M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pas une année ne passe sans que nous ne recevions des images venues d’ailleurs montrant les désastres de la faim.
La faim frappe presque toujours les pays meurtris par les conflits et les guerres. Elle en constitue bien souvent l’une des conséquences malheureuses. La faim se trouve aussi à la source de nombreuses tensions qui déchirent les sociétés et ébranlent les régimes politiques. La stabilité politique et l’émergence de régimes démocratiques sont donc incontestablement des leviers de la résilience alimentaire.
Les images que j’évoquais à l’instant nous rappellent aussi que la France a déjà conquis sa souveraineté alimentaire grâce à son agriculture, qui nourrit les Français et exporte ses denrées en Europe et dans le monde.
Tel est aujourd’hui le véritable fondement de notre résilience alimentaire. Il ne faut donc pas se tromper de combat. L’agriculture française, la première d’Europe, est aussi l’une des plus diversifiées au monde. C’est une garantie incontestable en matière de sécurité alimentaire.
Je salue l’initiative du groupe RDSE. Cette proposition de résolution, même si elle nourrit un discours trop alarmiste fondé sur un constat quasiment apocalyptique, a le mérite d’attirer notre attention sur cette problématique. C’est l’occasion de mettre en relief ce qui nous semble essentiel pour véritablement garantir notre autonomie et notre souveraineté alimentaires.
Cette problématique n’est pas nouvelle, mais elle se présente aujourd’hui sous un jour inédit, notamment en raison de l’effet combiné de la mondialisation des échanges et du dérèglement climatique. Ces deux tendances transformeront encore à l’avenir nos modes de production agricole, ainsi que nos habitudes de consommation. C’est dans ce cadre que nous devons proposer une vision ambitieuse et pragmatique de la résilience alimentaire.
Cependant, cette vision ne doit pas se développer au gré des tendances consuméristes et au mépris de notre passé, notamment de notre passé récent. Il n’y a pas si longtemps encore, tout particulièrement au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France souffrait massivement de la faim. Notre pays est parvenu à l’éradiquer ; c’était d’ailleurs un objectif fondateur de l’Union européenne, qui a pu être atteint au travers notamment de la PAC.
Or ce résultat n’a pu être obtenu que par le développement d’une agriculture robuste, modernisée, performante et celui des échanges commerciaux, notamment avec nos partenaires européens. En effet, ne l’oublions pas, l’agriculture a très rapidement constitué un pilier essentiel de la construction européenne ! Il ne s’agit pas de nier les défis auxquels notre modèle agricole devra faire face dans le futur. Il s’agit seulement de se souvenir d’où l’on vient pour bien comprendre où l’on veut aller.
Aujourd’hui, notre pays a toutes les raisons d’être fier de son agriculture. La France est le premier producteur agricole européen, devant l’Allemagne et l’Italie. Alors que notre pays affiche malheureusement, depuis plusieurs années, un déficit commercial structurel, notre industrie agroalimentaire présente, elle, un excédent structurel.
La France se trouve d’ores et déjà en situation d’autosuffisance alimentaire. Elle concourt également à l’autosuffisance de l’Europe et contribue à alimenter le marché mondial, ce qu’elle doit continuer à faire.
Certes, l’autosuffisance n’implique pas nécessairement la résilience, de même qu’autonomie ne rime pas forcément avec autarcie. Néanmoins, nous devons prendre garde à ne pas céder trop facilement au chant des sirènes qui ne jurent plus que par un « localisme » forcément réducteur.
Si nous avons conquis notre indépendance alimentaire, c’est d’abord par le développement de nos capacités de production et des échanges commerciaux avec nos partenaires européens.
Certes, l’agriculture française montre des signes de fragilité. Notre production nationale tend à stagner, notre rang dans les échanges internationaux se détériore et la place qu’occupent les importations dans notre alimentation augmente, comme l’a mis en exergue un récent débat au Sénat.
Conserver la performance de notre agriculture et son rang en Europe, là est le véritable enjeu qui doit tous nous mobiliser. Je sais, monsieur le ministre, que cela vous tient à cœur !
Alors que notre planète devrait compter 10 milliards d’êtres humains en 2050, notre capacité collective à nourrir tout ce monde est incertaine. Si notre agriculture est à la pointe en matière environnementale et figure parmi les plus durables au monde, elle peut encore réaliser d’importants progrès en termes de productivité, en misant sur l’innovation.
