M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
M. Dominique de Legge. On va ainsi avoir accès à un père, qui n’est pas un père mais qui est un géniteur, et on va appliquer un dispositif qui me semble terriblement incompréhensible.
Je n’ai pas de réponse à mes questions, mais j’aimerais bien que vous nous aidiez à résoudre toutes ces contradictions, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Dans ce cadre, la commission spéciale vise à surfer entre les deux positions, en indiquant que, si le donneur ne s’y oppose pas, l’enfant pourrait accéder aux données ; mais on se rend bien compte que ce n’est pas satisfaisant, au regard de l’égalité de droit entre enfants. En effet, selon que le géniteur s’y oppose ou non, on n’a pas le même droit.
Monsieur le secrétaire d’État, puisque c’est vous qui défendez ce projet de loi, auriez-vous la gentillesse de bien vouloir nous expliquer comment vous-même levez toutes ces contradictions ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Corbisez. Je suis troublé, parce que, si j’ai voté pour l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels et aux femmes seules, je réalise au fil des débats que l’on commence à avoir le bras engagé, moralement, politiquement, dans des choses qui me gênent beaucoup.
Dans mon esprit, quand on aide à la création d’un projet familial, quand on fait un don, on devrait s’inscrire soi-même dans un projet familial de don de gamètes ; selon moi, le conjoint devrait en être informé.
Dorénavant, parmi ses cadeaux pour ses 18 ans, comme le dit M. le secrétaire d’État, le jeune né par PMA aura le droit de demander des informations sur son géniteur, que l’on va interroger ; dira-t-il oui ou non ? Dès lors que celui-ci ne l’a pas indiqué lors du don de gamètes, cela complexifie les choses. Au contraire, aujourd’hui, l’anonymat entraîne tout de même moins de conséquences négatives que tout le système que l’on est en train d’instituer dans des poupées gigognes.
Je l’avoue, selon moi, lever l’anonymat engendrera beaucoup plus de problèmes que ça n’en résoudra. Par-dessus le marché, vous voulez rechercher, monsieur le secrétaire d’État, les anciens donneurs anonymes pour savoir s’ils acceptent la levée de leur anonymat, rendant ce changement de législation rétroactif.
M. Jean-Pierre Corbisez. Je suis très inquiet des conséquences de cette décision pour les couples dont l’un des membres a été donneur dix-huit ans plus tôt sans le dire à son conjoint. (M. Loïc Hervé applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.
M. Julien Bargeton. Il y a, dans ce débat, deux positions cohérentes. L’une, celle de M. Hervé, qui souhaite conserver le droit actuel et, donc, ne pas lever l’anonymat. L’autre, qui me paraît plus conforme à l’évolution de la société, qui repose sur le constat qu’il y a parfois un besoin de connaître son géniteur, ses origines biologiques, puisqu’on ne parle effectivement pas du père. Cela répond à une demande forte.
Si j’étais taquin, je dirais que la commission spéciale a essayé de faire du « en même temps »,…
M. Gérard Longuet. Ça déteint !
Mme Sophie Primas. Comme quoi c’est moche ! (Sourires.)
M. Julien Bargeton. … en disant que « ça dépendra du choix ». Mais cela pose une véritable question ; comme l’a dit le secrétaire d’État, c’est un peu la loterie : vous voulez connaître vos origines biologiques, mais cela dépendra d’une décision prise il y a bien longtemps par le donneur.
Il me semble que l’on introduit, ce faisant, une rupture d’égalité qui ne se justifierait – j’emploie le conditionnel, parce que je suis prudent – que par l’intention du donneur et non par la situation de l’enfant. Celui-ci se trouverait donc dans une situation différente selon un choix qui ne dépend pas de lui.
La position du Gouvernement me paraît donc être la bonne.
Si, à titre personnel, j’étais dans la situation qui nous occupe, je ne sais pas si je chercherais à connaître mon origine biologique. Il est toujours très compliqué de juger les hommes. Fontenelle disait : « Nous voulons juger de nous, nous en sommes trop près ; nous voulons juger des autres, nous en sommes trop loin. » Il faudrait être au milieu, mais nous n’y sommes jamais. Or nous ne sommes pas que des spectateurs, nous ne sommes pas que des habitants de la Terre, nous sommes des législateurs.
