M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le vote britannique du 12 décembre nous inspire une immense tristesse : Boris Johnson n’a pas obtenu la majorité des suffrages,…
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est vrai !
M. Jean-Yves Leconte. … mais il a gagné selon la tradition électorale britannique. À présent, le Brexit est malheureusement irréversible. Je tire trois enseignements de cet état de fait.
Premièrement, les liens d’interdépendance que nous avons tissés selon la méthode Schuman – « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait » – ne suffisent pas si les Européens n’ont plus envie d’être solidaires.
Deuxièmement, mettre les affaires européennes au service de considérations de politique intérieure peut avoir de graves conséquences. Attention aux apprentis sorciers !
Troisièmement, le Brexit nous a obligés pendant des années à travailler à rebours de ce que nous aurions dû faire. Nous avons déconstruit au lieu de construire, alors que le monde changeait. Il faut donc tourner la page et rattraper le temps perdu.
Dans le cadre de la future relation avec le Royaume-Uni, nous devrons être très attentifs à la situation de l’Irlande, le compromis actuel étant particulièrement fragile. Ensuite, il faudra veiller à ne pas faire dépendre le cadre financier pluriannuel d’une éventuelle contribution britannique. Enfin, nous devrons placer au cœur des négociations sur la future relation avec le Royaume-Uni les droits des citoyens européens affectés par le Brexit : qu’il s’agisse de leur droit au séjour, de leur droit à l’activité ou de leurs droits sociaux, ils expriment de réelles inquiétudes, qui doivent absolument être prises en compte.
Je donnerai à ce Conseil européen un très bon point pour le Pacte vert, et un très mauvais pour le cadre financier pluriannuel.
Il faut saluer l’engagement sur la neutralité carbone pour l’Union européenne à l’échéance de 2050. Quelques jours plus tôt, la Commission avait réaffirmé l’ambition d’une diminution dès 2030 de 50 % à 55 % des émissions de CO2 de l’Union européenne par rapport à leur niveau de 1990. Cet engagement devrait être concrétisé bien avant la COP26 de Glasgow, de manière que l’Union européenne soit exemplaire et puisse entraîner l’ensemble de ses partenaires en utilisant sa puissance économique et commerciale.
Nous devons veiller à ce que cette neutralité carbone intègre les importations, qui représentent aujourd’hui 50 % de nos émissions de gaz à effet de serre. La compensation carbone de nos importations est essentielle. Madame la secrétaire d’État, vous nous expliquerez probablement comment cela peut fonctionner, en particulier dans le cadre d’accords commerciaux du type du CETA. Ceux-ci sont nécessaires, mais ils doivent prendre en compte cette exigence.
Le green deal doit mobiliser la finance privée aux côtés des moyens publics. Les règlements Disclosure, Benchmark et Taxonomie sont en cours de finalisation pour mieux caractériser les investissements durables et éviter le greenwashing. Il n’y a pas d’économie durable sans finances durables. Ces éléments, qui devront être progressivement améliorés, sont essentiels. Il faudra aussi que l’Union européenne pèse pour que les critères de Bâle III évoluent afin de tendre vers un « Bâle vert ». Les actifs des banques doivent être pondérés en fonction de leur caractère durable ou non.
Enfin, le Pacte vert représente plusieurs milliers de milliards d’euros. Que financer ? Nous avons besoin de compétences techniques et industrielles pour faire les bons choix. Pour l’instant, nous constatons plutôt un affaiblissement. Par exemple, nous avons bataillé pour intégrer le nucléaire, tout en renonçant au projet Astrid. Nous travaillons sur une génération d’ores et déjà plus faible que celle de nos concurrents, en utilisant de surcroît une technologie américaine, au détriment de notre souveraineté. Les décisions prises sur ce sujet par le Gouvernement au cours des derniers mois sont particulièrement inquiétantes. Voilà où en est l’Europe aujourd’hui : il faut que cela change !
Enfin, nous devrons aussi revoir notre politique de concurrence, en introduisant s’il le faut des éléments extraterritoriaux.
Concernant le cadre financier pluriannuel, je ne vois pas de bons points à décerner à ce Conseil européen. Les deux principales déceptions relatives aux propositions de la présidence finlandaise demeurent. D’une part, nous n’avons pas de nouvelles du Fonds européen de la défense. D’autre part, l’Italie et le Portugal ont critiqué les propositions finlandaises sur la ligne de crédit devant tenir lieu de budget de la zone euro. Que faire ?