Dans cette optique, toutes les évolutions sociétales qui concourent à soutenir une agriculture nationale, et donc locale, vont dans le bon sens. Le développement des circuits courts ou la transition de notre agriculture participent d’une politique agricole ambitieuse. Nous ne souhaitons aucunement opposer les modèles ; au contraire, il faut les rendre complémentaires et les combiner.
La résilience alimentaire de notre pays passe avant tout par une politique agricole ambitieuse. Nous ne partageons pas la philosophie de cette proposition de résolution, même si nous en partageons les objectifs.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier Françoise Laborde, dont l’initiative nous permet d’échanger sur ce sujet fondamental de notre quotidien : notre alimentation.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui a pour objet de remettre au centre du débat la question de la résilience alimentaire et de la capacité de nos territoires à faire face à des crises profondes et durables.
Mon propos se déclinera selon deux axes : la protection du foncier agricole nourricier et la promotion d’une production alimentaire locale de qualité, d’une part ; les craintes qu’inspirent les dispositifs préconisés au travers de la proposition de résolution, d’autre part.
Cette proposition de résolution démontre encore une fois qu’une grande loi agricole est nécessaire, comme je l’ai déjà expliqué lors de la discussion budgétaire, monsieur le ministre.
La protection du foncier agricole français est bien évidemment d’une importance primordiale pour notre système de production. La question de l’obsolescence de ses outils de gestion a été soulevée à maintes reprises depuis deux ans. À cet égard, nous appelons à une réflexion sur leur modernisation : nous attendons toujours de pouvoir débattre d’un texte de loi sur le foncier agricole !
Mme Françoise Laborde. Tout à fait !
Mme Françoise Férat. Il manque, dans le présent texte, la référence à un élément indispensable lorsque l’on évoque le foncier, à savoir la mise en place d’une fiscalité soutenant la transmission des terres agricoles.
La raréfaction des terrains, notamment aux abords des villes, en fait une ressource convoitée qu’il faut préserver, par exemple contre les appétits de puissances étrangères.
Par ailleurs, l’agriculture de proximité et le développement des circuits courts sont une source de revenus supplémentaires pour les agriculteurs. Nous sommes d’accord sur ce point.
Cette évolution recoupe de véritables revendications des consommateurs : en témoignent de nombreuses initiatives, telles que les associations pour le maintien d’une agriculture de proximité (AMAP).
Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont des outils déterminants aux mains des collectivités territoriales, par exemple pour concevoir et mettre en œuvre une organisation agricole locale. Les circuits courts accentuent les liens entre la ville et les agricultures périphériques.
Même si l’alimentation est la base de la vie, la référence, dans la proposition de résolution, à la loi de programmation militaire m’a surprise. Elle ne manquera pas de faire sursauter les agriculteurs !
Certaines préconisations de cette proposition de résolution semblent de nature à imposer de nouvelles contraintes à des agriculteurs déjà assujettis à de nombreux impératifs. Appuyons-nous plutôt sur les dizaines de solutions agroécologiques qu’ils nous proposent !
Par ailleurs, je constate que de nombreux enjeux qu’il est nécessaire de prendre en compte pour appréhender la filière agricole dans son ensemble sont absents du texte : je pense notamment à la compétitivité des exploitations – il faut bien en parler – et aux distorsions de concurrence résultant de normes plus strictes dans notre pays qu’ailleurs.
Enfin, j’observe une certaine contradiction entre une localisation stricte des productions et le défi de nourrir 10 milliards d’habitants !
En tant qu’élus des territoires, nous devons veiller à ce que les textes que nous votons prennent la mesure des difficultés actuelles des agriculteurs, à l’instar de la proposition de loi que nous examinerons tout à l’heure. L’agri-bashing ambiant doit être combattu.
Pour conclure, j’indique que les votes des membres du groupe Union Centriste seront partagés. Personnellement, je ne pourrai approuver cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de résolution de notre collègue Françoise Laborde sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale.
Ce texte trouve son origine dans un mémoire de recherche intitulé « Résilience alimentaire et sécurité nationale ». Il s’agit d’une enquête menée au sein des milieux de la défense, de l’agriculture, de la sécurité et de l’alimentation, dont l’auteur analyse un impensé : la France est-elle préparée à une pénurie alimentaire ?
