier.
La France a une relation historique privilégiée avec le Japon : nous avons une tradition d’amitié ancienne, précieuse et forte. Cette relation est marquée par une compréhension et un respect mutuels qui doivent nous permettre de dépasser les différences de législation et, surtout, les divergences dans l’application des décisions en matière de droit de la famille.
Chacun connaît et mesure la souffrance, le désarroi et le parcours du combattant des pères français empêchés d’exercer leur droit de visite en cas de désaccord avec leur ex-conjointe. Ils sont confrontés à une double difficulté.
Tout d’abord, ni le code civil nippon ni les registres familiaux – les koseki – ne reconnaissent en tant que tel le droit des pères. Je tiens à rappeler que les séparations familiales restent une problématique entière au Japon.
Par ailleurs, il n’existe pas de mesure coercitive en cas de non-respect du droit de visite. De fait, la justice japonaise n’est pas compétente pour intervenir dans ces affaires. Ce n’est possible que si la décision d’exécution est prise par un juge aux affaires familiales japonais, ce qui est très rare, voire inédit, et souvent très onéreux.
Je veux redire tout notre soutien à ces pères privés d’enfants, dont il ne faut pas oublier que certains se sont donné la mort.
Je souhaite aussi, à cet instant, que nous ayons en tête les enfants qui se retrouvent privés de leur autre parent, privés de leurs autres racines. Nous ne pouvons pas les abandonner. Ils sont les premières victimes de ces drames familiaux.
Le Japon a adhéré en 2014 à la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, mais certains dossiers, parmi les onze que le Quai d’Orsay considère comme actifs, sont antérieurs et nécessitent d’autres leviers. C’est aussi le cas pour les déplacements d’enfants à l’intérieur du territoire japonais, sans dimension d’extranéité.
Au vu de la diversité juridique des cas autant que de la diversité culturelle en jeu, je pense qu’il est primordial de créer des structures d’échanges et de médiation et de les faire reconnaître de part et d’autre.
J’estime, de ce point de vue, que la réactivation du comité de consultation franco-japonais relatif à l’enfant au centre d’un conflit parental est nécessaire, tout comme son élargissement à des personnalités qualifiées japonaises.
Il importe de créer les conditions d’un dialogue permanent, dans un cadre qui inclurait les spécificités juridiques des deux pays et qui garantirait le droit de l’enfant, conformément à la convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
Mes chers collègues, je voterai donc en faveur de cette proposition de résolution. Elle s’inscrit en soutien d’efforts que nos deux pays ont engagés, mais qui doivent être poursuivis et accélérés. Enfin, je souhaite surtout que nous puissions veiller au mieux au respect des droits des enfants. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et La REM.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord, au nom du Gouvernement, saluer l’initiative de M. Yung, qui porte devant la représentation nationale le sujet extrêmement sensible des enlèvements internationaux d’enfants et, plus précisément, celui des enfants binationaux enlevés par leur parent japonais.
C’est un monde qui vient séparer ces enfants de leur parent non japonais sans que la loi, hélas, parvienne à les protéger. Ces situations de très grande souffrance naissent et perdurent en raison d’une culture et d’un cadre juridique divergents par rapport à la France en matière familiale. Notons en particulier que le droit familial japonais ne reconnaît pas l’autorité parentale partagée en cas de divorce ou de concubinage.
Votre proposition de résolution, monsieur le sénateur, a deux objectifs auxquels le Gouvernement s’associe pleinement.
D’une part, il s’agit de s’assurer du respect des droits fondamentaux des enfants franco-japonais au centre d’un conflit parental, dans le respect de la souveraineté du Japon.
D’autre part, elle vise à réaffirmer le soutien des parlementaires aux parents français privés de tout contact avec leurs enfants.
Je tiens d’emblée à affirmer que cette situation est bien connue du Gouvernement et fait l’objet d’un suivi constant des services de la Chancellerie et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, que ce soit à Tokyo ou à Paris.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs – beaucoup parmi vous l’ont rappelé –, la France a sollicité officiellement, notamment dans une lettre adressée le 4 octobre dernier par le Président de la République au Premier ministre japonais, la réactivation d’un comité de dialogue ad hoc qui avait été mis en place bilatéralement avant l’entrée en vigueur au Japon de la convention de La Haye, ce pays l’ayant ratifiée en 2014.
Nous avons récemment relancé les autorités japonaises à ce sujet. Elles nous ont assuré qu’elles allaient rapidement examiner notre demande ; néanmoins, au moment où je vous parle, cela n’a pas encore été fait.