Je crois qu’il faut permettre à chacun de connaître son origine biologique, son géniteur, et qu’il faut le faire dans des conditions qui n’ajoutent pas une souffrance supplémentaire, c’est-à-dire sans rupture d’égalité.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Si nous nous disions simplement que nous sommes en train de légiférer en nous appuyant sur l’expérience induite des lois antérieures pour nous projeter vers l’avenir ?
L’un des sujets qui nous préoccupe est de savoir si l’on va intégrer à ces progrès de la médecine et de la conception l’idée que la filiation peut-être multiple. Issue d’un projet parental, c’est une filiation sociologique : un couple réalise son désir d’enfant grâce à l’assistance médicale à la procréation. On peut penser que ces enfants, qui vont recevoir tout l’amour et toute l’éducation que ces couples ont à donner, ne vont pas être malheureux.
Je repense aux propos d’Angèle Préville, ce matin, qui évoquait un de ses anciens élèves. On sent bien que la difficulté, dans ce cas précis, est venue du fait qu’on ne lui a pas parlé. Or l’expérience nous a justement appris qu’entretenir la fiction de la biologie dans un couple qui n’a qu’une filiation sociologique constitue une erreur.
Je rejoins ce qu’a dit notre collègue Gérard Longuet : l’enfant, arrivé à sa majorité, va peut-être se poser des questions sur ses origines, mais sa filiation sera d’abord sociologique. C’est celle-là qui va compter, c’est cette éducation qui a été portée.
Le donneur sait, au moment du don, que son identité pourrait être connue un jour. On lui dit aussi clairement qu’il n’y aura pas de lien de filiation, qu’il ne sera pas possible de reconnaître cet enfant, qu’il n’y aura pas de contrôle de l’ADN… Ce dispositif peut donc parfaitement fonctionner.
Par contre, monsieur le secrétaire d’État, vous avez raison de souligner la souffrance de cet enfant à qui on va dire la vérité sur ses origines – les parents vont d’ailleurs être encouragés à lui en parler au fur et à mesure de son évolution, notamment à l’adolescence –, à qui on aura fait miroiter l’idée qu’il pourrait, comme le suggérait Gérard Longuet, retrouver l’identité du donneur et qui s’opposera finalement au refus de ce dernier.
Nous ne sommes pas dans la même situation que pour l’enfant né sous X, dispositif propre à la France qui n’existe pas dans les autres pays européens : l’enfant né sous X a été porté par sa mère pendant neuf mois. Or on sait que quelque chose se vit entre la mère et l’enfant durant la maternité, qu’il existe une relation entre l’enfant et celle qui le porte pendant toute la durée de la conception. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous sommes quasiment unanimes à penser que la GPA n’est pas la solution. Il ne s’agit pas du même sujet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Sur ce sujet, il est nécessaire de penser avant tout à l’enfant.
M. Bruno Retailleau. Ah !
M. Philippe Bas. Enfin !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le président Bas, ne soyez pas ironique à chaque fois que j’essaie de développer un argument. Je n’ai pas votre vélocité. (Sourires sur les travées du groupe SOCR.) Pour vous rassurer, je parlerai également des parents.
M. Philippe Bas. Allez-y !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. De deux choses l’une : soit les enfants ne sauront jamais qui est leur géniteur biologique – pour lever la contradiction que relevait M. de Legge voilà quelques instants, je ne parle pas de « père » – et aucun d’entre eux ne pourra avoir accès à l’identité du donneur de gamètes. Cette situation entraînera une souffrance des enfants, si tant est qu’ils apprennent la vérité plus tard, et la recherche de leurs origines qu’évoquait Gérard Longuet. Aujourd’hui, on sait qu’un grand nombre d’enfants qui ne savent pas « d’où ils viennent » – PMA, adoption, nés sous X… – ont cette préoccupation. Pour certains, cela devient même un problème psychologique. Soit les enfants auront accès à l’identité du donneur.
Il me semble que la clarté commande de permettre à tous soit l’un, soit l’autre, et de ne pas offrir un aléa total.
Monsieur de Legge, permettre à l’enfant de savoir qu’il est né d’une PMA n’entraîne pas de confusion entre le père social, celui qui l’a élevé et aimé, et le gamète qui a permis sa naissance. Je ne vois aucune contradiction dans notre raisonnement. Dans mon esprit, il n’y a pas de confusion.