Ainsi, cette proposition de résolution souligne « l’importante vulnérabilité de notre Nation en cas d’événements de force majeure » et évoque un « risque systémique majeur ». J’estime qu’elle décrit un risque dont la probabilité n’est pas démontrée.
En cas de catastrophes naturelles, la chaîne d’approvisionnement est déjà prise en compte dans le cadre des plans Orsec, qui s’appuient sur la préparation commune de tous les acteurs publics et privés. L’ensemble est coordonné par le préfet.
Le plan Orsec permet de faire face à tous types de situations d’urgence, de protéger les populations, l’environnement et les biens. Il est mis à jour par l’actualisation des bases de données réalisée par chacune des personnes publiques et privées, conformément à l’article R. 741-6 du code de la sécurité intérieure.
En outre, cette proposition de résolution dénonce « la logique de marché qui ignore la sécurisation du foncier agricole nourricier ». Est-ce à dire qu’il faudrait envisager la collectivisation des terres agricoles afin de protéger les populations ? (M. Joël Labbé s’exclame.) Cela a déjà existé à l’époque de Staline, sans empêcher d’ailleurs des famines…
La question du foncier agricole est complexe et mérite mieux que des postures idéologiques éloignées du quotidien des agriculteurs. Les outils de protection et de régulation du foncier agricole sont élaborés aux fins de préserver les exploitations agricoles dans le respect du droit de propriété.
Les auteurs de la proposition de résolution affirment ensuite que « le foncier agricole n’est pas sécurisé par un corpus législatif qui protège nos terres nourricières de l’accaparement par des puissances étrangères ». Je rappelle que la loi du 20 mars 2017 relative à la lutte contre l’accaparement des terres et au développement du biocontrôle a instauré un dispositif législatif tendant à renforcer la transparence des acquisitions du foncier agricole par les sociétés, en les obligeant à s’appuyer sur une société dédiée au portage du foncier pour toute nouvelle acquisition ou tout apport de foncier. La transparence de ces opérations est ainsi assurée.
Pour construire des solutions qui répondent aux besoins des agriculteurs en matière de foncier agricole, il est préférable d’être à l’écoute des agriculteurs sans les stigmatiser. L’évolution du foncier agricole doit se construire avec les agriculteurs, et non contre eux.
Les auteurs de la proposition de résolution observent avec raison que les agriculteurs exploitent ou utilisent des installations indispensables à la vie de la Nation, mais soulignent qu’ils ne sont pas considérés comme des opérateurs d’importance vitale. Ceux-ci sont désignés, pour chaque secteur d’activité d’importance vitale, par arrêté. Ils ont pour obligation d’analyser les risques, d’établir un plan de sécurité prenant en compte les attendus de la directive nationale de sécurité au titre de laquelle ils ont été désignés et d’identifier leurs points d’importance vitale, qui feront l’objet d’un plan particulier de protection à leur charge et d’un plan de protection externe à la charge du préfet de département. Rappelons que les agriculteurs ont toujours joué un rôle vital pour les populations et l’économie de notre pays sans qu’il soit nécessaire de les considérer comme des opérateurs d’importance vitale. Tout cela n’a pas de sens !
Le changement climatique influe sur la production et les agriculteurs sont en première ligne pour en mesurer les effets. Oui, le climat peut bousculer notre destin ! Il y a des catastrophes naturelles et il y en aura encore. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il faille changer de système et mettre les agriculteurs sous la tutelle de l’État.
Je ne voterai pas cette proposition de résolution qui instrumentalise les peurs et ne se fonde sur aucune démonstration probante. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, « résilience alimentaire des territoires » et « sécurité nationale » : intuitivement, ces notions vont effectivement de pair !
Reprenons plus en détail les termes de la proposition de résolution.
« La production locale agricole demeure essentielle à la vie et appartient au patrimoine français » : nous sommes d’accord.
« La planète comptera 10 milliards d’habitants à l’horizon 2050, il est donc primordial de préserver les terres arables » : nous sommes d’accord.
« La logique de marché menace la sécurisation du foncier agricole nourricier » : nous sommes d’accord.
« L’environnement et les ressources sont des biens qui doivent être gérés dans une véritable stratégie de solidarité territoriale » : nous sommes d’accord.