Un problème encore plus essentiel tient à la faiblesse des ressources propres. La zone euro doit travailler à davantage d’intégration budgétaire et fiscale, afin d’être en mesure d’apporter au budget européen une contribution en ressources propres lors du prochain cadre budgétaire, qui démarrera en 2027.
L’Europe n’est pas simplement une juxtaposition de politiques. Si nous n’arrivons pas à transformer notre communauté de destin en communauté de dessein, pour reprendre la formule d’Edgar Morin, le Brexit ne sera que le commencement de l’histoire.
L’euro exige des politiques budgétaires et fiscales plus intégrées qu’elles ne le sont aujourd’hui. L’espace Schengen suppose une meilleure coordination des politiques migratoires et davantage d’intégration en matière de droit au séjour. Comment aller plus loin sans mettre en place un contrôle démocratique ? La belle idée d’une armée européenne restera une fiction en l’absence d’un exécutif démocratique en mesure de décider rapidement de l’envoi des troupes.
Dans cette perspective, la démocratisation de l’Union européenne doit être notre priorité. L’Europe doit être plus lisible pour les citoyens et ces derniers doivent pouvoir contrôler les politiques de l’Union européenne.
Il convient que les parlements nationaux soient directement associés à la réflexion. Ils disposent en effet, dans chaque État, de la compétence budgétaire qui peut permettre d’avancer. Nous devrons à mon sens travailler dès la rentrée, monsieur le président de la commission, à une résolution européenne pour préciser la manière dont nous souhaitons que les parlements nationaux puissent intégrer la conférence sur l’avenir de l’Union européenne.
Les listes transnationales sont certes difficiles à mettre en œuvre, mais cela peut au moins s’envisager pour les Européens qui vivent hors du territoire de l’Union européenne, sans trop bousculer les traditions des différents États membres. Je vous soumets cette idée, madame la secrétaire d’État.
Au-delà des conclusions du Conseil européen, je veux saluer le travail de la présidence finlandaise pour satisfaire aux exigences du traité de Lisbonne s’agissant de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Permettre, comme pour nos droits nationaux, un contrôle externe de la conformité du droit de l’Union européenne aux exigences de la CEDH est indispensable. Je pense en particulier aux négociations sur l’accueil des migrants et l’asile.
Le sujet des migrations n’a guère été débattu lors de ce Conseil européen. Appliquer intelligemment le règlement de Dublin oblige à travailler, entre les États qui le peuvent, à une reconnaissance mutuelle des décisions en matière d’asile. Nous devons aussi nous pencher sur le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (Etias) et les assurances demandées aux personnes entrant dans l’Union européenne avec un visa de court séjour.
Concernant les relations avec la Russie, malgré toute la bonne volonté du Président de la République, le sommet en « format Normandie » fut très décevant. Il est nécessaire de construire une relation entre l’Union européenne et la Russie excluant toute rivalité géopolitique, mais cela ne saurait nous conduire à renoncer à la fermeté. Pour l’instant, les résultats obtenus sont assez faibles.
En conclusion, je voudrais appeler à travailler sur la mobilité européenne, madame la secrétaire d’État. Elle a déjà permis à beaucoup d’Européens de trouver un emploi après la crise de 2008, mais son développement exige une coordination plus forte des différents régimes de protection sociale. On parle en France d’un régime unique, universel, mais les Français n’auront jamais un régime universel dès lors qu’ils bougent au sein de l’Europe. Plutôt que de chercher à bâtir un tel régime, nous devrions travailler à l’interopérabilité des systèmes, en France comme en Europe. Je pense en particulier aux régimes de retraite complémentaires. En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, j’ai écrit à l’ancien haut-commissaire aux retraites sur ce sujet, mais je n’ai obtenu aucune réponse de sa part. J’espère que nous pourrons avancer sur ce dossier.
M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Je souhaite bonne chance à la Croatie, qui entame sa première présidence de l’Union européenne au 1er janvier 2020. (M. le président de la commission des affaires européennes applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le Conseil européen de la semaine dernière avait un ordre du jour chargé, avec en toile de fond les élections législatives britanniques. La victoire très nette de Boris Johnson met fin à l’incertitude qui régnait quant à une mise en œuvre effective du Brexit. Sauf énorme surprise, le Royaume-Uni quittera bel et bien l’Union européenne d’ici au 31 janvier prochain. Le Premier ministre Johnson a désormais une majorité très confortable, et surtout un mandat clair pour négocier à Bruxelles, ce qui rééquilibre le rapport de force entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Il importe donc que les vingt-sept restent unis dans les prochains mois, comme ils l’ont toujours été depuis le résultat du référendum britannique.
