M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, trente-quatre jours ! Voilà trente-quatre jours que nous vivons une crise sociale majeure, la plus longue que nous ayons eu à connaître. Trente-quatre jours d’incertitudes, trente-quatre jours de crainte de nombreux Français pour leur avenir et celui de leurs proches, trente-quatre jours au cours desquels s’exprime majoritairement le rejet du projet porté par le pouvoir en place, trente-quatre jours que les grévistes en lutte perdent une partie de leur salaire, trente-quatre jours qu’une partie des Français ne peut plus mener une vie normale !
Le Gouvernement, de son côté, se félicite d’une réforme des retraites bien calibrée, bien pensée, dont chaque point a été soupesé, disséqué, et qui a nécessité deux ans de travail… En somme, la meilleure réforme qu’un gouvernement n’ait jamais portée ! Il n’y aurait pas d’impasse, pas de rejet et, de ce fait, pas d’inflexion non plus. C’est droit dans ses bottes de hussard que le Premier ministre mène ce travail, y compris en nous imposant une procédure accélérée.
On sent néanmoins que la fébrilité gagne votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, car, bien que représentants du prétendu nouveau monde, vous utilisez les mêmes vieilles recettes, les mêmes rengaines ! Rien de mieux pour décrédibiliser le mouvement social que dénoncer une minorité de privilégiés bloquant le pays pour conserver leurs avantages.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Patrick Kanner. Mais de quels privilégiés parle-t-on ? De ceux qui ne souhaitent pas partir toujours plus tard à la retraite, toujours moins dotés et en mauvaise santé ?
Cela m’ennuie de répéter devant vous, monsieur le secrétaire d’État, une chose que vous savez déjà, vous qui êtes un homme du Nord : un ouvrier a six ans d’espérance de vie de moins qu’un cadre. Quant à l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire sans incapacité, elle est de 64,5 ans pour les femmes et de 63,5 ans pour les hommes : l’âge pivot à 64 ans est donc une aberration, une régression sociale !
Mais ce n’est pas la seule ligne rouge pour nous. Avec la réforme qui se profile, l’ouvrier qui a les conditions de travail les plus pénibles ne partira pas plus tôt à la retraite que le cadre. Il ne récupérera jamais les six ans d’écart d’espérance de vie. Les plus modestes paieront la retraite des plus favorisés. Et on nous parle d’égalité !
Oui, monsieur le secrétaire d’État, cette réforme est structurellement inégalitaire. Et pour viser l’égalité et la justice sociale, il ne suffira pas de moduler l’âge pivot ni même de reculer sur ce paramètre financier.
Il faut revoir la prise en compte de la pénibilité. Rappelons à cet égard qu’une des premières mesures d’Emmanuel Macron a consisté à revenir sur les dix critères de pénibilité mis en œuvre sous le précédent quinquennat au profit des salariés que le travail use. Le Medef – le Medef ! – les trouvait trop compliqués – traduction : trop favorables aux salariés…
Le Gouvernement a réduit ces critères à six. Désormais, pour pouvoir bénéficier d’un départ à la retraite quand on est exposé aux facteurs de pénibilité, il faut soit être victime d’invalidité soit souffrir d’une maladie professionnelle, donc avoir dit définitivement adieu à une retraite en bonne santé.
Car à quoi servaient ces dix critères du compte pénibilité ? À acquérir des droits spécifiques à la formation pour évoluer professionnellement, à réduire son temps de travail en fin de carrière ou sa durée d’activité pour partir plus tôt à la retraite. N’oublions pas non plus que le taux d’emploi des plus de 60 ans était de 32,2 % en France l’année dernière. C’est bien toute une partie de la population que vous allez plonger dans une trappe à pauvreté sans fond.
Quant à nous, c’est parce que nous avons pris nos responsabilités et réussi à sauver notre système universel de retraite par répartition avec la réforme Touraine que nous pouvons dire aujourd’hui qu’une autre voie est possible.
Le système actuel est naturellement perfectible. Il peut et doit encore évoluer, mais l’argument d’autorité employé par le Gouvernement est un leurre. Il n’y a pas d’urgence à réformer du fait d’un prétendu sous-financement du système des retraites, et encore moins de le faire dans ces termes.