L’excellent rapport de nos collègues Ronan Dantec et Jean Yves Roux fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective nous a tous ébranlés : oui, le changement climatique est là, il n’est pas pour demain.
L’agriculture doit évoluer. Les ressources hydriques doivent être gérées autrement, il faut désormais s’organiser collectivement pour parer aux pénuries d’eau. L’ensemble de nos pratiques doivent être adaptées. Nous devons collectivement nous préparer à des situations extrêmes et à des événements climatiques exceptionnels.
En cela, chère Françoise Laborde, votre proposition de résolution emporte ma pleine et entière adhésion : soyez remerciée de votre initiative.
Sur les réseaux sociaux, beaucoup de citoyens se sont émus et nous ont appelés à vous soutenir : nous avons tous reçu un message en ce sens dans nos boîtes mail.
Cependant – il y a un « mais », hélas ! –, la lecture de cette proposition de résolution m’amène également à émettre des objections.
De fait, la notion de « bien commun » se heurte au droit de la propriété tel qu’il est défini dans le code civil.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Voilà !
Mme Nadia Sollogoub. De même, la perspective d’une révision de la loi de programmation militaire pour intégrer la production et le foncier agricoles comme secteurs d’activité d’importance vitale suscite les plus vives inquiétudes dans le monde rural, qui anticipe toutes les lourdeurs et complications supplémentaires qui pourraient en découler.
Une résolution, ce n’est pas rien : elle appelle à la prise de mesures législatives. L’adoption du présent texte placerait le foncier agricole dans une situation particulière : devenu un enjeu de défense nationale, il pourrait faire l’objet d’une réquisition par les forces armées ! Les ministères de l’intérieur et de la défense ont-ils été consultés sur ce point, car ils seraient en première ligne de ces éventuelles réorganisations ?
L’instruction générale interministérielle relative à la sécurité des activités d’importance vitale prévoit bien le point clé suivant : « La constitution d’une zone d’importance vitale doit apporter une plus-value opérationnelle. » Est-ce le bon outil pour éviter « le risque d’accaparement par des puissances étrangères » ?
Ma dernière réserve est la suivante : cette proposition de résolution, en posant la proximité comme valeur absolue, envoie un message qui pourrait être perçu comme tenant du repli sur soi.
Un éleveur de mon département, la Nièvre, terre de production de l’excellente viande charolaise, m’a tenu les propos suivants : « Tout le monde nous vante les vertus des circuits courts, mais moi, je produis de quoi nourrir 1 000 personnes, et j’habite un village de 200 habitants. »
Les choses ne sont donc pas si simples. Même si le ballet des camions de la grande distribution apparaît comme une aberration environnementale, les comportements du consommateur ont changé. Les circuits courts ont leurs limites et ne peuvent être la solution universelle. Les marchés agricoles sont mondiaux, et si la « territorialisation des productions alimentaires » est un concept rassurant, elle n’est pas toujours possible. Quelqu’un faisait remarquer ce matin qu’il faudrait alors oublier l’idée de boire du café…
Votre proposition de résolution, qui nous inspire des « plus », des « bravos » et des « oui, mais », nous fait en tout cas réfléchir ; cela mérite encore un « bravo » !
Au sein du groupe Union Centriste, les votes seront partagés – un vrai vote de centristes ! (Sourires.) En ce qui me concerne, je m’abstiendrai. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’échéance de 2050, il faudra nourrir 10 milliards de personnes dans un contexte de réchauffement climatique qui va accentuer la pression sur les terres agricoles. Seuls les pays qui auront su préserver leur agriculture de la pression foncière et des aléas climatiques seront en mesure de répondre à la demande mondiale.
La France, puissance agricole de premier plan, en est-elle seulement encore capable ? Peut-elle encore aujourd’hui assurer son indépendance alimentaire ?
Ce sont les questions que soulève cette proposition de résolution, qui vise à alerter l’exécutif « sur l’importance d’une prise en compte de la territorialisation de la production, de la transformation et de la distribution alimentaires ». Elle rappelle aussi que les autorités publiques doivent être en mesure de « garantir les conditions d’un niveau minimum de sécurité et d’approvisionnement alimentaire ». Il est en effet de la responsabilité de l’État de garantir notre souveraineté alimentaire, que le général de Gaulle qualifiait d’ailleurs d’« ardente obligation ».