C’est en effet une nouvelle phase délicate qui va s’ouvrir le 1er février 2020, date à laquelle les Vingt-Sept entameront la négociation de leur futur partenariat stratégique avec Londres. Cette nouvelle relation devra bien entendu être la plus étroite possible. Mais elle devra aussi, et surtout, être fondée sur un équilibre de droits et d’obligations, notamment pour éviter toute concurrence déloyale. Le mandat de négociation que la Commission européenne est en train de préparer devra être clair sur ce point !
Je me réjouis par ailleurs que Michel Barnier ait été nommé chef des futures négociations. Je fais confiance à son expérience et à ses talents de négociateur pour aboutir à un résultat juste et équitable.
Le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027 était l’autre sujet important à l’ordre du jour de ce Conseil européen. Les dirigeants de l’Union européenne ont invité le président du Conseil européen, Charles Michel, à faire avancer les négociations pour trouver un accord final. Toutefois, au regard des divergences profondes qui persistent, il ne sera sans doute pas évident de conclure en 2020 cette négociation, l’unanimité étant requise.
Sur ce sujet, je souhaite revenir sur les points de vigilance soulignés à de nombreuses reprises par notre assemblée.
Nous devons tout d’abord préserver l’enveloppe budgétaire de la politique agricole commune, qui est une politique stratégique pour l’Union, pour sa capacité à assurer un niveau de vie correct à ses agriculteurs, pour sa souveraineté alimentaire et pour sa transition climatique.
Il faut ensuite supprimer les rabais. Si cette suppression n’intervient pas à l’occasion du départ des Britanniques, elle ne se fera jamais !
Il importe de revoir les ressources propres, en les mettant en rapport avec les objectifs ambitieux et nombreux que nos concitoyens assignent à l’Union européenne.
Il faut enfin soumettre conditionner l’octroi des fonds européens, afin d’en faire des leviers utiles, au service notamment de l’État de droit.
Le Conseil européen a aussi été marqué par des désaccords sur la future capacité budgétaire de la zone euro telle qu’elle a été élaborée par l’Eurogroupe. Le Portugal, en particulier, a ainsi manifesté son mécontentement au regard des coupes à venir dans le budget de la politique de cohésion post-2020.
Le budget de la zone euro voulu par le Président de la République a décidément du plomb dans l’aile ! Le faible montant de ce budget – 17 milliards d’euros sur sept ans – ne révolutionnera pas l’économie européenne. J’ajoute que les pays du Nord s’opposent à la volonté française d’élaborer un accord intergouvernemental visant à mobiliser davantage de moyens nationaux pour accroître ce budget de l’eurozone.
Bien sûr, nous partageons tous l’objectif de renforcer la résilience de la zone euro et la convergence économique en son sein. Pour l’atteindre, la durabilité des finances publiques, qui partout ailleurs en Europe se rétablit, doit demeurer une priorité. Au vu de son incapacité à redresser ses comptes publics et à transformer son économie, la France n’est sans doute pas l’avocat le plus indiqué pour défendre une telle évolution de la zone euro…
D’autres réformes semblent plus urgentes, comme l’achèvement de l’union bancaire et de l’union des marchés de capitaux. Cela permettrait de mieux absorber les chocs économiques en diversifiant les risques, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un budget commun de stabilisation.
Sur ces dossiers, l’Union européenne avance trop lentement ! Début décembre, les ministres de la zone euro n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord sur la mise en place du système européen de garantie des dépôts bancaires. Ces évolutions sont pourtant la base indispensable pour donner à l’euro sa vraie dimension dans les échanges internationaux. Dans le contexte géopolitique actuel, la monnaie unique doit être un instrument stratégique, capable de concurrencer enfin le dollar, grâce auquel les États-Unis exercent leur tutelle sur l’économie mondiale et sur leurs concurrents, via l’extraterritorialité de leur droit.