Monsieur le secrétaire d’État, gouverner en instrumentalisant la peur des Français est délétère pour la démocratie. Notre système est viable et il peut être amélioré selon plusieurs axes qui doivent être au cœur de nos réflexions : prise en compte de la pénibilité et des carrières longues qui doivent être au centre d’une réforme de justice ; amélioration de l’égalité entre les hommes et les femmes, en renforçant prioritairement l’acquisition de droits à la retraite pour les carrières discontinues et les droits dérivés.
Parce que niveau de vie et espérance de vie sont fortement corrélés, le financement du système de retraite doit responsabiliser davantage les entreprises en fonction de leur politique en matière de pénibilité et de santé au travail, ainsi que les salariés percevant de hauts revenus puisqu’ils sont le plus longtemps à la retraite. Ces nouvelles sources de financement doivent permettre de garantir à moyen et long terme le niveau de vie des retraités.
Tels sont les axes de progrès social que nous entendons soumettre au débat. Entendez-nous, monsieur le secrétaire d’État ! Ne méprisez pas les Français, ne méprisez pas le Parlement ! Votre réforme devait rassurer : c’est déjà un échec de ce point de vue. Le climat de régression sociale dans lequel vous menez vos travaux ne peut qu’accentuer la déchirure du tissu social.
Réformer le système de retraite, c’est refonder le pacte social. Quand allez-vous écouter la population pour présenter un projet d’avenir, un projet de confiance, un projet de justice sociale ?
Votre projet à l’impact indéterminé, systématiquement et paramétriquement incontrôlé, est fondamentalement injuste. Monsieur le secrétaire d’État, retirez-le ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1945, le Conseil national de la Résistance souhaitait déjà donner une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours. Bien plus qu’un acquis social, notre système de retraite par répartition incarne les valeurs humanistes chères au groupe RDSE et qui sont au cœur du pacte républicain.
Soixante-quinze ans plus tard, ce pilier de notre équilibre social est de plus en plus fragilisé par une évolution démographique défavorable et un déficit qui pourrait devenir important. Selon les prévisions du COR, le régime serait déficitaire de 8 à 17 milliards d’euros en 2025 et la trajectoire se dégraderait jusqu’en 2030.
Cette situation ne date malheureusement pas d’hier. En préface du Livre blanc sur les retraites, Michel Rocard rappelait : « Nous avons […] vis-à-vis des générations futures un devoir de lucidité et un impératif de solidarité. Nous leur devons des choix pour garantir leur avenir. » C’était en 1991…
Cela fait bientôt trente ans que les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, tentent d’apporter des réponses satisfaisantes – en vain ! Et cela fait plusieurs années que nos concitoyens, notamment les jeunes, sont particulièrement inquiets quant à l’avenir du système actuel.
Ce dossier est en instance depuis trop longtemps. Oui, une réforme de notre système de retraite est évidemment nécessaire. En effet, ne rien faire menacerait la pérennité de notre régime par répartition et hypothéquerait l’avenir des générations futures. On ne peut se permettre de faire peser sur ces générations tout le poids du financement de nos retraites ; cela ne serait pas raisonnable. Comme l’a récemment rappelé le président Jean-Claude Requier dans cet hémicycle, ne rien faire serait tout simplement irresponsable. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous n’ayons trouvé ni le temps ni les mots d’une réforme juste.
C’est pourquoi nous notons la volonté du Gouvernement de mettre en place un régime universel de retraite par points, tel que le Président de la République s’y était engagé pendant la campagne présidentielle. Le RDSE y est globalement favorable, mais pas unanimement, et l’a indiqué à plusieurs reprises dans cet hémicycle.
Toutefois, comme nous le rappellent nos concitoyens dans le cadre des grèves qui durent depuis plus d’un mois, la méthode du Gouvernement pose question et nous avons surtout besoin de plus de clarté sur le financement des futures retraites. Cette réforme ne doit pas être synonyme de rupture sociale ni de paupérisation des Français.
Oui, monsieur le secrétaire d’État, une réforme systémique est nécessaire et le souhait du Gouvernement de mettre en place un système qui repose sur trois grands principes – l’universalité, l’équité et la responsabilité – est honorable.
Ainsi, pour garantir la pérennité et l’universalité de notre système de retraite, il est souhaitable d’adopter un régime identique dans ses fondements pour tous les Français. C’est sans doute l’utilisation du terme « universel » qui crée autant d’incompréhension dans la population. Cependant, un système équitable doit permettre de mieux protéger nos concitoyens, en tenant compte notamment des périodes de maternité, des carrières heurtées ou de la pénibilité qui, pour nous, est un élément essentiel qu’il faut prendre en considération. À titre d’exemple, comment imaginer qu’un marin pêcheur doive travailler jusqu’à 64 ans, comme le suggère dans son état actuel le projet du Gouvernement ? Dès lors, comment peut-on raisonnablement penser qu’un euro puisse ouvrir les mêmes droits pour tous ?