Souveraineté alimentaire et autonomie stratégique militaire sont liées. Trouvez-vous d’ailleurs normal, monsieur le ministre, que l’économat des armées françaises ne s’approvisionne pas uniquement avec des produits agricoles français ? Soutien aux armées, soutien aux agriculteurs !
Ces agriculteurs, qui affrontent tellement de difficultés et qui travaillent sans relâche, ne pourront supporter très longtemps l’absence de mesures concrètes pour améliorer leur situation.
Le défi qui nous attend consiste à redonner un équilibre à la mondialisation. Pendant trop longtemps, nous n’avons pas su prendre la mesure de l’évolution de celle-ci. Nous avons appliqué des normes plutôt que de définir une stratégie, et, dans certains secteurs, comme l’agriculture, nous nous sommes retrouvés en compétition avec des concurrents qui ne respectent aucune des règles imposées ; nous avons perdu des batailles.
Le rapport de nos collègues Sophie Primas et Laurent Duplomb souligne très bien les menaces qui pèsent sur notre agriculture ; l’une d’entre elles nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de cette discussion.
Les importations de produits agricoles et alimentaires augmentent, alors qu’elles ne respectent pas nécessairement les normes de production imposées en France. Entre 8 % et 12 % des denrées alimentaires importées de pays tiers ne respectent pas les normes européennes de production. En plus de mettre en péril la sécurité sanitaire de nos concitoyens, ce phénomène autorise une concurrence déloyale au détriment de nos producteurs. Si rien n’est fait, cette tendance va s’accentuer.
Je rappelle que les notions d’autosuffisance et de sécurité alimentaires, qui tiennent aux besoins les plus fondamentaux de la personne, doivent être au cœur de toute vraie politique agricole.
Plus que d’une « stratégie de territorialisation des productions alimentaires, d’une cartographie des flux de production alimentaire et d’une préparation des populations » ou « d’une loi de sauvegarde du foncier agricole », comme le prévoit la proposition de résolution, à l’instar d’une sorte de Gosplan, nous avons besoin, me semble-t-il, d’une vraie politique agricole, d’un vrai soutien politique et d’une vraie lutte contre l’agri-bashing, pour le dire en bon français.
Le Gouvernement n’est certes pas responsable de ce dont il a hérité, mais il l’est, en revanche, de ce qu’il a ou non entrepris. Il a fait adopter la loi Égalim, qui a suscité un immense espoir chez les agriculteurs. Mais, aujourd’hui, sur le terrain, ceux-ci nous disent que, pour l’heure, cette loi n’a servi à rien et ne leur a en tout cas apporté aucun retour sur le plan financier. L’État doit agir pour que notre agriculture devienne plus compétitive. Vous avez donné à penser, monsieur le ministre, que vous aviez trouvé la solution au problème de la faiblesse des revenus agricoles : or non seulement la loi Égalim n’améliore en rien la situation sur ce point, mais elle déstabilise aussi des acteurs économiques de la filière.
Les agriculteurs ont besoin de solutions pérennes, concrètes, immédiates. Il n’y a aucune raison que l’agriculture française ne se redresse pas. Il le faut, c’est un impératif pour notre pays. Je fais partie de ces élus qui pensent que la France a une grande vocation agricole et que notre souveraineté est garantie pour autant que notre autosuffisance alimentaire soit assurée. Notre pays est capable d’atteindre cet objectif.
Cette proposition de résolution permet de mettre en débat le sujet de notre souveraineté alimentaire. C’est une bonne chose, mais les orientations proposées sont inadaptées. En conséquence, une très large majorité des membres du groupe Les Républicains voteront contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous discutons aujourd’hui aborde une thématique essentielle, puisqu’il traite d’un enjeu de sécurité nationale : la résilience alimentaire.
Je salue la très heureuse initiative de ma collègue Françoise Laborde, qui a entraîné derrière elle l’ensemble du groupe RDSE pour soutenir cette proposition de résolution. Il ne s’agit en effet que d’une proposition de résolution, il importe de le souligner !
La sécurité alimentaire est un enjeu de premier plan. Historiquement à la base de l’action publique et de l’ordre public, son importance pour la sécurité civile est aujourd’hui oubliée.