Le « en même temps » de la commission, qui constitue déjà une avancée sur laquelle nous avons beaucoup travaillé, n’est sans doute pas totalement satisfaisant. L’amendement du Gouvernement a le mérite de la clarté. Quand on veut faire du « en même temps », on peut aussi y aller carrément !
Dans les pays où un tel dispositif a été mis en place, le nombre de donneurs a effectivement diminué, mais dans un premier temps seulement. Ce problème ne s’est plus posé ensuite.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.
M. Laurent Lafon. J’ai déposé un amendement à l’article 9 visant à ce que la levée de l’anonymat, qu’elle soit généralisée, comme le propose le Gouvernement, ou qu’elle se fasse sous condition, comme le propose la commission spéciale, soit traitée de la même façon pour les enfants nés d’un don de gamètes ou pour les enfants nés sous X.
Je rejoins les propos de Jacques Bigot : il s’agit de deux sujets différents. La maman a porté l’enfant pendant neuf mois et a établi un lien avec lui. À un moment, il faudra se poser la question de la levée de l’anonymat pour les enfants nés sous X.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je reprends le début du propos de Gérard Longuet : c’est déjà presque une évidence, sans même l’ordinateur quantique, l’intelligence artificielle nous permettra d’accéder à ces informations.
Dans son livre Le Fils, dont je vous conseille la lecture, Arthur Kermalvezen montre comment il a retrouvé ses origines, contre toute attente, avec les seuls outils dont nous disposons aujourd’hui et sans trop faire appel à l’intelligence artificielle. L’intérêt de ce livre est double : il montre le ressort puissant qui vous pousse à rechercher le géniteur, le père, tout du moins celui dont vous procédez. C’est quelque chose d’inextinguible. Il montre aussi les technologies à notre disposition pour y parvenir.
Tout en respectant beaucoup sa position, qui est claire, je ne voterai pas l’amendement de Loïc Hervé. Entre la proposition du Gouvernement et celle de la commission spéciale, qui prévoient toutes deux la levée de l’anonymat, il n’y a pas photo : celle de la commission me paraît plus éclairée.
Le Gouvernement propose que le consentement se fasse au moment du don : le jeune adulte demandera cette levée dix-huit ans après, alors même que la volonté du donneur pourrait avoir changé. La commission, quant à elle, propose de faire coïncider le moment du consentement et celui de la demande. Il s’agit d’une grande différence. Je n’en avais pas fait ma doctrine, mais je me rallie à la position de la commission spéciale.
Cette question nous renvoie bien évidemment au grand débat sur la filiation que nous aurons dans quelques instants. On a pu parler de rupture anthropologique en raison de la suppression du lien symbolique entre engendrement et filiation. Vous avez parlé d’égalité, monsieur le secrétaire d’État, mais il y aura de facto un processus inégalitaire entre les enfants qui auront des pères et ceux qui n’en auront pas, entre ceux qui auront accès à leurs origines et ceux qui n’y auront pas accès, faute de consentement du donneur.
Quand la transmutation n’aura pas fonctionné, c’est à dire quand une femme, dans l’esprit du fils, ne sera pas devenue sa mère, l’enfant cherchera ses origines. Quand cette transformation n’aura pas bien fonctionné, ce qui peut arriver dans la construction de l’identité d’un adolescent, le « plan B » qui s’offrira à lui se trouvera du côté du biologique, du côté du géniteur. C’est toute la contradiction que relevait Dominique de Legge.
Cette contradiction apparaît aussi dès lors que nous avons accepté l’extension de la PMA. Nous reviendrons sur cette question, qui touche profondément au régime de filiation que nous établirons ou que nous n’établirons pas. Pour l’instant, nous parlons de fiction juridique fondée sur la vraisemblance. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Revenons à la question posée par M. Hervé, qui veut que nous en restions à loi de bioéthique actuelle.
J’ai voté ou rejeté avec lui un certain nombre de dispositions, mais je ne peux le suivre cette fois. Ce n’est pas parce que tous ne pourront avoir accès à l’identité du donneur qu’aucun ne doit y avoir accès. La grille de lecture qui passerait par une interprétation excessive du principe d’égalité pour savoir si, oui ou non, on doit permettre de connaître l’identité du donneur n’est pas la bonne porte d’entrée.