Par ailleurs, le pacte originel imaginé en 1945 par le Conseil national de la Résistance prévoyait le maintien des régimes spéciaux antérieurs pour une période provisoire. Le COR s’est lui-même interrogé à plusieurs reprises sur la simplification de notre système de retraite particulièrement complexe. Ainsi, votre projet d’alignement des régimes spéciaux semble s’inscrire dans cette logique historique. Mais est-ce pour autant possible ?
Cette réforme suscite une réelle inquiétude, la défiance, le mécontentement et la colère d’une partie de nos concitoyens. Aussi, pour sortir de l’impasse, plusieurs secteurs ont obtenu des aménagements, voire le maintien de leur spécificité. Les régimes spéciaux laisseraient ainsi la place à des régimes « spécifiques », mais basés sur quelle universalité ?
Lors d’un débat sur la réforme des retraites à Rodez le 3 octobre dernier, le Président de la République avait affirmé qu’il n’accepterait aucune exception dans son futur régime universel de retraite. Et lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre, il a de nouveau rappelé que ce projet était un projet de justice et de progrès social, parce qu’il assurait l’universalité. Loin de toute intention de ma part d’opposer le secteur public et le secteur privé, n’est-il pas à craindre, au regard des adaptations qui semblent se dessiner, une fracture de notre pays qui verrait un régime universel s’adresser essentiellement aux salariés du privé ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Les Républicains n’est pas farouchement opposé à toute réforme. Depuis un certain nombre d’années, nous avons d’ailleurs prouvé que nous avions l’esprit réformateur quand nous étions au pouvoir et nous avons pris des décisions particulièrement importantes qui ont permis de maintenir l’équilibre et le niveau du système de retraite. (Mêmes mouvements.)
Ces réformes, monsieur Lévrier, n’étaient pas seulement financières ; elles étaient également des réformes de justice puisqu’elles se sont accompagnées d’un rapprochement des droits entre les différents régimes. Il est important de le rappeler !
Si notre groupe n’est pas forcément hostile à une réforme, il commence néanmoins à se poser de plus en plus de questions et à s’inquiéter. Je reprendrai d’ailleurs les propos de Jean-Marie Vanlerenberghe : l’affaire avait bien commencé, mais je ne suis pas sûr qu’elle se termine tout à fait bien… (Sourires sur plusieurs travées.)
Quand nous avons fait des déplacements en Europe avec le haut-commissaire, nous avons constaté que les autres pays avaient renoncé à mettre en place un système unique et qu’ils avaient plutôt rapproché les différents régimes complémentaires. Nulle part en Europe, il n’y a un régime unique. Nulle part en Europe, l’âge légal n’est de 62 ans. Nulle part en Europe, un pays ne met tous ses œufs dans le même panier, en écartant systématiquement la capitalisation.
Les Français, sûrement plus malins que les autres, vont inventer un nouveau régime, qui serait unique, en supprimant les quarante-deux qui sont équilibrés à terme. On nous dit que les régimes spéciaux seront supprimés, mais ils seront en fait maintenus jusqu’en 2037… S’il y a des inégalités, elles vont donc perdurer !
Nous devons évidemment être attentifs à apporter de la simplicité, mais sans casser des systèmes qui fonctionnent. C’est souvent le poids de l’histoire qui explique les différences. Je prends l’exemple des indépendants : le système est équilibré avec des taux de cotisation différenciés, et la réforme aboutira à alourdir les cotisations, tout en diminuant les pensions. Qui plus est, il faudra procéder à des calculs complexes sur la CSG et à des compensations et les situations resteront différentes selon des catégories de métiers. Vous voyez que le système ne sera pas nécessairement plus simple.
Globalement, nos inquiétudes grandissent.
Pour les femmes d’abord. Une augmentation de pension de 5 % dès le premier enfant ne compensera pas le système des trimestres qui existe aujourd’hui et qui va être supprimé. Il faudra vraiment faire des efforts pour maintenir notre politique familiale.
Quant à la pension de réversion, le décalage à 62 ans de l’âge à partir duquel il est possible de la percevoir constitue plus une régression sociale qu’une progression. Là aussi, nous aurons besoin de précisions.