Par ailleurs, comme plusieurs orateurs l’ont également souligné, nous œuvrons pour que des actions soient menées à l’échelon européen. Je peux d’ores et déjà indiquer que la situation des parents européens privés de contact avec leurs enfants japonais a été abordée le mois dernier à l’occasion de la réunion du comité mixte chargé de la mise en œuvre de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Japon. Nous avons aussi demandé que cette question soit mise à l’ordre du jour du Conseil de l’Union européenne sur les questions consulaires, afin qu’une stratégie commune soit adoptée.
Eu égard à cette situation, et animés que nous sommes de la volonté d’agir, nous serons évidemment très attentifs à l’application dans les mois qui viennent de la nouvelle législation japonaise, qui devrait permettre l’exécution forcée des décisions de justice, en particulier des décisions concernant le retour en France de ces enfants, y compris lorsque le parent japonais s’y oppose. Nous attendrons de la part des autorités japonaises une exécution effective des décisions judiciaires de retour.
Nous sommes parfaitement conscients des difficultés que nous rencontrons actuellement pour faire appliquer la convention de La Haye au Japon. C’est pourquoi, de façon plus générale, il nous paraît indispensable de déployer tous les efforts nécessaires pour prévenir et combattre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants, quels que soient les pays concernés.
Nous entretenons ainsi des relations et nous organisons des réunions régulières avec les pays avec lesquels nous disposons d’un instrument de coopération, qu’il s’agisse de la convention de La Haye ou de conventions bilatérales. Ces rencontres nous permettent de mener une coopération plus fluide et de régler les difficultés qui peuvent se présenter.
Nous avons donc, chaque année, des réunions avec l’ensemble des pays de l’Union européenne pour discuter de questions générales ou de dossiers individuels, ce qui nous permet dans un certain nombre de cas de lever des difficultés concrètes. Nous avons également des rencontres annuelles avec les principaux pays avec lesquels nous disposons d’une convention bilatérale, tels que l’Algérie, la Tunisie, ou encore le Maroc. Enfin, nous organisons des rencontres ou des visioconférences avec l’ensemble des autres pays, soit de façon régulière et institutionnalisée – tel est le cas pour la Russie –, soit en cas de nécessité, par exemple avec Israël, le Brésil, ou le Japon.
Face à ces difficultés, les tentatives de nouer des liens et de trouver des lieux de dialogue sont bienvenues. Je me félicite donc, tout comme vous, du rôle que jouent des associations comme Sauvons nos enfants Japon, dont les représentants ont été reçus il y a quelques semaines par mon cabinet.
Quant à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais à quel point vous êtes attachés à promouvoir l’efficacité de la diplomatie parlementaire avec le Japon. Le Gouvernement ne peut que s’en féliciter et encourager les échanges avec les parlementaires japonais sur les évolutions envisageables du droit de la famille japonais qui permettraient de consacrer l’égalité réelle des droits parentaux, ainsi que le maintien effectif des liens familiaux en cas de séparation.
Comme plusieurs d’entre vous l’ont indiqué, l’une des principales difficultés tient à l’application du principe de continuité, consacré par le droit et la coutume japonais, selon lequel, lors d’une séparation, un seul des parents est investi de l’autorité parentale. Ce principe conduit malheureusement à exclure l’autre parent de la vie de l’enfant, qu’il soit étranger ou japonais.
La société japonaise elle-même s’accommode de plus en plus mal de ce principe, et le gouvernement japonais a récemment lancé une réflexion sur l’introduction possible du partage de l’autorité parentale, voire de la garde alternée. Le ministère de la justice français, comme il a déjà eu l’occasion de l’indiquer lors de la mission conjointe qu’il a menée à Tokyo en mai dernier avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, est tout à fait disposé à partager son expérience avec le ministère de la justice japonais sur ces questions.
Je souhaite in fine préciser deux éléments. J’ai noté avec beaucoup d’attention l’invitation faite dans cette proposition de résolution à mieux sensibiliser les magistrats français aux particularismes de ces déplacements internationaux d’enfants vers le Japon. Ces éléments spécifiques pourraient effectivement être intégrés au sein de formations assurées à l’École nationale de la magistrature, sans pour autant vouloir orienter les décisions de nos autorités judiciaires.
J’ai par ailleurs demandé à mes services d’expertiser les possibilités d’extension de la zone de compétence du magistrat de liaison de Pékin, spécifiquement pour ce qui concerne l’entrée de civils au Japon.
En conclusion, je tiens à réitérer le soutien du Gouvernement à cette proposition de résolution qui vient rappeler ce qui peut paraître une évidence, mais parfois à tort dans les faits : ce qui doit toujours primer sur toute autre considération, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est ce que je rappellerai prochainement à mon collègue, le ministre japonais de la justice, puisque je dois me rendre au Japon au mois d’avril. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, UC, Les Républicains et SOCR.)