Pourtant, dans un contexte marqué par des aléas climatiques de plus en plus nombreux et graves, par des pénuries d’eau inquiétantes, par des prix fluctuants de l’énergie, cette question semble plus que jamais d’actualité.
Françoise Laborde a déjà cité, très justement, les nombreux rapports sénatoriaux mettant en avant la nécessité d’anticiper les risques qui pèsent sur notre production alimentaire.
Face à ces menaces, nos villes, comme nos campagnes, ne sont pas préparées. En effet, elles sont sous perfusion des grandes surfaces et de leurs systèmes logistiques. Leur taux d’autonomie alimentaire est particulièrement faible : de l’ordre de 2 % pour les aires urbaines, et guère plus pour les territoires ruraux, qui dépendent en définitive quasiment des mêmes circuits d’approvisionnement.
De plus, comme l’a souligné Dominique Théophile, la question des outre-mer est ici particulièrement prégnante, puisqu’une part très importante de leur alimentation est importée, depuis des territoires éloignés et via des circuits d’approvisionnement vulnérables aux événements climatiques.
Face à ces menaces, les pouvoirs publics manquent de réponses : les plans Orsec, prévus pour gérer des crises exceptionnelles et de courte durée, sont insuffisants pour faire face à des aléas climatiques ou à des pénuries de plus long terme. S’ils font la preuve de leur efficacité quand ils sont mis en œuvre, ils ne sont pas conçus pour parer à un risque systémique.
Toutes ces questions ont été mises en lumière par le travail de Stéphane Linou, pionnier du mouvement Locavore. Françoise Laborde l’a rappelé, ce texte fait écho à ses recherches. Je viens d’apprendre que M. Linou, qui est présent dans nos tribunes, est lauréat d’un prix national sur l’information, la prévention et la résilience. Il s’agit d’une véritable reconnaissance de son travail de chercheur. Sa démarche innovante a montré la pertinence du sujet et la carence actuelle en termes de prise en compte de ces enjeux. Des militaires et de nombreuses personnes, au sein des services de l’État et des collectivités locales, se sont montrés très intéressés par son travail.
Pour remédier à cette carence, la proposition de résolution comporte des recommandations pertinentes et de bon sens : préparation des populations, intégration du lien entre les questions militaires, de sécurité et alimentaires, notamment via l’ajout de la production alimentaire et du foncier agricole à la liste des secteurs d’importance vitale pour notre pays.
Outre cet aspect organisationnel, certains des leviers que la proposition de résolution appelle à mettre en œuvre touchent à un sujet sur lequel je travaille depuis longtemps, avec d’autres : la relocalisation de l’alimentation, ou du moins d’une part, la plus importante possible, de celle-ci – je ne veux pas être accusé d’intégrisme ! Au travers des politiques publiques, de premiers pas ont été faits à cet égard, par exemple avec les projets alimentaires territoriaux ou l’approvisionnement local de la restauration collective.
Pour assurer la résilience des territoires, il faut toutefois aller aujourd’hui plus loin, comme le souligne le texte, qui prévoit d’agir sur le foncier et de favoriser le développement local de systèmes agricole et alimentaire résilients. Les pistes proposées entrent en forte résonance avec trois événements, auxquels j’ai eu la chance de participer dans ces dernières semaines.
Tout d’abord, j’ai pris part à un colloque organisé par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur la question de la « reterritorialisation de l’alimentation ». Monsieur le ministre, les chercheurs de l’INRA travaillent sur ces sujets : j’ai découvert l’importance et l’intérêt de leur contribution.
Ensuite, j’ai assisté au colloque sur la question foncière organisé notamment par Dominique Potier à l’Assemblée nationale, intitulé « Partager et protéger la terre, plaidoyer pour une loi foncière ». Cela a déjà été dit, nous attendons avec impatience de pouvoir débattre d’une telle loi ! Le foncier nourricier est un bien stratégique qu’il nous faut à tout prix protéger, à l’instar d’un bien public, même si c’est un bien privé. J’espère que la loi foncière promise par le Gouvernement sera prochainement annoncée.
Enfin, l’Association française pour l’étude du sol organisait à Vannes, la semaine dernière, un colloque sur l’érosion des sols, afin de définir des solutions locales et territoriales.
Pour conclure, si j’ai bien compris, il n’y aura pas de majorité pour adopter cette proposition de résolution. (Exclamations amusées sur diverses travées.)