Face à des situations qui peuvent soit être bien assumées, soit témoigner d’une certaine détresse psychologique, la bonne porte d’entrée est de savoir si l’on doit interdire l’accès à l’identité du donneur si celui-ci est d’accord. Nous discuterons des modalités lors de l’examen d’autres amendements.
Comme l’ont souligné Gérard Longuet et Bruno Retailleau, les banques de données d’ADN deviennent si importantes qu’elles permettent déjà de retrouver des parents. Elles ne cessent de croître de manière exponentielle si bien que des enfants issus d’un don témoignent aujourd’hui qu’ils ont retrouvé leur géniteur – qui n’avait pourtant pas consenti à la révélation de son identité – de cette manière.
Tout cela relativise quelque peu la portée de ce que nous sommes en train de faire et permet surtout de montrer l’importance qu’accordent les personnes nées d’un don à la possibilité d’accéder, le cas échéant, à l’identité du donneur.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je me suis assez peu exprimé pour l’instant. Ce texte pose un véritable problème de conviction : ce n’est pas un débat entre ceux qui détiennent la vérité et les autres. Chacun a une vision qui tient à sa sensibilité, à ses convictions. C’est avec beaucoup d’humilité que je me permets de prendre la parole. Même en tant que médecin, je n’ai pas encore osé m’exprimer sur ces questions hautement sensibles.
Ce débat nous montre que le père a tout de même une utilité dans la cellule familiale. Je suis rassuré, car il me semblait comprendre que le père n’était finalement pas d’une redoutable utilité.
M. Gérard Longuet. Un gêneur !
M. René-Paul Savary. Les arguments de Mme la ministre et les vôtres, monsieur le secrétaire d’État, semblent démontrer qu’il est tout de même utile.
Dans le cas d’un couple hétérosexuel, l’enfant peut trouver l’amour qu’il cherche auprès du père qu’il a déjà, même si ce n’est pas son père biologique. Dans le cas d’un couple homosexuel, l’enfant ne pourra trouver son père au sein de la cellule familiale. Si on ne lui donne pas la chance de pouvoir connaître un jour son père biologique, on risque de le pénaliser dans sa construction individuelle.
L’amendement de la commission, que je voterai, me paraît tout à fait équilibré en ce qu’il tient compte de la place de l’enfant et de l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. On ne peut comparer un enfant adopté de manière plénière ou un enfant né sous X qui veulent connaître leur histoire et leurs vrais parents et un enfant conçu par des dons anonymes de gamètes ou d’ovocytes. Selon moi, au risque de vous choquer, le donneur n’est pas le géniteur. Il fait un simple don de cellules.
Il me semble donc important de conserver l’anonymat et de réfléchir à un nouveau statut de l’embryon et du fœtus, ce qui pourrait résoudre pas mal de difficultés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Le président Retailleau a raison d’évoquer la filiation : il y a une cohérence entre refuser l’accès aux données non identifiantes, et non l’accès aux origines, et refuser de porter la mention du don sur l’acte d’état civil de la personne issue de ce don. On protège ainsi le secret du mode de conception.
Sur cette question, la position du Gouvernement me semble quelque peu contradictoire : vous êtes favorable, monsieur le secrétaire d’État, à l’accès aux origines, mais vous refusez d’appliquer aux enfants nés d’un couple de femmes ou d’un couple hétérosexuel la même règle de connaissance de l’engendrement. La cohérence n’est donc pas du côté du Gouvernement, mais de ceux qui défendent l’amendement de Loïc Hervé.
La commission n’est pas dans une position facile : cumuler connaissance du mode de filiation et accès aux origines, cela fait beaucoup d’aléas pour un individu. Cette personne aura-t-elle appris de ses parents qu’elle est née d’un don de spermatozoïdes ? Aura-t-elle ensuite la chance d’avoir un donneur ayant consenti à la levée de son identité ? Encore une fois, cela fait beaucoup d’aléas pour une même personne.
J’ai beaucoup entendu parler du père, mais il me semble que la question de l’accès aux origines concerne aussi les ovocytes. Ne parlons pas que des spermatozoïdes et des pères, pensons aussi aux donneuses d’ovocytes.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Nous avons eu des débats passionnants, hier soir, sur la PMA post mortem. Nous entrons ici dans un débat encore plus « violent » et impressionnant. Ces questions peuvent parfois nous donner le vertige et nous faire ressentir la peur du vide.