Je voudrais maintenant évoquer le projet de conférence sur l’avenir de l’Europe, voulu par le Conseil européen. Cette conférence devrait débuter en 2020 pour s’achever en 2022. Elle réunira des citoyens et des représentants des institutions de l’Union européenne, qui, ensemble, travailleront sur de nouveaux textes européens et des modifications des traités.
Si l’on ne peut qu’être d’accord avec le principe d’une telle concertation, je mettrai l’accent sur deux points de vigilance.
D’abord, il ne faut pas oublier les territoires. Pour l’instant, l’échelon local semble absent des discussions. Or cette conférence doit être l’occasion, pour les institutions européennes, de marquer leur volonté de travailler avec les élus de terrain. Les exclure relèverait d’une vision de l’Europe dépassée, à l’heure où nos concitoyens ne se sont jamais sentis aussi éloignés du projet européen.
Ensuite, il est prévu que la conférence aborde la question de la démocratisation des élections européennes, au travers notamment de la mise en place de listes transnationales par les familles politiques européennes. Cette idée de faire des listes « hors sol » est un non-sens démocratique. L’affirmation du rôle du Parlement européen dans la fabrication des lois renforce le besoin d’un contrôle démocratique et d’une proximité avec les électeurs. L’élu doit leur rendre des comptes, mais encore faut-il qu’ils le connaissent ! C’est d’ailleurs ce manque de proximité qui explique l’importance du vote contestataire alors des élections européennes. N’en rajoutons pas !
Pour conclure, mes chers collègues, je ne voudrais pas oublier nos sapeurs-pompiers, avec qui l’on échange beaucoup sur le terrain en cette période de la Sainte-Barbe. Leur inquiétude est toujours vive concernant la directive Temps de travail, qui menace le statut de pompier volontaire. (M. le président de la commission des affaires européennes approuve.) La France doit agir au niveau européen pour préserver le modèle de sécurité civile français. Exploiter les dérogations offertes par la directive de 2003, comme l’envisage le Gouvernement, ne suffira pas. La seule solution pérenne, vous la connaissez, madame la secrétaire d’État : c’est l’adoption d’une directive européenne ad hoc destinée à promouvoir l’engagement citoyen. Le projet en est écrit et attend votre soutien. J’espère que vos propos seront rassurants pour nos sapeurs-pompiers, dont l’engagement quotidien est exemplaire. Voilà au moins un sujet européen que tous les territoires ont en commun ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Madame Gruny, sur le dossier des pompiers volontaires, nous travaillons de façon positive avec la Commission européenne pour nous assurer que le lien de subordination que certains voudraient voir établir, sur le fondement de la directive Temps de travail, entre les pompiers volontaires et les services départementaux d’incendie et de secours ne soit pas reconnu. Nous devons encore obtenir une formalisation, mais les signaux sont positifs et les échanges ont manifesté une grande compréhension, par la Commission, de la spécificité du modèle français, et nous avons des signaux positifs.
Je vous remercie, monsieur le sénateur Paul, de vos encouragements.
Monsieur Raynal, concernant le volume du budget européen, la France n’a pas d’objectif totémique. Vouloir fixer un pourcentage magique, à un ou deux chiffres après la virgule au-dessus de l’unité, est une façon un peu étrange d’entrer dans le débat. Vous êtes membre de la commission des finances du Sénat, j’ai siégé au sein de celle de l’Assemblée nationale : nous savons qu’un budget, c’est d’abord la concrétisation chiffrée d’ambitions politiques. Nous devons donc être clairs sur ce que nous voulons vraiment faire ensemble et sur ce que nous mettons en commun pour nous donner les moyens de notre ambition collective : voilà ce que dit le Président de la République. Cela peut signifier qu’il faut cesser de faire certaines choses à l’échelon national, car les doublons sont très coûteux. Nous jugerons de la qualité et du volume du budget en fonction des ambitions communes qui auront été définies. Par exemple, si l’on arrive à réorienter davantage vers le premier pilier les 10 milliards d’euros supplémentaires prévus pour la PAC,…
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Ce serait mieux, en effet.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. … nous serons plus disposés à accepter un volume important. Aujourd’hui, 1,07 % du RNB, cela se traduit par un « ressaut » du prélèvement sur recettes français de 4 milliards à 6 milliards d’euros, selon les modalités de calcul et de financement retenues. La moitié de cette somme correspond à l’inflation, un quart à la contribution demandée à la France au titre du Brexit, le dernier quart aux nouvelles politiques ou aux nouveaux efforts. Il faut avoir ces éléments en tête.