Le président Milon a soulevé une autre de nos inquiétudes : l’équilibre financier. Je rappelle tout d’abord que, si les réformes que j’ai mentionnées n’avaient pas été adoptées, le système de retraite pèserait pour plus de 20 % dans le PIB, soit 40 milliards d’euros supplémentaires, ce qui serait intenable et entraînerait un profond déséquilibre.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons de sérieux doutes sur l’équilibre financier du nouveau système unique, ce quarante-troisième régime… Vous n’avez notamment jamais expliqué comment seraient financés les nouveaux mécanismes de solidarité, par exemple la fixation à 1 000 euros du minimum contributif pour une carrière complète – le poids financier de cette mesure est tout de même d’environ 2 milliards d’euros.
En outre, le Gouvernement fait droit, au fil des semaines et en catimini, à des revendications catégorielles de certaines professions sans que les conséquences financières en soient jamais évaluées. Vous créez des spécificités et des régimes supplémentaires apparaîtront demain à la place des régimes complémentaires, parce qu’il faudra bien tenir compte de ces spécificités.
Quant à l’âge pivot, nous en reparlerons plus tard, pas d’histoire d’argent entre nous… (Sourires sur plusieurs travées.)
Ce n’est pas tout à fait comme cela que nous envisageons la manière de donner confiance à nos concitoyens. Nous devons au contraire faire en sorte que le régime de retraite soit un régime qui garantisse le niveau des pensions et qui fixe un âge de départ à la retraite – demain, nous ne pourrons pas connaître notre âge de départ ! La confiance n’est pas au rendez-vous. Preuve en est la poursuite des manifestations !
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons que vous conseiller d’écouter le Sénat. Lors de l’examen des différents projets de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons fait des propositions pour équilibrer le régime de retraite, dont le déséquilibre, organisé, provient de l’absence de compensation. Si des mesures d’âge doivent être prises, il faudra trouver des critères universels de prise en charge de la pénibilité ; j’insiste sur ce point, car nous sommes attachés à la prise en compte de la pénibilité en fonction du poste de travail, et pas du statut – cette prise en considération doit être identique qu’on soit salarié du privé ou du public ou indépendant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous le voyez, nous sommes prêts à formuler des propositions, mais encore faut-il que nous ayons le sentiment d’être écoutés, ce qui n’a clairement pas été le cas jusqu’à présent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Bismarck disait : « Les lois, c’est comme les saucisses, il vaut mieux ne pas savoir comment elles sont préparées. » (Sourires et applaudissements sur plusieurs travées.) Mais les Français ne sont pas comme Bismarck, ils préfèrent le savoir. Et nous, parlementaires, encore plus. D’où l’utilité de ce débat, monsieur le président de la commission des affaires sociales.
Lorsqu’un gouvernement décide une réforme des retraites, monsieur le secrétaire d’État, on sait d’avance qu’il y aura des bosses sur la route. En France, la réforme porte en elle la grève comme la nuée l’orage. Notre pays est donc reparti pour une nouvelle crise de nerfs, énième tentative de remake de 1789 qui menace désormais de se renouveler tous les ans.
Vous avez les grèves et les manifs, comme Juppé en 1995, Raffarin en 2003, Villepin en 2006, Fillon en 2010, El Khomri en 2016, Macron l’an dernier – enfin un sport où nous sommes champions du monde incontestés… Marx disait que l’histoire se répète, la première fois comme une tragédie, la deuxième comme une farce ; mais au vingt-cinquième épisode, ce n’est plus une farce, c’est une série Netflix – en l’occurrence une mauvaise…
Les grèves, c’est long, surtout vers la fin, et surtout pour ceux qui les subissent, mais les bloqueurs se moquent de ceux qui les subissent. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Et voilà comment le pays est aujourd’hui en marche, mais en marche arrière, et comment depuis un mois les Français sont en marche, mais à pied…
Au moment où, dans le calme, nos voisins européens ont tiré les conséquences de l’allongement de la vie en instaurant la retraite à 65 ans, en France, les démagogues du Rassemblement antinational, de la France soumise à Cuba et de la CGT proposent la retraite à 60 ans. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Indépendants, UC et LaREM.)
Mme Éliane Assassi. Il faut changer de discours, c’est toujours le même !