Comme l’a souligné Gérard Longuet, nous sommes face à la rencontre de l’intelligence artificielle et des biotechnologies. Ces questions, très fortes et très lourdes, ont souvent été évoquées au cours des travaux de la commission spéciale, notamment sur le prix de ces thérapies et le maintien de la gratuité des soins. Le président Delfraissy en a parlé lors de son audition.
Pourrons-nous maintenir longtemps l’anonymat du don ? J’entendais l’un de nos collègues dire de l’anonymat qu’il était sacré. Certes, mais est-il possible de lui conserver ce caractère sacré ?
La commission spéciale n’a pas cherché un « en même temps », mais seulement à tenir compte des évolutions technologiques. Elle n’est pas partie du principe que les choses étaient sacrées ni qu’il fallait forcément interdire. Au contraire, elle est plutôt partie du principe qu’elle n’interdirait pas ce qu’on ne pouvait interdire.
L’essentiel, sur tous les sujets, était de se mettre en situation, en tenant compte de nos convictions, de notre expérience, voire de nos croyances, pour faire en sorte que les hommes et les femmes concernés gardent la main sur ces questions. Nous avons eu le souci permanent de tenir compte des évolutions scientifiques tout en encadrant et en humanisant les choses. Le texte de la commission me semble donc particulièrement équilibré.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Roger Karoutchi. Après, on pourrait peut-être passer au vote…
M. Alain Milon, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. La commission spéciale a mené une réflexion longue et pas toujours très facile.
Je voudrais revenir sur les interrogations de Dominique de Legge quant à la notion d’anonymat du don et à son origine.
La première loi de bioéthique a défini trois types de dons : le don de sang et ses dérivés, cas dans lequel on ne se préoccupe pas d’identifier le donneur qui vous a sauvé la vie ; le don d’organes, plus spécifique – si le don de reins est aujourd’hui autorisé sur être vivant, le don d’organes ne concernait jusqu’à présent que les personnes décédées, d’abord à cœur battant, puis arrêté, et l’anonymat était de règle pour protéger le receveur – ; enfin, le don de gamètes, pour lequel l’anonymat a constitué la règle, dans la continuité du don d’organes, sans que peut-être le gouvernement ou le législateur de l’époque ne s’interrogent sur la volonté des bénéficiaires de ce don de connaître celui qui leur aura permis la vie.
La commission s’est penchée sur tous ces sujets et a essayé de trouver une solution, hors intervention de l’intelligence artificielle dont nous parlerons à l’article 11. Elle propose donc que le donneur, à partir de l’entrée en vigueur de la loi, soit prévenu qu’il pourra être sollicité, dans le futur, pour une éventuelle levée d’anonymat. En outre, l’accès aux données non identifiantes sera automatique, le donneur devant nécessairement donner son accord pour la transmission des seules données identifiantes.
Comme l’ont souligné certains de nos collègues, cette position me semble sage, probablement définitive pour les cinq ans à venir… D’ici là, avec le développement de l’intelligence artificielle, cette position sera sans doute amenée à évoluer, comme l’ont souligné Gérard Longuet et Bruno Retailleau.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je voudrais remercier le président Retailleau d’avoir cité l’ouvrage Le Fils d’Arthur Kermalvezen, mais je m’étonne des conclusions qu’il en tire, qui sont à l’opposé de celles de l’auteur comme de celles du Gouvernement.
M. Bruno Retailleau. J’évoquais la recherche des origines !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La recherche de ses origines est effectivement un puissant besoin, une nécessité, un désir…
M. Bruno Retailleau. Par tous les moyens !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je vais y venir, monsieur Retailleau, et j’évoquerai à mon tour une contradiction…
Il s’agit d’un puissant désir de rechercher non un père, mais bien un récit, une histoire. Les personnes qui ignorent être nées de dons le sentent sans le savoir. Une députée a fait un témoignage très émouvant sur ce sujet, expliquant qu’elle avait toujours su qu’il y avait quelque chose. Les psychologues, les pédopsychiatres soulignent l’importance de cette recherche d’une histoire dans la construction de soi. C’est une réalité.