Quels sont les liens entre le CFP et le mécanisme de transition juste ? La vocation de ce dernier est d’allouer des moyens spécifiques à des territoires socialement désavantagés, tandis que la politique de cohésion profite à des régions sans forcément faire le lien entre leur mix énergétique et leur situation sociale. Les deux sont complémentaires, mais pas complètement superposables. Le mécanisme de transition juste comporte un critère d’éligibilité supplémentaire. La Commission cherche à cibler beaucoup plus, à travers lui, des territoires où la transition est plus difficile à réaliser qu’ailleurs et qui sont en outre socialement désavantagés.
Le lien entre le budget de la zone euro et le CFP est aujourd’hui formel. Certains d’entre vous l’ont rappelé, la France milite pour que des ressources propres puissent être allouées au budget de la zone euro et que l’architecture du budget de celui-ci reste ouverte. Si nous trouvons, par exemple, un accord sur une taxe sur les transactions financières d’ici à 2022 ou à 2023, il faudra que l’on puisse brancher cette ressource sur le budget de la zone euro sans avoir à attendre 2027. Il y a là un point de méthode. Aujourd’hui, cette ligne budgétaire de 17 milliards d’euros est ancrée dans le CFP. La France préférerait, vous le savez, que la gouvernance se fasse à dix-neuf. Surtout, nous voudrions que si les États membres de la zone euro se mettent d’accord pour partager des ressources, celles-ci puissent être branchées en cours de route sur cet outil budgétaire.
Concernant le Brexit, je tiens à vous rassurer : ce n’est pas parce que Boris Johnson dit que la négociation sera conclue dans les onze mois que nous sacrifierons le contenu de l’accord et les garanties attachées. Bien sûr, il faut aller suffisamment vite pour que l’économie ne s’enlise pas et que les citoyens ne perdent pas confiance. Cependant, nous ne sacrifierons pas la qualité de l’accord sous prétexte que nous serions pris par le temps. Michel Barnier est très clair sur le sujet.
Oui, monsieur le président Bizet, Charles Michel a la volonté d’instaurer de nouvelles méthodes de travail. Nous avons déjà pu échanger sur ce sujet.
Obtenir un consensus sur l’objectif de neutralité carbone est essentiel. Mme Mélot a évoqué un mécanisme d’opt-out à propos de la Pologne. Je ne crois pas que cela corresponde à la réalité des choses. L’idée est d’avoir la plus grande ambition possible, en évitant l’affaiblissement qu’entraînerait la recherche du plus petit dénominateur commun. Il importe de ne pas s’en tenir à de simples déclarations d’intentions. L’objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 est partagé par tous. La Pologne ne remet pas en cause cet objectif pour l’Union européenne, mais elle estime avoir besoin de réfléchir à ce que cela implique de mettre en œuvre à l’échelon national, en termes de calendrier, de difficultés à surmonter, d’éventuelles demandes d’exceptions sectorielles ou normatives. La Pologne, madame Mélot, pourrait demander, d’ici au mois de juin, à bénéficier d’un mécanisme d’opt-out sur certains points spécifiques, mais tel n’est pas le cas pour l’heure.
Concernant la neutralité technologique, monsieur le président Bizet, la perspective est désormais plutôt positive. Le règlement Taxonomie a fait l’objet d’un accord entre le Parlement européen et le Conseil ; il doit encore être validé. L’amendement de Christophe Grudler adopté le 28 novembre par le Parlement européen est très intéressant : aux termes de cet amendement, le Parlement européen estime que l’énergie nucléaire peut contribuer à atteindre les objectifs en matière de climat, dès lors que cette énergie n’émet pas de gaz à effet de serre, et qu’elle peut donc représenter une part non négligeable de la production électrique en Europe ; le Parlement considère néanmoins que, en raison des déchets qu’elle génère, cette énergie nécessite une stratégie à moyen et long termes qui tienne compte des avancées technologiques – laser, fusion, etc. – visant à améliorer la durabilité du secteur. L’adoption de cet amendement peut, me semble-t-il, tracer la voie à une approbation majoritaire, dans les semaines à venir, de l’accord trouvé entre le Conseil et le Parlement européen dans un format réduit.