M. Claude Malhuret. Pour eux, l’argent public, c’est comme l’eau bénite, tout le monde se sert. Mais à part eux, tous les Français savent que la réforme est inéluctable : déséquilibre démographique, déficit structurel, inégalités criantes sont des épées de Damoclès qui pèsent sur les retraités et sur les futurs retraités dans un pays où le système coûte 14 % du PIB contre 10 % en moyenne en Europe.
Cela dit, une majorité de nos concitoyens est plutôt favorable à l’universalité du nouveau système, aux mesures en faveur des femmes, des agriculteurs, des titulaires de petites retraites ou de ceux qui ont une carrière hachée et à la suppression des régimes spéciaux pour lesquels les Français qui partent à la retraite en moyenne à 63,5 ans payent 8 milliards d’euros afin que d’autres y partent à 52 ou 57 ans.
M. Fabien Gay. C’est faux !
M. Claude Malhuret. Alors, pourquoi une telle confusion aujourd’hui ? Pas seulement parce que nous sommes, dit-on, des « Gaulois réfractaires » ni même parce que la CGT a pour devise « Je bloque, donc je suis » (Sourires sur plusieurs travées.), mais aussi parce que le service après-vente a connu des ratés.
Le Gouvernement a réussi à rassembler, mais hélas contre lui, en suivant une ligne droite qui a beaucoup zigzagué. Je ne lui jette pas la pierre puisque, comme je le disais, chaque réforme depuis cinquante ans met des centaines de milliers de gens dans la rue et personne n’a jamais trouvé la recette pour l’éviter.
Nous aimerions donc quelques clarifications.
Notre première inquiétude, c’est de voir chaque étape de la négociation augmenter la facture. Nous voudrions connaître le chiffrage exact de la hausse des dépenses publiques induite par toutes les mesures nouvelles annoncées chaque jour. Bien sûr, le Premier ministre a raison de refuser la distinction purement fictive entre réformes systémique et paramétrique ; le système doit être équilibré sur le long terme comme sur le court terme – c’est une évidence. Âge pivot ou augmentation pure et simple de l’âge de départ, c’est un débat assez académique à mes yeux. Je crains seulement que dire qu’on va faire cette réforme en l’équilibrant grâce au seul âge pivot, et a fortiori sans lui, ce soit comme prétendre qu’on va faire rentrer un édredon dans une valise. Il va falloir nous expliquer comment.
Deuxième inquiétude, les concessions qui s’accumulent à chaque rencontre avec les partenaires sociaux et qui ont abouti dans les faits au maintien de plusieurs régimes particuliers, souvent justifiés, sont-elles terminées ? Ou bien va-t-on, à travers les mesures de compensation demandées à la RATP et à la SNCF, les faire payer par des entreprises qui cumulent la sous-rentabilité, le surendettement, l’effondrement de la qualité des services rendus et le sous-investissement ? Visitez les toilettes des trains Intercités qui ont cinquante ans – je dis bien cinquante ans ! – et que je prends chaque semaine, et vous vous demanderez à quel moment on a fait un looping !
Enfin, beaucoup de gens attendent une réponse précise sur le devenir des 130 milliards d’euros d’excédents des régimes autonomes. Si ces réserves, fruits de l’épargne et d’une bonne gestion, devaient devenir la variable d’ajustement d’une facture trop lourde, j’ai peur que de nombreuses personnes qui vous sont plutôt favorables ne deviennent quelque peu courroucées.
Monsieur le secrétaire d’État, cette réforme est indispensable et il faut savoir gré au Gouvernement de l’avoir lancée. Nous souhaitons pouvoir la voter, comme le Sénat l’a fait pour d’autres depuis deux ans – le code du travail, l’école ou le statut des cheminots –, mais notre grande question à ce stade, c’est : quelle réforme exactement ? Vous l’avez compris, nous voulons savoir comment sont fabriquées les saucisses, mais nous souhaitons aussi qu’à la sortie elles ne soient pas saucissonnées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, je veux souhaiter la bonne année à l’ensemble des parlementaires et des collaborateurs qui contribuent au rayonnement de la Haute Assemblée.
Je suis très heureux d’être parmi vous pour ce moment d’échange sur la réforme des retraites. Vous avez souhaité que nous ayons ce débat et je vous en remercie.
Je crois pouvoir dire qu’aucune politique publique n’a donné lieu à autant de travaux que cette réforme. Le Sénat est particulièrement bien placé pour le savoir, puisqu’il y a contribué par de nombreux rapports, préconisations, débats et colloques.