Vous évoquez également, avec Gérard Longuet, la question du progrès technologique. Vous semblez souhaiter que les révélations continuent de se faire de façon sauvage. Ne préférez-vous pas encadrer cette relation entre l’enfant et son donneur ?
M. Bruno Retailleau. Nous préférons l’encadrement de la commission !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le donneur saura, en toute conscience, que son identité pourra être révélée. Les conséquences de cette levée d’anonymat lui seront expliquées. L’enfant, âgé de 18 ans, sera accompagné par la commission durant tout le processus. Tout cela me semble préférable à ce que vous proposez, à savoir laisser la technologie conduire irrémédiablement à la révélation de l’identité du donneur, même sans son accord.
M. Bruno Retailleau. C’est n’importe quoi ! Ce n’est absolument pas la proposition de la commission !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Nous pensons qu’il est préférable d’accompagner les choses.
Au final, l’équilibre du projet de loi pensé par le Gouvernement repose sur le libre choix de tous : choix pour les nouveaux donneurs de donner ou non – s’ils ne veulent pas que leur identité puisse être levée – dans le cadre de la réforme ; choix pour les anciens donneurs de se manifester ou non auprès de la commission, conformément à l’engagement moral que nous avons pris envers eux voilà plusieurs années, au moment du don ; choix pour les personnes nées de dons de demander ou non l’identité de leur donneur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, une fois encore, je ne peux que vous encourager à vous mettre à la place de l’enfant au moment d’exprimer votre vote.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Le problème dont nous sommes saisis est extrêmement compliqué. Les propositions qui nous sont soumises comportent des contradictions. Je le reconnais d’autant plus volontiers que, lors de mon intervention sur l’article, j’avais moi-même fait part de mes doutes et interrogations, avant d’indiquer que nous étions en accord avec la commission spéciale, considérant qu’elle était parvenue à un juste équilibre.
Puis, au fil du débat, les propos des différents orateurs ont fait émerger d’autres questionnements. À ce stade – peut-être faudrait-il mettre un terme au débat, sous peine de rebasculer (Sourires.) –, nous sommes plus convaincus par les arguments de M. le secrétaire d’État. Vous en conviendrez, notre groupe a plutôt pour habitude d’affirmer et d’assumer ses positions. Mais, là, nous avons fait ce cheminement, grâce aux précisions que M. le secrétaire d’État a apportées.
Nous soutiendrons donc l’amendement du Gouvernement, plutôt que la solution proposée par la commission spéciale.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Après une heure et demie de débat, plus personne ne sait ce qu’il doit voter. Celui qui arrivait sûr de ses convictions voilà une heure et demie ne sait plus où il en est ! (Rires.)
Pour ma part, je n’ai pas lu l’ouvrage essentiel que vous avez évoqué avec Bruno Retailleau, monsieur le secrétaire d’État ; il dépasse sans doute mon entendement. (Sourires.) Je sais que je ne lis malheureusement pas suffisamment. Je lisais beaucoup plus quand j’étais jeune, mais ça fait longtemps… (Rires.)
J’ai participé aux travaux de la commission spéciale, et j’entends les arguments de Gérard Longuet. Soyons honnêtes : nous savons très bien que, du fait de l’explosion des technologies, il faudra revenir dans cinq ou dix ans sur ce que nous allons voter aujourd’hui. Sur de tels sujets, aucune solution n’est éternelle ou définitive. Tout bouge très vite.
Je m’étais rallié à la position de la commission spéciale, et je continue de la soutenir. Nous avons conversé pendant des heures avec l’inestimable Muriel Jourda. Pour ma part, je ne suis pas un savant, et je n’ai pas la vérité révélée. Simplement, j’ai le sentiment que la solution de la commission spéciale est une solution d’équilibre. Elle n’est sans doute pas parfaite, mais elle est applicable et peut être comprise par tout le monde. Sans doute faudra-t-il y revenir dans quelques années – Gérard Longuet a raison – du fait de la rapidité des évolutions technologiques, mais nous avons une solution raisonnable pour l’instant.
Les propositions des auteurs des autres amendements m’inquiètent, car elles créeraient à terme plus de problèmes que la solution retenue par la commission spéciale. Restons-en donc à celle-ci.