Madame Guillotin, le mécanisme d’inclusion carbone n’est, je le rappelle, ni une taxe ni une mesure protectionniste. Il vise les produits basiques dont on sait exactement quelle quantité de gaz à effet de serre engendre leur fabrication. S’il existe un marché du carbone dans le pays de production, il y aura un ajustement du prix du bien importé pour prendre en compte l’écart entre les prix du carbone dans ce pays et sur le marché européen, afin de garantir une concurrence loyale. Si l’on prend l’exemple d’une barre d’acier en provenance de Chine, il ne lui sera donc pas appliqué de tarif prédéfini. Aujourd’hui, la moitié des provinces chinoises disposent d’un marché du carbone. Si cette barre d’acier vient d’un pays ou d’une zone où n’existe aucun marché du carbone, le tarif européen s’appliquera alors dans son entièreté.
Il s’agit donc d’appliquer à tous les biens vendus sur notre territoire une norme compréhensible, transparente et ajustée, et non pas un tarif arbitraire déterminé dans un bureau. Le mécanisme s’ajusterait si le prix du carbone venait à baisser en Europe pour une raison quelconque – ce que nous ne souhaitons pas. De même, si le prix du carbone était supérieur dans d’autres États à ce qu’il est chez nous, nous baisserions alors le prix du bien importé et rembourserions la différence. Cette dernière hypothèse est purement théorique, car il n’existe pas aujourd’hui de marché sur lequel le prix du carbone serait plus élevé que le nôtre !
Par ailleurs, l’objectif est qu’une taxe numérique puisse s’appliquer en Europe. Les différents pays européens négocient en ce sens dans le cadre de l’OCDE. Bruno Le Maire l’a dit ici même, me semble-t-il : si aucun accord n’intervient à l’OCDE, nous traiterons le sujet entre Européens. Je rappelle que vingt-quatre pays de l’Union européenne soutiennent le principe de la création d’une telle taxe. La France l’a mise en place, la République tchèque le fera au 1er janvier et, de mémoire, sept autres pays travaillent à la mettre en œuvre, pas forcément au même taux mais selon des régimes proches.
Le mouvement est donc lancé, et je ne pense pas qu’il faille désespérer. En revanche, nous devons suivre de très près les négociations à l’OCDE et mettre les États-Unis devant leurs responsabilités, sachant qu’une partie de l’accord trouvé entre Donald Trump et Emmanuel Macron à Biarritz est remise en cause par certains. Nous sommes extrêmement attentifs au respect de la parole donnée.
Les 100 milliards d’euros du fonds de transition juste sont constitués à la fois d’argent public, de subventions et de prêts. Ce fonds vise à accompagner, selon un modèle potentiellement complémentaire de celui de la Banque européenne d’investissement, des régions où la transition est plus difficile à réaliser qu’ailleurs et qui sont dans une situation sociale défavorisée.
Monsieur le sénateur Gattolin, les bureaux de Charles Michel sont situés dans le bâtiment Europa, et non au Berlaymont.
M. André Gattolin. Je connais bien les lieux. J’ai parlé du Berlaymont pour faire référence à la Commission européenne.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. En tout cas, c’est bien Charles Michel qui chantera l’Ode à la joie si un accord sur le cadre financier pluriannuel est trouvé, car cela lui demandera beaucoup de travail…
Une réflexion est ouverte pour qu’au sein de l’Union européenne nous puissions retrouver une capacité d’investissement. Les taux sont négatifs, nous devons faire face au défi climatique et l’épargne est chez nous surabondante : nous sommes une des seules zones au monde à exporter de l’épargne, pour acheter des bons du Trésor américains ou financer des entreprises asiatiques… Dans le même temps, de nombreux projets ne se concrétisent pas en Europe.
Une partie de la solution dépend peut-être – je n’en suis pas si sûre – du pacte de stabilité, une partie de notre tuyauterie financière – à ce titre, les travaux de Fabrice Demarigny sur l’union des marchés de capitaux sont essentiels. Vous connaissez l’investissement du Président de la République et de Bruno Le Maire sur ces sujets. Ce qui est certain, c’est que la règle des 3 % de déficit public ne saurait constituer notre seul horizon de pensée et de politique économiques, sauf à nous diriger vers un avenir très sombre…
Monsieur le sénateur Laurent, il est vrai que la COP25 n’a pas été à la hauteur des attentes. C’est pourquoi l’Union européenne unanime a tenu à envoyer un signal très fort et très clair via l’engagement d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela nous permettra de nous présenter unis et forts lors de la prochaine COP, qui sera un rendez-vous stratégiquement plus important que celui de Madrid. En effet, il y sera débattu de la révision des contributions nationales. Je rappelle que l’Union européenne entend réduire, d’ici à 2030, de 50 % à 55 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990.