Au fil des réformes précédentes, les gouvernements successifs et les partenaires sociaux ont dû prendre des décisions importantes, parfois difficiles, pour contribuer à équilibrer notre système de retraite – cela a été rappelé par plusieurs d’entre vous. En dépit de ces efforts, bien réels, notre système reste injuste, complexe, peu lisible et, plus que tout, inadapté à la réalité de la société et des parcours professionnels actuels et aux nouvelles précarités, en un mot aux défis de demain.
Aujourd’hui, en Europe et au-delà, de nombreux pays ont ouvert le débat sur la protection sociale. Il en ressort deux modèles radicalement distincts : l’individualisation et l’assurance, d’une part, le collectif et la mutualisation, d’autre part. C’est résolument ce second choix que le Gouvernement a fait et, conformément à l’engagement que le Président de la République a pris devant les Français et les Françaises en 2017, c’est dans ce sens que nous voulons construire la grande transformation de notre système de retraite.
Cette refondation, nous entendons qu’elle préserve le cadre auquel les Français sont profondément attachés, à savoir un système de retraite par répartition fondé sur la solidarité entre les générations : les actifs d’aujourd’hui financent par leurs cotisations les retraites d’aujourd’hui.
Pour y parvenir et parce que nous avons mis le dialogue social au centre de notre action, les travaux menés par Jean-Paul Delevoye ont permis, durant près de deux ans, de laisser le temps à une concertation approfondie. Ce temps était nécessaire, car lorsque l’on veut travailler sur le fond un dossier aussi important et qui fait réagir – nous le constatons dans cet hémicycle et à l’extérieur –, il faut prendre le temps de s’écouter et de se parler. Ces concertations continuent – j’y reviendrai sans doute dans les réponses que j’apporterai aux questions que vous me poserez ; elles ont conforté la conviction du Gouvernement de rassembler les Français autour de trois principes qui constituent le cœur du système universel de retraite.
Premier principe : l’universalité. Elle garantira une protection sociale plus forte et plus durable, parce qu’elle ne dépendra plus de la démographie de chaque profession. Elle assurera aussi une plus grande liberté et une meilleure mobilité professionnelle. Tous les Français seront affiliés au régime universel, quels que soient leur activité professionnelle ou le statut sous lequel ils exercent. Cela n’interdira pas la prise en compte de certaines spécificités – M. Savary et d’autres intervenants en ont parlé.
Deuxième principe : l’équité et la justice sociale pour faire en sorte de marquer une solidarité forte de notre pays vis-à-vis des Français les plus fragiles.
Le président Kanner s’en inquiétait tout à l’heure – il parlait d’une « trappe à pauvreté » –, mais il doit savoir que le projet du Gouvernement prévoit une pension minimale d’au moins 85 % du SMIC net pour une carrière complète et que nous pouvons encore améliorer cet aspect de la réforme – c’est l’objet des concertations que j’ouvrirai demain avec les partenaires sociaux. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Dans le futur système, le bénéfice du minimum de retraite sera accordé à partir de l’âge du taux plein. Nous proposons aussi – cela fait partie des progrès sociaux de cette grande réforme – que toutes celles et tous ceux qui doivent aujourd’hui travailler jusqu’à 67 ans puissent partir plus tôt en obtenant plus vite l’âge d’annulation de la décote – cela concerne 120 000 personnes chaque année, dont 80 000 femmes.
Troisième principe : la responsabilité.
En premier lieu, celle des acteurs : dans le cadre de la trajectoire définie par le Parlement et le Gouvernement, les partenaires sociaux seront pleinement concernés par le pilotage du système universel. Je sais que la Haute Assemblée est attachée au bon fonctionnement du paritarisme, et l’un d’entre vous a rappelé que les partenaires sociaux avaient piloté avec succès l’Agirc-Arrco.
Ensuite, la responsabilité que nous avons envers les jeunes générations. Il serait irresponsable de leur demander de payer, en plus de nos retraites, celle de nos parents.
Enfin, la responsabilité d’être lucide sur notre évolution démographique. Fidèle à l’engagement du Président de la République, le Gouvernement ne reviendra pas sur l’âge légal de départ à la retraite qui sera maintenu à 62 ans, mais il fait aussi le choix de la liberté individuelle, en incitant les Français à travailler un peu plus longtemps dans le but de garantir les pensions et de financer un niveau élevé de solidarité. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)