Vous m’interrogez sur la différence entre les bénéficiaires de la BEI et ceux du fonds de transition juste : la BEI accorde des prêts sur la base de projets, tandis que le fonds de transition juste s’attachera davantage à accompagner des territoires, notamment sur le plan des politiques sociales, de formation et de reconversion. Les approches sont donc un peu différentes.
Concernant le fret, il importe de favoriser son transfert sur le rail. Il se trouve que l’une des priorités du « pacte vert » présenté par Mme von der Leyen le 11 décembre dernier est le report d’une part substantielle des 75 % du fret intérieur actuellement transporté par la route sur le ferroviaire et les voies navigables. La Commission européenne proposera des mesures en ce sens dès 2021. Le Gouvernement s’en félicite. D’ici là, un travail important doit être mené en vue d’établir un diagnostic, car il existe aujourd’hui beaucoup d’incohérences entre cet objectif et la politique de concurrence, la politique industrielle ou des règles qui s’appliquent aux acteurs dits publics. Il est aujourd’hui difficile de trouver un modèle économique satisfaisant pour le fret ferroviaire, alors même que nombre de secteurs de la société souhaitent un transfert du fret de la route vers le rail.
Le port de Hambourg est très en pointe pour viser la neutralité carbone : les dispositifs de manutention font largement appel à l’électricité et un système de transfert des conteneurs sur le rail a été développé. Le ferroutage a aussi été mis en œuvre à Calais, grâce à un mécanisme d’interconnexion européen. Il faut que nous regardions attentivement ce type d’expériences, mais je suis d’accord avec vous, monsieur Laurent, pour dire que c’est un sujet essentiel.
Je suis également tout à fait d’accord avec vous pour que les mécanismes de transparence nationaux s’appliquent à l’utilisation des aides du fonds de transition juste, comme pour les projets financés au titre du plan Juncker.
Concernant l’OTAN, le Président de la République demande d’abord de la cohérence ; c’est pour cette raison qu’il a proposé le lancement d’une réflexion stratégique au sein de l’OTAN sur le rôle des Européens après la chute du mur de Berlin et la fin du pacte de Varsovie. Cette proposition a été acceptée, et nous essayons de reconstruire une cohérence stratégique. La Russie pouvait être définie avant tout comme un pays ennemi dans les années soixante, mais, le Président de la République l’a dit très clairement, l’ennemi, aujourd’hui, c’est le terrorisme. La Russie peut être une menace – nous le voyons bien en Crimée, dans le Donbass ou ailleurs –, mais elle est aussi un voisin et un partenaire. Nous ne devons être, à son égard, ni naïfs ni belliqueux sans raison, mais fermes et exigeants.
La France réfléchit, en collaboration avec de nombreux autres États – je pense notamment à la Pologne –, sur les conséquences à tirer pour l’architecture européenne de sécurité collective de la suspension de fait du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Les suites du sommet de l’OTAN de Londres ont bien évidemment fait l’objet de discussions au Conseil européen, quand les chefs d’État et de gouvernement ont évoqué les questions de politique extérieure et de défense.
En ce qui concerne le Fonds européen de la défense, il est évident que proclamer notre souveraineté tout en continuant à acheter des matériels américains pose un problème de cohérence. Nous souhaitons que ce fonds monte en puissance et qu’une véritable industrie européenne partagée émerge dans ce secteur. Les États européens doivent avoir la possibilité de choisir des équipements européens pour leurs armées ; ce sera bénéfique à la fois pour leurs économies, leurs emplois et leur souveraineté collective.
Dans tout cela, je ne vois pas d’incohérence, mais une grande exigence. Nous devons avancer rapidement sur ces sujets, parce que créer un pilier européen efficace et crédible au sein de l’OTAN va demander des investissements.
Pendant le sommet de l’OTAN, beaucoup de demandes de clarification ont été adressées à la Turquie à propos de l’accord passé avec la Libye. Nous devons mettre en cohérence les travaux du Conseil européen et ceux menés au sein d’autres instances internationales.
En ce qui concerne la conférence sur l’avenir de l’Europe, j’ai souri quand vous nous avez dit d’agir plutôt que de nous « pencher » sur la question, monsieur Laurent. Le Président de la République a lui-même parlé de « forces castratrices autour de la table du Conseil européen »… Il a pour sa part une grande ambition en la matière, comme en témoigne la lettre qu’il a adressée à tous les citoyens européens au printemps. La France et l’Allemagne ont fait des propositions fortes. La Commission européenne remettra les siennes en janvier ; j’ai eu des échanges avec la commissaire chargée du sujet et je pense qu’elle est tout à fait bien disposée à cet égard. Les parlementaires européens ont quant à eux déjà commencé leurs travaux. La France sera un aiguillon en termes d’ambition et d’action. Si l’on contraint la réflexion dès le départ, nous perdrons la confiance des citoyens.
Madame la sénatrice Mélot, concernant la réforme de la PAC, la clé est de réorienter une partie du deuxième pilier vers le premier. La PAC n’est pas en diminution, comme a pu le dire M. Longeot. Les 10 milliards d’euros supplémentaires nous permettent d’envisager de manière assez sereine l’évolution des aides aux agriculteurs français par rapport à la période 2014-2020. Il y avait un risque, mais les propositions sur la table pour la période 2021-2027 sont beaucoup plus rassurantes aujourd’hui.
C’est justement parce que nous constatons des inégalités et des tensions entre les territoires que nous avons très activement défendu le concept des régions en transition. Il recouvre des territoires ne figurant ni parmi les moins favorisés ni parmi les métropoles.
Nous voulons réformer la politique de la concurrence parce que nous voulons développer une souveraineté européenne. Au-delà de la défense, elle doit notamment concerner l’innovation. Ainsi, dans le secteur des batteries électriques, sept pays et dix-sept entreprises ont uni leurs forces, en mobilisant notamment 3,2 milliards d’euros d’argent public. De telles initiatives peuvent se développer plus largement avec une politique de la concurrence révisée.
Madame Morhet-Richaud, notre méthode de travail repose précisément sur la créativité et le pragmatisme. Nous entendons dégager des majorités en étant souples dans les moyens, mais fermes et cohérents sur les objectifs.
Monsieur le sénateur Leconte, l’Irlande et les droits des citoyens européens sont bien des sujets prioritaires dans la perspective du Brexit. Je ne crois pas qu’il faille lier le Brexit et le budget européen. En tout cas, nous partons du principe qu’il n’y aura pas de contribution britannique et nous construisons un budget à vingt-sept. Si les Britanniques veulent contribuer à certaines politiques dans le cadre de leur relation future avec l’Union européenne, ils le feront de façon marginale, mais ce n’est pas une hypothèse de travail : nous entendons être crédibles et sérieux.
Concernant le climat, nous cherchons, avec la Commission européenne, à réduire la déforestation importée. C’est un sujet que le Sénat connaît bien, pour avoir notamment travaillé sur le dossier de l’huile de palme.
L’une des priorités de la présidence française du Conseil de l’Europe, qui s’est exercée du mois de mai dernier à la fin de novembre, était d’œuvrer pour que la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme mettent en commun leurs jurisprudences dans un esprit de respect mutuel. Il y a encore du travail à accomplir, mais nous avons engagé la démarche.
Quant à la coordination des systèmes de sécurité sociale, elle est organisée par le règlement européen n° 883/2004, dont la révision est en cours de discussion dans le cadre du trilogue entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Il est effectivement essentiel d’améliorer l’interopérabilité des systèmes de retraite, d’assurance chômage et de protection sociale en général.
J’espère avoir répondu de manière synthétique à l’ensemble de vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs. Je vous remercie pour ces échanges tout à fait intéressants. J’ai proposé au président Bizet de réfléchir ensemble à rendre ce dialogue un peu plus interactif, peut-être en adoptant un format de questions-réponses plus dynamiques.
En tout cas, il est important de rendre compte à la représentation nationale et aux citoyens de ce qui se passe dans les couloirs de Bruxelles. Certains imaginent des choses bien plus complexes qu’elles ne sont en réalité. Nous travaillons avec toute notre énergie à accroître la solidarité et la souveraineté européennes ! Je vous donne rendez-vous après les fêtes pour reprendre nos échanges, avec toujours la même ambition pour l’Europe. (Applaudissements sur la plupart des travées.)
Conclusion du débat